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La douleur de l’autre. XVIe-XVIIe siècles

Les signes de la douleur chez Cureau de La Chambre : (dé)raisons d’une hyperbole

The signs of pain in Cureau de La Chambre : the (un)reasons of a hyperbole
Los signos del dolor en Cureau de la Chambre: (sin)razones de una hipérbole
Raphaële Andrault
p. 17-37

Résumés

Cet article s’attache à l’expression de la douleur dans l’une des rares monographies consacrées à cette question à l’époque moderne : les Caractères de la douleur, quatrième volume des monumentaux Caractères des passions publiés par le médecin Marin Cureau de La Chambre entre 1640 et 1662. En conjuguant les apports de la rhétorique à ceux de la philosophie scolastique et de la médecine, Cureau est conduit à donner une ampleur inédite à la description des signes de la douleur – qu’il s’agisse des mimiques, comportements, changements physiologiques ou des « façons de parler ». Il accorde à ces dernières une place de premier plan et les comprend comme des « hyperboles ». Le terme ne vise cependant pas à disqualifier la plainte, comme nous le montrons ici. Cureau justifie l’hyperbole par l’effet qu’elle cherche à produire chez autrui : compenser la sous-estimation habituelle de la douleur de l’autre afin de susciter un sentiment de compassion et un comportement d’entraide à la hauteur de la douleur ressentie.

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Texte intégral

Nous remercions Ariane Bayle et Elisa Andretta pour leurs lectures et remarques.

  • 1 Paolo Savoia décrit bien l’importance que les médecins et chirurgiens de l’époque moderne accordai (...)
  • 2 Gaspar Torrella, Dialogus de dolore, cum tractatu de ulceribus in pudendagra, Rome, J. Besicken et (...)

1Marin Cureau de La Chambre a consacré le quatrième tome de ses Caractères des passions (1659) à l’étude de la douleur et de ses signes. C’est une chose alors suffisamment rare pour être relevée. Si, avant la seconde moitié du xviiisiècle, la douleur est omniprésente dans le champ de la médecine pratique (recueil d’observations, livres de chirurgie, commentaires des aphorismes d’Hippocrate, etc.), peu d’ouvrages lui sont dévolus1. Certains médecins consacrent bien à la définition de la douleur, à ses manifestations et à ses remèdes des développements substantiels, mais ceux-ci sont généralement intégrés à l’examen d’une maladie ou série de maladies, par exemple les maladies de tête ou la syphilis2.

  • 3 On doit l’étude la plus complète à Roselyne Rey, qui, à notre connaissance, ne mentionne pas Curea (...)
  • 4 Les auteurs parlent alors plutôt de « douleur corporelle », comme nous le verrons plus loin.
  • 5 Un certain nombre de publications récentes ont pris le contre-pied d’une histoire positiviste de l (...)

2En dépit de cette singularité, le livre de Cureau de La Chambre n’a pas retenu l’attention des historiens3. De façon générale, les études sur la douleur physique4 au début de l’époque moderne sont peu nombreuses : la période n’aurait pas introduit d’innovation majeure par rapport à l’Antiquité et se démarquerait nettement des xviiie et xixsiècles, où les débats sur l’utilité de la douleur se développent en parallèle des innovations techniques comme l’anesthésie5. Et il est vrai que Cureau, au beau milieu de cette époque censée être peu féconde pour la compréhension de la douleur, n’en propose pas de théorie nouvelle ou systématique. Comme souvent dans les ouvrages médicaux de cette période, une grande partie de son matériau d’analyse est fournie par les références, implicites ou explicites, à une tradition médico-philosophique antique enseignée dans les universités.

  • 6 Voir Walter Riese, La théorie des passions à la lumière de la pensée médicale du xviie siècle, Bâl (...)

3Par contraste avec celle de René Descartes, son contemporain, l’œuvre de Cureau a parfois été vue comme une compilation sans originalité, encore très influencée par la philosophie néo-aristotélicienne6. De prime abord, les Caractères de la douleur paraissent justifier ces étiquettes rétrospectives : le lecteur d’aujourd’hui, tout imprégné du savoir neurologique actuel, ne peut discerner immédiatement dans ces trois cents pages prolixes un jalon important dans l’histoire de la compréhension médicale du phénomène. Pourtant, si l’on prend la peine de les confronter aux propos alors les plus diffusés sur cette question, on est conduit à réviser entièrement ce jugement : d’une part, les Caractères de la douleur fournissent un témoignage historique précieux sur la façon dont médecine, philosophie et rhétorique étaient alors mobilisées conjointement pour identifier les signes de la douleur ; d’autre part, en donnant une ampleur nouvelle à la part rhétorique de son analyse, Cureau livre une réflexion originale sur l’écart entre l’expérience de la douleur et ses expressions accessibles aux autres.

4Pour le montrer, nous situerons d’abord les Caractères de la douleur dans leur contexte historique et leur projet éditorial, avant de nous concentrer sur les quelques passages où Cureau de La Chambre identifie l’expression de la douleur des autres à une hyperbole. Nous souhaitons ainsi à la fois mettre en évidence les matériaux communs, historiquement représentatifs, utilisés par Cureau dans le traitement de l’expression de la douleur, et souligner la portée singulière de son analyse, quelque peu décalée par rapport à la production médicale et philosophique sur laquelle il s’appuyait. La contextualisation de l’œuvre de Cureau nous donnera l’occasion d’évoquer, plus généralement, la manière dont est comprise la douleur au xviie siècle, mais pour l’essentiel nous nous en tiendrons à la question de son expression, c’est-à-dire aux signes de la douleur et à la façon dont ils sont reçus et interprétés par autrui.

Les Caractères des passions, entre médecine et philosophie morale

  • 7 René Kerviler, Marin et Pierre Cureau de la Chambre (1596-1693), Le Mans, Pellechat, 1877, p. 73. (...)

5Né à la toute fin du xvisiècle, Cureau a d’abord exercé la médecine au Mans, en tant que docteur de l’université de Montpellier, avant de devenir en 1634 le médecin personnel du chancelier Pierre Séguier, auquel il dédicace le premier tome des Caractères des passions. Ceux-ci, dont la publication s’échelonne de 1640, pour le premier tome, à 1662, pour le cinquième et dernier tome, rencontrent un grand succès et connaissent trois rééditions successives. En 1650, Cureau de La Chambre est anobli et achète la charge de médecin ordinaire du roi avant de siéger à l’Académie des sciences entre 1666 et sa mort, en 1669. Membre de l’Académie française à sa création en 1634, Cureau fera, quelques années plus tard, en 1641, l’éloge funèbre de son fondateur, le cardinal de Richelieu. Il fréquente les salons de la marquise de Sablé et de Madeleine de Scudéry, et figure, sous les traits du personnage d’Érasistrate, dans le roman précieux de Roland Le Vayer de Boutigny, Tarsis et Zélie. En 1658, soit un an avant la publication du quatrième tome des Caractères, c’est en qualité de directeur de l’Académie française qu’il lit le premier chapitre de ce volume consacré à la douleur à la reine Christine de Suède, en visite à Paris : Cureau de La Chambre juge manifestement son texte digne d’une lecture à celle qui fut la protectrice de Descartes et l’une des premières lectrices de ses Passions de l’âme (1649)7. On doit également à Cureau des ouvrages sur le débordement du Nil, l’arc-en-ciel ou la digestion, ainsi qu’une traduction latine des aphorismes d’Hippocrate et de la physique d’Aristote, ou encore plusieurs opuscules sur l’âme des bêtes, où il prend parti contre les cartésiens.

  • 8 Charactères des passions, Paris, Jacques d’Allin, 1662, abrégé CP, tome I, avis au lecteur. Nous c (...)
  • 9 Ibid.

