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Race et psychiatrie, de la pathologie à l’émancipation

Les psychiatres brésiliens et la race, entre eugénisme et hygiénisme (1920-1937)

Brazilian psychiatrists and race, between eugenics and hygienics (1920-1937)
Aurélia Michel
p. 89-108

Résumés

Dans la République fondée en 1889, la médecine brésilienne produit plus largement une science de l’homme mobilisée par l’action publique et au-delà, dans la réflexion politique des élites sur l’avenir du pays. Imprégnée des théories raciales, la psychiatrie participe alors à définir les facteurs physiologiques qui pourront forger la nation. Au cours des années 1920, dans les villes de Rio et São Paulo qui connaissent une croissance accélérée, les médecins contribuent à l’élaboration des politiques publiques, développant une approche raciale et psychiatrique de la question sociale, notamment à travers le paradigme de l’hygiène mentale. Cet article examine comment, à la fin de la décennie, une partie de ces psychiatres, sous l’influence des travaux de Juliano Moreira et de ses élèves Arthur Ramos et Ulysses Pernambucano, opère un retournement du paradigme racial, s’engageant dans une psychiatrie attentive aux environnements culturels, socio-économiques et familiaux qui s’oppose à la psychiatrie eugéniste.

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Texte intégral

  • 1 Silvio Romero (1851-1914) a mené une carrière intellectuelle et politique de premier plan au Brési (...)
  • 2 Gilberto Freyre, Casa-grande e senzala. Formação da família brasileira sob o regime da economia pa (...)
  • 3 Voir la publication des actes du Congrès de Recife : Gilberto Freyre et al., Novos estudos afro-br (...)

1Pays héritier de la traite atlantique (environ cinq millions d’Africains y ont débarqué comme esclaves depuis la fin du xvie siècle), qui connaît au tournant du xxe siècle de très importants flux migratoires en provenance d’Europe (deux millions d’immigrants s’y installent entre 1880 et 1905), puis d’Asie, le Brésil a été un terreau fertile pour le racisme scientifique, dont les théories ont fleuri en Europe avec le développement de nouvelles entreprises coloniales dans le dernier tiers du xixe siècle. Très diffusées parmi les élites brésiliennes, ces théories raciales ont été déterminantes dans la pensée de responsables politiques de premier ordre : Silvio Romero, Alberto Torres, puis Oliveira Vianna ont chacun associé le destin politique de la nation brésilienne à une lecture raciale de ses dynamiques de population1. Après la Première Guerre mondiale et d’autant plus après 1929, l’économie exportatrice du café, sur laquelle s’appuie le régime de la République (1889-1930), entre dans une crise qui oblige la société nationale brésilienne à se redéfinir, en tournant le dos à la fois à l’immigration internationale et au règne de la grande plantation. Dans les années 1920 et 1930, de manière progressive, on peut percevoir dans le monde politique et médical un changement de paradigme, qui remet en question les explications raciales des comportements sociaux comme des pathologies individuelles. Au sein de la profession psychiatrique, dont l’influence sur l’action publique n’a cessé d’augmenter à travers les institutions de l’hygiène mentale, ce changement est particulièrement sensible, non sans déclencher d’importantes divergences entre les médecins. Ainsi, plusieurs psychiatres de renom participent en 1934 à un événement décisif dans l’histoire de la pensée raciale au Brésil, le Ier Congrès afro-brésilien, qui a eu lieu à Recife autour de la personnalité de Gilberto Freyre, auteur d’un retentissant essai tout juste publié, Maîtres et esclaves, consacré à la place de l’esclavage et de la population afro-descendante au Brésil2. Tandis que ce congrès traduit un nouvel intérêt pour les cultures afro-brésiliennes, les contributions des psychiatres y apportent les éléments empiriques et argumentatifs d’un découplage de la race et de la question sociale3.

  • 4 Gilberto Hochman, « Condenado pela raça, absolvido pela medicina. O Brasil descoberto pelo movimen (...)
  • 5 Jurandir Freire Costa, História da psiquiatria no Brasil. Um corte ideológico, Rio de Janeiro, Edi (...)

2Si la psychiatrie constitue une scène essentielle où sont débattues ces questions, c’est dans le contexte d’une très forte influence du milieu et de la pensée médicale sur les politiques publiques, et ce à toutes les échelles – fédérales, étatiques, urbaines. Cette influence s’explique en premier lieu par le fait que les facultés de médecine (Rio, Salvador, puis São Paulo) sont, avec les facultés de droit, les seuls lieux de formation des élites, au moins jusqu’à l’ouverture des premières universités, au milieu des années 1930, qui proposent alors des cursus de sciences humaines et sociales. Durant les années 1910, la médecine publique avait considérablement étendu son action à travers la lutte contre les épidémies (malaria, fièvre jaune) et fait des médecins Oswaldo Cruz ou Carlos Chagas des héros nationaux4. Durant les années 1920, les psychiatres, regroupés au sein de la Ligue brésilienne d’hygiène mentale (LBHM), fondée en 1923, entendent jouer une fonction déterminante face à la « question sociale » qui se pose alors dans les métropoles, conséquence de la très forte croissance urbaine de São Paulo et de Rio de Janeiro, des nouveaux problèmes de santé publique liés à l’industrialisation et de la reconfiguration des flux migratoires – autant de dynamiques sociodémographiques qui amènent les scientifiques à poser la question d’une « race nationale5 ».

3Précisément durant cette période, les pratiques psychiatriques brésiliennes évoluent sous l’effet de différentes innovations, notamment l’introduction de la psychanalyse freudienne, le développement des traitements biologiques et des thérapies de choc, enfin la diffusion des thèses eugénistes associées à l’hygiène mentale. Au sein de la LBHM et autour des deux grands centres de la psychiatrie brésilienne (l’Hôpital des aliénés à Rio et l’hôpital de Juquerí à São Paulo), ces nouvelles approches suscitent des débats sur la nature de l’intervention médicale, ses échelles et ses enjeux, et conduisent à réexaminer les théories raciales et plus généralement celles de la dégénérescence.

  • 6 Ibid.
  • 7 Revue trimestrielle de la LBHM, mise en ligne par le Grupo de estudos e pesquisas higiene mental e (...)

4De manière plus complexe que ne l’a synthétisé l’ouvrage classique de Jurandir Freire Costa – qui caractérise le tournant de 1930 comme l’avènement d’une psychiatrie antilibérale, raciste et xénophobe6 –, nous chercherons à montrer, en nous appuyant sur les publications scientifiques des psychiatres – et en particulier sur la revue de la LBHM, Arquivos brasileiros de higiene mental (ABHM)7, entre 1929 et 1934 –, les points de discussion, et plus encore de clivage, qui permettent de mieux comprendre la contribution de la psychiatrie au développement d’une pensée sociale se tenant à distance de la théorie raciale. Nous analyserons les débats formés au sein de la profession, plus spécifiquement autour de la question de la possibilité de la cure et de la prise en compte des dimensions environnementales, sociales, psychologiques et inconscientes de la maladie mentale, débats qui se superposent à des positions antagonistes sur la race et le devenir de la nation brésilienne.

Innovations psychiatriques dans les années 1920

  • 8 Raimundo Nina Rodrigues, As raças humanas e a responsabilidade penal no Brasil, Rio de Janeiro, Ce (...)
  • 9 Mariza Corrêa, As ilusões da liberdade. A escola Nina Rodrigues e a antropologia no Brasil, Bragan (...)

5Au début du xxe siècle, la psychiatrie brésilienne a déjà pris ses distances avec les travaux classiques de Raimundo Nina Rodrigues, en particulier son anthropologie criminelle raciale8 qui avait tant marqué la discipline9. Les facultés de médecine de Rio de Janeiro et de Salvador de Bahia, les deux centres de formation en psychiatrie, se distinguent par leur rayonnement scientifique, y compris international, mais c’est surtout à partir de deux établissements, chacun animé par une forte personnalité, que la psychiatrie brésilienne se renouvelle : Juliano Moreira, formé à Bahia, a pris la direction de l’Hôpital des aliénés à Rio, et Franco da Rocha, formé à Rio, qui a fondé et dirige depuis 1896 l’hôpital de Juquerí à 30 kilomètres de São Paulo. Membres de plusieurs sociétés savantes européennes (dont la Société médico-psychologique de Paris, l’Anthropologische Gesellschaft de Munich ou la Medico-Legal Society de New York), da Rocha et Moreira mettent en œuvre dans leurs établissements les principes aliénistes à la pointe de la psychiatrie asilaire (assistance sociale et services ouverts, ergothérapie avec établissements agricoles, réorganisation des services selon les nosographies récentes, etc.). Ils sont aussi les premiers à introduire les thèses freudiennes dans leur pratique clinique et fondent respectivement la Société brésilienne de psychanalyse à São Paulo en 1919 et son équivalent à Rio en 1920.

