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AccueilNuméros20Race et psychiatrie, de la pathol...Pathologies de l’« âme indigène »

Race et psychiatrie, de la pathologie à l’émancipation

Pathologies de l’« âme indigène »

Les savoirs juridico-administratif et médical sur la folie en Afrique française1
The “Indigenous soul” pathologies. Legal-administrative and medical knowledge of madness in French Africa
Silvia Falconieri
p. 27-49

Résumés

Les écrits des juristes et des administrateurs coloniaux français de la première moitié du xxe siècle sont ponctués d’expressions telles que « mentalité indigène », « mentalité primitive », « âme indigène », ou encore « esprit indigène ». Évoquant un univers mental autre, ces formulations sont utilisées pour légitimer le recours à un droit spécial, adapté au niveau de développement psychique des populations colonisées.

Que se passe-t-il lorsque l’altérité constitutive de l’indigène se double d’une différence supplémentaire qui touche à la sphère de la santé mentale ? Dans quelles circonstances et dans quels contextes les juges et les administrateurs coloniaux se saisissent-ils de la maladie mentale des populations colonisées ? Quel rôle jouent la médecine, la psychiatrie et, plus largement, les sciences du psychisme dans la définition progressive d’un savoir juridico-administratif sur la folie des populations colonisées ?

À la lumière de ces questionnements, cet article s’arrête sur certains discours et certaines pratiques juridico-administratifs, qui prennent en compte l’univers mental indigène dans les territoires de l’Afrique française subsaharienne et de Madagascar durant la période de l’entre-deux-guerres. L’analyse de ces discours et pratiques fait jaillir la labilité de la frontière qui sépare l’« ordinaire » du « pathologique » de l’âme indigène. Fortement marqué par des postulats ethniques et raciaux, l’imaginaire juridico-administratif sur la folie des populations africaines se construit au travers d’échanges, d’emprunts, de convergences et d’affrontements avec le savoir des médecins aliénistes et des « psychiatres coloniaux ». Au seuil des années 1940, le traitement juridico-administratif de la maladie mentale des populations indigènes se définit dans une négociation permanente entre les différents pouvoirs et savoirs en présence en situation coloniale. Alors que les instances politiques et administratives instrumentalisent les savoirs sur le psychisme, durant les années 1920, les aliénistes revendiquent une participation active à la prise de décisions politiques, en essayant de domestiquer, voir d’exclure, les juges et les administrateurs locaux. La condition légale de l’Africain mentalement atteint en sort morcelée.

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Texte intégral

  • 1 Cet article est issu des recherches en cours dans le cadre du projet « Aliéné mental » et « indigè (...)

1Le 7 mars 1933, le gouverneur général de l’Afrique-Équatoriale française (AEF), Raphaël Antonetti, adresse au ministre des Colonies un courrier d’explications circonstanciées à propos de l’« internement de l’indigène Ogoula », coupable de s’être livré à des actes de révolte et de rébellion tombant sous le coup du décret du 15 novembre 1924 sur l’indigénat. À propos des manifestations d’ordre mystique qui avaient accompagné les désordres occasionnés par le condamné et rendu en même temps nécessaire le recours aux soins d’un médecin, le gouverneur se livre à ces considérations :

  • 2 Lettre du gouverneur général de l’AEF au ministre des colonies, 7 mars 1933, Archives nationales d (...)

La mentalité indigène est tellement différente de la mentalité européenne, les attardés et les primitifs se laissent si facilement mener par des phraseurs orgueilleux, le « médicament » du féticheur a sur eux un tel pouvoir qu’il est souvent difficile de se baser sur les principes du droit européen pour donner une solution équitable et efficace à des difficultés qui, en France, seraient considérées comme relevant uniquement de la réglementation sur l’assistance psychiatrique2.

  • 3 Afin de ne pas alourdir la lecture du texte, nous décidons de ne pas utiliser de guillemets pour d (...)

2En s’exprimant sur les événements dans lesquels Benoît Ogoula est impliqué – que nous contextualiserons par la suite, en y revenant de manière plus détaillée –, le gouverneur général oppose la mentalité européenne à la mentalité indigène et attribue à cette dernière un caractère maladif presque ontologique3. L’application de paramètres occidentaux pour tracer la limite entre l’ordinaire et le pathologique chez les indigènes apparaît inenvisageable, les « attardés et les primitifs » étant complètement étanches aux « principes du droit européen ».

  • 4 René Collignon, « Pour une histoire de la psychiatrie coloniale française. À partir de l’exemple d (...)

3Deux décennies plus tôt, à Tunis, lors du Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue française – lieu où la question de « l’assistance des aliénés aux colonies » a été soulevée pour la première fois publiquement et de manière explicite4 – le docteur Franck Cazanove, psychiatre aliéniste et médecin de l’armée coloniale, expose ses recherches sur « la folie chez les indigènes ». En s’arrêtant en particulier sur la nature de la maladie mentale des populations de l’Afrique-Occidentale française (AOF), Cazanove désigne les dimensions mystique et religieuse comme étant les éléments saillants de la psychopathologie chez les Noirs d’Afrique :

  • 5 Franck Cazanove, « La folie chez les indigènes. Préjugés et coutumes, formes morbides », au sein d (...)

Toutes les manifestations psycho-pathologiques des indigènes de l’Afrique occidentale française nous montrent un même mécanisme producteur : la conjugaison des mentalités primitives avec un élément psychologique se manifestant toujours avec la plus grande importance dans la première évolution des sociétés, le sentiment religieux5.

  • 6 Jean-Pierre Allinne, « Jalons historiographiques pour une histoire des prisons en Afrique francoph (...)
  • 7 Franck Cazanove, « La folie chez les indigènes. Préjugés et coutumes, formes morbides », art. cit. (...)

4Spécialement attentif aux pratiques locales de soin des malades mentaux et à leur intégration dans la psychiatrie occidentale6, Cazanove poursuit son exposé en s’arrêtant sur les différentes manifestations des troubles psychiques chez les Africains. Il conclut sa présentation par le constat que la psychiatrie coloniale tend à faire « revivre la psychopathologie des premiers temps de notre civilisation, constituée par ces mêmes éléments7 ».

  • 8 Richard Calvin Keller, Colonial Madness…, op. cit.

5Les deux discours – celui tenu par le gouverneur d’une part et celui du psychiatre d’autre part –, très ordinaires à l’époque, convergent sur le primitivisme des populations colonisées ainsi que sur le clivage irréductible entre l’univers mental européen et l’univers mental indigène. Fortement marqués par des postulats ethniques et raciaux8 et faisant jaillir la labilité de la frontière entre santé et pathologie mentale chez les indigènes, ces deux propos attirent l’attention sur la connexion intime entre les dimensions juridico-administrative et médicale – ou, plus largement, des sciences du psychisme – dans la prise en compte de la folie dans les territoires de l’empire français durant la première moitié du xxe siècle.

  • 9 Claude-Olivier Doron, L’homme altéré. Race et dégénérescence (xviie-xixe siècles), Ceyzérieu, Cham (...)

6Les recoupements et les influences réciproques de ces discours autour de l’ordinaire et du pathologique de l’âme indigène demandent impérativement à être pris en compte et interrogés. L’analyse des analogies, des rencontres, des chevauchements, des revirements et des emprunts mutuels entre ces différents savoirs s’avère en effet indispensable pour comprendre ce qui se passe au niveau des catégorisations et des procédures juridico-administratives lorsque l’altérité constitutive de l’indigène se double d’une différence supplémentaire qui touche à la sphère de la santé mentale. Cet article se propose ainsi de cerner les enjeux de cette double altérité – ethnique et psychopathologique9 – dans la mise en place d’un statut légal d’aliéné pour les populations colonisées. Pour ce faire, notre porte d’entrée sera représentée par certains discours et certaines pratiques juridico-administratifs qui touchent, de manière directe ou indirecte, à l’encadrement et à la gestion de la maladie mentale des populations indigènes habitant les territoires de l’Afrique française subsaharienne – expression utilisée pour désigner les territoires africains ayant appartenu à la France – et de Madagascar durant la période de l’entre-deux-guerres.

Un droit spécial adapté à la mentalité indigène

  • 10 Antoine Bouillon, Madagascar, le colonisé et son « âme ». Essai sur le discours psychologique colo (...)
  • 11 À titre d’exemple, Pierre Dareste, « Les nouveaux citoyens français. Loi du 29 septembre 1916 », R (...)

7Les écrits des juristes et des administrateurs coloniaux français de la première moitié du xxe siècle sont sans cesse ponctués d’expressions telles que « mentalité indigène », « âme indigène », « esprit indigène » qui, souvent utilisées de manière interchangeable10, évoquent un univers mental complètement autre. Les caractères spécifiques de la mentalité des populations africaines colonisées par la France font obstacle à la compréhension du droit occidental. Ils justifieraient, par conséquent, le recours au principe de personnalité de la loi, c’est-à-dire une dichotomie entre Français et indigènes, ainsi que le pluralisme juridique qui en découle11.

  • 12 Joseph Chailley-Bert, « De la meilleure manière de légiférer pour les colonies », RD, 1905, p. 1-8 (...)

