Les limites du cadavre. La tentation de la vivisection humaine, XVIe-XVIIIe siècles
Résumés
L’insuffisance radicale de l’exploration du corps mort dans l’élaboration d’un savoir fonctionnel autoptique est un des principaux problèmes auxquels l’anatomie est, par définition, confrontée dès la Renaissance. Les anatomistes et les chirurgiens le soulèvent avec acuité tout au long de l’époque moderne, en reconnaissant les limites que le cadavre impose à leur entreprise de connaissance. Les vivisections humaines, censées permettre de pallier au moins partiellement ce déficit, sont ainsi régulièrement évoquées, en mobilisant des textes d’auteurs anciens et un cas de vivisection présumée datant de la fin du Moyen Âge. Le propos de cet article n’est pas de déterminer si des expérimentations de ce genre sur des individus vivants ont effectivement été pratiquées, mais d’analyser les usages divers et changeants qui ont été faits de la thématique des vivisections en tant que lieu rhétorique dans la littérature médicale, mais aussi historiographique et philosophique, à l’époque moderne.
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1La vivisection humaine est un objet rhétorique. Un topos, sans cesse mobilisé dans les textes d’anatomie et de chirurgie depuis la Renaissance – plus particulièrement, depuis la première impression, à Florence en 1478, du De medicina libri octo du Romain Celse (Aulus Cornelius Celsus), la seule section conservée d’une vaste encyclopédie en six parties composée probablement au temps de Tibère. Si le De medicina dans son ensemble exerça une influence certaine, ne serait-ce que littéraire, auprès des médecins universitaires qui produisent des textes dès le XVe siècle, c’est le Proœmium de l’ouvrage qui, au sujet des vivisections, pose les termes selon lesquels la question est évoquée pendant au moins trois-cents ans.
- 1 Voir STADEN Heinrich Von, Herophilus: The Art of Medicine in Early Alexandria, Cambridge, 1989 ; ST (...)
- 2 Je cite d’après la traduction de Philippe Mudry, dans La préface du « De medicina » de Celse, texte (...)
2Le propos de Celse porte sur les travaux anatomiques qui auraient eu lieu à Alexandrie vers 300 avant l’ère chrétienne, notamment par Hérophile de Chalcédoine et son contemporain Érasistrate de Céos. L’activité de ces deux médecins et anatomistes fournit, d’après ce que l’on sait, les seuls cas de dissections humaines que l’Antiquité ait connus ; or Hérophile et Érasistrate auraient également pratiqué des vivisections sur des criminels, avec l’autorisation et même l’encouragement du fondateur de la dynastie ptolémaïque, Ptolémée Ier Sôter. L’expérience fut de courte durée : un demi-siècle environ, au cours duquel non seulement le contexte politique et institutionnel qui lui était favorable changea, mais des oppositions au sein même du savoir médical se firent aussi entendre1. Celle, par exemple, des médecins dits « empiriques », qui réfutaient l’utilité des dissections. Les médecins « dogmatiques » – dont Hérophile et Érasistrate – visaient, explique Celse, la construction d’un système médical rationnel qui devait tirer son étiologie de la recherche de « causes obscures » au moyen, entre autres, de l’exploration de « ce que jusque-là la nature avait tenu caché » à l’intérieur du corps humain : « la place des organes, leur couleur, leur forme, leur taille, leur disposition, leur fermeté, leur mollesse, leur poli, leurs points de contact, puis aussi leurs saillies respectives et leurs creux, leurs imbrications éventuelles ». En effet, « lorsque survient une douleur à l’intérieur du corps, celui qui n’a pas appris à connaître la situation de chaque organe interne ne peut savoir ce qui fait mal, et l’organe malade ne peut être soigné par celui qui ignore ce qu’est cet organe ». De même, « lorsqu’une blessure a mis à nu des organes internes, celui qui ignore la couleur de chacun d’eux lorsqu’il est sain ignore ce qui est indemne et ce qui est atteint ».Voilà pourquoi ces médecins considéraient qu’Hérophile et Érasistrate « ont obtenu de loin les meilleurs résultats en disséquant à vif des criminels emprisonnés que les souverains leur livraient », et que « ce n’est point faire preuve de cruauté, comme l’affirment la plupart, que de chercher les moyens de secourir d’innombrables honnêtes gens dans toutes les générations à venir en suppliciant des criminels, et encore en petit nombre »2.
- 3 Ibidem, p. 27, 29, 41.
3Les empiriques, en revanche, contestaient le bien-fondé de cette démarche du fait des altérations produites par la mort. En d’autres termes, la connaissance de l’homme vivant ne pouvait s’édifier sur celle de l’homme mort, voire mourant pour ce qui concerne les vivisections. Au sujet de celles-ci, ils avançaient en outre un argument d’« humanité » : « le fait qu’on ouvre le ventre et la poitrine à des personnes vivantes – disaient-ils, toujours selon Celse –, et qu’un art dont la mission est de veiller sur la vie humaine puisse infliger non seulement la mort, mais encore la mort la plus atroce qui soit, ajoute la cruauté à l’inutilité, du moment surtout que, parmi les choses qu’on cherche au prix de tant de férocité, certaines ne peuvent absolument pas être connues, tandis que d’autres peuvent l’être même sans qu’on recoure au crime ». On ne parvient pas par des méthodes pareilles, plaidaient les empiriques, à atteindre les fins que l’on dit poursuivre : « Il n’est rien de plus absurde que de croire que chez un homme qui est en train de mourir, à plus forte raison quand il est déjà mort, tout est exactement comme lorsqu’il était vivant ». Ainsi, « le résultat qu’obtient le médecin est d’assassiner sauvagement un homme, non pas de savoir comment sont nos organes internes quand nous sommes vivants ». En tout état de cause, le médecin appelé à panser des grandes blessures pourra « observer ce qui peut l’être sur un homme vivant » alors qu’il s’efforce « non pas de tuer, mais de guérir » ; il apprend « en exerçant son humanité ce que d’autres ont appris en usant d’une affreuse cruauté ». Celse ne se range totalement ni d’un côté ni de l’autre, mais prend une « position moyenne » : il concède aux empiriques « qu’il est cruel et inutile d’ouvrir le corps de personnes vivantes », et aux dogmatiques que « le faire sur des morts est nécessaire pour ceux qui apprennent la médecine, car ils doivent connaître la place et la disposition des organes, ce qu’un cadavre fait mieux voir qu’un homme vivant et blessé ». Quant à « toutes les autres particularités qui ne peuvent s’apprendre que sur des vivants, c’est l’usage qui les enseignera un peu plus lentement, mais d’une manière beaucoup plus humaine, au cours même des traitements des blessés »3.
- 4 PLINE L’ANCIEN, Caii Plinii Secundi historiæ naturalis libri XXXVII, Volumen sextum, Pars quarta co (...)
- 5 « Herophilus ille medicus, autlanius, qui sexcentos exsecuit ut naturam scrutaretur » (je cite d’ap (...)
- 6 AUGUSTIN, La Cité de Dieu, livres XIX-XXII, dans Œuvres de Saint-Augustin 37, texte de la 4e éditio (...)
- 7 Voir Johannis Alexandrini Commentaria in librum De sectis Galeni, Christopher D. Pritchet (éd.), Le (...)
4Citer longuement Celse équivaut presque à citer tout ce qui viendra par la suite sur le même sujet. L’encyclopédiste romain est, en effet, la source principale dont on s’est servi tout au long de l’époque moderne pour faire allusion aux vivisections humaines et, la plupart du temps, les rejeter en usant des mêmes arguments. En matière de sources contemporaines de l’auteur du De medicina, seule une brève mention de Pline l’Ancien dans l’Histoire naturelle (XIX.26) évoque les pratiques des médecins alexandrins sur des individus vivants – « in Ægypto, regibus corpora mortuorum ad scrutandos morbos insecantibus »4 ; plus tard, Tertullien dans son De anima (vers 210-213) et Augustin d’Hippone dans la Cité de Dieu (413-426) auront eux aussi leur mot à dire. Le premier traite Hérophile de « boucher, qui a découpé six cents hommes pour en scruter la nature »5 ; Augustin, pour sa part, fait référence, plus généralement, aux « médecins, appelés anatomistes, [qui] avec un zèle parfois cruel, ont disséqué des cadavres ou même des malades mourant entre leurs mains, tandis qu’ils tranchaient, scrutaient avec soin et fouillaient inhumainement tous les secrets des chairs humaines, avides de découvrir la nature, la cause, le siège de la maladie »6. On ajoutera à ces écrits un court passage du commentaire de Jean d’Alexandrie (VIIe siècle) au De sectis de Galien7 où, à la différence de Celse, le commentateur prend plutôt parti pour les dogmatiques.
Barbaries anciennes
- 8 « Nocentes homines ex carcere acceptos vivos resecasse reges ipsos publicæ saluti consulentes tradi (...)
5Si les termes dans lesquels fut posée la controverse entre les médecins « dogmatiques » ou « rationalistes » et les « empiriques » concernent des questions cruciales qu’on pourrait qualifier – certes de façon anachronique – comme épistémologiques et éthiques, il n’en demeure pas moins qu’elles furent mobilisées en tant que lieux, au sens rhétorique du terme. La « cruauté » et l’« utilité » en sont les maîtres-mots : « inutiles », diront les empiriques à propos des dissections et des vivisections, en ajoutant « cruelles » pour ce qui est des secondes – ou encore doublement cruelles, parce qu’inutiles. Celse, qui endosse ce point de vue quant à l’ouverture d’« hommes vivants » mais tient pour légitime, en revanche, l’incision de cadavres, constitue en ce sens une autorité fort appropriée pour les anatomistes de la Renaissance. Il en est ainsi, par exemple, dans deux ouvrages publiés à Venise en 1502 : le Liber anathomie corporis humani de Gabriele Zerbi (1445-1505), et l’Historia corporis humani sive Anatomice d’Alessandro Benedetti († 1512). On rapporte, dit ce dernier dès les premières lignes du chapitre I de son traité, « qu’il y a eu des rois qui, dans l’intérêt de la santé publique, disséquaient eux-mêmes des criminels pris dans les prisons afin de pouvoir examiner, en présence de l’esprit vital, les mystères de la nature » ; mais, prévient-il, « notre religion nous interdit une pratique aussi cruelle, horrible même pour un bourreau […]. Laissons donc cet usage aux barbares et aux étrangers qui l’ont inventé : ils aiment les brutalités et les monstruosités. Nous en revanche, plus cléments, épargnerons les vivants et chercherons les mystères et les profondeurs de la nature dans les cadavres des criminels »8.
- 9 Composée en 1316 par Mondino de’Liuzzi († 1326) comme un manuel de dissection à l’intention de ses (...)
- 10 BERENGARIO DA CAPRI Jacopo, Commentaria cum amplissimus additionibus super Anatomiam Mundini, Bolog (...)
6En 1521, dans ses Commentaria à l’Anatomie médiévale de Mondino de’ Liuzzi9, le chirurgien Jacopo Berengario da Carpi († 1530) est un peu moins catégorique. Tout comme Zerbi et Benedetti, il s’arrête sur la question des vivisections au début de son livre, pour en discuter, d’après Celse mais en citant aussi Jean d’Alexandrie, les avantages et les inconvénients. Le « sujet de ce livre », déclare Berengario, est « le corps humain vivant ou mort » ; or « Tempore enim nostro non fit anatomia in vivis », sauf dans le cas d’interventions chirurgicales – « in incidendo apostemata & secando ulcera & trepanando & perforando membra ». On ne peut pas, en outre, s’attaquer chez un individu vivant à certaines parties comme le cœur, le cerveau et autres « parties nobles », puisque cela provoquerait la mort immédiate du sujet. La vivisection est donc ici proprement impraticable, car inévitablement l’opération deviendrait aussitôt une dissection cadavérique. Pourtant, on peut bien mieux connaître l’anatomie en incisant des vivants qu’en disséquant des cadavres, écrit Berengario, qui rappelle que des vivisections ont été conduites par le passé. Celse en est « inter alios testis », qui rapporte qu’Hérophile et Érasistrate « nocentes homines a regibus ex carcere acceptos vivos inciderint ». Les arguments des dogmatiques sont ensuite repris in extenso, tandis que les objections des empiriques, considérablement réduites, sont qualifiées de « rationes frivolæ ». Berengario ne cite pas l’opinion de Celse, mais donne la sienne, qui s’en écarte nettement : « Dico anatomiam in vivis esse necessariam »10.
- 11 « Hic ita erat infensus Hispanis, ut (cum esset Bonon.) geminos ex eis laborantes morbo gallico cæp (...)
- 12 Vésale aurait été accusé d’avoir conduit, alors qu’il était médecin à la cour de Philippe II, ce qu (...)
- 13 DU LAURENS André, Historia anatomica humani corporis & singularum eius partium multis controversiis (...)