  • 10 Walmor J. Piccinini, « Gustavo Kohler Riedel (1887-1934) », História da psiquiatria, 13 (2), 2008, (...)
  • 11 Gustavo Riedel, « O dispensário psiquiátrico como elemento de educação eugênica », Anais da colôni (...)
  • 12 D’autres sociétés savantes sont également structurantes pour la profession à cette période, par ex (...)

6Sous l’influence de Moreira, l’hôpital de Rio contribue également à orienter la psychiatrie aliéniste vers l’hygiène mentale. Le psychiatre Gustavo Riedel y a d’abord étudié les causes physiologiques des pathologies mentales, en s’intéressant aux effets des dérèglements de la thyroïde et à l’épilepsie. En même temps, il ouvre à Rio le premier dispensaire ambulatoire d’Amérique latine en 1919. Moreira lui confie l’annexe d’Engenho de Dentro, un établissement de rééducation par le travail agricole situé en bordure de l’agglomération et réservé aux patientes femmes. C’est Riedel également qui crée une école professionnelle d’infirmiers psychiatriques en 1920 ainsi qu’un service d’hospitalisation ouvert pour les psychopathes en 192310. Sur le modèle de la médecine publique – c’est-à-dire hygiéniste –, qui en 1920 s’est constituée en société savante, se revendiquant comme une discipline distincte de la médecine, la psychiatrie reprend les principes de l’hygiène mentale qui se diffusent en Europe et en Amérique du Nord et se réunit au sein de la Ligue brésilienne d’hygiène mentale (LBHM), fondée par Riedel en 1923. La Ligue se donne pour mission l’amélioration des soins psychiatriques dispensés à la population. Son texte fondateur mentionne la nécessité d’effectuer des recherches en santé mentale et en psychiatrie, de diffuser les savoirs, d’exercer un lobbying auprès des autorités fédérales pour améliorer, coordonner et augmenter les services de soins, enfin de développer des programmes de prévention et de prophylaxie, en particulier sur l’alcoolisme, en concertation avec d’autres professions de santé ou d’éducation. L’hygiène mentale est en effet conçue comme une médecine éducative qui peut participer aux principes de l’eugénisme et à l’amélioration de l’état de santé général de la population nationale11. L’ensemble de la profession se retrouve au sein de la Ligue, dont le siège est à Rio ; de là se structurent les débats et se diffusent les expérimentations pendant au moins une dizaine d’années12.

  • 13 Cité par Gustavo Querodia Tarelow, Entre comas, febres e convulsões. Os tratamentos de choque no H (...)
  • 14 Qui ont notamment défini l’étiologie de la « démence précoce » (schizophrénie).
  • 15 Paulo Dalgalarrondo et al., « Osório Cezar e Roger Bastide. As relações entre arte, religião e psi (...)

7Ces avancées découlent notamment des découvertes successives sur les bactéries à l’origine de la syphilis (dont l’une des formes d’évolution en maladie mentale constituait une part essentielle des hospitalisations en psychiatrie), de la trypanosomiase américaine (maladie de Chagas) ou de la malaria, qui ont orienté les recherches en psychiatrie du côté de la biologie, de l’anatomie pathologique et de la neuropsychiatrie. En 1923, Franco da Rocha inaugure une unité de recherche en anatomie pathologique à Juquerí, dont il confie la direction à un jeune collègue, Antônio Pacheco e Silva. Bien que Juquerí conserve une nosographie qui repose encore en partie sur la dégénérescence morale, comme la « folie des dégénérés, la folie morale », le laboratoire s’intéresse à l’épilepsie, aux formes de démence dues à la « formation incomplète du cerveau » et surtout à la « folie chronique liée à des facteurs héréditaires13 ». Pacheco e Silva, formé en partie en Allemagne, y lance des recherches inspirées des travaux de psychiatres organicistes comme Emil Kraepelin et Eugen Bleuler14, s’appuyant sur l’hypothèse selon laquelle des états de choc provoqués par la fièvre pourraient causer l’amélioration des états délirants ou d’agitation15.

  • 16 Kehl cité par Alexander Moreira-Almeida, Angélica A. Silva de Almeida et Francisco Lotufo Neto, «  (...)
  • 17 Vanderlei Sebastião de Souza, « A eugenia brasileira e suas conexões internacionais. Uma análise a (...)

8L’approche physiologique par la dégénérescence, liée à la question du métissage, se renforce également avec la diffusion des thèses eugénistes de Francis Galton, par l’intermédiaire notamment du médecin Renato Kehl, qui fonde en 1918 la Société eugéniste de São Paulo avec une perspective résolument raciste, visant à peser sur les lois migratoires pour « sélectionner les types aryens et empêcher l’infiltration de nouvelles doses de sang mongolique16 », c’est-à-dire en provenance du Japon ou de Corée. Les théories eugénistes ne sont pourtant pas forcément associées à la sélection raciale et font surtout écho aux travaux sur l’hérédité de certaines pathologies menés par Moreira, lui-même le seul Noir de sa profession (voir à ce sujet l’article d’Ynaê Lopes dos Santos dans ce dossier). En tout état de cause, elles nourrissent le débat politique sur l’identité raciale brésilienne, en lien avec les travaux anthropologiques du Museu Nacional, où Edgar Roquette-Pinto, psychiatre et anthropologue, réfléchit aux différents « types raciaux » du Brésil en mêlant eugénisme et hygiénisme17.

  • 18 Osório Cézar, « Contribuição para o estudo das glândulas de secreção interna na demência precoce » (...)
  • 19 Osório Cézar, « A arte primitiva nos alienados. Manifestação escultórica com caráter simbólico fei (...)
  • 20 Osório Cézar, A expressão artística nos alienados (contribuição para o estudo dos símbolos na arte (...)
  • 21 Osório Cézar, J. Penido Monteiro, Contribuição ao estudo do simbolismo místico nos alienados (um c (...)

9L’anthropologie sociale représente en effet une grande source d’inspiration pour la psychiatrie, et sans contradiction avec les approches organicistes. Arrivé de Rio en 1923 comme médecin interne au laboratoire d’anatomie de Juquerí, Osório Cézar y travaille sur le rôle des glandes endocrines (thyroïde, surrénales, ovaires et testicules) dans le développement de la schizophrénie18. Membre de la Société brésilienne de psychanalyse, Cézar s’inspire aussi des thèses freudiennes sur l’inconscient et des théories anthropologiques sur les sociétés primitives19, théories qui ne sont pas encore détachées de leur fondement colonial, dans la mesure où elles continuent d’établir les gradients de la civilisation. Cézar s’appuie par exemple sur les thèses de l’anthropologue britannique Edward Tylor, qui considère les étapes incontournables des peuples selon une évolution religieuse allant de l’anthropomorphisme au monothéisme, en passant par l’animisme ou le fétichisme. Inspiré également par des publications françaises et allemandes qui articulent art et folie, il en vient en 1924 à « l’idée d’étudier l’art des aliénés, en le comparant à celui des primitifs et des enfants20 ». Étudiant le cas d’un patient sculpteur de Juquerí qui présente « divers stigmates de dégénérescence, tels qu’une asymétrie crânienne, de petites oreilles courbes, une voûte palatine profonde et des pieds plats », il s’intéresse particulièrement à ses dessins et note qu’il serait traversé « au-delà d’un sentiment artistique fétichiste, de souvenirs des actes de son enfance, qui surgissent de son subconscient et qu’il modèle sous forme de symbole ». Il s’appuie ensuite sur le symbolisme onirique de Freud, qu’il cherche à retrouver dans les symboles graphiques des productions artistiques de certains patients21.

  • 22 Brad Lange, « Importing Freud and Lamarck to the Tropics. Arthur Ramos and the Transformation of B (...)
  • 23 Cité par Guilherme Gutman, « Raça e psicanálise no Brasil. O ponto de origem : Arthur Ramos », Rev (...)
  • 24 Mário Eduardo Costa Pereira et al., « Primitivo e loucura, ou o inconsciente e a psicopatologia se (...)
  • 25 Guilherme Gutman, « Raça e psicanálise no Brasil. O ponto de origem… », art. cit., p. 717.