8À partir de la dernière décennie du xixe siècle, l’adéquation entre la législation applicable outre-mer aux populations indigènes et leur niveau de développement mental est évoquée de manière assez systématique et devient un impératif partagé par le législateur, par les juristes spécialistes du droit colonial et par les administrateurs présents sur place12. Certaines matières – telles que le droit pénal ou le droit du travail – apparaissent plus concernées que d’autres par l’exigence de prise en compte de la mentalité indigène.

  • 13 Jean-Pierre Le Crom, Histoire du droit du travail dans les colonies françaises (1848-1960), rappor (...)
  • 14 « Décret du 3 juin 1926 relatif à l’exécution de travaux d’intérêt général à Madagascar par des tr (...)
  • 15 « Afrique Équatoriale – Instructions du Gouverneur général du 28 septembre 1921 relatives à l’orga (...)

9Dans les mots des administrateurs, la paresse, l’oisiveté et la corruptibilité caractérisant les Malgaches justifient, par exemple, la longue série de mesures adoptées par le gouvernement général de Madagascar tout au long de la période comprise entre le début de la colonisation et 1946, afin de lutter contre le manque de main-d’œuvre indigène13. En créant le Service de la main-d’œuvre pour les travaux d’intérêt général (SMOTIG) en 1926, le ministre des Colonies vise à obtenir des changements dans les habitudes des indigènes du Sud et de l’Ouest de l’île, vivant « isolés, complètement oisifs, figés dans une existence des plus primitives14 ». Des considérations similaires se retrouvent dans les instructions du gouverneur général de l’AEF autour du rôle essentiel de l’administration coloniale dans le recrutement de la main-d’œuvre, face à une population caractérisée par sa « docilité » et sa « passivité plutôt naturelle15 ».

  • 16 Congrès international et intercolonial de la société indigène, t. I, Exposition coloniale internat (...)
  • 17 Ibid.

10En matière pénale, les infractions commises par les indigènes portent encore plus l’empreinte de leur mentalité. Durant le Congrès international et intercolonial de la société indigène en 1931, la spécificité des caractères de la mentalité indigène est mise en exergue par rapport aux violations du droit de propriété : « le vol de bœufs continue à être une prouesse, la marque de l’énergie virile » et « les peines de prison infligées pour ce motif n’y sont nullement considérées comme infamantes16 ». Il en va de même pour les atteintes à la vie des personnes, que l’on peut facilement évoquer sur le ton de la vantardise : « une tentative de meurtre sur un prétendu sorcier passe de même comme une action louable17 ».

  • 18 « Décret du 13 mai 1922, soumettant à l’autorisation préalable la représentation publique des pièc (...)

11Les caractères mentaux propres aux indigènes sont pris en compte dans presque toute forme de réglementation outre-mer. Dans le rapport précédant un décret qui, en 1922, encadre les représentations publiques et les spectacles malgaches, les ministres des Colonies et de la Justice écrivent : « Il a été de tout temps constaté que la mentalité des sujets indigènes de Madagascar est essentiellement malléable, et que le spectacle de scènes cinématographiques ou la vue de certaines affiches, comme l’audition de certaines pièces de théâtre, sont de nature à impressionner fâcheusement leur esprit18 ».

  • 19 Silvia Falconieri, Florence Renucci, « L’Autre et la littérature juridique : “Juifs” et “indigènes (...)
  • 20 Ces éléments sont listés à partir d’un dépouillement complet du Recueil Dareste.
  • 21 Silvia Falconieri, « Droit colonial et anthropologie. Expertises ethniques, enquêtes et études rac (...)
  • 22 Pierre Singaravélou, « De la psychologie coloniale à la géographie psychologique. Itinéraire, entr (...)

12Les traits propres à la mentalité indigène présentent une certaine variabilité suivant les peuples habitant les différentes régions de l’empire français qui sont tour à tour prises en compte19. L’oisiveté, la paresse, la malléabilité, l’impressionnabilité, la susceptibilité, l’inclination à la culpabilité caractériseraient la population malgache, alors que la docilité et la passivité seraient plutôt communes chez les habitants de l’Afrique subsaharienne20. Les juristes, les administrateurs coloniaux, les hommes politiques baignent dans un imaginaire concernant l’univers mental indigène qui s’est en grande partie façonné au sein d’autres disciplines – anthropologie, biologie, zoologie, psychologie, médecine et, plus rarement, psychanalyse – et en dehors du monde du droit et de l’administration, grâces aux spécialistes d’autres savoirs qui deviennent une référence citée de manière explicite et souvent soumise à critique. Durant les premières décennies du xxe siècle, les travaux de la Société d’anthropologie de Paris, fondés sur des enquêtes de terrain, sont une référence essentielle dans la définition des caractères intellectuels et psychologiques des populations africaines, surtout lorsqu’il s’agit d’interroger les conséquences éventuelles du métissage sur le psychisme21. L’hérédité psychologique de Théodule-Armand Ribot, fondateur de la psychologie expérimentale, fait également partie des travaux cités par les juristes. Il en va de même pour les publications de Gustave Le Bon, de son disciple Léopold de Saussure, de Lucien Lévy-Bruhl et parfois de Sigmund Freud. Durant les années 1920-1930, en outre, l’étude des mentalités s’impose au sein de l’École coloniale qui forme les nouvelles classes des administrateurs coloniaux. La psychologie coloniale y devient une matière d’enseignement et un certain nombre de mémoires portant sur les mentalités y sont soutenus22.

  • 23 Bernard Mouralis, L’Europe, l’Afrique et la folie, Paris, Présence africaine, 1992 ; Richard Calvi (...)
  • 24 Georges François et Fernand Rouget, Manuel de législation coloniale. Accompagné de 16 tableaux syn (...)

13La barrière qui sépare la mentalité indigène « ordinaire » de la psychopathologie est très souvent bien loin d’être étanche et la maladie apparaît comme une condition presque ontologique de l’« âme africaine23 ». Une certaine littérature juridique utilise parfois un langage évocateur du trouble psychique pour décrire les populations colonisées et les caractériser par l’impuissance, la débilité, l’incapacité, la décrépitude, l’ignorance, ou encore le manque d’énergie24. L’ordinaire et le pathologique de l’âme indigène se confondent dans un flou aussi ambigu qu’indémêlable qui aboutit à faire surgir l’image d’un Autre malade du fait de sa propre altérité.

L’indigène noir malade de son altérité, entre internement administratif et soins psychiatriques

  • 25 Luigi Nuzzo, « La colonia come eccezione. Un’ipotesi di transfert », Rechtsgeschichte. Zeitschrift (...)
  • 26 Isabelle Merle et Adrian Muckle, L’indigénat. Genèses dans l’empire français, pratiques en Nouvell (...)
  • 27 « Instructions du gouverneur général de l’AOF pour l’application du décret du 7 décembre 1917 rela (...)

14Dans les archives administratives de la France d’outre-mer, on peut retrouver des documents des xixe-xxe siècles relatifs à la maladie mentale, qui évoquent souvent des espaces et des temps d’Ancien Régime25et qui laissent ressortir toute l’ambiguïté de l’attitude de l’administration et de la justice coloniale à l’égard de la dimension psychique de l’indigène d’Afrique. La répression des révoltes et des actes de rébellion tombant sous le régime de l’indigénat et punis, entre autres, par la peine de l’internement administratif26 fait jaillir la labilité de la frontière entre « mentalité » et maladie psychique. Il s’agit, en l’espèce, de « mesures répressives ou préventives d’ordre administratif et politique, qui n’ont rien à voir avec les sanctions judiciaires » et qui « ont pour but […] de mettre hors d’état de nuire des indigènes ayant contribué à troubler gravement la sécurité publique ou la situation politique du pays ou s’étant insurgés contre l’autorité de France27 ».

  • 28 « Décret du 15 novembre 1924, portant réglementation des sanctions de l’administration indigène en (...)
  • 29 Art. 22 du décret du 15 novembre 1924.
  • 30 Sylvie Thénault, Violence ordinaire dans l’Algérie coloniale. Camps, internements, assignations à (...)

15Dans la deuxième moitié des années 1920, le décret du 15 novembre 1924 réglementant l’application des sanctions administratives pour les « indigènes non justiciables des tribunaux français » est en vigueur en AEF, en AOF, à Madagascar et dans la Côte française des Somalis28. Dans son article 22, ce décret prévoit la peine de l’internement administratif d’une durée maximale de dix ans pour les « indigènes non justiciables des tribunaux français qui se sont rendus coupables de faits d’insurrection contre l’autorité de la France ou de troubles politiques graves29 ». L’internement administratif est prononcé par le gouverneur général, à la suite d’une procédure définie par le même décret, et se traduit par une détention dans un établissement pénitentiaire réservé aux indigènes, souvent éloigné du lieu de résidence du condamné30.

16Les faits qualifiés d’insurrections peuvent impliquer des villages entiers et sont menés par des personnes que l’administration coloniale définit comme « sorciers », « féticheurs », en tout cas comme des hommes pourvus d’une grande influence et d’un fort ascendant sur les populations locales. Il en découle que ces manifestations de révolte font vaciller l’autorité française et s’accompagnent souvent de questionnements autour de la conception mystique des populations africaines. Les administrateurs locaux n’hésitent pas à faire un usage métaphorique du mot « folie » pour désigner les actes collectifs ou les attitudes des meneurs des révoltes.

