Navigation – Plan du site

AccueilNuméros20Comptes rendusNicole Catheline, L’enfant et la ...

Comptes rendus

Nicole Catheline, L’enfant et la médecine. Une histoire de la pédopsychiatrie (xixe-xxe siècles)

Paris, L’Harmattan, 2021, 392 pages
Camille Monduit de Caussade
p. 197-200

Texte intégral

1Depuis Histoire de la psychiatrie de l’enfant, publié en 1990 par le psychiatre Didier-Jacques Duché, peu d’auteurs se sont intéressés à l’histoire de la pédopsychiatrie, souvent oubliée des historiens de la psychiatrie. Nicole Catheline, pédopsychiatre qui a déjà écrit des ouvrages cliniques, notamment sur l’école, s’attelle à retracer cette histoire dans son livre, L’enfant et la médecine. Une histoire de la pédopsychiatrie (xixe-xxe siècle).

2Raconter l’histoire de la pédopsychiatrie, c’est d’abord raconter comment la psychiatrie est devenue une discipline médicale tardivement, à partir du xixe siècle, évoluant en fonction de la place que la société accordait à la folie. Mais c’est aussi prendre en compte tous les champs concernés par l’enfance : la justice, la médecine, l’école, des institutions qui ne cessent d’interagir entre elles, avec des enjeux de pouvoir et d’influences. Ce livre, qui mobilise de nombreuses références, s’appuie sur des lectures et des témoignages d’acteurs ayant directement participé à cette histoire.

3Dans une première partie, l’autrice retrace la « pré-histoire de la pédopsychiatrie » et décrit la place de l’enfant « à problèmes » dans la société, du début du xixe au début du xxe siècle : enfant arriéré et enfant délinquant. Sa place est fonction des préoccupations sociales et politiques de l’époque : la prévention succède ainsi à la discipline et aux idées économiques de l’Ancien Régime. La justice est au premier plan et les partisans de l’éducation et de la répression s’affrontent. Certains médecins, comme Jean-Étienne Esquirol, Philippe Pinel ou le surveillant Jean-Baptiste Pussin (à qui l’autrice redonne la place qui lui revient et au sujet duquel elle précise que, contrairement à Pinel, il a toujours eu beaucoup d’attention pour les enfants dont il s’est occupé), s’attachent à faire reconnaître la folie comme une maladie. Le début du siècle est marqué par l’adoption de la loi de 1838, consécration juridique de la médicalisation de la folie. Cette loi, qui ne distingue pas les enfants des adultes, entérine la place des enfants « idiots et imbéciles » dans les asiles d’aliénés : c’est la grande époque de l’asile de Bicêtre, dont Désiré Magloire Bourneville (1840-1909) est une figure importante.

4À la fin du xixsiècle, les théories sur la folie des enfants fleurissent et celle de la dégénérescence héréditaire (développée par Bénédict-Augustin Morel et Valentin Magnan) est très en vue. La maladie mentale est considérée comme une conséquence biologique et morale du développement des dégénérés dans des circonstances environnementales pathogènes. Catheline apporte un éclairage intéressant sur ces théories, notamment avec l’analyse du psychiatre Jacques Hochmann, qui défend l’idée selon laquelle la théorie de la dégénérescence serait en lien avec le désir du psychiatre de s’exonérer de ses échecs. Les avancées médicales de la fin du siècle permettent une évolution de ces représentations : les aliénistes découvrent les origines somatiques de certaines arriérations ; c’est le début de la neurologie avec Jean-Martin Charcot et Paul Broca, et la convergence des théories qui unissent neurologie et psychiatrie permet l’avènement de la neuropsychiatrie. On distingue dès lors les « petits mentaux » (futurs névrosés) des aliénés, que l’on appelle « psychotiques ». C’est ensuite l’essor de la psychologie scientifique et l’avènement de la psychologie sociale qui contribuent au changement de regard sur le statut de ces enfants, au sujet desquels l’influence de l’environnement commence à être prise en compte. La scolarisation obligatoire à la fin du siècle transforme alors la notion d’éducabilité et l’avenir que l’on prédit à ces enfants s’élargit.