10Dans une démarche similaire, les psychiatres brésiliens lisent avec beaucoup d’intérêt le texte de Lucien Lévy-Bruhl, La mentalité primitive, paru à Paris en 1922. Arthur Ramos, à la faculté de Salvador, s’appuyant sur Lévy-Bruhl et Freud à la fois22, reprend lui aussi l’analogie entre pensée primitive et domaine de l’inconscient. Dans sa thèse de doctorat en médecine publiée en 1926 sous le titre Primitivismo e loucura (Primitivisme et folie), Ramos établit comme Cézar un parallèle entre la folie, l’art, le rêve et le primitivisme : « Il y a, dans le monde, quelque chose appelé “primitif”. Les enfants, les fous, certains névrosés, l’art, les rêves et les “peuples attardés” partagent les caractéristiques de ce primitivisme23. » En remplaçant le terme habituel « sauvage » par « primitif » et en lui attribuant des caractéristiques psychiques, il peut ainsi analyser la névrose comme un conflit psychique entre la part « suffoquée » inconsciente et le « moi civilisateur24 ». Par ailleurs, se référant aux écrits de Carl Gustav Jung sur la notion d’inconscient collectif, Ramos considère que ces formes de vie psychique ne s’appliquent pas uniquement à l’individu, mais se projettent en dehors de lui. C’est pour lui « l’inconscient “interpsychique”, qui explique des faits d’inter-mentalités et inter-psychologiques qui ont été étudiés dans la psychologie des foules et des psychoses sociales25 ».

La psychiatrie au chevet de la nation

11À travers la LBHM, et surtout après que Renato Kehl a intégré sa direction en 1926 et commencé à imposer ses thèses eugénistes, les psychiatres entendent jouer un rôle plus important dans la prise en charge des problèmes de société posés dans la métropole, à Rio comme à São Paulo.

  • 26 Les habitants de Canudos, petite bourgade de l’intérieur de l’État de Bahia, se sont révoltés cont (...)
  • 27 Roger Bastide, Les religions africaines au Brésil. Vers une sociologie des interpénétrations de ci (...)
  • 28 Mirandolino Caldas, « As causas e a prophylaxia do suicidio », Archivos brasileiros de hygiene men (...)
  • 29 Leonidio Ribeiro, Murillo de Campos, O espiritismo no Brasil. Contribuição ao seu estudo clinico e (...)
  • 30 Valquíria Cristina Rodrigues Velasco, A geografia da repressão. Experiências, processos e religios (...)

12Tout comme la révolte des habitants du petit village de Canudos (Bahia) en 1897 avait inspiré Nina Rodrigues et provoqué une discussion nationale sur la race et les religions populaires26, les psychiatres des années 1920 s’inquiètent des effets de la religiosité populaire et du traitement du « syndrome mystique ». À l’époque, pour Nina Rodrigues, le risque d’exposition à ce syndrome était corrélé au type racial et devait justifier une adaptation du cadre juridique qui reconnaisse une forme d’irresponsabilité pénale des Noirs comme des malades mentaux. À Rio comme à São Paulo, le développement des religions d’inspiration spirite, qu’elles soient d’origine africaine, européenne ou indienne, est visible parmi les classes populaires urbaines, à la fois noires, métisses et européennes, mais aussi parmi les classes moyennes supérieures blanches qui fréquentent les terreiros27. Notamment, les dangers de la « transe » pratiquée par les adeptes sont perçus par les médecins comme des facteurs favorisant l’éclosion de la maladie et pouvant même conduire au suicide28. En 1927, la Société de médecine de Rio lance une grande enquête sur les facteurs pathologiques de ces religions, qui donne lieu à plusieurs publications mettant en cause les pratiques spirites dans les maladies mentales29. En même temps, les médecins obtiennent qu’une campagne de répression soit lancée par le chef de la police de la capitale. Un décret du 17 février 1927 donne ainsi au chef de la police le mandat de « promouvoir la répression des crimes prévus dans les articles 157 et 158 du Code pénal », c’est-à-dire « magie, sorcellerie, cartomancie, usage de talisman et guérisseurs30 ». En dénonçant le fléau sanitaire des religions populaires urbaines, qui disculpe a priori le facteur racial, les psychiatres deviennent pleinement les hygiénistes de la ville et de la jeune société urbaine.

  • 31 Le cas de Febrônio, qui s’est lui-même nommé « Indio do Brasil », « Fils de la lumière » et « Prin (...)

13L’affaire de Fébrônio « Indio do Brasil », dont les crimes inspirés par des hallucinations mystiques défraient la chronique carioca entre 1926 et 192731, est emblématique de ces mutations. Ayant diagnostiqué Febrônio comme psychopathe constitutionnel, Juliano Moreira apporte un témoignage clé lors du procès du tueur en série, permettant à son avocat d’obtenir l’établissement de son irresponsabilité pénale et son internement à l’Hôpital des aliénés. Juliano Moreira crée à cette occasion une section pénitentiaire dont Febrônio est le premier patient. La même année, une section pénitentiaire est inaugurée par Franco da Rocha à Juquerí.

14Ainsi, l’apport de ces différentes innovations change le regard des psychiatres sur la maladie mentale comme sur la race. Le « primitif » indien, devenu par ailleurs le grand sujet d’intérêt des modernistes littéraires qui cherchent à construire une identité brésilienne en rupture avec l’influence européenne, est aussi pour les psychiatres le terrain d’une exploration de l’inconscient et de ses conflits avec la « civilisation ». C’est un regard qui porte à la fois sur la santé du sujet brésilien et celle de la société brésilienne dans son ensemble, légitimant l’intervention de la psychiatrie à l’échelle de la société.

  • 32 Étude qu’il n’a pu achever avant sa mort en 1905, mais qui est finalement publiée par Arthur Ramos (...)

15Arthur Ramos, en poste à la faculté de médecine de Salvador, franchit à ce moment précis une nouvelle étape dans la déconstruction de la civilisation. Il est à la tête de l’institut médico-légal que Nina Rodrigues avait créé en son temps, là où était stocké tout le matériel ethnographique sur les religions afro-brésiliennes (candomblé de la région de Bahia) que ce dernier avait collecté pour son étude sur les Africains du Brésil32. Après sa thèse sur le primitivisme, Ramos commence à réunir des matériaux pour « des études sur le Noir » et entreprend à son tour des recherches sur les candomblés, lieux de culte afro-brésiliens.

  • 33 Raimundo Nina Rodrigues, Homero Pires, Os africanos no Brasil, São Paulo, Companhia editora nacion (...)
  • 34 Ibid., p. 300.

16Parti de l’anthropologie criminelle classique et convaincu de l’inégalité biologique des races, Nina Rodrigues posait la question de l’avenir du Brésil en évaluant « si au bout du compte cette infériorité peut être compensée par le métissage, processus naturel par lequel les Noirs s’intègrent au peuple brésilien33 ». Nina Rodrigues considérait que la capacité évolutive du Noir est « d’une lenteur extrême » et que, dans le métissage, il fallait pouvoir prendre en compte les phénomènes ataviques (caractères génétiques qui sautent plusieurs générations) ainsi que les « survivances », qu’il définit ainsi : « La survivance est surtout un phénomène du domaine social […] : elle représente les vestiges de tempéraments ou qualités morales qui se trouvent ou sont supposés être en voie d’extinction graduelle, mais qui continuent à vivre à côté (ao lado), ou associés à de nouvelles habitudes, aux nouvelles acquisitions morales ou intellectuelles. » D’après lui, ce sont ces survivances qui sont en cause dans la « criminalité ethnique » propre aux populations noires et métisses34.

  • 35 Ainsi que Ramos le décrit lui-même en mettant en scène sa découverte des archives du « maître » en (...)

17Considérant les survivances africaines comme une sorte de boulet enchaîné au pied du Brésil, il avait lui-même échoué à travailler sur ce matériau qui l’avait obsédé durant les dix dernières années de sa carrière. Ramos, révélant les archives du maître et ce matériau inconscient devenu tabou35, substitue les ethnographies de Noirs brésiliens, en particulier les pratiques religieuses, au primitivisme qu’il avait abordé dans sa thèse. Avec sa propre ethnographie, les Noirs du Brésil deviennent des Africains, porteurs d’une culture africaine primitive, selon une organisation psychique qui en ferait une sorte d’inconscient primitif de la société brésilienne, vestiges « à côté » (ao lado), part insécable et immobile du psychisme comme de la société telle que la voyait Nina Rodrigues, mais que, à partir de cette découverte, Ramos va pouvoir mettre au travail.

18En levant le « tabou » des études sur le Noir brésilien initiées par Nina Rodrigues, Ramos, jeune homme de la bonne société du Nordeste la plus traditionnelle, c’est-à-dire qui se pense blanche, mais sur laquelle plane sans cesse l’ombre du métissage, aborde sans doute un clivage présent dans son propre inconscient. C’est l’Afrique – et son expression dans les religions populaires – qui incarne pour lui une part du sujet jusque-là réprimée. Ce faisant, et tandis qu’il dépouille les ethnographies de Nina Rodrigues et enquête lui-même avec enthousiasme dans les candomblés, Ramos psychiatre, contrairement à son maître, considère que la zone de l’enfance, de l’inconscient comme du primitif, est un matériau accessible et le terrain naturel d’intervention de l’hygiéniste. Or, dans la bousculade humaine provoquée par la très forte urbanisation que connaît le pays à cette période, la notion même de civilisation vacille, et le domaine d’intervention de l’hygiène mentale brésilienne est désormais à redéfinir.

