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Race et psychiatrie, de la pathologie à l’émancipation

Savoirs psychiatriques et ordre racial, entre collusions et conflits

Aurélia Michel
p. 9-26

Texte intégral

  • 1 Aurélia Michel, Un monde en nègre et blanc. Enquête historique sur l’ordre racial, Paris, Éditions (...)
  • 2 Delphine Peiretti-Courtis, Corps noirs et médecins blancs. La fabrique du préjugé racial, xixe-xxe(...)
  • 3 C’est le cas au sein des sociétés savantes qui instituent et discutent à la fois le paradigme de l (...)

1Controversé et suscitant des énoncés mouvants et contradictoires, le vocabulaire de la race s’est diffusé parmi les élites européennes et atlantiques au début du xixe siècle pour résoudre les questions cruciales posées par l’économie de plantation, fondée sur une dissociation entre travail, territoires et sociétés qui était assurée jusqu’alors par l’institution de l’esclavage1. Comme le montre l’ouvrage récent de Delphine Peiretti-Courtis sur leur diffusion dans et par la pensée médicale2, les savoirs raciaux peuvent être envisagés comme une réponse aux enjeux du peuplement, du déplacement d’une population d’un territoire à un autre, de son remplacement, qui sont liés à l’expansion de l’économie de plantation à cette période (en particulier pour le café, le coton ou l’hévéa) : la médecine, qui mobilise alors les catégories raciales, s’intéresse alternativement à la résistance des corps aux milieux de production, à l’opportunité de leur transport d’un tropique à l’autre, aux conditions d’un peuplement blanc dans les colonies et à celles de la reproduction des populations mises au travail, aux conséquences du métissage sur la capacité productive ou le devenir politique d’une population et de ses territoires. Ces questions produisent des savoirs différents, voire opposés, selon les contextes démographiques, sans pour autant que le paradigme racial en soit affaibli – bien au contraire –, et alors même qu’il n’a cessé d’être mis en cause par une partie des médecins depuis le début de sa diffusion3.

  • 4 Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972.
  • 5 Robert Castel, L’ordre psychiatrique. L’âge d’or de l’aliénisme, Paris, Éditions de Minuit, 1976.
  • 6 Saïd Chebili, « La théorie évolutionniste de l’École d’Alger. Une idéologie scientifique exemplair (...)

2Dans cet usage médical de la race, la psychiatrie occupe une position singulière et importante. Du fait de son appréhension des dimensions sociales de la maladie et de sa thérapeutique, la psychiatrie a été, dès le début de son institutionnalisation dans les années 1830, associée à l’action de l’État dans le gouvernement des populations. Elle a ainsi participé à l’énonciation de normes, de leurs frontières pathologiques et des conditions de leur franchissement, produisant de ce fait des procédés d’altérisation. Dans le contexte colonial et/ou post-esclavagiste, l’altérisation produite par la maladie mentale – l’aliénation – a pu rejoindre ou renforcer l’altérisation raciale. Il ne serait pas difficile en effet de constituer un corpus des énoncés racistes parmi la littérature psychiatrique tout au long de son histoire coloniale, qui pourrait ainsi évoquer un « grand renfermement4 » ou un « ordre psychiatrique5 » dont la science médicale serait l’un des opérateurs essentiels. L’école psychiatrique dite d’Alger, autour du docteur Antoine Porot qui inaugure la chaire de psychiatrie à l’université d’Alger en 1925, fournit à elle seule une grande quantité de ces énoncés6.

  • 7 Jean Khalfa, « Fanon, psychiatre révolutionnaire », dans Frantz Fanon (dir.), Écrits sur l’aliénat (...)
  • 8 À l’instar des savoirs médicaux en général, par exemple : Jim Downs, Maladies of Empire. How Colon (...)

3D’un autre côté, cette image d’un « grand renfermement » racial qui s’exercerait dans l’espace colonial rend mal compte des réalités historiques de la colonisation européenne et plus généralement des importantes limites de celle-ci dans la maîtrise des populations comme des territoires. De même, malgré des discours et des énoncés politiques souvent autoritaires et normatifs, les capacités des États post-esclavagistes américains à exercer un contrôle social sur les populations urbaines comme rurales sont relatives. Plus encore, les espaces coloniaux et/ou post-esclavagistes ont pu être le lieu où les catégories raciales ont été questionnées par la psychiatrie. Figure de ce retournement, Frantz Fanon, à partir de son service psychiatrique à l’hôpital de Blida en 1953, opère un renversement clinique de la race dans un mouvement à la fois révolutionnaire et anticolonial7. D’autres exemples, dont certains sont abordés dans ce dossier, montrent qu’au sein du monde colonial et post-esclavagiste, la psychiatrie, nourrie de nouveaux savoirs comme l’anthropologie, se renouvelle en prenant en charge la santé des populations non blanches. Les savoirs raciaux comme psychiatriques non seulement ont circulé au sein des empires et des Amériques, mais y ont aussi été élaborés et réappropriés8.

  • 9 Emil Kraepelin, Introduction à la psychiatrie clinique, Paris, Vigot, 1907.
  • 10 Emil Kraepelin, « Psychiatrisches aus Java », Allgemeine Zeitschrift für Psychiatrie und Psychisc (...)

4La pathologisation de la race et de la folie, qui au tournant du xxe siècle se consolide sous l’effet de différentes découvertes médicales, produit des effets contradictoires. Les interprétations des travaux d’Emil Kraepelin sur la classification des maladies mentales, en particulier l’identification de la « démence précoce » et de la « psychose maniaco-dépressive9 », sont exemplaires de ce point de vue : adoptée très rapidement sur tous les continents, sa classification conduit à développer une nosologie commune, tandis que Kraepelin lui-même, voyageant à Java en 1904, renforce son étiologie entre maladies « pathogénétiques » et « pathoplastiques » en s’intéressant à deux syndromes indigènes, l’amok et le latah10. À cette tension théorique entre un universel des corps et leur contextualisation s’en ajoute une autre, thérapeutique, posée par le dilemme récurrent de la psychiatrie : soigner la société ou la protéger – et dès lors tracer des lignes de contention à caractère racial, juridique ou médical.

5Au croisement de ces tensions, savoirs raciaux et psychiatriques ne cessent d’interférer. Des oscillations et des polarisations autour de la race se reconfigurent indéfiniment en reportant les termes de l’altérité sur de nouveaux items (culture, ethnie, religion), parfois jusqu’à interroger en profondeur l’ordre colonial et racial. Ce sont ces interférences que ce dossier cherche à observer. À partir de configurations précises aux États-Unis, au Brésil, en Afrique coloniale française, à Madagascar, depuis la pathologisation de la race à la fin du xixe siècle à sa déconstruction par les décolonisations et les mouvements antiségrégationnistes dans les années 1960, les articles sont particulièrement attentifs aux contextes démographiques, politiques, coloniaux qui déterminent les enjeux des savoirs raciaux, tout autant qu’aux trajectoires singulières des psychiatres et à leur position institutionnelle, scientifique et personnelle dans l’ordre racial.

Aliénation et civilisation : une discussion fondatrice dans les années 1840

  • 11 Jean-Christophe Coffin, « La médecine mentale et la révolution de 1848. La création de la Société (...)
  • 12 René Collignon, « La psychiatrie coloniale française en Algérie et au Sénégal. Esquisse d’une hist (...)
  • 13 Jacques-Joseph Moreau, Recherches sur les aliénés, en Orient. Notes sur les établissements qui leu (...)
  • 14 « L’exaltation des idées religieuses est la cause principale, on pourrait presque dire unique, de (...)
  • 15 Thomas A. Wise, « On the Principal Remarks on Insanity as it Occurs among the Inhabitants of Benga (...)

