Elaine Leong, Recipes and Everyday Knowledge: Medicine, Science and the Household in Early Modern England
Elaine Leong, Recipes and Everyday Knowledge: Medicine, Science and the Household in Early Modern England, Chicago, University of Chicago Press, 2018, 281 pages.
Texte intégral
1Elaine Leong, rattachée à l’University College London, est une historienne spécialisée dans les savoirs médicaux et scientifiques. Dans cet ouvrage, elle place l’espace domestique au centre de son propos. Elle enquête sur les pratiques et s’intéresse à des acteurs peu connus. L’objet de sa recherche est les recettes et, plus spécifiquement, les recettes médicinales collectées dans un cadre domestique au cours de l’époque moderne. Les problématiques privilégiées s’articulent autour de la genèse des savoirs domestiques, la nature des expériences faites avec des remèdes dans le cadre domestique et les critères de validation adoptés. Ce travail s’appuie sur les collections manuscrites de remèdes domestiques britanniques et les corrélations entre ces recettes et celles présentées dans la production imprimée. Les sources sont constituées de quelque 260 livres de recettes manuscrites rédigées pour la plupart entre 1550 et 1800, de plus de 200 livres imprimés (publiés entre 1600 et 1700) et d’une série de fonds familiaux. L’exploration est organisée en une série d’études de cas.
2Dans le premier chapitre, l’autrice met en avant l’importance que revêtait pour les hommes et les femmes de l’époque moderne l’accès à un savoir pratique sur la préparation de remèdes efficaces. L’analyse détaillée de quelques livres de recettes familiales – les familles Benett (1694-1735) et Palmer (1658-1673) – permet à l’autrice de reconstituer l’origine des recettes collectées (souvent recopiées d’autres collections), d’évaluer la crédibilité d’acteurs savants (des apothicaires et des médecins notamment) et d’éprouver la corrélation entre les remèdes et recettes trouvées avec les préoccupations médicales des familles. L’analyse permet de révéler les réseaux et les enjeux sociaux dans lesquels ces recettes s’inscrivent. La lecture des commentaires apposés en regard de différentes préparations fournit des indications sur les modalités mises en œuvre pour en éprouver l’efficacité. Le scripteur signale parfois, par exemple, que la préparation avait réussi pour lui. L’étude reconstruit la place que prennent les recettes dans l’économie sociale et domestique, mais renseigne également sur la géographie du réseau et la valeur des recettes qui sont données et reçues.
3Le second chapitre explore les échanges dans les années 1660 entre les domestiques de la famille St-John actifs dans la maison de campagne (Swindon), et leurs maîtres à la cour. L’analyse ouvre une fenêtre sur la réalité des grandes maisons campagnardes qui font office de centres de production maraîchère, de préparation de viandes, de conserves et de remèdes. Cette production s’intègre pleinement dans les échanges et les dons entre familles. Les correspondants évoquent les tentatives de gavage de faisans ou de production maraîchère de melons, par exemple. Le partenariat domestiques-maîtres s’impose comme un révélateur des stratégies d’exploitation du monde naturel tout en attirant l’attention sur des acteurs jusqu’alors marginaux.
4Dans un troisième chapitre, l’autrice s’intéresse aux modalités mises en œuvre pour éprouver les recettes. Le propos porte dans un premier temps sur la correspondance entre Edward Conway et son neveu (1650-1655), un fonds qui permet de confirmer la centralité de l’espace domestique dans la mise au point de recettes. Les ingrédients et les instructions n’étaient pas suffisants en soi, fallait-il encore essayer la recette ou obtenir des informations d’un tiers fiable qui l’aurait lui-même essayé. Dans un second temps, en explorant les livres de recettes de Peter Temple (mort en 1660) et d’Elizabeth Godefroy (fin xviie siècle), l’autrice met en valeur l’importance donnée à l’expérience personnelle et aux essais. Les modalités de mise à l’épreuve de recettes font l’objet d’un quatrième chapitre qui centre l’attention sur les contours flous de ce que constituaient les essais et les expériences domestiques, révélant au passage les difficultés pratiques (absence ou saisonnalité d’ingrédients) et les traces d’essais dans la confection menant, parfois, à une refonte conséquente des ingrédients et des modalités de préparation. Dans un cinquième chapitre, l’autrice met en avant l’importance de livres de recettes pour l’identité des auteurs et leurs héritiers. Avec les journaux, livres de comptes et autres documents, les livres de recettes appartiennent à ce que l’autrice qualifie de « paperasse de la parenté » (paperwork of kinship), signalant la reprise des livres de recettes d’une génération à l’autre ainsi que l’inclusion d’informations familiales et domestiques. Le sixième et dernier chapitre retrace les liens entre les collections de recettes manuscrites et les collections publiées.
