De l’indifférence à l’expérience d’une compassion interculturelle
Résumés
Cet article propose d’étudier l’expression des émotions des voyageurs face au spectacle des supplices orientaux dans plusieurs récits de voyage du xviie siècle. Si la violence des traitements réservés aux voleurs et aux criminels est un invariant relevé par les voyageurs parcourant les pays d’Orient (l’Empire ottoman, la Perse et l’Inde moghole), la modalité du regard porté sur le patient du supplice varie de la compassion à l’indifférence. L’objet de cet article est d’interroger plus spécifiquement les implications politiques, axiologiques et anthropologiques de l’expression de la compassion des voyageurs, ainsi que celles de leur apparente indifférence. Sera notamment envisagé le pouvoir de relativisation des frontières géographiques et morales attaché à cette émotion. Notre étude s’appuiera sur les récits de Jean-Baptiste Tavernier (1676) et Pierre-Martin de La Martinière (1674), deux contemporains ayant voyagé en Orient, proposant une abondante description de supplices.
Entrées d’index
Haut de pagePlan
Haut de pageTexte intégral
- 1 Jean de Léry, Histoire d’un voyage faict en la terre du Brésil, éd. par Frank Lestringant, Paris, (...)
Une autresfois que quatre ou cinq François et moy estions en un village […], il y avoit un prisonnier beau et puissant jeune homme enferré de quelques fers que nos sauvages avoyent recouvré des Chrestiens, luy s’accostant de nous, nous dit en langage Portugalois […] qu’il estoit Christiané : avoit esté baptizé, et se nommoit Antoni. […] Il nous fit entendre qu’il eust bien voulu estre delivré d’entre les mains de ses ennemis. Parquoy outre nostre devoir, d’en retirer autant que nous pouvions, ayans encor par ces mots de Christiané et d’Antoni esté plus esmeus de compassion en son endroit l’un de ceux de nostre compagnie qui entendoit l’Espagnol, serrurier de son estat, luy dit que dès le lendemain il luy apporteroit une lime pour limer ses fers1.
- 2 Ibid., p. 370.
- 3 Ibid.
1Cette scène issue du Journal d’un voyage faict en la terre du Brésil de Jean de Léry, cordonnier protestant ayant participé en 1557 à une entreprise coloniale au Brésil, constitue l’archétype de la réaction européenne face à la souffrance et la douleur infligées par des peuples étrangers jugés « barbares2 ». La récente christianisation de la victime indigène augmente la compassion que le voyageur et ses compagnons éprouvent à l’égard de ce prisonnier, comme l’explique Léry, et il n’est pas interdit de supposer qu’elle crée la condition de possibilité de cette émotion, en constituant l’Indien brésilien en alter ego des voyageurs. Cet acte de compassion serait le signe d’une communauté de valeurs à l’aune de laquelle serait stigmatisée l’« inhumanité3 » du rituel anthropophage. Dans ce cas, la compassion apparaît comme une émotion sélective, vecteur d’affirmation d’une identité contre la menace barbare que constituent les mœurs d’une autre culture.
- 4 Pierre Martino explique qu’à partir de 1660, « l’Inde surtout, la Turquie et la Perse ensuite, sem (...)
2Ce postulat d’une compassion éthiquement discriminante est cependant loin d’être systématiquement vérifié. Si l’œuvre de Léry connaît à l’époque un important succès, la production viatique de l’époque est dominée par les récits portant sur l’Orient4, dans lesquels les scènes de supplices et de mauvais traitements abondent, et qui paraissent de ce fait particulièrement indiqués pour interroger la représentation de la compassion face à la douleur d’autrui au xviie siècle.
- 5 Pierre-François Burger, « Tavernier, Jean-Baptiste », Encyclopædia Iranica, 2017, en ligne : http: (...)
- 6 Jean-Baptiste Tavernier, Les six voyages de Jean-Baptiste Tavernier, écuyer baron d’Aubonne, qu’il (...)
- 7 Pierre-Martin de La Martinière, L’heureux esclave, ou Relation des aventures du sieur de La Martin (...)
- 8 François Bernier, Un libertin dans l’Inde moghole. Les voyages de François Bernier (1656-1669), éd (...)
- 9 Ibid., p. 297
- 10 Edward W. Saïd, L’orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, trad. par Catherine Malamoud, Paris, (...)
3Trois relations retiendront prioritairement notre attention, du fait des nombreux supplices qu’elles décrivent, mais aussi du statut original de leur auteur : celle de Jean-Baptiste Tavernier (1605-1689), marchand protestant ayant effectué six voyages en Orient entre 1631 et 16685, où il a fréquenté la cour de Perse et d’Inde et dont il a publié le récit en 16766 ; celle de Pierre-Martin de La Martinière (1634-1676), chirurgien capturé par des corsaires sur les côtes barbaresques, et livrant dans son récit abondamment illustré de 16747 une véritable encyclopédie des supplices ; et celle de François Bernier (1620-1688)8, médecin gassendiste ayant fréquenté la cour du Grand Moghol une dizaine d’années durant. Ces différentes relations témoignent de l’histoire ambivalente des rapports entretenus entre les Français et les populations orientales, marquée par des périodes d’alliance – avec Soliman le Magnifique contre le Saint Empire sous le règne de François Ier par exemple – et de conflits – des siècles de croisades, les rapts effectués par les corsaires de Barbarie, ou encore des rapports diplomatiques houleux avec notamment l’échec de l’ambassade turque envoyée à Louis XIV, qui inspirera à Molière sa turquerie satirique du Bourgeois gentilhomme (1670). Ainsi, Tavernier ne tarit pas d’éloges sur certains aspects des sociétés persanes et mogholes, comme à l’endroit du trône du paon, par exemple, ou du palais du Taj Mahal, qui éblouit également Bernier, « appréhendant de [s’être] corrompu le goût et de [se] l’être fait à l’indienne9 ». Toutefois, l’Orient est aussi dépeint comme un territoire de violence horrifique, ainsi qu’il apparaît à travers les nombreuses scènes de torture de la cour persane que rapporte Tavernier, ou celles pratiquées par les Turcs dans l’œuvre de La Martinière. À cette violence s’ajoutent dans ces récits les superstitions des croyances mahométanes et des rites hindous, qui achèvent de dresser un tableau particulièrement péjoratif des Orientaux. Bien que guidés par un souci d’objectivité propre à la qualité documentaire du genre viatique, les différents voyageurs apparaissent influencés par le prisme des rapports complexes entretenus entre leur pays et les différentes contrées orientales. La diabolisation de certaines populations peut être lue comme le produit de rapports politiques conflictuels, ainsi que l’illustre par exemple le récit de La Martinière, récit de captivité dont le portrait particulièrement cruel des Turcs vise à encourager le rachat de captifs chrétiens. Ainsi, l’Orient tel qu’il est représenté par ces voyageurs est bien une création occidentale, comme l’explique dans son étude fondatrice Edward W. Saïd, qui définit l’orientalisme comme la « distribution d’une certaine conception géo-économique dans des textes d’esthétique, d’érudition, d’économie, d’histoire et de philologie10 ». Autrement dit, les œuvres entreprenant de décrire l’Orient ne renseignent pas seulement sur des contrées alors considérées comme exotiques, mais aussi sur les catégories de perception des Européens traversées d’enjeux multiples – esthétiques, économiques, épistémologiques, etc.
- 11 Cette étude entend s’inscrire dans le sillage des travaux pionniers d’Edward W. Saïd, mais aussi d (...)
- 12 L’étude de la compassion ressortit au domaine de l’histoire du corps et des émotions notamment dév (...)
- 13 Antoine Furetière, Dictionnaire universel, La Haye/Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 1690, t. 1, (...)
- 14 Pierre Richelet, Dictionnaire françois, Genève, Jean Herman Widerhold, 1680, p. 256.
- 15 Nous pouvons évidemment mentionner l’étude de Michel Foucault, Surveiller et punir. Naissance de l (...)
- 16 Anne Carol, Au pied de l’échafaud : une histoire sensible de l’exécution, Paris, Belin, 2017. Dans (...)
- 17 Peut toutefois être mentionnée la riche publication collective dirigée par Charlotte Bouteille-Mei (...)