6Dès la structuration de la profession psychiatrique en France, au sein de laquelle la discussion sur les causes de la folie oppose les psychologistes aux physiologistes11, la question des incidences de la « civilisation » sur la folie est posée12. Ainsi en 1843, première année de publication des Annales médico-psychologiques, deux études font l’objet d’une discussion qui s’étale sur plusieurs années au sein de la Société médico-psychologique (fondée en 1847). Le mémoire de Jacques-Joseph Moreau de Tours, Recherches sur les aliénés d’Orient13, insiste sur le rôle des mœurs religieuses des Orientaux dans le déclenchement de la maladie mentale14, relativisant les effets du climat (le vent du sud-est en Égypte) et de l’intoxication par le haschich. Publié la même année, celui de Thomas Wise sur la population aliénée de l’asile de Dacca, au Bengale15 (territoire géré par la East India Company), émet l’hypothèse, à partir de la démographie asilaire, d’une plus faible morbidité psychiatrique dans les sociétés orientales. Ces éléments à propos des Orientaux sont l’occasion de prolonger la discussion entre Alexandre Brierre de Boismont et Jean-Baptiste-Maximien Parchappe de Vinay entamée en 1839 à partir des éléments épidémiologiques et statistiques de la population asilaire en France. Les discussions sont alors très similaires à celles qui portaient sur les classes ouvrières et paupérisées des villes européennes, c’est-à-dire la majorité de la population des asiles d’aliénés (par opposition à celle des établissements privés).

  • 16 Société médico-psychologique, séance du 30 août 1852, « De l’influence de la civilisation sur le d (...)
  • 17 Ibid.

7Lors de quatre séances consécutives de la Société médico-psychologique en août 1852, Brierre de Boismont, qui défend l’importance des causes morales dans la maladie, reprend Moreau de Tours, selon lequel « il ne se trouve point d’aliénés chez les sauvages », et l’enquête de Wise, qui montre une plus faible proportion d’aliénés en Inde, pour affirmer que « le climat, quant à l’influence physique, les institutions sociales, les habitudes, les mœurs, quant à l’influence morale, occasionnelle, donnent l’explication de cette différence16 ». Son adversaire Parchappe, qui avait réfuté dès 1839 les thèses de Brierre à partir des données statistiques de l’établissement qu’il dirige à Rouen, conteste cette interprétation. Les questions portent successivement sur les incidences du climat, de l’usage des drogues et de l’alcool, des pratiques religieuses et de l’excitation cérébrale. Mais le débat reste limité par l’insuffisance des données épidémiologiques et la polysémie de la notion de civilisation, selon qu’on la considère comme une donnée historique et évolutive (comparant ainsi les sociétés médiévales européennes aux sociétés orientales) ou sociologique (associée à l’urbanisation, à la croissance démographique, à l’industrialisation et aux risques de santé publique liés)17.

  • 18 Thomas Bernon, « La science des races », art. cit.
  • 19 Pour une étude exhaustive de la contribution de la psychiatrie coloniale aux discussions de la Soc (...)
  • 20 Thomas Bernon, « La science des races », art. cit.
  • 21 Commission chargée d’examiner la proposition relative aux esclaves des colonies, Rapport fait au n (...)
  • 22 Edward Jarvis, « Insanity among the colored population of the free states I », American Journal of (...)
  • 23 Samuel A. Cartwright, « Report on the Diseases and Physical Peculiarities of the Negro Race », The (...)

8Cette discussion qui s’étale sur près de quinze années doit être replacée parmi un ensemble de controverses qui animent les sociétés savantes nouvellement fondées, et qui progressivement mettent en place une grammaire raciale. Ainsi, la question de l’incidence de la civilisation est à mettre en parallèle avec les débats qui ont lieu au même moment au sein de la Société ethnologique de Paris, créée en 1839 avec pour objet la « science des races ». De nombreux médecins y participent, dont certains sont également membres de la Société médico-psychologique18 : le psychiatre Louis-Francisque Lélut, alors directeur de la division des aliénés de la Salpêtrière, ou encore Alfred Maury, qui intervient à plusieurs reprises dans la discussion sur les relations entre folie et civilisation en 1852 pour indiquer que l’ignorance ou l’esclavage peuvent être une cause de suicide, aussi bien que l’alcool et les folies religieuses19. La conséquence de l’esclavage sur les capacités mentales et physiques des individus est également au cœur du débat parlementaire sur l’abolition de l’esclavage. Ces discussions empruntent abondamment à celles ayant cours au sein de la Société ethnologique20. Ainsi, en 1839, les parlementaires posent la question de l’influence de la civilisation sur la capacité à la liberté en se demandant si les Noirs créoles sont mieux préparés que les Africains21. Les enjeux autour de l’abolition de l’esclavage aux États-Unis produisent le même type d’argumentaire lorsque, à partir des résultats (erronés) du recensement de la population en 1842 qui montrent une très forte morbidité psychiatrique parmi la population noire des États du Nord, des publications médicales y voient les conséquences de la liberté sur la santé mentale des Noirs. Bien que les erreurs du recensement soient rapidement démontrées22, l’idée que la liberté nuit à la santé mentale des Noirs reste ancrée parmi les médecins du Sud, à l’instar de Samuel A. Cartwright, qui en 1851 invente la drapetomania, maladie des esclaves marrons ne supportant pas l’état de liberté23.

  • 24 Jean-Christophe Coffin, « La médecine mentale et la révolution de 1848 », art. cit.

9Tandis que le terme « civilisation » convoque à la fois la notion de race (mœurs, climat, religion), mais aussi le projet de la colonisation en Afrique, on voit peu à peu s’appliquer un questionnaire commun aux futurs affranchis, aux Africains et aux Orientaux. La définition de la civilisation et son influence sur la maladie, en lien avec le débat sur les origines de la « douleur morale », a pour enjeu le positionnement de la psychiatrie en tant que médecine sociale et le fait d’envisager, comme l’exprime Bénédict Morel en 1848, « la médecine dans ses rapports avec l’avenir de l’amélioration sociale24 ». Or, la question qui se pose désormais aux empires esclavagistes est de décider qui constitue ce corps social.

Faut-il soigner les noirs et les indigènes (1850-1890) ?

10La question de la pertinence d’une psychiatrie pour les esclaves, puis les affranchis et les colonisés, par définition exclus de la société et de la citoyenneté, se pose aux gouvernements nationaux comme coloniaux dans la deuxième moitié du xixe siècle.

  • 25 Élodie Edwards-Grossi, Bad brains. La psychiatrie et la lutte des Noirs américains pour la justice (...)
  • 26 Kirby Ann Randolph, Central Lunatic Asylum for the Colored Insane. A History of African Americans (...)

11Aux États-Unis, s’il existe à partir de 1848 la possibilité pour les maîtres, à leurs frais, de faire interner leurs esclaves, ces derniers n’ont pratiquement pas accès à la psychiatrie25. Après l’abolition en 1865, l’établissement Howard Grove en Virginie, qui ouvre en 1869 (et devient le Central Lunatic Asylum), le premier qui accueille des Noirs, ne compte que quelques centaines de patients dans les années 1880 au moment de sa reconstruction26. Au Brésil, seuls les aliénés troublant l’ordre public ou ne pouvant assumer les frais de leur internement (c’est le cas de l’immense majorité des personnes noires affranchies et esclaves) sont détenus dans les prisons locales jusqu’en 1841, date à laquelle les hôpitaux de la Santa Misericórdia qui assurent l’assistance publique dans l’Empire ouvrent des sections psychiatriques. C’est seulement en 1853 qu’est inauguré l’Hôpital des aliénés Pedro II à Rio de Janeiro, le premier et unique établissement consacré à la prise en charge psychiatrique jusqu’à l’abolition de l’esclavage et la proclamation de la République en 1889.

  • 27 J. Mills, « Modern Psychiatry in India. The British Role in Establishing an Asian System, 1858-194 (...)
  • 28 Ibid.

12En Inde, la colonisation directe par la Couronne britannique à partir de 1857 comporte rapidement un volet psychiatrique avec la proclamation de l’Indian Lunatic Asylum Act en 1858, suivie de l’ouverture de plusieurs hôpitaux, dont le Lucknow Lunatic Asylum à Agra en 1886. Le gouvernement colonial indien compte 26 asiles en 1900, dont 16 ont été ouverts dans les années 1860 et 187027. Au Bengale, la population asilaire passe de 627 patients en 1865 à 1 147 en 187528. Pourtant, ainsi que le faisaient déjà remarquer les commentateurs du rapport de Thomas Wise en 1843 sur Dacca, ces chiffres restent très faibles au vu de la population générale.