6Au terme d’un brillant parcours social, Cureau de La Chambre a donc occupé des positions clés dans des institutions qui accompagnent la montée en puissance du pouvoir monarchique. La reconstitution précise de cet itinéraire et l’identification des réseaux savants fréquentés par Cureau reste à faire. Nous ne mentionnons ici cette trajectoire globale que pour en souligner deux aspects. Elle manifeste d’abord l’alliance entre profession médicale, productions littéraires et fréquentation de la cour, une alliance qui n’a en soi rien d’original au xviie siècle, mais dont Cureau a su tirer parti pour produire un portrait long et nuancé de la douleur. Elle manifeste ensuite l’appartenance de Cureau à des institutions nouvelles qui lui donnent une légitimité enviable, tout en révélant concurrence et opposition par rapport aux facultés de Paris. Les Caractères des passions témoignent à plusieurs reprises de la volonté de leur auteur de se démarquer de « l’École » – raccourci pour désigner la philosophie scolastique enseignée à l’université : Cureau déclare par exemple qu’il y a beaucoup de choses qu’il « n’examine pas avec la sévérité de l’École8 ». De même, du côté médical, il signale son intention de mobiliser son savoir sans user de termes techniques ou entrer dans des querelles de spécialistes : dans plusieurs passages, Cureau s’excuse d’être « contraint de [se] servir » de certains « termes de la médecine9 », qu’il souhaite limiter au maximum. Il entend donc dans cette série d’ouvrages s’adresser directement à ses puissants protecteurs (le chancelier Séguier, Richelieu, puis Mazarin et Louis XIV lui-même) et à un public mondain.

  • 10 L’art de connoistre les hommes, première partie, Paris, Rocolet, 1659, préface, p. 10.
  • 11 CP, I, avis au lecteur.
  • 12 Ibid.
  • 13 Respectivement, ibid. et CP, IV, avis au lecteur. Pour Thomas d’Aquin, voir Summa theologiae, prim (...)

7Selon les déclarations liminaires de l’ouvrage, les Caractères des passions constituent la première étape d’un Art de connaître les hommes (1659) visant à saisir les mœurs, inclinations et desseins cachés de ces derniers à partir de leurs expressions verbales, faciales et corporelles10. Les Caractères fournissent en quelque sorte la grammaire élémentaire de cette entreprise plus vaste. Ils décrivent et expliquent les différentes « marques » ou « caractères » des passions de l’âme11. Chacune d’entre elles, qu’il s’agisse de l’amour ou de la joie (tome I), de la hardiesse ou de la colère (tome II), de la haine (tome III), de la douleur (tome IV), des larmes ou du désespoir (tome V), est dotée de traits généraux qu’il est possible d’extraire des situations qui la suscitent ou des personnalités qui l’expriment. En cela, le projet n’est nullement d’identifier, voire de moquer, des types d’hommes ou de « caractères » au sens contemporain du terme, comme cela était le cas chez Théophraste ou le sera chez La Bruyère. L’intention de Cureau est plutôt de décrire sans la juger une mécanique passionnelle à laquelle personne n’échappe et qui est, en soi, du moins lorsque les passions restent modérées, plus utile que nuisible à la vie sociale. La définition générique des passions, décrites également comme des « émotions » ou « mouvements de l’appétit, par lesquels l’âme tâche de s’approcher du bien et de s’éloigner du mal12 », est nettement empruntée à Thomas d’Aquin, bien qu’il ne soit pas cité. C’est aussi le cas de la liste des passions donnée au tout début des Caractères des passions ou, au sein des Caractères de la douleur, de la distinction classique entre tristesse – également nommée douleur de l’esprit – et « douleur corporelle » ou sensible13. Mais contrairement à cette approche scolastique des passions, très prégnante au xviisiècle, Cureau ne s’intéresse pas à leur fondement théologique ou à la nature exacte de l’âme qu’elles manifestent.

  • 14 Pierre Antoine de La Place, Recueil de pièces intéressantes et peu connues pour servir à l’histoir (...)
  • 15 Sur ce dernier point, que nous ne pouvons développer ici, nous renvoyons à des travaux qui portent (...)
  • 16 CP, I, avis au lecteur.
  • 17 Voir également Elisa Andretta et Rafael Mandressi, « Médecine et médecins dans l’économie des savo (...)
  • 18 Louis Van Delft, Le moraliste classique : essai de définition et de typologie, Genève, Droz, 1982, (...)
  • 19 CP, I, resp. p. 144 et p. 163.

8Depuis la fin du xviiisiècle, certains historiens ont spéculé sur le fait que Cureau de La Chambre aurait mis à profit cet art de connaître les hommes pour éclairer Louis XIV dans le choix de ses conseillers14. Jamais prouvée, l’hypothèse attire cependant l’attention sur un fait certain : Cureau de La Chambre se proposait bien de diffuser auprès d’un large public une synthèse utile, pour la vie en société, sur la façon dont s’articulent en l’homme mouvements de l’âme et mouvements du corps, que ceux-ci soient manifestes dans les gestes, mimiques ou expressions, ou qu’ils renvoient au contraire aux mouvements organiques cachés, seulement connus des médecins15. C’est bien ainsi qu’il justifie au tout début des Caractères des passions le fait de réunir médecine et philosophie : les passions étant des « actions communes à l’âme et au corps », « il faut que la médecine et la philosophie morale se secourent l’une l’autre pour en parler bien exactement16 ». Certes, médecine et philosophie étaient depuis l’Antiquité étroitement liées, les médecins produisant souvent des œuvres que l’on jugerait philosophiques, ou au moins partiellement philosophiques17. Cependant, les intentions théoriques auxquelles renvoie chacun des deux termes peuvent différer. Dans les passages où Cureau signale l’écart qu’il entend maintenir avec la « philosophie morale », elle apparaît comme un savoir théorique sur l’âme qui vise à identifier les conditions d’une vie heureuse, dans la veine du Philèbe de Platon ou de la philosophie de Sénèque18 : « Mais laissons ces spéculations à la philosophie morale », écrit Cureau à propos des voluptés pures, non mêlées de douleur. Une vingtaine de pages plus loin, il reprend, au sujet des plaisirs qui finissent par procurer du dégoût : « c’est assez parlé des choses dont la philosophie morale est toute pleine19 ». Cela démarque nettement les Caractères des passions d’ouvrages contemporains auxquels on a pu les comparer, par exemple le Tableau des passions humaines de Nicolas Coeffeteau (1620) ou Les peintures morales, représentées en tableau de Pierre Le Moyne (1640), qui tous deux visent à éclairer leurs lecteurs sur les conditions de la sagesse et de la santé de l’âme, c’est-à-dire portent sur un devoir être. Le projet de Cureau est bien différent : il s’agit de décrire l’existant sans le juger en articulant définition philosophique des passions, savoir physiologique sur l’intérieur du corps, observation clinique des pathologies et de leurs signes, et connaissance rhétorique des expressions verbales et gestuelles appropriées enfin.

9Chaque tome des Caractères des passions obéit au même plan quadripartite : 1/ « portrait » de la passion en question ; 2/ définition de cette passion à partir des acceptions philosophiques et médicales les plus largement reçues ; 3/ étude des caractères extérieurs, puis intérieurs de la passion ; 4/ présentation de ses causes physiologiques. Précisons ce découpage dans le cas de la douleur :

