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Race et psychiatrie, de la pathologie à l’émancipation

Race et folie dans la psychiatrie de Juliano Moreira au Brésil (1873-1933)

Race and madness in the psychiatry of Juliano Moreira in Brazil (1873-1933)
Ynaê Lopes dos Santos
p. 69-88

Résumés

Né en 1872 dans une famille pauvre de Bahia, seize ans avant l’abolition de l’esclavage au Brésil, Juliano Moreira devient à 18 ans médecin et professeur à la faculté de médecine de Bahia, où il est le collègue et successeur de Raimundo Nina Rodrigues. En 1903, il prend la direction de l’Hôpital des aliénés de Rio de Janeiro, qu’il conserve jusqu’à sa destitution par le régime de Getúlio Vargas en 1930. Au cours de sa carrière, il a développé et introduit dans son établissement d’importantes innovations qui ont transformé les pratiques psychiatriques au Brésil : réformes aliénistes, psychanalyse et psychiatrie biologique. Tandis qu’il partage, tout au long des années 1920, le paradigme eugéniste qui traverse la profession médicale brésilienne, il est aussi celui qui a réfuté les facteurs raciaux dans l’épidémiologie psychiatrique. Cet article montre que cette démarche est profondément articulée à sa propre position de Noir dans une société raciste dont il ne cesse de remettre en cause les fondements théoriques.

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Texte intégral

  • 1 Juliano Moreira, Etiologia da syphilis maligna précoce, tese (doutoramento em medicina), faculdade (...)
  • 2 Lilia Moritz Schwarcz, O espetáculo das raças. Cientistas, instituições e questão racial no Brasil (...)
  • 3 Vera Portocarrero, Arquivos da loucura. Juliano Moreira e a descontinuidade histórica da psiquiatr (...)
  • 4 Après sa mort en 1933, plusieurs institutions furent rebaptisées en sa mémoire, comme l’hôpital ps (...)
  • 5 Magali Gouveia Engel, Os delírios da razão. Médicos, loucos e hospícios (Rio de Janeiro, 1830-1930 (...)

1« Combien y a-t-il de races ? Où se termine la race blanche ? Où commence la jaune ? Où termine-t-elle ? Où commence la noire ? » Telles étaient les questions posées par Juliano Moreira dans sa thèse défendue à la faculté de médecine de Bahia en 18911, questions à travers lesquelles s’exprimait alors une voix dissonante parmi les médecins brésiliens. Ces derniers soutenaient dans leur grande majorité que l’acquisition et le développement de la syphilis, à l’instar de nombreuses maladies affectant le progrès de la société brésilienne, étaient liés au facteur racial2. Juliano Moreira contestait au contraire la thèse de la prédisposition de certaines races à développer des pathologies ou des comportements spécifiques. Plus encore, il questionnait l’existence même des races, position qui sera adoptée par l’ensemble de la communauté scientifique quelques décennies plus tard. Psychiatre parmi les plus réputés au Brésil, responsable de la plus importante réforme de la psychiatrie du pays dans les premières décennies du xxe siècle, Juliano Moreira est considéré comme le « père de la psychiatrie nationale3 ». Ses recherches cliniques et l’introduction dans son service psychiatrique des modèles de traitement développés en Allemagne par Emil Kraeplin le situent parmi les grands noms de l’hygiénisme de cette époque4. La carrière de Juliano Moreira est d’autant plus exceptionnelle qu’il était un homme noir issu d’une famille pauvre. Dans un pays structuré par le racisme, dont l’élite économique et intellectuelle pensait que la population noire et métisse empêchait le progrès de la nation, Juliano Moreira réussit à se former à l’université, puis conquit une place notable sur la scène politique brésilienne de la Première République (1889-1930) : durant un peu plus de vingt-sept ans, il fut le directeur de l’Hôpital national des aliénés (Hospício nacional de alienados), la principale institution du pays pour le traitement des maladies mentales5.

  • 6 William Vaz de Oliveira, A assistência a alienados na cidade do Rio de Janeiro (1852-1930), Rio de (...)
  • 7 Sur la réforme psychiatrique initiée par Juliano Moreira, voir Magali Gouveia Engel, Os delírios d (...)
  • 8 Parmi les ouvrages sur la période post-abolitionniste qui envisagent de déconstruire l’invisibilis (...)

2Un rapide coup d’œil sur l’histoire de la psychiatrie au Brésil permet de saisir l’importance des réformes réalisées par Juliano Moreira. Durant la période coloniale (jusqu’à 1822), les individus réputés fous et malades mentaux étaient pris en charge par les hôpitaux des tiers-ordres catholiques, en particulier la Santa Casa de Misericórdia, dont l’ambition thérapeutique se limitait à l’enfermement des patients. Il était encore plus fréquent que ces derniers soient simplement abandonnés par leur famille, qu’ils errent dans les villes, souvent jusqu’à la prison. Au cours de la période impériale qui suivit, l’empereur Dom Pedro II (1831-1889) fut convaincu par les médecins de l’importance de construire une institution spécifiquement destinée aux fous. C’est ainsi qu’en décembre 1852 fut inauguré l’hospice Dom Pedro II, qui resta sous la direction de la Santa Casa de Misericórdia jusqu’en 1889. Avec l’avènement de la République et dans le contexte d’un important processus de laïcisation des institutions, l’hospice Dom Pedro fut rebaptisé Hôpital national des aliénés et sa gestion fut confiée à des médecins spécialisés en psychiatrie, marquant un progrès vers la médicalisation des traitements. Ce changement fut accompagné d’une augmentation notable des internements, bienvenue pour les psychiatres, mais qui souleva rapidement un problème sur le plan budgétaire : les dépenses de l’hôpital ne cessaient d’augmenter et certains responsables politiques demandaient que son administration retourne aux mains de l’Église6. Les réformes réalisées par Juliano Moreira entre 1903 et 1905 permirent un consensus entre la perspective médicale et sanitaire des psychiatres et l’opinion publique sur le traitement des aliénés7. C’est cette politique qui, dans la bibliographie de l’histoire de la psychiatrie brésilienne, donne à Juliano Moreira son statut de pionnier dans le champ, alors même que sa condition d’homme noir est restée marginale dans ces analyses8.

3Or, et c’est le point de départ de cet article, les positions scientifiques défendues par Moreira tout au long de sa trajectoire intellectuelle et professionnelle montrent que cette condition a été déterminante et, étant donné la place qu’il avait acquise dans l’opinion publique, a orienté les débats fondamentaux qui traversaient alors le Brésil sur les théories raciales, les politiques sociales, hygiénistes et sanitaires, politiques dont Moreira était lui-même l’un des initiateurs.

  • 9 Nicolau Sevcenko, « Introdução. O prelúdio republicano, astúcias da ordem e ilusões do progresso » (...)
  • 10 Sidney Chalhoub, Cidade febril. Cortiços e epidemias na corte imperial, São Paulo, Companhia das L (...)
  • 11 Marcos Chor Maio, « Raça, doença e saúde pública no Brasil. Um debate sobre o pensamento higienist (...)
  • 12 Magali Gouveia Engel, Os delírios da razão…, op. cit.
  • 13 Nancy Leys Stepan, The Hour of Eugenics. Race, Gender, and Nation in Latin America, Ithaca, Cornel (...)

4La vie et l’œuvre de Juliano Moreira sont de part en part traversées par trois questions qui ont organisé la société brésilienne de la fin du xixe au début du xxe siècle : les débats sur les théories raciales et la prétendue infériorité de la composante noire de la population brésilienne ; la mise en œuvre de politiques publiques hygiénistes pensées en partie comme une réponse aux effets de cette composition raciale ; enfin, l’élaboration de normes sur les comportements, les corps et les mœurs de la population nationale qui était en jeu dans ces politiques publiques. Les relations entre ces trois champs – théorie scientifique, politiques hygiénistes et leur portée normative – ont été l’objet de nombreux débats historiographiques et, pour ne citer que les plus importants, occupent les travaux de Nicolau Sevcenko9, Sydney Chalhoub10, Marcos Maio11 et Magali Engel12, autour d’un débat dont nous présenterons plus bas les termes. En particulier, le paradigme eugéniste, qui a connu une expansion considérable à partir des années 1920 et dont Juliano Moreira était un défenseur convaincu, est souvent examiné de manière téléologique au regard des politiques d’extermination mises en œuvre au xxe siècle et réduit à l’acception stricte qu’en a développé Francis Galton dans les années 1890. Or, que ce soit en France, où il a participé à l’élaboration des politiques sanitaires et d’un État social, ou dans sa version latino-américaine attentive aux allers-retours entre patrimoines génétiques et conditions historico-sociales13, le paradigme eugéniste n’a pas forcément renforcé les théories raciales, mais au contraire, comme le montre la trajectoire de Moreira, a servi à leur réfutation.

