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Compte rendus

ESCANDE Laurent (éd.), Avec les pèlerins de La Mecque. Le voyage du docteur Carbonell en 1908

Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence/Maison méditerranéenne des sciences de l’Homme, 2012
Claire Fredj
p. 126-128
Référence(s) :

ESCANDE Laurent (éd.), Avec les pèlerins de La Mecque. Le voyage du docteur Carbonell en 1908, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence/Maison méditerranéenne des sciences de l’Homme, 2012, 345 p.

Texte intégral

1En novembre 1907, le médecin sanitaire maritime Marcelin Carbonell, en service à Oran, est appelé pour encadrer un transport de pèlerins musulmans partant pour le Hedjaz où se trouvent les lieux saints de l’islam. À la suite de ce voyage de quelques semaines, il rédige un rapport de 330 pages adressé au ministre de l’Intérieur, Relation médicale d’un voyage de transport de pèlerins musulmans au Hedjaz (année 1907-1908), texte dont Laurent Escande, spécialiste de l’histoire du pèlerinage à l’époque coloniale, propose une édition commentée.

2Dans son introduction, il précise le cadre général dans lequel la source qu’il édite prend place : l’épreuve que constitue pour des millions de fidèles le pèlerinage à La Mecque, l’évolution que connaît ce périple avec la révolution des transports, notamment le développement de la navigation à vapeur, les changements du contexte sanitaire que la rapidité des transports provoque et le nouveau contexte médical de la fin du XIXe siècle, au cours duquel les découvertes des microbiologistes révolutionnent la connaissance que l’on a des maladies infectieuses, notamment la peste et le choléra. L’introduction rappelle aussi utilement que, depuis le milieu du XIXe siècle, des conférences internationales se tiennent régulièrement pour mettre au point un système général de surveillance de la santé publique. Surtout centré sur le bassin méditerranéen, il repose largement sur un dispositif quarantenaire fonctionnant dans les ports de Méditerranée orientale et de la Mer rouge, pris en charge par des Conseils sanitaires au personnel international, mais demeurant sous souveraineté ottomane et égyptienne. Le Hedjaz apparaît de plus en plus comme un élément majeur de la chaîne de diffusion du choléra (23 épidémies en un siècle, qui permettent de mettre à jour le circuit de la contagion depuis le berceau indien de la maladie jusqu’au reste de l’Asie, de l’Europe et de l’Afrique) et les pèlerins comme une population « à risque ». Se pose donc, pour les puissances coloniales, dont relèvent largement les fidèles depuis le Maghreb jusqu’à l’Inde, le défi de permettre le déplacement de leurs sujets tout en se protégeant de la contagion. Le voyage des pèlerins est par conséquent de plus en plus encadré, notamment en ce qui concerne le transport par mer et la surveillance des ports.

3C’est dans ce contexte que le gouvernement français crée, en 1847, un corps de médecins sanitaires qui recueillent des informations destinées à orienter les mesures dans la lutte contre les maladies « pestilentielles ». La nouvelle donne médicale entraîne, en 1896, l’organisation d’un corps plus spécialisé, les médecins sanitaires maritimes, pourvus d’un certificat d’épidémiologie et dont la tâche est de protéger les navires, équipages et passagers, de la contagion. Le docteur Marcelin Carbonell est l’un de ces médecins, embarqué sur le navire à vapeur Nivernais pour s’occuper d’un transport de 1 131 pèlerins du Caucase et d’Asie centrale (« Boukhariotes ») qui, chargés à Sinope, arrivent pour l’essentiel d’Odessa.

