BOHUON Anaïs, Le test de féminité dans les compétitions sportives. Une histoire classée X ?
BOHUON Anaïs, Le test de féminité dans les compétitions sportives. Une histoire classée X ?, Paris, Ixe, 2012, 192 p.
Texte intégral
1L’histoire de l’espace constitué entre médecine et activités physiques n’en est encore qu’à ses balbutiements ; force est de constater que l’ouvrage d’Anaïs Bohuon apporte une contribution novatrice à la thématique et dresse des perspectives de recherche nombreuses. Son ambition « à la croisée de l’histoire, de la sociologie, des études sur le genre et des problématiques coloniales et postcoloniales [est] de revisiter l’histoire sociale et politique du « contrôle de féminité » » (p. 30) autour des compétitions sportives contemporaines, et cela depuis les années cinquante. Tout en s’appuyant sur un travail de recherche de près de dix ans, l’auteure réussit brillamment à réaliser la généalogie des dispositifs de contrôle du genre, remontant jusqu’aux prémices de l’institutionnalisation des pratiques d’exercice corporel – et du contrôle médical du mouvement féminin – dans le dernier tiers du XIXe siècle, tout en soulignant l’articulation avec les processus de l’internationalisation du champ sportif au XXe siècle. Ainsi l’ambition du livre dépasse-t-elle les limites posées par son titre. Il n’y est pas uniquement question de tests de féminité, mais plus largement, Anaïs Bohuon interroge la place des femmes dans les sports contemporains et notamment dans les compétitions sportives internationales.
2Si la volonté taxinomique est consubstantielle de l’émergence de la modernité scientifique depuis le milieu du XVIIIe siècle, les tests de féminité doivent être interprétés comme autant de réactualisation de cette volonté, ici transformée en dispositif destiné à s’assurer de la conservation de la bicatégorisation des êtres humains. De fait, au fil de ses analyses, l’auteure décrit de manière très détaillée l’inopérance des outils générés par le développement de la modernité scientifique et médicale (test morphologique, test du corpuscule de Barr, recherche du deuxième X, test PCR/SRY), le problème étant situé à un niveau philosophique et même éthique. Comme le souligne Anaïs Bohuon, la complexité naît de l’intersexuation d’une partie des êtres humains – ici parmi les sportifs/sportives d’élite – qui ne peuvent être considérés comme entièrement masculin ou féminin (du fait des singularités de leurs systèmes hormonaux notamment) et surtout qu’il est illusoire de vouloir définir la « vraie femme » (p. 97 et suivantes).
3Le « cas » de la sudafricaine Caster Semenya fournit l’exemple central du travail, il constitue la principale clé de lecture de la critique établie par l’historienne. Basée sur des soupçons visuels – donc empreints de stéréotypes sur les corps sportifs féminins – l’« affaire Semenya » relance le débat sur les tests de féminité que le CIO avait décidé de supprimer à l’orée des années 2000. Comme le souligne Anaïs Bohuon, « l’histoire du test de féminité est celle d’une procédure inventée pour justifier des exclusions, sans que jamais les autorités médicales et sportives n’interrogent le bien-fondé des représentations de la féminité » (p. 136).
4Du point de vue des sources, s’il faut se réjouir de leur diversité, on peut cependant s’interroger sur leur représentativité en l’absence d’une réelle justification. En dépit du respect nécessaire de l’anonymat des personnes interrogées, plusieurs questions émergent à la lecture de l’ouvrage : comment les médecins interrogés ont-ils été choisis ? Existe-t-il un périmètre des activités physiques concernées (sports médiatiques versus sports plus anonymes) ? Quelles sont les limites du corpus des textes scientifiques et médicaux ?
5De même, au-delà des clivages entre une histoire sociale et une histoire des discours, il faut souligner certains points aveugles de l’ouvrage notamment autour du rapport entre les dispositifs de contrôle de genre (dans le champ sportif) et la structure même de l’espace de la médecine. Ainsi les médecins interrogés ou cités ne sont-ils que faiblement inscrits dans leur trajectoire respective et/ou dans leur spécialité, et l’on voudrait en savoir davantage sur ces points de vue, bien évidemment socialement situés. Sans doute que les intérêts d’un médecin généraliste diffèrent de ceux d’un gynécologue et de la même manière un médecin engagé dans une fédération sportive ne prendra pas la même posture qu’un médecin « indépendant ».
6Mais ces ouvertures sont aussi la force de l’ouvrage qui suggère davantage de questions qu’il n’apporte de réponses. Le test de féminité, traité comme un instrument de contrôle du corps féminin par les autorités et les institutions sportives, permet à Anaïs Bohuon de livrer aussi un ouvrage de combat : si le sport demeure bien un « fief de la virilité » sous influences scientifiques et médicales, les crispations suscitées par le test de féminité sont peut-être aussi les signes avant coureur de l’effondrement ou plutôt de la remise en cause d’une domination masculine pluriséculaire…
Pour citer cet article
Référence papier
Grégory Quin, « BOHUON Anaïs, Le test de féminité dans les compétitions sportives. Une histoire classée X ? », Histoire, médecine et santé, 3 | 2013, 120-121.
Référence électronique
Grégory Quin, « BOHUON Anaïs, Le test de féminité dans les compétitions sportives. Une histoire classée X ? », Histoire, médecine et santé [En ligne], 3 | printemps 2013, mis en ligne le 01 juillet 2014, consulté le 20 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/518 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.518
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