  • 29 Harriet Jane Deacon, « Madness, Race and Moral Treatment. Robben Island Lunatic Asylum, Cape Colon (...)
  • 30 Leland V. Bell, Mental and Social Disorder in Sub-Saharan Africa. The Case of Sierra Leone, 1787-1 (...)
  • 31 René Collignon, « La psychiatrie coloniale française en Algérie et au Sénégal », art. cit.
  • 32 Albert Diefenbacher et François Giraud, « Psychiatrie coloniale en Afrique orientale allemande », (...)
  • 33 Voir l’article de Raphaël Gallien dans ce dossier à propos des travaux du docteur Paul Rabe : Mada (...)
  • 34 René Collignon, « La psychiatrie coloniale française en Algérie et au Sénégal », art. cit.

13Dans leurs possessions en Afrique, les Néerlandais comme les Anglais avaient également ouvert des structures de soin de façon plus précoce (le Robben Island Lunatic Asylum dans la colonie du Cap en 184429, l’asile de Kissy en Sierra Leone la même année30 ou l’hôpital de Buitenzorg fondé par des Hollandais à Java en 1881), tandis que les colonies françaises31 ou allemandes32 tardent à mettre en place des structures de soin sur place. À l’exception de Madagascar, territoire conquis par la France en 1896, où s’applique la législation de 1838 et où l’administration coloniale ouvre rapidement un établissement33, les soins psychiatriques, lorsqu’ils s’imposent aux administrateurs coloniaux qui ne peuvent pas renvoyer les aliénés dans leur famille ou communauté, sont dispensés en métropole, grâce à une convention signée avec l’asile d’Aix-Marseille : Alger a passé un accord en 1845 et la Tunisie fait de même en 1899. Le Sénégal conclut pour sa part un contrat d’une durée de neuf ans avec l’asile d’Aix-Marseille en 1897, convention renouvelée en 190534.

  • 35 Docteur Meilhon, « L’aliénation mentale chez les Arabes. Étude de nosologie comparée », Annales mé (...)

14Dans un rapport publié en 189635, le docteur Meilhon, ancien médecin adjoint de l’hôpital d’aliénés d’Aix, indique qu’il a soigné seulement 83 aliénés musulmans d’Algérie dans son service. Il explique la faiblesse de ce chiffre au vu de la population musulmane d’Algérie par le statut particulier du fou « sacralisé » dans la société indigène, où il reste pris en charge dans la majorité des cas. La distance et les complications d’un internement en métropole obligent à réserver celui-ci aux incurables, tandis que les autres patients sont provisoirement accueillis par l’hôpital Mustapha.

15Cette situation, qui revient à réduire au maximum la prise en charge de la population indigène, correspond à la politique de l’administration coloniale alors en vigueur, que l’on peut résumer par l’expression « politique des races », énoncée par le général Gallieni dans son gouvernement de Madagascar. D’une part, elle laisse libre cours aux administrateurs coloniaux quant à la gestion de l’ordre public (ce à quoi les gouverneurs coloniaux ne renonceront pas facilement, ainsi que le montre Silvia Falconieri dans ce dossier) ; d’autre part, elle s’appuie sur une certaine autonomie des sociétés indigènes et sur l’intermédiaire que représentent leurs autorités locales.

  • 36 Carole Reynaud Paligot, La république raciale. Paradigme racial et idéologie républicaine, 1860-19 (...)
  • 37 Docteur Meilhon, « L’aliénation mentale chez les Arabes », art. cit., p. 17.
  • 38 Ibid., p. 23.
  • 39 Ibid..
  • 40 Ibid., p. 25.

16L’identification et la qualification des différentes « races » sont donc cruciales dans ce dispositif de gouvernement, et ces opérations s’appuient à leur tour sur une raciologie qui culmine à cette époque36. Mais ces savoirs raciaux relèvent davantage d’un postulat que d’une expérimentation, et le terme de race lui-même utilisé dans ce rapport ne s’est pas empli d’un sens plus précis ou expérimental que celui qu’il avait dans les années 1840. Ainsi, Meilhon entame son exposé en avançant que « la question de la race domine toute la psychopathologie de l’indigène d’Algérie37 ». Pour autant, le facteur racial est défini en des termes très généraux et similaires à ceux des débats sur la « civilisation ». Afin d’expliquer par exemple la faible diffusion des comportements délirants parmi les indigènes, Meilhon considère que l’« apathie morale » des indigènes est trop forte pour susciter des états délirants, selon l’idée que « nous délirons selon nos aptitudes psychiques » et que ce que l’on peut « observer en Algérie est l’enfance de l’aliénation ». En cela, il reprend l’idée qui associe maladie mentale et degré de civilisation. Quant à la race qui déterminerait ces aptitudes, elle n’est pas tant liée à des caractères physiologiques ou au climat, ainsi que le démontrent les données statistiques – argument important pour l’Algérie comme colonie de peuplement, « notre bonne colonie38 » –, mais elle est davantage le fait « d’habitudes, de mœurs, d’institutions et de religion, autrement dit de civilisation39 ». De ce point de vue il faut distinguer les Berbères et les Arabes, les premiers, par leur vie simple et structurée, étant moins « susceptibles de transmettre des tares acquises et de faire dégénérer leur race40 ».

17Malgré ces nuances d’une région à l’autre, on peut qualifier cette première psychiatrie coloniale ou post-esclavagiste de « psychiatrie des races », par analogie avec l’expression de Gallieni. Elle permet de justifier le renvoi à la responsabilité des communautés locales selon leurs us et coutumes vis-à-vis de la folie, et ainsi la prise en charge la plus pragmatique et réduite possible des aliénés dans des territoires peu contrôlés par l’État.

La santé des populations non blanches dans la nation : nouveaux défis au début du xxe siècle

  • 41 Cité par Waltraud Ernst, « Crossing the Boundaries of “Colonial Psychiatry”. Reflections on the De (...)

18Au tournant du xxe siècle, le projet colonial européen, tout comme celui des États-nations américains indépendants, pose de nouvelles questions sur les populations non blanches. Le statut de la population affranchie ou colonisée entre en tension avec les normes dominantes du progrès. Ainsi, le docteur Hume, directeur de l’asile d’aliénés d’Amroati dans la province indienne du Berar, relève en 1882 que « la prise en charge de la population aliénée n’est pas uniquement un principe d’humanité ou de civilisation, mais également de droit41 » : son « frère citoyen Indien » est, comme tout Anglais, en droit d’attendre de l’État qu’il prenne en charge ses proches malades mentaux, notamment parce qu’il paie des impôts pour cela.

  • 42 J. Mills, « Modern psychiatry in India », art. cit., p. 334.
  • 43 Ibid., p. 339.

19Cette position, certes exceptionnelle, pointe les contradictions juridiques et morales des États. L’exercice de la psychiatrie dans la colonie indienne britannique avait été mis en place avec l’Indian Lunatic Asylum Act de 1858, qui permettait l’incarcération des Indiens considérés comme malades mentaux par les Britanniques, y compris s’ils ne troublaient pas l’ordre public par des comportements criminels, et complété par le Code de procédure pénale de 1861 consacré aux aliénés criminels42. Ce cadre se maintient jusqu’à la Première Guerre mondiale et correspond à une croissance très lente de la population aliénée, qui ne bénéficie que d’une psychiatrie rudimentaire : les responsables des établissements ne sont pas spécialisés en psychiatrie et les signalements de maltraitance par le personnel sont récurrents. Quant aux traitements, ils se limitent au traitement moral, à de l’occupationnisme (thérapie par le travail sur la plantation de l’hôpital) et à l’administration de quelques calmants43.