  • 14 Magali Gouveia Engel, « Psiquiatria, questão racial e identidade nacional no pensamento de Juliano (...)

5Sa position d’homme noir dans une posture combative contre les théories raciales, qui a été récemment mieux prise en compte dans les travaux d’histoire des sciences14, nous invite à examiner la trajectoire exceptionnelle de Juliano Moreira et son influence sur les politiques publiques et les discussions scientifiques, notamment celles sur l’eugénisme. En particulier, cette approche éclaire la manière dont la critique des thèses sur la dégénérescence raciale fut le point de départ d’un ensemble de positions et de recherches sur le traitement psychiatrique et, plus largement, sur les approches hygiénistes de la maladie mentale. L’objectif de cet article est de comprendre, à partir des publications de Moreira et de ses différentes biographies publiées en histoire de la médecine et des sciences, à quel point la remise en cause des théories raciales fut fondamentale dans sa pratique clinique. Sans qu’il renonce pour autant à un projet de nation s’appuyant sur des politiques eugénistes et hygiénistes, c’est bien cette position critique vis-à-vis de la race qui l’a conduit à explorer les aspects biologiques, héréditaires et sociaux de la maladie mentale. Après avoir présenté le contexte scientifique et politique – largement orienté par le racisme scientifique – qui détermine le début de la carrière de Juliano Moreira, nous montrerons comment sa réfutation des théories raciales l’a conduit à prendre des positions de rupture dans le champ psychiatrique brésilien : la recherche des causes héréditaires, l’évolution du traitement aliéniste, enfin la mise en cause de l’environnement dans le développement de la maladie mentale.

Racisme scientifique, médecine et débuts de l’expérience républicaine au Brésil

  • 15 Lilia Moritz Schwarcz, O espetáculo das raças…, op. cit.
  • 16 Ibid., p. 56.
  • 17 Gabriela dos Reis Sampaio, Nas trincheiras da cura. As diferentes medicinas no Rio de Janeiro impe (...)

6Comme l’a montré Lilia Schwarcz15, la théorie raciale fut un élément fondamental de la construction des sciences sociales brésiliennes dans la deuxième moitié du xixe siècle. Au sein de cette théorie, le métissage faisait l’objet d’une importante discussion, souvent considéré comme une erreur, une faille dans les lois naturelles, une subversion du système. À partir des écrits d’intellectuels brésiliens comme Sílvio Romero et Nina Rodrigues qui, au tournant du xxe siècle, eurent une position ouvertement critique du métissage, Lilia Schwarcz note que « les métis démontrent, selon cette dernière interprétation, la différence fondamentale entre les races et incarnent la “dégénérescence” qui pourrait advenir du croisement d’espèces différentes16 ». Le débat scientifique européen sur les races, à travers les figures d’Arthur de Gobineau, Hippolyte Taine et Gustave Le Bon, exerça une influence importante sur les intellectuels brésiliens, dans un pays où le discours scientifique était alors associé à la construction d’une identité nationale. Dans ce contexte, le milieu médical devint le bastion des vérités et certitudes, d’autant plus qu’il s’agissait, au long de la seconde moitié du xixe siècle, d’installer la légitimité de la médecine dans les institutions comme dans les pratiques. En effet, jusqu’à la fin du siècle au moins, la population, pour soigner les tourments, maladies et querelles du corps et de l’âme, se tournait plus volontiers vers les barbiers-chirurgiens, bénisseurs, guérisseuses et sorciers que vers la médecine proprement dite. Pour la classe médicale en formation, il fallait une véritable croisade pour faire changer ces représentations et habitudes17. Ce changement fut possible à travers l’alliance de la classe médicale avec le pouvoir politique, formant une élite dont l’objectif était la modernisation et la civilisation du pays. La proclamation de la République en 1889, un an après l’abolition de l’esclavage, s’inscrivit dans une série de changements politiques, sociaux et économiques, tandis que l’idéologie des classes dirigeantes restait largement marquée par le racisme scientifique.

  • 18 Mariza Corrêa, As ilusões da liberdade. A escola Nina Rodrigues e a antropologia no Brasil, Bragan (...)

7L’un des noms importants du monde médical brésilien et tenant du racisme scientifique à cette époque est celui de Raimundo Nina Rodrigues18. Inspiré par les idées de Cesare Lombroso et Wilhelm Wundt, Nina Rodrigues soutint que le métissage était la principale cause de la dégénérescence du peuple brésilien ainsi que la clé de lecture pour comprendre la prédisposition des individus métis pour le crime. Pour lui, la « civilisation supérieure de race blanche » était donc garante de la lutte contre cette dégénérescence :

  • 19 Raimundo Nina Rodrigues, As raças humanas e a responsabilidade penal no Brasil, Rio de Janeiro, Ed (...)

La civilisation aryenne est représentée au Brésil par une frange mineure de la race blanche à qui il incombe la responsabilité de la défendre […] contre les actes anti-sociaux des races inférieures, […] qui sont des manifestations du conflit, de la lutte pour l’existence entre la civilisation supérieure de race blanche et les ébauches de civilisation des races conquises ou soumises19.

  • 20 Les arguments et les recherches de Nina Rodrigues eurent un grand impact non seulement sur la form (...)

8Considéré comme le fondateur de l’anthropologie criminelle brésilienne, Nina Rodrigues en vint à proposer une réforme de la justice pénale à partir du principe selon lequel les races humaines auraient une propension différente au crime ainsi qu’à certains types de maladie, en particulier la folie. Selon lui, la masse de mulâtres, cafuzos (métis indien et noir), caboclos (métis indien et blanc), pardos (métis blanc et noir) et cabras (métis indien), rappelait à tout moment que le Brésil était une nation majoritairement métisse, ce qui empêchait le pays d’atteindre le stade suprême de la civilisation20.

  • 21 Gilberto Hochman, « Condenado pela raça, absolvido pela medicina. O Brasil descoberto pelo movimen (...)

9Cette représentation de la nation en formation et des nécessaires interventions du milieu médical en politique traverse la période de la Première République (1889-1930). Alors que beaucoup de médecins se plaignaient de l’autonomie constitutionnelle des États fédérés et des municipalités en matière de santé21, il régnait un certain consensus sur l’idée selon laquelle le Brésil était un pays malade, dont les maux étaient justement liés à sa composition raciale. Le début du xxe siècle et de la République est ainsi marqué par l’importance des politiques de santé hygiénistes, dont les thèses ont orienté l’action publique de manière générale. Notamment, le maire de Rio de Janeiro, Francisco Pereira Passos, mit en œuvre une réforme urbaine (1903-1905), dont l’un des volets fut la politique de vaccination obligatoire de la population, à l’origine de la grande « révolte du vaccin » en 1904. Dans l’analyse de ces politiques, la question des liens entre théories hygiénistes et théories de la dégénérescence raciale a suscité un important débat historiographique, que la trajectoire de Moreira permet d’éclairer.

  • 22 Sidney Chalhoub. Cidade febril…, op. cit.
  • 23 Nicolau Sevcenko, A revolta da vacina. Mentes insanas em corpos rebeldes, São Paulo, Editora Scipi (...)

