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Alimentation

Les dons de Neptune et la santé : le poisson dans la diététique à l’époque impériale

Neptune’s gifts and health: fish in dietetics during the first Imperial Age
Los dones de Neptuno y la salud: el pescado en la dietética de la época imperial
Dimitri Tilloi-d’Ambrosi
p. 23-39

Résumés

Les médecins d’époque romaine apportent de nombreux conseils sur le choix des aliments et leur préparation, conformément aux règles de la diététique. Des critères précis sont définis pour que la nourriture corresponde aux besoins du corps du mangeur. Comme les autres aliments, les poissons sont soumis à ces règles. Leur place prestigieuse dans la culture romaine conduit à enquêter sur leur rôle dans la diététique. Le milieu de vie du poisson et sa nutrition sont des éléments fondamentaux pour définir sa qualité. Les préoccupations des médecins sur le goût correspondent aussi aux enjeux de la gastronomie. Cet animal est un indicateur pertinent pour déterminer les liens étroits entre la cuisine et la médecine dans l’Antiquité. Les conseils culinaires donnés par les médecins pour préparer le poisson peuvent être analysés pour comprendre les logiques de la cuisine diététique. Cet animal apparaît comme une nourriture utile et saine pour le corps, malgré les réserves de la morale à son sujet.

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Texte intégral

  • 1 Aelius Aristide, Éloge de Rome, 10-13.

1Dans l’Histoire naturelle, Pline l’Ancien recense les mirabilia devant éclairer le lecteur sur ce que la nature offre aux hommes, par des catalogues d’animaux, de plantes et de minéraux. L’étendue de la domination romaine se manifeste par une capacité à mobiliser les ressources de l’œkoumène1. Le travail de la terre fait fructifier le sol de l’Italie et des provinces : blés, légumes et légumineuses nourrissent les hommes tout en leur garantissant une bonne santé.

  • 2 Sur le poisson dans le monde grec voir notamment : Dimitra Mylona, Fish-Eating in Greece from the (...)
  • 3 Pline l’Ancien, Histoire naturelle, IX, 171-172.
  • 4 Les poissons sont un raffinement gastronomique notamment chez Archéstrate de Géla surnommé « le vi (...)

2Toutefois, le développement du luxe de la table à partir du iie siècle av. J.-C. implique la quête de saveurs nouvelles, comme l’illustre l’importation de fruits à Rome au fil des conquêtes en Orient. Il résulte de l’imitation de la table des élites du monde hellénistique une consommation croissante des poissons et fruits de mer2. La mode des viviers et des parcs à huîtres qui se développe en Campanie à partir des iie-ier siècles av. J.-C. marque le début d’un engouement pour les produits marins3. La mer apparaît pour les Romains comme une réserve de plaisirs gastronomiques4. Elle offre de nombreuses richesses à exploiter, qu’il s’agisse du murex pour la pourpre, des murènes pour orner les bassins des riches demeures, ou encore des entrailles des poissons pour confectionner des sauces. Les Halieutiques d’Ovide et d’Oppien reflètent cette propension à développer des techniques pour satisfaire les besoins et les plaisirs.

  • 5 La formule est empruntée à Claude Nicolet, L’inventaire du monde. Géographie et politiques aux ori (...)
  • 6 Sur la diététique en Grèce et à Rome : Ludwig Edelstein, « The Dietetics of Antiquity », dans Owse (...)
  • 7 Hippocrate, Régime, II, 48, 1-4.

3La diététique s’inscrit dans cette logique d’« inventaire du monde5 ». Elle cherche une utilité en chaque aliment pour maintenir la santé ou corriger ses dysfonctionnements6. Le Régime hippocratique comporte un catalogue d’aliments où figurent les propriétés de chacun7, mais l’époque romaine complète cet effort de recension, à mesure que la connaissance des ressources du monde connu progresse. Les créatures marines fascinent les auteurs en raison de leur diversité et des possibilités offertes pour manger sain, c’est-à-dire de manière à se conformer aux préceptes des médecins afin de préserver la santé et sans nuire au corps. Au iie siècle, Marcellus de Sidé s’en émerveille et partage avec son lecteur ce qu’il a appris sur ce sujet :

  • 8 Traduction d’après Gaetano Arena et Margherita Cassia, Marcello di Side: gli imperatori adottivi e (...)

J’ai également appris correctement les vertus médicinales des créatures marines, en puisant dans ma mémoire de toutes les manières, après avoir appris par moi-même et entendu des récits par d’autres, de cette multitude je vais passer en revue tous les noms8.

  • 9 Les végétaux tiennent cependant une place prééminente dans les classifications diététiques.
  • 10 Sur la diététique chez Mnésithée : Janine Bertier, Mnésithée et Dieuchès, Leyde, Brill, 1972, p. 3 (...)
  • 11 Philip Van der Eijk, Diocles of Carystus: A Collection of the Fragments with Translation and Comme (...)
  • 12 Sur le luxe de la table et les poissons : Yves Roman, Rome, de Romulus à Constantin. Histoire d’un (...)

4Le recours à sa mémoire et aux récits induit l’idée d’une tradition médicale liée à ce type de nourriture. Les poissons sont en effet présentés pour leurs vertus médicinales dans la Collection hippocratique9, mais également chez des médecins d’époque hellénistique qui contribuèrent au développement de la diététique. Citons en particulier Mnésithée d’Athènes10, Diphile de Siphnos ou Dioclès de Caryste11, mentionnés chez des auteurs d’époque romaine comme Galien ou Athénée. Ce savoir médical grec s’agrège à la paideia de l’époque romaine. La place de choix des nourritures marines sur les tables raffinées des élites justifie la connaissance des poissons et de leurs propriétés12.

  • 13 Journal of Maritime Archaeology, 13/3, Dimitra Mylona et Rebecca Nicholson (éd.), The Bountiful Se (...)
  • 14 Claire De Ruyt, « Les produits vendus au macellum », dans William Van Andringa (éd.,) Sacrifices, (...)
  • 15 Yves Peurière, La pêche et les poissons dans la littérature latine : des origines à la fin de la p (...)
  • 16 Par exemple sur le thon en Sicile et en Italie : Enrico Felici, Thynnos: archeologia della tonnara (...)
  • 17 Pour la ville de Rome : Jacopo De Grossi Mazzorin, « État de nos connaissances concernant le trait (...)
  • 18 Sur les timbres d’amphores : David Djaoui, « Les étiquettes commerciales sur les amphores », dans (...)

5Le poisson dans le monde gréco-romain a fait l’objet de plusieurs études récentes, centrées surtout sur la pêche13 et la consommation14. Les textes fournissent de nombreuses informations15, mais aussi l’archéologie16, qu’il s’agisse de l’analyse chimique des céramiques, des restes ichtyologiques17, des timbres d’amphores et de l’épigraphie18. Néanmoins, la dimension diététique de la consommation de poisson à l’époque romaine reste encore largement à explorer. Notre propos sera donc de déterminer la place du poisson dans les hiérarchies diététiques d’époque romaine et ses vertus, mais aussi la manière dont ce produit prisé des gourmets peut être dégusté et cuisiné de façon saine.

  • 19 Claire De Ruyt, « Les produits vendus au macellum », art. cité, p. 143 : la réduction de la compét (...)

6Le Haut-Empire est une période privilégiée pour mener cette étude, en raison de la densité des mentions du poisson dans les textes de cette époque, avant de diminuer à l’époque tardive19. Les textes médicaux et encyclopédiques, qu’il s’agisse du corpus galénique ou de l’Histoire naturelle, les œuvres symposiaques, comme les Deipnosophistes d’Athénée de Naucratis, ou encore les œuvres satiriques, figurent parmi les principales sources de l’époque impériale qui permettent le mieux de déterminer l’utilité médicinale du poisson, les critères de choix, mais aussi l’imaginaire qui l’entoure. Les éclairages de l’archéologie doivent aussi être pris en compte pour évaluer l’écart entre les recommandations médicales et les pratiques alimentaires.