4Dans son rapport très complet, Carbonell écrit en hygiéniste et en médecin : il décrit le navire, ses défauts sanitaires (notamment le manque de latrines, aggravé par la présence de femmes), la saleté, accrue par une grande concentration de passagers, dont le nombre est supérieur, comme c’est souvent le cas pour des compagnies qui cherchent à rentabiliser le transport, aux normes sanitaires autorisées ; il déplore notamment l’absence de laboratoire, en l’occurrence l’impossibilité de pratiquer des autopsies (manque de locaux, obstacles religieux), la mauvaise installation médicale à bord, l’insuffisance quantitative et qualitative du personnel soignant, un infirmier peu formé. Il fait le compte, jour après jour, des maladies qui affectent les passagers, notamment le choléra qui se déclare quand le navire passe le Bosphore, la tuberculose qui touche des organismes souvent affaiblis par le voyage et l’âge, provoquant une quinzaine de décès jusqu’à l’arrivée à Djeddah, où la peste apparaît. Contre ce fléau, des sérums antipesteux existent désormais, mais ils sont abîmés, desséchés, inutilisables (p. 305). Le médecin détaille les passages des postes d’observation (Port-Saïd par exemple), les conditions de vie au Djebel Tor, l’un des lazarets de la mer Rouge, le monde de soignants particuliers que forment les médecins sanitaires, parfois des « doctoresses », originaires de toutes les nations dont plusieurs de l’Empire ottoman ou d’Égypte.

5Le rapport de Carbonell décrit également les modalités d’embarquement, les quarantaines dans les ports qu’il visite, exposant le commerce très particulier qu’est le transport des pèlerins (concurrence entre transporteurs, tractations avec les autorités du port, fausses déclarations…), le climat de tension que la promiscuité, l’entassement et la méfiance provoquent et qui dégénère parfois en émeutes ; il rend bien compte de l’attente, en partie liée aux difficultés administratives, aux autorisations à obtenir ; il brosse de manière vivante la manière dont les pèlerins s’organisent, autour d’intermédiaires comme le cafedji (cafetier) notamment, les problèmes médicaux que pose l’absence d’un véritable interprète, ce qui le réduit à faire « des examens plutôt vétérinaires que médicaux » (p. 99). Son récit au jour le jour est entrecoupé de notations diverses sur tel ou tel aspect du pèlerinage comme les chemins de fer ou les pèlerins russes, ouverts à l’idée de progrès, notamment médical, qui « constitueront une élite dans l’Islam » (p. 204). Quand il s’indigne, c’est contre la « conduite des entrepreneurs de pèlerinage, des armateurs, de certains commandants » (p. 237), contre une organisation du pèlerinage qui n’offre « aucune garantie pour l’exécution des règlements sanitaires » (p. 242) et il émet plusieurs propositions pour améliorer les services sanitaires, qui ne paraissent pas avoir été entendus.

6Laurent Escande accompagne ce texte d’un très riche appareil de notes chapitre après chapitre et sa lecture peut être complétée par une série de documents annexes disponibles en ligne (http://0-books-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/​pup/​1936). Le récit de Carbonell constitue un témoignage précieux d’un acteur majeur du dispositif sanitaire international qui fonctionne alors, sur les pratiques médicales aux premiers temps de la révolution microbienne et les contraintes matérielles qui rendent toujours périlleuse la gestion de grandes masses de population. Sa lecture offre un contrepoint des plus intéressants à l’ouvrage de Sylvia Chiffoleau (Genèse de la santé publique internationale. De la peste d’Orient à l’OMS, 2012), paru en même temps, qui s’intéresse également à l’objet « pèlerinage » du point de vue de la mise au point, à l’échelle internationale, des normes sanitaires et des difficultés de leur application, ainsi qu’à la thèse de Luc Chantre (Le pèlerinage à La Mecque à l’époque coloniale (vers 1866-1939), 2012) qui regarde ce même déplacement avec une perspective comparatiste du point de vue de la gestion des populations par les puissances coloniales concernées.

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Pour citer cet article

Référence papier

Claire Fredj, « ESCANDE Laurent (éd.), Avec les pèlerins de La Mecque. Le voyage du docteur Carbonell en 1908 »Histoire, médecine et santé, 4 | 2013, 126-128.

Référence électronique

Claire Fredj, « ESCANDE Laurent (éd.), Avec les pèlerins de La Mecque. Le voyage du docteur Carbonell en 1908 »Histoire, médecine et santé [En ligne], 4 | automne 2013, mis en ligne le 01 décembre 2014, consulté le 24 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/398 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.398

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Auteur

Claire Fredj

Université Paris Ouest Nanterre La Défense

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Droits d’auteur

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