Troubles dans la race et oppositions au sein de la LBHM (1929-1934)

  • 36 Magali Gouveia Engel, « Psiquiatria, questão racial e identidade nacional no pensamento de Juliano (...)

19À Rio, en effet, siège de la LBHM, ou à São Paulo qui connaît les mêmes « fléaux urbains » (syphilis, religiosité spirite, alcoolisme), les interprétations des psychiatres diffèrent pour y faire face. Le Ier Congrès d’hygiène mentale et d’eugénisme en 1929 – dont les conférences sont publiées dans les Arquivos brasileiros de higiene mental l’année suivante – est l’occasion de les confronter. Juliano Moreira, dans une conférence à la faculté de médecine de Hambourg en 1929, démontre que la catégorie raciale doit être distinguée du contexte social, sanitaire et culturel, qui lui, en revanche, détermine les conditions de la santé mentale et du développement de l’intelligence36.

  • 37 Religion syncrétique fondée sur des cultes catholiques, indiens et afro-brésiliens qui se développ (...)

20Tout comme les religions spirites, candomblé ou umbanda37, contaminent indifféremment les Blancs et les Noirs dans les faubourgs populaires, le traitement de l’alcoolisme met à mal les préjugés raciaux. Dans le deuxième numéro des Arquivos, à propos du traitement des alcooliques, Moreira résume la transition de l’hygiène mentale brésilienne :

  • 38 Juliano Moreira, « Reformatorios para alcoolistas », Arquivos brasileiros de higiene mental, 2, 19 (...)

Pour toute la partie civilisée du globe terrestre, les sociétés contemporaines entreprennent une lutte méthodique contre les endémies qui fragilisent leur santé. Les maladies sociales doivent toujours être soignées par remèdes sociaux. Les législations viennent heureusement en appui à l’hygiène, leur prêtant main-forte par des mesures tendant à restreindre la tuberculose, l’alcoolisme, la syphilis, le paludisme. Les perturbations mentales sont un danger national toujours plus grand, d’autant plus qu’elles augmentent chaque jour et qu’en même temps, les facteurs psychologiques jouent un rôle toujours plus fort dans la vie des collectivités. […] La civilisation actuelle demande au cerveau humain un rendement qui n’a jamais été encore exigé. Nous avons le devoir de protéger notre bonne santé mentale, source d’énergie productive. De là résulte le changement radical dans l’ancienne conception sociale de la folie et des perturbations mentales. De ce changement résultent les nouvelles directives dans l’assistance aux psychopathes38.

  • 39 Arquivos brasileiros de higiene mental, 3, 1929 ; 1, 2, 6, 8, 9, 1930.
  • 40 Mário Eduardo Costa Pereira, « Ulysses Pernambucano e a questão da “Higiene mental” », Revista lat (...)
  • 41 Ibid.

21Ces nouvelles directives consistent en l’ouverture de sanatoriums et de colonies agricoles pour rééduquer les alcooliques et préparer leur réinsertion après la cure en les faisant travailler ; en somme, une réponse aliéniste assez classique aux maladies sociales. Dans cet état d’esprit, les numéros suivants des Arquivos comprennent un article sur « les aspects sociaux de la morphinomanie », un « appel aux femmes » pour endiguer l’épidémie alcoolique et une « croisade anti-alcoolique » dans les écoles39. S’il ne résume pas l’ensemble du courant de l’hygiène mentale, l’anti-alcoolisme reste un axe central d’action de la Ligue et un sujet récurrent de ses publications. Or, les discussions sur la diffusion et la répression de l’alcoolisme ne résistent pas longtemps à une classification raciale des comportements. Tous les groupes y sont exposés sans que l’on puisse y associer une morbidité psychiatrique particulière. C’est en ce sens que travaille Ulysses Pernambucano, autre psychiatre nordestin et cousin de Gilberto Freyre, qui prend la direction de l’hôpital de Recife en 1930 dans l’esprit de l’aliénisme de Moreira. Il y crée une section pénitentiaire, une colonie agricole, un service ambulatoire ouvert ainsi qu’un service de statistique et de prophylaxie. En 1931, il met également en place la Division d’assistance aux psychopathes de l’État de Pernambouc, articulant l’action des hôpitaux et de la police40. Son service de prophylaxie réalise une étude en 1932 qui permet de comparer les morbidités des maladies sociales (tuberculose, syphilis) et constitutives (schizophrénie, épilepsie, maladie chronique) en fonction de la race41.

  • 42 Xavier de Oliveira, « Da prophylaxia mental dos imigrantes », Arquivos brasileiros de higiene ment (...)
  • 43 Ibid.
  • 44 Ibid.
  • 45 Des quotas de nationalité sont en effet fixés par la Constitution de 1934. À l’instar des pays eur (...)

22Même les psychiatres les plus partisans d’un eugénisme racial pour le progrès du Brésil reconnaissent que les « maladies sociales » ne reflètent pas les hiérarchies raciales habituelles, voire les inversent. Xavier de Oliveira, psychiatre à l’hôpital de Rio et également auteur d’une analyse des effets du spiritisme, propose ainsi une « prophylaxie mentale des immigrants » pour améliorer « ce nœud inextricable qu’est la formation raciale – ou mieux dit, sub-raciale – de notre nationalité naissante42 ». Utilisant les statistiques publiques de l’Assistance aux aliénés depuis 1920, il constate que les hôpitaux et structures spécialisées ont accueilli une plus grande proportion d’étrangers (relativement à leur nombre dans la société) pendant la décennie, ce chiffre allant jusqu’à 22 % des internés à São Paulo. Or, « il n’est pas possible de continuer à recevoir des Asiatiques et autres indésirables, notamment des psychopathes, du monde entier43 ». Parallèlement, il dit avoir observé par exemple « que les Lusitaniens, parmi tous les étrangers, sont ceux qui fournissent le plus grand nombre d’alcooliques44 ». Oliveira conclut par une proposition de résolution du Congrès d’hygiène préconisant de limiter l’autorisation d’entrée au Brésil aux immigrants de race blanche qui se seraient soumis à un examen psychiatrique45.

  • 46 Cité par Gustavo Querodia Tarelow, Entre febres, comas e convulsões, op. cit., p. 58.
  • 47 Ibid., p. 59.

23De son côté, Pacheco e Silva, fervent défenseur du tri racial migratoire, reconnaît en 1936 que parmi ses patients syphilitiques de Juquerí, « grande est la proportion d’Italiens », ce qui pourrait « suggérer que la vie agitée du commerce de São Paulo, vie qui oblige les commerçants à une intense activité cérébrale, soit un facteur aggravant de la syphilis46 ». Il écrira aussi plus tard, en 1940, que l’augmentation du nombre de patients noirs atteints de syphilis s’expliquerait par la « syphilisation plus civilisation », entendant par là que l’exposition des Noirs à la syphilis serait l’effet de leur « civilisation » récente par la vie urbaine47.

  • 48 Marius Turda, Aaron Gillette, Latin Eugenics in Comparative Perspective, Londres, Bloomsbury Acade (...)

24Pacheco e Silva ou Oliveira, qui s’affichent politiquement comme bien plus conservateurs qu’Edgar Roquette-Pinto, le directeur du Museu Nacional, partagent au fond avec lui un eugénisme latino-américain, dans lequel la race est dynamique, son amélioration dépendant certes de la « compatibilité » des types raciaux importés, mais aussi des éléments du milieu48. En cela, ils affectent encore à la race une dimension morale qui classe les groupes raciaux selon leur aptitude à la civilisation. Mais face à Juliano Moreira et ses confrères qui privilégient une approche sociale de l’hygiène mentale, nombreux sont les psychiatres qui adoptent une conception eugéniste plus stricte, limitée aux thèses génétiques de Galton, refusant de considérer toute analyse du milieu et des dynamiques sociales. Cette interprétation stricte des facteurs génétiques leur permet aussi de s’affranchir de toute dimension morale. Ainsi, en octobre 1931, un autre contributeur régulier de la revue exerçant à Rio, le docteur Alberto Farani, publie dans les Arquivos « Comment éviter les progénitures dégénérées », article dans lequel il vante la stérilisation des malades mentaux par la vasectomie et la salpingectomie, en partant du constat suivant :

  • 49 Alberto Farani, « Como evitar as proles degeneradas », Arquivos brasileiros de higiene mental, 4 ( (...)

Il est bon de voir que de nos jours on ne puisse tolérer le décret spartiate d’éliminer les dégénérés. La peine de mort elle aussi a ses motifs légaux, parmi lesquels ne figure pas la dégénération mentale. Comment agir donc ? En empêchant la naissance des dégénérés49.