  1. C’est dans la description des manifestations de la douleur que Cureau mobilise tout à la fois ses talents littéraires et son expérience clinique pour saisir dans de longs « portraits » les effets les plus frappants de chaque passion et leur évolution au cours du temps. Dans les Caractères de la douleur, le portrait d’un « homme affligé » par la tristesse précède une description de la « douleur corporelle ».
  2. La passion en question est ensuite définie à partir d’un dialogue avec la tradition philosophique et médicale. Pour ce qui concerne la douleur, ce dialogue n’est pas explicite, ce qui rend difficile la restitution exacte des sources de Cureau. En effet, les diverses conceptions auxquelles Cureau s’oppose sont présentées sous la mention vague des « divers partis que les Philosophes et les Médecins ont pris touchant le genre de la douleur », décrits comme confus et obscurs. Cureau s’attache dans cette partie à identifier quelque chose de commun à la douleur du corps et à la tristesse de l’âme, puisque l’âme est inquiète et le cœur resserré dans les deux cas. Sur cette base, il définit la douleur au sens générique comme le mouvement global par lequel l’appétit sensitif se contracte. Comme nous le verrons par la suite, une telle définition s’appuie aussi bien sur Thomas d’Aquin que sur Cicéron.
  3. Les « caractères moraux » et « corporels », à la fois extérieurs (air, maintien, gestuelle) et intérieurs (mouvement des esprits et des humeurs), sont abordés dans un troisième temps. On retrouve alors les signes des passions mobilisés dans les « portraits » inauguraux, mais cette fois-ci ils sont organisés selon les parties du corps ou du visage et surtout, car c’est cela qui intéresse Cureau au premier chef, interprétés comme des effets d’un mouvement physiologique intérieur typique de la passion en question. Les caractères de la douleur corporelle sont alors nettement distingués de ceux de la tristesse. Entre cette douleur et la tristesse, il y a donc à la fois communauté d’essence, distinction des signes et relation de cause à effet, puisqu’une douleur corporelle violente provoque la tristesse, et réciproquement.
  4. Enfin les causes ou raisons de la passion sont présentées. Lorsque Cureau mentionne les causes de la douleur corporelle sur lesquelles se divisent les médecins (est-ce une intempérie, c’est-à-dire un déséquilibre du mélange des fluides organiques, ou plutôt une « solution de continuité », c’est-à-dire une séparation des chairs ou tissus ?), il prend le parti alors le plus répandu, celui qui est exprimé par Platon dans le Timée, qui permet de combiner les deux hypothèses : la cause de la douleur corporelle est l’altération soudaine de la constitution naturelle des parties.
  • 20 CP, I, p. 176.
  • 21 CP, IV, p. 113-127. La liste des différents types de douleur, héritée en partie des Lieux affectés (...)
  • 22 Par exemple, Ambroise Paré, Œuvres complètes, éd. par Joseph-François Malgaigne, Paris, J.-B. Bail (...)

10On le voit dans cette articulation, la médecine est convoquée à plusieurs titres. Elle est d’abord utilisée pour appréhender les effets physiologiques des passions. Ainsi pour la joie, qui peut susciter une faiblesse « extrême » où le cœur « devient lent et rare », de même que la respiration, « comme la médecine l’enseigne20 ». Elle est ensuite utilisée pour identifier la raison profonde de tels effets physiologiques, à savoir le mouvement caché des esprits, une substance très subtile à laquelle les médecins donnaient alors un rôle clé dans l’organisme, celui d’être une sorte d’intermédiaire entre l’âme et les autres organes du corps pour produire les fonctions sensori-motrices. Enfin, le fait d’inclure dans la liste des passions primitives la douleur et d’accorder, au sein de l’analyse de celle-ci, une si large place à la douleur corporelle implique de mobiliser un savoir pratique relevant de l’art de guérir que l’on ne trouve guère habituellement dans les ouvrages philosophiques traitant des passions. En effet, bien des éléments épars dans les ouvrages de médecine pratique que nous avons mentionnés plus haut se trouvent rassemblés dans les Caractères de la douleur, qui recourent bien plus que les autres tomes aux connaissances et à l’expérience médicales de leur auteur. On y trouve, en premier lieu, les différents signes de la douleur et de la tristesse : cris et gémissements pour la douleur en général ; froncement de sourcils, rougeur du visage, agitation du corps, poings crispés pour la douleur corporelle ; pâleur et abattement pour la tristesse. En deuxième lieu, la typologie des douleurs est discutée, en particulier la division en douleur poignante ou aiguë, piquante ou cuisante, tranchante, pesante, sourde, démangeaison et chatouillement21. En troisième lieu, Cureau aborde un aspect de la douleur fréquemment mentionné par les médecins : son effet protecteur, qui sert à nous avertir des dangers encourus par le corps. En quatrième lieu, et pour finir, il insiste, comme beaucoup d’entre eux, sur les conséquences morbides d’une douleur violente ou prolongée22. Cependant, Cureau entend corriger et compléter ces éléments médicaux, qui forment quantitativement l’essentiel de son matériau, en donnant une place importante à ce que l’on peut appeler pour faire court la rhétorique.

Le pinceau de Timanthe : l’approche rhétorique

11Les passions sont pour Cureau des mouvements de l’âme s’exprimant à la surface ou à l’extérieur du corps par des caractères qui en sont les effets. Ce strict rapport de causalité permet de déchiffrer la nature de la chose exprimée (à savoir l’émotion psychique) à partir de son expression :

  • 23 CP, IV, p. 74.

Puisqu’il y a rapport des mouvements de l’âme à ceux du corps, et que ceux-ci sont des caractères de ceux de l’âme, puisqu’il est encore vrai que les paroles sont les images des choses et qu’elles en font connaître la vérité, il ne faut que considérer les agitations que le corps souffre dans la douleur, et les façons de parler par lesquelles cette passion exprime ses sentiments, pour découvrir le mouvement que nous cherchons23.

  • 24 Cela n’a rien d’étonnant en soi car les ouvrages médicaux comportent alors souvent des remarques r (...)
  • 25 CP, IV, p. 75.
  • 26 Ibid.
  • 27 Ibid.

12Cureau rapporte plusieurs observations, d’ordre très différent, qui rapprochent selon lui la douleur morale et la douleur physique et permettent d’en appréhender l’essence commune. La première observation est celle du comportement animal24 : « Nous voyons que tous les animaux se resserrent, se ramassent, s’apetissent autant qu’ils peuvent quand ils sentent cette passion ; les vers et les autres insectes qui rampent, se retirent et rentrent comme en eux-mêmes ; la peau se ride aux uns, les membres se raccourcissent aux autres25. » À ce premier matériau s’ajoute une corrélation psychophysique, à savoir le lien entre un sentiment vécu en première personne, des façons de décrire ces sentiments et enfin des gestes visibles par autrui : « Nous expérimentons qu’au premier sentiment que nous avons du mal, nous fronçons le sourcil et nous retirons la partie qui a été offensée. Nous disons même pour exprimer une grande tristesse que l’on a le cœur serré et l’on sent effectivement en soi quelque chose qui presse le cœur et qui empêche la liberté de mouvement26. » Enfin, une observation strictement médicale est mentionnée : « Ce qui est le plus considérable, et à quoi peu de personnes ont pris garde, il n’y a point de partie qui sente de la Douleur laquelle ne resserre ses fibres27. » C’est le cas dans les coliques néphrétiques, dans les « tranchées de l’accouchement », comme dans celui des plaies dont les lèvres « se retirent ».

  • 28 CP, IV p. 89. Elle est plus précisément un appétit concupiscible (qui regarde le bien et le mal de (...)
  • 29 CP, IV, p. 139-140.

13Ces différentes remarques justifient que Cureau définisse la douleur comme une passion où l’âme se contracte et rentre avec précipitation en elle-même pour fuir le mal et éviter les dommages28. Ce phénomène produit d’abord un mouvement physique généralisé qui en est l’exact décalque – quand l’âme ressent de la douleur, les esprits et humeurs se « resserrent en eux-mêmes avec empressement et confusion29 ». Mouvement physique qui, à son tour, produit les différents caractères, physiques et moraux, par lesquels on identifie habituellement la douleur.

  • 30 (Pseudo) Aristote, Problèmes, t. II, trad. par Pierre Louis, Paris, Les Belles Lettres, 1993, sect (...)
  • 31 Ambroise Paré, Œuvres complètes, op. cit., t. II, livre XV, chap. IV, p. 411.

14Ce qui peut sembler frappant au lecteur d’aujourd’hui, c’est que la catégorie d’« expression », de « caractères » ou encore d’« images » de la douleur englobe des réactions organiques et motrices, des mimiques, des gestes et une description langagière. Toutefois, le fait de mettre quasiment sur le même plan des « façons de parler » et des symptômes (aspects d’une lésion extérieure, changement du rythme cardiaque, etc.) n’est pas propre à Cureau de La Chambre. On retrouve cet entrelacement dans un texte classique qui reste central pour la médecine des xvie et xviie siècles, à savoir les Problèmes, longtemps attribués à Aristote. Dans la section XVII-3, l’auteur invoque aussi bien des changements physiologiques que des expressions comme « être en ébullition » pour conforter ses hypothèses sur ce qui se produit dans le corps lorsque l’on est en colère30. Pour ce qui concerne la douleur, il n’est pas rare que les médecins rapportent les expressions utilisées par leurs malades pour décrire l’état de ces derniers. Ainsi du migraineux qui a l’impression qu’on lui « brise la tête avec un maillet31 ». Les « façons de parler » appartiennent donc de plein droit aux symptômes mentionnés usuellement par les médecins.

