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Dossier thématique : Santé en chiffres

L’économie de la santé sous surveillance médicale (1960-1990)

Health economics under medical surveillance in France (1960-1990)
Daniel Benamouzig
p. 41-67

Résumés

En France, les approches économiques sont devenues progressivement plus pertinentes dans le domaine de la santé depuis quelques décennies. Cette situation est l’aboutissement d’un processus dans lequel la profession médicale a joué un rôle crucial. Au fil du temps, des médecins ont essayé d’orienter et parfois de faire obstacle au développement de l’économie de la santé. Cet article analyse la manière dont des médecins se sont efforcés de contrôler le développement de l’économie de la santé des années 1950 aux années 1990. Dans la période d’après-guerre, une nouvelle expertise significativement appelée « économie médicale » est développée au sein de l’administration, qui acquière par la suite une autonomie accrue par rapport au monde médical dans ce domaine. Dans les années 1970, l’économie de la santé acquiert une autonomie comme champ spécialisé dans l’enseignement supérieur, plus aisément en sciences économiques qu’en médecine. À partir des années 1980, quand le contrôle financier des dépenses de santé devient indispensable, l’évaluation des technologies de santé est pour un temps orienté vers des approches à dominante médicales, aux dépens d’approches plus économiques, qui alors passent au second plan. Cette généalogie caractérise au final un développement sous surveillance médicale de l’économie de la santé en France.

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Texte intégral

1La dernière réforme en date de l’assurance maladie a instauré, en 2004, une Haute Autorité de Santé (HAS) dotée du statut ad hoc d’« autorité indépendante à caractère scientifique ». Héritant des compétences médicales d’une agence antérieure, cette nouvelle venue dans le paysage administratif de la santé associe aux compétences administratives, médicales et hospitalières traditionnelles une nouvelle compétence économique, dont le rôle initialement discret a progressivement été réaffirmé, en 2008 puis en 2012. Cette institution à dominante médicale est aujourd’hui la principale institution sanitaire à disposer d’une compétence explicite en matière d’évaluation économique. Sa situation présente une particularité lorsqu’on la compare à d’autres institutions en charge de missions équivalentes dans d’autres pays européens, notamment au Royaume-Uni et en Allemagne. Les compétences économiques de la HAS sont, en effet, insérées dans une organisation disposant d’une forte identité médicale, là où ses homologues ont plutôt tendance à associer des compétences médicales en tant que de besoin. Pour le dire plus nettement, l’évaluation économique est placée en France sous le contrôle de représentants de la profession médicale. Elle est du reste désignée sous le vocable d’évaluation « médico-économique », qui exprime jusque dans la loi une association de compétences médicales et économiques. Sans toujours faciliter les relations entre ces formes d’expertises, cette organisation s’inscrit dans une tradition plus ancienne, au terme de laquelle l’économie de la santé a souvent été placée sous la supervision de médecins. Sous des formes diverses et dans des configurations institutionnelles variables, des médecins ont constamment veillé à ce que l’essor de l’économie de la santé intervienne sous leur contrôle, au risque d’inhiber tout développement. Cet article a pour objet de retracer quelques épisodes marquants des formes de contrôle et de surveillance exercés par des médecins sur l’essor de l’économie de la santé dans la seconde partie du XXe siècle.

2L’histoire de ces relations n’est évidemment pas linéaire. Elle est au contraire jalonnée de progrès et de régressions, d’avancées et de reculs, de pas de côté ou de travers associés à des initiatives personnelles ou extérieures au système de santé. C’est dans les anfractuosités des politiques publiques que se creuse par à-coups le sillon de l’économie de la santé. Mais cette histoire n’est pas non plus chaotique. Elle obéit à des principes récurrents, qui se répètent sous des formes variées. En premier lieu, les positions que des médecins adoptent d’une période à l’autre vis-à-vis de l’économie se révèlent souvent sceptiques, réservées ou hostiles. Ces dispositions ne consistent cependant pas en de simples fins de non recevoir. Elles traduisent plutôt un souci constamment renouvelé d’intégrer les nouvelles formes d’expertises économiques aux espaces professionnels traditionnels. Les relations entre médecins et économie de la santé apparaissent dès lors comme une affaire de contrôle, plus que de rejet. Les premières décennies de développement de l’économie de la santé en France illustrent cette relation. De la constitution des premières équipes spécialisées dans les années 1960, jusqu’à l’affirmation plus volontariste des principes économiques dans les années 1980, des membres de la profession médicale s’efforcent, non sans heurts ni tâtonnements, d’assurer un contrôle de la nouvelle expertise. Souvent couronnées de succès, ces formes de contrôle rencontrent des limites dès les années 1960. Le contrôle professionnel doit s’accommoder de développements qui lui échappent largement, au sein de l’administration ou dans la sphère académique en particulier.

Entre économie médicale et économie de la santé

  • 1 SANDIER Simone, « Naissance de l’économie médicale en France. Aux origine du CREDES. Interview avec (...)

3Diverses sources éclairent la naissance de la première équipe spécialisée en économie de la santé, organisée au CREDOC (Centre de recherche, d’études et de documentation sur la consommation) vers le milieu des années 19501. Le CREDOC est alors une association créée dans l’entourage du Commissariat Général du Plan pour réaliser les Comptes nationaux de la consommation. Son équipe « médicale » est chargée de réaliser les Comptes de la consommation médicale. Elle s’efforce aussi de promouvoir une nouvelle « économie médicale », en l’engageant – sinon de manière toujours intentionnelle du moins de manière effective – dans des voies compatibles avec les intérêts professionnels et économiques de la profession médicale. Dès les années 1960, la prééminence de cette équipe est toutefois contestée par la création d’une seconde équipe spécialisée, associée au déploiement de l’ambitieuse opération de Rationalisation des Choix Budgétaires (RCB) lancée en 1968 par le ministère de l’Économie et des Finances. Pendant une dizaine d’années, ces deux équipes regroupent l’essentiel des forces disponibles en France dans le domaine de l’économie « médicale », selon la terminologie du CREDOC, ou de l’économie « de la santé », comme l’appelle l’équipe de Rationalisation des choix budgétaires rattachée en 1970 au ministère du même nom. C’est ainsi que se nouent dans l’administration des rapports de rivalité entre des espaces d’expertise contrôlés par des représentants de la profession médicale dans un cas, et plus réservés quant à la pertinence de ce contrôle dans l’autre cas.

Les premiers pas d’une économie médicale

  • 2 FOURQUET François, Les comptes de la puissance, Paris, Encre, 1980.

4Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la mise en place de la Comptabilité nationale nécessite un travail statistique innovant. Il mobilise la production de données portant sur la production économique, puis, à partir du milieu des années 1950, sur la consommation2. Dans ce domaine, la réalisation des travaux est confiée au CREDOC, spécifiquement créé pour ce faire dans l’entourage du Plan. Dès le milieu des années 1960, cet organisme collabore avec l’INSEE et avec le ministère de l’Économie et des Finances. Au milieu des années 1950, des données sont rassemblées pour décrire la consommation médicale. Une petite équipe « médicale » est constituée en son sein pour réaliser ces comptes spécialisés. Tout au long des décennies d’après-guerre, le CREDOC produit ce type de données macro-économiques, à partir desquelles délibèrent notamment les commissions de modernisation du Plan chargées, en particulier, de planifier les équipements hospitaliers. Non exclusivement médical, cet espace d’expertise constitué à des fins administratives est contrôlé par des médecins proches de l’administration. Ces derniers conçoivent leur expertise comme un développement économique de la médecine sociale, plutôt que comme une branche de l’économie politique, à l’égard de laquelle ils nourrissent une certaine méfiance, au demeurant partagée dans les milieux de la planification. L’identité médicale de l’équipe apparaît non seulement dans sa composition et son organisation sociale, mais aussi à travers les compromis qui se nouent autour des données qu’elle produit.

5L’équipe du CREDOC est d’emblée placée sous la supervision d’un médecin clinicien proche de l’administration, le Dr Henri Péquignot, dont l’empreinte s’avère tout aussi décisive que durable. La trajectoire de ce médecin éclaire une influence médicale initiale sur l’économie de la santé. Après ses études de médecine dans les années 1930, Henri Péquignot côtoie la Résistance à Alger pendant la guerre, et rejoint le ministère de la Santé à la Libération. Dans le plus grand désordre de l’été 1944, le Directeur de l’Hygiène Publique, le Dr Eugène Aujaleu, le fait nommer médecin du ministère, ce qui permet au Dr Péquignot de développer une activité hospitalière à l’Hôtel-Dieu tout en fréquentant l’administration. Cette position le conduit à suivre d’assez près la question du financement des hôpitaux, à propos duquel il est recruté dans le cabinet du ministre de la Santé en 1951. Il tire bientôt bénéfice de cette expérience pour animer un séminaire sur le financement de la santé à l’ENA. Son engagement réformateur, au sein de la revue catholique La vie intellectuelle notamment, le conduit à promouvoir une conception sociale et globale de la santé. Ces engagements font de lui un excellent candidat pour diriger l’équipe en train de se constituer au CREDOC, auprès duquel gravitent des experts catholiques comme Georges Dumontier. Privilégiant son activité hospitalière, afin de devenir Professeur en médecine, Henri Péquignot recommande l’un de ses élèves, le Dr Georges Rösch, dont il avait dirigé des recherches prometteuses en économie. Pendant plusieurs années, l’équipe constituée par le Dr Georges Rösch et son maître illustre une forme de contrôle médical sur les productions françaises en économie médicale. Au-delà de la direction de l’équipe, cette influence se traduit aussi par les modèles d’organisation privilégiées, qui reproduisent les modes de socialisation médicale. Le Dr Rösch reste le discipline de son maître, auprès duquel il participe chaque semaine à la visite de service à l’Hôtel-Dieu, et il s’entoure lui-même de jeunes médecins stagiaires au CREDOC. Les travaux de cette équipe font l’objet d’une diffusion au-delà des cercles administratifs auxquels elles sont prioritairement destinées, à travers des publications dans la presse médicale. La moitié des travaux de l’équipe publiés dans les années 1960 paraissent dans des revues médicales telles que La semaine médicale, La semaine des hôpitaux de Paris, La presse médicale, le Concours médical ou la Gazette médicale de France.