10En étudiant les habitations populaires de Rio de Janeiro dans les dernières années du xixe siècle, Sidney Chalhoub a pointé la relation entre racisme scientifique et politiques hygiénistes mises en pratique par les élites qui ont gouverné le pays pendant la République. Pour lui, une partie importante des politiques publiques de cette période étaient fondées sur le principe de dégénérescence raciale22, qui non seulement projetait le blanchiment de la population, mais réprimait aussi violemment tout groupe social refusant d’entrer dans la marche de la civilisation. Cette position est en partie celle de Nicolau Sevcenko, qui fait de la croyance dans l’infériorité des Noirs et des métis l’origine de l’usage de la violence par l’État brésilien, dans la répression de la révolte de Canudos en 1897 comme dans celle de la révolte du vaccin à Rio sept ans plus tard23.

  • 24 Marcos Chor Maio, « Raça, doença e saúde pública no Brasil… », art. cit.

11Marcos Maio soutient quant à lui l’existence d’un hygiénisme a-racial, dont les tenants n’adhéraient pas au déterminisme biologique, ni ne le prenaient en compte dans la formulation des politiques de santé24. En s’appuyant sur une chronologie précise de l’hygiénisme brésilien entre 1870 et 1930, Marcos Maio dégage différentes phases de cette doctrine et éclaire son lien avec les théories raciales. Selon cet auteur, c’est seulement à partir des années 1910 que l’on peut parler d’une corrélation entre politiques hygiénistes et théorie de la dégénérescence raciale. Cette approche plus nuancée nous semble confirmée par la trajectoire de Juliano Moreira, qui, bien que représentant de l’hygiénisme brésilien, fut un ferme critique de la théorie raciale. C’est même, comme nous allons le montrer, à partir de cette position qu’il fit du terrain de la psychiatrie le lieu d’une redéfinition du projet national brésilien.

Les questions d’un jeune médecin noir et les premières critiques des théories raciales

  • 25 Fils d’un père portugais blanc et d’une mère noire, Juliano Moreira était un homme métis (pardo). (...)
  • 26 Stuart B. Schwartz, Stephen Gudeman, « Purgando o pecado original. Compadrio e batismo de escravos (...)

12La vie de Juliano Moreira fut tout du long traversée par les questions qui orientèrent les politiques publiques de santé entre 1870 et 1930. Né le 6 janvier 1872 dans la ville de Salvador de Bahia, il était le fils d’une femme noire, libre et pauvre, et d’un Portugais qui ne reconnut sa paternité qu’une fois Juliano devenu étudiant. La non-reconnaissance ou reconnaissance tardive de son père était un fait banal dans la vie des enfants noirs brésiliens à cette époque, en particulier ceux issus de relations sexuelles (la plupart violentes et non consenties) entre des femmes esclaves et leur propriétaire blanc25. Mais cette situation était aussi le fait du racisme qui structurait la société brésilienne, dans laquelle le mariage interracial était évité – alors même qu’aucune loi ne l’interdisait –, et qui obligeait souvent les femmes noires à élever leurs enfants seules. C’était le cas de Galdina do Amaral, qui, comme de nombreuses employées domestiques qui vivaient à Salvador en 1870, choisit son patron, Luis Adriana Gordilho, médecin notable de la ville, comme parrain pour son fils. En l’absence du père, il était en effet nécessaire de tisser d’autres liens affectifs et de protection pour son fils. Noire, pauvre et célibataire, Galdina do Amaral savait que dans une société si marquée par l’esclavage et la stratification raciale, l’avenir de son fils, même s’il était né libre, dépendrait des réseaux et des relations qu’il réussirait à construire tout au long de sa vie, notamment grâce à ses liens de parrainage, dont le poids pouvait déterminer une vie entière26.

  • 27 Alexandre Passos, Juliano Moreira (vida e obra), Rio de Janeiro, Livraria São José, 1975.
  • 28 Ronaldo R. Jacobina, Juliano Moreira da Bahia para o mundo. A formação baiana do intelectual de mú (...)

13Les mémorialistes et biographes de Juliano Moreira suggèrent que Luis Adriano Gordilho a exercé une grande influence sur lui, en l’incitant à étudier et, très probablement, en finançant les études du jeune prodige27. À une époque où l’alphabétisation était rare parmi la population noire (qu’elle soit esclave, affranchie ou libre), Juliano Moreira put exceptionnellement étudier au collège Dom Pedro II et au lycée provincial, deux établissements privés dont la clientèle était majoritairement blanche. Suivant les pas de son parrain, à 14 ans, il fut reçu à la faculté de médecine de Bahia, l’un des cursus les plus anciens et traditionnels du Brésil. C’est avec sa thèse de fin d’études que Juliano Moreira commença une brillante carrière en médecine28.

  • 29 Juliano Moreira, Etiologia da syphilis maligna precoce, op. cit.
  • 30 Ronaldo R. Jacobina, « Nem clima nem raça. A visão médico-social do acadêmico Juliano Moreira sobr (...)
  • 31 Ronaldo R. Jacobina, Juliano Moreira da Bahia para o mundo…, op. cit., p. 109.
  • 32 Ibid., p. 79.

14Selon le protocole de la faculté de Bahia, en 1891, à 19 ans, Juliano Moreira soutint sa thèse, Etiologia da sífilis maligna precoce (Étiologie de la syphilis maligne précoce)29. La syphilis faisait alors des milliers de victimes parmi toutes les couches de la société. De nombreuses recherches portaient sur cette maladie dans le monde entier, et les travaux de Juliano Moreira apportèrent plusieurs contributions pour l’amélioration de sa prise en charge30. D’abord, à partir d’une étude exhaustive de la bibliographie existante, il souleva l’hypothèse selon laquelle la syphilis était transmise par une bactérie, le syphilo-micróbio – hypothèse confirmée en 1905 par les scientifiques allemands Eric Hoffmann et Fritz Schaudinn31. Analysant ensuite le développement de la syphilis dans différents pays, Moreira réussit à démontrer que le climat ne constituait pas un facteur d’éclosion de la maladie. Cette conclusion fut signalée et analysée dans différentes revues, notamment françaises, comme les Annales de dermatologie et syphiligraphie ou le Journal des maladies cutanées et syphilitiques en 189432.

  • 33 Magali Gouveia Engel, « Os intelectuais e a liga de defesa nacional. Entre a eugenia e o sanitaris (...)

15Il faut souligner, dès ce travail inaugural de 1891, son positionnement contre la théorie de la dégénérescence raciale, ainsi qu’il l’explicita dans les questions de son exposé citées plus haut, positionnement qui détermina ensuite sa carrière de médecin comme de psychiatre. En cherchant à mettre en évidence les conditions et facteurs du développement de la syphilis, Moreira réussit à établir des liens avec l’apparition d’autres pathologies, comme la malaria, la tuberculose, le diabète et la néphrite, et mit en évidence sa gravité autant chez l’enfant en bas âge que chez la population âgée. Il montra également que l’alcoolisme était un facteur aggravant de développement de la maladie, soulignant à quel point ce « danger social » devait être combattu par les pouvoirs publics33.

16Ces principes hygiénistes accompagnèrent Juliano Moreira tout au long de sa carrière. Son premier emploi fut celui de médecin chargé de mission par l’Inspection de l’hygiène de Bahia en 1892, alors qu’il n’avait que 20 ans. Il assurait alors l’assistance médicale pour la population des villes de Bonfim et Jacobina, dans l’intérieur de l’État bahianais. Il quitta cet emploi après quelques mois, à la suite d’un désaccord moral et professionnel avec les autorités de l’Inspection de l’hygiène qui, selon le médecin, ne donnaient pas les moyens d’acheminer les médicaments aux populations rurales.

  • 34 Juliano Moreira, « Existe na Bahia o botão de Biskra ? Estudo clínico », Gazeta médica da Bahia, 2 (...)
  • 35 Magali Gouveia Engel, Os delírios da razão…, op. cit.
  • 36 Maria Ruth Sampaio, A promoção privada de habitação econômica e a arquitetura moderna, 1930-1964, (...)