  • 32 Cicéron, Tusculanes, livres III-V, Paris, Les Belles Lettres, 2011, IV-XXXI 66, p. 90 (« eodem eni (...)
  • 33 Jean Chicot, « Dialogus de Dolore », Dissertationes Medicae, Paris, Langlois et Alliot, 1656, p. 1 (...)

15Quant à identifier la douleur en général avec une contraction et une fuite d’esprits animaux vers le cœur, cela ne nous semble pas foncièrement original. Les Tusculanes de Cicéron, référence récurrente dans les discours philosophiques et médicaux sur la douleur au xviie siècle, associent la douleur à une contraction de l’âme, par opposition à l’effusion de la joie32. L’idée est rapportée par le médecin français Jean Chicot dans son court dialogue sur la douleur (1656). Et Baruch Spinoza, au début des années 1660, estime que la tristesse de l’âme provoque un mouvement physique de compression du cœur par les esprits33. Cependant, deux aspects démarquent nettement les Caractères de la douleur de ces différentes conceptions : d’une part, Cureau de La Chambre articule à cette vision commune qui porte surtout sur la tristesse une longue analyse de la douleur corporelle et de ses signes propres, distincts sur certains points des effets de la tristesse ; d’autre part, il développe considérablement l’analyse des « façons de parler », auxquelles il applique les catégories d’analyse propres à la rhétorique : il les identifie ainsi à des « métaphores », des « expressions impropres » ou hyperboliques.

  • 34 CP, I, p. 187.
  • 35 Cicéron, L’orateur, XXI, 25-27, trad. par Albert Yon, Paris, Les Belles Lettres, 1964, p. 71-72.
  • 36 L’analogie, par ailleurs peu originale, a un rôle majeur dans Le système de l’âme (1665) de Cureau (...)

16L’emprunt est explicite dans le premier tome des Caractères des passions : « Voilà ce que les philosophes nous ont laissé touchant les choses ridicules : Mais puisqu’ils ne nous satisfont pas, voyons ce que les Poètes et les Orateurs en ont dit34. » Cureau convoque ensuite Aristote et Cicéron. Si la Rhétorique d’Aristote est une référence commune dès qu’il s’agit des inclinations et caractères moraux des hommes, les Caractères de la douleur font de L’orateur un usage plus ciblé. Cicéron s’y arrête en particulier sur la nécessité d’éviter de prêter à des personnages des actions, paroles, gestes ou démarches qui ne leur siéraient pas. Il faut ainsi que le bon orateur évite de donner un langage honnête à un personnage malhonnête. L’exemple du tableau de Timanthe, qui avait choisi de voiler la tête d’Agamemnon pour représenter le comble de la douleur, illustre une hiérarchie des représentations conforme à la hiérarchie des émotions représentées : « Si le peintre a vu dans le sacrifice d’Iphigénie, alors que Chalcas était sombre, Ulysse plus sombre encore et Ménélas accablé, qu’il lui fallait voiler la tête d’Agamemnon puisqu’il était incapable de rendre avec son pinceau le comble de la douleur […], que nous faut-il penser que doive faire l’orateur35 ? » Reprenant une analogie très fréquente chez lui entre la plume et le pinceau36, Cureau mentionne ce même tableau de Timanthe au tout début du tome sur la douleur :

  • 37 CP, IV, p. 10-11.

Ce Peintre ingénieux, qui voulant représenter un Prince extrêmement affligé, lui mit un voile sur le visage, dans le désespoir qu’il eut que son pinceau n’en pût exprimer la Douleur, nous montre bien que le portrait de cette Passion n’est pas si aisé à faire qu’on se pourrait l’imaginer […]. Voyons donc si la Plume sera plus heureuse que le Pinceau, et si les paroles pourront exprimer non seulement l’air et les linéaments du visage, mais encore les pensées et les desseins que produit cette passion37.

  • 38 Respectivement CP, III (sur la haine), p. 35 ; et CP, IV (sur la douleur), p. 41.
  • 39 CP, IV, p. 227-228.

17La rhétorique est aussi bien requise pour rapporter les émotions intérieures à leurs signes extérieurs que pour en fournir une peinture réaliste aux lecteurs non spécialistes, loin de « l’obscurité des définitions [que la philosophie] a données » ou des pensées « vagues et confuses » des « philosophes et médecins » concernant la nature de la douleur38. Cureau s’appuie par exemple sur « Homère et les autres poètes qui sont les peintres véritables des passions » afin de saisir les « actions tout à fait naturelles à la tristesse », ou douleur de l’esprit39 – ainsi lorsqu’Achille se défigure le visage à la mort de Patrocle ou lorsque Mars se frappe les cuisses au souvenir de la mort de son fils. Nous reviendrons sur cette propension, commune à Cureau et ses modèles littéraires, à représenter comme des expressions « naturelles » les effets de la douleur qui paraissent les plus démesurés.

  • 40 Voir Kaspar Peucer, Les devins, ou commentaires des principales sortes de devinations, Anvers, Heu (...)

18La référence à Timanthe contribue à situer les Caractères de la douleur à la croisée de trois voies que Cureau présente comme distinctes, mais qui étaient alors plus communément mêlées qu’aujourd’hui : celle du philosophe qui discourt sur la nature et les causes des passions, effet de l’âme sur le corps ; celle du médecin qui s’attache à la douleur comme à un symptôme au centre de son art ; et celle du rhétoricien, qui, d’une plume alerte, accessible à tous, étudie les hyperboles proférées par les héros d’Homère afin de mieux représenter les expressions typiques de la douleur. C’est, selon nous, en développant cette troisième voie que l’ouvrage de Cureau apporte une contribution originale à l’étude de la douleur corporelle. La volonté de « peindre » cette « passion » en suivant le modèle de Timanthe donne aux expressions rassemblées un caractère d’abstraction et d’universalité, puisqu’elles sont extraites des cas individuels ou des pathologies particulières qui les font connaître. La douleur dont il est question ici est bien celle des « autres » en général, comme nous le verrons, et non celle de tel ou tel malade, maladie ou même groupe d’individus. Mais l’abstraction du discours n’inscrit pas pour autant l’ouvrage dans une perspective sémiologique ou « sémiotique40 » strico sensu, entendue comme lecture des signes indiquant l’état réel et caché d’une personne. Les Caractères de la douleur ne recensent pas les expressions de douleur afin de faciliter le diagnostic sur la nature des différents maux qui les causent. Ces caractères sont étudiés pour eux-mêmes, en particulier quand ils renvoient aux façons de parler et à ce qui s’exprime plus ou moins fidèlement à travers elles.

Des plaintes exagérées ?

  • 41 CP, I, p. 28.

19Dans son portrait de l’amour, Cureau recense quelques « paroles extravagantes » et « perpétuelles hyperboles » prononcées par l’amoureux, lequel ne cesse de « brûler » ou « mourir » d’amour41. Dans les Caractères de la douleur, la notion d’hyperbole revient de façon plus fournie et circonstanciée. Il y a à cela, nous semble-t-il, deux raisons. La première est relative à la finalité sociale de l’expression de la douleur ; la seconde au fait que le problème de l’évaluation de l’intensité du ressenti se pose principalement pour cette passion.

  • 42 CP, IV, p. 4-5.
  • 43 CP, IV, p. 219-220 : les gémissements et les plaintes « faibles », exprimées d’un « ton lugubre », (...)
  • 44 CP, II, p. 266.