6Cette équipe à dominante médicale s’adjoint le concours de statisticiens, mais ne recourt pas aux compétences d’économistes. Elle entretient une certaine méfiance vis-à-vis de leur discipline qui, contrairement à la médecine, ne semble pas être un registre de connaissance pertinent pour fonder l’économie médicale. Écornant les principes de la science économique en lui opposant les nécessités de la planification, d’une part, et soulignant la pertinence du raisonnement médical, d’autre part, le Dr Rösch spécifie en 1959 le rôle de la jeune économie médicale qui doit se tenir, à ses yeux, aux côtés ou au sein même de la médecine :

  • 3 ROSCH Georges, « Le rôle de l’économie médicale » in La gazette médicale de France, 2 sept. 1959, p (...)

Peut-être utilisons-nous les mots d’économie médicale dans un sens plus large qu’il n’est habituel. Sens qui englobe à la fois l’expression habituelle, appliquée à la discipline de l’économie politique, et sens plus fonctionnel qui apparaît lorsqu’on parle de l’« économie de l’organisme humain ». […] La voie d’abord de cette exploration pourra paraître un peu inattendue. Nous essaierons sinon de la justifier, du moins d’expliquer pourquoi elle s’est imposée à nous, en indiquant comment peuvent se concevoir les quatre étapes que devront parcourir les études d’économie médicale, si elles veulent répondre aux questions qui leur sont posées. Étapes qui doivent conduire à observer, expliquer, prévoir, aider à la décision. […] Devant ces difficultés […] deux positions d’esprit seulement sont possibles : la prudence et l’étude. Mais il n’est pas permis non plus d’attendre. Les techniques et les comportements évoluent trop vite pour qu’on ait le temps comme autrefois de laisser se créer des équilibres naturels. Il faut organiser et faire des plans. Ici sont les vrais problèmes. Ce sont ceux que les médecins peuvent seuls résoudre, et auxquels on doit s’attaquer. Et tout médecin se trouvera très proche des processus qui suivent de telles recherches. Trop ambitieuses peut-être, mais respectant au moins les bonnes règles de pensée, appliquant simplement notre démarche habituelle – diagnostic, étiologie, évolution, pronostic, traitement – à l’ensemble de la population d’une nation3.

7De manière tout aussi nette, son maître et conseiller, le Dr Péquignot, précise de son côté :

  • 4 PEQUIGNOT Henri, « La médecine sociale », Problèmes, n° 61, 1959, p. 16-17.

Cet appel que nous faisons au langage du sociologue, ou plutôt de l’économiste, ne doit pas faire méconnaître notre conviction profonde qu’une telle tâche ne peut être accomplie que par des cliniciens, sous la surveillance permanente de la clinique. Certes un travail en commun avec des économistes et des statisticiens est indispensable, mais la présence d’un clinicien et le jugement du clinicien à tous les stades de l’élaboration de la recherche sont indispensables, car il s’agit d’une recherche clinique4.

8Les propos des médecins du CREDOC doivent être appréciés dans le contexte des décennies d’après-guerre, caractérisées par une forme de délégation de l’administration publique de la santé à des représentants de la profession médicale, jugés les mieux à mêmes et les plus légitimes en ces domaines. Le fait de confier à des médecins l’expertise en économie médicale n’est d’ailleurs pas sans avantage. Cette forme de contrôle garantit un certain niveau de familiarité et de connaissance préalable du secteur sanitaire, alors peu connu des économistes officiant dans les facultés de droit. D’un point de vue plus politique, elle prémunit aussi les pouvoirs publics de critiques issues du monde médical, tout en conférant au domaine en cours de constitution la légitimité alors peu contestée de la médecine. À l’aune de considérations plus contemporaines – et donc anachroniques – cette relation de contrôle apparaît aussi comme une forme de conflit d’intérêts. L’économie médicale est exposée au risque de produire des travaux sinon favorables, du moins compatibles avec les intérêts professionnels ou économiques de la profession. Les travaux réalisés par l’équipe médicale du CREDOC montrent que ce risque n’a pas été totalement écarté, comme l’attestent les positions prises par ces experts dans les débats entre macro et micro économiques, alors fort disputés.

9S’inscrivant dans la perspective macroéconomique de la Comptabilité nationale, les travaux du CREDOC conduisent à la production annuelle de données agrégées, qui peuvent faire l’objet d’un suivi chronologique à travers une présentation sous forme de séries temporelles. Ces dernières permettent de réaliser des projections par extrapolation des tendances observées. Tout en se prévalant à bon droit d’une objectivité statistique et d’une pertinence administrative, cette méthode est aussi compatible avec les intérêts du monde médical.

10Les données font apparaître des taux de croissance de la consommation médicale élevés, souvent supérieurs à 15 % par an. Cette tendance est observée avec constance dans tous les secteurs médicaux et pour tous les sous-agrégats définis. Elle conduit l’équipe médicale du CREDOC à faire état de projections signalant aux décideurs publics, notamment au sein des Commissions de modernisation du Plan, des hausses prévisibles et importantes de la consommation médicale. Ces augmentations semblent en outre peu sensibles à des variables susceptibles d’affecter la demande de soins, comme des niveaux variés de couverture. Elles apparaissent dès lors comme autant de « besoins » de la population, que personne ne songe à contester. Les projections macroéconomiques justifient la hausse des dépenses de santé par anticipation. Or ces dépenses ne contribuent pas seulement à couvrir des « besoins de santé », elles abondent aussi les moyens mis à la disposition de la profession médicale, en ville comme à l’hôpital.

  • 5 BENAMOUZIG Daniel, La santé au miroir de l’économie…, op.cit., p. 50.

11En ville, la régulation des pratiques médicales est alors faiblement encadrée par le système des conventions départementales, dont le caractère est surtout indicatif. Il permet aux professionnels de pratiquer des tarifs libres, pris en charge par l’assurance maladie. Cette dernière est peu dotée d’outils statistiques permettant de surveiller, et a fortiori de questionner ou de contrôler ces évolutions… Elle s’en remet pour l’essentiel à l’expertise du CREDOC, dont elle est l’un des bailleurs. Le caractère macroéconomique des données ne permet pas d’établir de liens entre les tendances à la hausse mises en évidence à l’échelle macroéconomique et les comportements microéconomiques des agents économiques, notamment des médecins. Il apparaît notamment délicat d’établir des relations entre l’évolution des agrégats d’une part, et les pratiques ou les revenus des acteurs, d’autre part. Les rares tentatives du CREDOC pour réaliser des enquêtes sur les revenus des médecins ou sur des pratiques médicales susceptibles d’éclairer leurs comportements se heurtent à des tirs de barrage de la part des syndicats de médecins ou d’autres institutions médicales, y compris l’INSERM5. Dans le domaine hospitalier, les données du CREDOC éclairent les délibérations du Plan sur les programmes d’équipement hospitalier, qui battent leur plein. Les tendances macroéconomiques présentées comme autant de besoins appelés à croitre constituent une puissante justification économique aux revendications d’une partie de l’élite hospitalière, soucieuse de modernisation après la Réforme Debré de 1958.

12Au final, les médecins associés au développement de l’économie médicale concourent à la production de connaissances économiques qui s’avèrent largement compatibles avec les intérêts de leur profession. Ces partis pris sont cependant contestés dès la fin des années 1960.

La RCB santé, une alternative à l’économie médicale ?

13À la fin des années 1960, un second espace d’expertise est constitué au sein de l’administration. Alors que l’opération de Rationalisation des Choix Budgétaire (RCB) se prépare, le ministère de l’Économie et des Finances s’entoure d’experts en économie publique capables de manipuler des outils de formalisation mathématiques. Certains de ces outils, comme les modèles de prévision, poursuivent des finalités macroéconomiques et peuvent être associés à des instruments budgétaires. D’autres dérivent de la recherche opérationnelle et ont une vocation plus « microéconomique » : bien qu’ils ne se réfèrent pas aux comportements des agents, comme le fait la microéconomie classique, ils caractérisent en termes économiques des choix et des actions publiques. C’est le cas des méthodes de calcul économique, fondées sur l’usage de ratios coûts-avantages. Elles permettent de hiérarchiser des scénarios d’investissement selon leur degré d’efficience. Leurs usages s’ancrent dans une tradition ancienne en économie publique. Ils font l’objet d’intenses débats internationaux après le déploiement du programme américain Planning, Programming and Budgeting System (PPBS), lancé en 1965 par l’administration Johnson.

  • 6 SFERZ Lucien, L’administration prospective, Paris, Armand Colin, 1970 ; THOENIG Jean-Claude, L’ère (...)

14En France, le ministère de l’Économie et des Finances envisage de généraliser l’usage de ces méthodes économiques à l’ensemble de l’administration, de manière à doter l’État de critères « rationnels » d’allocation des moyens budgétaires. Préparée par une jeune génération d’ingénieurs économistes au sein de la Direction de la Prévision, créée en 1965, l’opération est lancée par le Premier ministre, Michel Debré, en janvier 1968. Elle a pour ambition d’étendre les méthodes économiques à tous les ministères en quelques années. Certaines administrations, comme le ministère de la Défense ou celui de l’Équipement, disposent déjà d’une certaine expérience dans ce domaine, en raison de la présence d’ingénieurs économistes des corps techniques rompus aux méthodes mathématiques de recherche opérationnelle6. D’autres ministères se voient confier un rôle « pilote » dans la généralisation des méthodes. Le domaine de la santé bénéficie d’un intérêt privilégié.

  • 7 GORHAM William, « Deux années d’expérience dans l’application du PPBS, ou comment améliorer le part (...)

15Le ministre de la Santé, Robert Boulin, se montre sensible aux nouvelles méthodes, dont il a découvert l’intérêt quelques années auparavant comme Secrétaire d’État au Budget. Les précédents américains auxquels se réfèrent les ingénieurs économistes français portent en outre sur des questions sociales et sanitaires, notamment après la création, alors toute récente (1965), des programmes publics d’assurance maladie Medicare et Medicaid7. D’un point de vue méthodologique, la santé offre enfin la possibilité de comparer des investissements budgétaires à partir d’indicateurs de résultats relativement clairs, mesurés en nombre de vies humaines épargnées, comme dans les domaines mieux maîtrisés de la sécurité routière et de la Défense. Ce contexte favorise la formation d’une petite équipe de spécialistes destinée à appliquer les méthodes de calculs coûts-avantages au domaine sanitaire. D’abord constituée au sein du ministère de l’Économie et des Finances, sous l’égide des ingénieurs économistes de la Direction de la Prévision, la « cellule RCB santé » est transférée en 1970 au ministère de la Santé. Elle y travaille sous la supervision directe du cabinet de Robert Boulin, dont les membres commanditent des études et suivent l’avancée des travaux. Plusieurs études sont ainsi réalisées sur des sujets tels que la vaccination contre la grippe, la prise en charge des maladies mentales ou la périnatalité. Réalisés en quelques mois, ces travaux font l’objet d’usages décisionnels, mais donnent aussi lieu à des débats qui en contestent la pertinence, voire la possibilité.