7Malgré cette affirmation, rien dans les écrits de Berengario n’indique qu’il ait effectué des anatomies « in vivis » sinon sur des animaux. Une version qui circule déjà dans la seconde moitié du XVIe siècle prétend toutefois le contraire : elle lui attribue la vivisection de deux jumeaux espagnols syphilitiques, ce qui l’aurait contraint, en 1526-1527, à quitter l’enseignement de la chirurgie qu’il dispensait à Bologne depuis 1502 et expliquerait son départ pour Ferrare où il est mort trois ans plus tard. Cette version est créditée dans le De morbo gallico (1564) de Gabriele Falloppio (1523-1562), ouvrage posthume dont on peut penser que des propos ont été insérés par d’autres que Falloppio lui-même11. En 1600, André Du Laurens (1558-1609), médecin d’Henri IV, se fait l’écho de cette accusation contre Berengario dans son Historia anatomica, où il mêle le chirurgien bolonais à Hérophile et Érasistrate ou encore à André Vésale (1514-1564) dans un même paragraphe visant à expliquer que l’anatomiste doit disséquer seulement des hommes morts et non pas vivants12. Je sais, dit Du Laurens, qu’« des Anciens comme Hérophile et Érasistrate ainsi que Carpus [Berengario] et Vésale dans notre siècle ont disséqué vifs des condamnés à mort » avec « regum permissione », mais il s’agit là d’une chose « impie et inhumaine » ; inutile aussi, puisque ce que l’on recherche par la vivisection peut être observé en ayant recours à des animaux. Certes, concède Du Laurens, certaines « actions » des parties des hommes et des brutes diffèrent, mais la dissection n’est pas nécessaire pour connaître celles – motrices, sensitives – où cela se produit, d’autant plus qu’elles sont presque toutes « apparentes aux sens ». Le mouvement du cœur et des artères, ou du cerveau, du diaphragme et des intestins, ceux en somme qu’on doit connaître au moyen de l’anatomie, sont semblables, en revanche, chez l’homme et les animaux ; « Viva ergo nunquam secentur hominum corpora, sed mortua tantum »13.
- 14 FALLOPIO Gabriele, Opera quæ adhuc extant omnia, in unum congesta, & in Medicinæ studio sorum grati (...)
- 15 FALLOPIO Gabriele, Libelli duo, alter de ulceribus, alter de tumoribus præter naturam, nunc recens (...)
- 16 « No me parece mal la costumbre que guardan los Medicos italianos quando […] piden a los juezes alg (...)
8Revenons un instant à Falloppio, pour signaler d’abord qu’il fait brièvement état des vivisections dans un autre de ses ouvrages, l’Expositio in librum Galeni de ossibus, cette fois-ci en évoquant Celse et les Alexandrins au détour d’une discussion sur le périoste et les vertèbres : « Nam hi secabant homines mortuos &vivos, unde fuerunt in causa, ut in despectu esset anatome, ut etiam apparet, ex Celso »14. Le même Falloppio raconte, dans un troisième texte – sur les tumeurs, posthume également – une expérience qu’il aurait menée sur un condamné à mort qui lui aurait été livré par les magistrats sur ordre du prince pour le tuer comme il lui plairait et le disséquer ensuite. Il administra à cet individu deux drachmes d’opium mais, étant atteint d’une fièvre quarte, la survenue de l’accès (paroxysmus) empêcha l’action de l’opium ; le sujet, encouragé par ce succès, demanda à l’anatomiste de lui en administrer une seconde dose, afin que s’il n’en mourait pas, Falloppio intercédât auprès du prince pour obtenir sa grâce. La nouvelle dose d’opium lui fut pourtant administrée en dehors du moment du paroxysmus, et le malheureux « mortuus est »15. Authentique ou non, l’épisode ne rend pas compte d’une vivisection quelconque ; or le chirurgien espagnol Juan Fragoso († 1597) en a non seulement vu mais en a fait l’expression d’une pratique habituelle chez les « médecins italiens », qu’il approuve16.
- 17 La vivisection des criminels, écrit-il, « aunque alaverdad era hecha con buen zelo no dexava de dar (...)
- 18 CANANO Giovanni Baptista, Musculorum humani corporis picturata dissectio, réimpression en fac-simil (...)
- 19 COLOMBO Realdo, De re anatomica libri XV, Venise, Nicolò Bevilacqua, 1559, p. 256.
- 20 « Crederem potiùs patriâ Bononiensi secedere coactum fuisse, ob nefanda vitia, patrum Inquisitorum (...)
9Au-delà des quelques cas où des contemporains – Berengario, Vésale, Falloppio – sont mis en cause, l’enjeu des vivisections humaines chez les anatomistes et les chirurgiens de la Renaissance reste pour l’essentiel une référence historique : on évoque Hérophile et Érasistrate ou, plus largement et vaguement, les Anciens ; on renvoie explicitement à Celse ou on omet au contraire d’y faire allusion tout en le reprenant ; on s’autorise parfois quelques libertés dans le récit, comme l’Espagnol Juan Valverde († v. 1588), qui à l’opposition des empiriques ajoute la « rumeur du peuple » face aux agissements des dogmatiques alexandrins17, ou quand on attribue aussi aux « rois » d’avoir directement porté le scalpel sur le corps des condamnés. Dans les textes, ces considérations sont généralement introduites à l’heure d’aborder l’« utilité » ou la « nécessité » de l’anatomie dans les prologues ou les chapitres d’ouverture des ouvrages – on l’a vu chez Benedetti, Zerbi, Berengario, Valverde –, dans les adresses au lecteur – chez Giovanni Baptista Canano (1515-1579), par exemple, qui s’y attarde dès les premières lignes du « Candido lectori » de son Musculorum humani corporis (Ferrare ? 1541 ca.)18 –, ou bien, plus rarement, dans des sections consacrées aux vivisections elles-mêmes : c’est le cas du quatorzième livre (« De viva sectione ») du De re anatomica de Realdo Colombo (1510-1559)19. Au XVIIe siècle, l’anatomiste parisien Jean Riolan fils (1580-1657) va jusqu’à en faire un chapitre à part entière de son Anthropographia (1618) : « An vivum hominem secare sit necessarium, & liceat » (ch. VII, p. 61-64), qui réapparaît, quelque peu remanié, dans son Anthropographia et osteologia de 1626 (ch. X, p. 69-72). Riolan y blâme la « cruauté » de Berengario da Carpi et de Vésale, et juge vraisemblable l’accusation portée contre le premier20.
- 21 « [...] non quidem homines secando (quod crudelis, & carnificis potiùs hominis, quàm medici esse vi (...)
- 22 BACON Francis, Of the Advancement and Proficiencie of Learning: or the Partitions of Sciences Nine (...)
10Les mêmes propos reviennent ainsi sans cesse : « cruelles » et « inhumaines », quoique sans doute pas totalement « inutiles », les vivisections sont une pratique dont les anatomistes doivent s’abstenir. L’ouverture de cadavres pourra être complétée par celle d’animaux vivants, notamment de ceux qu’on estime plus proches de l’homme quant à la forme et aux fonctions de leurs parties21. Voilà un discours de la méthode anatomique – dissection humaine et vivisection animale – que les anatomistes ne sont pas les seuls à tenir. Dans son Proficience and Advancement of Learning (1605), Francis Bacon (1561-1626) dit son accord avec Celse quand celui-ci condamne cet « odious and […] inhumane experiment », mais lui reproche de ne pas avoir rappelé qu’il pouvait être effectué « upon […] Beasts alive, which, notwithstanding the dissimilitude of their parts with mans, may sufficiently satisfie this enquiry, being done with judgement »22. Cela suppose un pari, celui de l’usage du corps de l’animal pour dire le corps de l’homme une fois atteintes les limites qu’impose le cadavre. Pari fait sous la contrainte que représente le renoncement à l’exploration de l’intérieur du corps d’hommes vivants, dont on reconnaît par ailleurs, suivant en cela les raisons des empiriques rapportées par Celse, les insuffisances. L’exercice, on l’a dit, est rhétorique : il permet, à travers une figure récurrente, de s’inscrire dans une tradition que l’on construit à l’aide d’une autorité ancienne ; il permet aussi de poser et de discuter des questions relevant des modes de connaissance anatomique ainsi que de la place de l’anatomie au sein du savoir médical ; il permet, enfin, d’insister sur la légitimité des dissections de cadavres, renforcée par le rejet proclamé de la vivisection humaine en dépit des avantages qu’elle pourrait présenter pour mieux connaître le fonctionnement du corps humain. Des avantages qu’on ne manque pas de souligner, laissant ainsi transparaître, sous le refus de l’« anatomia in vivis », une certaine résignation, un aveu de désistement forcé vis-à-vis d’un acte qu’on estime sans doute efficace sous certains aspects, mais qu’on doit s’interdire.
L’archer de Meudon
- 23 CHEREAU Achille, « Anatomie (Histoire) », dans DECHAMBRE Amédée (dir.), Dictionnaire encyclopé-diqu (...)
11En dépit des déclarations faites dans les textes, des vivisections ont peut-être été effectivement réalisées. Une enquête visant à le déterminer n’aurait cependant que des faibles chances d’aboutir à des éléments concluants et, surtout, n’apporterait que des éclairages de peu d’intérêt. Quelle que soit la fiabilité des versions dont les sources se font l’écho, il s’agirait en tout état de cause de cas isolés et aucunement d’une pratique systématique, historiquement significative ou marquante. Seul le moment alexandrin, largement accepté comme vraisemblable par l’historiographie, ferait figure d’exception. Or, il resta sans lendemain et son importance pour l’histoire de la médecine et de l’anatomie à l’époque moderne réside, en vérité, encore une fois, dans sa fonction rhétorique, autrement dit dans les usages qui en sont faits à travers le récit de Celse. À partir du XVe siècle, des témoignages autres que ceux qu’on a cités sont rares et ambigus. Il en est ainsi, par exemple, de la demande que la faculté de médecine de Paris fit au Parlement, le 27 mars 1526, de lui « prêter » le dénommé Jehan Despatures, emprisonné à la Conciergerie et condamné à mort, « pour faire sur iceluy aucunes expériences concernant l’art et la science de médecine ». Selon Achille Chéreau, qui rapporte l’épisode en citant les registres de la faculté (t. III, f° 195), le prêt fut autorisé, à condition toutefois de sauvegarder les droits de juridiction de l’évêque de Paris : le prélat devait être mis en possession du cadavre du supplicié après dissection, pour le faire pendre aux fourches patibulaires de Saint-Cloud23. La nature de ces « expériences » reste obscure, et rien ne permet d’affirmer qu’elles devaient être conduites sur le sujet encore vivant. Aucune ambiguïté, en revanche, n’entoure un autre cas, celui de l’archer de Meudon, dont rend compte le journal de Jean de Roye, notaire au Châtelet de Paris, tenu entre 1460 et 1483 et imprimé dès 1488 environ, probablement à Lyon, sous le titre des Croniques du tres chrestien et tres victorieux Loys de Valois.
- 24 Les croniques du tres chrestien et tres victorieux Loys de Valoys feu roy de France que Dieu absolv (...)
12D’après ce texte, en janvier 1474, un archer de Meudon emprisonné au Châtelet de Paris « pour occasion de plusieurs larcins qu’il avait faits en divers lieux, et mêmement en l’église dudit Meudon », fut condamné à mort et devait être « pendu et étranglé au gibet de Paris, nommé Montfaucon » ; l’archer fit appel de sa condamnation auprès de la cour du Parlement, qui le rejeta et confirma la sentence. Ce même jour, poursuit Jean de Roye, « fut remontré au roi par les médecins et chirurgiens de ladite ville que plusieurs et diverses personnes étaient fort travaillées et molestées de la pierre, colique, passion, et maladie du côté, dont pareillement avait été fort molesté ledit franc archer. Et aussi desdites maladies était lors fort malade monsieur du Bocage, et qu’il serait fort requis de voir les lieux où lesdites maladies sont concréées dedans les corps humains, laquelle chose ne pouvait mieux être sue qu’inciser le corps d’un homme vivant ce qui pouvait bien être fait en la personne d’icelui franc archer qu’aussi bien était prêt de souffrir mort » ; l’« ouverture et incision » fut faite « au corps dudit franc archer. Et dedans icelui quis et regardé le lieu desdites maladies. Et après qu’ils eurent este vues fut recousu et ses entrailles remises dedans. Et fut par l’ordonnance du roi fait très bien panser et tellement que dedans quinze jours après il fut bien guéri et eut rémission de ses cas sans dépens. Et si lui fut donné avec ce argent »24.
- 25 Sur ces deux points, voir NUTTON Vivian et Christine, « The Archer of Meudon: A Curious Absence of (...)
- 26 Le passage n’apparaît que dans la deuxième édition des Œuvres de Paré (Paris, Gabriel Buon, 1579, p (...)
- 27 ENGUERRAND DE MONSTRELET, Le premier (le second et le tiers) volume de Enguerran de Monstrellet. En (...)
- 28 Ici n’est pas le lieu d’en donner le détail. Voir ROUSSET François, Traitté nouveau de l’Hysterotom (...)
- 29 « Quam in rem aliquot historias proferre placet, ne Monstreleticæ dubiam adhuc fidem facienti, aut (...)