Observer pour bien choisir son poisson

  • 20 Les propriétés diététiques des salaisons énoncées par les textes dérivent de l’expérience selon Ro (...)
  • 21 Pline l’Ancien, Histoire naturelle (HN), XXXII, 42. L’identification des poissons pose parfois pro (...)
  • 22 Musée archéologique de Naples, Inv. MANN 12017. Ces représentations proviennent souvent de zones d (...)

7Selon Galien, manger sain implique un apprentissage des pouvoirs des aliments par l’expérience20. Dans son livre consacré aux remèdes tirés des animaux aquatiques, Pline explique ainsi que ces derniers seront classés selon les maladies qu’ils permettent de guérir21. L’appréhension de cette profusion de faune est complexe, comme l’affirme Marcellus de Sidé. Les mosaïques aux xenia où figurent des viviers en rendent compte, telle celle de la Maison d’Ariane de Pompéi, où chaque poisson appartient à une espèce différente22.

  • 23 Galien, Sur les facultés des aliments, III, 23. Cette logique se retrouve aussi pour les céréales.
  • 24 Hippocrate, Régime, II, XLVIII, 1-4 ; voir aussi le traité Airs, eaux, lieux.
  • 25 Galien, Sur les facultés des aliments, III, 24. Trad. J. Wilkins.

8Galien explique dans le traité Sur les facultés des aliments présenter d’abord les poissons les plus fréquemment consommés, tenant compte des réalités socio-économiques du régime et des hiérarchies alimentaires de son temps23. Il se concentre avant tout sur la qualité de la chair des poissons et sa consistance. C’est là un critère de choix essentiel, selon la logique du Régime d’Hippocrate. La bonne digestion en dépend, ce qui est crucial pour la qualité diététique de la nourriture. Comme pour tout animal, le médecin doit tenir compte de tout ce qui altère les propriétés de la chair du poisson. Les conceptions déterministes de la médecine antique sont inhérentes à la diététique24. C’est ce qu’atteste l’exemple du poisson nommé kephalos, terme désignant le mulet, un des poissons les plus prisés de l’élite. Pour la même espèce il distingue ceux de la « mer pure », pêchés au large, possédant la meilleure chair ; de ceux « des lacs ou des rivières ou des marécages ou des égouts qui vidangent les toilettes dans les villes », issus d’une eau « boueuse et sale »25.

  • 26 C’est le cas aussi pour les fruits : Athénée, II, 49e.

9Les représentations socio-culturelles se mêlent aux considérations médicales, puisque la valeur d’un poisson pour les gourmets dépend de son origine géographique, justifiant la quête de produits lointains26. L’insistance de Galien sur les mauvais poissons, dont les résidus sont nocifs, peut laisser penser que leur consommation était courante :

  • 27 Galien, Sur les facultés des aliments, III, 29. Trad. J. Wilkins ; les mêmes explications sont don (...)

Ils deviennent pires aux bouches des rivières qui nettoient les toilettes, les bains, les cuisines, les lessives des vêtements et des linges et tout autre établissement de la cité, à travers laquelle elles coulent et qu’elles servent à nettoyer – et surtout quand la cité est très peuplée27.

  • 28 Pline l’Ancien, Histoire naturelle, IX, 168-169 ; Horace, Satires, II, 2. Danielle Gourevitch, « M (...)
  • 29 Jean-Louis Flandrin, « Le goût et la nécessité : sur l’usage des graisses dans les cuisines d’Euro (...)
  • 30 C’est ce qu’indiquent les fouilles de l’égout du cardo V d’Herculanum où la consommation de poisso (...)

10Ces poissons sont ceux consommés par les plus pauvres, en particulier sur les bords du Tibre. Pline l’Ancien affirme néanmoins qu’ils sont très appréciés, ce qui semble prouver que cette origine infâme aux yeux de l’élite ne constitue pas une barrière pour les plus modestes28. C’est bien la nécessité économique, ici celle de se procurer du poisson, peut-être pour imiter l’élite, qui dicte les choix alimentaires de cette partie de la population29. D’une certaine manière, le milieu d’origine de ces poissons méprisés correspond à l’image que l’élite se fait des habitants des quartiers pauvres de Rome, assimilés à une nourriture répugnante. Toutefois, ces préjugés doivent être nuancés, car des populations de condition sociale moyenne pouvaient consommer du poisson de mer frais comme l’atteste l’archéologie30.

  • 31 C’est ce qu’affirme notamment une épitaphe d’Ostie : C.I.L. XIV, 914.
  • 32 Galien, Sur les facultés des aliments, III, 24. Dans la Méthode de traitement, Galien établit un c (...)
  • 33 Galien distingue les poissons qui mangent de bonnes herbes et racines, puis ceux qui en consomment (...)
  • 34 Juvénal évoque aussi les anguilles du Tibre nourries des immondices des égouts : Satires, V.
  • 35 Galien, Sur les facultés des aliments, III, 24. Trad. J. Wilkins.

11Paradoxalement, les huîtres évoluent dans un milieu sableux ou limoneux mais ne sont pas méprisées : elles sont considérées comme une gourmandise31, probablement car elles sont liées à la mer, tandis que les poissons dénigrés par Galien viennent d’un fleuve. En effet, les représentations qui entourent la mer justifient le prestige accordé par l’élite à ses produits et les vertus diététiques que leur prêtent les médecins. Le mouvement perpétuel des flots et leur violence expliquent les vertus des poissons de mer, à l’inverse des eaux statiques des lagunes, des lacs ou des marais32. Le corps de l’animal obéit également aux règles de la diététique. La nourriture qu’il consomme doit être prise en compte33, car sa qualité définit la place du poisson dans les hiérarchies34. De même, les efforts physiques du poisson, surtout en milieu marin, améliorent sa chair et ses humeurs35.

  • 36 Pline l’Ancien souligne la qualité des thons de la région du Pont : Histoire naturelle, IX, 47.
  • 37 Martial, Épigrammes, XIII, 80.
  • 38 Sophie Collin-Bouffier, « Le poisson dans le monde grec, mets d’élites ? », art. cité, p. 104.
  • 39 Ibid., p. 110-111 ; Myriam Sternberg, « Les produits de la pêche et la modification des structures (...)

12La complexité du choix du poisson s’inscrit au sein d’une géographie de la santé, dont les principes s’appliquent à la diversité des milieux naturels de l’Empire. Ainsi, Galien précise que les eaux du Pont sont excellentes puisque cette mer reçoit les flots de nombreux cours d’eau36. La médecine aide ainsi à mieux comprendre les logiques gastronomiques et pourquoi les poissons pêchés dans le détroit de Messine, où les courants sont très vifs, reçoivent les faveurs des gourmets37. On observe une continuité avec l’époque grecque, où les poissons de mer sont valorisés par rapport à ceux d’eau douce38. Les restes ichtyologiques sur des sites ayant connu une occupation continue entre l’époque grecque et romaine, notamment Olbia ou Lattes, témoignent même d’une diversification des espèces consommées et d’un développement de la pêche en haute mer39.

Le goût du bon poisson

13Ces critères conditionnent le goût de la chair, crucial pour déterminer la qualité d’un aliment, autant qu’il l’est pour le plaisir des gourmets. L’exemple du kephalos éclaire la façon dont la perception de la saveur joue un rôle dans le choix du poisson :

  • 40 Galien, Sur les facultés des aliments, III, 24. Trad. J. Wilkins.