16Ces débats se cristallisent autour de l’idée, très controversée depuis le début des années 1960, du « prix de la vie humaine », déjà utilisée dans le domaine de la sécurité routière. Ils impliquent en particulier des représentants du CREDOC qui pratiquent d’autres formes d’économie. Bien que fondées sur des valeurs et sur des arguments méthodologiques, ces tensions ne sont pas exemptes de considérations institutionnelles, à un moment où les tutelles « morales » des deux équipes, le Plan et le ministère de l’Economie et des Finances respectivement, se distendent notoirement. Ces tensions traduisent aussi des différences d’appréciation sur les relations que des travaux économiques sur la santé doivent entretenir avec le monde médical. Tandis que l’équipe du CREDOC défend la légitimité d’une « économie médicale », celle du ministère de la Santé se réclame d’une économie « de la santé » excédant les points de vue de la sphère médicale. Sans se passer du concours de médecins, les artisans de la RCB souhaitent s’émanciper d’un contrôle médical direct. Si des médecins participent aux travaux, ils sont sollicités de manière ponctuelle, à titre technique. La cellule RCB fait ainsi appel à de jeunes médecins intéressés par les méthodes mathématiques de formalisation. Elle leur assigne des missions précisément définies dans le cadre d’études dont les principes sont élaborés par ailleurs, en amont, en se référant à une légitimité technique et ministérielle, plutôt que médicale et professionnelle. La position ainsi adoptée au sein de l’équipe de la RCB santé n’est pas seulement stratégique, définie du point de vue des formes de contrôle d’une sphère sur l’autre, elle a des conséquences pratiques dans la réalisation des travaux économiques.

  • 8 Un chercheur du CREDOC nous rappelle ces difficultés : « Au départ, les pathologies n’étaient pas p (...)
  • 9 PEQUIGNOT Henri, « A propos d’une vie humaine », La semaine des hôpitaux, suppl. n° 14, 1962, p. 16 (...)
  • 10 EOSCH Georges, « La mesure des coûts et avantages et les choix économiques dans les actions médical (...)
  • 11 Entretien de Marie-Thérèse Chapalain, 1998. Entretien, CREDOC, 1998.
  • 12 BENAMOUZIG Daniel, La santé au miroir de l’économie…, op.cit., p. 115.

17En premier lieu, le ministère de la santé analyse plus finement les pratiques professionnelles que ne parvient parallèlement à le faire l’équipe médicale du CREDOC qui privilégie des données agrégées. La situation est d’autant plus paradoxale que cette dernière dispose de ressources médicales permanentes qui permettraient d’aborder des questions médicales relativement techniques. Mais l’équipe du CREDOC doit s’accommoder d’une sorte d’interdit de la profession, qui critique d’éventuelles incursions dans le domaine médical en dénonçant la possibilité même d’aborder en termes économiques ces situations médicales8. Au contraire, la démarche « microéconomique » de la RCB exige par construction un regard précis sur les pratiques médicales, à partir desquelles peuvent être définis les scénarios évalués. En second lieu, l’équipe du ministère s’émancipe plus facilement des perspectives médicales que revendiquent certains professionnels à propos de leurs pratiques. Alors qu’en l’absence de données, des professionnels surestiment l’importance numérique des problèmes qu’ils cherchent à promouvoir sur l’agenda public, et à définir ces derniers en termes médicaux, les experts du ministère se montrent plus réservés sur leurs estimations et tendent à élargir ces problèmes à des questions de santé publique, plutôt que de médecine. En matière de périnatalité, par exemple, des professionnels dénoncent une hécatombe nationale et signalent 15 000 accidents majeurs, conduisant à des décès ou à des handicaps mentaux, là où l’administration ne parvient à en dénombrer que 500, ce qui l’encourage à élargir la question obstétrique au domaine de la périnatalité en général. Enfin, les travaux du ministère de la Santé font l’objet de réserves du CREDOC. Dès les années 1960, Henri Péquignot et Georges Rösch, en particulier, s’étaient montrés critiques vis-à-vis des méthodes de calcul économique, dont ils dénonçaient l’usage simplificateur dans le domaine médical9. Si ces critiques sont plus rarement formulées lors de l’opération RCB, elles marquent des différences dont les intéressés mesurent les attendus dans un contexte de rivalité10. Les élections présidentielles de 1974 marquent à cet égard un renversement, qui se traduit par une disgrâce et une régression de la « RCB santé ». Dans un nouveau contexte, marqué par la crise, la nouvelle ministre de la Santé, Simone Veil, se démarque des options « rationalistes » de ses prédécesseurs et oriente son cabinet vers l’expertise économique du CREDOC, plutôt que vers la cellule RCB11. Tandis que l’exigence de maîtrise des Comptes publics se précise, les choix d’investissements sont engagés dans la voie d’une lente résorption, au point de disparaître quelques années plus tard12.

18Avec les deux équipes du CREDOC auprès du Plan et de la « RCB santé » aux ministères des Finances et de la Santé, se constitue ainsi un ensemble d’expertises économiques sur la santé à dominante administrative. Leur organisation autant que leurs modes de raisonnement traduisent cependant des rapports différents au monde médical. Alors que l’équipe du CREDOC valorise son identité médicale, les experts de la RCB essaient de s’en affranchir. Leurs relations sont modifiées par la formation d’un milieu académique spécialisé dans les années 1970, dans un contexte de transformation de l’Université après mai 1968.

Le conflit des facultés : entre médecine et sciences économiques

19La formation d’un milieu académique spécialisé en économie de la santé intervient après mai 1968 au bénéfice des transformations qui caractérisent alors le monde universitaire. Le contexte politique de contestation étudiante met simultanément en cause une organisation universitaire peu adaptée aux exigences de professionnalisation et de démocratisation, et certaines formes d’action publique, jugées excessivement autoritaires, comme la planification ou la RCB. Ces tendances favorisent la réorientation des travaux réalisés en économie de la santé, dont le centre de gravité se déplace de son giron administratif initial vers la sphère académique. Les pouvoirs publics soutiennent cette translation à travers des financements contractuels, orientés vers des recherches finalisées. Dans le monde académique, ces initiatives sont relayées de manière différenciée. Alors que les facultés de sciences économiques développent des enseignements et des structures de recherche spécialisées en économie de la santé, les facultés de médecine se montrent plus rétives. L’économie de la santé peine à y pénétrer, pour des raisons à la fois institutionnelles et intellectuelles.

La santé dans les facultés de sciences économiques

  • 13 GUESLIN André, L’invention de l’économie sociale, Paris, Economica, 1998.
  • 14 SAMUELSON Paul A., L’économique, Paris, Armand Colin, 1959. La première édition du célèbre manuel d (...)

20Dans les facultés de sciences économiques, le développement de l’économie de la santé intervient dans le cadre plus ancien de l’économie sociale. Forgée par Jean-Baptiste Say, l’expression d’économie sociale acquiert une consistance institutionnelle à la fin du XIXe siècle13. Elle s’inscrit alors dans un contexte de renforcement du droit du travail, de développement des mutuelles et des premières formes de protection sociale. Cette ancienneté confère une place, d’ailleurs modeste, à l’économie sociale dans les facultés de droit, où l’économie est enseignée. Dans les années 1950, ce domaine spécialisé regroupe des enseignements portant sur les relations au travail et la protection sociale, renouvelée quelques années plus tôt par la création de la Sécurité sociale. Dans les années 1960, les nouvelles préoccupations sociales du Plan accroissent la pertinence du domaine. Tandis que la planification « quantitative » est critiquée, un élargissement des perspectives économiques traditionnelles aux aspects sociaux est envisagé. Quelques universitaires se montrent attentifs à ces évolutions. Ils sont encouragés dans cette voie par une demande accrue de professionnalisation des enseignements de la part des étudiants, ainsi que par le développement international de leur discipline, qui laisse une place croissante à ces aspects, comme en témoigne le fameux manuel d’économie de Paul Samuelson14. Ces universitaires abordent dans leurs enseignements des problèmes concrets relatifs à l’éducation, à la pauvreté, à la protection sociale ou la santé. La place institutionnelle de ces développements se précise après la loi d’orientation sur l’enseignement supérieur de novembre 1968, qui favorise la création de nouvelles « Unités d’Enseignement et de Recherche » (UER). Sans attribuer une place centrale à l’économie de la santé, plusieurs UER d’économie sociale lui reconnaissent une place explicite. Tout en associant des médecins intéressés par ces orientations, ces initiatives se développent de manière très autonome par rapport à la profession médicale.

  • 15 Du nom de Roger Goetz-Girey, professeur d’économie spécialisé en économie sociale.

21À Paris, le développement de l’économie de la santé est le fait de deux équipes. À la Sorbonne, Henri Guitton est déjà un professeur d’économie reconnu lorsqu’il porte intérêt aux problématiques de santé, auxquelles le sensibilise l’un de ses étudiants, le directeur d’hôpital Maurice Rochaix. Après avoir contribué à la modernisation de l’enseignement économique à travers la création de la licence d’économie en 1959, et du Diplôme d’Études Supérieures en 1963, Henri Guitton est d’autant plus respecté par ses pairs qu’il est l’un des rares économistes de l’Université à maîtriser les outils mathématiques de formalisation, couramment utilisés par les ingénieurs-économistes dans l’administration. Il introduit des cours de statistiques et d’économétrie à l’Université, et crée en 1970 un enseignement d’économie de la santé destiné aux étudiants de licence et de maîtrise. Henri Guitton confère au domaine une part de sa respectabilité académique, notamment dans le cadre du « séminaire Goetz-Girey » d’économie sociale qu’il anime à la Sorbonne15. Membre influent du jury d’agrégation, il se montre attentif aux candidats intéressés par l’économie de la santé. Dans le cadre des réformes, le séminaire Goetz-Girey est transformé en 1971 en Laboratoire d’Economie Sociale (LES). Regroupant trois domaines de recherche – l’éducation, les institutions non marchandes et la santé – il contribue à la formation de futurs économistes de la santé et de médecins intéressés par l’économie. Alors que l’on parle d’introduire l’économie de la santé dans les études médicales, cette formation offre des perspectives de carrière à des médecins capables d’enseigner l’économie dans les facultés de médecine. Ces jeunes médecins ont la possibilité de passer une « thèse de spécialité », créée en 1972 pour des étudiants n’ayant pas suivi le cycle complet de sciences économiques ; apparaissent alors des profils hybrides de « médecins économistes ».