  • 31 « Dossier : Indigénat. Internement de l’indigène Ogoula », ANOM, 1 AFFPOL 663.
  • 32 Georges Balandier, « L’utopie de Benoît Ogoula Iquaqua », Les temps modernes, 84-85, 1952, p. 771- (...)

17Le cas de Benoît Ogoula Iquaqua, mentionné en ouverture, se situe précisément dans ce contexte. En novembre 1932, cet homme, originaire de Port-Gentil, est condamné à la peine de l’internement administratif décennal, à Bambari, dans l’Oubangui-Chari, sur proposition du lieutenant-gouverneur de la colonie du Gabon. Il est accusé d’avoir réussi à persuader les indigènes de la circonscription des Oroungous qu’il était investi d’une mission divine, et de les avoir convaincus de reconnaître ses droits sur le royaume du Gabon31. Le gouvernement colonial résume ainsi les faits imputés à Ogoula, déjà connu de l’administration coloniale en raison de sa participation aux mouvements messianiques qui, dans les années 1930, tentent de répondre à la présence française. Son élection en qualité de chef supérieur des Oroungous, en 1932, n’est pas validée par le résident français au Gabon32.

  • 33 « Dossier : Indigénat. Internement de l’indigène Ogoula », ANOM, 1 AFFPOL 663.

18Dans le compte rendu adressé au ministre des Colonies pour l’informer de l’internement, le gouverneur général Antonetti observe qu’Ogoula, au moment des faits, se trouvait dans un « état mental particulier », « inquiétant », qui avait nécessité la consultation d’un médecin le déclarant « atteint de folie délirante systématisée » et concluant que « son état poussé au paroxysme était susceptible de le pousser au crime politique ». Hospitalisé par la suite à Brazzaville, Ogoula est soumis à une deuxième expertise psychiatrique, qui le reconnaît comme étant « atteint de délire systématisé à conceptions mystiques déterminant des crises au cours desquelles il peut constituer un danger pour son entourage et provoquer des troubles ». Antonetti estime par conséquent qu’il est opportun d’enclencher la procédure conduisant à la sanction de l’internement administratif à l’encontre de cette personne. Ses prédications sont en effet susceptibles de mettre « en jeu la sécurité publique », sans pour autant pouvoir donner lieu à poursuite suivant le droit pénal commun33.

  • 34 Ibid.

19Des notes apposées au crayon sur la lettre d’Antonetti permettent de saisir rapidement le noyau dur de la polémique qui s’enclenche entre le gouvernement local et le ministère : « Si cet indigène est vraiment un malade, l’internement prononcé aurait dû, semble-t-il, être d’ordre médical plutôt que d’ordre administratif (soins et non peine admin.)34. » Pour le ministère, il est inconcevable de frapper de sanction administrative une personne qui, comme Ogoula, est incapable et pénalement irresponsable. Qui plus est, l’internement aurait eu lieu sans le moindre respect de la procédure établie par l’article 24 du décret du 15 novembre 1924, prévoyant l’obligation pour le gouverneur de consulter le chef du service judiciaire.

20Joseph Sanner, procureur général à la cour d’appel de l’AEF et chef du service judiciaire à l’époque des faits, intervient dans la querelle pour éclaircir l’esprit dans lequel l’internement d’Ogoula a été prononcé et pour démentir de manière catégorique le non-respect de la procédure. En l’absence de promulgation de la loi sur les aliénés de 1838 et de dispositions qui s’y apparentent, observe Sanner, Ogoula a été mis hors d’état de nuire et des mesures appropriées ont été prises, tenant compte de son état mental et de ses besoins en matière de soins, dont la nature n’est pour autant jamais précisée dans les dossiers d’archives concernant cette affaire.

  • 35 Ibid.

21Antonetti est plus tranchant et moins soucieux de la protection judiciaire et du principe d’exemption de la responsabilité. Loin de pouvoir être qualifié comme « un simple d’esprit sans danger », Ogoula est un « fou dangereux », l’un de ces « mystiques », de ces « féticheurs » qui sont souvent à la tête de révoltes locales contre l’autorité française dans son territoire. Certes, son « état mental présente fréquemment tous les caractères de la démence », mais le mystique exerce « sur les populations indigènes une action profonde », qui est susceptible de mettre en danger la présence française. Antonetti s’arrête sur la conception locale de la maladie mentale, observant que, pour les indigènes, les féticheurs ne sont guère des individus psychiquement atteints. « Les véritables aliénés » sont gardés par les familles dans les villages, les « vrais indigènes malades » se retrouvent donc ailleurs. Il en découle que le but de la décision, quelle que soit la forme de la mesure adoptée, est de neutraliser Ogoula pour le mettre hors d’état de nuire, tout en lui assurant les soins dont il aurait éventuellement besoin. C’est précisément sur cet aspect que le gouverneur pointe l’inutilité de tout effort visant à tracer une limite entre la psychopathologie et les manifestations mystiques chez les populations africaines, en raison des caractères spécifiques de leur mentalité35.

22Malade de sa propre altérité pour le gouverneur général et psychiquement atteint pour les médecins experts, Ogoula incarne le flou du discours administratif et judiciaire autour de la mentalité indigène, de la psychopathologie, de l’altérité ethnique. Du diagnostic posé par les médecins, les administrateurs locaux ne retiennent que sa dangerosité potentielle qui, à défaut d’éléments de fait justifiant la peine de l’internement, devient l’argument pour sanctionner le prédicateur et pour le mettre hors d’état de nuire. L’internement administratif suivant le régime de l’indigénat nous apparaît dès lors comme une sorte d’« alternative » spécifique à la situation coloniale, visant à mettre le « fou » hors d’état de nuire, précisément sans se soucier de distinguer le malade (au sens médical) du sorcier (point de vue culturel). Pour les médecins impliqués dans les expertises, Ogoula est en revanche un malade atteint de « délire mystique non systématisé », qui se situe dans les classifications de la nosographie occidentale.

23Tout au long de l’affaire Ogoula, la nécessité de la mise en place d’un système de soins psychiques, organisé sur le modèle de la loi métropolitaine de 1838 et centré sur l’asile, revient régulièrement dans les propos de différents acteurs institutionnels, porteurs d’intérêts et de savoirs spécifiques. Le recours à l’avis médical lors de la procédure d’internement administratif suivant le régime de l’indigénat (a priori non prévu par la procédure), la justification de cette mesure par l’absence d’autres solutions et l’affirmation du ministre des Colonies concernant le besoin urgent d’introduire en AEF une réglementation spécifique, mettant des bornes à l’arbitraire des administrateurs, laissent entrevoir la complexité des enjeux de pouvoir dissimulés par le processus de définition de l’ordinaire et du pathologique dans l’univers mental de l’indigène d’Afrique.

  • 36 Décret du 5 octobre 1878.
  • 37 Décrets du 28 décembre 1895 et 9 juin 1896. René Collignon, « L’apport de l’expérience de collabor (...)
  • 38 Décret du 2 septembre 1887. « Lettre du GG p. i. de la Côte française des Somalis au ministre des (...)
  • 39 Mamadou Diouf et Mohamed Mbodj, « L’administration coloniale du Sénégal et la question de l’aliéna (...)
  • 40 René Collignon, « La psychiatrie coloniale française en Algérie et au Sénégal », art. cit.
  • 41 Il s’agit de l’un de principaux objectifs de l’ANR AMIAF. Voir note 1.

24La présence imposante du savoir médical émerge avec force lorsqu’il s’agit d’envisager la mise en place d’un programme spécifique de prise en charge de la pathologie mentale dans les colonies. Les aliénistes et les médecins des troupes coloniales au premier chef interviennent directement pour favoriser l’adoption d’une législation ad hoc dans les territoires français en Afrique, mais aussi pour en définir le contenu. La loi Esquirol du 30 juin 1838 sur les aliénés n’est en effet pas promulguée dans les territoires français du continent africain, exception faite pour l’Algérie dans le nord de l’Afrique36, pour Madagascar37 et la Côte française des Somalis38. Suivant les territoires tour à tour concernés, le placement d’office des personnes psychiquement atteintes peut s’effectuer sur la base d’ordonnances locales39. En AOF, un système d’hospitalisation proche de celui existant en métropole est créé en 193840, alors que, au seuil des années 1950, les territoires composant l’AEF ne disposent toujours pas de structures spécialisées. L’histoire des différentes étapes législatives de la prise en charge de la santé mentale dans les territoires français en Afrique subsaharienne demeure encore largement à reconstruire et à écrire41. Dès la première décennie du xxe siècle, les médecins exerçant outre-mer commencent à critiquer les pratiques administratives envers les malades. Lors du Congrès de Tunis en 1912, un médecin des troupes coloniales à la retraite observe :

  • 42 Charles J.-B. Simon, cité dans XXIIe Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France… ( (...)

Ce qui frappe surtout, c’est l’état d’esprit qui règne envers les aliénés : on n’est pas encore arrivés à les considérer comme des malades. On ne voit en eux que des prisonniers que l’on traite avec des mesures de rigueur, dans des réduits qui ne sont pas autre chose que des locaux disciplinaires42.