25Cette politique eugéniste comprend la mise en œuvre légale d’un examen prénuptial obligatoire, une mesure préconisée par Pacheco e Silva, qu’il défend en tant que député du Parti conservateur au sein de l’Assemblée constituante de 1934 et qu’il aborde dans plusieurs publications à partir de cas traités à Juquerí. Ainsi débarrassé de sa position morale, l’eugéniste agit en médecin vis-à-vis de la société et se limite à une approche biologique de la race, dans laquelle les « déchets » de la société doivent être supprimés avant qu’ils ne s’autodétruisent par une loi naturelle, dans une perspective que l’on retrouve dans l’eugénisme nazi, mais aussi sous la plume de Renato Kehl en 1932 :

  • 50 Renato Kehl, « Considerações em torno da plethora humana », Arquivos brasileiros de higiene mental(...)

Ainsi, de deux choses l’une : ou l’humanité se décide à suivre la prescription de Galton, ou sinon nous continuerons dans la babélienne confusion dans laquelle nous vivons, jusqu’à ce que, par un contrecoup violent de la nature, se produise, en masse, rapidement, la dépuration de la planète par l’élimination brutale des résidus humains accumulés. Ce sont ces résidus qui sont la cause des frictions familiales, sociales, internationales qui empêchent le libre mouvement de l’humanité dans sa trajectoire vers l’Idéal50.

  • 51 Ernani Lopes, « A alta tardia dos heredo-psychopathas por motivo de ordem eugénica  - Subsidio par (...)

26Sans refuser la possibilité de la cure à une échelle nationale, la position eugéniste stricte suppose donc une intervention du médecin en amont de la pathologie sociale, qui renonce de fait à agir sur les individus. Par l’examen prénuptial, le tri migratoire et la stérilisation, il faut avant tout les empêcher d’advenir, car ces éléments pathogènes (malades mentaux, races inférieures, individus faibles) sont des résidus indestructibles de la société qu’il ne reste plus qu’à parquer ou neutraliser, ce qui peut d’ailleurs être la fonction de l’hôpital psychiatrique. Ainsi, en 1933, Ernani Lopes, directeur de la colonie Engenho de Dentro à Rio, président de la Ligue et correspondant de la Société française de psychologie, défend la proposition « de retenir à l’asile certains hérédo-psychopathes même après guérison de l’épisode psychotique aigu qui a donné lieu à l’internement ». Ne croyant pas en la possibilité d’obtenir légalement leur stérilisation, il « plaide pour une législation permettant aux médecins aliénistes de garder à l’asile ces transmetteurs de tares tant qu’ils sont capables de procréer ». Pour cela, il faudrait que l’aliéniste renonce à son ethos qui souhaite la cure du malade et qu’il accepte la position de l’hygiéniste dans le « perfectionnement de la race51 ».

  • 52 En 1937, cité par Gustavo Querodia Tarelow, Entre febres, comas e convulsões, op. cit., p. 91.
  • 53 Ibid.

27Justement, Pacheco e Silva, nouveau directeur de Juquerí, n’y renonce pas. Mais s’il conçoit la cure individuelle, il se refuse à intervenir sur le psychisme pour se préoccuper exclusivement du physiologique. Alors que ses collègues de Juquerí mettent volontiers en œuvre des thérapeutiques psychanalytiques, il adopte quant à lui une autre posture : « Seulement avec les éléments biologiques, anatomiques ou physiologiques, nous pourrons arriver à expliquer un jour l’inconnu du psychisme humain et alors connaître les processus morbides qui perturbent son fonctionnement normal52. » Quant à son approche de la maladie et de la cure, elle se limite effectivement à l’expérimentation à grande échelle des traitements de choc, et ce malgré l’absence tangible de résultats sur l’amélioration de l’état des patients. La très grande proportion de femmes dans les patients traités par l’injection d’insuline ou de Cardiazol à partir de 1936 suggère que ces thérapies sont devenues strictement disciplinaires et autoritaires53.

  • 54 Guilherme Gutman, « Criminologia, antropologia e medicina legal. Um personagem central, Leonídio R (...)
  • 55 Voir ses travaux : Leonídio Ribeiro, « O problema médico-legal do homossexualismo », Revista juríd (...)

28La trajectoire de Pacheco e Silva éclaire celle de Leonídio Ribeiro, devenu directeur de la Section d’identification de la police civile de Rio. Ribeiro se situe dans l’anthropologie criminelle raciste la plus classique. À l’origine d’enquêtes sur les risques psychiatriques du spiritisme et d’études d’inspiration lombrosienne sur les empreintes digitales pathologiques et les groupes sanguins des Indiens guaranis, il réalise en 1931 une série de recherches sur les « biotypes des Noirs criminels et homosexuels », pour laquelle il reçoit d’ailleurs le prix Lombroso de l’académie royale de médecine d’Italie54. À partir de cette date, il consacre ses efforts à l’étude de l’homosexualité, considérée non plus comme une déviance morale ou un accident psychologique que l’on pourrait corriger, mais comme une pathologie du système endocrinien qui doit être prise en charge par le médecin55.

  • 56 « Editorial. Porque devemos dizer neuro-hygienistas », Arquivos brasileiros de higiene mental, 6 ( (...)

29Chez Ribeiro comme chez Pacheco e Silva, le contrôle et la répression des pulsions sexuelles ne s’appuient donc pas sur la morale, mais sur la médecine générale, et se traduisent en tout cas par le refus d’explorer le psychisme à partir de l’inconscient. Avec la progression de la psychanalyse et de la psychologie de l’enfant, cette position devient clivante au sein de la LBHM. Un éditorial de la revue Arquivos en 1932, intitulé « Pourquoi il faut dire neuro-hygiénisme », fustige ceux qui privilégient les « psycho-hygiénistes », nourris par la psychanalyse, définissant la Ligue comme un organisme « destiné à des médecins qui souhaitent se spécialiser dans les différentes branches de l’hygiène du système nerveux ». Les auteurs dénoncent ainsi le fait que « nos brillants confrères, par l’effet de leur “psychophilie” compliquée de “neurophobie” auraient été conduits à la plus étrange erreur de “vision mentale”56 ».

30Ces termes pourraient faire penser que les tenants de l’eugénisme galtonien, comme dans une moindre mesure ceux d’une psychiatrie strictement organiciste, sont eux-mêmes traversés par une certaine phobie non seulement de l’inconscient, mais de la culpabilité morale à laquelle il pourrait renvoyer. Laissant de côté la discussion médicale soulevée par ces positions, nous suggérons que ces dernières renvoient à la représentation que les psychiatres se font de la société brésilienne en pleine mutation, et à la possibilité même de la « cure » de la question raciale.

Socialisation de la race et psychiatrisation du social (1934-1937)

  • 57 Cristiane Oliveira, « Eugenizing the Soul. The Constitution of “Euphrenia” in the Mental Health Pr (...)
  • 58 En 1933, Arthur Ramos, qui a rejoint la Ligue d’hygiène mentale, publie un article sur la psychana (...)

31Prenant en compte les travaux de la neuropsychiatrie et reposant sur l’idée de développement du psychisme, une autre approche émerge au sein de la LBHM autour de la notion d’euphrénie ou orthophrénie, science de la « bonne cérébration », c’est-à-dire la bonne évolution du cerveau de l’enfant57. Cette approche mêle les recherches en neuropsychiatrie et en psychologie de l’enfant, notamment celles d’Alfred Binet auxquelles les Arquivos font une large place, pour la prise en charge des pathologies infantiles psychiatriques dont la débilité. Une clinique d’euphrénie fondée en 1932, établissement privé dirigé par Mirandolino Caldas, réunit les plus grands noms de l’hygiène mentale (Henrique Roxo et Juliano Moreira, Lourenço Filho, Julio Porto-Carrero, Gustavo Riedel, mais aussi Afrânio Peixoto). C’est d’ailleurs le développement de ce courant qui conduit Arthur Ramos, à partir de ses travaux sur la psychanalyse infantile publiés par la Ligue dans un article de 193358, à rejoindre Rio, à la demande d’Anísio Teixeira, alors à la tête du Service de l’éducation du District fédéral (Rio). Éducateur à Bahia, Teixeira y avait mené une réforme de l’école. Il participe au mouvement dit de l’Escola Nova, dont le manifeste paru en 1932 prétend réformer l’éducation publique pour la centrer sur le développement de l’enfant. À Rio, Teixeira ouvre un institut de recherche et la Section d’orthophrénie et hygiène mentale, articulée aux écoles de la ville, dont il confie la direction à Arthur Ramos en 1934.

  • 59 Ana Laura Godinho Lima, « A “criança-problema” e o governo da família », Estilos da clinica, 11 (2 (...)
  • 60 Édition du 16 février 1929. La revue Cruzeiro est lue par les classes supérieures de la ville, qui (...)