4À la croisée des études orientalistes11 et de l’histoire des émotions12, cet article entreprend d’examiner la représentation de la compassion – ou de son absence – dans des récits de voyageurs français séjournant dans plusieurs pays orientaux. La notion de compassion, quels que soient les contextes dans lesquels elle apparaît, semble jouir d’une certaine stabilité définitionnelle, comme l’indiquent les dictionnaires d’époque. Celui de Furetière parle d’un « mouvement de l’ame qui nous porte à avoir quelque pitié, quelque douleur en voyant souffrir un autre13 ». Richelet ajoute qu’« on a compassion des personnes qu’on connoit14 ». Si le repérage de cette émotion est rendu possible par cette relative stabilité définitionnelle, elle met toutefois le chercheur face à un important problème de source : on peut proposer une histoire des supplices et de leurs fonctions15, mais il est plus difficile de recenser celle des émotions ressenties, peu présentes dans les archives disponibles. En cela, le récent travail d’Anne Carol sur la peine de mort à l’époque contemporaine est pionnier16, mais peu d’études ont été menées concernant la douleur et les émotions qui s’y rapportent au cours de la période qui nous intéresse17.
5Il s’agira, dans les œuvres retenues qui rapportent plusieurs scènes de tortures infligées à un individu étranger, de s’intéresser aux émotions des différents acteurs, et prioritairement à celles du voyageur, à la fois témoin et auteur du récit. Il apparaît que l’expression de la compassion et de la condamnation morale face au spectacle de la douleur de l’autre côtoie des démonstrations de froide indifférence du voyageur-narrateur. Toutefois, l’attitude émotionnelle de ce dernier est à recontextualiser dans un climat politique particulier : son apparente indifférence face à la douleur d’un Turc ou d’un Indien ne traduit pas nécessairement son insensibilité. Nous nous intéresserons donc ici aux variations du regard porté par les voyageurs français sur les victimes de supplices et à leurs enjeux, en particulier politiques et moraux. Si l’expression de la compassion par le voyageur le conduit à condamner, de manière ethnocentrique, les mœurs de la société étrangère côtoyée, son absence peut également être l’occasion pour lui de réaffirmer son propre système de valeurs, comme nous le verrons dans le premier temps de cette étude.
Le spectacle de l’horreur
- 18 Michel Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, op. cit., partie I, « Supplice ».
- 19 Robert Muchembled, Le temps des supplices : de l’obéissance sous les rois absolus, xve-xviiie sièc (...)
- 20 Claude Gauvard, Condamner à mort au Moyen Âge. Pratiques de la peine capitale en France, xiiie-xve (...)
- 21 Pascal Bastien, Une histoire de la peine de mort. Bourreaux et supplices : Paris, Londres, 1500-18 (...)
- 22 « It made sense not only as a tool of government but also as a form of testimony », dans Lisa Silv (...)
6Les supplices font partie intégrante du quotidien durant l’Ancien Régime, comme le rappellent Michel Foucault, qui s’emploie à détailler la diversité des tortures infligées aux criminels en Occident18, Robert Muchembled, qui étudie les différentes formes et fonctions du spectacle des supplices dans l’espace public à l’époque19, ou encore Claude Gauvard et Pascal Bastien, dont les travaux portent sur la peine de mort respectivement au Moyen Âge20 et à l’époque moderne21. De nombreux historiens s’accordent à dire que la publicité du supplice revêt une fonction politique de restauration de l’ordre dans la cité, avant que le rapport à cette pratique ne change et qu’elle soit soustraite aux regards. « La torture juridique avait du sens non seulement en tant qu’outil du gouvernement, mais aussi en tant que forme de témoignage », explique Lisa Silverman, qui étudie les formes de tortures pratiquées à l’époque moderne dans la ville de Toulouse22 : le corps du supplicié était la preuve tangible de l’exercice de la justice. Un épisode placé dans les premières pages du récit de Tavernier semble confirmer l’habitude qu’avait la population d’assister à des supplices, ainsi que la fonction restauratrice de ces derniers.
- 23 Concernant l’utilisation que d’aucuns qualifient d’anachronique de ce terme, je me réfère ici aux (...)
- 24 J.-B. Tavernier, Six voyages…, op. cit., t. 1, p. 14.
- 25 Ibid.
- 26 Ibid.
- 27 Ibid., p. 13.
- 28 « Tavernier, d’après son propre récit, se mit en route pour Ratisbonne peu de temps après l’occupa (...)
- 29 Voir les études de Jean-Claude Arnould (dir.), Les « Histoires tragiques » du xvie siècle : Pierre (...)
- 30 Inès Ben Zayed, « Repentir et discours moral dans les canards criminels des xvie et xviie siècles (...)
7À la veille de son premier voyage pour Constantinople, Tavernier explique assister au couronnement du fils de l’empereur Ferdinand III comme roi des Romains, à Ratisbonne. À cette occasion, de nombreux joailliers et marchands de pierres se rendent dans cette ville, dont un jeune homme devant récupérer auprès d’un marchand juif un ensemble de pierres préalablement envoyées par son père. Puis, conformément aux préjugés antisémites23 en vigueur à l’époque, le marchand se révèle fourbe et tue le jeune homme à la faveur de la nuit dans une rue désertée. S’ensuit alors l’exercice d’une justice impériale particulièrement cruelle : « L’énormité de cette action meritoit que le coupable fût condamné à un tres rude supplice, & la sentence porta qu’il seroit pendu à une potence la teste en bas entre deux gros chiens pendus de même tout pres de lui, afin que dans la rage ils luy devorassent le ventre, & luy fissent souffrir plus d’une mort par la longueur du tourment […]24. » Son châtiment est ensuite commué en un autre plus court, mais tout aussi « rigoureux25 » : « Il fut tenaillé avec des fers chauds en divers endroits de son corps & en divers endroits de la ville, & à mesure que les tenailles arrachoient la chair on jettoit du plomb fondu dans l’ouverture, après quoy il fut mené hors de Ratisbone, & rompu vif au lieu destiné à l’execution26. » Le désordre entraîné par le meurtre du jeune homme est réparé par une justice civile et divine, puisque « Dieu permit que dès le même soir le crime fut découvert, & le coupable fut mis entre les mains de la Justice27 ». Cette histoire, peut-être inventée par l’auteur qui, selon Charles Joret28, n’était pas à Ratisbonne lors du couronnement de Ferdinand III, partage de nombreuses caractéristiques avec le genre en vogue de l’histoire tragique popularisé au début du siècle par François de Rosset (Les Histoires mémorables et tragiques de nostre temps, 1614) et Jean-Pierre Camus (Les Spectacles d’horreur, 1630), qui mettent en scène des crimes inspirés de faits divers particulièrement violents, également racontés dans les canards, littérature informative contemporaine. Dans ce type de textes, marqués par une esthétique de la violence et de l’horreur29, s’exprime une justice restauratrice en tout point conforme à ce qui est observable dans l’histoire narrée par Tavernier, et qui confirme la valeur morale attachée à l’exercice du supplice : « L’exécution du criminel marque le retour à l’ordre. En effet, la leçon morale est renforcée par la mise en scène publique du jugement ou du châtiment. L’échafaud mortel devient le lieu du supplice et le moyen d’expier ses péchés30. »
- 31 J.-B. Tavernier, Six voyages…, op.cit., t. 1, p. 538.
- 32 Ibid., p. 539.
- 33 Ibid., p. 530-531.
- 34 Ibid., p. 449.
- 35 Ibid., p. 551.
- 36 Ibid., p. 616.
- 37 Voir les articles de Sylvie Requemora, « Scènes de sérail : la construction d’un Orient théâtral e (...)