17La même année, en 1892, son parrain Luis Adriano Gordilho se suicida, son état mental étant la cause réputée de son acte fatal. Il est difficile de savoir si la pathologie de son parrain a conduit Moreira à s’intéresser à la psychiatrie, ou si ce sont des circonstances professionnelles qui l’y ont amené. Mais en 1893, il devint professeur assistant de la chaire de psychiatrie et des maladies nerveuses à la faculté de Bahia, donnant ses leçons pratiques à l’asile des aliénés de la Santa Casa de Misericórdia jusqu’à la fin de son contrat en 1894. Deux ans plus tard, le médecin, qui avait consacré sa thèse à la syphilis et avait démontré un grand intérêt pour la dermatologie – comme le montre la publication de son article « Existe na Bahia o botão de Biskra ? Estudo clínico34 » –, postula comme professeur de la même chaire de psychiatrie et maladies nerveuses, alors que l’enseignement de la psychiatrie n’avait pas dix ans dans les facultés de médecine brésiliennes35. De fait, l’enseignement de spécialité sur les maladies mentales n’avait commencé qu’en 1881 avec la création de chaires de « maladies nerveuses et mentales » dans les cursus de médecine36.

18Le concours de 1896 de la faculté de Bahia est l’un des épisodes les plus connus de la jeunesse de Moreira et l’un des rares moments où l’on souligne sa condition d’homme noir dans sa trajectoire. Au cours des dix ans qui séparèrent son entrée à la faculté comme étudiant en 1886 et sa candidature pour le poste de professeur dans cette même institution en 1896, des changements importants eurent lieu au Brésil, à commencer par l’abolition de l’esclavage en 1888 et la proclamation de la République en 1889. Toutefois, l’épisode du recrutement de Moreira montre que les évolutions sociales n’étaient pas aussi rapides.

19Selon le rapport officiel du ministère de la Justice de l’État de Bahia, trois médecins candidatèrent au concours de suppléant de la 12e session de la chaire de psychiatrie et neurologie de la faculté de médecine de Bahia : Deolindo Octaviano, Fonseca Galvão et Juliano Moreira. Le jeune homme de 24 ans paraissait avoir toutes les qualités requises pour se sentir sûr de lui dans la compétition. Mais, détail qui pouvait faire toute la différence, il était Noir. Il était connu que les jeunes gens qui suivaient des études de médecine dans la faculté du Teirrero de Jesus, dans le centre de la ville, tout comme les professeurs de cette institution, étaient dans leur immense majorité des Blancs, issus des classes supérieures de l’État, dont le pouvoir économique, le prestige social et l’influence politique allaient de pair avec la possession d’esclaves.

  • 37 Au cours de la Première République (1889-1930), très peu de Noirs ont occupé des charges publiques. (...)
  • 38 Ronaldo R. Jacobina, Juliano Moreira da Bahia para o mundo…, op. cit.

20Quand les membres du jury furent désignés, la candidature de Juliano Moreira fut encore fragilisée. Moreira fut averti par Luís Anselmo da Fonseca, l’un des rares professeurs noirs de la faculté, que l’un des candidats était lié à trois des cinq membres du jury, défenseurs notoires de l’esclavage37. D’un autre côté, Juliano Moreira non seulement maîtrisait exceptionnellement les disciplines qui étaient évaluées pour le poste, mais pouvait aussi compter sur le soutien de ses collègues et d’une bonne partie des étudiants de la faculté qui avaient suivi ses cours lorsqu’il était préparateur (assistant) d’anatomie chirurgicale. Les biographes de Juliano Moreira décrivent le concours de manière quasi épique. Menée par Afrânio Peixoto – collègue et disciple de Moreira qui fut aussi l’un des médecins et intellectuels les plus importants de la Première République et qui occupa d’importantes responsabilités dans les institutions médicales brésiliennes par la suite –, une foule d’étudiants occupait le salon d’honneur de la faculté pour assister avec enthousiasme aux présentations de Juliano Moreira et vérifier le bon déroulement de la procédure. Moreira réussit avec brio les épreuves les unes après les autres. Le concours eut une telle répercussion qu’il fut suivi par le principal journal de Salvador, le Correio da Bahia. Selon l’un de ses journalistes, le 9 mai 1896, des centaines de personnes se pressèrent devant les portes de la faculté de médecine pour entendre l’annonce des résultats, qui semblaient acquis en faveur des intérêts de l’aristocratie bahianaise. Quelques heures plus tard, Juliano Moreira fut pourtant proclamé professeur de l’institution qui l’avait formé. Les clameurs qui retentirent sur le Terreiro de Jesús en firent un épisode mémorable de l’histoire de la faculté38.

21Au cours des célébrations qui suivirent son élection, Juliano Moreira prononça un discours pour remercier les étudiants en médecine qui l’avaient soutenu. Ces mots s’adressaient aussi aux professeurs qui ne le désiraient pas comme collègue parce qu’il était Noir. Il précisa à la fin de son intervention :

À ceux qui craignent que la couleur de la peau soit un nuage capable d’assombrir la lueur de cette Faculté, il me semble voir l’image fulgurante de la Patrie brésilienne, cette héroïque et glorieuse Cornélia, la mère des Gracques, montrant la plus sereine et majestueuse de toutes les gemmes et pierres précieuses qui ornent le diadème de son front : de Gonçalves Dias et Gonçalves Crespo qui répandirent les splendeurs merveilleuses de la beauté de leurs vers, jusqu’à Tobias Barreto, magnifique et glorieux, qui irradie des éclats de son esprit florissant, indomptable et vif, immortalisé par les souvenirs de son enseignement sage et profitable et par les éblouissantes conceptions pionnières de ses œuvres.

En ces jours de lumière et de dignité, on ne prendra pas en compte le brouillard extérieur. On verra seulement que le vice, la servilité et l’ignorance noircissent la pâte humaine quand ils s’y mélangent, s’installant dans ses replis intimes et y introduisant le mal, avec toutes ces incongruences caustiques et basses. La négligence et le manque de rigueur qui pétrifient, l’hypocrisie, la bassesse et l’effronterie qui démoralisent, ce sont elles qui donnent en effet sa noirceur à la pâte humaine et l’empêchent d’irradier.

Un psychiatre noir contre la théorie de la dégénérescence raciale

22Juliano Moreira honora les promesses de son discours et la faculté de médecine de Bahia en devenant un illustre professeur. En plus des enseignements théoriques, il donnait des leçons pratiques à l’asile São João de Deus, situé à l’extérieur de Salvador. Au fur et à mesure qu’il se spécialisait en psychiatrie, la réticence qu’il avait déjà témoignée face au racisme scientifique se fit plus affirmative. L’un des cas emblématiques qu’il eut à traiter fut celui qui l’opposa, au cours de ses premières années de professorat à Bahia, à Raimundo Nina Rodrigues. Les biographies de Moreira racontent en général cet épisode sur le ton de l’anecdote, qui mérite l’attention en raison de l’importance de l’influence de Nina Rodrigues à cette époque, et sans s’intéresser beaucoup au débat lui-même.

23Comme la plupart des étudiants de la faculté de médecine de Bahia, Juliano Moreira fut élève de Nina Rodrigues, qui occupait les chaires de médecine publique et de médecine légale. Après l’admission de Juliano en tant que membre de la faculté, une relation de respect mutuel s’engagea entre les deux collègues. La discussion commença lorsqu’ils analysèrent tous les deux le cas de paranoïa d’un jeune métis, fils d’un Italien et d’une femme noire brésilienne, probablement en 1898 ou 1899. Nina Rodrigues attribuait de manière catégorique la maladie mentale du jeune homme à son métissage. Juliano Moreira contesta ce diagnostic, en arguant que l’examen clinique de Nina Rodrigues était très superficiel.

24Dès qu’il en eut l’occasion, durant son premier voyage à l’étranger en 1899, Juliano partit en Italie à la recherche de la famille paternelle du jeune patient. Une fois arrivé dans le petit village où celle-ci était installée, le médecin bahianais constata de nombreux cas de paranoïa dans la branche familiale paternelle de son patient, justement la branche qui était préservée de tout métissage. Son approche empirique, une fois de plus, le conduisit à réfuter l’hypothèse raciste, hégémonique dans le discours médical, et qui orientait de manière générale le regard sur les populations métisses du Brésil. Juliano Moreira savait que, en s’opposant à Nina Rodrigues, il contestait le modèle explicatif le plus établi du monde scientifique. Les deux médecins campèrent sur leur position et, même avec les années, Moreira n’oublia pas l’affaire, comme il l’écrivit en 1908 dans son article « Querelantes e pseudo-querelantes » (« Adversaires et pseudo-adversaires ») :

  • 39 Juliano Moreira, « Querelantes e pseudo-querelantes », Arquivos brasileiros de psiquiatria, neurol (...)

