CHAMAK Brigitte, Cent ans de recherches en cancérologie. Le rôle d’Antoine Lacassagne (1884-1971)
CHAMAK Brigitte, Cent ans de recherches en cancérologie. Le rôle d’Antoine Lacassagne (1884-1971), Paris, Éd. Glyphe, 2011, 169 p.
Texte intégral
1Depuis une vingtaine d’années, le cancer intéresse toujours plus les sociologues et les historiens. L’ouvrage de Brigitte Chamak propose de retracer l’histoire de la cancérologie française à travers l’étude d’une figure méconnue du grand public, Antoine Lacassagne.
2L’auteure, neurobiologiste de formation, a étudié entre autres les neurosciences et leurs acteurs en s’inspirant des méthodes historiques, sociologiques et philosophiques. Elle se spécialise aujourd’hui sur l’impact social des neurosciences à travers le rôle des associations de patients et sur les représentations de l’autisme. Son intérêt pour l’histoire du cancer se justifie par la dimension épistémologique que cette maladie a recouvert dès le début du XXe siècle dans les sciences médicales, d’où la volonté de livrer « une analyse des conditions scientifiques et sociales de l’élaboration de ce projet d’une médecine scientifique du cancer ». Cette initiative fait écho à celle de Patrice Pinell en 1992, qui, par la publication de Naissance d’un fléau : histoire de la lutte contre le cancer en France (1890-1940), devenu ouvrage de référence, a procédé à une analyse socio-historique des premiers pas de la lutte contre le cancer. Il a notamment éclairé les mutations du champ médical et de l’univers hospitalier à travers la mise en place des centres anticancéreux. L’approche de Brigitte Chamak trouve son originalité dans le fait qu’elle privilégie un objet d’étude plus resserré, celui d’une personnalité médicale.
3Cette recherche longue et complexe, a été menée grâce à la découverte d’archives personnelles d’Antoine Lacassagne à l’Institut Pasteur en 1998. Ce corpus a été complété par l’analyse de ses publications dans deux revues majeures : les Comptes Rendus de la Société de Biologie et les Comptes Rendus de l’Académie des Sciences. Selon Brigitte Chamak, l’ensemble de ces articles « donne l’opportunité de suivre pas à pas ses recherches et de disposer d’une matière relativement brute ». De plus, leur « abondance et régularité permettent de suivre les transformations des questions posées par les cancérologues et l’évolution des idées dans ce domaine. » Ainsi, les recherches d’Antoine Lacassagne, à travers leurs motivations et la manière dont elles ont été entreprises, permettent de mettre en évidence le contexte de la recherche en cancérologie durant la majeure partie du XXe siècle.
4L’ouvrage débute par une courte présentation de l’environnement familial du chercheur. Fils d’un médecin qualifié de « père fondateur » de l’anthropologie criminelle, neveu d’un professeur de clinique ophtalmologique à la faculté de médecine de Lyon, la carrière d’Antoine Lacassagne semblait toute tracée sur la voie des disciples d’Hippocrate. Toutefois, son orientation vers les études en laboratoire et son engouement pour l’histologie et l’anatomo-pathologie, conduites à Lyon par le professeur Claudius Regaud, sont révélateurs d’une médecine en plein bouleversement technique en ce début du XXe siècle. L’auteure aborde ensuite la révolution technologique que constitue l’utilisation des rayons à travers les études et les expériences menées avec Claudius Regaud à l’Institut du Radium. Brigitte Chamak replace l’évolution de ces pratiques dans le contexte international. Elle rappelle également l’importance de la Grande Guerre dans la mise en commun des savoirs, ainsi que dans la création des centres de lutte contre le cancer qui accordent une place de premier choix aux laboratoires et aux rayons. La troisième partie de cette monographie, plus générale, examine les différents questionnements sur la genèse des cancers au fil des siècles.