  • 16 VALAT Bruno, Histoire de la Sécurité Sociale, 1945-1967. L’Etat, l’institution et la santé, Paris, (...)

22Une seconde équipe parisienne travaille en collaboration avec Henri Guitton. Elle est animée par un jeune économiste, Emile Lévy, qui s’est intéressé aux questions de santé après avoir été sollicité en 1967 par le ministre de la Santé, Jean-Marcel Jeannenay, pour animer le Service des études et du Plan du ministère, alors engagé dans une importante réforme de la protection sociale16. Chargé de superviser la production de données statistiques et économiques au ministère, Emile Lévy est nommé professeur à la faculté de Nanterre en 1969. Avec d’autres enseignants, il forme une équipe d’économie sociale et crée en 1971 le Centre de Recherche en Economie Sociale (CRES). Les charges de cours sont partagées avec quelques jeunes maîtres-assistants, dont les dynamiques Denis Kessler et Dominique Strauss-Kahn. Au CRES, Emile Lévy forme un groupe d’« économie appliquée à la santé » et travaille sur les indicateurs de santé avec le service des études sociales du Plan. Financée par la recherche contractuelle, l’équipe « économie appliquée à la santé » dispose d’une certaine autonomie, qui facilite son transfert vers la faculté de Paris-Dauphine lorsqu’Emile Lévy y est nommé, en 1973. L’équipe de Nanterre constitue le noyau initial du Laboratoire d’Économie et de Gestion des Organismes des Organisations de Santé (LEGOS), l’un des principaux centres spécialisés en économie de la santé pendant plusieurs décennies.

  • 17 BRUNET-JAILLY Joseph, Essai sur l’économie générale de la santé, Paris, Editions Cujas, 1971.

23En province, plusieurs économistes s’impliquent dans le domaine en cours de structuration grâce aux financements de recherche contractuels. Les mécanismes d’attribution garantissent une grande part d’initiative aux universitaires, qui suggèrent les thématiques de recherche et soumettent des projets susceptibles d’être sélectionnés. L’autonomie de ces nouveaux experts universitaires est plus importante que celle dont disposaient les services proches du Plan ou des ministères. Pour autant, cette autonomie académique n’est pas une simple absence de liens avec l’environnement, elle s’inscrit dans des réseaux de relations complexes, souvent ancrés localement dans différentes régions. Dans le Sud de la France, à l’université d’Aix-Marseille, Joseph Brunet-Jailly fait figure de pionnier. Il est le premier économiste français à consacrer sa thèse de doctorat à « l’économie générale de la santé », en 196717. Nommé maître de conférences à la faculté d’Aix-Marseille, il se rapproche du Laboratoire d’Économie et de Sociologie du Travail (LEST), dans lequel il créé le Centre d’Économie de la Santé (CES). Il engage des recherches sur le coût de la maladie en milieu hospitalier et sur les accidents du travail. À Dijon, des économistes comme Maryse Gadreau et Béatrice Majnoni d’Intignano travaillent sur l’économie hospitalière à l’Institut de Mathématiques Economiques. À Montpellier, Guy Delande anime un enseignement spécialisé et des recherches sur les durées de séjour hospitalier ou sur les accidents vasculaires. À Lille, le Centre de Recherche Economiques, Sociologiques et de Gestion (CRESGE) qu’anime Michel Falise développe des travaux spécialisés sur la santé à partir de recherches sectorielles s’inscrivant dans la tradition de l’économie sociale, forte dans cette région. À Lyon, Denis-Clerc Lambert bénéficie d’une fructueuse association avec une équipe médicale animée par le professeur Louis Roche, d’un caractère inédit d’association entre facultés de sciences économiques et de médecine, où les enseignements d’économie peinent à se développer.

L’économie dans les facultés de médecine

  • 18 ROCHE Louis, « Recherche et travaux d’économie de la santé dans les facultés ou laboratoire des fac (...)
  • 19 Robert Boulin participe personnellement au colloque organisé en décembre 1971 à Marseille sur « l’e (...)
  • 20 ROCHE Louis, « Recherche et travaux d’économie de la santé dans les facultés ou laboratoires des fa (...)

24Dans les facultés de médecine, le développement d’enseignements en économie de la santé est envisagé à la fin des années 1960. L’intérêt que lui portent les pouvoirs publics conduit des médecins à s’intéresser au domaine. La première mention de l’économie de la santé dans les études de médecine apparaît en 1966 dans une rubrique de médecine légale, qui se réfère à « l’économie politique des actes médicaux ». Comme dans les facultés de sciences économiques, l’économie de la santé entretient des liens avec le droit, ce qui facilite des rapprochements individuels. À Lyon, par exemple, le professeur Louis Roche, spécialiste de médecine légale, se rapproche du professeur d’économie Denis-Clerc Lambert, avec lequel il créé un enseignement d’économie médicale et une Association lyonnaise d’économie médicale18. Alors que l’opération RCB bat son plein, ces initiatives sont encouragées par les pouvoirs publics, notamment par le ministre de la Santé, Robert Boulin19. Tandis qu’un rapport de l’OMS paru en 1970 recommande l’introduction d’enseignements économiques dans le cursus médical, le ministre de la Santé réunit une commission interministérielle sur l’enseignement de l’économie de la santé et en confie la présidence à Émile Lévy, déjà impliqué sur ces questions au ministère. L’enjeu est d’imaginer des propositions concrètes en vue de développer l’enseignement donné aux futurs médecins sur les problèmes économiques et sociaux liés à l’exercice de la profession médicale. La commission préconise un enseignement organisé en relation avec la médecine légale, quoiqu’indépendamment de cette dernière. L’enseignement serait dispensé tout au long des trois cycles d’études, sous la forme d’une initiation, puis de véritables cours et d’approfondissements. La constitution d’un corps d’enseignants, sans exclusive dans sa composition et dans un esprit interdisciplinaire, est suggérée. Les conclusions du rapport sont traduites dès l’été 1970 dans des textes réglementaires, qui organisent un enseignement de « psychologie, sciences sociales et économiques » en premier cycle et des cours en « médecine préventive et économie médicale » en second cycle. Prise dans le style et dans l’esprit volontariste de la RCB, ces mesures se heurtent cependant au mouvement concomitant d’élargissement de l’autonomie des universités, renforcé par la loi sur l’enseignement postérieure aux évènements de mai 1968. Dans ce contexte, tout juste l’État peut-il orienter les suites que les doyens choisissent ou non de donner localement à cette initiative. Au ministère, l’affaire est suivie par la Direction Générale de la Santé, et un second rapport est bientôt confié au doyen Delbarre, qui associe cinq médecins et cinq économistes pour analyser les efforts réalisés depuis 1970. Le rapport constate de maigres progrès et réaffirme l’importance de l’économie de la santé, sans que ses conclusions soient cette fois suivies du moindre effet20.

  • 21 GUENIOT M., « Introduction au colloque sur l’enseignement de l’économie de la santé et de la sociol (...)

25De fait, l’enseignement se développe de manière anarchique dans les facultés de médecine21. Localement, l’application des textes dépend de l’engagement personnel de quelques enseignants. Des cours d’économie de la santé sont confiés à des professeurs en médecine supposés disposer de compétences en économie en raison d’une formation personnelle ou d’une expérience préalable dans ce domaine. Mais ces profils sont rares, hétérogènes et souvent faiblement mâtinés d’économie. En général, les cours sont confiés aux titulaires de chaires de médecine légale ou de médecine du travail, qui font eux-mêmes appel à des intervenants extérieurs. Dans certaines universités, comme à Lyon, les facultés de sciences économiques et de médecine sollicitent des économistes, des sociologues ou des représentants de l’administration hospitalière. Selon les UER, le contenu des cours est variable et de qualité inégale. L’enseignement est tributaire des compétences et des moyens, souvent limités, dont disposent localement les enseignants, qui ne cherchent qu’à répondre à des objectifs modestes. Il s’agit au mieux de fournir aux futurs médecins une information leur permettant de mieux comprendre leur environnement, éventuellement les conséquences économiques de leurs actes. Il est exclu de présenter l’économie comme une démarche formelle ou scientifique. Les médecins se montrent intéressés par des données concrètes sur la démographie médicale ou sur les dépenses de santé. L’enseignement en économie de la santé dans les facultés de médecine piétine. Il se heurte à des obstacles institutionnels et intellectuels.

Des obstacles institutionnels et intellectuels

  • 22 Cette règle connaît une entorse tardive avec la nomination en 1978 de l’épidémiologiste Daniel Schw (...)
  • 23 ROCHE Louis, « Recherche et travaux d’économie…, op.cit., p. 18.

26D’un point de vue institutionnel, le développement de l’économie de la santé est freiné par le faible nombre de postes ouvert dans les facultés de médecine. Les intentions affichées par les pouvoirs publics au début des années 1970 cèdent le pas à l’attentisme lorsque Robert Boulin quitte le ministère en 1972. Alors que des médecins intéressés par l’économie de la santé se mobilisent et échafaudent des scénarios, le manque de postes refroidit les doyens les mieux disposés. À ces difficultés s’ajoute le conservatisme de l’organisation hospitalo-universitaire, dans laquelle les postes de professeur sont traditionnellement réservés à des médecins et s’accompagnent de l’attribution d’une chefferie de service22. Ce modèle rend impossible la nomination d’économistes non médecins à des postes ouverts en économie dans les facultés de médecine. Tandis que des économistes de la santé animent ponctuellement des séminaires auxquels sont associés des médecins, aucun recrutement d’économiste ne peut être envisagé dans les facultés de médecine23. De manière plus générale, ces dernières ne reconnaissent qu’une place marginale aux sciences humaines, qui pâtissent d’un manque présumé de scientificité au regard des disciplines plus fondamentales, dont la place et la légitimité n’a cessé de s’accroître dans le contexte de valorisation d’une médecine technicienne après la création des CHU en 1958. Pour de nombreux enseignants des facultés de médecine, le développement scientifique et technique de la médecine requiert avant tout des enseignements fondamentaux, perçus comme autrement plus importants que des enseignements en économie ou en sciences humaines. L’intérêt des étudiants pour ces domaines en est d’autant plus directement affecté que les cours dispensés n’ont pas de caractère obligatoire et pâtissent de coefficients faibles, sans note éliminatoire.

