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Comptes rendus

François Zanetti, L’électricité médicale dans la France des Lumières

Oxford, Voltaire Foundation (Oxford University Studies in the Enlightenment), 2017
Marie Thébaud-Sorger
p. 166-169
Référence(s) :

François Zanetti, L’électricité médicale dans la France des Lumières, Oxford, Voltaire Foundation (Oxford University Studies in the Enlightenment), 2017, 265 pages.

Texte intégral

  • 1 On citera également la thèse récemment parue d’Anton Serdeczny, Du tabac pour le mort. Une histoire (...)
  • 2 Voir les travaux de Paola Bertucci : Electric Bodies. Episodes in the History of Medical Electricit (...)

1Cet ouvrage est la version publiée de la thèse que François Zanetti a consacrée à l’électricité médicale en France. Si le champ de l’histoire de la médecine au xviiie siècle connaît depuis deux décennies nombre de renouvellements sur l’histoire des institutions et des figures du médecin, chirurgien et patient, l’intérêt récent pour des gestes thérapeutiques plus à la marge1 permet de lire à nouveaux frais les dynamiques sociales et intellectuelles qui ont façonné la médecine des Lumières. Les applications thérapeutiques de l’électricité avaient été, en effet, jusque-là peu explorées2, alors même qu’elles se situent à l’articulation de travaux nombreux en histoire des sciences, consacrés à l’électricité et à ses controverses, ainsi qu’en histoire culturelle, avec notamment des objets tels que le mesmérisme. En faisant l’histoire d’une pratique en apparence « anecdotique », qui connut son grand moment en France entre 1770 et 1780, l’auteur n’a pas pour objet de juger son efficacité réelle ou supposée. Il s’agit ici de réinvestir, à travers une étude de cas très fouillée, l’histoire des perceptions physiologiques, des pathologies et de l’efficacité thérapeutique des remèdes perçus, en analysant les interactions entres soignants, patients et administrateurs au gré des transformations des institutions médicales (facultés, sociétés savantes, hôpitaux) et des jeux de pouvoirs et de hiérarchies qui délimitent les actions des praticiens.

2L’appropriation de l’électricité comme remède par la médecine est étudiée au long de dix chapitres qui déroulent une chronologie fine, des années 1740 à la période révolutionnaire. Son introduction fut tout d’abord marquée par l’abbé Nollet (1710-1770) dont la figure domine le débat sur l’électricité en France, et qui participe à la fois aux premiers essais et à leur marginalisation dans le champ médical (chapitre I), avant un regain d’intérêt émergeant dans le sillage des recherches sur la perception de l’atmosphère, la météorologie et les fluides aériens (chapitre II), explorant l’effet du fluide électrique sur le corps. La place centrale des académies provinciales dans la construction de ces nouvelles approches est ici centrale, à l’exemple des travaux de Pierre Bertholon (1741-1800). En 1776, l’instauration de la Société royale de médecine (SRM) va véritablement institutionnaliser la médicalisation de l’électricité (chapitre III) à travers le soutien aux expériences conduites par Pierre Mauduyt de la Varenne (1733-1792), figure qui traverse l’ensemble de l’ouvrage, aux côtés d’autres praticiens comme le médecin Masars de Cazales à Toulouse, le démonstrateur Nicolas-Philippe Ledru (1731-1807), dit Comus, et le chanoine Sans (1721-1797). Revenue sur le devant de la scène, l’électricité utilisée selon trois moyens (bains, étincelles, commotions), rencontre un succès croissant pour un public socialement très hétéroclite ; si elle se présente comme un nouveau « médicament » (chapitre IV) pour traiter des affections particulières du corps, l’innovation médicale s’inscrit toutefois en complément d’autres pratiques comme les eaux thermales ou comme dernier recours pour des pathologies complexes (épilepsies, convulsions, apoplexies, paralysies), et se déploie particulièrement pour les rhumatismes et les maladies nerveuses, les vapeurs, les humeurs et les secrétions du corps (sang, lait, sperme). De ce fait, l’usage de l’électricité rencontre les visées réformatrices et politiques des gouvernements Turgot et Necker : lutter contre la dégénérescence et la dépopulation, accroître le contrôle social et moral sur le corps, tout en déployant des moyens d’assistance et de secours, emblématiques de l’esprit philanthropique (chapitres V et VI). Cette configuration invite à repérer les lieux du soin, évoluant des salons et cabinets de médecine privés aux hôpitaux et dépôts de mendicité, soins payants et soins gratuits prodigués grâce au secours de l’État, qui encourage les moyens de guérir les maux du travail et soulager « l’humanité souffrante ». L’exploration de la variété des parcours thérapeutiques, à travers les archives extrêmement denses de la SRM, mais aussi des sources du fort privé, permet de nouer toutes les nuances des interactions entre soignants et patients, entre attentes, espoirs et abandons (chapitre VII et VIII) ; la pratique du soin est abordée concrètement, réinscrite dans ces lieux et sa temporalité (les cures sont constituées de séances répétées sur plusieurs mois supposant des contraintes en termes d’accessibilité géographique et/ou financière), dans un ensemble complexe de relations sociales (la place des tiers, d’intermédiaires, des chirurgiens, des bienfaiteurs), et dans la concurrence du marché médical. Domaine frontière où officient encore des expérimentateurs de physique habile comme Comus, ou amateur comme l’abbé Sans, l’auteur montre à travers le parcours de ce dernier comment l’autorité des médecins parvient à s’imposer et à redessiner l’espace légitime du soin (connaissance des pathologies et adaptation du remède). Il désigne en retour la figure du charlatan et la marginalisation des amateurs que le moment révolutionnaire (chapitre X) vient consolider. L’électricité médicale est intégrée à la pharmacopée des remèdes, dans des espaces sociaux distincts, domestiques pour les plus aisés qui s’équipent de machines, publics pour une médecine du peuple peu coûteuse, alors que se nouent de nouvelle voie de recherches entre la vitalité et le fluide électrique, prometteuse d’autres usages (telles que son application à la réanimation).