Le goût, quand tu le manges, permettra tout de suite d’identifier le meilleur kephalos. Car sa chair est plus aigre, agréable et sans gras. Ceux qui sont gras et faibles de goût sont plus mauvais et pires à digérer, mauvais pour le cardia et d’un mauvais suc. On les prépare à l’origan. […] Ce poisson fait partie des poissons à saler et le poisson de lac devient bien supérieur si on le prépare ainsi. Car il se débarrasse de tout ce qui est muqueux et de goût désagréable. Le poisson récemment salé est meilleur que le poisson salé depuis longtemps40.

  • 41 Hippocrate, Aphorismes, II, 38.
  • 42 Le cardia est l’entrée de l’estomac dont dépendent le bon transit et l’assimilation des aliments.
  • 43 Pline l’Ancien, Histoire naturelle, XX, 96.

14Le goût est un indicateur des propriétés de la nourriture, en même temps que son principe actif agit sur le corps. En outre, en vertu des principes hippocratiques, une nourriture bonne et agréable est nécessairement meilleure pour le corps41. Le principal souci de Galien est que le goût ne nuise pas au cardia et à la digestion42, notamment en raison de la nature du suc de l’aliment. Dans le cas de ce poisson, la fadeur de sa chair suggère que son suc est mauvais, donc source d’indigestion. En revanche, l’aigreur et une chair sans gras favorisent la coction des aliments. L’aigre est utile dans la diététique, comme l’atteste la valeur accordée au vinaigre. Cette saveur, contrairement à l’âcre43, ne nuit pas à l’estomac et le stimule.

  • 44 Pour l’époque tardive, l’édit de Dioclétien adopté en 301 reflète les échelles de valeurs des pois (...)
  • 45 Galien, Sur les facultés des aliments, III, 29.
  • 46 Le prix des salaisons de poissons pouvait être élevé et supérieur à celui des salaisons de viande  (...)
  • 47 David Djaoui, « Les produits de la mer », dans id. (dir.), On n’a rien inventé ! Produits, commerc (...)

15Les enjeux socio-économiques se mêlent aux explications du médecin de Pergame, puisqu’il est évident qu’un poisson de meilleure qualité pêché au large sera d’un coût plus élevé44. Au sujet de certains poissons à chair molle, Galien explique que ceux du Tibre sont fréquemment achetés sur les marchés en raison de leur prix peu élevé, alors même que leur chair est mauvaise compte tenu de la nature des eaux45. De même, les salaisons récentes sont meilleures que celles plus anciennes, induisant sans doute une différenciation des prix46. Les amphores de salaisons de poissons nous renseignent sur l’importance de ces critères dans les choix alimentaires. Sur certains tituli picti, le nombre d’années de vieillissement, parfois quatre, est un signe de qualité47. Toute transformation d’un aliment, y compris pour sa conservation, altère non seulement son goût, mais aussi ses propriétés diététiques.

Hiérarchiser les poissons

  • 48 Galien, Sur les facultés des aliments, III, 25, 26, 28.
  • 49 Ibid., III, 27, 29-30. Cette approche est également celle d’Hippocrate dans le Régime : John Wilki (...)
  • 50 Galien, Sur les facultés des aliments, III, 23.

16Ces critères éclairent donc les logiques de classification des poissons dans les catalogues d’aliments. Dans le traité Sur les facultés des aliments, plusieurs espèces, outre le kephalos, sont examinées par Galien. Parmi celles-ci on relève notamment le loup de mer, le rouget barbet et le gobie48. Certaines espèces sont regroupées en fonction de caractéristiques générales, notamment les poissons de roche et les poissons à chair molle et ceux à chair dure49. Galien explique que sa liste présente les variétés les plus fréquemment consommées et ne saurait être exhaustive50. Il examine chaque espèce à l’aune des critères déterminés dans le chapitre consacré au kephalos, en tenant compte du milieu de vie, de l’apparence, de la chair, du goût et de la digestibilité.

  • 51 Ibid., III, 1.

17Le loup de mer se distingue par sa qualité, égale à celle du kephalos, puisque ce poisson peut remonter de la mer vers les rivières et les lacs. Ces déplacements façonnent une chair bonne et digeste. Le cas du rouget illustre l’adéquation entre le goût de l’élite et les préférences des médecins puisque Galien affirme que ce poisson est « estimé par les gens comme supérieur aux autres pour le plaisir de la bouche ». Sa chair n’est pas grasse ; bien qu’assez ferme, elle est facile à mâcher et d’un bon apport nutritif et digeste, son aigreur est modérée. Le sang généré par la chair du poisson doit aussi être pris en compte. Pour la viande, l’exemple du bœuf indique les risques que peut comporter la consommation de la chair des animaux, car une surabondance de sang ou un sang trop épais entraînent une pléthore humorale et des résidus nocifs51.

  • 52 L’anatomie doit être prise en compte. Galien explique que le kephalos possède des arêtes légères, (...)
  • 53 Celse, De la médecine, II, 18, 2-3.

18La classification des poissons de Celse dans son catalogue est plus synthétique que Galien, et traduit un souci de simplification : les différents types d’aliments sont regroupés par critère, notamment la taille de l’animal52. Ainsi, les « grosses bêtes marines » sont parmi les plus nourrissantes, tandis que « tous les poissons qui ne supportent pas la salaison ou que l’on sale entiers » sont d’une substance moyenne et les coquillages sont d’un faible apport nutritif53. Il précise ensuite :

  • 54 Ibid., II, 18, 7. Trad. G. Serbat.

Entre les poissons qui appartiennent aux substances de la classe intermédiaire – et que nous consommons de préférence – les plus lourds sont toutefois ceux dont on peut faire aussi des salaisons, comme le maquereau ; ensuite ceux dont la chair, quoique plus tendre est cependant ferme comme la daurade, le corbeau, le spare, le gros-yeux, et puis les poissons plats ; après lesquels, plus légers, viennent encore les loups et surmulets, et après ceux-ci tous les poissons de roche54.

  • 55 Pour une présentation des poissons consommés à Rome : Jacques André, L’alimentation et la cuisine (...)

19Certaines divergences émergent par rapport à Galien. Par exemple, le maquereau reçoit les préférences de Celse, or celui-ci est un poisson gras et le médecin de Pergame estime qu’une chair de poisson sera meilleure si elle ne l’est pas. La liste de Celse est succincte compte tenu de la diversité de poissons consommés55. Celui-ci différencie aussi les aliments au bon suc des mauvais. Dans le premier groupe, figurent les poissons de la catégorie intermédiaire, « entre tendre et dur, comme le surmulet, le loup ».

  • 56 Celse, II, 20, 1-21.
  • 57 Ibid., II, 18, 9.

20À l’inverse de Galien, toute salaison est jugée d’un mauvais suc, ainsi que les poissons de roche, et ceux qui sont les plus tendres ou les plus durs. L’odeur doit alerter le mangeur. Celse précise que les poissons pour lesquels elle est la plus forte sont ceux des étangs, des lacs et des rivières vaseuses56. Le milieu rocheux garantit une chair plus légère que le sable, et ce dernier plus que la vase. Le poisson de haute mer est donc préférable57.

  • 58 Ibid., II, 24, 3.
  • 59 Ibid., II, 26, 2.
  • 60 Ibid., II, 28, 1-2.
  • 61 Ibid., II, 29, 2.
  • 62 Natacha Massar, Soigner et servir : histoire sociale et culturelle de la médecine grecque à l’époq (...)