L’aliéné d’Afrique entre enjeux de pouvoir et instrumentalisation du savoir médical

  • 43 Nicolas Henckes, « Entre tutelle et assistance. Le débat sur la réforme de la loi de 1838 sur les (...)

25À l’occasion de l’affaire Ogoula, le ministre des Colonies exprime clairement le souhait que le vide législatif relatif à la prise en charge des troubles psychiques en AEF, ainsi que dans les autres territoires français d’outre-mer (où la loi de 1838 ne s’applique pas), soit rapidement comblé. Il s’inscrit alors dans la droite ligne d’un long débat qui s’est déjà enclenché au cours de la première décennie du xxe siècle, à l’occasion des réformes de la loi de 1838 envisagées en France métropolitaine43.

  • 44 René Collignon, « Pour une histoire de la psychiatrie coloniale française », art. cit. ; Richard C (...)
  • 45 Henri Reboul et Emmanuel Régis, « L’assistance des aliénés aux colonies », dans XXIIe Congrès des (...)

26La prise en compte de la maladie mentale en Afrique, et d’une manière plus générale dans l’empire colonial français, est le résultat de l’insistance du corps médical qui, à l’occasion du Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de 1912 à Tunis – dont les enjeux ont été désormais largement mis en exergue par l’historiographie44 –, traite de l’assistance des aliénés aux colonies. Le fameux rapport présenté par les docteurs Emmanuel Régis et Henri Reboul s’adresse essentiellement aux instances législatives, et plus précisément au ministre des Colonies qui, par ailleurs, quatre ans auparavant, avait déjà réagi positivement à la sollicitation de Régis, en faisant appel à l’aide technique des médecins aliénistes45.

  • 46 Henri Emmanuel Aubin, « L’assistance psychiatrique indigène aux colonies », art. cit.
  • 47 « Courrier du ministre Lebrun, 31 janvier 1914 », ANOM, FM, 1 AFFPOL 869.

27Suivant les propositions de Régis et Reboul de 1912, le XXIIe Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de langue française émet, entre autres, le vœu d’une réorganisation de l’assistance psychiatrique aux colonies qui passe par l’adoption d’une législation spécifique. Sensible à ces propositions, le ministre des Colonies, Albert Lebrun, sollicite les gouverneurs généraux dépendant de son ministère pour qu’ils fassent remonter leurs opinions et observations autour d’une proposition de loi relative au régime des aliénés46. Les archives en laissent une trace. Il s’agit d’un texte amendant la loi de 1838, adoptée par la Chambre des députés et acceptée avec modifications en première délibération par le Sénat. L’article 60 de cette proposition prévoit qu’un règlement d’administration publique interviendrait pour déterminer les conditions dans lesquelles la loi en question serait applicable dans les colonies47.

  • 48 Nicolas Henckes, « Entre tutelle et assistance… », art. cit.
  • 49 Claude Quétel, Histoire de la folie. De l’Antiquité à nos jours, Paris, Tallandier, 2012 ; Alexand (...)

28Les réponses des gouverneurs généraux des territoires de l’AOF, de la Côte des Somalis, de l’AEF, du Togo, du Cameroun, mais aussi de Madagascar sont presque unanimes et tournent autour de deux arguments. D’une part, elles n’ont de cesse d’insister sur la nécessité de prendre en compte la mentalité indigène et la conception spécifique de la folie qui y est liée. D’autre part, elles s’attardent longuement sur les dangers potentiels d’un transfert de la compétence à prononcer les internements en hôpital psychiatrique du pouvoir administratif au pouvoir judiciaire. Débattue dès la naissance de la Troisième République, l’attribution d’un rôle central au juge judiciaire dans la procédure d’internement fait partie des mesures phares du nouveau texte et vise à mettre des bornes aux internements arbitraires en hôpital psychiatrique48. La reconfiguration des rapports de force entre les autorités judiciaire, administrative et médicale est ainsi au centre des débats qui, entre la fin du xixe siècle et la première moitié du xxe siècle, président à la mise en place en France métropolitaine d’un nouveau texte remplaçant ou modifiant celui de la loi Esquirol49.

29S’opposant à l’introduction de la loi de 1838 sur son territoire, le gouverneur général de l’AOF, William Ponty, souligne dans sa réponse de 1914 que les points cruciaux de la réforme en France métropolitaine font l’objet de débats assez virulents au sein de l’Académie de médecine et sont loin de faire l’unanimité parmi les aliénistes. Ponty fait mention au premier chef du mécontentement des médecins à l’égard du fait que le nouveau texte attribue aux juges, plutôt qu’à des spécialistes de la maladie mentale, la décision définitive de placer le malade dans un asile ou bien de le confier à sa famille.

30À cette observation de caractère général font suite des observations sur l’applicabilité de la loi de 1838 en AOF. Ponty s’arrête d’abord sur les spécificités coloniales des affections mentales, en distinguant les « troubles mentaux dus aux affections exotiques », inconnus en métropole, des « troubles mentaux communs à la France et aux colonies ». Des incompatibilités multiples apparaissent en outre avec la loi de 1838 lorsque l’on se penche sur la conception locale de la folie et de son traitement :

  • 50 « Réponse du gouverneur général de l’AOF, 10 mai 1914 », ANOM, FM, MC, 61 COL 869.

La nouvelle loi a surtout visé la séquestration arbitraire : – Cette dernière n’existe pas chez les noirs ; ils isolent eux-mêmes les fous dans les villages, mais il est fort rare qu’ils les enferment ou les maltraitent. D’ailleurs, la conception qu’ils ont de la folie vient à l’encontre. Pour eux, comme pour tous les peuples primitifs, la folie est toujours considérée comme étant d’ordre religieux, l’aliéné étant une émanation de Dieu ou du diable. À ce titre, ils respectent cette manifestation d’une puissance supérieure50.

  • 51 Ibid.
  • 52 Franck Cazanove, « La folie chez les indigènes. Préjugés et coutumes, formes morbides », art. cit.

31La centralité accordée au juge est absolument inadaptée aux yeux du gouverneur général. « L’appréhension du noir pour l’autorité judiciaire » rendrait en effet « l’intervention du tribunal pour le placement et la surveillance des aliénés » une mesure « tout à fait impopulaire51 ». Bien qu’il le fasse de manière implicite, le gouverneur de l’AOF mobilise ici des considérations tirées des travaux du docteur Cazanove autour de la conception de la folie chez les populations de l’AOF, travaux qui mettent notamment en exergue la conjugaison « des mentalités primitives » et du sentiment religieux dans la production de toutes manifestations psychopathologiques52.

  • 53 « Courrier du gouverneur général de Madagascar, 12 mai 1914 », ANOM, FM, MC, 61 COL 869.

32Bien que le contexte législatif de Madagascar soit différent – du fait que la loi de 1838 y a été promulguée –, le courrier du gouverneur général de l’époque, Albert Picquié, est parsemé de considérations de même nature relatives à l’inopportunité d’apporter des modifications à la loi de 1838, susceptibles d’acter une prééminence de l’autorité judiciaire dans la procédure de placement psychiatrique. Tout comme le gouverneur de l’AOF dans sa réponse, Picquié s’arrête d’abord sur la condition des malades européens. Après avoir observé qu’à Madagascar, ceux-ci sont soumis au même texte de loi qu’en métropole, il fait mention des objections soulevées par l’Académie de médecine, en particulier par les docteurs Gilbert Ballet et Léon-Henri Thoinot, qui est en l’occurrence le rapporteur des débats53.

33Les références aux études médicales changent lorsque le gouverneur passe à l’examen de la situation des indigènes, qu’il désigne comme des « mineurs dont l’administration se trouve être la tutrice naturelle ». À leur égard, il apparaît plus opportun de garder le statu quo, surtout concernant la procédure d’hospitalisation en vigueur à Madagascar depuis son annexion :

  • 54 Ibid.

À Madagascar, sur tous les points du territoire, les internements sont prononcés par le Gouverneur Général, ou par son délégué, sur le vu des certifications médicales établies par des médecins européens. Il m’apparaît qu’il ne serait ni plus conforme au droit naturel, ni plus avantageux pratiquement, de substituer à cette décision, rapide, impartiale et aussi parfaitement éclairée qu’il soit possible de le désirer, une décision de justice qui ne pourrait s’appuyer sur les mêmes éléments d’information54.

  • 55 Ibid.

34Pour justifier cette affirmation, le gouverneur évoque le Congrès de Tunis, observant que « c’est d’ailleurs dans ce sens que se sont prononcés les aliénistes qui ont discuté cette question », à savoir l’opportunité de l’application de la loi de 1838 aux colonies. Celle-ci s’avérerait un « instrument plus souple et d’un maniement plus facile55 ». Il est évident que l’extrapolation de l’affirmation de Régis et Reboul est ici utilisée par Picquié pour donner corps à son argumentaire et pour soutenir son propre discours.

  • 56 Claire E. Edington, Beyond the Asylum. Mental Illness in French Colonial Vietnam, New York, Cornel (...)