8Toutefois, les tortures perpétrées dans les pays orientaux ne produisent pas nécessairement les mêmes réactions d’horreur chez leurs spectateurs français ni ne revêtent la même fonction de restauration de l’ordre. L’économie du supplice, ainsi transposée en Orient, ne fonctionne plus de la même manière. Tavernier rapporte en effet une série de supplices sans manifester d’émotion particulière. Il décrit par exemple le traitement que Cha-Sephi réserve à deux hommes prenant du tabac après la publication d’une ordonnance défendant la consommation de celui-ci, « sans qu’on en ait pû bien sçavoir la cause31 » : « aussi-tost ils furent saisis & liez pour les mener au Roy, qui commanda qu’on allât sur le champ en faire justice au Meydan, & qu’on leur versât du plomb fondu dans la bouche jusqu’à ce qu’ils en mourussent32 ». D’autres supplices sont appliqués selon les situations : un boulanger et un rôtisseur sont condamnés pour avoir vendu à faux poids, l’un à être brûlé vif dans un « four dans le milieu de la place », et l’autre à être rôti sur « une broche de la longueur qu’il la falloit pour faire rôtir un homme33 ». Cha-Abas « fit un jour couper la langue à celui qui lui emplissoit la pipe de tabac pour une parole legerement dite34 ». À deux flatteurs, le roi « commanda que l’on arrachât deux dents de la bouche [de l’un], et qu’on les plantât dans la teste de [l’autre] 35», qui mourut alors. La liste des supplices réservés aux voleurs détaillés dans le chapitre consacré à la « Justice et […] la Police des Persans » achève le tableau d’un Orient barbare et cruel : « Tantost on les attache par les pieds à la selle d’un chameau la teste pendant en bas, et on leur ouvre le ventre. Tantost on met le criminel entre quatre petites murailles qui lui serrent le corps, et qu’on éleve autour de luy jusques au col la teste seule restant dehors, & après luy avoir mis par charité une pipe à la bouche, on le laisse mourir de la sorte sans autre secours36. » La curiosité pour l’étendue des traitements pratiqués sur les voleurs l’emporte largement sur une attitude compassionnelle qui se concentrerait sur la douleur éprouvée par la victime du supplice. Il semble que la dimension spectaculaire de ces scènes de torture intéresse plus le voyageur que la manière dont elles sont vécues par le patient, peut-être davantage soucieux qu’il est de plaire à un lectorat friand de violence, accoutumé à celle des histoires tragiques et des turqueries, pièces mettant en scène la cour de Soliman le Magnifique et contribuant à diffuser dans la première partie du xviie siècle l’image d’un Orient barbare et sanguinaire37.
- 38 P.-M. de La Martinière, L’heureux esclave…, op. cit., p. 140.
- 39 J.-B. Tavernier, Six voyages…, op. cit., t. 1, p. 530-531.
9Pierre-Martin de La Martinière, au cours de son expérience de captivité chez les Turcs, contribue également à créer cette image barbare de l’Orient par de nombreux récits de tortures. Assistant à une scène de strangulation, il affiche un désengagement affectif en admirant la « grace et dexterité38 » de l’exécuteur, qualifiant esthétiquement une scène dont la violence eût pu être moralement condamnée. Cette absence de commentaire moral de la part de l’observateur va de pair avec un processus d’esthétisation des scènes de supplices chez les deux auteurs, qui utilisent des stratégies rhétoriques en exacerbant l’horreur. Ainsi, dans le récit de Tavernier, l’énumération déjà observée produit un effet cumulatif identifiant l’Orient à une terre de tortures. L’utilisation de l’hypotypose – figure de rhétorique consistant à produire une description vive et détaillée d’une scène permettant au lecteur de se la figurer – peut également être relevée. Le supplice de l’empalement, par exemple, donne lieu à une description précise de l’instrument utilisé, dont Tavernier et La Martinière soulignent la démesure : « une broche de la longueur qu’il la falloit pour faire rôtir un homme39 » est utilisée. La Martinière ne décrit pas seulement l’instrument de la peine, mais aussi le geste dynamique par lequel il est inséré dans la victime :
- 40 P.-M. de La Martinière, L’heureux esclave…, op. cit., p. 22-23.
[…] deux autres faisoient chauffer le bout d’un fer, qui étoit par le bas gros comme le gras de la jambe, allant en se rapetissant en pointe jusques au haut crané depuis le milieu jusques au bas, étant de la hauteur d’un Homme & demy, si tôt qu’il fut rouge, il fut emboité dans la piece de bois creuse, & en même temps le patient fu tiré en haut, puis lâché, afin qu’il tomba droit sur la pointe du fer, pour en être transpercé40.
- 41 Se reporter par exemple à la carte de l’Empire turc des atlas de Johannes Blaeu (Amsterdam, 1662) (...)
- 42 P.-M. de La Martinière, L’heureux esclave…, op. cit., p. 24-25.
10La gravure insérée dans le récit de l’auteur semble en-deçà de la scène décrite dans le texte (voir fig. 1). Le visage du « patient », que la moustache identifie à un Turc conformément à l’iconographie contemporaine41, ne paraît pas particulièrement déformé par la douleur, alors que le narrateur explique qu’il est dans « dans une telle rage, qu’étant ainsi embroché comme un coq d’Inde, heurlant comme un chien, il s’égratignoit le visage du côté que le pal ne passoit pas, avec tant de courage que la peau en étoit arrachée, s’ôta un œil de la tête, et demeura ainsi en vie trois jours entiers42 ». L’assimilation animale signale toute la distance émotionnelle entretenue par l’auteur à l’égard de cette victime.
Fig. 1 : Le supplice de l’empalement, Pierre-Martin de La Martinière, L’heureux esclave, Paris, Olivier de Varennes, 1674, p. 24
Source : BnF, Gallica : https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k132098k/f34.item (consulté le 5 avril 2022).
- 43 G. Turbet-Delof, L’Afrique barbaresque dans la littérature française aux xvie et xviie siècles, op (...)
- 44 Ibid., p. 91.
- 45 Les illustrations 2 et 3 donnent d’autres exemples de représentation de supplices.
11Guy Turbet-Delof intègre cette scène aux aventures « très fantaisistes43 » narrées par La Martinière, qui correspondraient moins à la reproduction d’une réalité historique qu’à un souci de séduction du lectorat, en se conformant à une image stéréotypée de l’Orient : « Le pal est […] du petit nombre des accessoires conventionnels qui vous turquisent un décor44. » L’Orient apparaît bien comme une (re)création de l’Occident, comme s’emploie à le montrer Edward W. Saïd concernant les représentations du xixe siècle. Cette scène horrifique n’a-t-elle cependant pour fonction que de satisfaire le goût du lectorat pour les sensations fortes (voir fig. 2 et 345) ?
Fig. 2 : Le supplice de la gange, Pierre-Martin de La Martinière, L’heureux esclave, op. cit., p. 154
Source : BnF, Gallica, https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k132098k/f166.item (consulté le 5 avril 2022).
Fig. 3 : Crucifixion et emmurement, Pierre-Martin de La Martinière, L’heureux esclave, op. cit., p. 218
Source : BnF, Gallica, https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k132098k/f228.item (consulté le 5 avril 2022).
L’absence de compassion : un manifeste politique et identitaire
- 46 Susan Sontag, Devant la douleur des autres, trad. par Fabienne Durand-Bogaert, Paris, Christian Bo (...)
- 47 Robert Muchembled, Le temps des supplices…, op. cit., p. 116.
- 48 J.-B. Tavernier, Six voyages…, op. cit., t. 1, p. 14.
- 49 Supplice qui consiste à être jeté sur une surface couverte d’embouts de lances recourbés.
- 50 P.-M. de La Martinière, L’heureux esclave…, op. cit., p. 156.
- 51 Gillian Weiss, Captifs et corsaires. L’identité française et l’esclavage en Méditerranée, Toulouse (...)
12Le faible engagement émotionnel observé dans la narration de différents supplices serait-il l’effet d’une accoutumance développée par les voyageurs qui, régulièrement exposés à la violence, développeraient une insensibilité, conformément au phénomène qu’explique Susan Sontag dans son essai sur la perception de la douleur de l’autre46 ? Rien n’est moins sûr, et l’absence d’expression de compassion n’équivaut pas à une absence de compassion, dans un contexte culturel où le châtiment est justement mis en scène parce qu’il produit une émotion qui doit permettre une « édification du public47 ». Ce processus semble fonctionner dans le récit du marchand juif raconté par Tavernier, où l’appréciation affective que le narrateur fait du supplice – « tres rude », « rigoureux48 » – confirme l’efficacité dissuasive de ce dernier. Il convient donc de s’interroger sur l’indifférence que les auteurs affichent face aux traitements violents qu’ils observent dans les pays orientaux. Cette indifférence peut être vue comme le signe d’une disqualification de l’humanité de l’étranger. On se souvient que l’Indien brésilien converti de Léry, en rejoignant la communauté de l’auteur, devenait digne de compassion. Selon un schéma symétrique, ne pas afficher d’émotion prive l’autre du statut d’alter ego et l’exclut de la communauté d’appartenance du témoin du supplice. Les autres acteurs du châtiment semblent d’ailleurs faire montre de la même indifférence. En effet, si le spectateur-voyageur français n’affiche pas d’émotion, il dépeint également les instigateurs des peines infligées comme dénués de compassion pour la victime, qui pourtant appartient à leur propre communauté. Ainsi, lors du supplice de la « gange49 », Pierre-Martin de La Martinière s’étonne que « nul ne plaignoit [la victime]50 », mais cette peinture de l’insensibilité des Turcs participe de la propagande anti-turque commune à tous les récits de captivité qu’a étudiés Gillian Weiss, et qui vise à encourager le rachat des captifs par les Chrétiens51.