32Avec la notion d’« enfant-problème », Ramos y développe jusqu’en 1939 une clinique sociale qui essaie d’impliquer, autour des enfants en difficulté, les membres de leur famille, la psychiatrie et les intervenants sociaux59. Au même moment, Arthur Ramos entreprend la dernière étape de sa théorie culturaliste qui déconstruit définitivement le principe de race. Lorsqu’il arrive à Rio, Arthur Ramos a déjà publié en 1932 Os horizontes místicos do negro da Bahia (Les horizons mystiques du Noir à Bahia) et plusieurs essais de psychanalyse. Mais une expérience le conduit à franchir un cap dans son analyse des cultures noires dans la société brésilienne. Durant le carnaval, au début de l’année 1934, il assiste aux danses et défilés de la place Onze. Lieu de regroupement des groupes carnavalesques noirs, rendez-vous populaire qualifié de « bagunça negroide da praça 11 » (« désordre négroïde de la place Onze ») par la revue illustrée Cruzeiro60, cette place accueille depuis deux ans les premiers concours de défilé des futures écoles de samba, qui deviendront plus tard la fierté de la ville.

  • 61 Arthur Ramos, O folk-lore negro do Brasil. Demopsychologia e psychanalyse, Rio de Janeiro, Civiliz (...)

33Ces scènes de carnaval changent la perspective de Ramos sur les cultures. Dans O folclore do negro do Brasil en 1935, il montre un « homme blanc civilisé » tourmenté par ses relations angoissantes avec des formes primitives du passé, domaines de l’animisme ou de la pensée magique et terrains de passions exacerbées. Et plus loin, le carnaval apparaît comme le « spectre d’une culture », donnée à voir dans sa décomposition, mais aussi par son spectacle : « Les civilisés explosent leur vie intuitive réprimée. Mais le primitif se montre juste dans sa spontanéité d’origine. C’est ce qui se déroule sur la place Onze, conglomérat de tout un inconscient ancestral […], récapitulation de toute une vie collective, institutions qui se fragmentent et se re-divisent : leurs restes sont recueillis dans la place Onze. » Non seulement le carnaval africain accueille et donne à contempler les débris, vestiges de la vie collective archaïque, mais encore il en fait des ingrédients actifs dans la vie consciente de la civilisation : il dit encore que « la place Onze est une grande mouture, soupe gigantesque qui élabore le matériel inconscient et le prépare pour son entrée dans la “civilisation”61 ».

  • 62 Gustavo Querodia Tarelow, Entre febres, comas e convulsões, op. cit., p. 91.

34Ramos aboutit alors à la théorie de l’acculturation, fondement de sa pensée anthropologique, qu’il confrontera avec les culturalismes de Herskovits ou de Redfield62. En effet, dans cette scène, les « débris » résiduels ou les vestiges ataviques de la vie primitive africaine ne sont pas seulement « à côté » (ao lado) et impossible à transformer, mais accessibles et riches pour la vie psychique, que ce soit à l’échelle de la société brésilienne ou du sujet individuel. Sans complètement rompre avec une hiérarchie où les cultures remplaceraient les races, Arthur Ramos donne une autre fonction à la religion, la musique et la danse d’origine africaine au Brésil. À ces « vestiges anachroniques » dont Nina Rodrigues ne pouvait se débarrasser, il rend leur actualité. Le spectacle de la place Onze est ainsi un présent dans lequel les différentes strates historiques de la vie psychique collective communiquent et s’actualisent les unes les autres.

  • 63 Gilberto Freyre (dir.), Estudos afro-brasileiros. Trabalhos apresentados ao 1o Congresso afro-bras (...)
  • 64 Juliano Moreira, « Juliano Moreira e o problema do negro e do mestiço no Brasil », dans Gustavo Fr (...)
  • 65 Ulysses Pernambucano, « As doenças mentaes entre os negros de Pernambuco », dans Gustavo Freyre (d (...)
  • 66 Arthur Ramos, « Prefacio », dans Gustavo Freyre (dir.), Novos estudos afro-brasileiros…, t. 2, op. (...)
  • 67 Edison Carneiro, « Situação do negro no Brasil », dans Gustavo Freyre (dir.), Estudos afro-brasile (...)

35En 1934 se tient donc le Ier Congrès afro-brésilien à Recife, qui enregistre la déconstruction de la race au profit d’une réflexion sur la culture ainsi que sur les conditions sociales qui déterminent les caractéristiques que l’on attribuait à la race. Gilberto Freyre intervient avec Ulysses Pernambucano et plusieurs psychiatres, dont Ramos, Roquette-Pinto, Ribeiro, en présence de Mario de Andrade et Jorge Amado, et avec la participation écrite de Melville Herskovits. Dans la publication des actes du congrès, revenons sur les trois textes importants signés par des psychiatres63. Le premier, rédigé par la veuve de Juliano Moreira à partir de sa conférence à Hambourg en 1929, procède à la déconstruction de la race, condition de la dissociation du Noir et du fou64. Il revient à Ulysses Pernambucano d’inverser le stigmate racial et de démontrer, à partir de données épidémiologiques, que les maladies psychiatriques dites « constitutives », c’est-à-dire qui ne relèvent pas de facteurs exogènes comme l’alcool ou la syphilis, sont plus fréquentes chez les Blancs que chez les Noirs65. Enfin, il fallait déconstruire le stigmate lui-même, comme celui de la religion jusqu’à présent considéré comme pathologique : le texte d’Arthur Ramos66 et celui de l’anthropologue Edison Carneiro déracialisent et dépathologisent à la fois les religions syncrétiques afro-brésiliennes67.

  • 68 Christophe Brochier, La naissance de la sociologie au Brésil, Rennes, Presses universitaires de Re (...)

36De telles positions ouvrent le champ des sciences sociales au Brésil. L’hypothèse de la race physiologique étant abandonnée, les maladies mentales des Noirs comme celles des Blancs exigent l’exploration des contextes sociaux, des étapes de l’évolution de la pathologie et de la possibilité de sa prise en charge. De même, les pratiques religieuses et la transe peuvent être dépsychiatrisées et renvoyées au social et à la culture. En 1935, Anísio Teixeira inaugure l’université du District fédéral, pour laquelle il sollicite une « mission française » de sciences sociales, à l’instar de la nouvelle université de São Paulo créée en 1934, qui reçoit notamment Claude Lévi-Strauss et Roger Bastide. Toujours à São Paulo, la nouvelle École libre de sociologie accueille en même temps plusieurs sociologues formés à Chicago, et c’est désormais au sein de ces disciplines, plutôt que de la psychiatrie ou de la médecine publique, que la question des races et des relations raciales au Brésil est ensuite discutée68.

Conclusion

37Le paradigme de la race comme gradient de civilisation, qui s’était diffusé au Brésil dans le contexte d’une économie de plantation au sein d’un État national et qui infusait les politiques publiques de santé comme les discussions sur le destin de la nation, est donc bouleversé par les importantes dynamiques urbaines, migratoires et intellectuelles qui caractérisent les années 1920. Au sein de la psychiatrie particulièrement, discipline dans laquelle le parallèle entre savoirs sur les races et savoirs sur les maladies mentales était fort, des découvertes cliniques, mais aussi des questions sociales qui surgissent dans les métropoles en formation contribuent à changer les représentations du corps social et de l’identité brésilienne ainsi que le rôle du médecin dans la société. La Ligue d’hygiène mentale, au sein de laquelle ces nouveaux savoirs psychiatriques sont diffusés (qui portent à la fois sur l’organisation des soins, l’approche anatomique et biologique de la maladie et la mise en œuvre d’une clinique psychanalytique), propose un eugénisme hygiéniste, dans lequel la race comme la maladie ne sont définitivement plus appréhendées de façon morale, mais thérapeutique. Toutefois, l’affranchissement d’une lecture morale des traitements conduit à des trajectoires très distinctes. Dès 1929, une ligne de front se forme au sein de l’hygiène mentale, opposant ceux qui favorisent la prise en compte de l’environnement, du milieu et des évolutions individuelles de la maladie et ceux qui restent partisans d’une approche strictement eugéniste et raciale. On voit ainsi s’exprimer, notamment chez Antônio Pacheco e Silva, dans le sillage du fondateur de la Ligue Renato Kehl, une sorte de fascisation des théories psychiatriques, plus préoccupée par le fait d’écarter les éléments pathogènes que de soigner les malades, qui privilégie les traitements biologiques et les approches anatomiques et refuse à la fois l’ingérence morale de la société et l’exploration de l’inconscient. À l’inverse, la position d’Arthur Ramos, clairement orientée vers l’hygiène sociale et la prise en compte des effets du milieu, se caractérise par un investissement important de la psychanalyse et de l’anthropologie culturelle. Ces deux figures emblématiques et opposées de la psychiatrie des années 1930, qui tiennent chacune un rôle essentiel dans l’évolution des pratiques, l’une à São Paulo, l’autre à Rio de Janeiro, peuvent être rapprochées pour nous aider à comprendre ce qui se joue alors chez les élites, dont les deux médecins sont des représentants (bien que celle de São Paulo et celle du Nordeste soient à distinguer), en matière de représentation de la société brésilienne et de ses héritages africains et esclavagistes – cette part métisse que Nina Rodrigues désignait comme « vestiges à côté », dont on ne peut rien faire, qu’on ne peut transformer. Pour Pacheco e Silva, il s’agit très nettement de la neutraliser, tandis que Ramos cherche à la mettre à découvert et en mouvement. Chacun d’eux témoigne à sa manière de la dimension inconsciente de la question raciale telle qu’elle est prise en charge par le monde savant et des conflits psychiques qui lui sont associés dès lors que la morale n’est plus mobilisée. Pour ces raisons mêmes, les psychiatres qui se sont penchés sur cette dimension inconsciente et en ont fait un champ d’expérimentation ont pu contribuer à faire évoluer la question raciale au Brésil.