35La position juridique de l’indigène mentalement atteint est loin d’être définie d’une manière claire. Au contraire, elle est encore noyée dans un flou presque total. Dans le discours du gouverneur Ponty, le Noir apparaît en quelque sorte moins aliéné, ou du moins différemment aliéné. Cela justifierait le recours à un traitement législatif différent par rapport à celui qui est prévu par la loi de 1838 autour de l’enfermement asilaire. Loin de se borner au continent africain, ce discours est très répandu dans d’autres régions de l’empire français et vise souvent à retarder la mise en place d’un système de soins psychiques calqué sur celui de la métropole56. La réponse de Ponty fait jaillir encore une fois la porosité extrême de la frontière entre l’ordinaire de la mentalité indigène et sa dimension pathologique.

36Dans les mots des administrateurs, l’inopportunité de penser que la condition juridique de l’aliéné indigène puisse être identique à la condition juridique du malade européen trouve également son fondement dans la constatation irréfutable de la nature réfractaire de l’Africain au droit et à la justice française. La dimension pathologique paraît être absorbée par la différence ethnique, en sorte que l’indigène demeure un Autre aussi dans la manifestation de troubles mentaux. Dans les propos des administrateurs locaux, sa folie ne peut pas être appréhendée par les méthodes juridico-administratives occidentales, alors qu’au contraire le discours médical, supporté par celui de l’administration coloniale centrale, souhaiterait la mise en place d’un système de soins proche de celui de la métropole.

37Même dans les cas où le statut d’aliéné indigène est déjà défini par l’application de la loi de 1838, comme dans la colonie de Madagascar, des considérations axées sur la différence ethnique s’imposent. Dès lors, les modifications du texte prévues pour les malades européens – en particulier le passage d’une procédure administrative à une procédure judiciaire pour la décision des hospitalisations – apparaissent comme complètement inenvisageables pour les Malgaches. Il en découle que, au seuil des années 1920, le statut de l’aliéné indigène ne correspond pas – au moins du point de vue de la procédure présidant à son internement – au statut de l’aliéné européen, mais il se rapproche plutôt de la condition juridique ordinaire de l’indigène sain d’esprit, porteur d’une mentalité spécifique.

  • 57 René Collignon, « Pour une histoire de la psychiatrie coloniale française », art. cit. ; id., « La (...)
  • 58 Laurent Manière, « Deux conceptions de l’action judiciaire aux colonies. Magistrats et administrat (...)

38L’utilisation des travaux médicaux fournit à l’administration locale une assise solide pour légitimer sa mainmise sur la gestion de la folie, au détriment du pouvoir judiciaire, mais aussi du pouvoir colonial central. Les études médicales mobilisées émanent à la fois d’aliénistes exerçant en France métropolitaine et de psychiatres, souvent appartenant au corps militaire, en service outre-mer et qui sont à l’origine de ce savoir spécialisé qu’est la psychiatrie coloniale57. L’instrumentalisation du savoir psychiatrique s’inscrit ainsi pleinement dans le cadre des conflits récurrents entre administration et juridiction outre-mer58. En effet, en creux des discours autour de l’ordinaire et du pathologique de l’âme indigène sont clairement perceptibles les tensions entre les différents acteurs institutionnels – administration locale, administration centrale, justice, mais aussi médecins –, porteurs de différents points de vue sur la maladie mentale et souvent en conflit d’intérêts.

39L’attitude des aliénistes à l’égard du législateur et de l’administration coloniale a tendance à devenir de plus en plus intrusive dans le premier après-guerre.

Prophylaxie mentale et résistances de l’administration coloniale

  • 59 Paul-André Rosental, L’intelligence démographique. Sciences et politiques des populations en Franc (...)

40Tout au long des années 1920, le corps médical ne se borne plus à exercer sur les instances législatives une pression croissante visant à favoriser la mise en place d’une assistance aux aliénés dans l’outre-mer français. Il s’investit également dans une mission pédagogique qui cible essentiellement les administrateurs locaux et se traduit par une opération plus générale de prophylaxie mentale. Ce sont les années où les courants de l’hygiénisme et de l’eugénisme gagnent une visibilité accrue – quoique moins marquée en France par rapport à d’autres expériences européennes –, qui conduit à l’adoption de certaines dispositions de loi visant à protéger la santé de la population française59. Ce courant s’impose avec plus d’envergure outre-mer.

  • 60 « Section la vie de la Ligue d’hygiène mentale. Conseil d’administration », La prophylaxie mentale(...)
  • 61 René Collignon, « Pour une histoire de la psychiatrie coloniale française », art. cit; id., « La (...)
  • 62 Genil-Perrin est médecin-chef des asiles de la Seine. Au moment de la fondation de la revue La pro (...)
  • 63 « Arrêté du 25 septembre 1925 portant création d’une Commission d’hygiène mentale au Ministère des (...)

41Depuis le 18 décembre 1924, au sein de la Ligue française d’hygiène mentale (LFHM), opère une commission coloniale dont le fonctionnement et les travaux peuvent être en partie appréhendés par les pages de la revue La prophylaxie mentale, ainsi que par différents comptes rendus60. Une liaison très étroite est établie avec le ministère des Colonies. En collaboration avec le service de santé du département des colonies, l’activité de cette commission débouche sur la proposition de son président, le docteur Paul Gouzien, de mettre en place une commission consultative d’assistance psychiatrique et d’hygiène mentale coloniale dont le secrétaire sera Cazanove61. Sous l’impulsion de Georges Genil-Perrin, à l’époque secrétaire de la LFHM62, et grâce à l’accord d’Édouard Daladier, ministre des Colonies, l’arrêté du 25 septembre 1925 donne vie à ce projet au sein du Conseil supérieur de santé du ministère des Colonies63.

  • 64 Henri Emmanuel Aubin, « L’assistance psychiatrique indigène aux colonies », art. cit., p. 148.
  • 65 Jean-Pierre Allinne, « Jalons historiographiques pour une histoire des prisons en Afrique francoph (...)
  • 66 Henri Emmanuel Aubin, « L’assistance psychiatrique indigène aux colonies », art. cit., p. 172.

42La commission consultative, dont les réunions s’interrompent en 193264, est emblématique des échanges qui se tissent entre le savoir juridico-administratif et le savoir médical autour de la définition et de la gestion de la maladie mentale des populations colonisées par la France. Coïncidant avec le positionnement du ministère des Colonies à l’égard d’une révision de l’assistance psychiatrique dans les territoires d’outre-mer, les travaux de la commission ne sont pas sans effet sur la transformation de la manière d’appréhender le fou indigène et de le prendre en charge d’un point de vue administratif, judiciaire et médical. En témoignent le projet de construction d’un asile d’aliénés à Tivaouane, au Sénégal, l’ouverture d’un service d’assistance psychiatrique à Thiès, au Togo, mais également en dehors du continent africain, en Nouvelle-Calédonie65 et en Indochine – où le décret du 18 juillet 1930 est par ailleurs le résultat de la collaboration entre l’administration, la direction du Service de santé, la magistrature et la Commission d’hygiène mentale coloniale66.

  • 67 « Courrier du gouverneur général de l’AEF, 22 décembre 1926 », ANOM, 1 AFFPOL 689.
  • 68 « Courrier du gouverneur des colonies, commissaire de la République française au Togo, 14 avril 19 (...)
  • 69 « Courrier du gouverneur général de l’AOF, 19 mars 1927 », ANOM, 1 AFFPOL 689.
  • 70 « Courrier du gouverneur général de l’AEF, 22 décembre 1926 », ANOM, 1 AFFPOL 689.

43Faisant suite aux travaux de la commission consultative, réunie en août 1926, une circulaire du ministre des Colonies, Léon Perrier, revient sur la question de l’introduction d’un « régime des aliénés indigènes » dans les territoires d’outre-mer, toujours calqué sur le modèle de la loi métropolitaine de 183867. Les réponses des gouverneurs généraux font preuve d’une certaine ouverture à l’égard de la mise en place d’un système de soins des aliénés. Il n’en demeure pas moins qu’une volonté de contrôle de la gestion de la folie sur place – par des moyens hétérogènes dont le régime de l’indigénat fait partie et qui ne prévoient pas nécessairement un système de soins – persiste de la part des administrateurs locaux. Le gouverneur du Togo adresse au ministre un projet de décret ad hoc relatif aux seuls aliénés indigènes, s’estimant plus à même de saisir les spécificités locales68. Dans le même esprit, le gouvernement général de l’AOF préconise l’ouverture préalable d’un asile et se dit favorable à l’idée de soumettre à l’attention du ministre « un projet de décret qui sera l’adaptation de la loi de 1838 aux conditions sociales des populations indigènes de l’AOF, aux coutumes et aux règles qui les régissent69 ». Le gouverneur de l’AEF souligne, de son côté, les différences évidentes de la maladie mentale chez les Africains ainsi que sa rareté, en repoussant encore une fois dans le temps l’adoption d’une loi proche de celle métropolitaine de 183870.

44Dans les mots des administrateurs locaux, soucieux de garder leur primauté dans le contrôle de leur territoire, l’indigène continue d’apparaître comme autrement malade, ce qui justifie par conséquent le fait de le prendre autrement en charge du point de vue du statut juridique et du traitement qui en découle. Pour l’administration coloniale, l’indigène n’a pas besoin de l’application d’une loi identique à celle métropolitaine de 1838, prévue pour les Européens, la coutume locale étant claire à ce propos :

  • 71 « Courrier du commissaire p. i. de la République française dans les territoires du Cameroun, 16 oc (...)

