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Comptes rendus

CAROL Anne, Physiologie de la veuve. Une histoire médicale de la guillotine

Seyssel, Champ Vallon, 2012
Laurence Talairach-Vielmas
p. 122-126
Référence(s) :

CAROL Anne, Physiologie de la veuve. Une histoire médicale de la guillotine, Seyssel, Champ Vallon, 2012, 309 p.

Texte intégral

1L’ouvrage d’Anne Carol, Physiologie de la veuve. Une histoire médicale de la guillotine, propose un voyage au cœur de l’histoire de la guillotine, de la Révolution française à la Première Guerre mondiale, examinant tout particulièrement la part jouée par le corps médical, des représentations savantes des mécanismes de la mort à l’utilisation des corps des suppliciés à des fins scientifiques. Comme l’explique l’auteure, si la guillotine résulte du travail d’un médecin, Joseph Ignace Guillotin (1738-1814) et d’un chirurgien, Antoine Louis (1723-1792), ses liens avec le corps médical ne s’arrêtent pas là. Car derrière l’histoire de la technique développée pour les peines capitales s’écrit également toute l’histoire d’une culture savante de la mort, une mort étudiée, définie et même normée par le corps médical. C’est, en effet, surtout au XVIIIe siècle que se développe un savoir sur la mort, alors que la certitude des signes du décès est mise en débat dans les écrits médicaux, comme ceux de Jacques-Jean Bruhier (1686?-1756) (inspirés des travaux de Jacques-Bénigne Winslow, qu’il a traduits) ou d’Antoine Louis.

2L’ouvrage montre comment la guillotine s’inscrit dans un mouvement qui vise à humaniser une mort pénale, les améliorations apportées à la machine pour faciliter ou accélérer la décollation témoignant d’une prise de conscience des enjeux éthiques liés à la peine de mort. Les histoires de têtes animées à l’issue de la décollation ne manquent pas, alimentant ou incitant peut-être les recherches sur la douleur post-décollation. Or cette douleur se présente comme étant autant physique que morale, la survie du cerveau quelques minutes après la décollation entraînant de fait celle de la conscience. Cette réflexion menée au sein du corps médical démontre les liens étroits entre guillotine et thanatologie savante, à une époque où les médecins mécanistes croient aux propriétés de la fibre (vue comme une composante essentielle du corps humain dès le XVIIe siècle).

3L’ouvrage aborde également les liens entre guillotine et médecine en examinant les expérimentations faites sur les corps des suppliciés, à l’heure où l’utilisation de l’électricité donne lieu à de multiples galvanisations, les expériences de Luigi Galvani (1737-1798) et son neveu Giovanni Aldini (1762-1834), ou encore celles du chirurgien français Dominique Larrey (1766-1842), ne manquant pas d’inspirer la scène littéraire, comme Mary Shelley dans Frankenstein (1818), ainsi que les romanciers qui lui emboîteront le pas. Au XIXe siècle, les têtes coupées sont prisées des physiologistes dont les expérimentations frôlent parfois le grotesque, faisant grimacer les restes humains. L’étude ne se cantonne pas aux expériences électriques : dans les années 1880, une nouvelle forme de manipulation médicale des restes des suppliciés apparaît : la transfusion. Charles Édouard Brown-Sequard (1817-1894), Alfred Vulpian (1826-1887), Charles Robin (1821-1885) ou Jean-Baptiste Vincent Laborde (1831-1903) sont autant de physiologistes qui multiplient les expériences entre 1880 et 1885. Or c’est à ce moment-là qu’apparaissent les premières demandes de condamnés à mort, refusant que leur corps soit remis à la Faculté de médecine, tandis que dès 1885, des personnalités comme Paul Bert commencent à prendre position contre ces expériences.