21Celse examine ensuite les poissons selon leurs effets sur l’estomac. Les poissons durs appartenant à la classe intermédiaire sont bons pour cette partie du corps58, tandis que les poissons en général ne causent que peu de ballonnements59. Les poissons tendres se décomposent facilement, à l’inverse des poissons durs60. Enfin, les poissons de roche et les poissons tendres sont réputés être purgatifs61. D’une manière générale, les poissons sont donc bons pour le ventre et utiles pour le fonctionnement du corps. Pline considère les poissons autant pour leurs propriétés médicinales qu’en vertu de leur succès auprès des gourmets, retraçant ainsi une part de l’histoire des modes gastronomiques62 :

  • 63 Pline l’Ancien, Histoire naturelle, IX, 60-64. Trad. S. Schmitt.

Chez les Anciens, le poisson considéré comme le plus estimable était l’esturgeon. […] À présent il n’est plus du tout en faveur, ce dont je m’étonne, à vrai dire, car on ne le trouve que rarement. Cornélius Népos et Labérius, le poète compositeur de mimes, ont rapporté que le premier rang était revenu ensuite au loup et aux ânons. Les plus vantés, parmi les loups, sont ceux qu’on appelle « laineux », d’après la blancheur et la tendreté de leur chair. Il y a deux sortes d’ânons, les callarias, plus petits, et les bacchus, qu’on ne prend qu’au large et qu’on préfère donc aux premiers. Mais pour les loups, on préfère ceux qui sont pris en rivière. Actuellement, on attribue la première place au scare, dont on dit que c’est le seul poisson qui rumine et se nourrisse de plantes et non d’autres poissons. […] Parmi les autres poissons estimés, les plus appréciés et les plus abondants sont les surmulets63.

  • 64 Athénée, VII, 276, e-f.
  • 65 Athénée compile des auteurs d’époques classique et hellénistique mais qui correspondent au goût de (...)
  • 66 John Wilkins, « Les poissons faisaient-ils partie de la diète ancienne ? », art. cité, p. 189-191.

22L’évolution des préférences pour les différentes espèces est dictée avant tout par le plaisir du goût. Pourtant, les précisions de Pline sur les critères de choix correspondent dans une certaine mesure à ceux des médecins au sujet de la chair des animaux, de sa consistance et son aspect. L’attention portée à l’origine de l’animal et à sa nutrition est commune au médecin et au gastronome : une véritable complémentarité entre les normes diététiques et culinaires émerge. Cette logique est perceptible dans les Deipnosophistes d’Athénée lorsqu’il est question des effets de la chair des poissons sur le corps64. La Seconde Sophistique favorise l’appropriation de ce pan de la culture hellénique par les élites du Haut-Empire65. Les poissons mentionnés dans les textes diététiques, qu’il s’agisse d’Hippocrate, de Diphile de Siphnos ou de Mnésithée, sont ceux appréciés autant par l’élite grecque que par l’élite romaine66.

  • 67 Jacopo De Grossi Mazzorin, « État de nos connaissances concernant le traitement et la consommation (...)

23En outre, les espèces marines privilégiées par les médecins et les gourmets, comme le mulet, le congre, ou le maquereau, figurent dans les dépôts analysés à Rome, dans la zone du Colisée, à l’époque impériale, tandis que la variété est moindre pour les époques antérieures sur d’autres aires de la ville67.

24Le dialogue entre la médecine et la cuisine au sujet du poisson conduit à se demander s’il existe une façon de le cuisiner en optimisant ses effets bénéfiques sur la santé, tout en garantissant le plaisir du goût.

Concilier plaisir et santé

  • 68 Galien, Sur les facultés des aliments, II, 51.

25Galien affirme que les cuisiniers ne cherchent qu’à procurer le plaisir, tandis que les médecins agissent dans l’intérêt du patient en matière d’alimentation68. Pourtant, l’exemple du poisson conduit à nuancer cette opposition artificielle, dans la mesure où la diététique ne s’inscrit pas nécessairement en opposition avec la satisfaction du goût.

  • 69 Ibid., II, 44.

26Le poisson est un des aliments pour lesquels Galien apporte le plus de conseils de préparation culinaire. Il ne se contente pas de donner simplement des indications sur la cuisson, comme pour le chou par exemple69, mais ce sont des recettes précises de sauces. Il en est ainsi de la sauce blanche destinée à accompagner les poissons. Cette recette diététique figure à plusieurs reprises chez Galien :

  • 70 Ibid., III, 29. Trad. J. Wilkins.

Aucun des poissons dont je viens de parler n’a besoin de vinaigre ni de moutarde ni d’origan comme les poissons gras, gluants et durs. Néanmoins, certains les utilisent en les cuisant à la poêle, certains au four ; à moins qu’on ne les prépare dans des casseroles – comme par exemple, les turbots et les kitharoi. Mais tandis que les préparations en casseroles des chefs sont pour la plupart cause d’indigestion, la préparation en sauce blanche est la meilleure pour la digestion. […] Certains parmi les poissons mentionnés, quand ils sont poêlés, sont parsemés de simple sel et deviennent plus agréables et meilleurs à digérer ; ils sont meilleurs pour le cardia que toute autre préparation70.

  • 71 Ibid., II, 27 ; 51 ; III, 1.
  • 72 Ibid., I, 9 ; 18.

27On peut supposer avec raison que ces préparations appartenaient au traité perdu que Galien avait consacré à l’art culinaire et où les sauces semblaient tenir une large place71. Dans la mesure où les poissons mentionnés par Galien sont d’un coût supérieur aux simples fruges, les conseils culinaires qu’il dispense sont plutôt destinés à l’élite. Cela peut être interprété comme un souci de satisfaire les catégories socio-économiques élevées, et de mêler le plaisir de manger des mets savoureux aux enjeux diététiques. Galien méprise les sophistications gastronomiques, mais ces explications sont nécessaires pour éviter les maladresses de certains cuisiniers72. Ce souci engendre un rapprochement entre la fonction de médecin et celle de cuisinier. Ses réflexions proviennent de ses expériences. Or, puisque Galien appartient aux catégories sociales supérieures et fréquente des membres de l’élite romaine, il peut observer leurs pratiques alimentaires.

  • 73 Jack Goody, Cuisines, cuisine et classes, Paris, Centre Georges Pompidou, 1985.
  • 74 Selon Galien, on peut y insérer de l’huile, de l’aneth, du poireau, du sel. Sur les sauces pour le (...)

28La diversité des modes de cuisson employés pour préparer le poisson relève d’une forme de haute cuisine, où les moyens financiers et techniques permettent d’élaborer des stratégies variées pour le plaisir du goût73. En revanche, la sauce blanche n’est pas une préparation onéreuse, elle est accessible à tous car ses ingrédients peuvent être facilement trouvés en Italie74. Le fait que certains poissons puissent être mangés simplement avec du sel, le meilleur des condiments, justifie la qualité diététique de leur chair. En effet, il n’est nul besoin de masquer un goût désagréable et d’employer du vinaigre, de la moutarde ou de l’origan pour aider au fonctionnement de l’estomac. La distinction sociale par le goût du poisson apparaît lorsqu’il est nécessaire de corriger les défauts d’une chair suscitant le dégoût :

  • 75 Galien, Sur les facultés des aliments, III, 30. Trad. J. Wilkins.

Puis il [Phylotimos] a mentionné les kunes qu’il fallait compter parmi les ketodeis : ils ont la chair dure et pleine de résidus, et donc on les tranche et on les sale pour servir de nourriture au premier venu. Ils sont en plus désagréables et couverts de mucosités, et, pour cette raison, on les mange également à la moutarde, au vinaigre et à l’huile, et aux assaisonnements aigres de ce type75.

  • 76 Ibid., III, 1. La viande et les charcuteries sont davantage servies dans les auberges.
  • 77 Cette distinction est présente chez Hippocrate mais aussi chez Aristote.
  • 78 Galien, Sur les facultés des aliments, III, 31 : il cite le médecin Phylotimos de Cos (v. 300 av.  (...)