5Ce bref rappel permet alors d’appréhender de manière détaillée, dans un chapitre majeur, les travaux d’Antoine Lacassagne durant l’entre-deux-guerres. Les études réalisées à la Fondation Curie avec les radiations (rayons X et radium) conduisent à améliorer les techniques de traitement des cancers en analysant précisément les modalités de leur action sur les cellules et les tissus cancéreux. La curiethérapie est ainsi mise au point. Elle consiste en l’application de matière radioactive sur les régions cancérisées, selon des éloignements et des temps d’exposition très précis. Il s’ensuit également une meilleure connaissance des néoplasmes qui se traduit par l’élaboration d’une classification des cancers, chaque tumeur possédant une radiosensibilité différente. Grâce à cette cancérologie expérimentale, Antoine Lacassagne distingue, en 1932, le rôle d’une hormone, la folliculine, dans la formation des cancers mammaires chez la souris. À partir de cette thèse, le chercheur envisage de prévenir ou de combattre l’action cancérigène d’une hormone par son pendant antagoniste. Il impulse ainsi les travaux sur l’hormonothérapie qui ont animé une partie de la recherche en cancérologie durant les années 1930.
6Dans un autre chapitre, Brigitte Chamak expose la scission, devenant de plus en plus nette, entre la clinique et la recherche. Cette situation s’illustre, en 1935, par la volonté d’Antoine Lacassagne de ne plus effectuer sa visite hebdomadaire à l’hôpital Pasteur. Jugeant les services trop défectueux pour en assumer la responsabilité, il désire ne se consacrer qu’à la recherche. La Seconde Guerre mondiale et plus particulièrement l’Occupation sont abordées. Selon l’auteure, le cas d’Antoine Lacassagne permet d’infirmer que la seule possibilité de poursuivre un travail scientifique à l’époque réside dans l’exil. Antoine Lacassagne continue de diriger le laboratoire Pasteur de l’Institut du Radium durant toute la période, mais le manque de personnel ainsi que la Débâcle le conduisent à organiser le repli partiel de la Fondation Curie. Toutefois, il peut poursuivre ses recherches sur les processus de cancérisation et l’élaboration de nouvelles thérapies ; en 1941, il est nommé professeur au Collège de France. Les travaux scientifiques se maintenant tant bien que mal et la thérapeutique devenant de plus en plus onéreuse, le chercheur se positionne en faveur d’une dissociation des services de recherche et de thérapie à la Fondation Curie. Il souhaite se destiner à la recherche en chimiothérapie, nouveau terrain prometteur. Ce revirement intervient à un moment où les dangers des radiations sont pointés du doigt à la suite des catastrophes atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki. Toute une série de constats sur les limites de l’utilisation des rayons dans les traitements, depuis le début du XXe siècle, vient également nourrir ce débat. Un ultime chapitre présente les dernières recherches d’Antoine Lacassagne sur le cancer du foie, sa retraite et la fin de sa vie jusqu’à son suicide en 1971.
7À travers l’étude d’une personnalité médicale de renommée internationale, Brigitte Chamak parvient à incarner l’histoire de la recherche en cancérologie. Les choix de carrière ainsi que les orientations scientifiques d’Antoine Lacassagne permettent de présenter une médecine du cancer qui subit une double mutation durant la période étudiée : l’apport technologique par l’introduction des rayons ; la césure entre médecines clinique et expérimentale, qui se dessine progressivement jusqu’à devenir officielle avec le tournant de la chimiothérapie. Cet ouvrage apporte sa pierre à l’édifice d’une histoire des idées centrée sur le cancer dans les pas des études de Ton Van Elvoort en Allemagne ou de Jean-Paul Gaudillière et d’Ilana Löwy en France. Elle a le mérite de proposer un nouvel d’angle d’approche, alliant perspective biographique et réflexion historique sur la construction des savoirs médicaux.
Pour citer cet article
Référence papier
Olivier Munoz, « CHAMAK Brigitte, Cent ans de recherches en cancérologie. Le rôle d’Antoine Lacassagne (1884-1971) », Histoire, médecine et santé, 1 | 2012, 151-153.
Référence électronique
Olivier Munoz, « CHAMAK Brigitte, Cent ans de recherches en cancérologie. Le rôle d’Antoine Lacassagne (1884-1971) », Histoire, médecine et santé [En ligne], 1 | printemps 2012, mis en ligne le 01 juillet 2013, consulté le 25 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/253 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.253
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