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Comptes rendus

ALBERTI Samuel, Morbid Curiosities: Medical Museums in Nineteenth-Century Britain

Oxford, Oxford University Press, 2011
Laurence Talairach-Vielmas
p. 153-156
Référence(s) :

ALBERTI Samuel, Morbid Curiosities: Medical Museums in Nineteenth-Century Britain, Oxford, Oxford University Press, 2011, 256 p.

Texte intégral

1Morbid Curiosities: Medical Museums in Nineteenth-Century Britain nous propose un voyage dans l’univers des musées médicaux, à une époque où les spécimens anatomiques circulent des champs de foire aux collections privées en passant par les expositions universelles. C’est dans un monde où l’on expose le corps à tout va, qu’il soit monstrueux, mort ou vivant, où l’on cherche à traquer, identifier et définir la différence, à séparer le normal du pathologique, que se constituent nombre de musées médicaux tout au long du XIXe siècle. L’étude se penche sur le marché des restes humains, leur voyage d’une collection à une autre, et l’évolution même du sens du « reste », tandis que le corps humain se retrouve disséqué, conservé, échangé, vendu, volé ou exposé. Ainsi, la notion de « reste humain » est non seulement abordée et conceptualisée, mais également contextualisée ; le rôle éducatif du reste humain étant évalué dans l’espace du musée où s’imposent alors d’autres supports, des gravures, illustrations, catalogues ou photographies aux modèles artificiels, qu’ils soient en cire, cuir ou papier mâché. Alberti situe donc son étude au carrefour de l’histoire de la médecine, de la muséologie et des recherches sur le corps. En analysant les liens entre l’évolution des musées médicaux et l’essor de la pratique des dissections humaines, Alberti suit aussi les transformations de la circulation, conservation, exposition et réception des restes humains au cours du siècle, retraçant une culture de plus en plus matérialiste, à laquelle les médecins – plus particulièrement les anatomistes collectionneurs – participent fortement. En examinant la réification croissante de l’humain, la chosification du corps que l’on met en pièces et expose, Alberti démontre ainsi que l’effacement du patient, que Michel Foucault situe, par exemple, à la naissance de l’anatomo-pathologie, est en fait antérieur, l’histoire du développement des musées médicaux permettant de le resituer dans l’histoire des savoirs et d’une connaissance du corps fondée sur la dissection.

2Alberti débute son étude par une analyse des espaces, institutions et individus qui ont marqué la constitution des musées médicaux, montrant comment, si une discipline scientifique donne forme aux institutions muséales, ces dernières prennent également part à l’évolution de certaines disciplines. Au début du XIXe siècle, l’anatomo-pathologie naît de collections (en anatomie comparée, phrénologie, stratigraphie, etc.), les travaux des frères Hunter à Londres au milieu du XVIIIe siècle étant suivis de près par ceux de Xavier Bichat et Théophile Laennec à Paris. Ces collections (privées, universitaires, des centres hospitaliers, sociétés savantes ou purement commerciales) sont étudiées à partir de cinq foyers : Londres, Glasgow, Édimbourg, Dublin et Manchester. À Londres, outre le rôle des frères Hunter, les collections des centres hospitaliers (une douzaine au milieu du XIXe siècle), celles des écoles privées ainsi que des forains ou directeurs d’établissements destinés au grand public, à l’instar de Joseph Kahn, J. W. Reimers ou Signor Sarti, sont considérables. À Glasgow, c’est encore une fois la collection de William Hunter (son projet d’école et de musée à Londres ayant été refusé) qui se détache, tandis que les écoles de médecine (comme celles de John et Allan Burns ou du Glasgow Royal Infirmary) développent leurs collections. Les travaux de John Bell et John Barclay à Édimbourg, de Charles White, Joseph Jordan et Thomas Turner à Manchester, ou les recherches développées à Trinity College Dublin, permettent d’élaborer peu à peu des collections qui servent à former les étudiants en médecine. Ces collections se trouvent souvent réunies dans des espaces en pleine évolution, entre le domicile particulier des anatomistes et l’école d’anatomie, dans des lieux qui se redéfinissent eux-mêmes sans cesse, l’augmentation des spécimens d’anatomo-pathologie au cours du siècle menant souvent, dans les dernières décennies, à la séparation du normal et du pathologique. Pourtant, dans de nombreux sites l’homme et l’animal se retrouvent côte à côte, les collections croisant fréquemment anatomie, histoire naturelle, chirurgie ou science vétérinaire, les collections de crânes juxtaposant également de plus en plus différents types de restes humains au fil de la montée de l’ethnologie.