  • 44 Raimundo Nina Rodrigues, As raças humanas e a responsabilidade penal no Brasil, Rio de Janeiro, Ce (...)
  • 45 Abel Hovelacque (1843-1896), Les nègres de l’Afrique sus-équatoriale, Sénégambie, Guinée, Soudan, (...)

20Le problème est également posé au Brésil à propos d’une éventuelle politique nationale de santé : dans la jeune République fédérale, l’autonomie des États en matière sanitaire et juridique est très large, et les médecins, qui alimentent avec les juristes une grande partie du personnel politique, s’inquiètent de l’impuissance de l’État central. Une discussion lancée par le psychiatre Raimundo Nina Rodrigues en 1896 prétend répondre à ces enjeux soulevés par la construction de l’État brésilien. Celui-ci plaide pour une juridiction différenciée selon les profils raciaux. Par analogie avec la responsabilité pénale atténuée de l’aliéné, il envisage une responsabilité différenciée selon les États44. Nourri des interprétations évolutionnistes de Herbert Spencer, Charles Letourneau ou Abel Hovelacque45, Rodrigues s’appuie aussi sur les thèses de l’anthropologie criminelle puisées chez Armand Corre, Cesare Lombroso ou Evariste Marandon de Montyel.

  • 46 Marcos Chor Maio et Ricardo Ventura Santos (dir.), Raça, ciência e sociedade, Rio de Janeiro, Fioc (...)

21Les progrès sur les facteurs bactériologiques, héréditaires et toxiques influant sur la santé contribuent également à renouveler la nosographie psychiatrique (infections, intoxications et maladies constitutives) et conduisent à des réformes d’organisation des soins dans les établissements ainsi qu’à de grandes campagnes de santé publique, par exemple au Brésil dans les années 191046. Les classifications d’Emil Kraepelin sur les maladies endogènes et exogènes, rapidement diffusées, confortent la nécessité d’une politique d’hygiène sociale, avec notamment la lutte contre l’alcoolisme, la criminalité ou la syphilis, dont l’une des évolutions, dite paralysie générale, est un motif fréquent d’internement.

  • 47 Matthew Gambino, « “These Strangers within our Gates”. Race, Psychiatry and Mental Illness among B (...)
  • 48 Robert Bennett Bean, « Some racial peculiarities of the Negro brain », American Journal of Anatomy(...)

22Paradoxalement, l’élargissement des populations soignées et la standardisation des nosographies s’accompagnent de la mise en œuvre de thérapeutiques sur des fondements raciaux. Ainsi, à l’hôpital de Saint Elizabeth, le docteur William White accueille la population noire de Washington et, tout y en développant une « new psychiatry », il institutionnalise un traitement différencié pour les patients noirs47. Plusieurs travaux tentent alors de mettre en évidence les spécificités anatomiques de la race noire et leurs conséquences psychiatriques48.

  • 49 René Collignon, « La psychiatrie coloniale française en Algérie et au Sénégal », art. cit.
  • 50 Saïd Chebili, « La théorie évolutionniste de l’École d’Alger. Une idéologie scientifique exemplair (...)

23Cette configuration est celle du développement de la fameuse École d’Alger. Le docteur Antoine Porot arrive en 1907 à Tunis, où il fait construire un pavillon consacré à la psychiatrie, pointant le problème d’une déportation des aliénés à Marseille. Ces constats sont étendus lors du XIIIe Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et de langue française, qui se tient pour la première fois hors de l’hexagone, à Tunis en 191249. Les médecins H. Régis et E. Reboul y présentent un rapport qui définit les stratégies d’une psychiatrie dans les colonies françaises : la nécessité d’un cadre équivalent à la loi de 1838 en métropole, la construction d’établissements sur place (avec une organisation en deux lignes, d’urgence et chronique, qui sera appliquée par Porot en Algérie), tout en pointant la nécessité de respecter les coutumes locales et en proposant les bases d’une sociothérapie adaptée. Cette prise en compte des spécificités du milieu s’accompagne du développement d’une psychopathologie raciale particulièrement rigide50, qui a été au cœur de la critique de Fanon.

24Les questions soulevées par les politiques publiques de santé et leurs différentes adaptations s’accentuent avec la Première Guerre mondiale, pour au moins deux raisons : la première est la participation des populations coloniales et noires américaines aux combats, la seconde est la conséquence des déplacements et migrations liés au conflit et à son règlement.

25De manière générale, les traumatismes des combats ont stimulé la recherche en psychiatrie. C’est également vrai pour les populations coloniales qui font l’objet d’un nouvel intérêt. Antoine Porot publie en 1918 deux textes à propos de la « psychologie musulmane » et, dans les Annales médico-psychologiques, il écrit :

  • 51 Antoine Porot, « Notes de psychiatrie musulmane », Annales médico-psychologiques, 9, 1918, p. 377- (...)

L’importante contribution militaire demandée à l’Afrique du Nord, les levées de classes entières, par appel, nous ont mis en présence de la véritable masse indigène, bloc informe de primitifs profondément ignorants et crédules pour la plupart, très éloignés de notre mentalité et de nos réactions et que n’avaient jamais pénétrés le moindre de nos soucis moraux, ni la plus élémentaire de nos préoccupations sociales, économiques et politiques.51

  • 52 J. Mills, « Modern psychiatry in India », art. cit., p. 339.

26En Inde, le médecin-chef de la colonie de Bombay avertit sa hiérarchie en 1918 de la nécessité d’augmenter considérablement les capacités d’accueil des asiles, les besoins étant clairement mésestimés : l’asile accueillerait à peine un quart des aliénés dénombrés par le dernier recensement, chiffre qui lui-même sous-estime le nombre de malades parmi la population de la présidence de Bombay. Il estime que les difficultés économiques des familles qui vont en augmentant risquent d’aggraver les besoins52.

  • 53 Élodie Edwards-Grossi, Bad brains…, op. cit.

27Les conséquences des déplacements d’après-guerre sont multiples : retours des zones de conflit en Europe, arrêt de la migration européenne vers les Amériques qui entraîne une migration rurale vers les métropoles au Brésil, tout comme la « Grande migration » des Noirs vers le nord des États-Unis et, avec elle, l’apparition de structures sanitaires qui reproduisent les mécanismes de la ségrégation sudiste53.

  • 54 Matthew Gambino, « “These Strangers within our Gates… », art. cit.
  • 55 J. Mills, « Modern Psychiatry in India », art. cit.
  • 56 John Ward, Le mouvement américain pour l’hygiène mentale, 1900-1930, ou comment améliorer la race (...)
  • 57 Francisco José de Oliveira Viana, Recenseamento de 1920. O povo brasileiro e a sua evolução, Rio d (...)
  • 58 Alfredo Ellis Junior, Populações paulistas, São Paulo, Companhia Editora Nacional, 1934.
  • 59 Un exemple au Canada : Sandrine Labelle, « Immigration et “hygiène mentale”. La dimension raciale (...)

28La sociologie des aliénés change également. Les aliénés noirs aux États-Unis ne sont plus seulement les plus pauvres, mais se recrutent aussi parmi les classes moyennes et la petite bourgeoisie noire qui s’est formée par exemple à Washington54. Au Brésil, le directeur de l’Hôpital des aliénés de Rio, Juliano Moreira, est Noir et, comme le montre Ynaê dos Santos dans ce dossier, sa réfutation systématique des causes raciales de la maladie détermine ses innovations cliniques. En Inde, le personnel médical et administratif dans l’entre-deux-guerres s’ouvre de plus en plus aux « indigènes55 ». Ces reconfigurations réorientent les médecines publiques. Dans le cadre des politiques d’hygiène mentale et sociale de la nation, les psychiatres sont amenés à reconsidérer la question raciale, notamment à travers le paradigme de l’eugénisme qui se diffuse largement56. Le directeur du recensement de la population de 1920 au Brésil, Viana Oliveira, anticipe le blanchiment de la population nationale57. Une autre étude démographique sur l’État de São Paulo fait prédire à J. Ellis Junior en 1934 la disparition complète de la population noire58. Plus généralement, les théories de la dégénérescence inspirent des politiques eugénistes pour préserver la population des maladies mentales héréditaires. La question de l’assimilation de populations étrangères à la nation se pose de manière plus large encore à partir de la crise de 1929. L’entrée aux États-Unis, au Brésil, en Argentine ou en France est soumise à des examens psychiatriques au moment où de nombreux États limitent l’immigration59.