13L’histoire éditoriale de ce texte, connu à partir de 1558 comme Chronique scandaleuse, est riche et variée ; les avis sur l’authenticité des faits rapportés ont changé au fil du temps25. Or l’intérêt de ce cas, une fois encore, réside ailleurs que dans sa véracité éventuelle : il est très tôt devenu, lui aussi, une figure récurrente dans la littérature anatomique et, surtout, chirurgicale. Ainsi Ambroise Paré († 1590), dans la troisième édition de son livre Des monstres et prodiges, ajoute-t-il « ceste histoire […] d’un franc Archer de Meudon »26, qu’il tire des Chroniques d’Enguerrand de Monstrelet († 1453) où elle avait été insérée dès 151227. Si Paré se limite à citer l’affaire sans la commenter, la péripétie de l’archer de Meudon donne le plus souvent lieu, à la différence des vivisections à Alexandrie, à des débats et des prises de position concernant des questions techniques : sur la nature exacte de l’opération prétendument pratiquée, sur sa faisabilité, sur d’autres méthodes possibles que celle dont fait état la chronique pour la pratiquer, sur celle qui serait préférable le cas échéant. En 1581, dans son traité sur l’« enfantement césarien », François Rousset reproche à Paré d’en rendre compte « comme chose monstrueuse » et de ne pas spécifier « (comme il eust bien peu faire) deux choses en chirurgie fort remarquables » : d’une part, si cette « recerche de calcul fut […] faicte interieurement au rognon, ou en la vescie », et d’autre part « par quel endroit exterieur peut avoir esté commencee ceste ouverture ; sçavoir est par les lombes […] ou par quelque autre lieu de l’epigastre vers les flans ». Et Rousset de discuter longuement chacun de ces deux points28. Neuf ans plus tard, dans l’édition latine – augmentée – de l’ouvrage, le chirurgien abrège son propos dans le chapitre correspondant à celui de l’édition française, il en développe une partie dans un autre chapitre placé à la fin du livre, et change d’avis, aussi bien quant aux aspects chirurgicaux eux-mêmes que sur le crédit qu’il faudrait accorder à l’histoire de l’archer de Meudon29.
- 30 Je cite d’après l’édition de Bruxelles, Les Frères t’Serstevens et Antoine Claudinot, 1708, p. 161.
- 31 DIONIS Pierre, Cours d’opérations de chirurgie, Démontrées au Jardin du Roi,… huitième édition,… pa (...)
- 32 EUDES DE MEZERAY François, Abrégé chronologique de l’histoire de France, par le Sr. de Mézeray, his (...)
- 33 TOLET François, Traité de la lithotomie ou de l’extraction de la pierre hors la vessie, 5e éd., Par (...)
- 34 DEVAUX Jean, Index funereus chirurgorum Parisiensium ab anno 1315 ad annum 1714, Trévoux et Paris, (...)
- 35 COLOT François, Traité de l’opération de la taille avec des observations sur la formation de la pie (...)
14Nombreuses sont les occasions au cours desquelles cette histoire est évoquée, mentionnée, rappelée, suggérée, comme chez le chirurgien Pierre Dionis (1643-1718), qui l’a sans doute en tête quand il passe en revue, dans son Cours d’opérations de chirurgie (1708), les différentes opérations pour l’extraction des calculs rénaux et, disant sa préférence pour l’une d’entre elles, prévient pourtant qu’« il faut qu’elle soit confirmée par plusieurs experiences, dont la premiere se pourroit tenter sur quelque criminel condamné à mort & qui auroit la pierre »30. En commentant Dionis, Georges de Lafaye (1699-1781), démonstrateur à Saint-Côme et membre de l’Académie royale de chirurgie, fait en revanche une allusion explicite à l’« archer de Bagnolet »31 ; la source de Lafaye est l’Abrégé chronologique de l’histoire de France de François Eudes de Mézeray (1610-1683), « historiographe de France ». D’après Mézeray, les docteurs de la Faculté de médecine de Paris, « ayant sçû qu’un Archer de Bagnolet fort sujet à la gravelle, avoit esté condamné à mort pour ses crimes, supplierent le Roy qu’il leur fust mis entre les mains pour faire experience sur luy si on pourroit ouvrir le rein & en tirer le calcul. Leur operation reüssit fort heureusement, & l’Archer vescut encore long-temps aprés en bonne santé »32. Un autre chirurgien français, François Tolet (1647-1724), jugea nécessaire d’expliquer, dans la cinquième édition de son Traité de la lithotomie (1708), pourquoi il n’avait pas rendu compte de l’affaire de l’archer de Meudon/Bagnolet dans le chapitre qu’il y consacrait à l’histoire de cette opération – de la vessie, en l’occurrence33. En 1714, l’Index funereus chirurgorum Parisiensium publié par Jean Devaux (1649-1729) ne cite aucune source ni ne fait allusion à l’archer, mais attribue la lithotomie en question à l’« intrepidus » Germain Collot34 ; François Colot (1630-1706), parfois présenté comme appartenant à une lignée de chirurgiens qui remonterait à l’« intrépide » opérateur du XVe siècle, ne mentionne pas, cependant, son ancêtre prétendu dans la discussion qu’il engage sur le cas de l’archer dans son traité posthume sur l’opération de la taille (1727). Colot y réfute la version de Mézeray ; pour lui, la néphrotomie – puisque selon Mézeray c’était dans le rein et non pas dans la vessie que la pierre se trouvait – est « d’elle-même & sans le secours de la fonte de la substance du rein, absolument impraticable »35.
- 36 Journal des Sçavans, XLII, 26 novembre 1714, Trévoux et Paris, Étienne Ganeau, p. 665.
- 37 Dictionnaire universel françois et latin, Nouvelle éd. rev., corr. et augm., tome III, Trévoux et P (...)
- 38 MORAND Sauveur-François, Traité de la taille au haut appareil, où l’on a rassemblé tout ce qu’on a (...)
- 39 HEVIN Prudent, « Recherches historiques et critiques sur néphrotomie, ou taille du rein », dans Mém (...)
- 40 DESCHAMPS Joseph-François-Louis, Traité historique et dogmatique de l’Opération de la Taille, vol. (...)
- 41 RAYER Pierre-François-Olive, Traité des maladies des reins, des altérations de la sécrétion urinair (...)
15Dans le Journal des Savants du 26 novembre 1714, quelques lignes d’un article sur l’Index de Devaux suffisent à faire entrer en scène, à la place de l’archer, un autre protagoniste en la personne d’« un garde du Roy Loüis XI condamné à mort pour ses crimes »36. C’est cette version qui sera reprise, quelques années plus tard, dans le Dictionnaire universel françois et latin, dit de Trévoux, à l’entrée « Lithotomiste »37. La référence à Mézeray – mais aussi à Monstrelet – revient dans le Traité de la taille au haut appareil (1728) de Sauveur-François Morand (1697-1773), ainsi que chez François Quesnay (1694-1774), qui y renvoie dans ses Recherches critiques et historiques sur l’origine, sur les divers états et sur les progrès de la chirurgie en France (1744)38. C’est encore Mézeray que cite Prudent Hévin (1715-1790) dans ses « Recherches historiques et critiques sur la néphrotomie, ou taille du rein »39, tandis que Joseph-François-Louis Deschamps (1740-1824) s’appuie sur Monstrelet dans son Traité historique et dogmatique de l’Opération de la Taille (1796)40. Au XIXe siècle, l’archer de Meudon est toujours présent, par exemple, dans le Traité des maladies des reins (1839-1841) de Pierre-François Rayer (1793-1867), et encore chez Claude Bernard (1813-1878), dans le sous-chapitre qu’il consacre à la vivisection dans l’Introduction à l’étude de la médecine expérimentale41.
- 42 CHESELDEN William, A Treatise on the High Operation for the Stone, Londres, J. Osborne, 1723, p. 11 (...)
- 43 SCHENCK VON GRAFENBERG Johannes, Observationum medicarum, rararum, novarum, admirabilium, et monstr (...)
- 44 FREIND John, The history of physic: from the time of Galen, to the beginning of the sixteenth centu (...)
- 45 BOERHAAVE Herman, Methodus studii medici, Emaculata & Accessionibus locupletata ab Alberto ab Halle (...)
- 46 MATTHIAE Georg, Conspectus historiæ medicorum chronologicus, Göttingen, Vve Vandenhoeck, 1761, p. 1 (...)
- 47 ADELUNG Johann Christoph, Fortsetzung und Ergänzungen zu Christian Gottlieb Jöchers allgemeinen Gel (...)
16Ailleurs qu’en France, le chirurgien et anatomiste anglais William Cheselden (1688-1752) s’exprime dans le même sens que Pierre Dionis : « We ought[…] to make our experiments upon humane subjects, but first upon dead ones. Afterwards we may pass on to certain living ones, without any offence or blame ; and such subjects, in my opinion are they, who cannot fear any harm from this operations being tried upon them, but may hope either for the recovering their health, or of saving their neck from the gallows », écrit-il dans une section de son traité sur l’opération de la pierre (1723)42. Bien avant Cheselden, les médecins allemands Johannes Schenck von Grafenberg (1530-1598) et Johann Jacob Harder (1656-1711), ou encore l’Italien Benedetto Salvatico (1575-1658) avaient puisé chez Monstrelet, Mézeray ou Paré43. Dans le deuxième volume de son History of physick (1727), John Freind (1675-1728) cite (et traduit) Mézeray, en situant cependant l’épisode « in the reign of Charles the Eighth, who died 1498 »44. Albrecht von Haller (1708-1777), en commentant en 1751 le Methodus discendi medicinam de son maître Hermann Boerhaave (1668-1738), mentionne la « renovata Parisiis sectio calculi, tentata in latrone », tout en considérant qu’« Obscura vero historia est »45. En 1761 Georg Matthiae (1708-1773), dans son Conspectus historiæ medicorum chronologicus, fait sienne l’attribution de cette opération à Germain Collot, « qui primus Gallo-Francorum Lithotomiam in homine peregit »46, de même que le lexicographe Johann Christoph Adelung (1732-1806) dans le tome II de ses Fortsetzung und Ergänzungen au Gelehrten-Lexikon de Christian Gottlieb Jöchers (1694-1758), qui se réfère à l’Index funereus chirurgorum Parisiensium47.
- 48 Voir MANDRESSI Rafael, « Le passé, l’enseignement, la science : Félix Vicq d’Azyr et l’histoire de (...)
- 49 VARILLAS Antoine, Histoire de Louis onze, tome II, Paris, Claude Barbin, 1689, p. 340.
- 50 Je cite d’après l’édition de Cologne, aux dépens de la Compagnie, 1752, p. 257.
- 51 Supplément au Grand dictionnaire historique, généalogique, géographique, &c de M. Louis Moreri, pou (...)
- 52 Je cite d’après les Œuvres complettes de M. de Saint-Foix, Historiographe des Ordres du Roi, t. III (...)
- 53 Journal Œconomique ou Mémoires, notes et avis sur l’Agriculture, les Arts, le Commerce & tout ce qu (...)
17Au-delà des livres de médecine ou de chirurgie – y compris ceux d’histoire de la médecine et/ou de la chirurgie qui commencent à paraître en tant que genre à part entière à partir de la fin du XVIIe siècle48 –, l’expérience pratiquée sur l’archer condamné à mort apparaît aussi régulièrement dans d’autres textes, historiographiques notamment. Antoine Varillas (1624-1696), historiographe de France comme Mézeray, la rappelle dans son Histoire de Louis onze, souverain à qui l’Europe « fut redevable, écrit-il, de l’art de tailler les personnes incommodées de la pierre »49. L’abbé janséniste Bonaventure Racine (1708-1755) reprend textuellement le passage de Varillas dans le septième tome de son Abrégé de l’histoire ecclésiastique (1750)50, alors qu’un autre abbé janséniste, Claude-Pierre Goujet (1697-1767) avait rapporté l’épisode dans l’édition de 1735 du Supplément au Grand dictionnaire historique de Louis Moréri (1643-1680), en y ajoutant l’entrée « Collot, (Germain) » d’après la notice de l’Index funereus chirurgorum Parisiensium de Jean Devaux51. Les Essais historiques sur Paris de Germain-François Poullain de Saint-Foix (1698-1776) donnent, en revanche, la version de la Chronique de Jean de Roye52. Il en est de même dans le Journal Œconomique de septembre 1754, à l’occasion de rendre compte de quatre thèses de médecine, dont une datant de 1622 et nouvellement soutenue le 28 février 175453.
- 54 Pour cette esquisse, voir NUTTON Vivian et Christine, art. cit., p. 422-423.
18Au milieu du XIXe siècle, l’archer de Meudon sort du seul domaine de l’évocation textuelle pour entrer – première et seule incursion – dans celui de la figuration graphique. Antoine Rivoulon (1810-1864), connu pour ses compositions historiques et religieuses, est l’auteur en 1851 d’une lithographie au titre plutôt dénotatif : Première opération de la pierre faite en présence du roi Louis XI par Germain Colot au Cimetière St Séverin, Janvier 1474. L’image introduit, par rapport aux récits dont on a cité une partie, la présence du roi lui-même pendant l’opération ; un moine brandissant un crucifix assiste également à la scène, de même qu’un autre archer, entourés d’une vingtaine de témoins – l’assistance est réduite à la moitié dans une esquisse préparatoire signée et datée de 185054. Avant de disparaître de l’histoire de la médecine quelques décennies plus tard, la vivisection qui avait été intégrée, au titre d’événement chirurgical inaugural, dans l’histoire de France, pouvait enfin être « vue ».