- 52 Géraud Poumarède, « Les envoyés ottomans à la cour de France : d’une présence controversée à l’exa (...)
- 53 Géraud Poumarède, Pour en finir avec la Croisade. Mythes et réalités de la lutte contre les Turcs (...)
- 54 Faruk Bilici, « Les relations franco-ottomanes au xviie siècle : réalisme politique et idéologie d (...)
- 55 Alain Grosrichard, Structure du sérail. La fiction du despotisme asiatique dans l’Occident classiq (...)
- 56 Antoine Furetière, Dictionnaire universel, op. cit., p. 18 674.
- 57 Le Dictionnaire de l’Académie françoise dedié au Roy, Paris, chez la Veuve Jean-Baptiste Coignard (...)
- 58 Il apparaît que l’appellation « Turc » tend à s’émanciper de la stricte désignation géographique p (...)
- 59 Ibid.
- 60 Ibid.
- 61 Michèle Longino, « Politique et théâtre au xviie siècle : les Français en Orient et l’exotisme du (...)
- 62 Ibid.
13Les voyageurs reconduisent ici un imaginaire ancien, hérité des croisades, peut-être dans une stratégie de promotion de la conquête de l’Empire ottoman, conformément à la politique du cardinal Mazarin. Les relations franco-ottomanes sont marquées par une certaine instabilité : si différentes ambassades se succèdent à la suite des alliances contractées entre François Ier et Soliman le Magnifique52, Faruk Bilici explique que la dégradation des rapports diplomatiques franco-ottomans au xviie siècle voit naître une nostalgie pour l’empire de Charlemagne et le temps des croisades. Les Français, mus par une « destinée orientale53 », nourriraient des projets de conquête de l’empire ottoman, à l’instigation notamment de Mazarin, que les alliances avec l’ennemi de l’Italie dérangeaient54, donnant alors un nouveau relief à cette diabolisation séculaire des Orientaux dans la littérature. De ce fait, il est légitime de supposer que les voyageurs procèdent à une certaine réélaboration fantasmatique de la réalité des supplices observés, auxquels ils superposeraient un imaginaire diabolisant les Orientaux. En faisant un tel tableau, peu nuancé, de l’exercice de la justice punitive au sein des cours persane et ottomane, ils participent à la formation du mythe du despotisme oriental. « On forge une fiction absurde, on prouve qu’elle existe en Asie et on se complaît à en étaler les horreurs, pour faire passer en fin de compte une thèse qui sert les ambitions réactionnaires d’une caste attachée à ses privilèges de sang55 », analyse Alain Grosrichard, évoquant les récits de voyage orientaux et leurs « horreurs ». Les dictionnaires contemporains confirment la force des stéréotypes nationaux circulant à propos des populations orientales : le dictionnaire de l’Académie (1694) et celui de Furetière (1690) expédient la définition des « Turcs » comme « nation56 » pour exposer les définitions « proverbiales57 » du « Turc58 » : « On dit, qu’Un homme […] que C’est un vray Turc, pour dire, qu’Il est rude, inexorable, qu’il n’a aucune pitié, etc. On dit aussi prov. Traiter quelqu’un de Turc à More, pour dire, Sans quartier, avec toute sorte de rigueur59. » « On dit aussi en voulant injurier un homme, le taxer de barbarie, de cruauté, d’irreligion, que c’est un Turc, un homme inexorable, qu’il vaudroit autant avoir à faire à un Turc60. » La représentation de l’Oriental observée dans les récits semble correspondre à cette image collective du Turc que la barbarie et la violence soustraient à l’humanité, pour lequel il n’est par conséquent pas possible d’éprouver de compassion, et qui lui-même n’a « aucune pitié ». Les Français sont alors par contraste valorisés. Michèle Longino considère d’ailleurs que « l’Orient est l’espace dans lequel les Français façonnent et se représentent leur identité nationale, développent une image d’eux-mêmes en tant que membres d’une “communauté imaginée”61 ». Elle ajoute : « Les attitudes exposées dans les textes […] contribuent de façon déterminante à mettre en place l’imaginaire moderne de l’identité collective française, une mentalité qui exclut le musulman de toute considération fraternelle62. »
- 63 J.-B. Tavernier, Six voyages…, op. cit., t. 2, p. 392.
- 64 Voir la précision de Lisa Silverman à ce sujet : Tortured Subjects…, op. cit., note 64, p. 202.
- 65 F. Bernier, Un libertin dans l’Inde Moghole…, op. cit., p. 308.
- 66 Ibid., p. 312.
- 67 Mathilde Bedel, « La crémation des veuves indiennes et les voyageurs français au xviie siècle. Qua (...)
- 68 Bernier utilise notamment les termes « troupe » et « spectacle » (F. Bernier, Un libertin dans l’I (...)
14Cette diabolisation est également sensible à l’endroit des Indiens, comme en témoigne une scène de sati – rituel hindou qui consiste pour les veuves à s’immoler pour honorer la mémoire de leur mari – rapportée par Tavernier, qui décrit l’attitude d’une femme plongeant sa main dans les flammes sous les yeux du gouverneur hollandais, action qui évoque les rituels de l’ordalie pratiqués par l’Inquisition à l’encontre, notamment, des sorcières : « Dés que cette femme eut apperçû ce fallot qui estoit bien allumé elle courut au devant, et tenant sa main ferme sur la flame sans la moindre grimace, et avançant méme le bras jusqu’au coude qui fut tout incontinent grillé, cela donna de l’horreur à tous ceux qui virent cette action, & le Gouverneur commanda qu’on ôtât cette femme de sa presence63. » À l’absence de compassion du voyageur, témoin de la scène, s’ajoutent l’absence de « grimace » de cette femme et son empressement à éprouver le feu, qui sont rapportés comme des indices d’insensibilité – et sont conformes aux caractéristiques que l’Inquisition prêtait à la sorcière, endurante à la douleur64. L’imaginaire de la sorcellerie est également sensible dans les différentes scènes de sati rapportées par Bernier, qui « vi[t] en entrant un sabbat de sept ou huit vieilles horribles à voir […] et la femme tout échevelée, le visage pâle, les yeux secs et étincelants, qui était assise et qui criait en battant aussi des mains en cadence comme les autres aux pieds de son mari65 ». Le voyageur tente d’intervenir, fustigeant la « diabolique fureur » de la jeune femme, mais la détermination de cette dernière, dont la réponse est rapportée au style direct, est totale : « Eh bien, si l’on m’empêche de me brûler, je me casserai la tête contre les murailles ! » L’échec de la parole ainsi que l’imaginaire de la possession démoniaque excluent cette femme de la communauté du narrateur, à l’instar du phénomène observé dans l’épisode similaire du récit de Tavernier déjà cité, qui lui aussi mobilise l’imaginaire de la sorcellerie. Elle n’est ni un alter ego – puisqu’il n’est pas possible de dialoguer avec elle – ni même un être humain susceptible d’être touché par la foi chrétienne, et donc converti, puisqu’elle est possédée. Son aliénation est telle qu’elle fait preuve d’« insensibilité », se dirigeant avec « fermeté », « intrépidité bestiale et gaieté féroce66 » vers le bûcher. Le caractère criminel et blasphématoire du suicide dans la religion chrétienne achève de stigmatiser la veuve indienne. L’absence de compassion est donc axiologiquement marquée : la refuser à une victime équivaut à exclure cette dernière d’une communauté de valeurs. Mathilde Bedel, dans une lecture qu’elle propose de plusieurs scènes de sati rapportées par des voyageurs français, souligne combien ces derniers sont amenés « à transposer leur propre imaginaire diabolique sur un rite aux racines éminemment indiennes » en mobilisant le mythe de la sorcière. Elle observe également l’« écriture théâtralisée67 » qui caractérise la narration de ces épisodes, avec les paroles rapportées ainsi que le dispositif scénique68 de l’immolation, à laquelle assiste un public composé de la famille, de la belle-famille et d’autres membres de la caste. Ce dispositif de la scène, sensible dans la gravure accompagnant l’édition d’Amsterdam du récit de Bernier (voir fig. 4), confirme la fonction d’édification attachée au châtiment ou au supplice – ici, l’immolation – : ce spectacle illustre un ensemble de valeurs fédératrices d’une communauté qui encourage la veuve au sacrifice, comme en témoignent les gestes des brahmanes situés à gauche de l’image, et d’un en particulier, qui pousse la victime au feu. Les deux hommes figurés à l’extrême droite de la gravure, de dos, vêtus à l’européenne, peuvent constituer un relais du voyageur, entretenant avec ce spectacle une distance, se tenant à l’écart de cette communauté jugée superstitieuse.