20La douleur est d’abord présentée comme un ciment social. Certes, selon le début des Caractères des passions, toutes les passions sont utiles à la vie civile, mais Cureau revient sur cette dimension au début du tome consacré à la douleur. La société civile serait sans elle « une assemblée d’Animaux sauvages » ou « un peuple de pierre et de marbre ». En effet, d’un côté, la douleur est ce qui incite à rechercher auprès d’autrui aide et soulagement ; de l’autre, la douleur prend parfois la forme de la « compassion », définie par Cureau comme une douleur modérée « qui nous attendrit le cœur et qui nous fait ressentir les peines et les afflictions d’autrui ». Or celle-ci est ce qui établit et conserve la société en persuadant les hommes « de se secourir l’un l’autre42 ». Les différents passages qui mentionnent ensuite la compassion laissent croire que, devant les gémissements et les plaintes « faibles » d’autrui, cette douleur compassionnelle modérée et l’entraide qu’elle déclenche constituent un mécanisme passionnel instinctif43. Mais, d’une part, selon leur tempérament, les hommes et femmes y sont visiblement plus ou moins prompts : les tempéraments froids et humides des femmes, plus enclins à la tristesse, sont également plus sujets à la compassion. Réciproquement, l’homme constant est vu comme peu perméable à la compassion, ce « qui est une sorte de cruauté et d’inhumanité44 ». D’autre part, deux passages sur l’exagération de l’expression de la douleur suggèrent qu’elle est une réponse à la difficile représentation de sa propre douleur et de celle des autres.

  • 45 CP, IV, p. 35.

21Lorsqu’il décrit la douleur corporelle, Cureau mentionne la tendance à « exprimer les maux que l’on sent » par la médiation d’autres maux « ordinairement plus grands et plus fâcheux que les véritables45 » :

C’est néanmoins une chose étrange, que dans le récit que l’on en fait, quoi qu’il n’y ait rien de si sensible que la Douleur, on ne la représente ordinairement que par des expressions obliques et figurées et qui sentent l’hyperbole : car tantôt on dit qu’on se sent déchirer les entrailles, que l’on a les os brisés et les membres rompus […] ; que l’on est sur la roue et à la gêne et mille autres semblables qui marquent les espèces et les effets de la Douleur. Il n’y en a même guère de violentes qui ne fassent dire que l’on est mort ; et l’on se meurt dans la plupart des plus légères.

  • 46 CP, IV, p. 35-36.
  • 47 Voir Florence Dumora qui, à propos des Caractères des passions en général, relève que « l’absence (...)

22L’exagération est tournée en ridicule ; l’hyperbole présentée comme une véritable tromperie : « l’on se trompe ainsi quand on en parle et […] l’on trompe ceux à qui l’on en parle ». Cureau ajoute cependant une précision qui requalifie aussitôt la tromperie sur la grandeur de la douleur en légitime expression d’un mal véritable et dangereux : « Mais quelque erreur qu’il y ait dans les paroles, il est très véritable qu’il n’y a point de plus grand mal qui puisse arriver dans la vie que celui-là ; non seulement parce qu’il ôte le sentiment de tous les biens […] ; mais encore parce qu’il abat et dissipe les forces en peu de temps [et] abrège les jours46. » S’il y a tromperie et erreur, il n’y a visiblement ni dissimulation ni mensonge47. Cureau combine une lecture distanciée et métaphorique de certaines « expressions obliques » avec une justification et comme une naturalisation des « hyperboles » employées. Disons-le autrement : il combine l’approche critique du moraliste avec celle, clinique et étiologique, du médecin qui rend raison de ce phénomène au lieu de le moquer ou de le condamner.

  • 48 CP, IV, p. 308.

23L’ouvrage identifie par la suite deux raisons de l’expression apparemment hyperbolique de la douleur : en premier lieu, susciter la compassion en cherchant à compenser le fait que ceux qui observent notre douleur ont tendance à la minimiser ; en second lieu, pallier la méconnaissance du mouvement intérieur de contraction propre à la douleur. Une telle méconnaissance incite « le peuple qui est dépositaire et maître des paroles » à exprimer la douleur par analogie avec d’autres maux48. Arrêtons-nous sur la première raison :

  • 49 CP, IV, p. 306-307.

[Les] façons de parler figurées et hyperboliques […] sont ordinaires dans la Douleur ; on pourrait dire que l’on représente les maux que l’on souffre par des expressions plus fortes afin qu’en les faisant ainsi paraître plus grands, ils donnent davantage de compassion ; parce que ce n’est pas un petit soulagement que d’être plaint, tant par l’assurance que l’on a d’être aimé de ceux qui nous plaignent, que par l’espérance du secours que l’on en attend49.

24Il ne s’agit donc pas uniquement de susciter la compassion par désir d’être compris, mais aussi de déclencher un comportement d’entraide : l’excès des façons de dire sa douleur est justifié par l’attente d’un bénéfice secondaire.

25Les expressions métaphoriques qui représentent souvent la douleur plus grande qu’elle n’est (se sentir tenaillé, etc.) sont encore mentionnées quelques lignes plus loin :

  • 50 CP, IV, p. 308-309, nos italiques.

La raison de cela vient de la difficulté qu’il y a à faire bien concevoir aux autres le sentiment que l’on a de ces choses-là : Car outre qu’il n’y a point de termes propres pour l’exprimer, le mal que l’on sent ne touche point ou fort peu, celui à qui on le raconte. C’est pourquoi pour le lui faire comprendre, il faut le faire ressouvenir de celui qu’il peut avoir ressenti, ou dont il a d’ailleurs quelque connaissance, et se servir par conséquent de ces termes figurés que nous venons de marquer, qui lui représentent la peine où l’on est par celle qu’il a soufferte ou qu’il croit être fort grande. Elle n’est pas à la vérité toujours aussi violente qu’ils la font paraître ; mais si on en croit le malade, elle l’est encore davantage, parce que le mal présent semble toujours extrême à celui qui le souffre, et quelque souvenir que l’on ait de la violence d’une douleur passée, elle n’égale jamais celle que l’on sent, quoi qu’elle soit beaucoup moindre50.

26Ce passage met constamment en balance l’exagération des représentations de la douleur vécue avec la minimisation des douleurs des « autres » ou des douleurs passées. L’expression de la douleur est, selon ce passage, réellement exagérée, à la fois dans la représentation que se fait celui qui a mal et dans les termes par lesquels il traduit son émotion. Mais un mécanisme de sous-estimation de la douleur des autres, double également, répond à cette exagération : le récit est impuissant à faire partager la douleur ; et la douleur n’est intense, ou ne semble intense, qu’au présent. On n’exagère sa douleur que pour mieux la faire sentir aux autres, qui sont en retour impuissants à saisir l’intensité d’une émotion qu’ils n’éprouvent pas actuellement. Dans un tel schéma, la manifestation, à soi et aux autres, de ce que l’on nommerait aujourd’hui la douleur vécue, est toujours déjà traversée et modifiée par la relation à l’autre – elle est façonnée par la volonté de faire coïncider le ressenti qui s’exprime spontanément avec sa réception extérieure. Si la dimension sociale de la compassion est souvent soulignée au xviie siècle, la manière dont Cureau l’intègre au problème médical de la douleur vécue nous semble, elle, très originale.

  • 51 CP, IV, p. 8.

27La compassion, par quoi la douleur des autres peut nous émouvoir, est définie par Cureau comme une douleur « modérée », dont les « atteintes sont superficielles ». Ce qui la rend utile, instructive, sans excès possibles, contrairement à la passion douloureuse elle-même51. Aussi la compassion n’est-elle par définition jamais à la mesure de la douleur ressentie. L’exagération de l’expression de la douleur compense-t-elle seulement la difficulté à la représenter aux autres et les limites intrinsèques de la compassion ? L’incise « si on en croit le malade » fait soudain surgir la voix du médecin : le médecin est-il apte à saisir la juste mesure de la douleur derrière ce qu’en « font paraître » les malades ou ce qu’en croient spontanément les « autres » ? On peut penser que son expérience thérapeutique le rend un peu plus objectif que les autres, mais Cureau ne le dit jamais.

  • 52 CP, I, p. 2.