Les Lumières, la vivisection et l’« humanité »
19Des paragraphes précédents pourrait se dégager l’idée qu’on n’assiste qu’à l’inlassable ressassement d’à peine deux épisodes, à l’éternel retour d’Alexandrie et de l’archer de Meudon dans des textes qui y font référence de seconde, voire de troisième main. Les variations qui apparaissent ici et là sur ces deux thèmes, notamment pour ce qui est du cas de l’archer, ne dissipent guère un effet de répétition que l’on peut justement considérer comme étant le propre des topoï. On ne saurait pourtant ignorer qu’un topos ne trouve une partie essentielle de ses fonctions dans les usages qui en sont faits. On a identifié le sens dans lequel les anatomistes de la Renaissance se sont servis de la Préface de Celse ; l’archer, quant à lui, sert, dès le XVIe siècle, à discuter sur les avantages respectifs des différentes méthodes de pratiquer la lithotomie, à revendiquer des primautés ou des filiations en la matière, à engager des débats techniques sur la partie du corps d’où la pierre aurait été extraite dans l’opération en question – la vessie, le rein. Or ces usages changent – ou, plutôt, se diversifient – au fil du temps. Plus particulièrement, on constate au XVIIIe siècle une forte inflexion dans la manière d’évaluer l’enjeu des vivisections humaines et de faire appel, par conséquent, à Hérophile et à Érasistrate d’après Celse, ainsi qu’à l’expérience parisienne dont aurait été gratifié sous Louis XI l’archer de Meudon.
- 55 TARIN Pierre, Adversaria anatomica, de omnibus corporis humani partium, tum descriptionibus, cum pi (...)
- 56 Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers, Tome I, art. « Anatom (...)
- 57 Ibidem, p. 409-410.
20Un exemple singulièrement éloquent est l’article « Anatomie » de l’Encyclopédie. Il s’agit d’un long texte, signé par Pierre Tarin († 1761), auteur par ailleurs des articles « Dissection » et « Physiologie », ainsi que de plusieurs ouvrages d’anatomie55. Tarin entre en matière en décrivant, dans un mode bien établi depuis le XVIe siècle, les avantages et les utilités de l’anatomie ; sans s’écarter de cet exercice, il rappelle la controverse entre médecins « dogmatiques » et « empiriques » et, toujours selon les termes usuels de la littérature anatomique de la première modernité, fait sienne la conclusion de Celse : il « sentit la force des raisonnements qu’on faisoit de part & d’autre, & prit un parti moyen : il permit à l’Anatomiste d’ouvrir des cadavres, mais non d’égorger des hommes, il voulut qu’on attendit du tems & de la pratique les connoissances anatomiques que l’inspection du cadavre ne pourroit donner ; méthode lente, mais plus humaine, dit-on, que celle d’Hérophile & d’Erasistrate »56. Insatisfait de ces propos, le directeur de la publication prend la plume pour intervenir dans l’article et amender le sens que son collaborateur Tarin avait donné à ce passage de l’introduction. C’est Denis Diderot (1713-1784) qui écrit : « Me seroit-il permis d’exposer ce que je pense sur l’emploi qu’on fait ici du terme d’humanité. Qu’est-ce que l’humanité ? sinon une disposition habituelle de cœur à employer nos facultés à l’avantage du genre humain. Cela supposé, qu’a d’inhumain la dissection d’un méchant ? Puisque vous donnez le nom d’inhumain au méchant qu’on disseque, parce qu’il a tourné contre ses semblables des facultés qu’il devoit employer à leur avantage, comment appellerez-vous l’Erasistrate, qui surmontant sa répugnance en faveur du genre humain, cherche dans les entrailles du criminel des lumieres utiles ? Quelle différence mettez-vous entre délivrer de la pierre un honnête homme, & disséquer un méchant ? l’appareil est le même de part & d’autre. Mais ce n’est pas dans l’appareil des actions, c’est dans leur objet, c’est dans leurs suites, qu’il faut prendre les notions véritables des vices & des vertus »57.
- 58 Ibidem, p. 410.
- 59 « Comment perfectionner la médecine ? en multipliant, en rendant générale l’ouverture des cadavres (...)
- 60 Encyclopédie, Tome I, art. « Anatomie », cit., p. 410.
- 61 Ibidem.
21La réfutation est habile : Diderot retourne à son profit l’argument de l’« humanité », presque systématiquement reconduit depuis au moins Alessandro Benedetti, et ouvre ainsi la voie à l’énonciation de sa propre thèse : « je souhaiterois que ce fût l’usage parmi nous d’abandonner [aux chirurgiens et anatomistes] les criminels à dissequer, & qu’ils en eussent le courage. De quelque maniere qu’on considere la mort d’un méchant, elle seroit bien autant utile à la société au milieu d’un amphithéatre que sur un échafaud ; & ce supplice seroit tout au moins aussi redoutable qu’un autre »58. De même qu’il faudrait interdire, eu égard à l’utilité sociale invoquée, l’inhumation des corps sans les avoir préalablement ouverts – Diderot défend cette idée dans l’article « Cadavre » de l’Encyclopédie59 –, aucun condamné à mort ne devrait être exécuté sans avoir eu la possibilité de se rédimer partiellement, en contribuant au progrès de l’anatomie, de la médecine et de la chirurgie. S’il survivait à l’opération que l’on pratiquerait sur lui, on le récompenserait par l’annulation de sa peine. Diderot propose donc une sorte de contrat où tous peuvent trouver leur compte. Les anatomistes, parce qu’ils disposeraient de nouvelles possibilités d’expérimentation ; « quant aux criminels, il n’y en a guere qui ne préférassent une opération douloureuse à une mort certaine ; & qui plûtôt que d’être exécutés ne se soûmissent, soit à l’injection de liqueurs dans le sang, soit à la transfusion de ce fluide, & ne se laissassent ou amputer la cuisse dans l’articulation, ou extirper la rate, ou enlever quelque portion du cerveau, ou lier les arteres mammaires & épigastriques, ou scier une portion de deux ou trois côtes, ou couper un intestin dont on insinueroit la partie supérieure dans l’inférieure, ou ouvrir l’œsophage, ou lier les vaisseaux spermatiques sans y comprendre le nerf, ou essayer quelqu’autre opération sur quelque viscere »60. Ces arguments, estime Diderot, devraient suffire à convaincre « ceux qui savent se contenter de raisons » ; pour les autres, il rapporte « un fait historique » : celui de l’archer de Meudon, qu’il cite longuement d’après l’Histoire de Louis XI de Jean de Roye dans son édition de 162061.
- 62 Voir, à titre d’exemple, l’Historia anatomiæ nova aequeac antiqua (Halle an der Saale, Johann Gottf (...)
- 63 MERY Jean, Observations sur la manière de tailler dans les deux sexes pour l’extraction de la pierr (...)
- 64 CHESELDEN William, The Anatomy of the Human Body, The Vth edition, Londres, William Bowyer, 1740, p (...)
- 65 « Lady Suffolk was early affected with deafness. Cheselden, the surgeon, then in favour at Court, p (...)
- 66 Histoire et règne de Louis XI, tome IV, Paris, Pissot, 1755, p. 420.
- 67 HEVIN Prudent, op. cit., p. 268.
22Le passage, qui n’appartient pas à un auteur mineur ni à une œuvre marginale, acquiert de ce fait une signification spéciale. L’une des entreprises intellectuelles les plus ambitieuses de l’époque se prononce, de la main même de son directeur, en faveur d’une modalité d’expérimentation qui suppose d’infliger une souffrance extrême à des sujets dont l’« humanité » a été mise entre parenthèses. La voix de Diderot n’est pas isolée cependant. Alors que dans la première moitié du XVIIIe siècle l’affaire des vivisections est majoritairement traitée dans le registre que Tarin adopte pour son introduction à l’article « Anatomie » de l’Encyclopédie62, des positions différentes, voire divergentes s’expriment aussi. L’anatomiste Jean Méry (1645-1722), membre de l’Académie royale des sciences, estime que « s’il arrivoit qu’entre les criminels qui sont condamnez à la mort, il s’en trouvât qui eussent dans les reins des pierres trop grosses pour passer par les ureteres, il seroit à souhaiter que la Faculté de Medecine s’adressât encore au même Parlement pour obtenir la même grace » que celle qui fut accordée en 1474 à l’archer de Meudon63. On apprend, dans The Anatomy of the Human Body (1740) de William Cheselden, que « Some years since a malefactor was pardoned on condition that he suffered this experiment [la perforation du tympan comme traitement contre la surdité], but he falling ill of a fever the operation was deferred, during which time there was so great a public clamor raised against it that it was afterwards thought fit to be forbid »64. L’expérience n’a donc pas eu lieu, et d’ailleurs Cheselden n’aurait jamais eu l’intention de l’effectuer, son initiative n’ayant été, selon Horace Walpole (1717-1797), qu’un stratagème pour faire libérer un cousin emprisonné à Newgate65. En 1755 paraissent les six volumes de l’Histoire et règne de Louis XI, que signe Mademoiselle (Marguerite) de Lussan (1682-1758) et qu’on attribue à Nicolas Baudot de Juilly (1678-1759) ; le quatrième tome rapporte l’histoire de l’archer de Meudon, que l’auteur ouvre en affirmant que la grâce accordée par le roi à ce « criminel » a « depuis ce tems-là sauvé la vie à un nombre infini de personnes : bienfait qui se perpétue & qui se perpétuera à l’infini »66. Quelques décennies plus tard, dans ses « Recherches historiques et critiques sur néphrotomie, ou taille du rein », Prudent Hévin approuvera l’approbation de Mademoiselle de Lussan67.
- 68 MOREAU DE MAUPERTUIS Pierre-Louis, Lettre sur le progrès des sciences, « Utilités du Supplice des C (...)
23Au moment de la parution de l’Histoire et règne de Louis XI de Mademoiselle de Lussan (ou Baudot de Juilly), Diderot avait déjà lancé son appel en faveur des vivisections humaines dans les pages de l’Encyclopédie, suivi par Maupertuis (1698-1759) l’année suivante, dans sa Lettre sur le progrès des sciences (1752). « C’est une chose qu’on a déjà souvent proposée, écrit Maupertuis, qui a eu même l’approbation de quelques Souverains, & qui cependant est toûjours restée sans exécution ; que dans le châtiment des criminels, dont l’objet jusqu’ici n’est que de rendre les hommes meilleurs, ou peut-être seulement plus soumis aux loix, on se proposât encore des utilités d’un autre genre ». Or « de quelle utilité n’est pas la découverte d’une opération, qui sauve toute une espèce d’hommes abandonnés sans espérance à de longues douleurs & à la mort ! » Pour tenter ces nouvelles opérations, « il faudroit que le criminel en préférât l’expérience au genre de mort qu’il auroit mérité : il paroîtroit juste d’accorder la grace à celui qui y survivroit, son crime étant en quelque façon expié par l’utilité qu’il auroit procurée ». Et Maupertuis d’ajouter, en prenant des accents diderotiens : « Il y a peu d’hommes condamnés à la mort qui ne lui préférassent l’opération la plus douloureuse, celle même où il y auroit le moins d’espérance ». Sans aller jusqu’à prescrire les opérations par lesquelles on devrait commencer – « ce seroit sans doute par celles auxquelles la nature ne supplée jamais » – Maupertuis suggère de ne pas se limiter aux « reins pierreux » ou à des ulcères qui font souffrir aux femmes « des maux affreux & jusqu’à ce jour incurables ». On pourrait également, « sans scrupules », se servir des criminels « pour des connoissances d’une utilité plus éloignée. Peut-être feroit-on bien des découvertes sur cette merveilleuse union de l’ame & du corps, si l’on osoit en aller chercher les liens dans le cerveau d’un homme vivant. Qu’on ne se laisse point émouvoir par l’air de cruauté qu’on pourroit croire trouver ici. Un homme n’est rien, comparé à l’espèce humaine ; un criminel est encore moins que rien »68.
- 69 Ibidem, p. 88.
- 70 ALEMBERT, Jean le Rond d’, « Réflexions sur l’inoculation », dans Mélanges de littérature, d’histoi (...)
24Si Maupertuis regrette, comme Diderot, qu’on ne mette pas « à profit une peine dont le public pourroit retirer une grande utilité, & qui pourroit devenir avantageuse même à celui qui la souffriroit »69, Jean d’Alembert (1717-1783) le déplore aussi dans la troisième partie de ses « Réflexions sur l’inoculation », plus particulièrement dans le paragraphe IX, « Exhortation aux médecins, et proposition au gouvernement ». Pour ce qui est de l’exhortation, Alembert voudrait que les médecins cessent leurs querelles au sujet de l’inoculation et se réunissent « pour faire de bonne foi toutes les expériences nécessaires sur une matiere si intéressante pour la vie des hommes » ; quant à la proposition, elle comporte le souhait « que dans celles de ces expériences qui pourroient paroître dangereuses, la Justice voulût bien abandonner à la Médecine quelques malheureux condamnés à mort, qui trouveroient dans une pareille épreuve l’expiation de leurs crimes, sans que leur famille fût déshonorée, & souvent même la conservation de leur vie, devenue par ce moyen utile à l’État »70.
- 71 RESTIF DE LA BRETONNE Nicolas-Edme, Les Nuits de Paris, dans BARUCH Daniel (dir.), Paris le jour, P (...)