3C’est ensuite sur la fragmentation du corps humain et sa circulation qu’Alberti se penche, l’étude permettant de relire et remettre en perspective les débats actuels sur le marché du corps et de ses organes. Dès le XVIIIe siècle, les caricatures (voir celles de Thomas Rowlandson ou George Cruikshank) mettent en scène les travaux des anatomistes sur le corps, dénonçant leurs complices – les résurrectionnistes – et soulignant à l’envi les tensions entre science médicale et opinion publique quant aux usages du corps humain. Pour Alberti, ces débats se cristallisent tout particulièrement autour de la question de la fragmentation du corps humain. Le trafic de cadavres dès le XVIIIe siècle, tout particulièrement dénoncé par exemple dans l’affaire Burke et Hare (accusés de 17 meurtres commis en 1827 et 1828 pour les dissections du Dr Knox à Édimbourg), n’est qu’une première étape dans l’histoire des débats autour du voyage du corps humain, de sa conservation et de son exposition dans les musées. Car au XIXe siècle, le reste, le fragment, la ruine, s’esthétisent et s’exposent. D’où des poses souvent inspirées d’une tradition classique. Or les dons et échanges de restes humains, leurs ventes, constituant un marché médical grandissant servant à l’enseignement, ou – pire encore – l’éclatement de collections entières lors de ventes aux enchères (voir celle de la collection de Joshua Brookes), suggèrent l’interchangeabilité de certains restes et, surtout, l’effacement de l’identité du patient, dont le nom disparaît souvent (excepté dans les cas de restes célèbres) derrière celui de l’anatomiste, du conservateur ou du collectionneur. Cette réification totale ou partielle, l’identité vacillante de l’humain exposé ou vendu, vont alors de pair avec la transformation de la valeur du reste – qu’elle soit pédagogique, économique ou sociale.

4Dans le chapitre suivant, Alberti aborde l’évolution des méthodes de conservation des restes humains, et l’impact du formol (technique de Kaiserling) – qui vient peu à peu remplacer l’alcool –, comme l’utilisation de nouvelles techniques (gélatine, glycérine, congélation, etc.) – vulgarisées par le biais de manuels, tel celui de Frederick John Knox, The Anatomist’s Instructor ; and Museum Companion: Being Practical Directions for the Formation and Subsequent Management of Anatomical Museums (1836). Encore une fois, l’anatomiste est au centre de l’apprentissage, la familiarisation des étudiants avec les techniques de conservation faisant partie de la pratique et de l’étude de l’anatomie – ce qui justifie d’autant plus fortement la place des musées médicaux et de leurs collections anatomiques dans une histoire de la médecine. Alberti retrace ensuite l’histoire de l’agencement des espaces, les galeries mêlant les anatomies naturelles (normales ou pathologiques ; humaines ou animales) à d’autres supports (papier, cire, verre, cuir, etc.). La cartographie du corps, qui marque le XIXe siècle, s’observe à de multiples niveaux. Elle se présente dans des ouvrages qui proposent des atlas du corps : voir l’Anatomy (1858) de Henry Gray, l’Atlas of the Formation of the Human Body (1852) de Joseph Kahn ; elle s’impose dans les musées eux-mêmes. Des territoires sont délimités : le corps est découpé et partagé selon ses fonctions (circulatoire, digestive, urinaire, respiratoire…) plutôt que par organe (une organisation inspirée des anatomo-pathologistes français) ; le corps normal est mis à l’écart du corps pathologique, à une époque où le corps déviant prend une place de plus en plus prépondérante, alors que des espaces pour la maladie se découpent peu à peu. Par ailleurs, les restes humains, soigneusement exposés et rangés, sont également donnés à lire et à décoder grâce à d’autres supports dont Alberti analyse l’importance : des images aux modèles en trois dimensions, en passant par l’étiquette et le catalogue (certains allant jusqu’à 2000 pages). La confrontation des supports permet à Alberti d’évaluer leurs rôles respectifs, du réalisme et de la durabilité des moulages – notamment en dermatologie – à la fonctionnalité du papier.

5Enfin, Alberti examine la réception des musées médicaux, la dimension didactique des collections, qu’elles émanent du Collège Royal de Chirurgie ou de musées comme celui de J. Kahn, et la question du public, notamment féminin, exclu des formations médicales et de certains espaces à l’intérieur des musées. Si le musée médical est le symbole d’une culture visuelle, il est important, souligne Alberti, de prendre également en compte les liens entre l’évolution de ces espaces et la suppression de certaines stimulations sensorielles (comme les sons, les odeurs puis le toucher avec la standardisation de la présentation en vitrines et l’utilisation de cordes ou grilles), marquant une régulation du regard, une mise à distance du reste humain et du spectacle macabre ou morbide.

6L’ouvrage d’Alberti, proposant un parcours qui suit la constitution, le rôle et l’institutionnalisation des musées médicaux, met en lumière tout un pan de l’histoire et de la diffusion des savoirs médicaux sur le corps qui démontre l’importance des musées dans le développement de certaines disciplines scientifiques. En replaçant en contexte les collections anatomiques dans toute leur variété, Mordid Curiosities se révèle un outil de recherche indispensable à tout chercheur qui s’intéresse à la constitution des savoirs. Un ouvrage clair dont les références en notes et en bibliographie ne manqueront pas d’impressionner les lecteurs.

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Pour citer cet article

Référence papier

Laurence Talairach-Vielmas, « ALBERTI Samuel, Morbid Curiosities: Medical Museums in Nineteenth-Century Britain »Histoire, médecine et santé, 1 | 2012, 153-156.

Référence électronique

Laurence Talairach-Vielmas, « ALBERTI Samuel, Morbid Curiosities: Medical Museums in Nineteenth-Century Britain »Histoire, médecine et santé [En ligne], 1 | printemps 2012, mis en ligne le 01 juillet 2013, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/257 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.257

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Auteur

Laurence Talairach-Vielmas

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