28Selon le projet général des Caractères des passions, l’émotion ressentie par un sujet est accessible via ses caractères ou marques : « Celui qui donnait avis de consulter son miroir dans la colère, avait raison de croire que les passions se devaient mieux connaître dans les yeux que dans l’âme même52. » Il faut chercher à se connaître en examinant l’expression visible des passions, et non par l’introspection. Le sujet qui exprime l’émotion n’a donc aucun accès privilégié à ce qu’il ressent. Bien au contraire. L’observation extérieure et la confrontation des signes, même « obliques » ou ambigus, sont les outils révélant la nature universelle de la passion sous-jacente, comme le représente le frontispice de la première édition par le peintre Laurent de La Hire (fig. 1). Dans le cas présent cependant, renvoyer dos à dos l’hyperbole de l’expression douloureuse à la sous-estimation de la douleur des autres incite à ne pas disqualifier le ressenti et, corollairement, à ne pas considérer comme plus juste ou plus fidèle l’interprétation de ses signes extérieurs. L’intensité véritable de la douleur n’est visiblement pas mieux saisie en première personne, c’est-à-dire sous sa forme hyperbolique, qu’en troisième personne, c’est-à-dire sous une forme en partie minimisée, y compris, vraisemblablement, par les médecins.

Fig 1 : Frontispice de Laurent de La Hire pour Les charactères des passions de Marin Cureau de La Chambre, Paris, P. Rocolet et P. Blaise, 1640

Fig 1 : Frontispice de Laurent de La Hire pour Les charactères des passions de Marin Cureau de La Chambre, Paris, P. Rocolet et P. Blaise, 1640

Source : BnF, Gallica, https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/​ark:/12148/​bpt6k15103903/​f9.item (consulté le 21 mars 2022).

  • 53 Michel Le Long, Les sept livres d’Aphorismes du grand Hippocrate, Paris, Nicolas et Jean de La Cos (...)
  • 54 CP, IV, p. 294. La douleur ressentie dans un membre amputé est mentionnée juste avant.
  • 55 CP, V, p. 129-130.

29Plusieurs faits rapportés usuellement dans les commentaires d’Hippocrate53 alimentent cette idée d’un décalage entre la réalité du mal, la passion qu’est la douleur physique et l’expression corporelle ou verbale de cette douleur. Le premier est constitué par les nombreuses erreurs sur le lieu de la blessure induites par le ressenti douloureux : il n’est pas rare d’imputer une blessure « à une partie qui n’est point blessée », « comme quand la tumeur du foie ne fait douleur qu’à la clavicule54 ». Le second fait, quant à lui, correspond à l’écart entre la réalité de l’altération et l’intensité du ressenti : celui-ci n’est pas systématiquement corrélé à l’altération réelle du corps et au danger qui le guette. « Il y a des personnes qui se figurent incessamment les maux qu’ils souffrent plus grands qu’ils ne sont et à qui les moindres douleurs sont insupportables : Au contraire il y en a qui se les imaginent toujours moindres et qui diminuent même le ressentiment et la Douleur que les plus violents leur peuvent causer55. » Le cas est donc plus complexe qu’il n’y paraît, car il implique de distinguer non seulement la douleur et l’altération qui l’occasionne, mais également le ressenti douloureux et ce qu’en fait l’imagination individuelle.

  • 56 Sur cette dernière question, voir CP, IV, p. 141.

30L’émotion douloureuse, exprimée parfois par des signes ambigus, est elle-même le signe potentiellement trompeur d’une activité physiologique intestine qui échappe aux autres comme à soi. Non seulement la lésion qui est à l’origine de la douleur peut ne pas être connue, mais la douleur elle-même renvoie à un processus intérieur composé et partiellement inconscient – ou « insensible » selon le vocabulaire de l’époque. En effet, au mouvement sensible de contraction vers l’intérieur, qui définit l’essence de la douleur, incluant tristesse et douleur physique, se joint pour cette dernière uniquement un mouvement combattif des organes en direction de l’extérieur. Dans la douleur du corps, les organes se lancent à l’assaut du mal et provoquent des signes qui n’apparaissent pas dans la tristesse (à savoir la rougeur plutôt que la pâleur, un visage renfrogné plutôt qu’abattu, etc.)56. Or cet assaut local centrifuge est « insensible », même pour celui qui en subit les effets.

  • 57 CP, IV, p. 114.
  • 58 CP, IV, p. 36.

31En somme, les signes de douleur et le signe qu’est la douleur sont plus subtils que ce que « l’usage de la langue57 » signifie usuellement. Le mot même de « douleur », qui désigne bien selon Cureau une essence distincte, masque visiblement une pluralité de ressentis possibles : « le mot de douleur, tout simple qu’il est, contient mille sortes de maux et outre les espèces générales que l’on a marquées assez grossièrement il y en a cent autres qui n’ont point de nom ou que l’on ne connaît que pendant qu’on les sent58 », écrit-il à propos de la douleur corporelle.

  • 59 CP, IV, p. 11.
  • 60 CP, IV, p. 30.
  • 61 CP, IV, p. 27-28.
  • 62 CP, IV, p. 31-33.

32La parole, identifiée au début de l’ouvrage à une image fidèle à ce qu’elle exprime, est donc apparemment plus limitée que l’émotion qu’elle cherche à représenter. Ce qui semble justifier le recours aux expressions obliques et hyperboliques qui ne seraient alors nullement propres aux « malades », ou même au seul « peuple », bref, à ceux qui expriment spontanément leurs propres douleurs sans disposer de la connaissance philosophique ou médicale de leurs causes et effets. Car les représentations hyperboliques se trouvent également chez les auteurs qui, à l’instar de Cureau, cherchent à peindre les signes typiques de la douleur des autres. Dans les descriptions circonstanciées ouvrant les Caractères de la douleur, il choisit lui-même d’en représenter les traits les plus frappants. Pour « mettre en son jour » cette passion, précise-t-il, il faut « la peindre en l’état où elle se fait remarquer davantage59 » ; il n’y aura plus ensuite qu’à « effacer les plus gros traits et en adoucir quelques autres » pour saisir des douleurs plus faibles ou plus banales60. Aussi, pour le portrait de la tristesse, choisit-il de décrire d’entrée de jeu un homme frappé par la plus grande douleur morale qu’il soit possible de concevoir, celle d’un père qui apprend la mort de son fils. D’abord d’une pâleur extrême, la tête penchée, ce père ne peut pousser que des cris pitoyables ; vient ensuite le temps du dépit où il « s’arrache les cheveux » et « se bat la tête contre les murailles » ; cet orage passé, corps et esprit se dégradent jusqu’au dernier soupir61. Le portrait de la douleur corporelle obéit au même schéma. L’homme en proie à une émotion « violente » crie d’abord à perdre haleine, puis « porte les yeux et les mains sur la partie où il sent le mal, il la tâte, il la presse ; et si elle lui laisse la liberté de se mouvoir, il se courbe et se plie en cent façons, il se tourne d’un côté et d’autre, il s’assied et se relève en même temps, il va, il vient, il court et ne peut demeurer en une même place ». « À mesure que la douleur s’irrite », il pousse des cris plus forts et plus courts, « qui semblent rouler l’un sur l’autre » comme des « abois ». Le visage rougit, se renfrogne, la respiration devient inégale. Enfin, la douleur est quelquefois si violente qu’elle cause des syncopes et fait désirer la mort62.

33Peindre la douleur sous ses dehors les plus excessifs est-il une stratégie nécessaire pour faire voir des signes qui sans cela resteraient faibles, négligés ou ambigus ? Est-ce uniquement sous sa forme la plus intense que la douleur est représentable, pour soi ou pour les autres, et par ce biais accessible à l’analyse du médecin ? Le fait d’envisager la douleur comme une passion, c’est-à-dire une émotion de l’âme qui, utile en elle-même, prend des allures souvent démesurées, incite d’ailleurs à la voir sous un angle pathogène. Mais, fait notable, nous semble-t-il, dans le paysage philosophique du premier xviie siècle, cette perspective est au service d’une naturalisation, voire d’une justification, des « façons de parler » et d’agir, qu’il ne s’agit dès lors ni de déplorer ni de corriger.

*

  • 63 Sur l’importance du rapport au temps dans la théorie des passions de Cureau, voir Michael Edwards, (...)