Fig. 4 : Sacrifice d’une veuve hindoue, François Bernier, Voyages, Amsterdam, Paul Marret, 1699, vol. 2, entre les pages 112 et 113
Source : BnF, Gallica, https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k15216024/f130.item (consulté le 5 avril 2022).
15Frédéric Tinguely, dans une étude qu’il consacre aux différentes pratiques hindoues recensées par trois voyageurs en Inde au xviie siècle – Jean-Baptiste Tavernier, François Bernier et Jean Thévenot –, explique :
- 69 Frédéric Tinguely, Le fakir et le Taj Mahal. L’Inde au prisme des voyageurs français du xviie sièc (...)
Le scandale du sati, qui est aussi son mystère, réside très précisément dans cette incroyable capacité à porter le corps, pour sa négation même, au-delà de ses limites naturelles. Ce qui horrifie, dans l’immolation volontaire par le feu, ce ne sont donc pas les douleurs subies par la femme, mais son étrange pouvoir de résistance à la peur et au mal. Il y a là quelque chose de diabolique – l’adjectif fait sans cesse retour dans les récits – qu’il faut tenter de regarder en face et qui en dit long sur les origines des croyances hindoues69.
- 70 Ibid., p. 33.
- 71 F. Bernier, Un libertin dans l’Inde moghole…, op. cit., p. 318.
- 72 Ibid., p. 37.
- 73 F. Tinguely, Le fakir et le Taj Mahal…, op. cit., p. 33.
- 74 F. Bernier, Un libertin dans l’Inde moghole…, op. cit., p. 306-307.
16À cette résistance contre-nature à la douleur s’ajoute le caractère volontaire de cette immolation, qui paraît déraisonnable aux voyageurs européens, et qui fait compter le sati au nombre des « coutumes inacceptables70 », de même que le fakir, à la « posture forcée et contre nature71 », qui lui aussi manifeste une indifférence diabolique à la douleur. Il incarne en effet une autre forme de ce paradoxe de corps « qui devrai[t] souffrir, qui ne souffr[e] manifestement guère72 ». « Les voyageurs européens adoptent pour une grande part le regard méprisant que les maîtres musulmans portent sur leurs sujets “idolâtres”73 », les mahométans s’étant notamment déclarés « ennemis de cette barbare coutume [le sati] » et cherchant à « l’empêch[er] tant qu’ils peuvent74 ».
La compassion comme expérience interculturelle ?
- 75 Ibid., p. 50-51.
- 76 J.-B. Tavernier, Six voyages…, op. cit., t. 1, p. 616.
17Toutefois, ce refus de la compassion et cette diabolisation des populations observées ne sont pas les seuls leviers par lesquels les auteurs affirment un ensemble de valeurs. En effet, il arrive que la frontière entre les deux communautés – celle des voyageurs et celle des étrangers côtoyés – vacille, notamment dans le cas où les voyageurs expriment leur implication affective à travers des jugements pathétiques déplorant le sort des victimes de mauvais traitements. Cette attitude émotionnelle est sensible dans la narration que fait Bernier de l’exécution de l’amant de Begum Saheb, fille de l’empereur moghol Shah Jahan, lequel, pour entretenir des rapports incestueux avec sa fille, punit sévèrement l’amant que celle-ci fréquente. Le « malheureux » se cache dans une chaudière, après quoi le roi « commanda fort sévèrement qu’on mît le feu à l’heure même sous la chaudière et ne voulut point partir de là que les eunuques ne lui eussent fait comprendre que le misérable était expédié75 ». Bernier utilise des termes (« malheureux », « misérable ») traduisant sa compassion à l’égard de la victime. Quant à Tavernier, relatant son voyage dans l’Empire ottoman, il qualifie de « supplice fort cruel76 » celui qui consiste à emmurer les voleurs, exprimant là aussi un engagement affectif par ailleurs particulièrement sensible dans la narration du supplice du Deroga, grand prévôt d’Ispahan coupable d’avoir extorqué de l’argent aux sujets d’Ispahan :
- 77 Ibid., p. 566-567 (italiques ajoutés par nos soins).
Aussi-tost il fut mené au milieu de la place, où on lui donna tant de coups de bâtons sur la plante des pieds que les ongles luy en sauterent. Le vendredy suivant on le ramena au mesme lieu, où on recommença le même supplice, en lui perçant ensuite les pieds. Le Deroga estant fort âgé les douleurs le mirent dans un estat à toucher même de compassion Negef-couli-beg [administrateur de la peine], qui écrivit prontement en Cour que si on continuoit de le tourmenter, le pauvre vieillard mourroit infailliblement77.
18Le Deroga est bien en proie à une « douleur » suscitant la « compassion » de l’exécuteur même du supplice : ce dernier désavoue cette torture qu’il juge excessive et participe à la condamnation de ces pratiques orientales, qui apparaissent peut-être d’autant plus barbares qu’elles sont désapprouvées par des membres mêmes de la communauté dans laquelle elles ont cours.
- 78 F. Bernier, Un libertin dans l’Inde moghole…, op. cit., p. 309.
- 79 Ibid., p. 310.
- 80 F. Tinguely, Le fakir et le Taj Mahal, op. cit., p. 37.
- 81 F. Bernier, Un libertin dans l’Inde moghole…, op. cit., p. 312.
19Par ailleurs, si Bernier, dans la lettre à Chapelain, affiche une distance critique dépassionnée dans la narration qu’il fait de la première scène de sati, il manifeste en revanche un investissement affectif réel au cours des suivantes. Il déclare s’être « tant de fois trouvé à ces horribles spectacles qu’[il] ne les pouvai[t] presque plus souffrir et qu’[il a] même quelque horreur à y penser78 », et qualifie une deuxième scène de sati d’« infernale tragédie79 ». L’horreur que lui inspire l’immolation de la femme qu’il a vue brûler à Sourate est stylistiquement marquée par la figure de la prétérition, qui consiste à mettre en scène une réticence à dire quelque chose que l’on finit par dire malgré tout, ainsi que l’analyse Frédéric Tinguely80 : « de vous représenter […] tout cela, c’est ce qui ne m’est pas possible, à peine le puis-je croire à présent, quoiqu’il n’y ait pour ainsi dire que trois jours que je l’ai vu81 », déclare le voyageur, dont l’émotion est encore sensible dans le temps de l’écriture. La veuve qu’il a vue brûler à Lahore l’émeut particulièrement :
- 82 Ibid., p. 314-315 (italiques ajoutés par nos soins).
Il me souvient entre autres que je vis brûler à Lahore une femme qui était très belle et qui était encore toute jeune : je ne crois pas qu’elle eût plus de douze ans. Cette pauvre petite malheureuse paraissait plus morte que vive à l’approche du bûcher ; elle tremblait et pleurait à grosses larmes, et cependant trois ou quatre de ces bourreaux, avec une vieille qui la tenait par-dessous l’aisselle, la poussèrent et la firent asseoir sur le bûcher82.
- 83 Ibid., p. 315.
- 84 Dans le chapitre consacré à la description du rituel anthropophage des Tupi, l’auteur impute une c (...)
- 85 Le même investissement affectif est à l’œuvre dans la narration d’une crémation de veuve sous la p (...)
- 86 F. Tinguely, Le fakir et le Taj Mahal…, op. cit., p. 34.