25On retrouve, à travers les textes cités de Diderot, Maupertuis et Alembert, le thème de la cruauté et l’utilité, que la Préface de Celse avait légué à la littérature anatomique de la première modernité. Si les questions de l’utilité et de la cruauté ont pu être posées à propos des dissections cadavériques, c’est bien au sujet des vivisections humaines – on l’a dit – que les deux termes apparaissent vigoureusement noués. Au « cruelles et inutiles » des « empiriques », la réponse traditionnelle, énoncée par Celse et avalisée par la doxa anatomique de la Renaissance aux Lumières – d’Alessandro Benedetti à Pierre Tarin – avait été « utiles (peut-être), mais cruelles ». Au milieu du XVIIIe siècle, chez Diderot, Maupertuis, Alembert ensuite, une autre réponse apparaît : « cruelles (peut-être), mais utiles ». Sur le fond, les deux réponses coïncident : une utilité est reconnue, la cruauté aussi ; la différence est en revanche radicale quant aux conséquences pratiques à en tirer : dans un cas, la cruauté des vivisections conduit à sacrifier leur utilité probable ; dans l’autre, elle n’est aucunement un empêchement mais un prix à payer. L’enjeu est avant tout politique : il concerne la tension entre le sort individuel et l’intérêt collectif. La souffrance d’un criminel dont « le public pourroit retirer une grande utilité », les entrailles comme lieu d’où pourraient jaillir des « lumières utiles » à la société, les expériences conduites « en faveur du genre humain » sur des condamnés à mort, ne sont pas des propos relevant d’une discussion purement savante. Ils ne sont pas non plus l’apanage des savants – anatomistes, médecins, chirurgiens, philosophes. Dans les Nuits de Paris (1788), Restif de la Bretonne (1734-1806) se dit d’accord avec l’idée de la « mort utile » des criminels dont lui fait part un apothicaire de la rue de la Huchette ; sous les fenêtres de celui-ci, Rétif avait trouvé la nuit précédente des restes d’anatomie abandonnés par des jeunes chirurgiens qui avaient volé ou acheté un cadavre pour s’exercer. On devrait leur abandonner « le cadavre des criminels, et les corps des gens convaincus », dit l’apothicaire, qui assure avoir même « proposé, dans un petit mémoire, de donner à l’amphithéâtre public, certains scélérats vivants, pour faire sur eux des expériences, qui rendissent leur mort doublement utile à la nation, dont ils ont été le fléau : mais on m’a éconduit avec horreur, comme un anthropophage »71.
- 72 La version antérieure, celle des Infortunes de la vertu, est un peu plus succincte, et Rosalie n’y (...)
26Le point de vue de l’apothicaire, qui est aussi celui de Rétif de la Bretonne, est partagé par le chirurgien Rodin dans Les Infortunes de la vertu (1787) et Justine ou Les Malheurs de la vertu (1791) du marquis de Sade (1740-1814). Avec la complicité de son confrère Rombeau, Rodin prépare la vivisection de sa fille Rosalie, âgée de quatorze ans ; des expériences de ce genre sont indispensables, estime-t-il, pour porter l’anatomie « à son dernier degré de perfection », et juge « odieux que de futiles considérations arrêtent ainsi le progrès des sciences ; [...] C’est un sujet de sacrifié pour en sauver un million ; doit-on balancer à ce prix ? Le meurtre opéré par les lois est-il d’une autre espèce que celui que nous allons faire, et l’objet de ces lois, qu’on trouve si sages, n’est-il pas le sacrifice d’un pour en sauver mille ? ». C’est la seule façon de s’instruire, acquiesce Rombeau : « dans les hôpitaux, où j’ai travaillé toute ma jeunesse, j’ai vu faire mille semblables expériences »72.
« Mille expériences »
- 73 Correspondance littéraire, philosophique et critique, Maurice Tourneux (éd.), t. 12, Paris, Garnier (...)
- 74 En 1773, Sigault avait soutenu à Angers une thèse sur ce sujet, sous la présidence de Georges-Domin (...)
- 75 SIGAULT Jean-René, Discours sur les avantages de la section de la simphyse, qui devoit être lu dans (...)
- 76 SIGAULT Jean-René, Analyse de trois Procès-verbaux faits à l’occasion de l’Opération de la Simphyse (...)
- 77 Ibidem, p. 14.
- 78 Ibidem, p. 10, 15.
27Il n’y en a sans doute pas eu autant que Rombeau le prétend, mais encore faut-il savoir, avant de mettre son affirmation sur le compte de la pure fiction sadienne, de quelles expériences pouvait-il être question. La Correspondance littéraire d’octobre 1777 nous apprend, en tout cas, qu’il y a eu « ce mois-ci de grands débats dans la Faculté de médecine sur la section de la symphyse », une opération visant à faciliter l’accouchement dans les cas de « vices de conformation ». Elle avait été proposée par Jean-René Sigault († 1780) dans un mémoire offert à l’Académie royale de chirurgie en 1768, mais elle n’avait pas rencontré à cette occasion l’approbation du secrétaire Antoine Louis (1723-1792). Entre-temps, Pieter Camper (1722-1789) l’avait essayée aux Pays-Bas « sur beaucoup de cadavres de femmes et sur quelques animaux vivants » ; le « succès de ces expériences » l’engagea « à demander au prince d’Orange la permission d’en faire l’essai sur une femme condamnée à la mort ; mais le clergé batave, je ne sais par quel scrupule de conscience, ne voulut jamais y consentir ». Une « pauvre femme de Paris, qui jusqu’ici n’avait pu être accouchée que d’enfants morts, poursuit-on dans la Correspondance littéraire, s’y est soumise volontairement »73. La « femme Souchot » – c’était le nom de la patiente – fut alors opérée par Sigault, assisté d’Alphonse Louis Vincent Le Roy (1742-1816), le 1er octobre 177774. L’année suivante, dans un Discours sur les avantages de la section de la simphyse, Sigault déclare avoir pu la pratiquer à trois autres reprises75. Le cas de l’une de ces trois autres patientes, la « femme Vespres » ne fut pas une vraie réussite : la mère est morte, l’enfant « a vécu plus d’une demi-heure ». On l’apprend par les procès-verbaux rédigés par des médecins de la Faculté de Paris que Sigault avait invités à assister à l’opération. La « femme Vespres » mesurait trente pouces de hauteur, « ses membres avoient été déformés par le Rachitis » et n’avait « jamais marché qu’avec des béquilles », lit-on dans le premier procès-verbal76. Sigault a trouvé opportun de se défendre, en insistant sur « l’idée précise qu’on doit se former de cet accouchement : une malheureuse mère aussi énormement difforme porte dans son sein un enfant des deux tiers de son volume »77. D’où, à ses yeux, l’intérêt de « cet événement » en dépit de son dénouement : il « prouve jusqu’à quel point peuvent s’étendre les avantages de la Section de la Symphise, puisque, par cette opération, j’ai extrait un enfant très-volumineux & vivant d’un bassin très-étroit & très-vitié », écrit-il. Plus important encore, « Il n’existe, sans doute, aucun exemple d’un sujet plus difforme & plus petit dans sa stature. Un accouchement pareil offre donc une occasion très-rare, & dès-lors très-précieuse, d’observer quels sont, dans de semblables sujets, les effets naturels de la grossesse ». Et Sigault de conclure en observant que « si je n’avois consulté que mon intérêt particulier, je n’aurois point pratiqué la Section de la Symphyse sur un sujet aussi monstrueusement conformé, & dans des circonstances si critiques ; mais je n’ai eu en vue que le bien de l’humanité »78.
- 79 L’idée d’« irritabilité » comme une propriété intrinsèque des fibres est introduite par le médecin (...)
- 80 HALLER Albrecht von, Dissertation sur les parties irritables et sensibles des animaux, Lausanne, Ma (...)
- 81 Encyclopédie, Tome XV, art. « Sensibilité », Neuchâtel, Samuel Faulche, 1765, p. 50-51.
28D’autres expériences de vivisection, toujours dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, sont au cœur d’une controverse lancée en 1765 par Henri Fouquet (1707-1806) dans les pages de l’Encyclopédie. Fouquet est l’auteur de l’article « Sensibilité », qui se termine par une présentation peu amène de la notion d’« irritabilité », en particulier chez Albrecht von Haller79. En commentant la Dissertation sur les parties irritables et sensibles des animaux (1755) de Haller, Fouquet s’attaque d’abord à l’« appareil effrayant » des expériences que le savant suisse dit avoir réalisées – « Depuis le commencement de l’an 1751 j’ai soumis à plusieurs Essais 190 animaux »80 – pour établir sa théorie. « Conduit, comme il l’annonce lui-même, par l’envie de contribuer à l’utilité du genre humain, il n’est point d’instrument de douleur, point de stimulus qu’il n’ait employé à varier les tourments d’un nombre infini d’animaux », écrit Fouquet, pour mettre ensuite en question la pertinence des conclusions de Haller. La plus ou moins grande sensibilité que celui-ci attribue aux différentes parties du corps ne serait qu’une méprise due à des erreurs de méthode dans la réalisation des expériences : « de deux douleurs dans différents endroits du corps la plus forte l’emporte sur la moindre », affirme Fouquet ; par conséquent, « lorsqu’on blessera le cœur à un chien après avoir ouvert la poitrine, l’irritation de ce viscère sera toujours moindre, par la plus grande douleur qu’aura d’abord excitée cette ouverture »81.
- 82 Supplément à l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, tome IV (...)
- 83 Ibidem, p. 777.
29La réponse n’arrive qu’en 1776, dans l’article « Sensibilité » du Supplément à l’Encyclopédie. « J’ai découvert le tendon d’Achille à des chiens, je l’ai piqué, brûlé, j’en ai retranché la moitié, jamais les chiens ont souffert le moins du monde », proteste Haller82. La suite de l’article, rédigée à la troisième personne, ne tarde pas à passer des chiens aux humains : « M. de Haller [...] fit des expériences nombreuses sur des chiens : plusieurs autres anatomistes l’imiterent : il y eut plus de trois cents expériences de faites ; & les tendons, irrités, en quelque manière que ce fût, ne causerent jamais de douleur ni d’accident. Enhardi par ce succès, M. de Haller & plusieurs autres anatomistes, firent les mêmes expériences sur des hommes, dont différents accidens avoient découvert des tendons, & l’événement fut le même. M. Hunter, ce grand anatomiste, se convainquit de ces vérités par ses propres expériences ». On en a fait de « fort nombreuses sur l’homme presque dans tous les pays », ajoute-t-il : « M. Ranby, premier chirurgien du roi d’Angleterre, s’est coupé à lui-même un tendon d’entre les premiers fléchisseurs des doigts, avec des ciseaux, sans ressentir de douleur. M. Tekel fit la même chose sur un tendon mis à découvert, aussi-bien que M. Bromfield, un des premiers chirurgiens de nos jours. En Italie, M. Caldani, premier professeur de médecine à Padoue, a fait de nombreuses expériences dans le même sens, aussi-bien que le chirurgien de Riviera, MM. Sichi, Verna, Moscati, & MM. Pagani et Bonnioli. On a vérifié ces expériences en Prusse, en Danemark & en Allemagne […]. MM. Portal, Hoin, Arthaud, ont irrité des tendons avec le même succès à Paris, à Dijon, à Nîmes »83.
- 84 « Éloge de M. de Haller », Histoire de l’Académie Royale des Sciences. Année M.DCCLXXVII. Avec les (...)
- 85 HALLER Albrecht von, Dissertation sur les parties irritables et sensibles des animaux, op. cit., p. (...)
- 86 « Éloge de M. de Haller », loc. cit., p. 141.
30À en croire Haller, les travaux sur l’irritabilité ont donc concerné, outre les essais sur des animaux, des cas d’auto-expérimentation – chez John Ranby (1703-1773) –, et d’autres où l’activité chirurgicale aurait fourni des occasions d’« irriter » des tendons. Haller décéda quelques mois après la publication du Supplément à l’Encyclopédie, ce qui permit à Condorcet (1743-1794), chargé de prononcer son éloge à l’Académie royale des sciences, d’intervenir dans la controverse. Si les recherches du savant disparu ont constitué « une révolution dans l’Anatomie », on sent « combien il est aisé de se tromper dans des expériences de ce genre », qui n’ont pu être faites, de surcroît, « sans assujettir un grand nombre d’animaux à des douleurs cruelles », écrit Condorcet. C’eût été « acheter bien cher une vérité inutile » ; or « M. de Haller le sentoit. […] on voit que poussé par une sorte de remords, il ne manque aucune occasion d’insister sur l’utilité que le genre humain peut retirer de ces expériences »84. En effet, face à l’« espece de cruauté » qu’impliquaient ses « essais », Haller confesse avoir senti une « repugnance qui n’a pû être vaincue que par l’envie de contribuer à l’utilité du genre-humain »85. Cruauté et (in)utilité, on n’y échappe pas ; « le désir de connoître une vérité stérile » ne peut donner le droit, dit Condorcet, « de faire périr dans les tourmens des êtres sensibles »86. Ce qui veut dire aussi, en creux, que si la « vérité » recherchée n’était pas jugée stérile, il conviendrait d’accueillir avec bienveillance des expériences dont la cruauté serait alors rachetée par l’utilité que le genre humain en retirerait.
- 87 Voir MANDRESSI Rafael, Le Regard de l’anatomiste : dissections et invention du corps en Occident, P (...)
- 88 DIDEROT Denis, Œuvres, tome I, op. cit., p. 1205.