34Les Caractères de la douleur présentent sur plus de trois cents pages une description particulièrement riche des diverses expressions de la douleur. Bien que la plupart des signes rapportés n’aient à l’époque rien d’inédit, y compris lorsqu’ils s’identifient à des « façons de parler », leur synthèse a le mérite de montrer la variété des manifestations de la douleur répertoriées par les médecins ou considérées comme typiques par les orateurs. Les « portraits » de la tristesse puis de la douleur corporelle donnés en début d’ouvrage en constituent les témoignages les plus frappants, car contrairement aux courtes mentions de tel ou tel signe de douleur référencé dans les recueils d’observations médicales, ils les saisissent dans leur évolution, au fil des heures, puis des jours, jusqu’au moment où la douleur devient méconnaissable – ainsi quand l’ombre d’un léger sourire se remarque sur les lèvres d’un homme trop longtemps accablé de douleur63. En rapportant la diversité des expressions douloureuses, abstraction faite des situations biographiques ou médicales qui les suscitent, les Caractères de la douleur nous paraissent ouvrir un espace nouveau pour l’analyse de la douleur corporelle, qui ne peut dès lors être absorbée ni dans les synthèses philosophiques sur les passions en général, ni dans les ouvrages relevant de la médecine pratique.

35Parmi les apports d’une étude de la douleur qui accorde une si large place à la rhétorique, retenons l’idée d’expression « hyperbolique ». Mentionner l’hyperbole à propos des « façons de parler » de la douleur nous paraît à la fois inédit et révélateur. Inédit, car cette notion souligne un écart de grandeur entre la douleur ressentie et ses représentations accessibles aux autres, dont nous n’avons pas trouvé témoignage ailleurs. Révélateur, car elle montre tout à la fois les limites intrinsèques de la sémiologie de la douleur et ses conditions de possibilité (à savoir l’accès à la douleur de l’autre par ses signes). En ce sens, elle rend manifeste la double compréhension dont bénéficie le phénomène de la douleur en ce premier xviie siècle : il est d’abord appréhendé comme douleur de l’autre, à savoir comme une série de signes observables en troisième personne, en particulier par le médecin ; il est également saisi comme une passion difficilement représentable ou représentable seulement grâce à des stratégies d’exagération, qu’elles soient conscientes comme chez Cureau, les moralistes et les « poètes », ou inconscientes et naturelles, comme on le voit dans les « façons de parler » coutumières.

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Notes

1 Paolo Savoia décrit bien l’importance que les médecins et chirurgiens de l’époque moderne accordaient à la douleur, sans en faire pour autant un objet de théorisation en soi (Gaspare Tagliacozzi and Early Modern Surgery. Faces, Men, and Pain, Londres, Routledge, 2019, « The Role of Pain Management »). Sur l’approche médicale de la douleur au début de l’époque moderne, nous nous permettons de renvoyer également aux travaux collectifs suivants : Raphaële Andrault, Ariane Bayle, « Le médecin de l’Époque moderne face à la douleur », Pour la science, 2020, 508, p. 74-79 ; et le webdocumentaire « Le médecin face à la douleur, 16e-18e siècles », en ligne : https://medecin-et-douleur-16e18e.huma-num.fr/.

2 Gaspar Torrella, Dialogus de dolore, cum tractatu de ulceribus in pudendagra, Rome, J. Besicken et M. de Amsterdam, 1500 ; Philothei Eliani Montalto, Archipathologia, Lutèce, Sumptibus Caldorianae societatis, 1614.

3 On doit l’étude la plus complète à Roselyne Rey, qui, à notre connaissance, ne mentionne pas Cureau dans son Histoire de la douleur, Paris, La Découverte, 1993. Par ailleurs, Cureau de La Chambre a fait récemment l’objet de plusieurs études transversales. Voir par exemple, sur la question de la différence de sexe, Marie-Frédérique Pellegrin, Pensées du corps et différence des sexes à l’âge moderne, Lyon, ENS Éditions, 2020 ; sur l’admiration, Thibault Barrier, Le temps de l’admiration ou la première des passions à l’âge classique, Paris, Classiques Garnier, 2019 ; ou, sur l’opposition à la thèse cartésienne de l’animal-machine, Emanuela Scribano, « The Return of Campanella. La Forge versus Cureau de la Chambre », dans Cecilia Muratori et Gianni Paganini (dir.), Early Modern Philosophers and the Renaissance Legacy, Springer, 2016, p. 169-184. Nous renvoyons enfin à une étude plus centrée sur Cureau et son rapport au legs aristotélicien : Michael Edwards, « Marin Cureau de La Chambre and Pierre Chanet on Time and the Passions of the Soul », History of European Ideas, 38, 2012, p. 200-217. Aucune de ces études, cependant, n’analyse la question de la douleur.

4 Les auteurs parlent alors plutôt de « douleur corporelle », comme nous le verrons plus loin.

5 Un certain nombre de publications récentes ont pris le contre-pied d’une histoire positiviste de la médecine et de la physiologie qui passe généralement sous silence la question de la douleur physique au début de l’époque moderne. Citons l’ouvrage collectif Jan Frans van Dijkhuizen, Karl A. E. Enenkel (dir.), The Sense of Suffering. Constructions of Physical Pain in Early Modern Culture, Leyde/Boston, Brill, 2008 ; ainsi que l’ouvrage de Paolo Savoia déjà cité. Une étude qui se consacrerait entièrement à la place de la douleur physique dans la médecine pratique du début de l’époque moderne fait toutefois encore défaut.

6 Voir Walter Riese, La théorie des passions à la lumière de la pensée médicale du xviie siècle, Bâle, S. Karger, 1965, p. 20 ; Anthony Levi, French Moralists. The Theory of the Passions, 1585-1649, Oxford, Clarendon Press, 1964, p. 250.

7 René Kerviler, Marin et Pierre Cureau de la Chambre (1596-1693), Le Mans, Pellechat, 1877, p. 73. Les Passions de l’âme abordent brièvement la question de la douleur et son rapport à la tristesse. Descartes avait émis un jugement sévère sur le premier volume des Caractères (voir Albert Darmon, Les corps immatériels. Esprits et images dans l’œuvre de Marin Cureau de la Chambre, Paris, Vrin, 1985, p. 13). Nous ne pouvons malheureusement développer les rapports entre Cureau et Descartes dans les limites du présent article. Disons rapidement ici que l’intégration dans les Caractères des passions du legs scolastique, de la tradition rhétorique et de l’art de guérir signale ce qui sépare les deux auteurs sur la question de la douleur.

8 Charactères des passions, Paris, Jacques d’Allin, 1662, abrégé CP, tome I, avis au lecteur. Nous citerons toujours les Caractères des passions (première édition chez Rocolet, Paris, 1640-1662) selon la réédition de Jacques d’Allin, Paris, 1662, abrégé CP, suivi du tome puis du numéro de page.

9 Ibid.

10 L’art de connoistre les hommes, première partie, Paris, Rocolet, 1659, préface, p. 10.

11 CP, I, avis au lecteur.

12 Ibid.

13 Respectivement, ibid. et CP, IV, avis au lecteur. Pour Thomas d’Aquin, voir Summa theologiae, prima pars, secundae partis, quaestiones 35 et 45, en ligne : http://www.corpusthomisticum.org/sth2026.html (consulté le 7 janvier 2021).

14 Pierre Antoine de La Place, Recueil de pièces intéressantes et peu connues pour servir à l’histoire et à la littérature, Paris, 1790, t. IV, p. X.

15 Sur ce dernier point, que nous ne pouvons développer ici, nous renvoyons à des travaux qui portent davantage sur l’Art de connaître les hommes ou les propos liminaires des Caractères des passions, en particulier François Azouvi, « Remarques sur quelques traités de physiognomonie », Études philosophiques, 4, 1978, p. 431-448 ; Jean-Jacques Courtine et Claudine Haroche, Histoire du visage : exprimer et taire ses émotions (du xvie au xixsiècle), Paris, Payot & Rivages, 1994. Lucie Desjardins, dans Le corps parlant : savoirs et représentation des passions au xviie siècle, Laval, Presses de l’Université Laval, 2001, montre très bien ce qui démarque nettement le projet de Cureau de la physiognomonie qu’il attribue à Aristote ou de celle de Giambattista Della Porta (1586).

16 CP, I, avis au lecteur.

17 Voir également Elisa Andretta et Rafael Mandressi, « Médecine et médecins dans l’économie des savoirs de l’Europe moderne (1500-1650) », Histoire, médecine et santé, 11, 2017, p. 9-18.