Ayant montré ce malade au Professeur Nina Rodrigues, celui-ci trouva dans ce cas une preuve supplémentaire que le métissage était un facteur dégénératif. Or, m’étant toujours opposé à cette manière superficielle de voir le problème, je profitai d’un long séjour en Europe pour examiner les parents de A. P. D. qui étaient restés en Europe préservés du métissage. Je découvris la chose suivante : le vieux père de notre malade avait deux frères et une sœur. Des premiers, l’un partit également pour l’Amérique, désertant les lignes armées. L’autre, imbécile, ivrogne, turbulent, très superstitieux, avait été deux fois en prison pour avoir offensé physiquement deux vieilles dames […] ; il s’est marié et a eu deux fils, tous les deux imbéciles. La sœur épileptique a eu trois fils, l’un également épileptique, l’autre imbécile et le troisième homicide, probablement épileptique lui aussi […]. On peut voir que la branche européenne de la famille, préservée du métissage, n’est en rien supérieure à la branche métisse brésilienne39.

25Le regard de Moreira sur les maladies mentales s’était forgé à travers son expérience à l’asile de Salvador ainsi qu’au cours des voyages qu’il fit en Europe entre 1899 et 1901. En plus du laboratoire Dermatologium en Allemagne, où il étudia longuement une maladie très répandue parmi la population noire, Moreira visita plusieurs cliniques psychiatriques liées à des universités en Angleterre et en France. Mais c’est en Allemagne, principalement dans les universités de Leipzig et de Halle, que le jeune psychiatre put entrer en contact avec de nouvelles méthodologies en psychiatrie.

  • 40 Alexandre Passo, Juliano Moreira (vida e obra), op. cit. ; Ronaldo R. Jacobina, Juliano Moreira da (...)

26La connaissance de cliniques et sanatoriums en Europe eut une influence considérable sur les choix personnels de Juliano Moreira ainsi que sur sa pratique professionnelle en matière d’assistance aux aliénés40. La nouveauté des traitements développés par la psychiatrie allemande était peu conciliable avec la réalité vécue quotidiennement à l’asile São João de Deus. Bien que certains biographes évoquent une possible déception amoureuse, la difficulté à mettre en œuvre les nouvelles pratiques psychiatriques apprises en Europe fut sans doute la raison pour laquelle Moreira quitta Salvador pour s’installer dans une petite maison du quartier de São Cristóvão à Rio de Janeiro, alors capitale fédérale du Brésil, où il exerça pendant un peu plus d’un an dans une institution privée, avant d’être invité à diriger l’Hôpital national des aliénés et de changer ainsi l’histoire de la psychiatrie brésilienne.

La réforme de l’Hôpital national des aliénés à Rio de Janeiro

  • 41 William Vaz de Oliveira, A assistência a alienados na cidade do Rio de Janeiro…, op. cit.

27Sur la recommandation d’Afrânio Peixoto, en 1903, le ministre de la Justice José Joaquim Seabra nomma Juliano Moreira à la direction de l’Hôpital national des aliénés, institution qui connaissait alors de graves de problèmes de gestion et dont la direction était vivement critiquée par la presse carioca, qui dénonçait la surpopulation et les très mauvaises conditions de vie qui causaient souvent le décès des internés41.

  • 42 Nicolau Sevcenko, « Introdução. O prelúdio republicano… », art. cit.
  • 43 William Vaz de Oliveira, A assistência a alienados na cidade do Rio de Janeiro…, op. cit.

28Il faut signaler que l’augmentation des internements à l’Hôpital national était le résultat d’une politique convergente du monde médical et de la police de Rio de Janeiro, dans le contexte d’une action publique hygiéniste portée par la mairie42. Cela impliquait l’usage délibéré et récurrent de la violence dans la procédure d’internement des patients, ainsi que la surpopulation de l’établissement, dont le personnel était insuffisant. Cette équation avait pour conséquence la fugue et la mort de nombreux aliénés, que la presse et l’opinion publique de la capitale commentaient et critiquaient largement43. Cette crise servit de prétexte à Moreira pour imposer d’importantes réformes. Convaincu de la nécessité d’un État interventionniste dans la gestion de la santé publique, il fut soutenu sur ce point par le ministre de l’Intérieur et de la Justice José Joaquim Seabra, tout comme par Francisco de Paula Rodrigues Alves, le président de la République entre 1902 et 1906.

29Suivant les principes du psychiatre Emil Kraepelin, qui envisageait l’assistance aux aliénés de façon globale – c’est-à-dire qui ne se limitait pas aux traitements administrés aux aliénés, mais s’intéressait également à leur condition juridique et au projet de leur réinsertion sociale –, Juliano Moreira obtint que le Congrès national vote dans l’urgence le décret législatif no 1 132 du 22 décembre 1903, approuvé par le président l’année suivante. De façon générale, cette loi étendait le contrôle de l’État, dans les établissements privés comme publics, en garantissant à ses représentants le pouvoir de restriction des libertés individuelles des malades mentaux. À partir de là, la figure du psychiatre gagna en autorité et autonomie.

30Entre 1903 et 1905, Moreira fit transformer les installations de l’hôpital. Les pavillons existants furent rénovés (en retirant les barreaux aux fenêtres) et de nouvelles installations furent construites afin de sectoriser les internés par sexe, âge et type de maladie. Moreira fit également supprimer les camisoles de force et, à partir de 1905, mit en place une école d’infirmerie psychiatrique dans les annexes de l’hôpital, afin de garantir la formation des professionnels qui travaillaient quotidiennement avec les patients (le projet, déjà imaginé par les directeurs précédents, ne vit finalement le jour que quinze ans plus tard, avec le psychiatre Gustavo Riedel). De même, toujours sous l’influence du modèle allemand, Moreira mit en place la clinothérapie, faisant construire des bâtiments pour le repos et les bains prolongés. Il projeta également la création d’un laboratoire à l’intérieur de l’hôpital ainsi que la construction d’un centre chirurgical. Il fit installer un service d’ophtalmologie et recruta des médecins spécialisés en pédiatrie. Enfin, geste de forte valeur symbolique, il renonça en tant que directeur à son grand bureau du premier étage dans le bâtiment principal pour occuper une petite pièce du rez-de-chaussée et ainsi rester accessible à ses patients.

  • 44 Juliano Moreira, « Notícia sobre a evolução da assistência a alienados no Brasil », Revista latino (...)

31Une autre réforme importante qui allait dans le sens des nouvelles approches aliénistes fut la création d’ateliers, qui servaient à l’ergothérapie, mais aussi au fonctionnement de l’institution et à la préparation de la réinsertion sociale des patients après leur sortie. Moreira soutenait que, pour des raisons historiques, la majeure partie des internés psychiatriques étaient des gens pauvres, noirs et métis, et que beaucoup d’affections qu’ils présentaient (comme l’alcoolisme) avaient des causes historiques, sociales et économiques, et non une prédestination raciale44. Analysant l’évolution de l’assistance aux aliénés dans un article écrit au milieu du processus de réformes qu’il engageait à l’hôpital, il notait ainsi, à propos des milliers d’Africains mis en esclavage et amenés par la traite atlantique :

  • 45 Ibid., p. 729

L’alcool a représenté dans le processus barbare de la colonisation le plus grand rôle imaginable. Ils ont cherché avec l’alcool à augmenter la passivité des victimes, mais en même temps ont été infiltrer dans les neurones des éléments dégénératifs qui, avec le temps, sont à l’origine de beaucoup de tares actuelles, attribuées à la race et au métissage par tous ceux qui ne veulent pas se donner la peine d’approfondir l’origine des faits45.