  • 60 Alison Bashford et Philippa Levine, The Oxford Handbook of the History of Eugenics, Oxford, Oxford (...)
  • 61 René Collignon, « La psychiatrie coloniale française en Algérie et au Sénégal », art. cit.
  • 62 Les principaux travaux de l’École d’Alger sont cités dans l’article de Saïd Chebili, « La théorie (...)

29Or, l’historiographie des courants et politiques eugénistes témoigne que les psychiatres ne placent pas forcément la race et la maladie mentale sur le même plan d’analyse et peuvent s’opposer radicalement à propos de la race, tout en partageant une discussion commune sur la distinction des caractères innés et acquis de la maladie60. La prise en compte des facteurs pathogènes du milieu peut tout autant freiner ou accompagner le renforcement des distinctions raciales. Ainsi, la psychiatrie coloniale française, sous l’impulsion du docteur Franck Cazanove, développe une hygiène mentale spécifique pour les colonies. Celui-ci forme en 1925 une commission d’hygiène mentale pour l’Afrique-Occidentale française (AOF), qui prétend s’appuyer sur les pratiques indigènes existantes en matière de santé mentale, c’est-à-dire la prise en charge « traditionnelle » de la folie au niveau familial et communautaire61. Dans le même temps, les psychiatres de l’École d’Alger développent une raciologie qui cherche notamment les causes anatomiques des comportements déviants chez les indigènes arabes62.

Maladie mentale, culture et inconscient

  • 63 The Mind of Primitive Man est publié en 1911. Franz Boas fait la même année l’ouverture du Ier Con (...)
  • 64 Marcel Griaule et al., Cahier Dakar-Djibouti, Meurcourt, Éditions Les Cahiers, 2015.
  • 65 Arthur Ramos, O folclore negro do Brasil. Demopsicologia e psicanalise, Rio De Janeiro, Livraria-E (...)
  • 66 C’est aussi le contexte de l’opération de police menée à São Paulo en 1932, retracée dans la rubri (...)
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30À la fin des années 1920, le regard de la psychiatrie sur les races se voit profondément modifié par deux types de savoirs : l’anthropologie et la psychanalyse. Les travaux de Franz Boas sur l’âme primitive63 et ceux de Lucien Lévy-Bruhl, Les fonctions mentales dans les sociétés inférieures en 1911, mais surtout La mentalité primitive en 1922, ont une influence considérable, tout en suscitant des interprétations variées. Prolongée par les travaux de Marcel Griaule sur la « personne » en Afrique64, qui revient sur la figure du fou errant, ou par les études d’Arthur Ramos au Brésil sur les religions afro-brésiliennes65, la proposition de Lévy-Bruhl d’envisager le psychisme des « primitifs » (tout en refusant leur infériorisation) à partir de la pensée magique et analogique intéresse vivement les psychiatres. Elle répond à leurs interrogations sur le « mysticisme » des populations indigènes et noires, qu’ils considèrent depuis longtemps comme un facteur pathogène. C’est à ce titre qu’en 1931 est menée à Rio de Janeiro une vaste campagne médico-policière de répression des pratiques populaires religieuses66. Franck Cazanove publie en 1933 un article sur les conceptions magico-religieuses des indigènes67, inspiré de Lévy-Bruhl.

  • 68 Selon l’expression reprise par John Colin Carothers dans The African Mind in Health and Disease. A (...)
  • 69 Wulf Sachs, Black Hamlet. The Mind of an African Negro Revealed by Psychoanalysis., Londres, Bles, (...)
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31La tentative de caractériser une « âme africaine68 » ou une structure de la personnalité s’appuie sur la psychanalyse. Celle-ci offre la possibilité d’une écoute des signifiants et des symbolisations produites à partir des cultures africaines : c’est du moins la démarche de Wulf Sachs, psychiatre russe installé en Afrique du Sud en 1922, qui propose avec Black Hamlet publié en 193769 une alternative aux approches civilisationnelles ou évolutionnistes des races. À l’opposé de cette démarche, les notions freudiennes permettent à Barend J. F. Laubscher, directeur du Queenstown Mental Hospital en Afrique du Sud, de rechercher dans l’étude du rituel Tembu l’existence du complexe d’Œdipe et de conclure que les Africains sont collectivement coincés dans un stade infantile du développement de la personnalité70. Au même moment, au Brésil, Arthur Ramos met en relation les conflits névrotiques du sujet freudien avec l’évolution de la mentalité primitive africaine au sein d’une société civilisée.

  • 71 Margaret Joyce Field, Religion and Medicine of the Gã People, Accra, Presbyterian Book Depot, 1961 (...)
  • 72 René Collignon, « La psychiatrie coloniale française en Algérie et au Sénégal », art. cit ; Megan (...)
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32Là encore, les usages d’une approche culturaliste sont très contrastés. Margaret Field, anthropologue puis psychiatre qui travaille avec des populations Gã en Gold Coast dans les années 1930, propose une correspondance entre les catégories de la psychiatrie et celles de la sorcellerie chez les populations africaines71. En même temps, des psychiatres britanniques en Tanzanie supposent que le contact avec les sociétés colonisatrices ou « civilisées », par l’intermédiaire du travail contraint ou semi-contraint sur les plantations, est susceptible de produire des phénomènes également pathologiques de déculturation72, et rejoignent les hypothèses faites au Brésil sur les effets pathologiques de l’urbanisation des populations noires73.

  • 74 Megan Vaughan, « The Madman and the Medecine Man… », art. cit, p. 110‑111.
  • 75 John Colin Carothers, The African Mind in Health and Disease, op. cit., traduit en français en 195 (...)
  • 76 Antoine Porot et Don Côme Arrii, « L’impulsivité criminelle chez l’indigène algérien ; ses facteur (...)
  • 77 Jean Sutter et Antoine Porot, Le « primitivisme » des indigènes nord-africains, ses incidences en (...)
  • 78 Voir Dennis Doyle, « “Racial Differences Have to Be Considered”. Lauretta Bender, Bellevue Hospita (...)

33Enfin, l’approche culturelle et psychanalytique peut venir en renfort des hypothèses les plus anatomiques ou physiologiques : H. L. Gordon, superintendant du Mathari Mental Hospital à Nairobi dans les années 1930, travaille avec le bactériologue F. W. Vint sur le stade de développement des Africains à partir de l’analyse post-mortem de leur cerveau. Ils y détectent un « frontal lobe defect », pour déduire qu’ils n’atteignent pas le stade d’un enfant de 7-8 ans, justifiant ainsi le maintien des politiques coloniales74. Le docteur Smartt, psychiatre travaillant dans le Tanganyika, estime quant à lui que l’Africain rural n’a pas évolué en dix mille ans. C’est sur tous ces travaux que s’appuie John Carothers dans sa synthèse sur l’African mind75. Antoine Porot, en Algérie, élabore lui aussi une psychopathologie indigène : à partir de Lévy-Bruhl, il fait du « primitif » indigène un individu sujet au mysticisme, dont les connaissances seraient affectives et non objectives. Il situe l’Arabe musulman dans une évolution entre le primitif et l’enfant, avec des impulsivités criminelles76. Dans une publication de 1939, il en donne une explication organiciste, dans laquelle « la personnalité indigène souffre d’une carence morale », due à une « fragilité des intégrations corticales » et à une « prédominance des fonctions diencéphaliques77 ». Les caractéristiques raciales génétiques et biologiques justifient également les traitements différenciés de la psychiatre Lauretta Bender, qui exerce à partir de 1936 à l’hôpital Bellevue, seul établissement recevant des patients noirs à New York78.

  • 79 Malariathérapie mise au point par Julius Wagner-Jauregg en 1921, insulinothérapie ou cure de Sakel (...)
  • 80 Waltraud Ernst, Colonialism and Transnational Psychiatry. The Development of an Indian Mental Hosp (...)