  • 24 C’est ce qu’illustre le témoignage d’Émile Lévy : « Pendant de très longues années, ce sont des pro (...)
  • 25 BROUN G., « Discussion », in Economie et Santé, n° 11, 1980, p. 54.

27En plus de ces difficultés institutionnelles, l’économie de la santé se heurte à des difficultés cognitives ou intellectuelles. Les médecins, les économistes et les étudiants impliqués dans les enseignements ont des perceptions divergentes à l’origine d’incompréhensions mutuelles, voire d’incompréhensions tout court. Les médecins soucieux d’introduire l’économie de la santé dans les facultés de médecine se montrent souvent rétifs aux raisonnements formels des économistes. En retour, les efforts de ces derniers pour adapter leurs méthodes ou leurs enseignements les exposent à d’amères déconvenues24. La situation est souvent d’autant plus critique que les prérequis des étudiants sont à peu près nuls. En s’écartant du registre médical, les enseignants se heurtent à l’inculture de leur auditoire. La seule démarche envisageable pour les médecins associés à ces enseignements consiste à en vulgariser le contenu, quitte à dénaturer son caractère économique. Cette vulgarisation va jusqu’à une dilution des savoirs à travers la simple acquisition d’« attitudes » inculquées dans le cadre d’enseignements oraux, de type clinique. Personne n’attend du futur médecin qu’il maîtrise des notions d’économie, qu’il identifie ce qu’est un coût marginal, un coût d’opportunité ou un agrégat par exemple, mais seulement qu’il manifeste une certaine « prudence » économique, dans un sens éminemment pratique et vague25.

28L’un des obstacles cognitifs les plus décisifs que rencontre l’économie dans les facultés de médecine tient aux représentations de la profession médicale véhiculées par la discipline économique. Par construction, l’économie souligne l’importance de la rareté et des limites qu’elle fait peser sur l’exercice médical, lequel valorise au contraire une forme d’inconditionnalité déontologique de ses finalités. Dans un discours à dominante professionnelle, où les valeurs professionnelles côtoient facilement les intérêts, les médecins ne manquent pas de relever les risques « déontologiques » que fait peser l’économie de la santé. Lors d’un colloque sur l’enseignement de l’économie de la santé organisé en 1980, nombre de médecins expriment leur crainte de voir l’économie de la santé justifier d’inacceptables « économies sur la santé ». Le souci déontologique côtoie des motifs économiques, sur lesquels les économistes ne s’interdisent pas de jeter une lumière plutôt crue. En appliquant les catégories de leur discipline, ils font apparaître les professionnels comme des acteurs rationnels, soucieux de leur intérêt. À la lumière des catégories économiques, les médecins ne semblent avoir d’autre alternative que d’apparaître comme des agents « désintéressés », inconscient des contraintes de rareté et peu respectueux des ressources publiques, ou comme des agents cherchant à maximiser leur utilité, pour ne pas dire leurs revenus. Dans la présentation pudique d’un numéro de la Revue Économique consacrée à l’économie de la santé, l’économiste Joseph Brunet-Jailly revient sur cette difficulté en 1976 :

  • 26 BRUNET-JAILLY Joseph, « Avant propos », Revue Économique, n° spécial « économie de la santé », vol. (...)

La discussion scientifique fait apparaître diverses difficultés qu’il n’est pas possible d’éluder, même si les habitudes de la pensée et de l’action en ressortent finalement contestées : ainsi malgré les difficultés techniques d’une approche économique de phénomènes interdépendants, tels que ceux qui se présentent en économie de la santé, malgré les difficultés de communication entre médecins et économistes, en raison des différences sensibles qui caractérisent leurs problématiques respectives, il apparaît bien que le regard de l’économiste, dès lors qu’il ne s’enferme pas dans la modélisation partielle et hâtive, met en cause les comportements professionnels et sociaux en cherchant à découvrir la logique de la croissance qui se manifeste dans les activités curatives26.

29L’économie de la santé soulève des objections d’autant plus vives qu’elle prend pour objet les comportements des professionnels, et qu’elle formalise des motivations d’ordinaire tenues tacites. Elle entre ainsi en conflit avec des valeurs d’autant plus fermement défendues par les médecins qu’elles s’articulent à des comportements souvent beaucoup plus complexes que les simplifications à partir desquelles les économistes les appréhendent. En présentant la médecine comme une activité « intéressée », l’économie véhicule une représentation de la profession dans laquelle ses représentants se reconnaissent difficilement, au point de se montrer sceptiques, voire méfiants vis-à-vis de l’expertise économique.

  • 27 KNOKAERT René, « Les besoins en connaissances en économie de la santé et en économie médicale du mé (...)

30Ces réticences s’accroissent dans un contexte de maîtrise des dépenses de santé, qui dégradent les perceptions de la discipline économique par les médecins. Tout au long des années 1970, l’économie de la santé évolue, en effet, au carrefour d’une divergence d’intérêts entre le monde médical, soucieux de préserver l’excellence des moyens de plus en plus onéreux dont il dispose, et les pouvoirs publics, confrontés à des déséquilibres budgétaires accentués par la crise. Les médecins assimilent volontiers l’économie de la santé aux dispositifs de régulation mis en œuvre par les pouvoirs publics. En 1978, l’union fédérant les associations de formation médicale continue, l’UNAFORMEC, constitue un groupe de travail sur l’économie de la santé avec quelques spécialistes impliqués dans l’enseignement de la discipline dans les facultés de médecine. L’intérêt des médecins pour l’économie de la santé se révèle ambigu. Une enquête destinée à sonder leurs attentes montre qu’ils sont surtout intéressés par les dispositions prises par les pouvoirs publics pour réguler les dépenses de santé. En matière d’économie de la santé, ils s’intéressent à la tarification hospitalière en cours de refonte et aux tableaux statistiques de l’activité des praticiens (TSAP) mis en place par l’assurance maladie pour quantifier leurs pratiques. Aux yeux de nombreux médecins, l’économie de la santé s’apparente davantage à une menace pour la profession qu’à un registre d’analyse susceptible d’être assimilé par les futurs médecins27. Rien d’étonnant dès lors à ce que l’accueil réservé à l’économie de la santé dans les facultés de médecine reste modeste. Au final, dans le contexte académique en plein renouvellement des années 1970, l’économie de la santé prospère surtout dans les facultés de sciences économiques, à bonne distance d’une surveillance médicale qui s’avère délétère dans les facultés de médecine.

Aléas et dissolution de l’évaluation « médico-économique »

  • 28 BIMBER Bruce, The Politics of Expertise in Congress, the Rise and Fall of the Office of Technology (...)

31Dans les années 1980, les relations entre la profession médicale et l’économie de la santé se jouent autour des débats sur le développement de l’évaluation dans le secteur de la santé. Ceux-ci interviennent dans le contexte de restrictions budgétaires, notamment dans le secteur hospitalier. Les dépenses hospitalières sont en effet plafonnées d’autorité par l’État, à travers l’instauration du « budget global », qui définit a priori le niveau de financement des établissements, sous la forme d’une dotation calculée sur des bases historiques. Expérimentée à la fin des années 1970 à l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), la mesure est généralisée pour l’ensemble du secteur public hospitalier en 1984. Elle apparaît au monde hospitalier comme une mesure brutale, aveugle à l’activité médicale des établissements. Au-delà des urgences budgétaires, la mesure s’accompagne de réflexions sur les moyens d’associer plus finement la prise en compte des contraintes budgétaires et des activités de soins. Dès la fin des années 1970, la Direction du Plan de l’AP-HP envisage d’importer des États-Unis des outils de contrôle de gestion et de financement, notamment la « méthode Fetter », que l’un des chercheurs associé à l’AP-HP, Jean de Kervasdoué, déploie sous le nom de « Programme de médicalisation des systèmes d’information » (PMSI) après sa nomination à la Direction des Hôpitaux du ministère de la Santé. Au tournant des années 1980, la Direction du Plan de l’AP-HP est plus généralement au centre de réflexions associant des médecins hospitaliers et des spécialistes en économie et en gestion soucieux de rapprocher des points de vue économiques et médicaux. Outre le PMSI, ces réflexions portent sur les fonds baptismaux des expériences d’évaluation se voulant tout à la fois économiques et médicales, plus respectueuses des préoccupations de la profession. Ces travaux se déploient autour de la notion d’évaluation, qui bénéficie alors d’un contexte national et international favorable. Après les difficultés de la RCB et de ses choix a priori, les pouvoirs publics s’orientent vers des études rétrospectives, évaluant des actions a posteriori. Dans ce domaine, ils peuvent s’inspirer de démarches mises en œuvre aux États-Unis en particulier, autour des principes d’évaluation des technologies définies par le Congrès américain, qui se dote en 1972 d’un Office of Technology Assessment28. Après une période d’incubation dans le milieu hospitalier, l’évaluation « médico-économique » apparaît comme une option politique crédible au milieu des années 1980. Placée sous surveillance médicale, sa dimension économique tend toutefois à disparaître derrière sa dimension médicale.

La maîtrise de l’hôpital et l’évaluation des technologies médicales

32Au tournant des années 1980, le développement de pratiques d’évaluation auprès de la Direction du Plan de l’AP-HP associe des médecins réformateurs, souvent associés au développement académique de l’économie de la santé, et des économistes. Ces derniers sont sollicités pour expérimenter des méthodes combinant perspectives médicales et économiques, afin de proposer des alternatives techniques et politiques aux restrictions fondées sur des critères strictement budgétaires. Pendant une quinzaine d’années, l’évaluation médico-économique apparaît comme une alternative possible, à dominante médicale, aux mesures de contingentement budgétaire. Ces expérimentations – qui sont plus tard théorisées à travers l’opposition entre « maîtrise médicalisée » et « maîtrise comptable » des dépenses de santé – constituent une tentative de réponse du monde hospitalier au défi de la maîtrise des dépenses de santé. Elle se fonde sur le développement de méthodes d’évaluation expérimentées outre-Atlantique, non seulement auprès d’institutions publiques, mais aussi au sein de la profession médicale.

  • 29 Office of Technology Assessment (1976), Development of Medical Technology: Opportunities for Assess (...)

