Diana Pérez Edelman, Embryology and the Rise of the Gothic Novel
Texte intégral
1Embryology and the Rise of the Gothic Novel est l’un des titres de la collection Palgrave Studies in Literature, Science and Medicine, qui s’intéresse aux croisements entre littérature, histoire des sciences et de la médecine. Revenant sur les origines du roman gothique, né en Angleterre en 1764 avec la publication du Château d’Otrante, d’Horace Walpole, Edelman propose de relire le genre et son évolution à l’aune des débats de l’époque relevant des sciences de la reproduction. Genre aux formes multiples et à la descendance infinie, fasciné par la question des origines, comme par celle de la création et de la reproduction, le gothique se prête bien à une analyse qui croise le biologique et l’esthétique. Dès sa naissance, il se présente comme une « nouvelle espèce » (« new species »), selon la formule d’Horace Walpole lui-même, et, malgré sa mise en récit d’un passé barbare, il reflète dans ses structures narratives, dans ses motifs ou même dans ses personnages, des questionnements qui font écho à l’embryologie et aux sciences du développement.
2Dans un premier chapitre qui revient sur les études féministes des représentations du corps maternel et de la conception/création de la fin des années 1970 (Ellen Moers, Literary Women en 1977 ; Juliann E. Fleenor, The Female Gothic en 1983), Edelman recherche dans l’imaginaire monstrueux de Walpole des allusions embryologiques caractéristiques d’une pensée plus moderne, qui s’éloigne des théories biologiques de la préformation (l’organisme vivant est constitué dans le germe), pour tendre vers l’épigenèse (et le développement de l’embryon par différenciations successives), expliquant ainsi le passage du surnaturel (préformation) au monstrueux (épigenèse). Rappelant les différentes phases de l’histoire de l’embryologie, Edelman explique comment les débats autour des origines bousculent alors les modes de perception et d’imagination qui se retrouvent mis en récit par Horace Walpole, Ann Radcliffe, Mary Shelley, Charles Maturin ou James Hogg – chacun des chapitres s’intéressant à une œuvre canonique de la littérature gothique de la première vague (1764-1824).
3Le Château d’Otrante (chapitre 2) regorge de métaphores embryologiques, nous explique Edelman, tandis que la famille de Manfred, l’usurpateur, est en proie à des difficultés reproductives (la stérilité de l’épouse, la nécessité de produire une descendance, etc.). Edelman analyse les relations entre personnages, lues à travers la lentille de l’épigenèse ou de la préformation ; elle examine également la nature du surnaturel qui nourrit l’intrigue (le pouvoir inexpliqué qui guide la trame narrative) et le sens des parties corporelles qui s’animent toutes seules (issues de la lignée d’Alphonse), qui finissent par former un tout pour que justice soit faite. Ainsi, comme le conclut Edelman, si Manfred – le « villain » gothique – représente le cauchemar préformationiste, la lignée d’Alphonse, véritable maître du château d’Otrante, suggère la victoire de l’épigénétique.
4Chez Ann Radcliffe (chapitre 3), dont les intrigues, qui oscillent entre science et surnaturel, se structurent autour du retour aux origines biologiques, c’est à nouveau le conflit entre épigenèse et préformation qui se joue. Radcliffe insiste par exemple sur les ressemblances physiques, évoquant implicitement, selon Edelman, le contexte embryologique de l’époque. Le motif du portrait miniature, souvent utilisé comme preuve pour lutter contre les superstitions, impose donc l’idée d’une identité biologique qui s’éloigne des théories préformationistes.
- 1 Mary Fairclough, « Frankenstein and the “Spark of Being”. Electricity, Animation, and Adaptation » (...)
- 2 Martin Priestman, « Prometheus and Dr. Darwin’s Vermicelli. Another Stir to the Frankenstein Broth (...)
- 3 Alan Bewell, « An Issue of Monstrous Desire. Frankenstein and Obstretrics », The Yale Journal of C (...)
- 4 Richard C. Sha, Imagination and Science in Romanticism, Baltimore, Johns Hopkins University Press, (...)
- 5 Paul Youngquist, Monstrosities. Bodies and British Romanticism, Minneapolis, University of Minneso (...)