34Les approches racialisées de la psychiatrie ne conduisent pas toujours à une racialisation des thérapeutiques. La diffusion de traitements de choc au milieu des années 1930 est à nouveau l’occasion de constater les proximités des savoirs et les écarts dans les pratiques79. Ces cures sont vite diffusées au sein de la communauté psychiatrique internationale : à Agra (Inde) en 1937, à São Paulo en 1936, en Algérie en 1937 et 1938. Elles sont utilisées par l’eugéniste brésilien Pacheco e Silva, la psychiatre Lauretta Bender à New York ou par Porot en Algérie, mais elles permettent aussi dans d’autres contextes d’opposer une psychiatrie scientifique à une psychiatrie coloniale. Ainsi, le directeur indien de l’hôpital de Ranchi entre 1925 et 1945, le docteur Dhunjibhoy, fait de nombreux voyages en 1930 avec cette ambition, notamment aux États-Unis, d’où il rapporte les traitements de choc ainsi que la sociothérapie et la psychanalyse80.

  • 81 Pour ce qui concerne l’ambivalence de l’ethnopsychiatrie, voir : Didier Fassin, « Les politiques d (...)
  • 82 Richard C. Keller, Colonial Madness. Psychiatry in French North Africa, Chicago, University of Chi (...)
  • 83 Sur l’école de psychiatrie d’Alger en général, voir : Richard C. Keller, Colonial Madness. Psychia (...)
  • 84 Ces initiatives font l’objet de la thèse de Jack Azoulay, interne travaillant sous la supervision (...)

35La même ambivalence peut s’appliquer à la sociothérapie et plus tard à la psychiatrie communautaire à Harlem, qui fait l’objet de l’article d’Élodie Grossi-Edwards, ou à l’ethnopsychiatrie à Fann, au Sénégal, dont le contexte est restitué par René Collignon dans la rubrique « Entretien » de ce numéro81. On peut d’ailleurs trouver chez Antoine Porot un exemple précoce de ces pratiques. Porot a obtenu, malgré la mauvaise volonté des autorités coloniales82, l’ouverture de trois hôpitaux sur le principe de la première ligne (traitement d’urgence et cas aigus à Alger et Oran) et de la deuxième ligne (pour les incurables ou chroniques, l’hôpital de Blida-Joinville assurant ce service à partir de 1937). Dans cette colonie de peuplement, le nombre de patients augmente bien plus rapidement que les capacités d’accueil (723 aliénés en 1937, puis 1 526 en 1938). Le traitement y est racialisé, les services destinés aux Européens et aux musulmans étant distincts. Porot non seulement y développe la neurologie, les traitements de choc et la toxicologie, celle-ci pour répondre au contexte de consommation de haschich et d’alcool, mais il y impose aussi une formation spécifique des infirmiers sur les coutumes et pratiques locales, insiste sur la prévention et met en place des procédures qui impliquent les familles83. Ce sont en partie ces initiatives qui sont développées par Frantz Fanon, qui arrive comme médecin-chef en 195384.

  • 85 Jean Khalfa, « Fanon, psychiatre révolutionnaire », art. cit.
  • 86 Octave Mannoni, Psychologie de la colonisation, Paris, Éditions du Seuil, 1950. Voir la lecture de (...)
  • 87 Antoine Porot, Manuel alphabétique de psychiatrie clinique, Paris, Presses universitaires de Franc (...)
  • 88 Jock McCulloch, Colonial Psychiatry and the African Mind, Cambridge, Cambridge University Press, 2 (...)
  • 89 Marcos Chor Maio, « Florestan Fernandes, Oracy Nogueira, and the Unesco Project on Race Relations (...)

36Fanon vient de publier, en 1952, Peaux noires, masques blancs, un essai qu’il a dû renoncer à soutenir comme thèse de médecine à Lyon. À la place, il a défendu une démonstration plus conventionnelle à propos des caractères héréditaires de la maladie de Friedreich, démontrant que les approches organiques étaient essentielles pour se dégager d’une typologie coloniale de la maladie mentale85. Dans Peaux noires, masques blancs, il répond à une publication du philosophe Octave Mannoni, revenu de Madagascar avec une « psychologie de la colonisation » qui ouvre la discussion sur une clinique du racisme86. La même année, Antoine Porot publie son manuel de psychiatrie87, comportant des pans entiers de sa raciologie et qui sera réédité tel quel jusqu’en 1975. En 1953, John Carothers compile pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS) les savoirs raciaux les plus radicaux que la psychiatrie coloniale africaine ait pu produire88. Pendant ce temps, une autre organisation internationale, l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), mobilise anthropologues et sociologues sur les effets du racisme dans différentes régions du monde, opération coordonnée par le psychiatre brésilien Arthur Ramos89.

  • 90 Et aussi à rejoindre les démarches de Greg Eghigian, The Routledge History of Madness and Mental H (...)

37Ce parcours sur lequel se placent les sept textes du dossier invitera, nous l’espérons, à circuler plus largement au sein d’un espace forgé par le vocabulaire racial, que ce soit en Asie, dans l’Empire britannique, dans d’autres pays latino-américains et en Europe même90. Tournant, à travers l’Afrique et l’Amérique, autour de la construction de la race noire et de son lien avec l’abolition de l’esclavage, il montre d’ores et déjà toute l’importance de reconstituer la corporéité des dispositifs d’altérisation et d’aliénation, à la fois dans les représentations et les expériences, dans les processus de domination comme d’émancipation. En même temps, il suggère un mouvement de double hélice dans lequel, bien que les représentations médicales de la maladie mentale et les constructions raciales se tiennent face à face, ces dernières semblent échapper toujours à la vérification de l’expérience et se redéployer indéfiniment sur de nouveaux terrains, à moins que des psychiatres eux-mêmes aux prises avec la race parviennent à interrompre cette ritournelle.

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Notes

1 Aurélia Michel, Un monde en nègre et blanc. Enquête historique sur l’ordre racial, Paris, Éditions Points, 2020.

2 Delphine Peiretti-Courtis, Corps noirs et médecins blancs. La fabrique du préjugé racial, xixe-xxe siècles, Paris, La Découverte, 2021.

3 C’est le cas au sein des sociétés savantes qui instituent et discutent à la fois le paradigme de la race : dès la fondation de la Société ethnologique de Paris, la notion de race est contestée par exemple par le médecin Claude-Charles Pierquin de Gembloux – voir Thomas Bernon, « La science des races. La Société Ethnologique de Paris et le tournant colonial (1839-1848) », La Révolution française. Cahiers de l’Institut d’histoire de la Révolution française, 15, 2018 – et plus tard par Antenor Firmin au sein de la Société d’anthropologie de Paris, qui publie De l’égalité des races humaines en 1885, ainsi que par le médecin Gustave Le Bon dans le même contexte.

4 Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972.

5 Robert Castel, L’ordre psychiatrique. L’âge d’or de l’aliénisme, Paris, Éditions de Minuit, 1976.

6 Saïd Chebili, « La théorie évolutionniste de l’École d’Alger. Une idéologie scientifique exemplaire », L’information psychiatrique, 91 (2), 2015, p. 163‑168.

7 Jean Khalfa, « Fanon, psychiatre révolutionnaire », dans Frantz Fanon (dir.), Écrits sur l’aliénation et la liberté, Paris, La Découverte, 2018, p. 161‑202.

8 À l’instar des savoirs médicaux en général, par exemple : Jim Downs, Maladies of Empire. How Colonialism, Slavery, and War Transformed Medicine, Cambridge, The Belknap Press, 2021 ; Sharla M. Fett, Working Cures. Healing, Health, and Power on Southern Slave Plantations, Chapell Hill, University of North Carolina Press, 2002 ; Deirdre Cooper Owens, Medical Bondage. Race, Gender, and the Origins of American Gynecology, Athens, University of Georgia Press, 2017 ; Londa Schiebinger, Secret Cures of Slaves. People, Plants, and Medicine in the Eighteenth-Century Atlantic World, Stanford, Stanford University Press, 2017.