5Les deuxième et troisième parties de l’ouvrage de Catheline retracent la période allant de 1920 à la fin de la Seconde Guerre mondiale. La maladie mentale de l’enfant acquiert une nouvelle place et son organicité n’est plus forcément innée, mais s’envisage comme acquise au cours de la vie. L’autrice raconte les débuts de la pédopsychiatrie avec la figure de Georges Heuyer (1884-1977), centrale tout au long du livre. Considéré comme l’inventeur de la pédopsychiatrie, Heuyer participe largement à sa diffusion dans le monde. Catheline montre ainsi l’émergence de la volonté de faire reconnaître la discipline à l’international lors du premier Congrès de psychiatrie infantile, organisé à Paris en 1937, dont les débats sont détaillés précisément dans un chapitre de l’ouvrage. Heuyer projette aussi lors de ce congrès l’enseignement de la discipline, avec l’idée de créer la première chaire de psychiatrie infantile (idée qui ne se concrétisera qu’en 1948).

  • 1 Carlo Bonomi, « Pourquoi avons-nous ignoré Freud le “pédiatre” ? Le rapport entre la formation péd (...)

6L’évolution de la pédopsychiatrie est fortement marquée par les débuts de la psychanalyse pour enfants, à laquelle l’autrice consacre une partie autour du désaccord théorique entre Anna Freud et Mélanie Klein. Selon Catheline, Sigmund Freud ne s’intéressait à la dimension infantile que dans les cures d’adultes. Or, les travaux de Carlo Bonomi montrent que Freud avait été marqué par son passage dans le service de pédiatrie d’Adolf Baginsky (1843-1918) à Berlin, puis qu’il fut responsable pendant dix ans du service des maladies nerveuses à l’Institut public des maladies infantiles de Vienne1.

7De nouvelles figures comme Sophie Morgenstern (1875-1940), Marie Bonaparte (1882-1962), Eugénie Sokolnicka (1884-1934), puis Jenny Aubry-Roudinesco (1903-1987), ou encore Françoise Marette – future Dolto – (1908-1988) participent à l’éclosion de la psychanalyse pour enfants en France. Elle reste longtemps considérée comme mineure et est d’abord laissée aux femmes, à un moment où le pouvoir se situe du côté des hommes et de la médecine. C’est justement en s’écartant de la médecine et en tirant vers le champ de la pédagogie que la psychanalyse pour enfants trouve sa place et devient en même temps un lieu de controverse. Anna Freud, institutrice de formation, défend l’aspect éducatif de la cure, contrairement à Mélanie Klein, qui minimise cette dimension. La psychanalyse appliquée à l’éducation est ensuite institutionnalisée avec la création des premiers centres psycho-pédagogiques (qui deviendront plus tard les centres médico-psycho-pédagogiques ou CMPP), dont le premier exemple ouvre en 1946, sous le parrainage des ministères de la Santé et de l’Éducation nationale.

8Du point de vue de l’histoire, l’ouvrage de Catheline montre bien comment la guerre et le régime de Vichy sont venus marquer la discipline et ce que l’on appelait le « milieu de l’enfance inadaptée » – ces enfants inadaptés dont la pédopsychiatrie assure la sélection, le « tri », le soin et l’orientation. Les enfants délinquants sont ainsi jugés sévèrement et orientés vers des centres de tri et d’observation – pratique annulée par la loi de 1945 –, qui se rapprochent parfois de l’univers carcéral. La Justice passe ensuite la main à la Santé, qui s’occupe en partie de l’enfance délinquante dans l’après-guerre. Les différentes institutions qui prennent en charge ces enfants sont détaillées dans le livre et le foisonnement des structures – centres d’observation pour l’éducation surveillée, instituts publics d’éducation surveillée, colonies pénitentiaires, institutions pédagogiques d’éducation surveillée – illustre bien la dispersion de l’époque.

9La période des Trente Glorieuses est un moment important dans la construction de la psychiatrie de l’enfant. D’un point de vue clinique, la seconde moitié du xxe siècle montre un intérêt pour la maladie mentale et les troubles psychiques, laissant de côté la délinquance et la déficience. C’est également à ce moment-là que les recherches sur l’autisme (avec des figures comme Leo Kanner et Hans Asperger) se développent. Mais le foisonnement de cette période est surtout dû à la mise en place du secteur de la psychiatrie à partir des années 1970, avec une nouvelle organisation des soins sur le territoire. En s’appuyant sur des lectures et des témoignages, Catheline présente de façon concrète et détaillée ce que deviennent aujourd’hui les institutions pour enfants : CMP (centres médico-psychologiques), CATTP (centres d’accueil thérapeutique à temps partiel), unités de soins intensifs du soir… À travers plusieurs exemples, comme celui du centre Alfred Binet, le lecteur découvre de façon concrète pourquoi les enfants viennent en consultation, comment se déroulent ces accueils, qui travaille dans ces centres, etc.