33Dans un contexte de contestation sociale et politique, les technologies font l’objet de vives remises en cause aux États-Unis au début des années 1970. En réaction, le Congrès se dote en 1972 d’un organisme chargé de procéder à des contre-expertises rigoureuses, contradictoires et indépendantes, susceptibles de revenir sur des projets de diffusion de technologie, le cas échéant promues par l’exécutif. Les activités de l’Office of Technology Assessment (OTA) s’étendent à partir de 1976 aux technologies médicales29. Elles représentent un tiers de ses activités en 1980. Son travail se réfère non seulement aux données scientifiques, mais aussi à des études économiques de type coûts-avantages. Loin d’être associées aux styles technocratiques du PPBS, ces méthodes sont sollicitées pour éclairer le débat public, l’évaluation se veut rétrospective et publique plutôt qu’orientée vers la planification. Il s’agit aussi d’influer sur la profession médicale en s’efforçant de promouvoir un plus grand discernement sur l’usage efficient des technologies. Pendant une dizaine d’années, l’évaluation des technologies médicales est au cœur de débats entre des institutions publiques chargées d’en promouvoir l’usage au Congrès, mais également au sein de l’administration, et des organisations professionnelles tout à la fois rétives à cette intervention publique et désireuses de développer par elles-mêmes des initiatives équivalentes, le cas échéant en s’associant le concours des compagnies d’assurance. Le complexe institutionnel de l’évaluation, dans lequel des interventions publiques appellent des réactions professionnelles, intéresse en France. De retour d’une mission d’études qu’elle réalise aux États-Unis au milieu des années 1980, Caroline Weill en résume le contexte à destination de ses lecteurs français, en soulignant l’intérêt que la démarche peut représenter pour la profession médicale :

  • 30 WEILL Caroline, « L’évaluation des techniques médicales aux Etats-Unis », dans ARMORGATHE Jean-Fran (...)

Au centre de cette activité corporatiste d’évaluation figure le souci de mettre en avant le point de vue de la responsabilité médicale dans les jugements qui doivent être nécessairement portés sur le caractère « utile et raisonnable » et sur le rapport coût-bénéfice des procédures, lorsque la question de leur prise en charge par une compagnie d’assurance privée ou par les programmes Medicare ou Medicaid se trouve posée30.

  • 31 Voir par exemple FINEBERG H. et HIATT H., « Evaluation of medical practices. The case for technolog (...)

34Les expériences américaines entrent en écho avec les intérêts d’un cercle de médecins associés au développement de l’économie dans les facultés de médecine. Ces thérapeutes sont attentifs au mouvement d’évaluation médicale et à l’usage médical des raisonnements coûts-avantages, auxquels s’ouvrent les colonnes des grandes revues médicales internationales31. Plusieurs d’entre eux ont fait le détour d’une formation spécialisée outre-Atlantique et deviennent les promoteurs de cette démarche dans les institutions françaises auxquels ils sont associés. Le parcours du Dr Jean-François Lacronique à la fin des années 1970 est à cet égard exemplaire. Médecin de formation et responsable de la rubrique médicale du quotidien Le Monde à son retour d’une formation au MIT, aux États-Unis, il suit le développement des méthodes d’évaluation et en fait la promotion auprès de la Direction du Plan de l’AP-HP, où il est recruté comme chef du service des études. Jean-François Lacronique y travaille en relation avec le responsable des études économiques de la Direction du Plan, Jean de Kervasdoué. Avec d’autres médecins, il participe en 1980 à la création d’une « cellule évaluation » qui fonctionne en relation avec la Commission Médicale d’Établissement de l’AP-HP. Ce groupe constitue la première équipe d’évaluation médicale créée en France. Elle sensibilise les services hospitaliers à l’intérêt des « audits » médicaux et promeut l’évaluation. Après un passage comme conseiller technique au cabinet du ministre des Affaires Sociales, Jacques Barrot, Jean-François Lacronique est nommé Directeur adjoint à la Direction Générale de la Santé et des Hôpitaux du ministère de la Santé et participe aux travaux de la Commission de la Protection sociale du Commissariat Général au Plan qui prépare alors le huitième Plan. Profitant du refus des partenaires sociaux d’envisager une réforme du système de santé, il y défend l’introduction de l’évaluation. Comme le souligne Bruno Jobert dans son étude sur la planification sociale :

  • 32 JOBERT Bruno, Le social en Plan, Paris, Editions ouvrières, 1980, p. 229.

En l’absence de consensus sur la réforme des structures, l’action des rapporteurs du groupe santé de la Commission de la Protection sociale se concentrera sur […] le développement d’un système plus rigoureux d’évaluation et de programmation du système de santé. […] On espère ainsi que les principales unités de production de service de santé, hôpitaux, mais aussi médecine de ville et organes de prévention, parviendront à mieux saisir l’efficacité finale de leur travail et à s’engager dans une autodiscipline raisonnée de leurs dépenses32.

35La démarche introduit en somme un renversement, puisque la réforme du système de santé n’incombe ni aux pouvoirs publics ni aux partenaires sociaux, mais aux professionnels de santé, investis grâce à l’évaluation des arbitrages économiques les plus avisés. C’est de fait auprès des institutions hospitalières que la démarche se déploie en quelques années. La Direction du Plan de l’AP-HP fait figure de pionnière, puis essaime dans l’administration hospitalière, notamment après la nomination de son Directeur des études, Jean de Kervasdoué, à la Direction des Hôpitaux. Ce dernier sollicite un organisme indépendant, le Centre National de l’Equipement Hospitalier (CNEH), pour réaliser des études économiques sur des technologies susceptibles d’être autorisées à l’hôpital. Au sein de l’AP-HP, les activités d’évaluation se développent sous la conduite d’un promoteur de l’économie de la santé dans les facultés de médecine, Dominique Jolly, qui après avoir été le premier professeur en économie de la santé nommé dans une faculté de médecine, en 1977, se voit offrir la Direction du Plan de l’AP-HP en guise de chefferie de service. Il y encourage la création d’un organisme spécialisé dans l’évaluation des technologies médicales, le Comité d’évaluation des innovations technologiques (CEDIT). S’associant le concours de médecins hospitaliers, ce comité compte des médecins ayant reçu une formation en économie. Ses avis ont un caractère indicatif, souvent positif, qui laisse une importante marge de manœuvre à la direction de l’AP-HP, et plus encore aux services hospitaliers dont les décisions d’équipement sont en fait largement autonomes, sauf pour les technologies lourdes, soumises à une réglementation spécifique. Tout en rapprochant le monde hospitalier de l’économie de la santé, l’évaluation s’avère en somme respectueuse de l’autonomie de la profession, pour ne pas dire sans effet économique réel. Alors que ses effets son difficiles à objectiver, elle semble constituer une option économique et politique alternative aux restrictions budgétaires parfaitement compatible avec les intérêts de la profession. Au-delà des expériences locales, l’évaluation médico-économique fait l’objet d’une promotion nationale du monde hospitalier au milieu des années 1980.

La dilution médicale de l’évaluation économique

  • 33 VIVERET Patrick, L’évaluation des politiques publiques et des actions publiques, Paris, La Document (...)
  • 34 PAPIERNIK Éric, « Propositions pour le développement de l’évaluation des techniques et des pratique (...)
  • 35 Comme le note le rapport Papiernik : « Il existe des chercheurs au sein de l’INSERM ou en milieu ho (...)

36Le projet de développement de l’évaluation médico-économique intervient dans un contexte plus large de promotion de l’évaluation des politiques publiques, lancée en 1983 dans l’entourage du ministère de l’Économie et des Finances33. Les méthodes sanitaires sont appelées en renfort de la démarche, à laquelle elles semblent pouvoir apporter une illustration sinon réussie du moins effective, et à ce titre un certain crédit. Ce rapprochement est le premier d’une certaine envergure entre spécialistes de la santé et experts économiques du ministère des Finances depuis l’opération RCB, dans les années 1970. Alors que les restrictions budgétaires se font pressantes, il accroit le crédit qui semble pouvoir être reconnu aux options économiques élaborées par les institutions hospitalières. Telle est du moins l’interprétation qu’en fait l’un des médecins associé à l’opération RCB, l’obstétricien Émile Papiernik, qui voit dans l’évaluation des politiques publiques et dans la reconnaissance de l’évaluation médico-économique une occasion d’opposer une perspective plus médicale aux principes financiers du budget global. Des analyses coûts-avantages réalisées à propos de stratégies médicales lui semblent pouvoir permettre d’éviter un rationnement financier trop aveugle aux soins et aux activités des services médicaux. En 1984, Émile Papiernik prend rendez-vous avec le Secrétaire d’État chargé de la Santé, Edmond Hervé, et lui propose de généraliser l’évaluation médicale, sur le modèle des États-Unis. Le Secrétaire d’État lui confie la mission de réfléchir « aux contours d’une structure nouvelle dans le domaine de l’évaluation des actions de santé et des technologies bio-médicales »34. L’obstétricien forme une équipe à laquelle il associe des économistes de l’INSERM. Jean-Paul Moatti, en particulier, porte attention à la dimension économique de l’évaluation, mais conformément à la lettre de mission, l’exploration s’attache surtout aux aspects scientifiques et médicaux de l’évaluation. Les conclusions du rapport tiennent en deux points : développer des conférences de consensus et créer un organisme pour promouvoir l’évaluation. La place de l’analyse économique apparaît marginale, comme une simple rubrique des conférences de consensus. Jean-Paul Moatti s’efforce d’assurer la promotion des économistes de l’INSERM35. Après la remise du rapport, le secrétaire d’État chargé de la Santé confie à Émile Papiernik la présidence d’une Fondation pour l’évaluation des pratiques et techniques médicales, dont la mise en place est interrompue par l’alternance législative de 1986. Sous la nouvelle majorité, le projet prend une tournure encore plus médicale et moins économique.

  • 36 La réduction significative du niveau de remboursement n’est pas seulement justifiée par le souci co (...)

37En 1987, la maîtrise des comptes sociaux conduit le ministre des Affaires sociales, Philippe Seguin, à mettre en place un ambitieux plan de maîtrise, à partir duquel il entend « responsabiliser le consommateur »36. Il ouvre quelques mois plus tard des « États généraux de la Sécurité Sociale » avec le souhait de parvenir à une régulation financière du système de santé. Une faible attention est portée au projet d’évaluation économique des pratiques, qui n’est cependant pas totalement abandonné. Reformulées par le cabinet de la ministre de la Santé, le Dr Michèle Barzach, ses ambitions sont médicalisées et revues à la baisse. La fondation créée par Edmond Hervé est remplacée en juin 1987 par un Comité National pour l’Évaluation Médicale, dont la direction est confiée au Président du Conseil National de l’Ordre des Médecins, le Dr Louis René. Très professionnel, ce conseil compte dix membres, presque tous médecins et pour la plupart nommés intuitu personae par la ministre. Leur marge d’autonomie est faible. Au sein du comité, l’économie de la santé est représentée par deux médecins formés en économie de la santé, les Pr. Dominique Jolly et Yves Matillon. En pratique, le nouvel organisme est réduit à un rôle de représentation. Le respect de l’autonomie médicale ne laisse aucune chance à l’évaluation médico-économique.