31Voilà quelques-uns des termes centraux d’un discours qui acquiert, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, une tonalité particulière, mais aussi un sens et une présence publique qu’il n’avait pas eu auparavant. Les vivisections humaines ne sont plus uniquement un leitmotiv sur les limites à la fois du faisable et des connaissances obtenues par l’inspection du corps mort ; elles deviennent un objet dont on peut débattre publiquement en assumant des positions contradictoires. Autrement dit, l’incision de corps humains vivants à des fins de connaissance n’est plus une question fermée dont on fait état, mais une question ouverte que l’on pose effectivement. Elle n’est pas pour autant moins rhétorique, au sens où il s’agit de réinvestir une thématique ancienne, d’en reprendre même certaines des formules, de retravailler les arguments qui la composent et de la faire jouer au sein d’un espace polémique. Les vues sur la vivisection ne sont pas les seules à y circuler ; les engagements favorables à leur mise en pratique dans certains cas s’insèrent dans un cadre où, plus largement, les enjeux de l’anatomie, liés notamment à la gestion des cadavres, sont discutés avec une nouvelle intensité. Ceci est particulièrement vrai dans le contexte français, et, plus spécifiquement encore, parisien. Des réformes dans l’enseignement de la médecine et de la chirurgie mises en place en France au XVIIIe siècle entraînent un fort accroissement de la demande de corps bons à disséquer, des problèmes d’approvisionnement apparaissent, le vol et/ou l’achat de cadavres augmente, des réactions face à ces phénomènes se multiplient87. On a vu l’apothicaire de Restif de la Bretonne, excédé par l’abandon dans la rue de « débris » humains à cause des dissections clandestines, prétendre que la livraison de criminels aux étudiants serait à même d’éradiquer la nuisance. On a vu aussi Diderot plaidant pour la vivisection de condamnés à mort et contre l’inhumation sans dissection préalable ; « Nos gymnases publics de médecine et de chirurgie, quoique les moins utiles à l’instruction, ont seuls le droit de demander des cadavres au grand hôpital, qui ne leur en fournit pas le trentième du besoin », écrit-il encore dans l’Essai sur les règnes de Claude et de Néron (1782)88.
Faire du vivant avec du mort
- 89 VICQ D’AZYR Félix, Traité d’anatomie et de physiologie avec des planches coloriées représentant au (...)
- 90 MERCIER Louis-Sébastien, Tableau de Paris, t. 2, BONNET Jean-Claude (dir.), Paris, Mercure de Franc (...)
- 91 SUE fils Jean-Joseph, Éléments d’anatomie, à l’usage des peintres, des sculpteurs et des amateurs, (...)
32Reste un autre versant des débats, auquel le XVIIIe siècle n’apporte guère d’innovations fondamentales. L’« utilité » des vivisections, très majoritairement reconnue ou pressentie quelle que soit la conséquence qu’on en ait tirée quant au passage à l’acte, ne se comprend que relativement à ce que peut apporter la dissection de cadavres. Les « lumières utiles » qu’on voudrait obtenir de l’expérimentation sur des hommes vivants sont celles que le corps mort ne peut fournir. Dans l’histoire du savoir anatomique, le discours sur les vivisections traduit, fondamentalement, l’aveu des limites intrinsèques de l’entreprise d’exploration cadavérique. En effet, « un corps froid, inanimé, privé de la vie, n’offre que des fibres sans ressort, des vaisseaux relâchés et vuides », écrit en 1786 Félix Vicq d’Azyr (1748-1794). Voilà le paradoxe de la connaissance anatomique : « quand on observe les effets d’une action vitale particuliere, on n’en apperçoit point le foyer : réciproquement, quand l’Anatomie nous le montre, son activité n’existe plus, et nous ne pouvons presque jamais saisir que par le recours de l’imagination le lien qui les unit »89. La critique de l’anatomie prend très souvent appui sur cet aspect ; contemporain de Vicq, Louis-Sébastien Mercier (1740-1814) peut ainsi insister sur le fait qu’on « a beau interroger le cadavre, le mécanisme qui entretient la vie échappe », pour conclure, avec acerbité, que la discipline qui l’inspecte a une « physionomie morte et impassible, qu’elle semble avoir contractée avec les cadavres qu’elle mutile »90. Jean-Joseph Sue fils (1760-1830), professeur d’anatomie à l’Académie royale de peinture et de sculpture, l’exprime avec d’autres mots, mais avec la même acuité : « les usages des parties, & toutes les nuances de leurs mouvements, ne sont pas plus faciles à connoître, lorsqu’on se borne à l’étude de la nature morte » ; on est par conséquent « obligé de supposer que les parties sont animées, pour faire voir les mouvemens qu’elles exécutent, & la manière dont elles agissent dans le vivant. Mais on a beau faire des suppositions ; jamais avec des parties mortes on ne donnera une idée juste des parties vivantes »91.
- 92 HARVEY William, Exercitatio anatomica de motu cordis et sanguinis in animalibus, Francfort, G. Fitz (...)
- 93 L’expression (« conoscenze “in sovrappiù” ») appartient à Andrea Carlino, La fabbrica del corpo: Li (...)
33Faute de pouvoir faire recours à la vivisection humaine pour pallier, ne serait-ce que partiellement, ce déficit, on se rabattra sur la vivisection d’animaux. Berengario da Carpi, Vésale, Colombo, en écrivent au XVIe siècle ; dans son traité sur la circulation du sang (1628), William Harvey (1578-1657) la préconise également, dès lors qu’on se saurait se contenter des dissections de cadavres humains92. Il est cependant toujours hasardeux de se servir de l’animal pour dire l’homme, d’accepter pour l’être humain des observations faites à partir de l’expérimentation sur des animaux. Aussi est-on contraint de s’accommoder d’une échelle implicitement établie de fiabilité croissante, qui va de la dissection animale à la vivisection humaine, celle-ci n’étant certes pas dépourvue à son tour de limites, comme on le sait depuis Celse – dans quelle mesure les observations faites alors que le sujet est en proie à des souffrances extrêmes peuvent-elles renseigner sur les parties dans leur état « naturel » ? D’autres questions s’ensuivent : la meilleure connaissance que les vivisections humaines sont censées apporter par rapport à l’examen de cadavres a-t-elle une traduction thérapeutique significative ? Est-ce bien là leur « utilité » ? Après tout, l’anatomie cadavérique est un savoir « excédentaire »93 qui n’a rendu que peu de services à l’« art de guérir » tout au long de la première modernité. Dès lors, la connaissance pour elle-même pourrait suffire à justifier l’expropriation du corps d’autrui à des fins expérimentales. S’y opposer en usant avec trop d’insistance de l’argument de l’inutilité de tels agissements risque, on le voit bien, d’affaiblir l’autre argument usuel, celui de la cruauté ; celle-ci finirait par apparaître comme une fonction du degré d’utilité, ce qui reviendrait à admettre que l’« humanité » est relative, qu’il est en dernière analyse acceptable de la subordonner aux bénéfices issus d’actes qu’en principe on désavoue. En ce sens, les anatomistes de la Renaissance auraient mieux armé leur argumentaire (« utiles mais cruelles ») que les opposants des Lumières, à la manière d’Henri Fouquet (« inutiles, et cruelles de surcroît »).
34Ainsi va le débat sur les vivisections dans l’Europe moderne. Il est l’ombre portée de l’embarras épistémologique de l’anatomie, mais aussi le véhicule pour l’énonciation de thèses qui dépassent les seules questions savantes, un matériau pour la production de discours moraux, politiques, historiographiques, le support de cas exemplaires servant à trancher des querelles de paternité sur des techniques opératoires, une ressource littéraire mobilisée, à l’aide des autorités, dans des textes de médecine soucieux de renvoyer à une tradition ancienne, quitte à en prendre des distances. Si des expériences sur la chair vivante ont vraisemblablement eu lieu, l’investigation visant à le déterminer précisément ne présente pourtant qu’un faible intérêt au regard des usages rhétoriques dont elles ont fait l’objet. Au-delà ou en deçà du factuel, elles ont été pensables, elles n’ont jamais relevé d’un quelconque non-dit, elles ont permis d’interroger, entre autres, les résistances que le corps, mort ou vivant, oppose au scalpel.
Notes
1 Voir STADEN Heinrich Von, Herophilus: The Art of Medicine in Early Alexandria, Cambridge, 1989 ; STADEN Heinrich Von, « The Discovery of the Body: Human Dissection and its Cultural Contexts in Ancient Greece », The Yale Journal of Biology and Medicine, 65, 1992, p. 223-241. Voir aussi SCARBOROUGH John, « Celsus on Human Vivisection at Ptolemaic Alexandria », Clio Medica, 11, 1976, p. 25-38. Cf. l’étude classique de Ludwig Edelstein, « Die Geschichte der Sektion in der Antike », dans Quelle und Studien zur Geschichte der Naturwissenschaften und der Medizin, 3, n° 2, 1931-1932, rééd. : « The History of anatomy in Antiquity », dans TEMKIN Owsei et TEMKIN C. L. (dir.), Ancient Medicine. Selected papers of L. Edelstein, Baltimore, 1967, p. 247-301. Voir aussi VEGETTI Mario, Il coltello e lo stilo: animali, barbari, schiavi e donne alle origini della razionalità scientifica, Milan, Il Saggiatore, 1979 (tr. fr. : Le Couteau et le stylet. Animaux, esclaves, barbares et femmes aux origines de la rationalité scientifique, Paris, Van Dieren, 2010).
2 Je cite d’après la traduction de Philippe Mudry, dans La préface du « De medicina » de Celse, texte, traduction et commentaire [par] Philippe Mudry, Rome, Institut suisse de Rome, 1982, p. 23. Le commentaire de Mudry (p. 43-205) reste indispensable.
3 Ibidem, p. 27, 29, 41.
4 PLINE L’ANCIEN, Caii Plinii Secundi historiæ naturalis libri XXXVII, Volumen sextum, Pars quarta continens rem herbariam, publiée par Nicolas Éloi Lemaire, Paris, Firmin Didot, « Bibliothèque Classique Latine », 1829, p. 406.
5 « Herophilus ille medicus, autlanius, qui sexcentos exsecuit ut naturam scrutaretur » (je cite d’après l’édition des Scripta de Tertullien annotée par Beatus Rhenanus, publiée à Bâle par Froben en 1550, p. 647).
6 AUGUSTIN, La Cité de Dieu, livres XIX-XXII, dans Œuvres de Saint-Augustin 37, texte de la 4e édition de B. Dombart et A. Kalb, introduction et notes par G. Bardy, tr. fr. de G. Combès, Paris, Desclée de Brouwer, 1960, p. 669.
7 Voir Johannis Alexandrini Commentaria in librum De sectis Galeni, Christopher D. Pritchet (éd.), Leyde, Brill, 1982, p. 53-60.
8 « Nocentes homines ex carcere acceptos vivos resecasse reges ipsos publicæ saluti consulentes traditum est, ut spiritu etiam remanente naturæ archana […]. At id religio nostra vetat, quoniam trucul entissimum est, vel carnifici horroris plenum [...]. Hæc barbari externique ritus qui excogitarunt faciant, qui ea piacula et ostenta adamant. At nos clementius, vivis parcentes, noxiorum cadaveribus intima atque naturæ archana indagabimus » (BENEDETTI Alessandro, Historia corporis humanisive Anatomice, Giovanna Ferrari éd., Florence, Giunti, 1998, p. 98). Chez Zerbi, qui renvoie expressément à Celse, c’est l’« humanitas » qui interdit de se livrer à de telles pratiques (Gabriele Zerbi, Liber anathomie corporis humani et singulorum membrorum illius, Venise, Ottaviano Scoto, 1502, f° 2r-v).
9 Composée en 1316 par Mondino de’Liuzzi († 1326) comme un manuel de dissection à l’intention de ses élèves à l’université de Bologne, l’Anatomie fut imprimée pour la première fois en 1478 à Pavie par Antonio de Carcano et copieusement rééditée par la suite tout au long du XVIe siècle. On y trouve, notamment, les premières références explicites à la dissection de corps humains.
10 BERENGARIO DA CAPRI Jacopo, Commentaria cum amplissimus additionibus super Anatomiam Mundini, Bologne, Girolamo de Benedetti, 1521, ff. 4v-5r.
11 « Hic ita erat infensus Hispanis, ut (cum esset Bonon.) geminos ex eis laborantes morbo gallico cæperit, & vivos anathomicis administrationibus destinaverit ; qua de re profligatus Ferrariæ obiit » (Je cite d’après la deuxième édition du De morbo gallico, Venise, Francesco Laurentini, 1565, f° 66v). Dès sa première édition, un De morbo gallico tractatus d’Antonio Fracanzani (1500-1567) est ajoutée au texte de Falloppio, annoté par le médecin Giovanni Bonacci (pseud. Pietro Angelo Agato). Sur Berengario da Carpi, l’ouvrage de référence en matière de données biographiques reste le livre de Vittorio Putti, Berengario da Carpi. Saggio biografico e bibliografico seguito dalla traduzione del « De fractura calvæ sive cranei », Bologne, L. Capelli, 1937.
12 Vésale aurait été accusé d’avoir conduit, alors qu’il était médecin à la cour de Philippe II, ce qui en réalité se serait avéré un examen post mortem prématuré : en ouvrant le corps d’un individu pour établir les causes de son décès, le cœur de ce qu’on croyait être un cadavre battait encore. Toujours selon cette version, l’anatomiste fut condamné à mort par l’Inquisition, peine que Philippe II aurait commutée en une pérégrination en Terre Sainte. La seule chose avérée dans cette histoire est la réalisation de ce mystérieux voyage, de retour duquel Vésale est mort, en 1564, à l’île de Zante, face à la côte occidentale du Péloponnèse.