29Un tel poisson renvoie aux catégories d’animaux inférieures, comme ceux des eaux stagnantes ou qui consomment une nourriture répugnante. La vue, le toucher, le goût et l’odeur sont agressés. Galien dit clairement que de tels poissons, simplement salés, sont proposés à toutes les catégories sociales. Il est possible qu’il fasse référence à ce qui est proposé en auberge, tant la nourriture de ces lieux est suspecte et méprisée76. L’aigreur de la moutarde et du vinaigre a pour but de contrebalancer les effets néfastes d’une chair de qualité douteuse et de favoriser la digestion. Il se dessine ainsi une cuisine diététique populaire dont le but est de rendre acceptable pour la santé des aliments de qualité moindre que ceux de l’élite. Pour cette dernière au contraire, les conseils des médecins ont pour objectif avant tout la quête simultanée du plaisir et de la santé. De même, les poissons à chair molle s’opposent à ceux à chair dure77. Ces derniers présentent des inconvénients puisqu’ils génèrent des humeurs « épaisses et salées ». Leur préparation est difficile et nécessite une bonne cuisson78.

  • 79 Galien confirme le goût pour les chairs molles : « Car le poisson salé de ces régions est avec rai (...)
  • 80 Cette idée est exprimée par Galien dans l’introduction du traité Sur les bons et mauvais sucs. Sur (...)

30L’opposition entre la chair molle et la chair dure a des implications diététiques, mais c’est aussi un critère de choix des gourmets, qui préfèrent la première79. Or, le goût pour les textures molles peut s’expliquer par la perception d’une nourriture plus digeste et mieux assimilée. Ce serait là un signe de la prise en compte des conseils diététiques dans les pratiques alimentaires. Ce souci implique la mise en pratique d’une cuisine diététique devant permettre une complémentarité entre les propriétés des aliments et le tempérament du corps. L’accès au poisson n’est donc pas le seul privilège de l’élite, mais la distinction s’opère au niveau de sa qualité, obligeant à des précautions supplémentaires pour les plus pauvres, davantage exposés aux risques des maladies liées à une mauvaise nourriture80. Bien choisi et préparé, le poisson peut même constituer un remède.

Le poisson au service du corps

  • 81 Il s’agit d’une décoction d’orge fréquemment employée en médecine et qui fait l’objet d’un traité (...)
  • 82 Galien, Méthode de traitement, K. X, 537.
  • 83 Galien, Hygiène, K. VI, 298.
  • 84 Galien, Des bons et des mauvais sucs, K. VI, 812. D’autres auteurs médicaux conseillent le poisson (...)

31Les malades peuvent consommer du poisson, puisqu’il figure dans plusieurs menus élaborés par Galien. Il conseille ainsi de donner des poissons à chair tendre, notamment les poissons de roche, telles les merluches, accompagnés de sauce blanche, ainsi que de la laitue, de la ptisane81 et de l’eau à la sortie du bain82. L’articulation entre le repas et les bains confère une dimension thérapeutique aux plats conseillés. On relève une logique similaire dans le traité de l’Hygiène où la mollesse de la chair du poisson, mêlée aux bienfaits de la sauce blanche, agit sur le corps. Parmi les aliments indiqués aux côtés du poisson, figurent aussi la ptisane, avec ou sans vinaigre, la coloquinte ou de la mauve, de la bette, de l’oseille et de l’arroche. Galien indique que si le patient désire manger de la chair, il pourra consommer celle de poissons de roche ou d’oiseaux, cuite dans de la sauce blanche83. La possibilité de manger du poisson, si le patient en ressent l’envie, signifie bien que ce mets peut être digéré facilement tout en garantissant une forme de plaisir. Dans un troisième exemple de menu proposé à la sortie du bain, le poisson frit peut être consommé, ainsi que les viandes tendres, les pieds de porc et certaines parties de volaille, après avoir mangé de la laitue et des légumes. Le critère de la consistance est un des fondements de tels menus84.

  • 85 Martial, Épigrammes, XII, 19 ; voir aussi II, 78 pour le lien entre bain et poisson.
  • 86 Ibid., III, 50.
  • 87 Ibid., XI, 52.
  • 88 Le terme latin salsum renvoie aux poissons de salaison. Cette recette provient de la section consa (...)

32Ces conseils ne restent pas théoriques, puisque Martial décrit un certain Aemilius qui consomme des œufs, de la laitue et du poisson lorsqu’il se rend aux bains. Ce menu correspond aux préceptes des médecins et mêle plaisir du goût et souci de la digestion85. De même, chez Ligurinus, Martial se voit servir au début du repas de la laitue et du poisson en sauce, une combinaison conforme aux injonctions des médecins86. Martial propose également en guise d’entrée à son ami Cerialis, après un passage aux bains, de la laitue pour relâcher le ventre, du poireau, ainsi que du poisson et des œufs sur un lit de rue. Tous ces aliments sont bénéfiques pour le ventre87. En outre, le recueil d’Apicius fournit une recette de « stockfish sans stockfish88 », au caractère diététique évident. La chair du poisson peut être remplacée par du foie de lièvre, de chevreau, d’agneau ou de volaille :

  • 89 Apicius, De l’art culinaire, 432. Trad. J. André.

Pilez autant de cumin qu’on en peut prendre avec cinq doigts, la moitié moins du poivre et une gousse d’ail épluchée, versez par-dessus du garum et faites couler goutte à goutte un peu d’huile. Cela rétablit très bien l’estomac malade et fait digérer89.

33Une telle sauce est donc tout autant adaptée pour manger du poisson. Celui-ci représente clairement un mets à la fois savoureux et sain. Pourtant, la morale se montre critique à l’égard des dons de Neptune.

Le jugement sévère de la morale

  • 90 Paul Scade, « Food and Ancient Philosophy », dans John Wilkins et Robin Nadeau (dir.), A Companion (...)

34Les moralistes tels Sénèque et Plutarque accordent une large place à la nourriture dans leur réflexion90. Ils critiquent les effets néfastes de la consommation excessive de mets savoureux, mais difficiles à digérer. Les sommes considérables dépensées pour acquérir des poissons prisés et originaires de rivages lointains sont dénoncées, ainsi que les différentes sophistications développées autour de ces animaux. Cette condamnation relève d’un topos de l’époque impériale sur la luxuria et la mollitia, repris tant par les satiristes que par les moralistes qui jugent ridicules les sommes mises en jeu :

  • 91 Horace, Satires, II, 4. Trad. F. Villeneuve. Sous Caligula un surmulet s’est vendu 8 000 sesterces (...)

C’est une faute monstrueuse que de dépenser au marché trois mille sesterces chaque fois et d’enfermer dans un plat trop étroit la gent errante des poissons. L’estomac est soulevé d’un horrible dégoût si un garçon applique sur une coupe à boire des mains grasses de la sauce qu’il lèche furtivement, ou si un dépôt écœurant s’est attaché à un vieux cratère91.

  • 92 Le terme de venter est plus général.
  • 93 Jean-Christophe Courtil, « Le goût de la sagesse : Sénèque et les assaisonnements », Pallas, 106, (...)
  • 94 Sénèque, Lettres à Lucilius, 95, 25.
  • 95 Le garum figure souvent dans les prescriptions de Galien. Son usage médical commence à être attest (...)
  • 96 Galien, Sur les facultés des aliments, III, 26.