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Notes

1 Silvio Romero (1851-1914) a mené une carrière intellectuelle et politique de premier plan au Brésil, défendant notamment des thèses spencériennes et critiquant le risque d’une germanisation du Sud du pays. Alberto Torres (1865-1917) a écrit de nombreux essais sur la destinée politique du Brésil, qu’il concevait liée à ses caractéristiques raciales et culturelles. Enfin, Oliveira Vianna (1883-1951), qui eut ensuite une influence considérable sur les politiques de l’Estado Novo (dictature instaurée par Gétulio Vargas entre 1937 et 1945), a défendu dès 1920 l’eugénisme racial pour blanchir la population brésilienne.

2 Gilberto Freyre, Casa-grande e senzala. Formação da família brasileira sob o regime da economia patriarcal, Rio de Janeiro, Editora Maia & Schmidt, 1933 ; id., Maîtres et esclaves, traduit en français par Roger Bastide, préface de Lucien Febvre, Paris, Gallimard, 1952.

3 Voir la publication des actes du Congrès de Recife : Gilberto Freyre et al., Novos estudos afro-brasileiros. Trabalhos apresentados ao 1o Congresso afro-brasileiro realizado no Recife, em 1934, Recife, Fundação Joaquim Nabuco/Editora Massangana, 1988. Parmi les psychiatres qui participent au congrès figurent Arthur Ramos, Ulysses Pernambucano, Henrique Roxo, Edgar Roquette-Pinto et la veuve de Juliano Moreira.

4 Gilberto Hochman, « Condenado pela raça, absolvido pela medicina. O Brasil descoberto pelo movimento sanitarista da Primeira República », dans Marcos Chor Maio, Ricardo Ventura Santos (dir.), Raça, ciência e sociedade, Rio de Janeiro, Editora Fiocruz, 1996, p. 23‑40.

5 Jurandir Freire Costa, História da psiquiatria no Brasil. Um corte ideológico, Rio de Janeiro, Editora Campus, 1981.

6 Ibid.

7 Revue trimestrielle de la LBHM, mise en ligne par le Grupo de estudos e pesquisas higiene mental e eugenia (GEPHE) : http://www.cch.uem.br/grupos-de-pesquisas/gephe (consulté le 23 décembre 2021).

8 Raimundo Nina Rodrigues, As raças humanas e a responsabilidade penal no Brasil, Rio de Janeiro, Centro Edelstein, 1894.

9 Mariza Corrêa, As ilusões da liberdade. A escola Nina Rodrigues e a antropologia no Brasil, Bragança Paulista, Editora da Universidade São Francisco, 2002.

10 Walmor J. Piccinini, « Gustavo Kohler Riedel (1887-1934) », História da psiquiatria, 13 (2), 2008, en ligne : http://www.polbr.med.br/ano08/wal0208.php (consulté le 23 décembre 2021).

11 Gustavo Riedel, « O dispensário psiquiátrico como elemento de educação eugênica », Anais da colônia de psicopatas do Rio de Janeiro, 3 (6), 1929.

12 D’autres sociétés savantes sont également structurantes pour la profession à cette période, par exemple la Sociedade brasileira de neurologia, psiquiatria e medicina legal, fondée en 1907, ou la Société de médecine de Rio de Janeiro.

13 Cité par Gustavo Querodia Tarelow, Entre comas, febres e convulsões. Os tratamentos de choque no Hospital do Juquery (1923-1937), Santo André, Universidade Federal do ABC, 2013 (traduction du portugais par l’autrice du présent article, ainsi que toutes les citations suivantes).

14 Qui ont notamment défini l’étiologie de la « démence précoce » (schizophrénie).

15 Paulo Dalgalarrondo et al., « Osório Cezar e Roger Bastide. As relações entre arte, religião e psicopatologia », Revista latinoamericana de psicopatologia fundamental, 10 (1), 2007, p. 101‑117.

16 Kehl cité par Alexander Moreira-Almeida, Angélica A. Silva de Almeida et Francisco Lotufo Neto, « History of “Spiritist madness” in Brazil », History of psychiatry, 16 (1), 2005, p. 5‑25.

17 Vanderlei Sebastião de Souza, « A eugenia brasileira e suas conexões internacionais. Uma análise a partir das controvérsias entre Renato Kehl e Edgard Roquette-Pinto, 1920-1930 », História, ciências, saúde – Manguinhos, 23, 2016, p. 93‑110.

18 Osório Cézar, « Contribuição para o estudo das glândulas de secreção interna na demência precoce », Memórias do hospital de Juquery, 5-6, 1928-1929, p. 119-143.

19 Osório Cézar, « A arte primitiva nos alienados. Manifestação escultórica com caráter simbólico feiticista num caso de síndrome paranóide », Memórias do hospício de Juquery, 1, 1924, p. 111-125.

20 Osório Cézar, A expressão artística nos alienados (contribuição para o estudo dos símbolos na arte), São Paulo, Oficinas gráficas do hospital de Juquery, 1929, p. 21.

21 Osório Cézar, J. Penido Monteiro, Contribuição ao estudo do simbolismo místico nos alienados (um caso de demência precoce paranóide num antigo escultor), São Paulo, Hélios, 1927 ; Durval Marcondes, Osório Cézar, « Sobre dois casos de estereotipia gráfica com simbolismo sexual » Memórias do hospício de Juquery, 3-4, 1927, p. 161-165.

22 Brad Lange, « Importing Freud and Lamarck to the Tropics. Arthur Ramos and the Transformation of Brazilian Racial Thought, 1926-1939 », The Americas, 65 (1), 2008, p. 9‑34.

23 Cité par Guilherme Gutman, « Raça e psicanálise no Brasil. O ponto de origem : Arthur Ramos », Revista latinoamericana de psicopatologia fundamental, 10 (4), 2007, p. 711‑728, ici p. 716.

24 Mário Eduardo Costa Pereira et al., « Primitivo e loucura, ou o inconsciente e a psicopatologia segundo Arthur Ramos », Revista latinoamericana de psicopatologia fundamental, 10 (3), 2007, p. 517-525, ici p. 520.

25 Guilherme Gutman, « Raça e psicanálise no Brasil. O ponto de origem… », art. cit., p. 717.

26 Les habitants de Canudos, petite bourgade de l’intérieur de l’État de Bahia, se sont révoltés contre le régime républicain en 1897, derrière un leader messianique que Nina Rodrigues avait diagnostiqué comme psychopathe. La répression par l’armée brésilienne, dite « guerre de Canudos », a suscité une importante discussion sur l’identité brésilienne parmi les intellectuels. Nina Rodrigues imputait au métissage et à la religiosité « médiévale » de ces populations rurales les causes d’une « épidémie de folie ». Raimundo Nina Rodrigues, « A loucura epidemica de Canudos. Antonio Conselheiro e os jagunços » As coletividades anormais, organização, prefacio e notas de Artur Ramos, Rio de Janeiro, Civilização brasileira, 1939, p. 50-77.

27 Roger Bastide, Les religions africaines au Brésil. Vers une sociologie des interpénétrations de civilisations, Paris, Presses universitaires de France, 1960.

28 Mirandolino Caldas, « As causas e a prophylaxia do suicidio », Archivos brasileiros de hygiene mental, 2 (3), 1929, p. 158‑159.

29 Leonidio Ribeiro, Murillo de Campos, O espiritismo no Brasil. Contribuição ao seu estudo clinico e medico-legal, São Paulo, Companhia editora nacional, 1931 ; Xavier de Oliveira, Espiritismo e loucura. Contribuição ao estudo do factor religioso em psychiatria, Rio de Janeiro, A. Coelho Branco F., 1931.