  • 3 Larry Stewart, « At the Medical Edge or, The Beddoes Effect », dans Jed Buchwald et Larry Stewart ( (...)

3Cette étude passionnante, qui excelle dans la nuance et se déjoue des explications binaires, permet à travers l’histoire d’un remède curieux de reprendre toute une série de questions transversales. François Zanetti montre bien la manière dont différentes conceptions physiologiques se superposent et s’hybrident : entre la vision mécaniste du corps, le modèle humoral et la compréhension globale du système des nerfs, le fluide électrique déploie une mécanique hydraulique inscrite dans le renouveau des approches néo-hippocratiques, témoignant de la recomposition des perceptions du corps dans un environnement sensible et aérien traversé par un système d’échanges, et favorisant de nouvelles thérapeutiques – telles que des cures thermales largement évoquées, mais on pourrait ajouter aussi celles plus expérimentales des airs3. Cette conception à la fois morale et physique de l’influence environnementale sur les maux du corps est particulièrement à l’œuvre au sein de la SRM où se forgent de nouveaux objets de santé publique. Le livre met particulièrement bien en évidence la manière dont la médecine participe à façonner le corps social à la croisée du contrôle des comportements individuels et de l’administration des populations : les régimes de santé, les convulsions des enfants, la régulation du corps des femmes – aménorrhées et allaitement –, comme celles des pratiques « condamnables » (l’onanisme des libertins, l’oisiveté des ouvriers). En s’attachant particulièrement à guérir les distorsions du corps des artisans, les maladies métalliques (colique des peintres), la paralysie des ouvriers et des militaires, l’électricité médicale a rencontré un champ d’action propice, traversé par des appropriations multiples, celles des réformateurs sociaux et administrateurs, ou encore celles des individus.

4On regrettera parfois qu’une méthodologie plus quantitative (au regard du genre, de l’âge, de la distinction sociale des patients) n’aie pas été mise en œuvre à partir des séries de cas compilés par les praticiens. Elle permettrait à l’historien d’objectiver un certain nombre de phénomènes qu’il analyse (confiance, réticence, abandon, duplicité), afin de mieux qualifier, en somme, les formes de la négociation qui perdent un peu en force par la succession des exemples abondants. On ne saurait, par ailleurs, à la lecture d’un travail si dense, reprocher à l’auteur les bornes qu’il s’est ici fixées : elles dessinent surtout des dynamiques prometteuses à explorer. Ainsi, la dimension matérielle et instrumentale de l’électricité est peu étudiée. Or, autour des objets inventifs se déploient de nouvelles formes de coopérations entre praticiens (médecins, chirurgiens, pharmaciens), notamment à la SRM, qui opère comme une instance d’évaluation pour l’innovation technique qui concerne la santé (appareils fumigations, urinoirs élastiques, soufflet de réanimations…). On pourrait regretter également le choix de se limiter au cas français pour une pratique qui s’inscrit, à bien des égards, dans une dynamique européenne. Elle n’est cependant pas étrangère à l’ouvrage, puisqu’on y mentionne l’influence des essais d’Anton de Haen (1704-1776), à Vienne, et les recherches du physicien italien Tiberius Cavallo (1749-1809), traduites et commentées par Mauduyt. Pour autant, l’enquête démontre que revenir à une dimension localisée permettrait au final de mieux envisager les spécificités de ses dynamiques dans leur ensemble. Loin d’être marginale, l’électricité médicale devient donc un moment singulier qui permet de réinscrire de plein droit l’histoire des savoirs (médicaux et au-delà) dans les dynamiques sociales, politiques et culturelles des Lumières, dont François Zanetti explore ici les frontières et les transformations sensibles (du galvanisme à la réanimation des morts apparentes).

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Notes

1 On citera également la thèse récemment parue d’Anton Serdeczny, Du tabac pour le mort. Une histoire de la réanimation, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2018, qui a donné lieu à recension dans le numéro 16 de la revue Histoire, médecine et santé, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.2937.

2 Voir les travaux de Paola Bertucci : Electric Bodies. Episodes in the History of Medical Electricity (coédité avec Giuliano Pancaldi), Bologne, CIS, Dipartimento di Filosofia, 2001 ; « Shocking Subjects. Human Experiments and the Material Culture of Medical Electricity in Eighteenth-Century England », dans Erika Dick et Larry Stewart (éd.), The Uses of Humans in Experiment: Perspectives from the 17th to the 20th Century, Leyde/Boston, Brill, 2016.

3 Larry Stewart, « At the Medical Edge or, The Beddoes Effect », dans Jed Buchwald et Larry Stewart (éd.), The Romance of Science: Essays in Honour of Trevor H. Levere, Cham, Springer, 2017, p. 47-64.

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Pour citer cet article

Référence papier

Marie Thébaud-Sorger, « François Zanetti, L’électricité médicale dans la France des Lumières »Histoire, médecine et santé, 17 | 2021, 166-169.

Référence électronique

Marie Thébaud-Sorger, « François Zanetti, L’électricité médicale dans la France des Lumières »Histoire, médecine et santé [En ligne], 17 | été 2020, mis en ligne le 08 juillet 2021, consulté le 20 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/4214 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.4214

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Auteur

Marie Thébaud-Sorger

CNRS, Centre Alexandre-Koyré (UMR 8560)

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