10Enfin, l’ouvrage se clôt sur le regard porté par des grands noms de la pédopsychiatrie sur l’évolution de la discipline. Pour l’autrice, il s’agit de « ceux qui ont fait la pédopsychiatrie », mais on peut regretter de ne pas entendre le témoignage d’autres professionnels (infirmiers, psychologues, notamment), qui ont eux aussi largement participé à sa construction. Évolution de la clinique, évolution des prises en charge, évolution de la formation : au-delà de ces sujets incontournables, les personnes interrogées mettent aussi l’accent sur leurs regrets, comme la fermeture récente de lits d’hospitalisation ou le délaissement du champ de la pharmacologie par les jeunes pédopsychiatres.

  • 2 En cela, la lecture du roman de Matthieu Mével, Un vagabond dans la langue (Gallimard, 2021), appo (...)

11Le dernier chapitre du livre met en perspective l’histoire de la discipline et ses enjeux actuels. Même si l’autrice accorde une large place aux différents professionnels de l’enfance – en évoquant le métier d’éducateur spécialisé, par exemple, ou encore la place des psychologues et des infirmiers –, elle nous rappelle aussi sans cesse à quel point la médecine (l’organique) occupe une position de pouvoir dans le champ de la psychiatrie de l’enfant. Nicole Catheline est une clinicienne et a longuement exercé à l’hôpital. Son expérience clinique permet de mettre en lumière des aspects concrets de l’histoire de la discipline et de la clinique infantile. Mais cet ouvrage très complet donne aussi envie d’aller plus loin et d’explorer l’histoire de la pédopsychiatrie du côté des patients, en donnant la parole à ceux dont le livre parle, mais qui sont finalement peu entendus2.

Haut de page

Notes

1 Carlo Bonomi, « Pourquoi avons-nous ignoré Freud le “pédiatre” ? Le rapport entre la formation pédiatrique de Freud et les origines de la psychanalyse » [1994], dans André Haynal (dir.), La psychanalyse : 100 ans déjà. Contributions à l’histoire intellectuelle du xxe siècle, Genève, Georg éditeur, 1996, p. 87-153. Freud a fréquenté en mars 1886 le service de pédiatrie de la policlinique d’Adolf Baginsky à Berlin.

2 En cela, la lecture du roman de Matthieu Mével, Un vagabond dans la langue (Gallimard, 2021), apporte l’essence qu’il peut nous manquer à la lecture d’un tel récit historique. Par le biais d’un roman qui est aussi un témoignage, l’auteur transcrit au plus près la langue de son frère Séverin, diagnostiqué autiste, et relate le parcours d’une famille, d’une fratrie, face à la maladie mentale d’un enfant. On circule entre les différentes institutions, mais aussi entre les différentes représentations de l’autisme sur une vingtaine d’années. Mével plonge aux racines du terme « autisme » et cherche à comprendre comment le diagnostic et la représentation de de ce trouble ont évolué, tout en expliquant combien la nosographie peut paraître dérisoire aux yeux du patient et de sa famille.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Camille Monduit de Caussade, « Nicole Catheline, L’enfant et la médecine. Une histoire de la pédopsychiatrie (xixe-xxe siècles) »Histoire, médecine et santé, 20 | 2022, 197-200.

Référence électronique

Camille Monduit de Caussade, « Nicole Catheline, L’enfant et la médecine. Une histoire de la pédopsychiatrie (xixe-xxe siècles) »Histoire, médecine et santé [En ligne], 20 | hiver 2021, mis en ligne le 12 avril 2022, consulté le 14 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/5449 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.5449

Haut de page

Auteur

Camille Monduit de Caussade

Laboratoire TEMOS – Temps, Mondes, Sociétés (UMR 9016), Le Mans Université

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search