  • 37 Pour une contribution sceptique de l’intérêt porté par la Cour des Comptes, voir par exemple la con (...)

38Après l’alternance de 1988, l’évaluation des politiques publique bénéficie d’un regain d’intérêt. Nommé Premier ministre, Michel Rocard en fait un axe de sa réforme du service public. Le projet de confier l’évaluation à des instances indépendantes, académiques ou parlementaires, se heurte toutefois à la Cour des Comptes qui entend conserver ses prérogatives. Dans le domaine médical, les perspectives ne sont pas plus favorables. La neutralisation de l’évaluation n’a pas besoin de la Cour des Comptes, qui surveille le processus d’asphyxie à distance37. Le monde médical se charge d’absorber le risque attaché à une évaluation indépendante de ses pratiques. À la faveur de l’alternance, l’évaluation médicale réapparaît comme une option possible en matière de maîtrise financière du système de santé, dans une conjoncture il est vrai plus favorable. Aux yeux du Premier ministre, l’évaluation médicale doit permettre de rationaliser le système de santé tout en le préservant :

  • 38 ROCARD Michel, Réponses pour demain, Paris, Syros Alternatives, 1988, p. 30.

La prescription doit rester libre, comme le choix du médecin. Mais cela devra s’accompagner d’une véritable politique d’évaluation des techniques et des pratiques médicales, qui, seule permettra à la fois de mieux utiliser des matériels de plus en plus sophistiqués, d’améliorer la formation continue des médecins et de contrôler dans un cadre concerté les médecins38.

39Dans cet esprit, le ministre de la Solidarité, de la Santé et de la Protection Sociale, Claude Evin, confie la rédaction d’un rapport sur l’évaluation médicale au Dr Jean-François Armogathe, président de la principale organisation de formation médicale continue, l’UNAFORMEC. Pour le ministre de la Santé, la problématique de l’évaluation ne doit pas être purement médicale, elle doit aussi être également économique, comme le souligne la lettre de mission qu’il adresse au Dr Armogathe :

  • 39 ÉVIN Claude, Lettre de mission adressée à J.-F. Armogathe, 23 décembre 1988, dans ARMORGATHE Jean-F (...)

Sans ignorer les efforts entrepris ici ou là, on peut regretter que les moyens nouveaux ne soient pas systématiquement analysés et comparés, tant du point de vue technique que du point de vue humain et économique, afin de sélectionner peu à peu les méthodes les plus efficaces […]. Il est indispensable de rompre le cloisonnement entre la recherche scientifique et la gestion dans le secteur de la santé. C’est à la réalisation de cet objectif que répond la logique de l’évaluation39.

  • 40 METROP A., « Le champ de l’évaluation en médecine », dans ARMORGATHE Jean-François (dir.), Pour le (...)
  • 41 Le Monde, 26 septembre 1989, p. 19.
  • 42 Le Monde, 21 avril 1990, p. 9.

40Le rapport Armogathe remet à flot le projet Papiernik. Il s’agit de constituer un système léger dont le contrôle resterait médical. Pour assurer une continuité, des acteurs du projet Papiernik et du Conseil National d’Évaluation Médicale sont associés à l’élaboration du rapport. Remis en 1989, le rapport déplore les réticences des professionnels vis-à-vis de l’évaluation économique, en réaffirme le principe et s’en prend au corporatisme médical40. En septembre 1989, Claude Évin annonce la création d’une Agence Nationale pour le Développement de l’Évaluation Médicale (ANDEM), dont la direction est confiée au Pr. Yves Matillon. Médecin interniste, diplômé d’un DEA d’économie de la santé et d’un doctorat en droit, ce dernier connaît bien les méthodes de l’évaluation, qu’il a étudiées aux États-Unis et au Canada, avant de collaborer aux travaux du Comité National pour l’Évaluation Médicale créé par Michèle Barzach. Placée sous la tutelle du ministère de la Santé, la nouvelle agence acquiert un rôle opérationnel et technique. Dès son installation, le directeur de l’Agence développe une conception exclusivement médicale de l’évaluation. Pour convaincre les médecins, Yves Matillon relègue la dimension économique à l’arrière-plan et déclare sans ambiguïté lors de son installation : « Le corps médical doit bien comprendre quel est mon objectif. L’évaluation ne doit en aucune façon servir de prétexte à un quelconque contrôle ou à des pénalisations. Il s’agit avant tout d’améliorer tant la profession médicale que les soins »41. Et de compléter quelques mois plus tard : « J’attends avant tout faire de cette agence un organisme technique et scientifique indiscutable, en aucun cas il ne s’agira d’un organisme politique ou d’une structure destinée à contrôler les dépenses »42. Initialement associée du projet, l’économie de la santé est marginalisée. Sous surveillance médicale, l’évaluation est purgée de ses attendus économiques. Au nom d’exigences techniques bien légitimes, les intentions politiques initiales évoluent dans un sens objectivement favorable aux intérêts de la profession. Au quotidien, les médecins de l’agence se montrent peu favorables à d’éventuels « empiètements » de l’économie sur leur expertise. Ils parviennent à neutraliser toute amorce de réflexion économique, comme le précise le Directeur des études de l’ANDEM, le Dr Pierre Durieux :

  • 43 Entretien, Pierre Durieux, 1998.

Au départ, l’idée d’introduire l’évaluation économique était présente. Les premiers travaux avaient une dimension économique. Mais assez vite les membres du conseil scientifique se sont posé la question. Certains membres estimaient qu’il était nécessaire d’introduire des paramètres économiques. Nous avons au contraire estimé que les données cliniques n’étaient pas suffisantes pour que le problème soit posé en termes économiques, et nous n’avons pas fait d’analyse économique. (…) Il est clair que nous ne voulions pas mettre les analyses coût-efficacité au cœur du débat parce que nous étions médecins. On voulait avant tout discuter les aspects cliniques, évaluer leur pertinence. Il s’agissait de ne pas aborder le problème à travers les études économiques. Ce n’est qu’ensuite que nous avons subi des pressions, du ministère de la Santé en particulier, pour disposer d’une petite structure d’évaluation économique43.

41Malgré leurs efforts, ni l’administration, ni le pouvoir politique, ni les économistes eux-mêmes, ne parviennent à déployer de manière un tant soit peu organisée un regard économique sur l’activité médicale. Initialement envisagée comme une modalité d’introduction de l’économie sous contrôle professionnel, l’évaluation médicale apparaît comme une forme aboutie de contournement des exigences économiques par les professionnels de santé. Sous d’autres formes, mais avec tout autant de réussite, le monde médical contient les effets de l’économie de la santé au seuil des années 1990, au risque de ne laisser d’autres choix aux pouvoirs publics qu’une certaine brutalité financière, que traduit la mise en place du budget global dans les années 1980 ou le caractère autoritaire du Plan Juppé dix ans plus tard.

*

42Au seuil des années 1990, le déploiement progressif de l’économie de la santé semble avoir donné lieu à des tentatives répétées de contrôle de la part de médecins. Cette forme de surveillance médicale exercée sur l’économie de la santé n’est pas sans effets. Elle favorise en premier lieu l’usage de raisonnements économiques compatibles avec des perspectives ou des intérêts médicaux. Dans les années 1950, le développement de travaux macroéconomiques couvre d’un voile pudique la question des pratiques médicales, qui peuvent difficilement être analysées, et a fortiori questionnées ou mises en cause, à l’aune d’agrégats. En conséquence, ces travaux mettent en avant le caractère irrépressible de la hausse de la consommation médicale et des dépenses de santé, qui représentent aussi des revenus pour les professionnels de santé. Parallèlement, dans les années 1980, le développement d’évaluations « médico-économiques » traduit le souci d’adapter le raisonnement économique au raisonnement médical, de manière à proposer une alternative à des restrictions budgétaires plus brutales. Dans d’autres cas, la surveillance de l’économie de la santé par des médecins inhibe plus radicalement son développement, au risque d’aboutir à de véritables impasses. Ainsi l’organisation d’un enseignement économique dans les facultés de médecine s’avère-t-elle impossible dans les années 1970. Quelques années plus tard, la mise en œuvre d’évaluations médico-économiques dans une agence aussi chargée de promouvoir l’évaluation médicale devient impossible, malgré les intentions initiales. Pour autant, ces limites et difficultés récurrentes ne résument pas les initiatives prises en économie de la santé. Tandis que des médecins s’efforcent d’en contrôler le développement, des économistes s’émancipent volontiers de leur contrôle. Dans les années 1970, l’opération RCB offre ainsi une première possibilité de faire valoir des usages alternatifs du raisonnement économique, et de valoriser ainsi une économie de la santé qui ne soit pas une économie médicale. Quelques années plus tard, l’impéritie de l’organisation d’enseignements économiques dans les facultés de médecine permet aux facultés de sciences économiques de développer des enseignements et des recherches spécialisés en économie de la santé à distance du monde médical. De sorte que la surveillance médicale ne présage pas des possibilités ou des impossibilités de développement de l’économie de la santé, qui obéit parallèlement à d’autres logiques, administratives ou académiques en particulier. À l’aune de ces éclairages, le recours récent d’une institution à dominante médicale comme la Haute Autorité de Santé à une expertise « médico-économique » s’inscrit en définitive dans une longue tradition, caractérisée depuis plusieurs décennies par des tentatives répétées et plus ou moins abouties de contrôle de l’économie par des représentants du monde médical. Si les conséquences de cette association ne sont pas directement prévisibles, elle n’est certainement pas sans risques, étant données les difficultés récurrentes auxquelles l’économie a été confrontée dans un milieu à dominante médicale. Les expériences d’association passées entre médecine et économie laissent tout à la fois présager de réelles difficultés d’articulation, et des possibilités concomitantes de réactions de la part des économistes, auprès ou en marge du contrôle médical. À défaut, l’histoire récente du développement de l’économie de la santé laisse aussi poindre le risque d’une reprise en main plus brutale des enjeux économiques par des acteurs administratifs en butte à des difficultés budgétaires que l’association entre médecins et économistes ne serait pas parvenue à éclairer en temps utile.