La coutume indigène, très rigoureuse à l’égard des déments dangereux (les autres sont laissés en divagation), prescrit que le fou criminel devra être gardé en forêt, la cangue aux pieds. S’il s’échappe et commet un nouveau crime, il est tué et la famille, rendue responsable des dommages causés par son acte […]. Les déments sont, en général, peu nombreux. Il n’y a pas, d’autre part, lieu de craindre, en l’état de la famille indigène, les internements abusifs71.

45Pour les psychiatres, penchant pour la prise en charge médicale de la maladie mentale outre-mer, les administrateurs locaux, difficiles à amadouer et à convaincre, représentent souvent une entrave au déploiement des soins aux aliénés. S’exprime ainsi le docteur Antoine Porot, durant la discussion du rapport relatif à « l’assistance psychiatrique indigène aux colonies » dressé par le docteur Henri Aubin au Congrès des médecins aliénistes de 1938 à Alger :

  • 72 « Discussion du rapport d’assistance psychiatrique », dans Congrès des médecins aliénistes et neur (...)

Il ne faut pas qu’un directeur d’hôpital, un chef de bureau, un administrateur provincial, puissent entraver son activité [du médecin] par des mesquineries fâcheuses et regrettables […]. L’équipement psychiatrique […] doit avoir une autonomie relative et ne dépendre que du pouvoir central72.

  • 73 Ibid., p. 184.

46Médecin de troupes coloniales avec une expérience directe sur le terrain73, Aubin se dit convaincu de la nécessité que, dans l’exercice de ses fonctions – qu’il s’agisse d’expertise légale ou d’activité consultative –, le psychiatre colonial fasse jaillir la centralité de son rôle dans l’œuvre de colonisation :

  • 74 Henri Emmanuel Aubin, « L’assistance psychiatrique indigène aux colonies », art. cit., p. 149.

Nous devons prouver aux autorités administratives que l’assistance psychiatrique est devenue socialement une œuvre essentielle et d’intérêt économique car elle contribue efficacement à la conservation, à l’accroissement, à l’amélioration physique et intellectuelle de la population74.

  • 75 Ibid., p. 169.
  • 76 « Discussion du rapport d’assistance psychiatrique », dans Congrès des médecins aliénistes et neur (...)

47La persuasion du pouvoir législatif et de l’administration coloniale locale fait explicitement et entièrement partie des buts poursuivis par les médecins. Les propos d’Aubin et des psychiatres qui participent au Congrès des médecins aliénistes s’adressent, encore une fois, tout comme en 1912, aux acteurs politiques et institutionnels. En plus de fournir des conseils avisés sur la manière d’encadrer les aliénés indigènes, l’intervention des aliénistes vise à promouvoir une intégration de plus en plus massive du savoir médical sur la psyché indigène dans les pratiques juridico-administratives75. Loin de se borner à l’enceinte de l’hôpital, la mission du psychiatre outre-mer est en effet assortie d’une action de prophylaxie et de conseil auprès de l’administration coloniale. Cette activité se propose de favoriser la mise en place de règles adaptées à la mentalité des indigènes et pouvant conduire ces derniers vers un niveau supérieur de civilisation76.

48Voici que le savoir médical sur le psychisme des populations autochtones s’érige au rang de faiseur de normes, le médecin se concevant comme le conseiller privilégié de l’administrateur, du législateur, du juge colonial. Dans ce cadre précis, il n’est plus tout simplement question de psychopathologie, mais d’ordinaire de la mentalité primitive des populations africaines. Autrement dit, les médecins revendiquent une participation plus active dans le renforcement des bases scientifiques de la dichotomie entre indigène et Européen.

  • 77 Antoine Porot, Charles Bardenat et Jean Sutter, « Un cas d’échokinésie indigène », dans Congrès de (...)
  • 78 Gustave Martin, « L’hygiène mentale aux colonies. Conférence par TSF », La prophylaxie mentale, 1- (...)

49Lorsque l’indigène est mentalement atteint, les médecins se réfèrent à la même nosographie occidentale, qui ne semble pas tenir compte des caractères spécifiques de la mentalité des « races primitives » – tels que la « suggestibilité », la « crédulité77 » et la « puérilité78 ». Ces derniers jouent exclusivement sur les manifestations et sur l’intensité des troubles psychiques chez les Africains. Il vaut la peine de souligner ici que, dans leurs études comparatives autour des manifestations des troubles mentaux, les psychiatres évoquent les mêmes caractères de la psychologie indigène que ceux dont se servent les juristes, le législateur et les administrateurs coloniaux pour donner fondement à la dichotomie entre indigène non citoyen et citoyen français.

50Pour les administrateurs, la prise en compte de l’altérité de l’univers indigène se situe en amont, avant toute considération éventuelle d’une dimension pathologique. Les spécificités de la mentalité indigène entraînent l’application d’un statut de droit qui ne peut pas se rabattre sur le statut d’aliéné façonné par la loi de 1838. Une opération pareille aboutirait à mettre à mal la dichotomie entre indigène non citoyen et citoyen français. Du point de vue du droit qui lui serait applicable, l’Africain deviendrait un malade à soigner dans les mêmes conditions que celles prévues pour les Français et les Européens. Les gouverneurs généraux et les administrateurs locaux se soucient donc de rédiger par eux-mêmes les nouveaux décrets, afin de garder un partage net entre les indigènes et les Européens et de faire en sorte que le régime de l’aliéné indigène soit spécifique et différent de celui de l’aliéné européen.

51Dans le quotidien des soins, les médecins adoptent à leur tour les catégories administratives de classement des populations locales, en différenciant les malades autochtones des malades occidentaux. Le « principe de la séparation des malades européens et indigènes » semble néanmoins répondre à des raisons d’ordre pratique, relatives à la gestion du quotidien des personnes hospitalisées plutôt qu’à des exigences d’ordre médical, imposées par la typologie de soins psychiques à pratiquer. Le docteur Aubin fait mention de la distinction entre indigènes et Européens parmi les « principes d’intérêt plus spécifiquement colonial » et la définit ainsi :

  • 79 Henri Emmanuel Aubin, « L’assistance psychiatrique indigène aux colonies », art. cit., p. 173.

Mesure indiscutable rendue nécessaire pour mille détails d’hospitalisation aussi bien que pour le prestige du colonisateur, mais d’application parfois délicate (créoles, métis, indigènes ayant la qualité de « citoyens français », etc.). Sans multiplier à l’excès les catégories de malades, il peut parfois être nécessaire de pousser la séparation de groupes ethniques en antagonisme habituel (Arabes et Israélites en Afrique du Nord)79.

Conclusion

52Au seuil des années 1940, un imaginaire partagé de l’univers mental indigène et de la maladie mentale des populations africaines colonisées par la France se consolide dans les discours et les pratiques juridico-administratifs. Cet imaginaire se façonne au travers d’échanges, d’emprunts, d’affrontements avec le savoir psychiatrique des aliénistes et des médecins exerçant outre-mer. À partir des premières décennies du xxe siècle, ces derniers montrent un intérêt grandissant à l’égard de la mise en place d’un système de soins psychiatriques en Afrique – mais également dans l’empire français d’une manière plus générale – et exercent une pression croissante sur le ministère des Colonies ainsi que sur les administrateurs locaux.

53Loin d’apparaître comme un bloc monolithique uniforme, le savoir juridico-administratif relatif à l’âme indigène laisse persister une ambiguïté permanente autour de l’ordinaire et du pathologique. Les caractères spécifiques de la mentalité indigène continuent de guider la production d’un droit défini comme spécial, surtout dans les années 1920 et 1930. L’attention portée aux manifestations de troubles psychiques chez les populations colonisées par les juristes, les administrateurs et le pouvoir colonial central se développe dans des contextes hétérogènes – dont la répression des révoltes et la tentative de mise en place d’un système de soins représentent deux exemples significatifs. Les multiples facettes de l’altérité psychique de l’Africain apparaissent en creux. Il est ainsi possible de répertorier un indigène africain qui n’est ni sain ni malade, mais tout simplement considéré autrement en raison de sa propre mentalité ; un indigène africain qui apparaît comme malade du fait de son altérité psychique, comme dans le cas des mystiques ; un indigène africain qui est atteint psychiquement, mais qui est tranquille, non dangereux, et qui reste à la charge de sa famille, comme le veut la conception locale de la folie ; un indigène africain aliéné qui doit être pris en charge autrement par rapport au dispositif français ; ou encore un indigène africain aliéné qui peut être soigné suivant les méthodes occidentales.

54Ce morcellement du statut de l’Africain mentalement atteint traduit les tensions permanentes entre les différents pouvoirs et savoirs présents en situation coloniale. En faisant appel aux conceptions locales de la maladie mentale, les gouverneurs généraux et les administrateurs locaux empruntent au savoir médical les éléments qui s’avèrent fonctionnels pour la préservation et la consolidation de la primauté de leur pouvoir sur place et vis-à-vis du gouvernement métropolitain. De son côté, au nom d’un rêve d’uniformité au sein de l’empire français, le ministère des Colonies s’empare du discours des médecins qui vise à transposer outre-mer le système de soins psychiatriques utilisé en France métropolitaine, conçu autour de l’asile. Les médecins sur place se servent à leur tour de catégories juridiques et administratives pour des raisons de praticité d’organisation des soins, pendant qu’en métropole, surtout à compter du milieu des années 1920, ils acquièrent une place grandissante au sein des instances législatives.