35Horace établit un lien entre les dépenses excessives et la profusion d’une nourriture coûteuse, jusqu’à en susciter le dégoût. La vue agit sur l’estomac, sans même que ces mets soient avalés. Le terme employé de stomachus renvoie aux textes médicaux latins, comme chez Celse où ce mot est sollicité lorsqu’il est question de digestion92. La frugalité et la sobriété doivent prémunir le mangeur de tels désagréments puisque, dans le deuxième livre des Satires, Horace procède à un plaidoyer pour ces valeurs. De même, chez Sénèque, les nourritures synonymes de luxe mélangées dans l’estomac subissent davantage un processus de putréfaction qu’une véritable digestion93. Parmi ces ingrédients figurent les huîtres et le garum94, des produits de la mer jugés pourtant de façon positive par les médecins95. Néanmoins, Galien demeure lui aussi perplexe face à certains usages de l’élite autour du poisson. Si le rouget est un poisson estimé par le médecin de Pergame, ce dernier ne comprend pas les recettes pratiquées pour manger son foie, ni pourquoi les plus gros spécimens sont recherchés, alors qu’il n’y a aucun avantage pour le corps96.

36De l’expansion romaine en Orient sous la République au Haut-Empire, le poisson a conquis les tables des élites, avides de saveurs raffinées. La transmission du savoir médical des Grecs à Rome lui confère une valeur supplémentaire. Il enrichit le régime et permet de manger sain, pour peu que les critères diététiques soient observés. Ses vertus diététiques sont indéniables et le rendent meilleur que la viande. Bien que les différentes catégories sociales aient accès au poisson, l’enseignement des médecins sur sa qualité et la façon de le préparer marquent une distinction entre les élites et les humbles riverains du Tibre. Cette distorsion est amplifiée par le prisme de la morale. Le dialogue entre cuisine et médecine garantit en tout cas la conciliation du plaisir et de la santé. Pour la fin de l’Empire, l’archéologie indique une certaine continuité dans la consommation de poisson. Mais le christianisme lui confère une dimension symbolique nouvelle, tandis que sous l’influence germanique, de nouvelles espèces sont introduites dans les hiérarchies diététiques, tel le saumon chez Anthime, qui au vie siècle condamne le garum, apanage de la cuisine romaine.

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Notes

1 Aelius Aristide, Éloge de Rome, 10-13.

2 Sur le poisson dans le monde grec voir notamment : Dimitra Mylona, Fish-Eating in Greece from the Fifth Century B. C. to the Seventh Century A. D.: A Story of Impoverished Fishermen or Luxurious Fish Banquets?, Oxford, Archaeopress, 2008 ; Sophie Collin-Bouffier, « Le poisson dans le monde grec, mets d’élites ? », dans Pratiques et discours alimentaires en Méditerranée de l’Antiquité à la Renaissance, Paris, A.I.B.L., 2008, p. 91-121. Le poisson est servi comme opson et complète la ration de base constituée de céréales (sitos). L’image du poisson comme produit de luxe dans la littérature grecque doit toutefois être nuancée, comme le suggèrent les inscriptions d’Akraipha et de Delphes. Sur ces inscriptions : Claude Vatin, « Un tarif de poissons à Delphes », Bulletin de correspondance hellénique, XC, 1996, p. 274-280 ; François Salviat et Claude Vatin, « Le tarif des poissons d’Akraipha », dans François Salviat et Claude Vatin, Inscriptions de Grèce centrale, Paris, De Boccard, 1971, p. 95-109.

3 Pline l’Ancien, Histoire naturelle, IX, 171-172.

4 Les poissons sont un raffinement gastronomique notamment chez Archéstrate de Géla surnommé « le virtuose des poissons » et grand gastronome du ive siècle av. J.-C. : Athénée de Naucratis, Deipnosophistes, VII, 278 a-e ; Benoît Louyest, Mots de poissons : le banquet des sophistes, livres 6 et 7 d’Athénée de Naucratis, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2009.

5 La formule est empruntée à Claude Nicolet, L’inventaire du monde. Géographie et politiques aux origines de l’Empire romain, Paris, Fayard, 1988.

6 Sur la diététique en Grèce et à Rome : Ludwig Edelstein, « The Dietetics of Antiquity », dans Owsei Temkin et Lilian Temkin, Ancient Medicine, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1967, p. 303-316 ; Innocenzo Mazzini, « L’alimentation et la médecine dans le monde antique », dans Jean-Louis Flandrin et Massimo Montanari (dir.), Histoire de l’alimentation, Paris, Fayard, 1996, p. 253-264 ; John Wilkins, « Medical Literature, Diet, and Health », dans John Wilkins et Robin Nadeau (dir.), A Companion to Food in the Ancient World, Oxford, Blackwell, 2015, p. 59-68.

7 Hippocrate, Régime, II, 48, 1-4.

8 Traduction d’après Gaetano Arena et Margherita Cassia, Marcello di Side: gli imperatori adottivi e il potere della medicina, Acireale, Bonanno, 2016, fr. 1, p. 154.

9 Les végétaux tiennent cependant une place prééminente dans les classifications diététiques.

10 Sur la diététique chez Mnésithée : Janine Bertier, Mnésithée et Dieuchès, Leyde, Brill, 1972, p. 30-56 et 194-204.

11 Philip Van der Eijk, Diocles of Carystus: A Collection of the Fragments with Translation and Commentary, Leyde, Brill, 2000-2001, vol. 1, p. 282-385 ; vol. 2, p. 321-415.

12 Sur le luxe de la table et les poissons : Yves Roman, Rome, de Romulus à Constantin. Histoire d’une première mondialisation, Paris, Payot, 2016, p. 94-98.

13 Journal of Maritime Archaeology, 13/3, Dimitra Mylona et Rebecca Nicholson (éd.), The Bountiful Sea: Fish Processing and Consumption in Mediterranean Antiquity, 2018.

14 Claire De Ruyt, « Les produits vendus au macellum », dans William Van Andringa (éd.,) Sacrifices, marché de la viande et pratiques alimentaires dans le monde romain, Turnhout, Brepols, 2008, p. 135-150. Sur les poissons en mer Égée aux époques grecque et romaine : Dimitra Mylona, « Fish », dans John Wilkins et Robin Nadeau (dir.), A Companion to Food in the Ancient World, op. cit., p. 147-159. John Wilkins démontre que le poisson est accessible à une large population : « Les poissons faisaient-ils partie de la diète ancienne ? », dans Jean-Nicolas Corvisier, Christine Didier et Martine Valdher (éd.), Thérapies, médecine et démographie antiques, Arras, Artois Presses Université, 2001, p. 183-192.

15 Yves Peurière, La pêche et les poissons dans la littérature latine : des origines à la fin de la période augustéenne, Bruxelles, Latomus, 2003.

16 Par exemple sur le thon en Sicile et en Italie : Enrico Felici, Thynnos: archeologia della tonnara mediterranea, Bari, Edipuglia, 2018. Sur les aspects médicaux : p. 173-176.

17 Pour la ville de Rome : Jacopo De Grossi Mazzorin, « État de nos connaissances concernant le traitement et la consommation du poisson dans l’Antiquité, à la lumière de l’archéologie. L’exemple de Rome », Mélanges de l’École française de Rome – Antiquité (MEFRA), 112/1, 2000, p. 155-167, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3406/mefr.2000.2120. Pour l’Italie centrale : Emmanuel Botte, « L’exploitation de la mer en Italie centrale tyrrhénienne (Étrurie et Latium) : production et commerce durant l’Antiquité », MEFRA, 129/2, 2017, p. 475-521, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/mefra.4635.

18 Sur les timbres d’amphores : David Djaoui, « Les étiquettes commerciales sur les amphores », dans id. (dir.), On n’a rien inventé ! Produits, commerce et gastronomie dans l’Antiquité romaine, 2019, Marseille, Musées de Marseille, p. 96-107.