18 Louis Van Delft, Le moraliste classique : essai de définition et de typologie, Genève, Droz, 1982, p. 17-37.

19 CP, I, resp. p. 144 et p. 163.

20 CP, I, p. 176.

21 CP, IV, p. 113-127. La liste des différents types de douleur, héritée en partie des Lieux affectés de Claude Galien, se trouve par exemple dans G. Torrella, Dialogus de dolore…, op. cit. Voir l’extrait présenté et traduit par Jon Arrizabalaga et Concetta Pennuto dans le présent dossier.

22 Par exemple, Ambroise Paré, Œuvres complètes, éd. par Joseph-François Malgaigne, Paris, J.-B. Baillière, 1840-1841, t. III, livre XXV, chap. XIX « Des medicamens anodyins », p. 549.

23 CP, IV, p. 74.

24 Cela n’a rien d’étonnant en soi car les ouvrages médicaux comportent alors souvent des remarques relevant de l’anatomie comparée ou de l’éthologie. Toutefois, nous n’avons pas trouvé de référence précise à ce plissement des animaux dans les textes de l’époque portant sur la douleur.

25 CP, IV, p. 75.

26 Ibid.

27 Ibid.

28 CP, IV p. 89. Elle est plus précisément un appétit concupiscible (qui regarde le bien et le mal de façon absolue), par distinction avec l’appétit irascible (qui regarde le bien et le mal comme difficiles à atteindre ou à éviter, ainsi dans l’audace, la crainte ou l’espérance). Le principe d’une ressemblance entre les caractéristiques du mouvement de l’appétit et la modification physique qui en résulte est développé par Thomas d’Aquin au sujet de la crainte, puis de la douleur (Summa theologiae, op. cit., quaestio 44). Les mouvements d’esprits qui y sont décrits ne correspondent pas à ceux identifiés dans les Caractères de la douleur, mais on y retrouve la grammaire générale que Cureau choisit de distribuer différemment.

29 CP, IV, p. 139-140.

30 (Pseudo) Aristote, Problèmes, t. II, trad. par Pierre Louis, Paris, Les Belles Lettres, 1993, section XVII-3, p. 227

31 Ambroise Paré, Œuvres complètes, op. cit., t. II, livre XV, chap. IV, p. 411.

32 Cicéron, Tusculanes, livres III-V, Paris, Les Belles Lettres, 2011, IV-XXXI 66, p. 90 (« eodem enim vitio est ecfusio animi in laetitia quo in dolore contractio »). Voir également, pour la période médiévale, le Liber Pantegni (xie siècle), compilé par Constantin l’Africain, qui associe chaque émotion à un mouvement physiologique tantôt centripète tantôt centrifuge (Simo Knuuttila, Emotions in Ancient and Medieval Philosophy, Oxford, Clarendon Press, 2004, p. 214-215).

33 Jean Chicot, « Dialogus de Dolore », Dissertationes Medicae, Paris, Langlois et Alliot, 1656, p. 185-241, ici p. 203 ; Spinoza, Court traité, trad. par Joël Ganault, dans Premiers écrits, Paris, Presses universitaires de France, 2009, p. 367, sans doute d’après Descartes, Les passions de l’âme, seconde partie, art. 147 (Paris, chez Henry Le Gras, 1649, p. 202). Voir Ambroise Paré, Œuvres complètes, op. cit., t. I, Introduction à la Chirurgie, livre I, chap. XXI « Des accidens ou perturbations de l’âme », p. 77.

34 CP, I, p. 187.

35 Cicéron, L’orateur, XXI, 25-27, trad. par Albert Yon, Paris, Les Belles Lettres, 1964, p. 71-72.

36 L’analogie, par ailleurs peu originale, a un rôle majeur dans Le système de l’âme (1665) de Cureau, où elle fonde la compréhension des opérations de l’imagination et de l’entendement. Voir, sur cet aspect et ce que Cureau appelle l’instinct, Markus Wild, « Marin Cureau de la Chambre on the Natural Cognition of the Vegetative Soul. An Early Modern Theory of Instinct », Vivarium, 46, 2008, p. 443-461.

37 CP, IV, p. 10-11.

38 Respectivement CP, III (sur la haine), p. 35 ; et CP, IV (sur la douleur), p. 41.

39 CP, IV, p. 227-228.

40 Voir Kaspar Peucer, Les devins, ou commentaires des principales sortes de devinations, Anvers, Heudrik Connix, 1584 [œuvre originale en latin parue Wittemberg en 1553], livre XI, p. 394 : la « simiotique ou significative » est la lecture des signes indiquant la bonne ou mauvaise disposition du malade ; p. 414-416 se trouve la liste des types de douleur qui indiqueraient la nature de la partie lésée ou perturbée.

41 CP, I, p. 28.

42 CP, IV, p. 4-5.

43 CP, IV, p. 219-220 : les gémissements et les plaintes « faibles », exprimées d’un « ton lugubre », sont les expressions de la douleur qui, en montrant « la faiblesse et la douleur où on est », visent et suscitent la compassion, au contraire des cris les plus violents et aigus qui ne visent que le soulagement.

44 CP, II, p. 266.

45 CP, IV, p. 35.

46 CP, IV, p. 35-36.

47 Voir Florence Dumora qui, à propos des Caractères des passions en général, relève que « l’absence de privilège du sujet sur ses émotions » empêche « tout partage simple entre sincérité et feinte » (« Topologie des émotions : les Caractères des passions de Marin Cureau de la Chambre », Littératures classiques, 68, 2009, p. 161-175, ici p. 167).

48 CP, IV, p. 308.

49 CP, IV, p. 306-307.

50 CP, IV, p. 308-309, nos italiques.

51 CP, IV, p. 8.

52 CP, I, p. 2.

53 Michel Le Long, Les sept livres d’Aphorismes du grand Hippocrate, Paris, Nicolas et Jean de La Coste, 1645, livre II, aphorismes VI et XLVI, et livre VI, aphorisme X. Sur l’importance médico-philosophique des aphorismes d’Hippocrate sur la douleur pendant cette période, voir Guido Giglioni, « “If you Don’t Feel Pain, you Must Have Lost your Mind”. The Early Modern Fortunes of a Hippocratic Aphorism », dans Anthony Ossa-Richardson et Margaret Meserve (dir.), Et Amicorum. Essays on Renaissance Humanism and Philosophy, Leyde, Brill, 2018, p. 313-337.

54 CP, IV, p. 294. La douleur ressentie dans un membre amputé est mentionnée juste avant.

55 CP, V, p. 129-130.

56 Sur cette dernière question, voir CP, IV, p. 141.

57 CP, IV, p. 114.

58 CP, IV, p. 36.

59 CP, IV, p. 11.

60 CP, IV, p. 30.

61 CP, IV, p. 27-28.

62 CP, IV, p. 31-33.

63 Sur l’importance du rapport au temps dans la théorie des passions de Cureau, voir Michael Edwards, « Marin Cureau de La Chambre and Pierre Chanet on Time and the Passions of the Soul », art. cit.

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Table des illustrations

Titre Fig 1 : Frontispice de Laurent de La Hire pour Les charactères des passions de Marin Cureau de La Chambre, Paris, P. Rocolet et P. Blaise, 1640
Crédits Source : BnF, Gallica, https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/​ark:/12148/​bpt6k15103903/​f9.item (consulté le 21 mars 2022).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/docannexe/image/5500/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 3,9M
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Pour citer cet article

Référence papier

Raphaële Andrault, « Les signes de la douleur chez Cureau de La Chambre : (dé)raisons d’une hyperbole »Histoire, médecine et santé, 21 | 2022, 17-37.

Référence électronique

Raphaële Andrault, « Les signes de la douleur chez Cureau de La Chambre : (dé)raisons d’une hyperbole »Histoire, médecine et santé [En ligne], 21 | printemps 2022, mis en ligne le 17 août 2022, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/5500 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.5500

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Auteur

Raphaële Andrault

Institut d’histoire des représentations et des idées dans les modernités (IHRIM, UMR 5317), CNRS/ENS de Lyon

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Droits d’auteur

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