20Le narrateur exprime par des termes pathétiques (« pauvre », « malheureuse », « petite ») sa compassion pour une victime dont les « grosses larmes » versées à l’approche de l’épreuve du feu non consentie attestent l’humanité. La jeune fille est constituée en victime malheureuse des brahmanes, qui font des « choses bien barbares et bien cruelles83 », suppléés par « une vieille » qui ne peut manquer d’évoquer les vieilles femmes avides de chair fraîche, avatar brésilien de la sorcière dans le récit de Jean de Léry84. Cette victime malheureuse semble alors extraite de son milieu d’origine85, jugé barbare, pour être rapprochée de la communauté du voyageur selon un phénomène que nous appellerons la « compassion intégrative ». La gravure accompagnant le texte de Bernier peut d’ailleurs recevoir une double lecture, ainsi que l’analyse Frédéric Tinguely : bien que l’élan de la jeune veuve puisse être considéré comme volontaire, le « brahmane placé juste derrière […] pourrait avoir prêté la main à cet élan contre-nature. L’incertitude permet à la fois de faire une économie (une seule planche pour représenter le sacrifice forcé et son contraire !) et de ménager un point de repli à la raison occidentale, que la seule possibilité d’une explication par la contrainte contribue à rassurer86 ».
- 87 J.-B. Tavernier, Six voyages…, op. cit., t. 2, p. 145-146.
- 88 Ibid., p. 148.
21Si l’exercice de la compassion peut intégrer à la communauté du voyageur une victime étrangère, il peut aussi exclure un individu censément rattaché à sa communauté, comme cela apparaît à l’endroit du récit des cruautés de l’Inquisition dans l’œuvre de Tavernier. Le père Ephraïm, par exemple, est injustement saisi par des officiers de l’Inquisition : « On lui mit les fers aux pieds et aux mains, et ils furent vingt-deux jours en mer sans jamais vouloir souffrir qu’il allât une fois en terre […]. » Il reste enfermé dans une chambre avec pour toute fenêtre « un trou d’un demi-pied en quarré avec des barreaux de fer », et « on ne voulut jamais luy prester un livre ni luy donner un bout de chandele, & on le traitta aussi rigoureusement qu’un scelerat qui étoit déjà sorti deux fois de l’inquisition avec la chemise souffrée et la croix de Saint André sur l’estomac, pour accompagner au supplice ceux que l’on faisoit mourir87 ». L’indignation avec laquelle le narrateur détaille les circonstances de l’arrestation et de la détention du père Ephraïm manifeste bien sa compassion et exclut les Portugais de sa communauté de valeurs. Les Hollandais sont eux aussi la cible de la condamnation de Tavernier : lorsque ces derniers prennent Cochin, un soldat français est ému de compassion pour un enfant mourant de faim, mais « le General de l’armée fut si indigné, disant que le soldat devoit laisser-là mourir l’enfant, qu’il fit assembler le Conseil de guerre où il vouloit qu’il passat par les armes, ce qui estoit bien cruel, & le Conseil moderant la sentence, ne le condamna qu’à l’estrapade88 ». Le même adjectif – « cruel » – est utilisé pour décrire les supplices perpétrés par les Turcs et par les Hollandais, reléguant ces derniers à un niveau de barbarie équivalant à celui des premiers. Les Hollandais dérogent ici aux valeurs chrétiennes, laissant mourir un enfant. Les rivalités entre les différentes nations européennes résistent au voyage, et les Hollandais, les Portugais et les Français, loin de se fondre en une communauté occidentale face à l’altérité orientale, restent bien distinctes.
- 89 M. Longino, « Politique et théâtre au xviie siècle… », art. cit.
22Ainsi, l’exercice de la compassion – en condamnant moralement l’auteur d’un crime et en l’excluant d’un groupe – ou au contraire l’absence de compassion – déniant à la victime du supplice sa qualité d’alter ego et la réduisant souvent à un rang d’infra-humanité – permettent d’affirmer une « communauté imaginée89 » de valeurs. Les voyageurs, en intégrant à leur communauté des avatars de l’altérité, ou en en excluant des congénères européens, semblent redéfinir les frontières des communautés géographiques, et même religieuses. On peut se demander s’il s’agit d’une authentique expérience de l’interculturalité, ou si les marques de la compassion à l’égard de certains étrangers relèvent principalement d’une stratégie discursive au service d’un discours avant tout politique. Il faudrait certainement poursuivre l’enquête sur des corpus plus étendus, touchant à d’autres espaces que l’Orient, pour pouvoir répondre à cette question.
- 90 A. Corbin, J.-J. Courtine et G. Vigarello, Histoire des émotions, t. 1, op. cit., « Introduction » (...)
23Ce parcours parmi quelques représentations de supplices orientaux relativise l’idée selon laquelle la compassion serait une émotion vive triomphant des frontières morales et culturelles dans une communion universelle des sensibilités. Cette enquête sur la représentation de la compassion – et de son absence – montre à quel point cette émotion recèle des implications sociales, religieuses et politiques, et ne saurait être réduite à l’expression d’un mouvement de l’âme transcendant les clivages culturels. Différentes attitudes ont pu être distinguées, du degré zéro de l’expression de la compassion – le détail des supplices obéissant alors à une stratégie littéraire de séduction d’un lectorat friand de violence – à son degré maximal – le voyageur éprouvant et exprimant alors de la compassion pour des membres d’une autre communauté que la sienne. Dans les deux cas, cette émotion apparaît comme un outil axiologique permettant au narrateur de définir en situation des « communautés imaginées » de valeurs. Les récits de supplices qui frappent par l’absence d’expression de la compassion entretiennent notamment le stéréotype national du Turc, conçu comme barbare et sanguinaire, mais aussi comme un homme enlisé dans des superstitions, caractéristique qu’il partage avec l’Hindou. La compassion semble alors bien une « émotion [qui], dans ses variétés historiques, ses nuances, ses déclinaisons, reflète d’abord une culture et un temps90 ». Dans les cas contraires, où la victime de mauvais traitements, bien qu’étrangère, émeut de compassion le voyageur, celle-ci apparaît comme une expérience interculturelle à laquelle il est donné au lecteur de participer : l’expression de l’émotion du voyageur qui caractérise la narration pathétique de certaines scènes de supplices permet d’inclure le lecteur, qui peut s’identifier à l’auteur, conférant alors au récit une dimension édifiante. En épousant les émotions du voyageur – en jetant sur ces scènes le même regard que ce dernier, à l’instar des deux Européens représentés dans la gravure de sati précédemment citée –, le lecteur est conduit à relativiser les contours de sa communauté d’appartenance, pour rencontrer l’alter ego que constitue la victime suppliciée.
Notes
1 Jean de Léry, Histoire d’un voyage faict en la terre du Brésil, éd. par Frank Lestringant, Paris, Librairie générale française, 1994 [1578], p. 372 (italiques ajoutés par nos soins).
2 Ibid., p. 370.
3 Ibid.
4 Pierre Martino explique qu’à partir de 1660, « l’Inde surtout, la Turquie et la Perse ensuite, semblent être les pays sur lesquels on aime le mieux à s’instruire » (L’Orient dans la littérature française au XVIIe siècle et au XVIIIe siècle, Genève, Slatkine, 1970 [1906], p. 53).
5 Pierre-François Burger, « Tavernier, Jean-Baptiste », Encyclopædia Iranica, 2017, en ligne : http://www.iranicaonline.org/articles/tavernier-jean-baptiste (consulté le 6 avril 2022).
6 Jean-Baptiste Tavernier, Les six voyages de Jean-Baptiste Tavernier, écuyer baron d’Aubonne, qu’il a fait en Turquie, en Perse et aux Indes, pendant l’espace de quarante ans, & par toutes les routes que l’on peut tenir : accompagnez d’observations particulières sur la qualité, la religion, le gouvernement, les coutumes & le commerce de chaque païs ; avec les figures, le poids et la valeur des monnoyes qui y ont cours. Première partie, où il n’est parlé que de la Turquie et de la Perse. Seconde partie, où il est parlé des Indes, & des Isles voisines, contient : « Suite ou Recueil de plusieurs relations », Paris, G. Clouzier et C. Barbin, 1676, 2 vol.
7 Pierre-Martin de La Martinière, L’heureux esclave, ou Relation des aventures du sieur de La Martinière comme il fut pris par les corsaires de Barbarie et délivré ; La manière de combattre sur Mer, de l’Afrique & autres particularitez, Paris, Olivier de Varennes, 1674.