19 Claire De Ruyt, « Les produits vendus au macellum », art. cité, p. 143 : la réduction de la compétition entre élites et les lois somptuaires ont pu jouer un rôle dans le déclin de l’importance du poisson.

20 Les propriétés diététiques des salaisons énoncées par les textes dérivent de l’expérience selon Robert I. Curtis, Garum and Salsamenta. Production and Commerce in Materia Medica, Leyde, Brill, 1991, p. 29-30.

21 Pline l’Ancien, Histoire naturelle (HN), XXXII, 42. L’identification des poissons pose parfois problème, Pline commet ainsi certaines confusions, notamment au sujet de l’esox qu’il n’identifie pas comme un état du saumon : Carl Deroux, « Le témoignage de Pline l’Ancien sur le poisson appelé esox, -ocis (HN, IX, 44) », Latomus, 67/2, 2008, p. 458-460.

22 Musée archéologique de Naples, Inv. MANN 12017. Ces représentations proviennent souvent de zones d’exploitation de poissons, c’est le cas de la mosaïque aux poissons de Populonia (British Museum, inv. 1989,0322.1). Or, cette localité d’Étrurie abritait des salaisons importantes : Emmanuel Botte, « L’exploitation de la mer en Italie centrale tyrrhénienne… », art. cité, p. 492.

23 Galien, Sur les facultés des aliments, III, 23. Cette logique se retrouve aussi pour les céréales.

24 Hippocrate, Régime, II, XLVIII, 1-4 ; voir aussi le traité Airs, eaux, lieux.

25 Galien, Sur les facultés des aliments, III, 24. Trad. J. Wilkins.

26 C’est le cas aussi pour les fruits : Athénée, II, 49e.

27 Galien, Sur les facultés des aliments, III, 29. Trad. J. Wilkins ; les mêmes explications sont données pour les gobies : III, 28.

28 Pline l’Ancien, Histoire naturelle, IX, 168-169 ; Horace, Satires, II, 2. Danielle Gourevitch, « Manger du poisson sur les rives du Tibre », dans Nicoletta Palmieri, Conserver la santé ou la rétablir : le rôle de l’environnement dans la médecine antique et médiévale, Saint-Étienne, Centre Jean-Palerne, 2012, p. 103-128.

29 Jean-Louis Flandrin, « Le goût et la nécessité : sur l’usage des graisses dans les cuisines d’Europe occidentale (xive-xviiie siècle) », Annales. Économies, sociétés, civilisations, 38/2, 1983, p. 369-401.

30 C’est ce qu’indiquent les fouilles de l’égout du cardo V d’Herculanum où la consommation de poisson frais et varié semble régulière : Erica Rowan, « The fish remains from the Cardo V sewer: New insights into consumption and the fishing economy of Herculaneum », dans Emmanuel Botte et Victoria Leitch (éd.), Fish & Ships : Production et commerce des salsamenta durant l’Antiquité, Arles, Errance, 2014, p. 61-73.

31 C’est ce qu’affirme notamment une épitaphe d’Ostie : C.I.L. XIV, 914.

32 Galien, Sur les facultés des aliments, III, 24. Dans la Méthode de traitement, Galien établit un classement des meilleurs poissons : les poissons de roche ; les merluches ; les soles ; les torpilles ; le loup ; le rouget ; le mulet. Les poissons issus « d’un lac communiquant avec la mer » où de l’embouchure d’un fleuve sont à bannir (K. X, 548-549).

33 Galien distingue les poissons qui mangent de bonnes herbes et racines, puis ceux qui en consomment d’un mauvais suc. Les poissons des rivières des grandes villes qui consomment les selles humaines et les déchets sont les pires : ils pourrissent rapidement, sentent mauvais et donnent de mauvaises humeurs. Il affirme que certains consomment de tels poissons quotidiennement : Sur les facultés des aliments, III, 24. Ces règles valent aussi pour les animaux terrestres : Ibid., III, 1.

34 Juvénal évoque aussi les anguilles du Tibre nourries des immondices des égouts : Satires, V.

35 Galien, Sur les facultés des aliments, III, 24. Trad. J. Wilkins.

36 Pline l’Ancien souligne la qualité des thons de la région du Pont : Histoire naturelle, IX, 47.

37 Martial, Épigrammes, XIII, 80.

38 Sophie Collin-Bouffier, « Le poisson dans le monde grec, mets d’élites ? », art. cité, p. 104.

39 Ibid., p. 110-111 ; Myriam Sternberg, « Les produits de la pêche et la modification des structures halieutiques en Gaule Narbonnaise du iiie siècle av. J.-C. au ier siècle ap. J.-C. Les données de Lattes (Hérault), Marseille (Bouches-du-Rhône) et Olbia-de-Provence (Var) », MEFRA, 110/1, 1998, p. 81-109, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3406/mefr.1998.2022.

40 Galien, Sur les facultés des aliments, III, 24. Trad. J. Wilkins.

41 Hippocrate, Aphorismes, II, 38.

42 Le cardia est l’entrée de l’estomac dont dépendent le bon transit et l’assimilation des aliments.

43 Pline l’Ancien, Histoire naturelle, XX, 96.

44 Pour l’époque tardive, l’édit de Dioclétien adopté en 301 reflète les échelles de valeurs des poissons, lesquelles peuvent toutefois différer du Haut-Empire. Les prix sont donnés pour une livre italique. Pour le poisson de mer à écailles dures, le prix est de 24 deniers, tandis que les poissons de mer de seconde qualité ainsi que les sardines sont à 16 deniers. Les poissons de rivière de première qualité sont à 12 deniers contre 8 pour ceux de second choix. Enfin, la livre de poisson salé est à 6 deniers. Sur l’édit, voir Elsa R. Graser, « The Edict of Diocletian on Maximum Prices », dans Tenney Frank, An Economic Survey of Ancient Rome. Volume V: Rome and Italy of the Empire, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1940, p. 305-420 ; Siegfried Lauffer, Diokletians Preisedikt, Berlin, De Gruyter, 1971.

45 Galien, Sur les facultés des aliments, III, 29.

46 Le prix des salaisons de poissons pouvait être élevé et supérieur à celui des salaisons de viande : Emmanuel Botte, Salaisons et sauces de poissons en Italie du Sud et en Sicile durant l’Antiquité, Naples, Collections du Centre Jean-Bérard 31, 2009, p. 56.

47 David Djaoui, « Les produits de la mer », dans id. (dir.), On n’a rien inventé ! Produits, commerce et gastronomie dans l’Antiquité romaine, op. cit., p. 93-95 : les poissons de salaison sont surtout le thon, les sardines ou les maquereaux. L’analyse de la céramique témoigne aussi de la mise en conserve de ces poissons.

48 Galien, Sur les facultés des aliments, III, 25, 26, 28.

49 Ibid., III, 27, 29-30. Cette approche est également celle d’Hippocrate dans le Régime : John Wilkins, « Les poissons faisaient-ils partie de la diète ancienne ? », art. cité, p. 189-191.

50 Galien, Sur les facultés des aliments, III, 23.

51 Ibid., III, 1.

52 L’anatomie doit être prise en compte. Galien explique que le kephalos possède des arêtes légères, tandis que les gros poissons de mer en sont dépourvus. Les écailles et la peau du poisson doivent aussi être examinées. Galien consacre ainsi un chapitre aux poissons dits à peau d’huîtres : Sur les facultés des aliments, III, 32.

53 Celse, De la médecine, II, 18, 2-3.

54 Ibid., II, 18, 7. Trad. G. Serbat.

55 Pour une présentation des poissons consommés à Rome : Jacques André, L’alimentation et la cuisine à Rome, Paris, Les Belles Lettres, 2009, p. 95-113.

