DIEBOLT Évelyne et FOUCHÉ Nicole, Devenir infirmière en France, une histoire atlantique ? (1854-1938)
DIEBOLT Évelyne et FOUCHÉ Nicole, Devenir infirmière en France, une histoire atlantique ? (1854-1938), Paris, Publibook, 2011, 339 p.
Texte intégral
1Évelyne Diebolt et Nicole Fouché ont repris un thème connu, celui de l’histoire des infirmières, pour apporter une nouvelle vision des possibles influences, d’un pays à un autre, dans le domaine de la formation et de la professionnalisation des soins infirmiers. L’analyse s’est concentrée sur le vaste triangle Royaume-Uni, États-Unis, France pendant près d’un siècle (1854-1938). C’est un ouvrage ambitieux, qui apporte une étude innovante et une perspective différente sur l’histoire récente des soins infirmiers.
2Les auteures ont choisi une problématique assez complexe, expliquant en partie pourquoi elles ont limité leur choix à cette profession et à ces pays, même si elles voulaient au départ élargir leur champ d’étude. Tandis qu’il manque toujours une étude générale sur l’évolution de la profession infirmière en France, elles ont choisi un thème si large, qu’on s’attendait à une œuvre plus longue et approfondie ; le résultat est une synthèse dense, basée en partie sur des travaux antérieurs et diverses sources concernant les deux côtés de l’Atlantique. Soulignons également que les pratiques des soins infirmiers ne sont pas examinées ; l’accent est mis sur les réformes de fond qui permettent l’évolution de la profession infirmière. Pour cela, Évelyne Diebolt et Nicole Fouché ont analysé différentes personnalités féminines et institutions publiques et privées, ainsi que leurs contributions dans le transfert d’influences anglaises et américaines dans les soins infirmiers français.
3Le premier chapitre retrace les origines déjà connues de la réforme du nursing, l’influence de Florence Nightingale et sa collaboration au cours de la Guerre de Crimée (1854). Selon les auteures, c’est grâce à cette femme que la formation des infirmières anglaises a désormais lieu dans des hôpitaux-écoles dispensant un enseignement théorique et pratique de qualité. Le modèle britannique est ensuite transféré aux États-Unis où il est assimilé, et même amélioré avec une rapide évolution de la formation infirmière.
4Après deux chapitres consacrés au développement du modèle américain, les auteures se focalisent sur le cas français et les premières expériences dans la formation d’infirmières, essayant toujours de souligner les influences du modèle anglo-américain. Ce dernier est peu présent dans la formation créée par le docteur Bourneville à l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris, dont le but est de former des jeunes filles d’origine populaire pour remplacer les religieuses. Toutefois, d’autres expériences, comme l’École de garde-malades de la Maison de santé protestante de Bordeaux créée par Anna Hamilton, démontrent clairement l’existence de contacts avec les pionnières américaines et un transfert du modèle anglo-américain en territoire français.
5À la veille de la Première Guerre mondiale, le modèle anglo-américain est bien connu en France, notamment grâce à la lecture des revues et publications spécialisées, ou encore aux congrès internationaux d’infirmières (le IIIe congrès de l’ICN a eu lieu à Paris en 1907). Cependant, la France ne présente pas encore un modèle unique de formation des infirmières basé sur l’expérience anglo-américaine, mais plutôt un panel complexe avec différentes écoles, disposant chacune de leurs propres règles. En conséquence, « la France est totalement sous-équipée en matière de soins » (p. 159) et le manque d’infirmières qualifiées devient une évidence durant la Grande Guerre. Le conflit a effectivement renforcé les contacts entre infirmières françaises et américaines, et des institutions telles que la Croix-Rouge américaine et la Fondation Rockefeller sont alors intervenues directement sur le territoire français. Les autorités françaises semblent alors avoir compris « la nécessité d’avoir un système de soins adapté à ses ambitions de grande puissance » (p. 219).
6Néanmoins, en dépit des investissements de différentes institutions et personnalités, et notamment des efforts déployés par la Fondation Rockefeller pour créer une formation de haut niveau, la France n’adopte pas vraiment le modèle anglo-américain. Par exemple, le pays n’applique pas l’universitarisation de la formation infirmière que ce modèle suppose. Les pouvoirs politiques français préfèrent ainsi suivre les préconisations de Léonie Chaptal, contrairement à d’autres pays qui ont accepté et suivi les modèles étrangers sans grands questionnements. Évelyne Diebolt et Nicole Fouché démontrent finalement qu’en France, l’importance des forces religieuses dans les soins infirmiers a joué un rôle non négligeable dans la professionnalisation de ces derniers ainsi que sur le choix du modèle à suivre.
7Loin d’être une étude uniquement consacrée à l’évolution de la profession infirmière en France, les auteures ont donc voulu mesurer l’ouverture du pays aux modèles étrangers, ainsi que ses limites. Elles soulignent notamment que les échanges d’idées et de personnes ont quasiment été à sens unique : si en France le modèle anglo-américain était bien connu et reconnu, le cas français était, au contraire, perçu comme étant en retard et était souvent critiqué par les Américaines. Reste en suspens la question d’autres influences possibles, venant par exemple du Canada, ou celle de la réception du modèle américain dans d’autres pays francophones.
8Au-delà d’une étude macro-historique minutieuse des échanges décelables au sein du triangle France, Royaume-Uni et États-Unis, Évelyne Diebolt et Nicole Fouché proposent une perspective micro-historique en décrivant l’évolution de différentes écoles ou institutions (ICN, Croix-Rouge, Fondation Rockefeller) et de leurs protagonistes, surtout féminines. L’accent est clairement mis sur les actrices de cette histoire, car selon les auteures, « le métier d’infirmière a été inventé par des femmes, pour des femmes » (p. 319), tandis que les hommes ont souvent été des « freins » (p. 23). On en vient alors à se demander si les infirmiers ont même existé, s’ils n’ont pas joué de rôle dans ces échanges ou s’ils ont été oubliés pour mieux souligner l’importance des femmes ainsi que les liens entre l’évolution de la profession infirmière et le féminisme français, détaillés dans le dernier chapitre du livre. En outre, les auteures sont bien conscientes que leur analyse se focalise sur « des femmes issues de la bourgeoisie, voire de la noblesse » (p. 21), donc une élite de femmes pionnières qui ont eu un rôle actif dans les échanges transatlantiques. Les « soignantes de base » (p. 318) dont la contribution est moins « visible » ou héroïque demeurent dans l’ombre. Cependant, l’ouvrage propose diverses biographies des actrices de l’histoire de la profession infirmière et/ou du féminisme, ainsi qu’un index alphabétique qui seront fort utiles à ceux qui se pencheront sur le sujet.
Pour citer cet article
Référence papier
Helena Da Silva, « DIEBOLT Évelyne et FOUCHÉ Nicole, Devenir infirmière en France, une histoire atlantique ? (1854-1938) », Histoire, médecine et santé, 4 | 2013, 131-133.
Référence électronique
Helena Da Silva, « DIEBOLT Évelyne et FOUCHÉ Nicole, Devenir infirmière en France, une histoire atlantique ? (1854-1938) », Histoire, médecine et santé [En ligne], 4 | automne 2013, mis en ligne le 01 décembre 2014, consulté le 26 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/405 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.405
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