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Notes

1 SANDIER Simone, « Naissance de l’économie médicale en France. Aux origine du CREDES. Interview avec Henri Péquignot », Prospective et santé, 1988, n° 47-48 ; SERRE Marina, « La santé en comptes, la mise en forme statistique de la santé » Politix, n° 46, 1999, p. 49-70 ; SERRE Marina, « De l’économie médicale à l’économie de la santé, genèse d’une discipline scientifique et transformations de l’action publique » Actes de la recherche en sciences sociales, n° 143, 2002, p. 68-79 ; BENAMOUZIG Daniel, La santé au miroir de l’économie, une histoire de l’économie de la santé, Paris, PUF, 2005.

2 FOURQUET François, Les comptes de la puissance, Paris, Encre, 1980.

3 ROSCH Georges, « Le rôle de l’économie médicale » in La gazette médicale de France, 2 sept. 1959, p. 1311-1348.

4 PEQUIGNOT Henri, « La médecine sociale », Problèmes, n° 61, 1959, p. 16-17.

5 BENAMOUZIG Daniel, La santé au miroir de l’économie…, op.cit., p. 50.

6 SFERZ Lucien, L’administration prospective, Paris, Armand Colin, 1970 ; THOENIG Jean-Claude, L’ère des technocrates, Paris, L’Harmattan (1973), 1987.

7 GORHAM William, « Deux années d’expérience dans l’application du PPBS, ou comment améliorer le partage du gâteau public », Analyse et Prévision, vol. 5, 1968, p. 403-416.

8 Un chercheur du CREDOC nous rappelle ces difficultés : « Au départ, les pathologies n’étaient pas prises en compte pour l’élaboration des Comptes de la consommation. Elles ont été introduites en 1960, et au prix de quelques acrobaties. On les a introduites comme des aide-mémoires, permettant aux personnes interrogées de se rappeler leur consommation médicale. Nous avons alors subi des attaques répétées du côté de l’INSERM. Les médecins considéraient qu’il était impossible de questionner les gens sur leurs pathologies. Les non-médecins, en l’occurrence nous et les patients, ne pouvions collecter une information valable, parce que pour parler des pathologies il fallait savoir de quoi on parlait, il fallait être médecin. Cela paraissait une hérésie que de faire travailler des non-médecins sur des questions médicales. C’est une attitude qui a perduré assez longtemps », Entretien, CREDOC, 1998.

9 PEQUIGNOT Henri, « A propos d’une vie humaine », La semaine des hôpitaux, suppl. n° 14, 1962, p. 16-19.

10 EOSCH Georges, « La mesure des coûts et avantages et les choix économiques dans les actions médicales », Le concours médical, vol. 93, n° 15, 1071, p. 2819-2829.

11 Entretien de Marie-Thérèse Chapalain, 1998. Entretien, CREDOC, 1998.

12 BENAMOUZIG Daniel, La santé au miroir de l’économie…, op.cit., p. 115.

13 GUESLIN André, L’invention de l’économie sociale, Paris, Economica, 1998.

14 SAMUELSON Paul A., L’économique, Paris, Armand Colin, 1959. La première édition du célèbre manuel d’économie date de 1948, et a par la suite été constamment enrichie jusqu’à la dernière édition traduite en français en 1995.

15 Du nom de Roger Goetz-Girey, professeur d’économie spécialisé en économie sociale.

16 VALAT Bruno, Histoire de la Sécurité Sociale, 1945-1967. L’Etat, l’institution et la santé, Paris, Economica, 2001.

17 BRUNET-JAILLY Joseph, Essai sur l’économie générale de la santé, Paris, Editions Cujas, 1971.

18 ROCHE Louis, « Recherche et travaux d’économie de la santé dans les facultés ou laboratoire des facultés de médecine », Économie et Santé, n° 7, 1977, p. 20.

19 Robert Boulin participe personnellement au colloque organisé en décembre 1971 à Marseille sur « l’enseignement de l’économie médicale », où sont présents les principaux acteurs du domaine.

20 ROCHE Louis, « Recherche et travaux d’économie de la santé dans les facultés ou laboratoires des facultés de médecine », Economie et santé, n° 7, 1977.

21 GUENIOT M., « Introduction au colloque sur l’enseignement de l’économie de la santé et de la sociologie médicale, 18-19 janvier 1980 », Economie et santé, n° 11, 1980.

22 Cette règle connaît une entorse tardive avec la nomination en 1978 de l’épidémiologiste Daniel Schwartz, mais ce cas reste exceptionnel.

23 ROCHE Louis, « Recherche et travaux d’économie…, op.cit., p. 18.

24 C’est ce qu’illustre le témoignage d’Émile Lévy : « Pendant de très longues années, ce sont des professeurs de santé publique, de médecine du travail ou de médecine légale qui se sont emparés du domaine. Il y en avait qui n’arrivaient pas à comprendre. Je me souviens d’un professeur qui ne parvenait pas à comprendre que la science économique se pose, à sa manière et avec ses limites, comme une science du comportement. Pour lui, l’économie de la santé, c’était de l’ordre du constat. C’était la démographie médicale, l’annuaire statistique, les Comptes de la santé. Que l’on cherche à comprendre le comportement du médecin, du malade, des agents, et comment tout cela interagit, il ne comprenait pas », Entretien, Émile Lévy, 2000.

25 BROUN G., « Discussion », in Economie et Santé, n° 11, 1980, p. 54.

26 BRUNET-JAILLY Joseph, « Avant propos », Revue Économique, n° spécial « économie de la santé », vol. 27, 1976, n° 3.

27 KNOKAERT René, « Les besoins en connaissances en économie de la santé et en économie médicale du médecin généraliste installé au cours de la formation continue », Économie et Santé, n° 11, 1980, p. 64.

28 BIMBER Bruce, The Politics of Expertise in Congress, the Rise and Fall of the Office of Technology Assessment, New York, State University of New York Press, 1996.

29 Office of Technology Assessment (1976), Development of Medical Technology: Opportunities for Assessment, Washington D.C. US. Government Printing office.

30 WEILL Caroline, « L’évaluation des techniques médicales aux Etats-Unis », dans ARMORGATHE Jean-François (dir.), Pour le développement de l’évaluation médicale, Paris, La Documentation Française, 1988.

31 Voir par exemple FINEBERG H. et HIATT H., « Evaluation of medical practices. The case for technology assessment », New England Journal of Medicine, vol. 301, n° 20, 1979, p. 1086-1091 ; RELMAN A.S., « Technology costs and evaluation », New England Journal of Medicine, vol. 309, n° 26, 1979, p. 1444-1145 ; GOLDING A. et TOSEY D., « The cost of high-technology medicine », The Lancet, vol. 2, n° 8187, 1980, p. 195-197 ; PERRY S., « Consensus development programme: technology assessment at NIH », British Medical Journal, vol. 281, n° 6241, 1980, p. 681 ; FUCHS V., « Sounding Boards. What is CBA/CEA, and why are they doing this to us? », New England Journal of Medicine, vol. 303, n° 16, 1980, p. 937-938.

32 JOBERT Bruno, Le social en Plan, Paris, Editions ouvrières, 1980, p. 229.

33 VIVERET Patrick, L’évaluation des politiques publiques et des actions publiques, Paris, La Documentation Française, 1989 ; MONNIER Éric, L’évaluation des politiques publiques, Paris, Economica, 1992 ; SPENLEHAEUR Vincent, L’évaluation des politiques publiques, avatar de la planification, thèse pour l’obtention du doctorat de sciences politique, Grenoble, 1998.

34 PAPIERNIK Éric, « Propositions pour le développement de l’évaluation des techniques et des pratiques médicales », rapport de mission au Secrétaire d’État chargé de la Santé, dans ARMORGATHE Jean-François (dir.), Pour le développement de l’évaluation médicale…, op.cit., p. 139.

35 Comme le note le rapport Papiernik : « Il existe des chercheurs au sein de l’INSERM ou en milieu hospitalier capables d’apporter une aide méthodologique, mais ils sont peu nombreux et leur activité n’est pas suffisamment valorisée par la communauté scientifique ». Ibidem, p. 141.

36 La réduction significative du niveau de remboursement n’est pas seulement justifiée par le souci comptable de rétablir l’équilibre financier, mais aussi par une argumentation économique en vertu de laquelle les consommateurs doivent être « responsabilisés ». ROCHEFORT R., « Évaluation du Plan Seguin, ou les effets d’une politique du ticket modérateur », dans LAUNOIS Robert, Des remèdes pour la santé, Paris, Masson, 1989, p. 221 et suiv.

37 Pour une contribution sceptique de l’intérêt porté par la Cour des Comptes, voir par exemple la contribution d’un ancien ministre, premier président honoraire de la Cour des Comptes, CHANDERNAGOR André, « L’évaluation : mode ou nécessité ? Son application éventuelle aux problèmes de santé », Bulletin de l’Ordre des médecins, n° 332, 1991, p. 23-37.

38 ROCARD Michel, Réponses pour demain, Paris, Syros Alternatives, 1988, p. 30.

39 ÉVIN Claude, Lettre de mission adressée à J.-F. Armogathe, 23 décembre 1988, dans ARMORGATHE Jean-François (dir.), Pour le développement de l’évaluation médicale…, op.cit., p. 3.

40 METROP A., « Le champ de l’évaluation en médecine », dans ARMORGATHE Jean-François (dir.), Pour le développement de l’évaluation médicale…, op.cit., p. 21 et p. 27.

41 Le Monde, 26 septembre 1989, p. 19.

42 Le Monde, 21 avril 1990, p. 9.

43 Entretien, Pierre Durieux, 1998.

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Pour citer cet article

Référence papier

Daniel Benamouzig, « L’économie de la santé sous surveillance médicale (1960-1990) »Histoire, médecine et santé, 4 | 2013, 41-67.

Référence électronique

Daniel Benamouzig, « L’économie de la santé sous surveillance médicale (1960-1990) »Histoire, médecine et santé [En ligne], 4 | automne 2013, mis en ligne le 01 décembre 2014, consulté le 20 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/351 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.351

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Auteur

Daniel Benamouzig

Daniel Benamouzig est chargé de recherche au CNRS, membre du Centre de Sociologie des Organisations (COS, CNRS-Sciences Po) et du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP).

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