55L’altérité du malade mental africain se construit ainsi dans un équilibre précaire, dans une négociation permanente. Alors que les instances politiques et administratives instrumentalisent les savoirs sur le psychisme, les médecins revendiquent une participation plus importante à la prise de décisions politiques, en essayant de domestiquer, voire d’exclure, les juges et les administrateurs locaux. Histoire d’un passé qui, au demeurant, s’avère extrêmement utile pour réfléchir aux pratiques institutionnelles actuelles de sélection des savoirs sur le psychisme dans le cadre de la prise en charge des troubles mentaux.

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Notes

1 Cet article est issu des recherches en cours dans le cadre du projet « Aliéné mental » et « indigène » : histoire juridique d’une double discrimination de statut en Afrique française (fin xixe siècle-1960) – AMIAF, financé par l’Agence nationale de la recherche (2018-2021).

2 Lettre du gouverneur général de l’AEF au ministre des colonies, 7 mars 1933, Archives nationales d’outre-mer d’Aix-en-Provence (ANOM dans les notes suivantes), fonds ministériels (FM dans les notes suivantes), 1 AFFPOL 663.

3 Afin de ne pas alourdir la lecture du texte, nous décidons de ne pas utiliser de guillemets pour des mots ou des formulations tirés des sources de l’époque, tels qu’indigène, mentalité indigène, mentalité primitive, esprit indigène, âme indigène, ou encore race.

4 René Collignon, « Pour une histoire de la psychiatrie coloniale française. À partir de l’exemple du Sénégal », L’Autre, 3 (3), 2002, p. 455-480 ; id., « La psychiatrie coloniale française en Algérie et au Sénégal », Revue Tiers Monde, 47 (187), 2006, p. 527-546 ; id., « L’apport de l’expérience de collaboration Psychanalyse/Anthropologie à l’hôpital de Fann-Dakar (Sénégal) », dans Sylvie Dreyfus-Asseo et al. (dir.), Les ancêtres, Paris, Éditions EDK, 2012, p. 113-124 ; Richard Calvin Keller, Colonial Madness. Psychiatry in French North Africa, Chicago, The University of Chicago Press, 2007.

5 Franck Cazanove, « La folie chez les indigènes. Préjugés et coutumes, formes morbides », au sein de la « Discussion du rapport sur l’assistance des aliénés aux colonies », dans XXIIe Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue française, Tunis, 1er-7 avril 1912. Comptes rendus publiés par le Dr Antonin Porot, Paris, Masson et Cie Éditeurs, 1913, p. 72-74, ici p. 72.

6 Jean-Pierre Allinne, « Jalons historiographiques pour une histoire des prisons en Afrique francophone », Clio@themis, 4, 2011, en ligne : https://publications-prairial.fr/cliothemis/index.php?id=1355 (consulté le 16 décembre 2021).

7 Franck Cazanove, « La folie chez les indigènes. Préjugés et coutumes, formes morbides », art. cit., p. 74.

8 Richard Calvin Keller, Colonial Madness…, op. cit.

9 Claude-Olivier Doron, L’homme altéré. Race et dégénérescence (xviie-xixe siècles), Ceyzérieu, Champ-Vallon, 2016.

10 Antoine Bouillon, Madagascar, le colonisé et son « âme ». Essai sur le discours psychologique colonial, Paris, L’Harmattan, 1981.

11 À titre d’exemple, Pierre Dareste, « Les nouveaux citoyens français. Loi du 29 septembre 1916 », Recueil Dareste (RD dans les notes suivantes), 1916, IIe partie, p. 1-16.

12 Joseph Chailley-Bert, « De la meilleure manière de légiférer pour les colonies », RD, 1905, p. 1-8 et 9-16.

13 Jean-Pierre Le Crom, Histoire du droit du travail dans les colonies françaises (1848-1960), rapport pour la Mission de recherche Droit et Justice, 2016, en ligne : http://www.gip-recherche-justice.fr/wp-content/uploads/2017/05/Rapport-final-Le-Crom-3.pdf (consulté le 16 décembre 2021).

14 « Décret du 3 juin 1926 relatif à l’exécution de travaux d’intérêt général à Madagascar par des travailleurs prélevés sur la 2e portion du contingent indigène », RD, 1926, Ire partie, p. 527-529.

15 « Afrique Équatoriale – Instructions du Gouverneur général du 28 septembre 1921 relatives à l’organisation et au fonctionnement de l’administration », RD, 1922, Ire partie, p. 93-103, ici p. 93.

16 Congrès international et intercolonial de la société indigène, t. I, Exposition coloniale internationale de Paris 1931, Paris, 1931, p. 500, en ligne : https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k9734219c/ (consulté le 16 décembre 2021).

17 Ibid.

18 « Décret du 13 mai 1922, soumettant à l’autorisation préalable la représentation publique des pièces de théâtre, saynètes, etc., en langue malgache », RD, 1922, Ire partie, p. 800-801, ici p. 800.

19 Silvia Falconieri, Florence Renucci, « L’Autre et la littérature juridique : “Juifs” et “indigènes” dans les manuels de droit (xixe-xxe siècles), dans Anne-Sophie Chambost (dir.), Histoire des manuels de droit. Une histoire de la littérature juridique comme forme du discours universitaire, actes du colloque organisé les 28 et 29 mars 2013 à la faculté de droit de l’Université Paris-Descartes, Issy-les-Moulineaux, Lextenso, 2014, p. 253-274.

20 Ces éléments sont listés à partir d’un dépouillement complet du Recueil Dareste.

21 Silvia Falconieri, « Droit colonial et anthropologie. Expertises ethniques, enquêtes et études raciales dans l’outre-mer français (fin du xixe siècle-1946) », Clio@themis, 15, 2019, en ligne : https://publications-prairial.fr/cliothemis/index.php?id=627 (consulté le 16 décembre 2021).

22 Pierre Singaravélou, « De la psychologie coloniale à la géographie psychologique. Itinéraire, entre science et littérature, d’une discipline éphémère dans l’entre-deux-guerres », L’homme et la société, 167-168-169, 2008, Marges et marginalisations dans l’histoire de la psychologie, p. 119-148, en ligne : https://0-www-cairn-info.catalogue.libraries.london.ac.uk/revue-l-homme-et-la-societe-2008-1-page-119.htm (consulté le 16 décembre 2021) ; Timothy Collier, L’École coloniale. La formation des cadres de la France d’outre-mer (1889-1959), thèse de doctorat en histoire du droit, Aix-Marseille Université, 2018.

23 Bernard Mouralis, L’Europe, l’Afrique et la folie, Paris, Présence africaine, 1992 ; Richard Calvin Keller, Colonial Madness, op. cit.

24 Georges François et Fernand Rouget, Manuel de législation coloniale. Accompagné de 16 tableaux synoptiques résumés et de 14 cartes dressées par M. Meunier, cartographe au ministère des Colonies, Paris, Émile Larose Éditeur, 1909, p. 15.

25 Luigi Nuzzo, « La colonia come eccezione. Un’ipotesi di transfert », Rechtsgeschichte. Zeitschrift des Max-Planck-Instituts für europaïsche Rechtsgeschichte, 8, 2006, p. 52-58, en ligne : http://data.rg.mpg.de/rechtsgeschichte/rg08_debatte_nuzzo_luigi.pdf (consulté le 16 décembre 2021).

26 Isabelle Merle et Adrian Muckle, L’indigénat. Genèses dans l’empire français, pratiques en Nouvelle-Calédonie, Paris, CNRS Éditions, 2019 ; Ousmane Gueye, Le Code de l’indigénat. Historique en Afrique francophone, 1887-1946, Dakar, L’Harmattan-Sénégal, 2019.

27 « Instructions du gouverneur général de l’AOF pour l’application du décret du 7 décembre 1917 relatif à l’indigénat », ANOM, FM, 1 AFFPOL 145.

28 « Décret du 15 novembre 1924, portant réglementation des sanctions de l’administration indigène en Afrique occidentale française, Afrique équatoriale française, à Madagascar et à la Côte française des Somalis », Bulletin officiel du ministère des Colonies, 1924, p. 1814-1822.

29 Art. 22 du décret du 15 novembre 1924.

30 Sylvie Thénault, Violence ordinaire dans l’Algérie coloniale. Camps, internements, assignations à résidence, Paris, Odile Jacob, 2012 ; Isabelle Merle et Adrian Muckle, L’indigénat…, op. cit.

31 « Dossier : Indigénat. Internement de l’indigène Ogoula », ANOM, 1 AFFPOL 663.

32 Georges Balandier, « L’utopie de Benoît Ogoula Iquaqua », Les temps modernes, 84-85, 1952, p. 771-781 ; Florence Bernault, Démocraties ambiguës en Afrique centrale. Congo-Brazzaville, Gabon, 1940-1965, Paris, Karthala, 1996.