8 François Bernier, Un libertin dans l’Inde moghole. Les voyages de François Bernier (1656-1669), éd. intégrale sous la direction de Frédéric Tinguely, Paris, Chandeigne, 2008 [1671].
9 Ibid., p. 297
10 Edward W. Saïd, L’orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, trad. par Catherine Malamoud, Paris, Éditions du Seuil, 1994, p. 25.
11 Cette étude entend s’inscrire dans le sillage des travaux pionniers d’Edward W. Saïd, mais aussi dans celui d’ouvrages portant plus spécifiquement sur la représentation de l’Orient dans la littérature du xviie siècle, comme ceux de Guy-Turbet Delof, de Pierre Martino et de Dominique Carnoy, et plus récemment de Nicholas Dew, Faith Beasley, Rachel Lauthelier-Mourier et Irini Apostolou. Voir Guy Turbet-Delof, L’Afrique barbaresque dans la littérature française aux xvie et xviie siècles, Genève, Droz, 1973 ; Pierre Martino, L’Orient dans la littérature française au xviiesiècle et au xviiie siècle, op.cit. ; Dominique Carnoy, Représentations de l’islam dans la France du xviie siècle : la ville des tentations, Paris, L’Harmattan, 1998 ; Nicholas Dew, Orientalism in Louis XIV’s France, Oxford, Oxford University Press, 2009 ; Faith E. Beasley, Versailles Meets the Taj Mahal. François Bernier, Marguerite de La Sablière, and Enlightening Conversations in Seventeenth-Century France, Toronto, University of Toronto Press, 2018 ; Rachel Lauthelier-Mourier, Le voyage de Perse à l’âge classique : lieux rhétoriques et géographiques, Paris, Classiques Garnier, 2020 ; Irini Apostolou, L’orientalisme des voyageurs français au xviiie siècle : une iconographie de l’Orient méditerranéen, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2009.
12 L’étude de la compassion ressortit au domaine de l’histoire du corps et des émotions notamment développé par Alain Corbin et Georges Vigarello, dont le programme est d’inscrire les émotions dans leur contexte particulier d’émergence pour les envisager « dans [leurs] variétés historiques, [leurs] nuances, [leurs] déclinaisons » (Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello, Histoire des émotions, t. 1, De l’Antiquité aux Lumières, Paris, Éditions du Seuil, 2016, « Introduction », p. 7.)
13 Antoine Furetière, Dictionnaire universel, La Haye/Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 1690, t. 1, p. 449.
14 Pierre Richelet, Dictionnaire françois, Genève, Jean Herman Widerhold, 1680, p. 256.
15 Nous pouvons évidemment mentionner l’étude de Michel Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, qui commente la manière dont l’usage de la torture peut construire et consolider les communautés. Elaine Scarry, avec The Body in Pain. The Making and Unmaking of the World (Oxford, Oxford University Press, 1985), propose quant à elle une étude transhistorique et transculturelle du phénomène de la torture et de la manière dont elle contribue à la stabilisation du régime politique. Pour la période qui nous intéresse, l’étude de Lisa Silverman sur les peines perpétrées à Toulouse à la période moderne est particulièrement intéressante (Tortured Subjects. Pain, Truth, and the Body in Early Modern France, Chicago, University of Chicago Press, 2001).
16 Anne Carol, Au pied de l’échafaud : une histoire sensible de l’exécution, Paris, Belin, 2017. Dans cette étude, Anne Carol s’intéresse notamment à la manière dont les différents acteurs de la mort – les magistrats, les bourreaux, les victimes, etc. – ressentent la mise en œuvre de la peine capitale.
17 Peut toutefois être mentionnée la riche publication collective dirigée par Charlotte Bouteille-Meister et Kjerstin Aukrust portant sur la représentation en littérature de la souffrance : Corps sanglants, souffrants et macabres, xvie-xviie siècle, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2010.
18 Michel Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, op. cit., partie I, « Supplice ».
19 Robert Muchembled, Le temps des supplices : de l’obéissance sous les rois absolus, xve-xviiie siècle, Paris, Armand Colin, 1992.
20 Claude Gauvard, Condamner à mort au Moyen Âge. Pratiques de la peine capitale en France, xiiie-xve siècle, Paris, Presses universitaires de France, 2018.
21 Pascal Bastien, Une histoire de la peine de mort. Bourreaux et supplices : Paris, Londres, 1500-1800, Paris, Éditions du Seuil, 2011.
22 « It made sense not only as a tool of government but also as a form of testimony », dans Lisa Silverman, Tortured Subjects…, op. cit., p. 7.
23 Concernant l’utilisation que d’aucuns qualifient d’anachronique de ce terme, je me réfère ici aux réflexions d’Évelyne Oliel-Grausz, qui explique que la notion d’antijudaïsme renvoie spécifiquement à une doctrine religieuse, sans prendre en compte les autres aspects – culturels, physiques – que recouvre déjà à l’époque moderne la haine des Juifs. Évelyne Oliel-Grausz, « Juifs, judaïsme et affrontements religieux (xvie siècle-milieu xviie siècle) », dans Wolfgang Kaiser (dir.), L’Europe en conflits. Les affrontements religieux et la genèse de l’Europe moderne (vers 1500-vers 1650), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, p. 363-409).
24 J.-B. Tavernier, Six voyages…, op. cit., t. 1, p. 14.
25 Ibid.
26 Ibid.
27 Ibid., p. 13.
28 « Tavernier, d’après son propre récit, se mit en route pour Ratisbonne peu de temps après l’occupation de Stettin par Gustave-Adolphe, événement qui eut lieu en juillet 1630 ; ce fut donc pendant l’été de cette année qu’il se rendit dans la ville impériale […]. Il est certain, dès lors, qu’il s’agit non de la diète de 1636, où fut couronné Ferdinand III, mais de la diète célèbre de 1630, dans laquelle fut déposé Wallenstrein. » Charles Joret, Jean-Baptiste Tavernier : écuyer, baron d’Aubonne, chambellan du Grand Electeur, d’après des documents nouveaux et inédits, Paris, E. Plon, Nourrit et Cie, 1886, p. 15.
29 Voir les études de Jean-Claude Arnould (dir.), Les « Histoires tragiques » du xvie siècle : Pierre Boaistuau et ses émules, Paris, Classiques Garnier, 2018 ; ou encore Thierry Pech, Conter le crime. Droit et littérature sous la Contre-Réforme : les histoires tragiques, 1559-1644, Paris, Honoré Champion, 1999.
30 Inès Ben Zayed, « Repentir et discours moral dans les canards criminels des xvie et xviie siècles », dans Silvia Liebel et Jean-Claude Arnould (dir.), Canards, occasionnels, éphémères : « information » et infralittérature en France à l’aube des temps modernes, actes du colloque organisé à l’université de Rouen en septembre 2018, publications numériques du CÉRÉdI, 2019, en ligne : http://publis-shs.univ-rouen.fr/ceredi/index.php?id=714 (consulté le 6 avril 2022).
31 J.-B. Tavernier, Six voyages…, op.cit., t. 1, p. 538.
32 Ibid., p. 539.
33 Ibid., p. 530-531.
34 Ibid., p. 449.
35 Ibid., p. 551.
36 Ibid., p. 616.
37 Voir les articles de Sylvie Requemora, « Scènes de sérail : la construction d’un Orient théâtral et romanesque au xviie siècle », dans Anne Duprat et Émilie Picherot (dir.), Récits d’Orient dans les littératures d’Europe, xvie-xviiie siècles, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2008, p. 249- 262 ; ead., « Les “turqueries” : une vogue théâtrale en mode mineur », Littératures classiques, 51, 2004, dossier « Le théâtre au xviie siècle : pratiques du mineur », p. 133-151.
38 P.-M. de La Martinière, L’heureux esclave…, op. cit., p. 140.
39 J.-B. Tavernier, Six voyages…, op. cit., t. 1, p. 530-531.
40 P.-M. de La Martinière, L’heureux esclave…, op. cit., p. 22-23.
41 Se reporter par exemple à la carte de l’Empire turc des atlas de Johannes Blaeu (Amsterdam, 1662) et de Gerardus Mercator et Jocodus Hondius (Amsterdam, 1619).