5La créature monstrueuse de Mary Shelley dans Frankenstein (1818) (chapitre 4) doit elle aussi beaucoup aux débats liés aux sciences de la reproduction, comme nombre de critiques (féministes, entre autres) l’ont maintes fois démontré. Edelman revient sur toute la critique féministe des années 1980, ainsi que sur des analyses plus récentes de Mary Faiclough1, Martin Priestman2, Jerrold Hogle, Alan Bewell3, Richard Sha4 ou Paul Youngquist5. La figure de l’obstétricien, fortement liée aux développements de l’embryologie, peut en effet se lire en filigrane dans Frankenstein, Edelman rappelant la connaissance possible par Mary Shelley des travaux de certains naturalistes, tels ceux de Herman Boerhaave (1668-1738), ou plus probablement encore ceux de Johann Friedrich Blumenbach (1752-1840), d’Albrecht von Haller (1708-1777) et de Caspar Friedrich Wolff (1735-1794), assurément rencontrés dans ses lectures de Buffon. Alors que Victor Frankenstein s’écarte de Cornelius Agrippa et de Paracelse, ses recherches rappellent de plus en plus les théories épigénétiques de l’époque : le savant se fascine pour la forme et la croissance, réintroduisant le corps féminin (déjà présent chez Agrippa et Paracelse) dans le processus de création.
6Chez Maturin, dans Melmoth the Wanderer (1820) (chapitre 5), le conflit entre préformation et épigenèse, comme entre science et superstition, ou entre le mécanique et l’organique, se retrouve au cœur de l’intrigue : le parallèle entre écriture et reproduction, entre genèse biologique et esthétique se lit à fleur de texte, Edelman en concluant que le roman est « épigénétique », répliquant à l’envi l’idée que les origines ne peuvent être connues et que leur recherche ne peut mener qu’à une narration infinie. Enfin, Hogg présente, dans The Private Memoirs and Confessions of a Justified Sinner (1824), un dernier exemple de « littérature épigénétique » (p. 155) : présenté sous la forme d’une lutte entre des forces internes et externes, il se lit, d’après Edelman, comme une « allégorie de la biologie préformationiste » (p. 156), alors que le personnage, Robert Colwan, perd son identité sous l’influence de Gil-Martin, force surnaturelle qui le mène à la folie et au suicide.
7L’ouvrage d’Edelman propose de renouveler le regard sur des auteurs et des textes gothiques canoniques, déjà très étudiés, offrant néanmoins des développements très inégaux sur chacune des œuvres abordées. Le raisonnement – qui s’appuie sur un état de l’art riche – est séduisant, révélant l’évolution de modes de pensée directement inspirés de l’histoire de la médecine. Cependant, la vision binaire proposée, qui alterne entre préformation et épigenèse – deux théories qui deviennent rapidement synonymes de surnaturel, d’une part, et de science, de l’autre –, et que l’auteure décline sur l’ensemble de la monographie, est très répétitive, empêchant parfois une approche plus complexe du genre et de ses liens avec l’histoire de la médecine.
Notes
1 Mary Fairclough, « Frankenstein and the “Spark of Being”. Electricity, Animation, and Adaptation », European Romantic Review, 29 (3), 2018, p. 399-407.
2 Martin Priestman, « Prometheus and Dr. Darwin’s Vermicelli. Another Stir to the Frankenstein Broth », dans Jesse Weiner, Benjamin Eldon Stevens, Brett M. Rogers (dir.), Frankenstein and Its Classics. The Modern Prometheus from Antiquity to Science Fiction, Londres, Bloomsbury Academic, 2018, p. 42-58.
3 Alan Bewell, « An Issue of Monstrous Desire. Frankenstein and Obstretrics », The Yale Journal of Criticism, 2 (1), 1988, p. 105-128.
4 Richard C. Sha, Imagination and Science in Romanticism, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2018.
5 Paul Youngquist, Monstrosities. Bodies and British Romanticism, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2003.
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Référence papier
Laurence Talairach, « Diana Pérez Edelman, Embryology and the Rise of the Gothic Novel », Histoire, médecine et santé, 20 | 2022, 189-191.
Référence électronique
Laurence Talairach, « Diana Pérez Edelman, Embryology and the Rise of the Gothic Novel », Histoire, médecine et santé [En ligne], 20 | hiver 2021, mis en ligne le 12 avril 2022, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/5438 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.5438
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