56 Celse, II, 20, 1-21.

57 Ibid., II, 18, 9.

58 Ibid., II, 24, 3.

59 Ibid., II, 26, 2.

60 Ibid., II, 28, 1-2.

61 Ibid., II, 29, 2.

62 Natacha Massar, Soigner et servir : histoire sociale et culturelle de la médecine grecque à l’époque hellénistique, Paris, De Boccard, 2005, p. 259-260 ; Jaques André, L’alimentation et la cuisine à Rome, op. cit., p. 96.

63 Pline l’Ancien, Histoire naturelle, IX, 60-64. Trad. S. Schmitt.

64 Athénée, VII, 276, e-f.

65 Athénée compile des auteurs d’époques classique et hellénistique mais qui correspondent au goût de l’époque impériale. Le savoir diététique sur les poissons provient surtout de Diphile de Siphnos : Jacques Dumont, « Les critères culturels du choix des poissons dans l’alimentation grecque antique : le cas d’Athénée de Naucratis », Anthropozoologica, numéro spécial 2, 1988, p. 99-113 ; Andrew Dalby, Siren Feasts: A History of Food and Gastronomy in Greece, Londres, Routledge, 1996, p. 66-76. Au ive siècle, Oribase puise une partie de ses informations sur les poissons chez Xénocrate d’Aphrodisias, médecin grec du ier siècle : II, 58.

66 John Wilkins, « Les poissons faisaient-ils partie de la diète ancienne ? », art. cité, p. 189-191.

67 Jacopo De Grossi Mazzorin, « État de nos connaissances concernant le traitement et la consommation du poisson dans l’Antiquité… », art. cité. Cette zone a livré des espèces variées pour le ier siècle et les ve-vie siècles, nuançant l’idée que la place du poisson de mer dans le régime se réduirait à la fin de l’Antiquité.

68 Galien, Sur les facultés des aliments, II, 51.

69 Ibid., II, 44.

70 Ibid., III, 29. Trad. J. Wilkins.

71 Ibid., II, 27 ; 51 ; III, 1.

72 Ibid., I, 9 ; 18.

73 Jack Goody, Cuisines, cuisine et classes, Paris, Centre Georges Pompidou, 1985.

74 Selon Galien, on peut y insérer de l’huile, de l’aneth, du poireau, du sel. Sur les sauces pour le poisson : Jacques Dumont, « Les critères culturels du choix des poissons… », art. cité, p. 103.

75 Galien, Sur les facultés des aliments, III, 30. Trad. J. Wilkins.

76 Ibid., III, 1. La viande et les charcuteries sont davantage servies dans les auberges.

77 Cette distinction est présente chez Hippocrate mais aussi chez Aristote.

78 Galien, Sur les facultés des aliments, III, 31 : il cite le médecin Phylotimos de Cos (v. 300 av. J.-C.) qui explique que les poissons à chair dure sont difficiles à transformer, accommoder et digérer (III, 30).

79 Galien confirme le goût pour les chairs molles : « Car le poisson salé de ces régions est avec raison le plus estimé grâce au plaisir qu’on tire de sa chair et à sa mollesse, et tout le monde appelle d’habitude de tels poissons salés sardai » (Sur les facultés des aliments, III, 30). De même, le porc, plus tendre que le bœuf, est apprécié pour cette raison, tout comme les huîtres : Yves Roman, « Le mou, les mous et la mollesse ou les systèmes taxinomiques de l’aristocratie romaine », dans Pratiques et discours alimentaires, op. cit., p. 171-186.

80 Cette idée est exprimée par Galien dans l’introduction du traité Sur les bons et mauvais sucs. Sur les réalités socio-économiques de la consommation de poisson à Rome : Annalisa Marzano, « Fish and Seafood », dans Paul Erdkamp et Claire Holleran (éd.), The Routledge Handbook of Diet and Nutrition in the Roman World, Oxon, Routledge, 2019, p. 163-173.

81 Il s’agit d’une décoction d’orge fréquemment employée en médecine et qui fait l’objet d’un traité de Galien.

82 Galien, Méthode de traitement, K. X, 537.

83 Galien, Hygiène, K. VI, 298.

84 Galien, Des bons et des mauvais sucs, K. VI, 812. D’autres auteurs médicaux conseillent le poisson pour le régime, tel Soranos d’Éphèse pour les nourrices : Maladies des femmes, II, 10. Le poisson entre également dans les prescriptions d’auteurs traitant plus de pharmacopée tel Cassius Felix. Ce dernier reprend les critères adoptés par Galien comme la tendreté de la chair, importante pour lutter contre la constipation : De la médecine, LV, 4. La murène ou la torpille peuvent être conseillées pour la vessie : XLVI, 15. Sur les croyances autour de la torpille : Armelle Debru, « Les enseignements de la torpille dans la médecine antique », dans Isabelle Boehm et Pascal Luccioni (éd.), Le médecin initié par l’animal. Animaux et médecine dans l’Antiquité grecque et latine, Lyon, Collection de la MOM 39, 2008, p. 39-47.

85 Martial, Épigrammes, XII, 19 ; voir aussi II, 78 pour le lien entre bain et poisson.

86 Ibid., III, 50.

87 Ibid., XI, 52.

88 Le terme latin salsum renvoie aux poissons de salaison. Cette recette provient de la section consacrée aux produits marins.

89 Apicius, De l’art culinaire, 432. Trad. J. André.

90 Paul Scade, « Food and Ancient Philosophy », dans John Wilkins et Robin Nadeau (dir.), A Companion to Food in the Ancient World, op. cit., p. 59-68.

91 Horace, Satires, II, 4. Trad. F. Villeneuve. Sous Caligula un surmulet s’est vendu 8 000 sesterces selon Pline : Histoire naturelle, IX, 67. Selon lui, le prix d’un poisson est devenu l’équivalent de celui d’un cuisinier. La mode des viviers traduit aussi le rôle des poissons dans le luxe alimentaire : IX, 170-172. Apulée rend compte aussi du prix élevé des poissons sur les marchés : Métamorphoses, I, XXIV-XXV. Ces prix sont un topos littéraire déjà dans le monde grec : Sophie Collin-Bouffier, « Le poisson dans le monde grec, mets d’élites ? », art. cité, p. 96-97. Néanmoins, les ventes aux enchères pour le poisson semblent être une réalité : Claire De Ruyt, « Les produits vendus au macellum », art. cité, p. 142.

92 Le terme de venter est plus général.

93 Jean-Christophe Courtil, « Le goût de la sagesse : Sénèque et les assaisonnements », Pallas, 106, Goûts et odeurs dans l’Antiquité / Handicaps, malformations et infirmités dans l’Antiquité, 2018, p. 119-135, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/pallas.5439.

94 Sénèque, Lettres à Lucilius, 95, 25.

95 Le garum figure souvent dans les prescriptions de Galien. Son usage médical commence à être attesté chez Dioscoride : Robert I. Curtis, Garum and Salsamenta, op. cit., p. 27-35 ; Pline l’Ancien, Histoire naturelle, XXXI, 96-97.

96 Galien, Sur les facultés des aliments, III, 26.

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Pour citer cet article

Référence papier

Dimitri Tilloi-d’Ambrosi, « Les dons de Neptune et la santé : le poisson dans la diététique à l’époque impériale »Histoire, médecine et santé, 17 | 2021, 23-39.

Référence électronique

Dimitri Tilloi-d’Ambrosi, « Les dons de Neptune et la santé : le poisson dans la diététique à l’époque impériale »Histoire, médecine et santé [En ligne], 17 | été 2020, mis en ligne le 28 juillet 2021, consulté le 18 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/3604 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.3604

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Auteur

Dimitri Tilloi-d’Ambrosi

Université Jean-Moulin Lyon 3 / HiSoMA (UMR 5189)

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