Un scientifique renommé

  • 46 Ynaê Lopes dos Santos, Juliano Moreira. O médico negro na fundação da psiquiatria brasileira, Nite (...)

32Chercheur invétéré, Moreira fut fondateur et membre d’une dizaine de revues et associations scientifiques brésiliennes, comme la Sociedade Brasileira de Neurologia, Psiquiatria e Medicia Legal (créée en 1907). Scientifique reconnu, il créa une « école de psychiatrie » informelle à l’Hôpital national des aliénés, ayant pour disciples les grands noms de la médecine de la capitale fédérale. Il représenta le Brésil à plusieurs reprises dans différents congrès et séminaires internationaux et reçut plus tard à son tour des figures illustres, comme le scientifique Albert Einstein, qui visita Rio en 1925 et qui nota avoir été impressionné par le « mulâtre » qui dirigeait l’Hôpital national. À l’inverse, étant donné sa position sociale, lorsque les journaux cariocas suivaient et commentaient sa vie professionnelle46, jamais les reportages ne mentionnaient qu’il était Noir.

Fig. 1 : Juliano Moreira, s. d.

Fig. 1 : Juliano Moreira, s. d.

Source : Journal Correio da Manhã (Rio de Janeiro).

  • 47 Cristina Facchinetti, Pedro F. Muñoz, « Emil Kraepelin na ciência psiquiátrica do Rio de Janeiro, (...)

33En 1909, il participa à l’assemblée générale de la Royal Medico-Psychological Association de Londres, ayant été élu comme l’un de ses quinze correspondants dans le monde. L’année suivante, il fut le seul psychiatre américain mentionné, avec son portrait et une notice biographique, dans la Galerie de psychiatres remarquables publiée par le Séminaire de psychiatrie et neurologie de Halle, en Allemagne. En 1913, il représenta le Brésil au comité international de la Ligue internationale contre l’épilepsie en Allemagne. Depuis longtemps, Juliano Moreira dialoguait avec la psychiatrie allemande et adoptait une méthodologie d’étude comparée47, grâce à laquelle il critiqua frontalement les relations alors établies entre maladies mentales, race et climat.

  • 48 Juliano Moreira, « Algo sobre doenças nervosas e mentais no Brasil », Revista íbero-americana, 8, (...)
  • 49 Manuel Querino, « O colono preto como fator da civilização brasileira », Afro-Ásia, 13, 1980, p. 1 (...)

34Croyant fermement à l’existence de maladies sociales, il s’employa à réexaminer l’histoire du Brésil, une démarche selon lui cruciale pour comprendre que « l’élément noir entra lui aussi dans le bouillon et [que] ses descendants purs ou métis ont toujours été un facteur incontournable de l’histoire de l’évolution du Brésil dans la voie du progrès le plus évident48 ». Il fournit aussi, à travers la pratique médicale et la recherche, une série d’arguments pour envisager de manière positive la contribution de ces hommes et de ces femmes à l’histoire du Brésil. Il faisait ainsi écho aux interventions de son contemporain et compatriote de Bahia Manuel Querino, qui militait ouvertement pour la nécessité de penser les contributions des Africains et de leurs descendants dans l’histoire du Brésil, notamment à travers leur fonction de travailleurs, argument qui traverse son article « O colono preto como fator da civilização brasileira », publié en 191849.

35La défense de la contribution du Noir dans l’histoire brésilienne apparaît également entre les lignes de la conférence qu’il donna à la fin de sa carrière à Hambourg en 1929. Alors qu’il avait acquis une réputation scientifique internationale, Juliano Moreira se positionna une fois de plus contre le déterminisme racial encore défendu par beaucoup de ses collègues :

  • 50 Juliano Moreira, « Algo sobre doenças nervosas e mentais no Brasil », art. cit., p. 7.

Les différences que j’ai rencontrées dépendent plus du degré d’instruction et d’éducation de chacun des sujets examinés que du groupe ethnique auquel il appartient. Ainsi, il se trouve des individus appartenant à des groupes ethniques considérés comme inférieurs, qui nés et ayant grandi dans une grande ville, présentent de meilleurs profils psychologiques que des individus provenant de races nordiques, élevés à l’intérieur du pays dans un milieu arriéré50.

  • 51 Ce dernier texte permet d’établir un dialogue entre l’œuvre de Juliano Moreira et les analyses fai (...)

36Juliano Moreira affirma donc en 1929 que l’accès à l’éducation et à l’instruction déterminait bien plus la trajectoire d’un individu que sa couleur de peau ou son type de cheveux. Les différents degrés d’évolution qui distinguaient les groupes humains n’étaient donc pas déterminés par la race ou l’ethnie, mais par les conditions sociales dont les individus faisaient l’expérience51. Gilberto Freyre allait d’ailleurs récupérer une partie des arguments de Moreira dans l’élaboration de son interprétation de l’histoire du Brésil et de la société brésilienne. Freyre publia ainsi dans les Novos estudos afro-brasileiros de 1937 un texte posthume de Moreira, rédigé par sa veuve, qui reprenait les principales conclusions de sa conférence de Hambourg en 1929. Dans son homélie prononcée à l’occasion de la mort de Moreira, l’anthropologue Edgar Roquette-Pinto rappela la dispute entre les deux grands noms de la médecine brésilienne :

  • 52 Edgar Roquette-Pinto, « Discurso : à memória de Juliano Moreira. Fundador e presidente da Academia (...)

[…] L’anthropologie fit partie des honnêtes préoccupations de Juliano Moreira. L’ethnologie et l’histoire. La curiosité intellectuelle est la caractéristique la plus saillante qui puisse décrire les grandes âmes. Il était ainsi amoureux de la musique et des sciences naturelles. Disciple chéri de l’école de Nina Rodrigues, en matière d’anthropologie, il s’éloigna du maître, quant aux théories relatives au classement des races humaines et à leurs croisements. Dans ce domaine, il esquissa un schéma de nos types anthropologiques, qui s’il ne peut être accepté intégralement, dessine une importante orientation, sûre et marquée, appuyée par des vérifications objectives52.

  • 53 Jorge Antonio Rangel, Edgard Roquette-Pinto, Recife, Fundação Joaquim Nabuco, Editora Massangana, (...)

37Ces propos soulignent ainsi la contribution majeure de Juliano Moreira à la formation d’un savoir sur la nation brésilienne, savoir qui était le champ de recherche de Roquette-Pinto lui-même, également formé en médecine, directeur du Museu Nacional et auteur d’une recherche qui faisait alors référence sur les types anthropologiques brésiliens classés selon différentes combinaisons de métissage53. Ainsi, le texte de la conférence de Moreira à Hambourg, qui s’attelle globalement à la démonstration de l’inexistence des races, venait conclure une carrière médicale en psychiatrie qui, du fait de la place que la médecine et la psychiatrie occupaient dans l’action publique et l’opinion, était aussi une trajectoire politique.