4Mais l’ouvrage ne se limite pas à retracer l’histoire des recherches médicales. L’impact de ces dernières sur la scène culturelle est sans cesse mis en lumière, Anne Carol mesurant systématiquement la diffusion des savoirs médicaux et étudiant les représentations artistiques de la guillotine. Les têtes coupées font, en effet, l’objet de mises en scène plus ou moins spectaculaires. Le XIXe siècle est obsédé par la mort apparente et hanté par l’angoisse des inhumations prématurées. La survie temporaire des guillotinés alimente d’autant plus le débat sur les incertitudes qui concernent la réalité de la mort. Dans les années 1830, expériences et observations physiologiques se multiplient, transformant peu à peu l’image des médecins. Ceux-ci, comparés aux bourreaux dès la fin du XVIIIsiècle, comme en témoignent les chansons satiriques de l’époque, sont de plus en plus présents sur la scène littéraire au fil du XIXe siècle. Les expériences menées au pied de l’échafaud se retrouvent chez Alexandre Dumas qui, dans « Les Mille et un fantômes » (1849) se joue des galvanisations effectuées sur les restes des suppliciés. Dans Le Dernier jour d’un condamné (1829) de Victor Hugo, la douleur du décapité est mise en récit, l’expérience de la conscience dans la tête détachée du corps sur la scène littéraire participant à la relance de la question latente de la survie. Pour Anne Carol, les incertitudes liées aux signes de la mort expliquent la multiplication de récits jouant sur les inhumations prématurées, à l’instar de Hyacinthe Le Guern, dans Rosoline ou les mystères de la tombe, recueil historique d’événements nécessitant qu’on prenne des précautions pour bien constater l’intervalle qui peut s’écouler entre la mort imparfaite et la mort absolue (1833), tout comme le Colonel Chabert (1832) de Balzac, qui met en scène la question de la survie après la décollation, ces deux exemples touchant aux limites entre vie et mort comme entre fiction et réalité. L’inscription d’un savoir scientifique au cœur de la fiction permet des effets de réels plus ou moins sensationnels ou même comiques dans certains cas, comme chez Villiers de l’Isle-Adam (« Les Phantasmes de M. Redoux », 1866) ou Paul Arenel, dans L’Homme sans tête ou le guillotiné stupéfait (1883). Eugène Sue, non plus, ne manque pas de pointer le débat sur la question de la douleur dans Les Mystères de Paris (1842-42), tandis que chez Alexandre Dumas (Georges (1843), « Les Mille et un fantômes », Le Docteur mystérieux, écrit en 1867, publié en 1872), les têtes coupées font frissonner les lecteurs. Le retour du fantôme du décapité, comme chez Washington Irving (Contes d’un voyageur, 1824) ou dans La Femme au collier de velours (1850) de Dumas ou encore la version de Gaston Leroux de 1924, devient un topos de la littérature fantastique. Dans le domaine de l’art visuel, les Pensées et visions d’une tête coupée (1853) d’Antoine Wiertz continuent à alimenter le débat et peut-être même aussi la cause abolitionniste, déjà amorcée par l’œuvre de Victor Hugo. Les données les plus récentes en physiologie, comme celles qui associent décapitation et mort par asphyxie, se retrouvent posées sur la toile, tandis que les spectacles forains, dans le sillon des cabinets de cire du XVIIIIe siècle (comme la tête de Cartouche par Guillaume Desnoues ou la Caverne des grands voleurs de Curtius, boulevard du Temple) multiplient les attractions qui jouent sur des têtes coupées. Expositions itinérantes ou permanentes (Grévin, Spitzner, etc.), fantasmagories, ou pantomimes n’auront de cesse à la fin du XVIIIe et tout au long du XIXe siècle de divertir ou faire frissonner le public avec des têtes coupées qui flottent et s’animent, interrogeant du même coup les frontières de la vie et de la mort. Sur la scène littéraire, comme chez Dumas (L’Histoire d’un mort racontée par lui-même, 1844), comme sur la scène artistique, à l’instar de Weitz (L’Inhumation précipitée, 1854), morts-vivants et têtes coupées participent au développement d’un genre narratif fantastique qui témoigne de la présence de la question de la survie du guillotiné au cœur des représentations collectives. Car c’est au milieu du XIXe siècle que la presse populaire s’empare du fait divers criminel, proposant des récits de plus en plus sensationnels qui dépassent les expériences médicales, avec détails techniques et explications pseudo-scientifiques (Léon Leconte, « La Tête du décapité », Villiers de l’Isle-Adam, « Le Secret de l’échafaud », 1883). Les récits s’inspirent de figures réelles (comme Villiers de l’Isle-Adam, utilisant le Dr Couty de la Pommerais et le chirugien Velpeau, qui avait témoigné lors du procès). Dans les dernières décennies du siècle, le « Baiser suprême » (1889) d’Henri Conti, ou « Le Décapité récalcitrant » (1892) de Méliès, à l’écran, continuent de jouer sur les têtes coupées et l’expérience de la décapitation. Le médecin joue un rôle de plus en plus significatif dans ces œuvres, comme dans La Guillotine (1886) d’Henri le Verdier, où le Dr Hieronimus, tente l’hypnose pour accéder à l’expérience subjective de la décapitation, une expérience qui vire au cauchemar dans « Le Rêve de la mort » de Gaston Danville (Armand Blocq) pour l’anatomiste qui autopsie la tête d’un guillotiné.

5Les interrogations autour de la survie du décapité permettent également de repenser les exécutions militaires afin de rendre la mort plus sûre et plus instantanée. Les supplices exotiques (comme les chinois, popularisés par Le Jardin des supplices d’Octave Mirbeau (1899) ou africains) paraissent de plus en plus barbares par comparaison avec les modes d’exécution occidentaux. L’électrocution fait son entrée en scène, marquant une tendance fin de siècle de plus en plus prononcée en faveur d’une mort de moins en moins visible. Cette euphémisation de la mort, qui s’accompagne d’une occultation progressive du supplicié et d’une évacuation de la violence pose déjà les jalons des mises à mort chimiques ou pharmaceutiques du siècle suivant, même si cela implique la disparition du côté édifiant ou dissuasif des exécutions.