33 « Dossier : Indigénat. Internement de l’indigène Ogoula », ANOM, 1 AFFPOL 663.

34 Ibid.

35 Ibid.

36 Décret du 5 octobre 1878.

37 Décrets du 28 décembre 1895 et 9 juin 1896. René Collignon, « L’apport de l’expérience de collaboration Psychanalyse/Anthropologie à l’hôpital de Fann-Dakar (Sénégal) », art. cit. ; Raphaël Gallien, Le fou colonisé. Une histoire de l’institution psychiatrique en situation coloniale. L’exemple de l’île de Madagascar entre 1900 et 1960, mémoire de master en histoire et civilisations comparées, Université Paris-Diderot, 2018.

38 Décret du 2 septembre 1887. « Lettre du GG p. i. de la Côte française des Somalis au ministre des Colonies, 24 septembre 1926 », ANOM, 1 AFFPOL 869 ; Henri Emmanuel Aubin, « L’assistance psychiatrique indigène aux colonies », dans Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue française, XLIIe session, Alger, 6-11 avril 1938. Comptes rendus publiés par Pierre Combemale, Paris, Masson et Cie Éditeurs, 1938, p. 147-176, ici p. 148.

39 Mamadou Diouf et Mohamed Mbodj, « L’administration coloniale du Sénégal et la question de l’aliénation mentale », dans Ludovic d’Almeida et al., La folie au Sénégal, Dakar, Association des chercheurs sénégalais, 1997, p. 13-54.

40 René Collignon, « La psychiatrie coloniale française en Algérie et au Sénégal », art. cit.

41 Il s’agit de l’un de principaux objectifs de l’ANR AMIAF. Voir note 1.

42 Charles J.-B. Simon, cité dans XXIIe Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France… (1912), op. cit., p. 55-56, ici p. 55.

43 Nicolas Henckes, « Entre tutelle et assistance. Le débat sur la réforme de la loi de 1838 sur les aliénés des années 1870 aux années 1910 », Sciences sociales et santé, 35 (2), 2017, p. 81-108 ; Alexandre Lunel, Le fou, son médecin et la société. La folie à l’épreuve du droit de l’Antiquité à nos jours, Bordeaux, LEH Édition, 2019.

44 René Collignon, « Pour une histoire de la psychiatrie coloniale française », art. cit. ; Richard Calvin Keller, Colonial Madness…, op. cit.

45 Henri Reboul et Emmanuel Régis, « L’assistance des aliénés aux colonies », dans XXIIe Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France… (1912), op. cit.

46 Henri Emmanuel Aubin, « L’assistance psychiatrique indigène aux colonies », art. cit.

47 « Courrier du ministre Lebrun, 31 janvier 1914 », ANOM, FM, 1 AFFPOL 869.

48 Nicolas Henckes, « Entre tutelle et assistance… », art. cit.

49 Claude Quétel, Histoire de la folie. De l’Antiquité à nos jours, Paris, Tallandier, 2012 ; Alexandre Lunel, Le fou, son médecin et la société…, op. cit.

50 « Réponse du gouverneur général de l’AOF, 10 mai 1914 », ANOM, FM, MC, 61 COL 869.

51 Ibid.

52 Franck Cazanove, « La folie chez les indigènes. Préjugés et coutumes, formes morbides », art. cit.

53 « Courrier du gouverneur général de Madagascar, 12 mai 1914 », ANOM, FM, MC, 61 COL 869.

54 Ibid.

55 Ibid.

56 Claire E. Edington, Beyond the Asylum. Mental Illness in French Colonial Vietnam, New York, Cornell University Press, 2019.

57 René Collignon, « Pour une histoire de la psychiatrie coloniale française », art. cit. ; id., « La psychiatrie coloniale française en Algérie et au Sénégal », art. cit.

58 Laurent Manière, « Deux conceptions de l’action judiciaire aux colonies. Magistrats et administrateurs en Afrique occidentale française (1887-1912) », Clio@themis, 4, 2011, en ligne : https://publications-prairial.fr/cliothemis/index.php?id=1390 (consulté le 12 janvier 2022) ; Dominique Sarr, La cour d’appel de l’AOF, Dakar, L’Harmattan Sénégal, 2019 ; Silvia Falconieri, « Droit colonial et anthropologie. Expertises ethniques, enquêtes et études raciales dans l’outre-mer français (fin du xixe siècle-1946) », art. cit.

59 Paul-André Rosental, L’intelligence démographique. Sciences et politiques des populations en France (1930-1960), Paris, Odile Jacob, 2003 ; Catherine Bachelard-Jobard, L’eugénisme, la science et le droit, Paris, Presses universitaires de France, 2001 ; William H. Schneider, Quality and Quantity. The Quest for Biological Regeneration in Twentieth-Century France, Cambridge, Cambridge University Press, 1990.

60 « Section la vie de la Ligue d’hygiène mentale. Conseil d’administration », La prophylaxie mentale, 1-2, 1925, p. 44-47 ; Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue française, XLIIe session, Alger, 6-11 avril 1938, op. cit. La LFHM est fondée en 1920 par les docteurs Édouard Toulouse (médecin progressiste, critique à l’égard de l’enfermement asilaire) et Roger Dupuy, en collaboration avec des juristes et des psychologues. Elle se propose entre autres de réformer la loi de 1838. Voir Michel Huteau, Psychologie, psychiatrie et société sous la Troisième République. La biocratie d’Édouard Toulouse (1865-1947), Paris, L’Harmattan, 2002 ; Richard Calvin Keller, Colonial Madness…, op. cit. ; Jean-Pierre Allinne, « Jalons historiographiques pour une histoire des prisons en Afrique francophone », art. cit.

61 René Collignon, « Pour une histoire de la psychiatrie coloniale française », art. cit; id., « La psychiatrie coloniale française en Algérie et au Sénégal », art. cit; id., « Le traitement de la question de la folie au Sénégal à l’époque coloniale », dans Florence Bernault (dir.), Enfermement, prison et châtiments en Afrique. Du 19e siècle à nos jours, Paris, Karthala, 2018, p. 227-257 ; Richard Calvin Keller, Colonial Madness…, op. cit.

62 Genil-Perrin est médecin-chef des asiles de la Seine. Au moment de la fondation de la revue La prophylaxie mentale, il est médecin-directeur de l’hôpital Henri-Rousselle, vice-président du comité international d’hygiène mentale, secrétaire général du IIe Congrès international d’hygiène mentale. En 1932, il est rapporteur au XVIIe Congrès de médecine légale sur la psychanalyse en médecine légale.

63 « Arrêté du 25 septembre 1925 portant création d’une Commission d’hygiène mentale au Ministère des colonies », La prophylaxie mentale, 1-2, 1925, p. 138 ; Georges Genil-Perrin, « Les origines du mouvement d’hygiène mentale », La prophylaxie mentale, 42, 1936, p. 68-78.

64 Henri Emmanuel Aubin, « L’assistance psychiatrique indigène aux colonies », art. cit., p. 148.

65 Jean-Pierre Allinne, « Jalons historiographiques pour une histoire des prisons en Afrique francophone », art. cit.

66 Henri Emmanuel Aubin, « L’assistance psychiatrique indigène aux colonies », art. cit., p. 172.

67 « Courrier du gouverneur général de l’AEF, 22 décembre 1926 », ANOM, 1 AFFPOL 689.

68 « Courrier du gouverneur des colonies, commissaire de la République française au Togo, 14 avril 1927 », ANOM, 1 AFFPOL 689.

69 « Courrier du gouverneur général de l’AOF, 19 mars 1927 », ANOM, 1 AFFPOL 689.

70 « Courrier du gouverneur général de l’AEF, 22 décembre 1926 », ANOM, 1 AFFPOL 689.

71 « Courrier du commissaire p. i. de la République française dans les territoires du Cameroun, 16 octobre 1926 », ANOM, 1 AFFPOL 689.

72 « Discussion du rapport d’assistance psychiatrique », dans Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France… (1938), op. cit., p. 179.

73 Ibid., p. 184.

74 Henri Emmanuel Aubin, « L’assistance psychiatrique indigène aux colonies », art. cit., p. 149.

75 Ibid., p. 169.

76 « Discussion du rapport d’assistance psychiatrique », dans Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France… (1938), op. cit., p. 177.

77 Antoine Porot, Charles Bardenat et Jean Sutter, « Un cas d’échokinésie indigène », dans Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France… (1938), op. cit., p. 205-210.

78 Gustave Martin, « L’hygiène mentale aux colonies. Conférence par TSF », La prophylaxie mentale, 1-2, 1925, p. 227-230.

79 Henri Emmanuel Aubin, « L’assistance psychiatrique indigène aux colonies », art. cit., p. 173.

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Pour citer cet article

Référence papier

Silvia Falconieri, « Pathologies de l’« âme indigène » »Histoire, médecine et santé, 20 | 2022, 27-49.

Référence électronique

Silvia Falconieri, « Pathologies de l’« âme indigène » »Histoire, médecine et santé [En ligne], 20 | hiver 2021, mis en ligne le 12 avril 2022, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/5133 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.5133

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Auteur

Silvia Falconieri

CNRS, Institut des mondes africains (UMR 8171)

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