Conclusion

38Personnage central de l’histoire de la psychiatrie brésilienne, Juliano Moreira est identifié par la bibliographie comme le porteur des principales réformes qui ont traversé la pratique clinique, mais aussi le regard sur la maladie mentale au Brésil dans le premier tiers du xxe siècle. Il est en effet l’introducteur des méthodes biologiques et aliénistes de l’école psychiatrique allemande, qui ont conduit à la transformation des établissements psychiatriques et de leur organisation. Il a aussi fortement contribué à la médicalisation de la folie et à son autonomisation de la sphère pénale et judiciaire. Or, comme on l’a vu, ces innovations et réformes sont indissociables de sa position de départ contre la théorie raciale, assumée avec fermeté dès le tout début de sa carrière, y compris face au médecin le plus établi de son temps. La position de Moreira sur le paradigme de la dégénérescence et donc de l’inégalité, puis plus généralement sur l’existence même des races, était évidemment liée à sa propre condition raciale dans la société post-esclavagiste bahianaise. Nous avons ainsi souligné trois étapes fondatrices de ces confrontations avec les paradigmes dominants, qui débouchent intellectuellement et professionnellement vers l’exploration des trois grands domaines d’innovation à l’origine de la révolution psychiatrique du début du xxe siècle. La première démarche fut celle de sa thèse de médecine, qui consista à rechercher du côté de la biologie microbienne des informations sur le développement de la maladie, à l’instar des grandes découvertes pasteuriennes et brésiliennes (bactérie à l’origine de la maladie de Chagas, par exemple, découverte par le médecin du même nom en 1909). Dans sa confrontation avec Nina Rodrigues, qui eut là encore pour point de départ le refus de considérer la race comme un facteur déterminant de la maladie, Moreira explora les caractères héréditaires et génétiques de la maladie mentale, rejoignant ainsi les courants eugéniques qui se développaient à l’échelle mondiale et qui médicalisaient la maladie mentale, cette fois du côté de l’anatomie pathologique. Enfin, les réformes institutionnelles au sein de l’établissement qu’il dirigea furent inspirées, quant à elles, par l’accent mis sur les facteurs environnementaux et la distinction que Moreira établit de manière précoce entre maladies constitutives et maladies sociales, qui selon lui renvoyaient aux conditions de vie et d’éducation de la population et non pas à des caractères raciaux. Cette approche hygiéniste, environnementale et sociale fut également associée à l’introduction des techniques freudiennes de transfert au sein de son hôpital dès la fin des années 1910.

39Ces innovations et positions ne sont pas simplement importantes pour l’histoire de la psychiatrie ; étant donné la place et le rôle politique des médecins dans l’opinion et l’action publique à cette période, elles correspondent aussi à des orientations cruciales pour la démocratisation de la société. Elles montrent en outre qu’il faut donner raison à Marcos Maio lorsqu’il avance qu’il existait au Brésil un eugénisme hygiéniste qui n’était pas fondamentalement raciste et orienté vers le contrôle et la discipline des corps, mais qui au contraire avait pour enjeu la formation d’une société nationale prenant appui sur sa composante africaine. Ainsi, Moreira, s’il a lui-même défendu l’idée d’un tri eugénique à la migration, proposant l’expulsion des malades mentaux souhaitant s’installer sur le territoire brésilien, a toujours dissocié cette proposition d’un tri fondé sur l’appartenance raciale. En même temps, il a voulu mettre en évidence la valeur de la composante noire de la population et son rôle positif dans la construction d’une société nationale, position qui a triomphé chez les intellectuels de la fin des années 1930. La psychiatrie aura donc servi de terrain d’élaboration d’une autre conception de la nation et d’une possible transformation de l’héritage esclavagiste.

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Notes

1 Juliano Moreira, Etiologia da syphilis maligna précoce, tese (doutoramento em medicina), faculdade de medicina de Bahia, 1891.

2 Lilia Moritz Schwarcz, O espetáculo das raças. Cientistas, instituições e questão racial no Brasil, 1870-1930, São Paulo, Companhia das Letras, 1993, p. 287.

3 Vera Portocarrero, Arquivos da loucura. Juliano Moreira e a descontinuidade histórica da psiquiatria, Rio de Janeiro, Editora Fiocruz, 2002.

4 Après sa mort en 1933, plusieurs institutions furent rebaptisées en sa mémoire, comme l’hôpital psychiatrique Juliano Moreira à Salvador ou la colonie Juliano Moreira à Rio de Janeiro. Sa contribution est également scientifique, avec la publication d’une centaine d’articles qui continuent d’être discutés jusqu’à nos jours : Ana Teresa A. Venâncio, « História do saber psiquiátrico no Brasil. Ciência e assistência em debate », História, ciências, saúde – Manguinhos, 10 (3), 2003, p. 1087‑1093.

5 Magali Gouveia Engel, Os delírios da razão. Médicos, loucos e hospícios (Rio de Janeiro, 1830-1930), Rio de Janeiro, Editora da Fundação Oswaldo Cruz, 2001.

6 William Vaz de Oliveira, A assistência a alienados na cidade do Rio de Janeiro (1852-1930), Rio de Janeiro, Editora Fiocruz, 2017.

7 Sur la réforme psychiatrique initiée par Juliano Moreira, voir Magali Gouveia Engel, Os delírios da razão…, op. cit. ; William Vaz de Oliveira, A assistência a alienados na cidade do Rio de Janeiro…, op. cit ; Ana Teresa A.Venâncio, « História do saber psiquiátrico no Brasil… », art. cit.

8 Parmi les ouvrages sur la période post-abolitionniste qui envisagent de déconstruire l’invisibilisation des Noirs dans l’expérience républicaine : Flávio dos Santos Gomes, Petrônio Domingues, Políticas da raça. Experiências e legados da abolição e do pós-emancipação no Brasil, São Paulo, Selo Negros Edições. 2014 ; Flávio dos Santos Gomes, Olívia Maria Gomes da Cunha (dir.), Quase-cidadãos. Histórias e antropologias da pós-emancipação no Brasil, Rio de Janeiro, Editora FGV, 2007 ; Martha Pereira Abreu, Matheus Serva Pereira, Caminhos da liberdade. Histórias da abolição e do pós-abolição no Brasil, Niterói, Editora da Universidade Federal Fluminense, 2001.

9 Nicolau Sevcenko, « Introdução. O prelúdio republicano, astúcias da ordem e ilusões do progresso », dans Nicolau Sevcenko (dir.), História da Vida Privada no Brasil, t. 3 : República. Da Belle Époque à Era do Rádio. São Paulo, Companhia das Letras, 1998, p. 7-48.

10 Sidney Chalhoub, Cidade febril. Cortiços e epidemias na corte imperial, São Paulo, Companhia das Letras, 1996.

11 Marcos Chor Maio, « Raça, doença e saúde pública no Brasil. Um debate sobre o pensamento higienista do século xix », dans Marcos Chor Maio, Ricardo Ventura Santos, Raça como questão. História, ciência, e identidade no Brasil, Rio de Janeiro, Editora Fiocruz/FAPERJ, 2010, p. 51-81.

12 Magali Gouveia Engel, Os delírios da razão…, op. cit.

13 Nancy Leys Stepan, The Hour of Eugenics. Race, Gender, and Nation in Latin America, Ithaca, Cornell University Press, 1991.

14 Magali Gouveia Engel, « Psiquiatria, questão racial e identidade nacional no pensamento de Juliano Moreira, Rio de Janeiro », s. d., manuscrit, 11 p. ; Ana Maria Galdini Raimundo Oda, « A teoria da degenerescência na fundação da psiquiatria brasileira. Contraposição entre Raimundo Nina Rodrigues e Juliano Moreira », Psychiatry on line Brasil, 6 (12), 2001, en ligne : http://www.polbr.med.br/ano01/wal1201.php (consulté le 21 décembre 2021) ; Evandra Viana de Freitas, Quem sai aos seus não degenera. Juliano Moreira e a teoria abrasileirada da degenerescência social (1872-1933), dissertação de mestrado em memória, linguagem e sociedade, Universidade Estadual do Sudoeste da Bahia, 2018.

15 Lilia Moritz Schwarcz, O espetáculo das raças…, op. cit.

16 Ibid., p. 56.

17 Gabriela dos Reis Sampaio, Nas trincheiras da cura. As diferentes medicinas no Rio de Janeiro imperial. Campinas, Editora Unicamp, 2002.

18 Mariza Corrêa, As ilusões da liberdade. A escola Nina Rodrigues e a antropologia no Brasil, Bragança Paulista, Editora da Universidade São Francisco, 2002.

19 Raimundo Nina Rodrigues, As raças humanas e a responsabilidade penal no Brasil, Rio de Janeiro, Editora Guanabara, 1898, p. 219.

20 Les arguments et les recherches de Nina Rodrigues eurent un grand impact non seulement sur la formulation d’une politique hygiéniste, mais également sur l’établissement d’un projet de nation qui faisait du blanchiment de la population une politique publique. Rappelons qu’en 1911, l’anthropologue João Baptista de Lacerda fut désigné par le président du Brésil Hermés Rodrigues da Fonseca pour représenter le pays au Ier Congrès des races qui se tint à Londres. À cette occasion, Lacerda présenta un projet d’envergure nationale, qui avait pour objectif la disparition de la population noire du Brésil. Dans son exposé, il promettait que si les classes dirigeantes du pays maintenaient leur politique d’immigration de jeunes travailleurs issus de l’Europe catholique, le Brésil deviendrait en cent ans un pays entièrement blanc. La proposition de Lacerda justifiait les investissements publics dévolus à ce processus, à savoir une subvention à la migration pour 3,8 millions de voyages depuis l’Europe vers le Brésil entre 1887 et 1930.