30 Valquíria Cristina Rodrigues Velasco, A geografia da repressão. Experiências, processos e religiosidades no Rio de Janeiro (1890-1929), tese de mestrado, Universidade federal do Rio de Janeiro, 2019 ; Artur Cesar Isaia, « Folie et spiritisme. La construction de la pathologie spirite à la faculté de médecine de Rio de Janeiro », Brésil(s). Sciences humaines et sociales, 16, 2019, en ligne : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/bresils.5694 (consulté le 23 décembre 2021).

31 Le cas de Febrônio, qui s’est lui-même nommé « Indio do Brasil », « Fils de la lumière » et « Prince du feu » a été l’objet de nombreuses études, portant à la fois sur le fait divers et sa réception médiatique, son traitement juridique, l’analyse clinique en elle-même, mais aussi sa réception littéraire. Voir à ce sujet Guilherme Gutman, « Febrônio, Blaise & Heitor. Pathos, violência e poder », Revista latinoamericana de psicopatologia fundamental, 13 (2), 2010, p. 175‑189 ; Anouck Cape, « Febrônio/Fébronio. Transfigurations d’un fait divers dans l’imaginaire brésilien de Cendrars », Cahiers des Amériques latines, 48-49, 2005, p. 41‑57.

32 Étude qu’il n’a pu achever avant sa mort en 1905, mais qui est finalement publiée par Arthur Ramos en 1935.

33 Raimundo Nina Rodrigues, Homero Pires, Os africanos no Brasil, São Paulo, Companhia editora nacional, 1935, p. 291.

34 Ibid., p. 300.

35 Ainsi que Ramos le décrit lui-même en mettant en scène sa découverte des archives du « maître » en 1937 dans Loucura e crime. Questões de psiquiatria, medicina forense e psicologia social, cité par Guilherme Gutman, « Raça e psicanálise no Brasil. O ponto de origem… », art. cit.

36 Magali Gouveia Engel, « Psiquiatria, questão racial e identidade nacional no pensamento de Juliano Moreira », dans Gilberto Hochman, Nísia Trindade Lima (dir.), Médicos intérpretes do Brasil, São Paolo, Hucitec Editora, 2015 ; Magali Gouveia Engel, Os delírios da razão. Médicos, loucos e hospícios (Rio de Janeiro, 1830-1930), Rio de Janeiro, Editora Fiocruz, 2001 ; Vera Portocarrero, Arquivos da loucura. Juliano Moreira e a descontinuidade histórica da psiquiatria, Rio de Janeiro, Editora Fiocruz, 2003.

37 Religion syncrétique fondée sur des cultes catholiques, indiens et afro-brésiliens qui se développe alors à Rio.

38 Juliano Moreira, « Reformatorios para alcoolistas », Arquivos brasileiros de higiene mental, 2, 1929, p. 61‑63.

39 Arquivos brasileiros de higiene mental, 3, 1929 ; 1, 2, 6, 8, 9, 1930.

40 Mário Eduardo Costa Pereira, « Ulysses Pernambucano e a questão da “Higiene mental” », Revista latinoamericana de psicopatologia fundamental, 8 (1), 2005, p. 123‑129.

41 Ibid.

42 Xavier de Oliveira, « Da prophylaxia mental dos imigrantes », Arquivos brasileiros de higiene mental, 5 (1), 1932, p. 16‑36.

43 Ibid.

44 Ibid.

45 Des quotas de nationalité sont en effet fixés par la Constitution de 1934. À l’instar des pays européens et des États-Unis qui restreignent l’accès des étrangers à leur marché du travail après la crise de 1929, le Brésil cesse sa politique migratoire pour favoriser le « travailleur national ». La question du tri migratoire en fonction de la race vise spécifiquement les migrants originaires du Japon, qui arrivent nombreux depuis la fin de la guerre. Voir à ce sujet Mônica Raisa Schpun, « Japanese Brazilians (1908-2013). Transnationalism and Violence, Social Ascension and Crisis », dans Nancy L. Green, Roger Waldinger (dir.), A Century of Transnationalism. Immigrants and Their Homeland Connections, Urbana, University of Illinois Press, 2016, p. 84-105.

46 Cité par Gustavo Querodia Tarelow, Entre febres, comas e convulsões, op. cit., p. 58.

47 Ibid., p. 59.

48 Marius Turda, Aaron Gillette, Latin Eugenics in Comparative Perspective, Londres, Bloomsbury Academic, 2014.

49 Alberto Farani, « Como evitar as proles degeneradas », Arquivos brasileiros de higiene mental, 4 (3), 1931, p. 169-179.

50 Renato Kehl, « Considerações em torno da plethora humana », Arquivos brasileiros de higiene mental, 5 (2), 1932, p. 5-10.

51 Ernani Lopes, « A alta tardia dos heredo-psychopathas por motivo de ordem eugénica  - Subsidio para a nossa lei de assistancia a psychopathas », Arquivos brasileiros de higiene mental, 6 (4), 1933, p. 277-289.

52 En 1937, cité par Gustavo Querodia Tarelow, Entre febres, comas e convulsões, op. cit., p. 91.

53 Ibid.

54 Guilherme Gutman, « Criminologia, antropologia e medicina legal. Um personagem central, Leonídio Ribeiro », Revista latinoamericana de psicopatologia fundamental, 13 (3), 2010, p. 482‑497.

55 Voir ses travaux : Leonídio Ribeiro, « O problema médico-legal do homossexualismo », Revista jurídica – Órgão cultural da faculdade de direito da universidade do Rio de Janeiro, 3 (1), 1935, p. 185-203 ; id., « Homossexualismo e endocrinologia », Revista brasileira – Síntese do Momento internacional, 9, 1935, p. 155-168 ; id., Homossexualismo e endocrinologia, Rio de Janeiro, Livraria Francisco Alves, 1938.

56 « Editorial. Porque devemos dizer neuro-hygienistas », Arquivos brasileiros de higiene mental, 6 (1), 1933, p. 1-4.

57 Cristiane Oliveira, « Eugenizing the Soul. The Constitution of “Euphrenia” in the Mental Health Project Dedicated to Youth, Promoted by the Brazilian Mental Health League », Revista latinoamericana de psicopatologia Fundamental, 14 (4), 2011, p. 627‑641.

58 En 1933, Arthur Ramos, qui a rejoint la Ligue d’hygiène mentale, publie un article sur la psychanalyse infantile dans la revue : « A technica da psychanalyse infantil », Arquivos brasileiros de higiene mental, 6 (2), 1933, p. 195-213.

59 Ana Laura Godinho Lima, « A “criança-problema” e o governo da família », Estilos da clinica, 11 (21), 2006, p. 126‑149.

60 Édition du 16 février 1929. La revue Cruzeiro est lue par les classes supérieures de la ville, qui célèbrent le carnaval sur l’Avenida Central, dans le centre-ville.

61 Arthur Ramos, O folk-lore negro do Brasil. Demopsychologia e psychanalyse, Rio de Janeiro, Civilização brasileira, 1935, p. 257.

62 Gustavo Querodia Tarelow, Entre febres, comas e convulsões, op. cit., p. 91.

63 Gilberto Freyre (dir.), Estudos afro-brasileiros. Trabalhos apresentados ao 1o Congresso afro-brasileiro, t. 1, Recife, Ariel Editora, 1935 ; Gustavo Freyre (dir.), Novos estudos afro-brasileiros. Trabalhos apresentados ao 1o Congreso afro-brasileiro do Recife, t. 2, Rio de Janeiro, Civilização brasileira, 1937.

64 Juliano Moreira, « Juliano Moreira e o problema do negro e do mestiço no Brasil », dans Gustavo Freyre (dir.), Novos estudos afro-brasileiros…, t. 2, op. cit., p. 148-152.

65 Ulysses Pernambucano, « As doenças mentaes entre os negros de Pernambuco », dans Gustavo Freyre (dir.), Estudos afro-brasileiros…, t. 1, op. cit., p. 93-98.

66 Arthur Ramos, « Prefacio », dans Gustavo Freyre (dir.), Novos estudos afro-brasileiros…, t. 2, op. cit., p. 11-14.

67 Edison Carneiro, « Situação do negro no Brasil », dans Gustavo Freyre (dir.), Estudos afro-brasileiros…, t. 1, op. cit., p. 237-242.

68 Christophe Brochier, La naissance de la sociologie au Brésil, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016.

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Pour citer cet article

Référence papier

Aurélia Michel, « Les psychiatres brésiliens et la race, entre eugénisme et hygiénisme (1920-1937) »Histoire, médecine et santé, 20 | 2022, 89-108.

Référence électronique

Aurélia Michel, « Les psychiatres brésiliens et la race, entre eugénisme et hygiénisme (1920-1937) »Histoire, médecine et santé [En ligne], 20 | hiver 2021, mis en ligne le 12 avril 2022, consulté le 17 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/5288 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.5288

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Auteur

Aurélia Michel

Centre d’études en sciences sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques (CESSMA), Université de Paris

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