13 DU LAURENS André, Historia anatomica humani corporis & singularum eius partium multis controversiis & observationibus novis illustrata, Paris, Marc Orry, 1600, p. 14.
14 FALLOPIO Gabriele, Opera quæ adhuc extant omnia, in unum congesta, & in Medicinæ studio sorum gratiam, nunc primum tali ordine excusa, Francfort, héritiers d’André Wechel, 1584, p. 571.
15 FALLOPIO Gabriele, Libelli duo, alter de ulceribus, alter de tumoribus præter naturam, nunc recens in lucem editi, Venise, D. Bertellus, 1563, 47v-48r.
16 « No me parece mal la costumbre que guardan los Medicos italianos quando […] piden a los juezes algunos hombres condenados a muerte : y assi para que no se corrompan los humores, y se vean las demás cosas claramente, danles a beber en vino puro dos, o tres dragmas de opio, […] y de allí a un poco mueren durmiendo profundissimamente » (FRAGOSO Juan, Chirurgia Universal, Madrid, Alonso Gómez, 1581 ; je cite d’après l’édition d’Alcalá de Henares, Juan Gracián, 1608, p. 159).
17 La vivisection des criminels, écrit-il, « aunque alaverdad era hecha con buen zelo no dexava de dar occasion de murmurar al pueblo ; por la crueldad que con aquellos desventurados hombres se usava » (VALVERDE DE AMUSCO Juan, Historia de la composición del cuerpo humano, Rome, Antonio Salamanca et Antoine Lafrery, 1556, f° 1v).
18 CANANO Giovanni Baptista, Musculorum humani corporis picturata dissectio, réimpression en fac-similé, avec des notes de Harvey Cushing et Edward C. Streeter, Florence, R. Lier & Co., 1925, f° 3v-4r.
19 COLOMBO Realdo, De re anatomica libri XV, Venise, Nicolò Bevilacqua, 1559, p. 256.
20 « Crederem potiùs patriâ Bononiensi secedere coactum fuisse, ob nefanda vitia, patrum Inquisitorum animadversione digna, quibus suam Anatomen conspurcavit » (RIOLAN fils Jean, Anthropographia et Osteologia, omnia recognita, triplo auctiora et emendatiora, Paris, Denys Moreau, 1626, p. 72). La phrase citée est absente dans l’ouvrage de 1618 (Anthropographia ex propriis et novis observationibus collecta, concinnata. In qua facilis ac fidelis... manuductio ad anatomem traditur, Paris, H. Périer, 1618).
21 « [...] non quidem homines secando (quod crudelis, & carnificis potiùs hominis, quàm medici esse videtur) sed bruta magis animantia, quæ quàm plurimis ex partibus, atque earum functionibus homini quàm similissima sunt » (CANANO Giovanni Baptista, op. cit., f° 4r).
22 BACON Francis, Of the Advancement and Proficiencie of Learning: or the Partitions of Sciences Nine Books, Oxford, Leon Lichfield, 1640, p. 194.
23 CHEREAU Achille, « Anatomie (Histoire) », dans DECHAMBRE Amédée (dir.), Dictionnaire encyclopé-dique des sciences médicales, 1e série, t. 4, Paris, P. Asselin, Victor Masson, 1870, p. 221.
24 Les croniques du tres chrestien et tres victorieux Loys de Valoys feu roy de France que Dieu absolve, unziesme de ce nom, avecques plusieurs austres adventures advenues, tant en ce royausme de France commes es pays voisins depuis lan mil quatre cens LX jusques en lan mil quatre cens quatrevingts trois inclusivement, Lyon, [s.n.], [1488], n.p. Je modernise l’orthographe ; voici la transcription du texte original, imprimé à deux colonnes en caractères gothiques : « ung franc archier de meudon pres paris estoit prisonnier es prisons de chastellet, pour occasion de plusieurs larrecins qu’il avoit faictes en divers lieux, & mesmement en leglise dudit meudon. Et pour lesditz cas & comme sacrilege, fut condempne a estre pendu & estrangle au gibet de paris, nommé montfaulcon, dont il appella en la court de parlement ou il fut mene pour discuter de son appel, par laquelle court & par son arrest fut ledit franc archier declaire avoir mal appelle & bien iugie par le prevost de paris, par devers lequel fut renvoye pour executer sa sentence. Et ce mesme iour fut remonstre au roy par les medecins & chirurgiens de ladicte ville que plusieurs & diverses personnes estoyent fort travaillez & molestez de la pierre colicque passion & maladie du coste, dont pareillement avoyt este fort moleste ledit franc archier. Et aussy desdictes maladies estoit lors fort malade monsieur du Bocaige, et qu’il seroit fort requis de veoir les lieux ou lesdictes maladiees sont concrees dedens les corps humains, laquelle chose ne pouvoit mieulx estre sceue que inciser le corps d’ung homme vivant ce qui pouvoit bien estre fait en la personne dicelluy franc archier que aussy bien estoit prest de souffrir mort, laquelle ouverture & incision fut faicte au corps dudit franc archier. Et dedens icelluy quis & regarde le lieu desdictes maladies. Et apres quilz eurent este veues fut recousu & ses entrailles remises dedens. Et fut par lordonnance du roy fait tres bien penser & tellement que dedens quinze iours apres il fut bien guery & eut remission de ses cas sans despens. & si luy fut donne avecques ce argent ».
25 Sur ces deux points, voir NUTTON Vivian et Christine, « The Archer of Meudon: A Curious Absence of Continuity in the History of Medicine », Journal of the History of Medicine and Allied Sciences, 58, 2003, pp. 401-427.Voir aussi l’introduction de Bernard de Mandrot à son édition du Journal de Jean de Roye connu sous le nom de Chronique scandaleuse 1460-1483, vol. 1, Paris, Renouard, 1894, p. ix-x.
26 Le passage n’apparaît que dans la deuxième édition des Œuvres de Paré (Paris, Gabriel Buon, 1579, p. 947), et non pas dans les Deux livres de chirurgie (Paris, André Wechel, 1573), contrairement à ce qu’affirment Vivian et Christine Nutton (op. cit., p. 415). La deuxième édition du livre Des montres et prodiges est celle parue dans la première édition des Œuvres, publiées par Buon en 1575.
27 ENGUERRAND DE MONSTRELET, Le premier (le second et le tiers) volume de Enguerran de Monstrellet. Ensuyvant froissart : nagueres imprime a paris des croniques de france : dangleterre : descosse : despaigne : de bretaigne : de gascongne : de flandres : et lieux circonvoisins. Avecques les grandes croniques des roys de France Loys XI. de ce nom : et Charles. VIII. son filz : des papes regnans en leur temps : et plusieurs aultres nouvelles choses advenues en Lombardie : es ytalles et autres divers pays es temps du regne desdits roys : le tout fait et adjouste avecques la cronique dudit de Monstrellet, Paris, Jean Petit et Michel Le Noir, 1512, ff. 324v-325r.
28 Ici n’est pas le lieu d’en donner le détail. Voir ROUSSET François, Traitté nouveau de l’Hysterotomotokie, ou Enfantement Cæsarien, Paris, Denys du Val, 1581, p. 78-96 (p. 78-79 pour les extraits cités).
29 « Quam in rem aliquot historias proferre placet, ne Monstreleticæ dubiam adhuc fidem facienti, aut Francopnicæ quæ unica probare non potest, nimium leviter acquiescamus » (ROUSSEAU François, Caesarei partus Assertio historiologica... Item, Fœtus lapidei vigeoctennalis causae, Paris, Denys du Val, 1590, p. 256).
30 Je cite d’après l’édition de Bruxelles, Les Frères t’Serstevens et Antoine Claudinot, 1708, p. 161.
31 DIONIS Pierre, Cours d’opérations de chirurgie, Démontrées au Jardin du Roi,… huitième édition,… par M. George de la Faye,… Première partie, Paris, Méquignon l’aîné, 1782, p. 180-181.
32 EUDES DE MEZERAY François, Abrégé chronologique de l’histoire de France, par le Sr. de Mézeray, historiographe de la France, t. 4, Amsterdam, Antoine Schelte, 1696. [1e éd. : Paris 1667-1668, 3 vol.], p. 410.
33 TOLET François, Traité de la lithotomie ou de l’extraction de la pierre hors la vessie, 5e éd., Paris, F.-H. Muguet, 1708, p. 137 et suiv. La première édition du traité de Tolet est de 1682 ; les trois suivantes sont de 1686, 1689 et 1693.
34 DEVAUX Jean, Index funereus chirurgorum Parisiensium ab anno 1315 ad annum 1714, Trévoux et Paris, Étienne Ganeau, 1714, p. 18-19. Sur Germain Collot, son identité et sa – douteuse – participation à l’éventuelle opération de l’archer, voir NUTTON Vivian et Christine, art. cit., p. 420 sqq. passim.
35 COLOT François, Traité de l’opération de la taille avec des observations sur la formation de la pierre et les suppressions d’urine, ouvrage posthume de M. Fr. Colot auquel on a joint un Discours sur la méthode de Franco et sur celle de Monsieur Rau. (Par le Dr J.-B. Sénac.), Paris, J. Vincent, 1727, p. 36-39. Si le lien de parenté de François Colot avec Germain Collot est plus qu’incertain, Colot est en effet le nom de plusieurs chirurgiens appartenant à la même famille et réputés pour leur habileté dans l’opération de la pierre (voir CHEREAU Achille, « Colot (Les) », Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, DECHAMBRE Amédée (dir.), série 1, tome 19, Paris, G. Masson, P. Asselin, 1876, p. 215-217).
36 Journal des Sçavans, XLII, 26 novembre 1714, Trévoux et Paris, Étienne Ganeau, p. 665.
37 Dictionnaire universel françois et latin, Nouvelle éd. rev., corr. et augm., tome III, Trévoux et Paris, Florentin Delaulne et al., 1721, col. 1500.
38 MORAND Sauveur-François, Traité de la taille au haut appareil, où l’on a rassemblé tout ce qu’on a écrit de plus intéressant sur cette opération, avec une dissertation de M. Morand, ... et une lettre de M. Winslow, ... sur la même matière, Paris, G. Cavelier, 1728, p. 217-218 ; QUESNAY François, Recherches critiques et historiques sur l’origine, sur les divers états et sur les progrès de la chirurgie en France, vol. I, Paris, Charles Osmont, 1744, p. 340-341.
39 HEVIN Prudent, « Recherches historiques et critiques sur néphrotomie, ou taille du rein », dans Mémoires de l’Académie royale de chirurgie, précédés d’une analyse par M. Marjolin, t. 2, Paris, A. Delahays, 1855, p. 266-308 ; p. 267 pour la référence à l’épisode de l’archer d’après Mézeray.
40 DESCHAMPS Joseph-François-Louis, Traité historique et dogmatique de l’Opération de la Taille, vol. II, Paris, l’auteur, 1796, p. 35-38.
41 RAYER Pierre-François-Olive, Traité des maladies des reins, des altérations de la sécrétion urinaire, étudiées en elles-mêmes et dans leurs rapports avec les maladies des uretères, de la vessie, de la prostate, de l’urèthre... avec un atlas, t. 3, Paris, Baillière, 1841, p. 213 et suiv. ; BERNARD Claude, Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, Paris, Baillière, 1865, p. 173-174, où il évoque également la Préface de Celse et le cas de Fallopio.
42 CHESELDEN William, A Treatise on the High Operation for the Stone, Londres, J. Osborne, 1723, p. 111. Cheselden fut accusé, sinon de plagiat, au moins d’avoir suivi de trop près le texte de la Lithotomia Douglassiana de John Douglas († 1743), publiée à Londres chez Rivington, Lacy et Clarke quatre mois auparavant (voir HOUSTOUM Robert, Lithotomus Castratus ; or Mr. Cheselden’s Treatise on the High Operation for the Stone: Thoroughly Examin’d and Plainly Found to be Lithotomia Douglassiana, &c. Under another Title, Londres, T. Payne, 1723). Le passage cité n’apparaît pas, cependant, dans l’ouvrage de Douglas, ni dans sa première édition, beaucoup plus courte, parue en 1720 (Londres, Thomas Woodward).
43 SCHENCK VON GRAFENBERG Johannes, Observationum medicarum, rararum, novarum, admirabilium, et monstrosarum, Libri Tertii, De Partibus Naturalibus, Sectio Posterior ; De Iecore, Liene, Renibus, Vesica urinaria, &c, Freiburg im Breisgau, Martin Beckler, 1596, p. 405 et suiv. ; HARDER Johann Jacob, Apiarium observationibus medicis centum ac physicis experimentis plurimis refertum, Bâle, J. P. Richter, 1687, p. 302 ; SALVATICO Benedetto, Consiliorum et responsiorum medicinalium centuriæ quatuor, Quibus rari Casus proponuntur, plurésque difficultates elucidantur… Acessit eiusdem Methodis consultandi, Genève, Jean-Antoine et Samuel de Tournes, 1662, p. 246-247.