21 Gilberto Hochman, « Condenado pela raça, absolvido pela medicina. O Brasil descoberto pelo movimento sanitarista da Primeira República », dans Marcos Chor Maio, Ricardo Ventura Santos (dir.), Raça, ciência e sociedade, Rio de Janeiro, Editora Fiocruz, 1996, p. 24.

22 Sidney Chalhoub. Cidade febril…, op. cit.

23 Nicolau Sevcenko, A revolta da vacina. Mentes insanas em corpos rebeldes, São Paulo, Editora Scipione, 1993.

24 Marcos Chor Maio, « Raça, doença e saúde pública no Brasil… », art. cit.

25 Fils d’un père portugais blanc et d’une mère noire, Juliano Moreira était un homme métis (pardo). Sa peau plus claire a pu faciliter son insertion sociale dans un pays où le fait d’avoir un teint clair rapprochait de l’idéal type du citoyen. Beaucoup d’hommes et de femmes considérés comme métis occupèrent une position intermédiaire dans une société forgée par le racisme. Ce fut le cas par exemple de l’abolitionniste Luís Gama (1830-1882) ou de l’écrivain Machado de Assis (1839-1908). Toutefois, même en étant issues de relations interraciales, ces personnes partageaient le sort des « populations de couleur ».

26 Stuart B. Schwartz, Stephen Gudeman, « Purgando o pecado original. Compadrio e batismo de escravos na Bahia no século xviii », dans João José Reis (dir.), Escravidão e invenção da liberdade. Estudos sobre o negro no Brasil, São Paulo, Brasiliense, 1988, p. 39-59.

27 Alexandre Passos, Juliano Moreira (vida e obra), Rio de Janeiro, Livraria São José, 1975.

28 Ronaldo R. Jacobina, Juliano Moreira da Bahia para o mundo. A formação baiana do intelectual de múltiplos talentos (1872-1902), Salvador, Editora da Universidade Federal de Bahia, 2019.

29 Juliano Moreira, Etiologia da syphilis maligna precoce, op. cit.

30 Ronaldo R. Jacobina, « Nem clima nem raça. A visão médico-social do acadêmico Juliano Moreira sobre a sífilis maligna precoce », Revista baiana de saúde pública, 38 (2), 2014, p. 432-465.

31 Ronaldo R. Jacobina, Juliano Moreira da Bahia para o mundo…, op. cit., p. 109.

32 Ibid., p. 79.

33 Magali Gouveia Engel, « Os intelectuais e a liga de defesa nacional. Entre a eugenia e o sanitarismo ? (RJ, 1916-1933) », Intellèctus, 11 (1), 2012, p. 1-30.

34 Juliano Moreira, « Existe na Bahia o botão de Biskra ? Estudo clínico », Gazeta médica da Bahia, 26 (8), 1895, p. 254-258.

35 Magali Gouveia Engel, Os delírios da razão…, op. cit.

36 Maria Ruth Sampaio, A promoção privada de habitação econômica e a arquitetura moderna, 1930-1964, São Carlos, RiMa Editora/FAPESP, 2002.

37 Au cours de la Première République (1889-1930), très peu de Noirs ont occupé des charges publiques. Cette situation était en partie l’héritage des lois qui interdisaient l’alphabétisation des esclaves dans le Brésil impérial. Mais la proclamation de la République ne fit pas non plus de l’éducation un droit social universel. Pauvres, Noirs et métis étaient, dans leur immense majorité, analphabètes, et ainsi écartés de nombreux espaces politiques et sociaux. Dans le domaine de la psychiatrie, Juliano Moreira fut la principale exception. Peu de psychiatres noirs atteignirent une telle notoriété après lui. Dans le champ de la psychanalyse (dont Moreira fut l’un des pionniers), on peut signaler Virginia Leone Bicudo (1910-2003), sociologue et psychanalyste noire, dont le rôle fut fondamental pour le développement du freudisme au Brésil ainsi que pour la prise en compte des questions raciales par la psychanalyse.

38 Ronaldo R. Jacobina, Juliano Moreira da Bahia para o mundo…, op. cit.

39 Juliano Moreira, « Querelantes e pseudo-querelantes », Arquivos brasileiros de psiquiatria, neurologia e medicina legal, 4, 1908, p. 426-434.

40 Alexandre Passo, Juliano Moreira (vida e obra), op. cit. ; Ronaldo R. Jacobina, Juliano Moreira da Bahia para o mundo…, op. cit.

41 William Vaz de Oliveira, A assistência a alienados na cidade do Rio de Janeiro…, op. cit.

42 Nicolau Sevcenko, « Introdução. O prelúdio republicano… », art. cit.

43 William Vaz de Oliveira, A assistência a alienados na cidade do Rio de Janeiro…, op. cit.

44 Juliano Moreira, « Notícia sobre a evolução da assistência a alienados no Brasil », Revista latinoamericana de psicopatologia fundamental, 14 (4), 2011, p. 728-768 [Arquivos brasileiros de psychiatria, neurologia e ciencias affins, 1 (1), 1905, p. 52-98].

45 Ibid., p. 729

46 Ynaê Lopes dos Santos, Juliano Moreira. O médico negro na fundação da psiquiatria brasileira, Niterói, Editora da Universidade Federal Fluminense, 2020.

47 Cristina Facchinetti, Pedro F. Muñoz, « Emil Kraepelin na ciência psiquiátrica do Rio de Janeiro, 1903-1933 », História, ciências, saúde – Manguinhos, 20 (1), 2013, p. 239-262.

48 Juliano Moreira, « Algo sobre doenças nervosas e mentais no Brasil », Revista íbero-americana, 8, 1929.

49 Manuel Querino, « O colono preto como fator da civilização brasileira », Afro-Ásia, 13, 1980, p. 143-158.

50 Juliano Moreira, « Algo sobre doenças nervosas e mentais no Brasil », art. cit., p. 7.

51 Ce dernier texte permet d’établir un dialogue entre l’œuvre de Juliano Moreira et les analyses faites sur le racisme peu de temps après par un autre psychiatre noir, Frantz Fanon. Bien que l’approche de Peau noire, masques blancs, publié en 1952, soit plus psychanalytique, Moreira comme Fanon attribuent à la colonisation l’origine des violences symboliques et physiques qui traversent la vie des personnes noires, pouvant les conduire à la folie. Pour tous les deux, bien que de façon différente, le racisme est une part constitutive du psychisme du sujet noir.

52 Edgar Roquette-Pinto, « Discurso : à memória de Juliano Moreira. Fundador e presidente da Academia : ata da sessão ordinária de 23 de maio de 1933 », Annales da Academia brasileira de siencias, 5 (2), 1933, p. 94-97, ici p. 95

53 Jorge Antonio Rangel, Edgard Roquette-Pinto, Recife, Fundação Joaquim Nabuco, Editora Massangana, 2010.

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Table des illustrations

Titre Fig. 1 : Juliano Moreira, s. d.
Légende Source : Journal Correio da Manhã (Rio de Janeiro).
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Pour citer cet article

Référence papier

Ynaê Lopes dos Santos, « Race et folie dans la psychiatrie de Juliano Moreira au Brésil (1873-1933) »Histoire, médecine et santé, 20 | 2022, 69-88.

Référence électronique

Ynaê Lopes dos Santos, « Race et folie dans la psychiatrie de Juliano Moreira au Brésil (1873-1933) »Histoire, médecine et santé [En ligne], 20 | hiver 2021, mis en ligne le 12 avril 2022, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/5251 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.5251

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Auteur

Ynaê Lopes dos Santos

Universidade Federal Fluminense, Rio de Janeiro

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Droits d’auteur

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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