9 Emil Kraepelin, Introduction à la psychiatrie clinique, Paris, Vigot, 1907.

10 Emil Kraepelin, « Psychiatrisches aus Java », Allgemeine Zeitschrift für Psychiatrie und Psychisch-Gerichtliche Medizin, 61, 1904, p. 882-884. Voir Luc Huffschmitt, « Kraepelin à Java », Synapse, 86, 1992, p. 69-76.

11 Jean-Christophe Coffin, « La médecine mentale et la révolution de 1848. La création de la Société médico-psychologique », Revue d’histoire du xixe siècle, 16 (1), 1998, p. 83‑94.

12 René Collignon, « La psychiatrie coloniale française en Algérie et au Sénégal. Esquisse d’une historisation comparative », Revue Tiers Monde, 187, 2006, p. 527‑546.

13 Jacques-Joseph Moreau, Recherches sur les aliénés, en Orient. Notes sur les établissements qui leur sont consacrés à Malte, île de, au Caire, Égypte, à Smyrne, Asie-Mineure, à Constantinople, Turquie, Paris, Bourgogne et Martinet, 1843.

14 « L’exaltation des idées religieuses est la cause principale, on pourrait presque dire unique, de la folie chez les musulmans » (Jacques-Joseph Moreau, Recherches sur les aliénés…, op. cit., p. 25) ; « La manière dont les musulmans accomplissent, dans certaines occasions, le devoir le plus important de leur religion, la prière, est éminemment propre à déterminer la folie » (Ibid., p. 26).

15 Thomas A. Wise, « On the Principal Remarks on Insanity as it Occurs among the Inhabitants of Bengal », London Journal of Medicine, 4 (43), 1852, p. 661‑691.

16 Société médico-psychologique, séance du 30 août 1852, « De l’influence de la civilisation sur le développement de la folie », Annales médico-psychologiques, 5, 1853, p. 293-300.

17 Ibid.

18 Thomas Bernon, « La science des races », art. cit.

19 Pour une étude exhaustive de la contribution de la psychiatrie coloniale aux discussions de la Société médico-psychologique, voir René Collignon, « Contributions à la psychiatrie coloniale et à la psychiatrie comparée dans les Annales médico-psychologiques. Essai de bibliographie annotée », Psychopathologie africaine, 27 (2-3), 1995, p. 265-326 ; et suite dans Psychopathologie africaine, 28 (2), 1997, p. 221-269.

20 Thomas Bernon, « La science des races », art. cit.

21 Commission chargée d’examiner la proposition relative aux esclaves des colonies, Rapport fait au nom de la commission chargée d’examiner la proposition de M. de Tracy, relative aux esclaves des colonies [séance du 23 juillet 1839], par M. A. de Tocqueville, Paris, A. Henry, 1839.

22 Edward Jarvis, « Insanity among the colored population of the free states I », American Journal of Medical Science, 7, 1844, p. 71-83 ; et Edward Jarvis « Insanity among the colored population of the free states II », American Journal of Insanity, 8, 1852, p. 268-82.

23 Samuel A. Cartwright, « Report on the Diseases and Physical Peculiarities of the Negro Race », The New Orleans Medical and Surgical Journal, 1851, p. 691-715.

24 Jean-Christophe Coffin, « La médecine mentale et la révolution de 1848 », art. cit.

25 Élodie Edwards-Grossi, Bad brains. La psychiatrie et la lutte des Noirs américains pour la justice raciale, xxe-xxie siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2021.

26 Kirby Ann Randolph, Central Lunatic Asylum for the Colored Insane. A History of African Americans with Mental Disabilities, 1844-1885, PhD dissertation, University of Pennsylvania, 2003, p. 1‑245.

27 J. Mills, « Modern Psychiatry in India. The British Role in Establishing an Asian System, 1858-1947 », International Review of Psychiatry, 18 (4), 2006, p. 333‑343.

28 Ibid.

29 Harriet Jane Deacon, « Madness, Race and Moral Treatment. Robben Island Lunatic Asylum, Cape Colony, 1846-1890 », History of Psychiatry, 7 (26), 1996, p. 287‑297.

30 Leland V. Bell, Mental and Social Disorder in Sub-Saharan Africa. The Case of Sierra Leone, 1787-1990, New York, Greenwood Press, 1991.

31 René Collignon, « La psychiatrie coloniale française en Algérie et au Sénégal », art. cit.

32 Albert Diefenbacher et François Giraud, « Psychiatrie coloniale en Afrique orientale allemande », L’Autre, 3 (3), 2002, p. 445‑453.

33 Voir l’article de Raphaël Gallien dans ce dossier à propos des travaux du docteur Paul Rabe : Madagascar est aussi une des rares colonies où, dès 1907, un médecin indigène exerce, puis dirige un établissement en psychiatrie.

34 René Collignon, « La psychiatrie coloniale française en Algérie et au Sénégal », art. cit.

35 Docteur Meilhon, « L’aliénation mentale chez les Arabes. Étude de nosologie comparée », Annales médico-psychologiques, 3, 1896, p. 17-32.

36 Carole Reynaud Paligot, La république raciale. Paradigme racial et idéologie républicaine, 1860-1930, Paris, PUF, 2006 ; Delphine Peiretti-Courtis, Corps noirs et médecins blancs…, op. cit.

37 Docteur Meilhon, « L’aliénation mentale chez les Arabes », art. cit., p. 17.

38 Ibid., p. 23.

39 Ibid..

40 Ibid., p. 25.

41 Cité par Waltraud Ernst, « Crossing the Boundaries of “Colonial Psychiatry”. Reflections on the Development of Psychiatry in British India, c. 1870-1940 », Culture, Medicine & Psychiatry, 35 (4), 2011, p. 541.

42 J. Mills, « Modern psychiatry in India », art. cit., p. 334.

43 Ibid., p. 339.

44 Raimundo Nina Rodrigues, As raças humanas e a responsabilidade penal no Brasil, Rio de Janeiro, Centro Edelstein, 1894.

45 Abel Hovelacque (1843-1896), Les nègres de l’Afrique sus-équatoriale, Sénégambie, Guinée, Soudan, Haut-Nil, Paris, Lecrosnier et Babé, 1889.

46 Marcos Chor Maio et Ricardo Ventura Santos (dir.), Raça, ciência e sociedade, Rio de Janeiro, Fiocruz, 1996.

47 Matthew Gambino, « “These Strangers within our Gates”. Race, Psychiatry and Mental Illness among Black Americans at St Elizabeths Hospital in Washington, DC, 1900-40 », History of Psychiatry, 19 (76-4), 2008, p. 387‑408.

48 Robert Bennett Bean, « Some racial peculiarities of the Negro brain », American Journal of Anatomy, 5 (4), 1906, p. 353-415.

49 René Collignon, « La psychiatrie coloniale française en Algérie et au Sénégal », art. cit.

50 Saïd Chebili, « La théorie évolutionniste de l’École d’Alger. Une idéologie scientifique exemplaire », art. cit. ; Richard C. Keller, « Taking Science to the Colonies. Psychiatric Innovation in France and North Africa », dans Sloan Mahone et Megan Vaughan (dir.), Psychiatry and Empire, Londres, Palgrave Macmillan, 2007, p. 17‑40 ; René Collignon, « La psychiatrie coloniale française en Algérie et au Sénégal », art. cit. ; Jalil Bennani, « L’École d’Alger », dans Psychanalyse en terre d’islam. Introduction à la psychanalyse au Maghreb, Toulouse, Érès, 2000, p. 83‑102.

51 Antoine Porot, « Notes de psychiatrie musulmane », Annales médico-psychologiques, 9, 1918, p. 377-384 ; Antoine Porot et Angelo Hesnard, L’expertise mentale militaire, Paris, Masson, 1918.

52 J. Mills, « Modern psychiatry in India », art. cit., p. 339.

53 Élodie Edwards-Grossi, Bad brains…, op. cit.