44 FREIND John, The history of physic: from the time of Galen, to the beginning of the sixteenth century ; chiefly with regard to practice ; in a discourse written to Doctor Mead, Part II, Londres, J. Walthoe, 1727, p. 185-187. La traduction française, qui réunit les trois parties en un seul volume, est parue la même année : Histoire de la médecine, depuis Galien, jusqu’au Comencement du Seizieme siècle, Leyde, Langerak, 1727 (p. 97-98 pour l’histoire de l’archer, de Bagnolet en l’occurrence).
45 BOERHAAVE Herman, Methodus studii medici, Emaculata & Accessionibus locupletata ab Alberto ab Haller, t. II, Amsterdam, Jacob à Wetstein, 1751, p. 720. Cette édition du livre de Boerhaave préparée par Haller est la première à porter ce titre, qui remplace Methodus discendi medicinam et Methodus discendi artem medicam, sous lesquels avaient été publiées les éditions antérieures.
46 MATTHIAE Georg, Conspectus historiæ medicorum chronologicus, Göttingen, Vve Vandenhoeck, 1761, p. 104.
47 ADELUNG Johann Christoph, Fortsetzung und Ergänzungen zu Christian Gottlieb Jöchers allgemeinen Gelehrten-Lexikon, t. II, Leipzig, Johann Friedrich Gleditsch, 1787, col. 423.
48 Voir MANDRESSI Rafael, « Le passé, l’enseignement, la science : Félix Vicq d’Azyr et l’histoire de la médecine au xviiie siècle », Medicina nei secoli, 20, 2008, p. 183-212.
49 VARILLAS Antoine, Histoire de Louis onze, tome II, Paris, Claude Barbin, 1689, p. 340.
50 Je cite d’après l’édition de Cologne, aux dépens de la Compagnie, 1752, p. 257.
51 Supplément au Grand dictionnaire historique, généalogique, géographique, &c de M. Louis Moreri, pour servir à la dernière édition de l’an 1732 & aux précédentes, tome I, Paris, Vve Lemercier, Jacques Vincent, Jean-Baptiste Coignard et Antoine Boudet, 1735, p. 299. La première édition du Grand dictionnaire de Moréri, abondamment réédité par la suite, parut à Lyon en 1674.
52 Je cite d’après les Œuvres complettes de M. de Saint-Foix, Historiographe des Ordres du Roi, t. III, Paris, Vve Duchesne, 1778, p. 279 et suiv. La première édition des Essais historiques sur Paris parut à Londres en 1754-1755.
53 Journal Œconomique ou Mémoires, notes et avis sur l’Agriculture, les Arts, le Commerce & tout ce qui peut avoir rapport à la santé, ainsi qu’à la conservation & à l’augmentation des Biens des Familles, &c., Septembre 1754, Paris, Antoine Boudet, 1754, p. 133. La thèse en question, An ut suppurato reni, sic calculoso ferrum ?, fut soutenue par Jean Ducledat sous la présidence de Jacques Cousinot (1590-1646), devenu par la suite lecteur royal de chirurgie et premier médecin de Louis XIV.
54 Pour cette esquisse, voir NUTTON Vivian et Christine, art. cit., p. 422-423.
55 TARIN Pierre, Adversaria anatomica, de omnibus corporis humani partium, tum descriptionibus, cum picturis. Adversaria anatomica prima, de omnibus cerebri, nervorum et organorum functionibus animalibus inserventium, descriptionibus et iconismis, Paris, Jean-François Moreau, 1750 ; TARIN Pierre, Anthropotomie, ou l’art de dissequer les muscles, les ligamens, les nerfs & les vaisseaux sanguins du corps humain... On y donne aussi la description des matières propres à chacunes de ces préparations, & la figure des instrumens, Paris, Briasson, 1750 (2 vol.) ; TARIN Pierre, Dictionaire anatomique, suivi d’une bibliotheque anatomique et physiologique, Paris, Briasson, 1753 ; TARIN Pierre, Myo-graphie, ou Description des muscles du corps humain, Paris, Briasson, 1753 ; TARIN Pierre, Ostéo-graphie, ou description des os de l’adulte, du fœtus... précédée d’une introduction à l’étude des parties solides du corps humain, Paris, Briasson, 1753. Tarin est aussi le traducteur en français des Éléments de physiologie d’Albrecht von Haller (Paris, Prault fils, 1752), de la Desmographie, ou description des ligamens du corps humain de Josias Weitbrecht (Paris, Durand, 1752), et des Éléments de chimie de Herman Boerhaave (Paris, Moreau, 1754, 6 vol.).
56 Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers, Tome I, art. « Anatomie », Paris, Briasson, David l’aîné, le Breton, Durand, 1751, p. 409.
57 Ibidem, p. 409-410.
58 Ibidem, p. 410.
59 « Comment perfectionner la médecine ? en multipliant, en rendant générale l’ouverture des cadavres […] il devrait y avoir une loi qui défendît l’inhumation d’un corps avant son ouverture » (Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers, Tome II, art. « Cadavre », Paris, Briasson, David l’aîné, le Breton, Durand, 1751, p. 511). Diderot a été un des plus fermes et constants auteurs de plaidoyers pour l’anatomie au XVIIIe siècle. Les propos de l’article « Cadavre » réapparaissent plus de trente ans plus tard dans ses Éléments de physiologie, ouvrage qu’il rédige à partir de 1774, mais qui reste inachevé et n’est publié qu’après sa mort (DIDEROT Denis, Œuvres, tome I : Philosophie, Paris, Robert Laffont, 1994, p. 1315-1316). Voir aussi l’Essai sur les règnes de Claude et de Néron (1782), dans DIDEROT Denis, Œuvres…, op. cit., p. 1205.
60 Encyclopédie, Tome I, art. « Anatomie », cit., p. 410.
61 Ibidem.
62 Voir, à titre d’exemple, l’Historia anatomiæ nova aequeac antiqua (Halle an der Saale, Johann Gottfried Renger, 1713) d’Andreas Ottomar Goelicke († 1744), qui réunit en un même paragraphe Hérophile et l’archer de Meudon, pour mettre en doute qu’un roi chrétien (Louis XI) ait pu autoriser une pareille opération, qui ne convient qu’à des barbares – « Barbaros, non Christianos » – et qu’il faut à ses yeux condamner (p. 22-23).
63 MERY Jean, Observations sur la manière de tailler dans les deux sexes pour l’extraction de la pierre, pratiquée par frère Jacques. Nouveau système de la circulation du sang par le trou ovale dans le fœtus humain, avec les réponses aux objections qui ont été faites contre cette hypothèse, Paris, J. Boudot, 1700, p. 3-4.
64 CHESELDEN William, The Anatomy of the Human Body, The Vth edition, Londres, William Bowyer, 1740, p. 306. Cette édition est la première à inclure le passage cité. Les éditions précédentes avaient été publiées en 1713, 1722, 1726 et 1730 ; huit autres suivront en Angleterre et deux aux États-Unis jusqu’en 1806.
65 « Lady Suffolk was early affected with deafness. Cheselden, the surgeon, then in favour at Court, persuaded her that he had hopes of being able to cure deafness by some operation on the drum of the ear, and offered to try the experiment on a condemned convict [Charles Ray] then in Newgate, who was deaf. If the man could be pardoned, he would try ; and, if he succeeded, would practice the same cure on her ladyship. She obtained the man’s pardon, who was cousin to Cheselden, who had feigned that pretended discovery to save his relation—and no more was heard of the experiment. The man saved his ear too—but Cheselden was disgraced at Court » (WALPOLE Horace, « Reminiscences ; written in 1788, for the Amusement of Miss Mary and Miss Agnes Berry », dans The Letters of Horace Walpole, Earl of Orford, edited by Peter Cunningham, t. 1, Londres, Bentley, 1857, p. 128).
66 Histoire et règne de Louis XI, tome IV, Paris, Pissot, 1755, p. 420.
67 HEVIN Prudent, op. cit., p. 268.
68 MOREAU DE MAUPERTUIS Pierre-Louis, Lettre sur le progrès des sciences, « Utilités du Supplice des Criminels », s.l., s.n., 1752, p. 76-88.
69 Ibidem, p. 88.
70 ALEMBERT, Jean le Rond d’, « Réflexions sur l’inoculation », dans Mélanges de littérature, d’histoire et de philosophie, t. 5, Amsterdam, Zacharie Chatelain & Fils, 1767, p. 414, 416.
71 RESTIF DE LA BRETONNE Nicolas-Edme, Les Nuits de Paris, dans BARUCH Daniel (dir.), Paris le jour, Paris la nuit, Paris, Robert Laffont, 1990, p. 678.
72 La version antérieure, celle des Infortunes de la vertu, est un peu plus succincte, et Rosalie n’y est pas la fille de Rodin, mais d’un bûcheron de la forêt voisine de la résidence du chirurgien.
73 Correspondance littéraire, philosophique et critique, Maurice Tourneux (éd.), t. 12, Paris, Garnier, 1880, p. 20.
74 En 1773, Sigault avait soutenu à Angers une thèse sur ce sujet, sous la présidence de Georges-Dominique Guérin : An in partu contra naturam, sectio simphiseos ossium pubis, sectione caesarea promptior et tutior ? À l’époque de l’opération de la femme Souchot il était devenu docteur-régent de la Faculté de médecine de Paris.
75 SIGAULT Jean-René, Discours sur les avantages de la section de la simphyse, qui devoit être lu dans la séance publique de la Faculté de médecine de Paris, le jeudi 5 novembre 1778, Paris, Quillau, [1778], avant-propos, p. viii.
76 SIGAULT Jean-René, Analyse de trois Procès-verbaux faits à l’occasion de l’Opération de la Simphyse sur la femme Vespres. Avec des réflexions sur ces Procès-verbaux & sur cette Opération, Paris, Quillau, [1778], p. 2.
77 Ibidem, p. 14.
78 Ibidem, p. 10, 15.
79 L’idée d’« irritabilité » comme une propriété intrinsèque des fibres est introduite par le médecin et anatomiste anglais Francis Glisson (1597-1677) dans son Anatomia Hepatis (Londres, Pullein, 1654), pour la développer, des années plus tard, dans son Tractatus de ventriculo et intestinis (Londres, Brome, 1677).
80 HALLER Albrecht von, Dissertation sur les parties irritables et sensibles des animaux, Lausanne, Marc-Michel Bousquet et Cie., 1755, p. 1 ; 1e éd. latine : 1752. La traduction française est de Samuel-Auguste Tissot (1728-1797), auteur par ailleurs d’un long « Discours préliminaire » au texte de Haller (pp. iii-xlix).
81 Encyclopédie, Tome XV, art. « Sensibilité », Neuchâtel, Samuel Faulche, 1765, p. 50-51.
82 Supplément à l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, tome IV, art. « Sensibilité », Amsterdam, M. Rey, 1776, p. 776. L’article est signé H. D. G. (Haller de Göttingen), tout comme les articles « Anatomie » et « Physiologie » du Supplément.
83 Ibidem, p. 777.
84 « Éloge de M. de Haller », Histoire de l’Académie Royale des Sciences. Année M.DCCLXXVII. Avec les Mémoires de Mathématique & de Physique, pour la même Année, Tirés des Registres de cette Académie, Paris, Imprimerie Royale, 1780, p. 140-141.
85 HALLER Albrecht von, Dissertation sur les parties irritables et sensibles des animaux, op. cit., p. 1-2.
86 « Éloge de M. de Haller », loc. cit., p. 141.
87 Voir MANDRESSI Rafael, Le Regard de l’anatomiste : dissections et invention du corps en Occident, Paris, Seuil, 2003, p. 179-184. Cf. GELFAND Toby, « The “Paris Manner” of Dissection : Student Anatomical Dissection in Early Eighteenth-Century Paris », Bulletin of the History of Medicine, 46, 1972, p. 99-130.
88 DIDEROT Denis, Œuvres, tome I, op. cit., p. 1205.
89 VICQ D’AZYR Félix, Traité d’anatomie et de physiologie avec des planches coloriées représentant au naturel les divers organes de l’Homme et des Animaux… Tome premier, Paris, Didot l’aîné, 1786, p. 3.
90 MERCIER Louis-Sébastien, Tableau de Paris, t. 2, BONNET Jean-Claude (dir.), Paris, Mercure de France, 1994, p. 335-337.
91 SUE fils Jean-Joseph, Éléments d’anatomie, à l’usage des peintres, des sculpteurs et des amateurs, Paris, Paris, l’auteur, Méquignon l’aîné, Royer, Barrois jeune, 1788, p. iv.
92 HARVEY William, Exercitatio anatomica de motu cordis et sanguinis in animalibus, Francfort, G. Fitzer, 1628, p. 32-33.
93 L’expression (« conoscenze “in sovrappiù” ») appartient à Andrea Carlino, La fabbrica del corpo: Libri e dissezione nel Rinascimento, Turin, Einaudi, 1994, p. 10.
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Référence papier
Rafael Mandressi, « Les limites du cadavre. La tentation de la vivisection humaine, XVIe-XVIIIe siècles », Histoire, médecine et santé, 2 | 2012, 109-135.
Référence électronique
Rafael Mandressi, « Les limites du cadavre. La tentation de la vivisection humaine, XVIe-XVIIIe siècles », Histoire, médecine et santé [En ligne], 2 | automne 2012, mis en ligne le 01 décembre 2013, consulté le 14 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/296 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.296
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