42 P.-M. de La Martinière, L’heureux esclave…, op. cit., p. 24-25.
43 G. Turbet-Delof, L’Afrique barbaresque dans la littérature française aux xvie et xviie siècles, op. cit., p. 90.
44 Ibid., p. 91.
45 Les illustrations 2 et 3 donnent d’autres exemples de représentation de supplices.
46 Susan Sontag, Devant la douleur des autres, trad. par Fabienne Durand-Bogaert, Paris, Christian Bourgois, 2003 : l’auteure y explique la manière dont les images d’atrocités sont devenues, par le biais des médias, des lieux communs.
47 Robert Muchembled, Le temps des supplices…, op. cit., p. 116.
48 J.-B. Tavernier, Six voyages…, op. cit., t. 1, p. 14.
49 Supplice qui consiste à être jeté sur une surface couverte d’embouts de lances recourbés.
50 P.-M. de La Martinière, L’heureux esclave…, op. cit., p. 156.
51 Gillian Weiss, Captifs et corsaires. L’identité française et l’esclavage en Méditerranée, Toulouse, Anacharsis, 2014.
52 Géraud Poumarède, « Les envoyés ottomans à la cour de France : d’une présence controversée à l’exaltation d’une alliance (xve-xviiie siècles) », dans Lucien Bély (dir.), Turcs et turqueries, xvi-xviiie siècles, actes du colloque de l’Association des historiens modernistes des universités françaises organisé les 20 et 21 janvier 2006, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2009, p. 63-95.
53 Géraud Poumarède, Pour en finir avec la Croisade. Mythes et réalités de la lutte contre les Turcs aux xvie et xviie siècles, Paris, Presses universitaires de France, 2004, p. 104-129.
54 Faruk Bilici, « Les relations franco-ottomanes au xviie siècle : réalisme politique et idéologie de croisade », dans Lucien Bély (dir.), Turcs et turqueries…, op. cit., p. 37-61.
55 Alain Grosrichard, Structure du sérail. La fiction du despotisme asiatique dans l’Occident classique, Paris, Éditions du Seuil, 1979, p. 41.
56 Antoine Furetière, Dictionnaire universel, op. cit., p. 18 674.
57 Le Dictionnaire de l’Académie françoise dedié au Roy, Paris, chez la Veuve Jean-Baptiste Coignard et chez Jean-Baptiste Coignard, 1694, p. 11 100.
58 Il apparaît que l’appellation « Turc » tend à s’émanciper de la stricte désignation géographique pour renvoyer à un stéréotype national à même de référer non seulement aux habitants de l’Empire ottoman, mais aussi à ceux des côtes barbaresques. Elle est aussi utilisée pour désigner toute personne embrassant l’islam, comme l’indique Furetière dans l’article « Turc » de son dictionnaire, où la religion mahométane est désignée comme la « religion turque » (Furetière, Dictionnaire universel, op. cit., p. 18 674).
59 Ibid.
60 Ibid.
61 Michèle Longino, « Politique et théâtre au xviie siècle : les Français en Orient et l’exotisme du Cid », dans Dominique de Courcelles (dir.), Littérature et exotisme, xvie-xviiie siècles, Paris, Publications de l’École nationale des chartes, 1997, p. 35-59. Michèle Longino emprunte ce concept à Benedict Anderson, Imagined Communities. Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, Londres, Verso, 1983.
62 Ibid.
63 J.-B. Tavernier, Six voyages…, op. cit., t. 2, p. 392.
64 Voir la précision de Lisa Silverman à ce sujet : Tortured Subjects…, op. cit., note 64, p. 202.
65 F. Bernier, Un libertin dans l’Inde Moghole…, op. cit., p. 308.
66 Ibid., p. 312.
67 Mathilde Bedel, « La crémation des veuves indiennes et les voyageurs français au xviie siècle. Quand la Sati devient la Sorcière », MaLiCE, 7, 2016, dossier « Transnationalité & Transculturalité – L’Expérience de l’ailleurs ».
68 Bernier utilise notamment les termes « troupe » et « spectacle » (F. Bernier, Un libertin dans l’Inde moghole…, op. cit., p. 308).
69 Frédéric Tinguely, Le fakir et le Taj Mahal. L’Inde au prisme des voyageurs français du xviie siècle, Chêne-Bourg/Genève, La Baconnière-arts/BGE, 2011, p. 37.
70 Ibid., p. 33.
71 F. Bernier, Un libertin dans l’Inde moghole…, op. cit., p. 318.
72 Ibid., p. 37.
73 F. Tinguely, Le fakir et le Taj Mahal…, op. cit., p. 33.
74 F. Bernier, Un libertin dans l’Inde moghole…, op. cit., p. 306-307.
75 Ibid., p. 50-51.
76 J.-B. Tavernier, Six voyages…, op. cit., t. 1, p. 616.
77 Ibid., p. 566-567 (italiques ajoutés par nos soins).
78 F. Bernier, Un libertin dans l’Inde moghole…, op. cit., p. 309.
79 Ibid., p. 310.
80 F. Tinguely, Le fakir et le Taj Mahal, op. cit., p. 37.
81 F. Bernier, Un libertin dans l’Inde moghole…, op. cit., p. 312.
82 Ibid., p. 314-315 (italiques ajoutés par nos soins).
83 Ibid., p. 315.
84 Dans le chapitre consacré à la description du rituel anthropophage des Tupi, l’auteur impute une cruauté particulière aux vieilles femmes, qui prendraient plaisir à ingérer les prisonniers, quand les hommes n’y verraient que l’exécution d’un rituel symbolique. Voir J. de Léry, Histoire d’un voyage faict en la terre du Brésil, op. cit., p. 363-364.
85 Le même investissement affectif est à l’œuvre dans la narration d’une crémation de veuve sous la plume de Robert Challe, qui transforme la première version de son récit – dans lequel la veuve était déterminée et mourait rapidement – pour en faire, dans la seconde version, une jeune victime de 17 ans qui met plus d’un quart d’heure à mourir. Pour le commentaire de cet épisode, se reporter à l’étude de Mathilde Bedel, « La crémation des veuves indiennes et les voyageurs français au xviie siècle. Quand la Sati devient la Sorcière », art. cit.
86 F. Tinguely, Le fakir et le Taj Mahal…, op. cit., p. 34.
87 J.-B. Tavernier, Six voyages…, op. cit., t. 2, p. 145-146.
88 Ibid., p. 148.
89 M. Longino, « Politique et théâtre au xviie siècle… », art. cit.
90 A. Corbin, J.-J. Courtine et G. Vigarello, Histoire des émotions, t. 1, op. cit., « Introduction », p. 7.
Haut de pageTable des illustrations
Titre | Fig. 1 : Le supplice de l’empalement, Pierre-Martin de La Martinière, L’heureux esclave, Paris, Olivier de Varennes, 1674, p. 24 |
---|---|
Crédits | Source : BnF, Gallica : https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k132098k/f34.item (consulté le 5 avril 2022). |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/docannexe/image/5649/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 354k |
Titre | Fig. 2 : Le supplice de la gange, Pierre-Martin de La Martinière, L’heureux esclave, op. cit., p. 154 |
Crédits | Source : BnF, Gallica, https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k132098k/f166.item (consulté le 5 avril 2022). |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/docannexe/image/5649/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 438k |
Titre | Fig. 3 : Crucifixion et emmurement, Pierre-Martin de La Martinière, L’heureux esclave, op. cit., p. 218 |
Crédits | Source : BnF, Gallica, https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k132098k/f228.item (consulté le 5 avril 2022). |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/docannexe/image/5649/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 420k |
Titre | Fig. 4 : Sacrifice d’une veuve hindoue, François Bernier, Voyages, Amsterdam, Paul Marret, 1699, vol. 2, entre les pages 112 et 113 |
Crédits | Source : BnF, Gallica, https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k15216024/f130.item (consulté le 5 avril 2022). |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/docannexe/image/5649/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 473k |
Pour citer cet article
Référence papier
Mathilde Mougin, « De l’indifférence à l’expérience d’une compassion interculturelle », Histoire, médecine et santé, 21 | 2022, 73-91.
Référence électronique
Mathilde Mougin, « De l’indifférence à l’expérience d’une compassion interculturelle », Histoire, médecine et santé [En ligne], 21 | printemps 2022, mis en ligne le 17 août 2022, consulté le 12 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/5649 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.5649
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page