6Anne Carol aborde également, dans la cinquième partie, la question de l’utilisation muséale du corps des condamnés (voir le corps de la Lescombat, plongé dans des liqueurs et conservé dans sa peau comme s’il était vivant, avec ajout d’yeux d’émail). Le no man’s land juridique dans lequel le corps du condamné se trouve, notamment juste avant son exécution, se frotte aux règlements et usages locaux, même si les exhumations dérogatoires par les médecins sont légion. D’ailleurs, les inhumations sont à peine simulées, les corps ne restant pas plus de quelques heures en terre lorsqu’ils arrivent jusqu’au lieu d’inhumation et ne sont pas disséqués au pied de l’échafaud ou dans le fourgon mortuaire. Avec l’avènement de la craniologie et le développement de l’anthropologie criminelle, les crânes sont de plus en plus prisés, alimentant les travaux en neurologie (notamment les recherches en localisation cérébrale) dans le dernier tiers du siècle. Encore une fois, la presse populaire n’épargne aucun détail sur les dissections et anatomies intimes des célèbres suppliciés, le crime inspirant un nouveau genre littéraire. L’usage muséal des restes des suppliciés préparés pour être conservés derrière des vitrines explique le développement de nombreuses collections anatomiques (Musée Orfila, Muséum National d’Histoire Naturelle, l’école de médecine navale de Rochefort), qui exposent crânes, têtes momifiées, moulages, et parfois même cerveaux, cœurs, mains ou peaux des suppliciés. D’une façon significative, ces mises en scène n’ont rien de scientifique, les notices ne donnant que peu ou pas de détails anatomiques, mais soulignant, au contraire, les vices des suppliciés. Cet « anti-cimetière » (252) que devient le musée anatomique, selon le joli mot d’Anne Carol, qui voit en la notice le double inversé de l’épitaphe, se raréfiera au fil du XIXe siècle et au cours du siècle suivant, alors que la filière hospitalière s’épuisera, les corps des malades étant de plus en plus disputés par les proches. Faute d’approvisionnement et avec le développement d’autres supports visuels pour la formation médicale, ces musées d’anatomie tomberont alors peu à peu en désuétude. L’utilisation des corps des suppliciés ne s’arrête pas aux portes du musée : les parties de corps sont parfois aussi utilisées comme trophées ou talimans ; l’on fabrique même des portes-cartes avec leur peau. Malgré les demandes des condamnés (comme dans le cas de Campi en 1884), les dépouilles sont remises à la Faculté de médecine et les restes disséqués ou répartis dans les collections des professeurs. Il faudra attendre 1888, avec Stanislas Prado, pour que les vœux des condamnés soient enfin pris en compte et respectés.

7Comme l’explique l’auteure, si ces pratiques d’expérimentation sur ou d’usage du corps des suppliciés, signe d’une « logique réificatrice » (252), s’inscrivent en porte-à-faux par rapport à l’esprit des réformes révolutionnaires, elles vont également à l’encontre des sensibilités funéraires du XIXe siècle. Celles-ci s’accompagnent d’un véritable culte des morts, visible notamment dans le développement des portraits mortuaires, moulages et ouvrages en cheveux ou autres reliques, illustrant une volonté marquée de conservation des restes (avec, no-tamment, l’engouement pour la pratique de l’embaumement) et une individualisation des sépultures. Pourtant, les suppliciés n’ont droit à aucune forme de respect, semble-t-il, et ne disposent de leur corps ni de leur vivant ni après leur mort. D’une façon intéressante, ce sont précisément ces nouvelles sensibilités funéraires, qui transforment les manipulations du cadavre, qui mettront en lumière les gestes intolérables pratiqués sur les corps des suppliciés.

8Dans l’épilogue, Anne Carol souligne comment les relations entre médecine et guillotine viennent à disparaître peu à peu au XXe siècle, même si le dernier condamné à mort par guillotine à Marseille date de 1977. Pourtant, la question de la douleur, de la survie et de la conscience du guillotiné persiste, visible dans les fictions qui mettent en scène des greffes de cerveau de suppliciés, comme chez Gaston Leroux. Centré sur un long dix-neuvième siècle, et analysant l’évolution des savoirs et des techniques liés à la mort et leurs représentations à travers le prisme de la guillotine, l’ouvrage d’Anne Carol nous emmène donc au cœur d’une véritable culture médicale. Si l’on regrettera le manque d’index et une bibliographie qui ne reflète toujours pas la richesse des sources citées en bas de page, l’ouvrage ne manquera pas de fasciner spécialistes comme amateurs de la période.

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Pour citer cet article

Référence papier

Laurence Talairach-Vielmas, « CAROL Anne, Physiologie de la veuve. Une histoire médicale de la guillotine »Histoire, médecine et santé, 3 | 2013, 122-126.

Référence électronique

Laurence Talairach-Vielmas, « CAROL Anne, Physiologie de la veuve. Une histoire médicale de la guillotine »Histoire, médecine et santé [En ligne], 3 | printemps 2013, mis en ligne le 01 juillet 2014, consulté le 18 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/520 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.520

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Auteur

Laurence Talairach-Vielmas

Université de Toulouse II-Le Mirail/Centre Alexandre-Koyré (UMR 8560 – CNRS/EHESS/MNHN)

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