54 Matthew Gambino, « “These Strangers within our Gates… », art. cit.

55 J. Mills, « Modern Psychiatry in India », art. cit.

56 John Ward, Le mouvement américain pour l’hygiène mentale, 1900-1930, ou comment améliorer la race humaine, Paris, L’Harmattan, 2011.

57 Francisco José de Oliveira Viana, Recenseamento de 1920. O povo brasileiro e a sua evolução, Rio de Janeiro, Typ. da Estatistica, 1922.

58 Alfredo Ellis Junior, Populações paulistas, São Paulo, Companhia Editora Nacional, 1934.

59 Un exemple au Canada : Sandrine Labelle, « Immigration et “hygiène mentale”. La dimension raciale du discours médical en faveur de la stérilisation des “faibles d’esprit” dans le Canada des années 1920 », Revue Histoire, Idées, Sociétés, 2018, en ligne : https://revuehis.uqam.ca/articles-de-fond/immigration-et-hygiene-mentale-la-dimension-raciale-du-discours-medical-en-faveur-de-la-sterilisation-des-faibles-desprit-dans-le-canada-des-annees-1920/ (consulté le 15 décembre 2021).

60 Alison Bashford et Philippa Levine, The Oxford Handbook of the History of Eugenics, Oxford, Oxford University Press, 2012 ; Naney Leys Stepan, The Hour of Eugenics. Race, Gender, and Nation in Latin America, Ithaca, Cornell University Press, 1991 ; Anne Carol, Histoire de l’eugénisme en France. Les médecins et la procréation, xixe-xxe siècle, Paris, Éditions du Seuil, 1995.

61 René Collignon, « La psychiatrie coloniale française en Algérie et au Sénégal », art. cit.

62 Les principaux travaux de l’École d’Alger sont cités dans l’article de Saïd Chebili, « La théorie évolutionniste de l’École d’Alger. Une idéologie scientifique exemplaire », art. cit.

63 The Mind of Primitive Man est publié en 1911. Franz Boas fait la même année l’ouverture du Ier Congrès universel des races à Londres.

64 Marcel Griaule et al., Cahier Dakar-Djibouti, Meurcourt, Éditions Les Cahiers, 2015.

65 Arthur Ramos, O folclore negro do Brasil. Demopsicologia e psicanalise, Rio De Janeiro, Livraria-Editôra da Casa do Estudante do Brasil, 1935.

66 C’est aussi le contexte de l’opération de police menée à São Paulo en 1932, retracée dans la rubrique « Sources et documents » de ce numéro.

67 Franck Cazanove, « Les conceptions magico-religieuses des indigènes de l’Afrique Occidentale Française. Leur importance en médecine mentale et sociale », L’Hygiène sociale, 5 (103), 1933, p. 2083-2087.

68 Selon l’expression reprise par John Colin Carothers dans The African Mind in Health and Disease. A Study in Ethnopsychiatry, Genève, World Health Organization, 1953.

69 Wulf Sachs, Black Hamlet. The Mind of an African Negro Revealed by Psychoanalysis., Londres, Bles, 1937. Avant cette première publication sur l’analyse d’un patient noir, Sachs a publié The Vegetative Nervous System in Dementia Praecox, Johannesbourg, 1936.

70 On retrouve ces idées chez le psychiatre Julio Pires Porto-Carrero, également introducteur de la psychanalyse au Brésil. Jane A. Russo, « Raça, psiquiatria e medicina-legal. Notas sobre a “pré-história” da psicanálise no Brasil », Horizontes Antropológicos, 4 (9), 1998, p. 85‑102.

71 Margaret Joyce Field, Religion and Medicine of the Gã People, Accra, Presbyterian Book Depot, 1961 [1937].

72 René Collignon, « La psychiatrie coloniale française en Algérie et au Sénégal », art. cit ; Megan Vaughan, « The Madman and the Medecine Man. Colonial Psychiatry and the Theory of Deculturation », Curing Their Ills. Colonial Power and African Illness, Cambridge, Polity Press, 1991, p. 100‑128.

73 Voir notre article dans ce dossier ainsi que Roger Bastide, Les religions africaines au Brésil. Vers une sociologie des interpénétrations de civilisations, Paris, Presses universitaires de France, 1960.

74 Megan Vaughan, « The Madman and the Medecine Man… », art. cit, p. 110‑111.

75 John Colin Carothers, The African Mind in Health and Disease, op. cit., traduit en français en 1954.

76 Antoine Porot et Don Côme Arrii, « L’impulsivité criminelle chez l’indigène algérien ; ses facteurs », Annales médico-psychologiques, 90 (2),‎ 1932, p. 588-611, qui reprend la thèse d’Arri soutenue en 1926.

77 Jean Sutter et Antoine Porot, Le « primitivisme » des indigènes nord-africains, ses incidences en pathologie mentale, Marseille, Impr. marseillaise, 1939.

78 Voir Dennis Doyle, « “Racial Differences Have to Be Considered”. Lauretta Bender, Bellevue Hospital, and the African American Psyche, 1936-52 », History of Psychiatry, 21 (82), 2010, p. 206-223.

79 Malariathérapie mise au point par Julius Wagner-Jauregg en 1921, insulinothérapie ou cure de Sakel en 1933, Cardiazol développé par le hongrois Ladislas von Meduna en 1934, puis l’électrochoc en 1941.

80 Waltraud Ernst, Colonialism and Transnational Psychiatry. The Development of an Indian Mental Hospital in British India, c. 1925-1940, Cambridge, Cambridge University Press, 2014.

81 Pour ce qui concerne l’ambivalence de l’ethnopsychiatrie, voir : Didier Fassin, « Les politiques de l’ethnopsychiatrie. La psyché africaine, des colonies africaines aux banlieues parisiennes », L’Homme. Revue française d’anthropologie, 153, 2000, p. 231‑250.

82 Richard C. Keller, Colonial Madness. Psychiatry in French North Africa, Chicago, University of Chicago Press, 2008.

83 Sur l’école de psychiatrie d’Alger en général, voir : Richard C. Keller, Colonial Madness. Psychiatry in French North Africa, op. cit. ; Jalil Bennani, « L’École d’Alger », art. cit.

84 Ces initiatives font l’objet de la thèse de Jack Azoulay, interne travaillant sous la supervision de Fanon : Jack Azoulay, Contribution à l’étude de la socialthérapie dans un service d’aliénés musulmans, thèse pour le doctorat en médecine, université d’Alger, 1954.

85 Jean Khalfa, « Fanon, psychiatre révolutionnaire », art. cit.

86 Octave Mannoni, Psychologie de la colonisation, Paris, Éditions du Seuil, 1950. Voir la lecture de Livio Boni et Sophie Mendelsohn, La vie psychique du racisme. 1. L’empire du démenti, Paris, La Découverte, 2021.

87 Antoine Porot, Manuel alphabétique de psychiatrie clinique, Paris, Presses universitaires de France, 1952.

88 Jock McCulloch, Colonial Psychiatry and the African Mind, Cambridge, Cambridge University Press, 2006.

89 Marcos Chor Maio, « Florestan Fernandes, Oracy Nogueira, and the Unesco Project on Race Relations in São Paulo », Latin American Perspectives, 38 (3), 2011, p. 136‑149.

90 Et aussi à rejoindre les démarches de Greg Eghigian, The Routledge History of Madness and Mental Health, New York, Routledge, 2017 ; Sloan Mahone et Megan Vaughan (dir.), Psychiatry and Empire, op. cit.

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Pour citer cet article

Référence papier

Aurélia Michel, « Savoirs psychiatriques et ordre racial, entre collusions et conflits »Histoire, médecine et santé, 20 | 2022, 9-26.

Référence électronique

Aurélia Michel, « Savoirs psychiatriques et ordre racial, entre collusions et conflits »Histoire, médecine et santé [En ligne], 20 | hiver 2021, mis en ligne le 12 avril 2022, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/5124 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.5124

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Auteur

Aurélia Michel

Centre d’études en sciences sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques (CESSMA), Université de Paris

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