- 1 On peut citer ici : Roy Porter et Dorothy Porter, In Sickness and in Health: The British Experience(...)
- 2 Nahema Hanafi, Le frisson et le baume expériences féminines du corps au siècle des Lumières, Rennes (...)
5Les axes de recherche privilégiés par Elaine Leong permettent de mettre à jour des réalités propres à l’environnement domestique de cette époque. Les conceptions du corps, la gestion domestique, l’intégration des savoirs sur les remèdes et le savoir-faire des recettes dans des réseaux familiaux et la collaboration à la fois entre maris et femmes, parents et enfants, et entre maîtres·se et domestiques, sont des apports importants à notre connaissance des réalités socioculturelles de l’époque moderne. Les lecteurs et les lectrices apprécieront cette immersion dans les préoccupations quotidiennes et les pistes suggérées sur les relations entre culture médicale et culture domestique. Les chercheurs et les chercheuses y trouveront une voie pour reconstituer les modes de formation et de transmission de savoirs sur des objets courants, allant de préparations communes à des recettes célèbres. Les pratiques évoquées correspondent en partie à ce qui est attendu d’un cadre domestique d’Ancien Régime : un savoir-faire pratique basé sur l’expérience et la recherche tous azimuts du meilleur remède lorsqu’un membre de la maisonnée est blessé ou malade. On en avait déjà eu un aperçu grâce à d’autres études sur les pratiques médicales, les stratégies de malades et les modalités de recours au marché thérapeutique1. L’autrice est à l’aise dans ce champ et maîtrise à merveille la littérature anglophone, mais moins la production francophone. Sa conclusion sur l’impossibilité d’assigner les savoir médicinaux domestiques à un genre particulier rejoint celle de Nahema Hanafi alors que la problématique reliant la tradition manuscrite à la production publiée aurait bénéficié des avancées faites par Jean-François Viaud2. L’importance du livre réside ainsi moins dans une réflexion transnationale ou dans la découverte de pratiques inconnues que dans l’intégration d’une réalité méconnue dans un cadre plus large, celui de la production de savoirs et de l’appréhension du monde. Si le lecteur ou la lectrice peut être étonnée de voir des tâtonnements domestiques assimilés à des recherches en histoire naturelle par l’autrice dans son introduction, la prise en compte du processus de constitution de savoirs domestiques offre l’avantage de mettre en valeur un défaut majeur des recherches historiques, à savoir le respect d’un cloisonnement artificiel entre l’histoire des savoirs et l’histoire sociale. Au cours de l’époque moderne, les individus, qu’ils soient des patient·e·s, des soignant·e·s ou des naturalistes, cherchent à comprendre et à exploiter au mieux les ressources accessibles dans le monde qui les entoure et ce avec des moyens épistémologiques similaires. Le chef de maison et l’apothicaire, le ou la patiente et le médecin accumulent des informations sur des recettes et des remèdes selon des modalités proches.
Notes
1 On peut citer ici : Roy Porter et Dorothy Porter, In Sickness and in Health: The British Experience, Londres, Fourth Estate, 1988 ; Séverine Pilloud, Les mots du corps. Expérience de la maladie dans les lettres de patients à un médecin du 18e siècle : Samuel Auguste Tissot, Lausanne, BHMS, 2013 ; Michael Stolberg, Homo patiens, Cologne, Böhlau, 2003 ; Jean-François Viaud, Le malade et la médecine sous l’ancien régime. Soins et préoccupations de santé en Aquitaine (xvie-xviiie siècles), Bordeaux, Fédération historique du Sud-Ouest, 2013.
2 Nahema Hanafi, Le frisson et le baume expériences féminines du corps au siècle des Lumières, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017 ; Jean-François Viaud, « Recettes de remèdes recueillis par les particuliers aux xviie et xviiie siècles. Origine et usage », Histoire, médecine et santé, 2, 2012, p. 61-73.
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Référence papier
Philip Rieder, « Elaine Leong, Recipes and Everyday Knowledge: Medicine, Science and the Household in Early Modern England », Histoire, médecine et santé, 17 | 2021, 163-165.
Référence électronique
Philip Rieder, « Elaine Leong, Recipes and Everyday Knowledge: Medicine, Science and the Household in Early Modern England », Histoire, médecine et santé [En ligne], 17 | été 2020, mis en ligne le 08 juillet 2021, consulté le 21 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/4208 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.4208
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