Jacques Bernier, Médecines et idéologies. La tuberculose au Québec, xviiie-xxe siècles
Jacques Bernier, Médecines et idéologies. La tuberculose au Québec, xviiie-xxe siècles, Presses de l’Université de Laval, 2018, 232 pages.
Texte intégral
1En parcourant les statistiques du nombre de victimes de la tuberculose dans les différentes provinces canadiennes, qu’il fournit en annexe, Jacques Bernier attire notre attention sur le fossé qui sépare le Québec du reste du pays. De 1900 à 1960, la province québécoise se trouve au-dessus de la moyenne nationale des cas de décès liés à la tuberculose. C’est de ce constat que naît Médecines et idéologies. La tuberculose au Québec xviiie-xxe siècles. Le but de son travail est de comprendre comment les écarts se sont creusés, non seulement en pointant du doigt les différentes stratégies de santé publique mises en œuvre par les autorités locales de chaque province, mais en allant également chercher l’origine de ces divergences à leur racine, en remontant le fil de la compréhension de la pathologie étudiée, des tâtonnements de la médecine néo-hippocratique à la découverte des traitements antibiotiques.
2Pour ce faire, Bernier remonte tout d’abord jusqu’au xviiie siècle, époque à laquelle la tuberculose interpelle la profession médicale et l’incite à se prononcer sur une maladie vue comme le mal du siècle. À travers douze traités de médecine publiés par des diplômés de médecine en Europe entre 1672 et 1799, Bernier fait état de la diversité des théories pré-datant les découvertes bactériologiques de la seconde moitié du xixe siècle. Par souci de clarté, ces théories sont classées sous quatre grandes catégories : les thèses contagionnistes, les thèses constitutionnelles, la disposition héréditaire, ainsi que les comportements. L’auteur nous rappelle qu’elles s’entremêlent souvent, et s’actualisent également en fonction des découvertes faites au fil du siècle. En s’appuyant sur l’exemple de la thèse contagionniste, prévalente sur le bassin méditerranéen mais longuement refusée dans les pays adeptes du laisser-faire, Bernier souligne que la notoriété de certaines thèses dépend d’une région à l’autre, ce qui explique du moins en partie les différences de pratique en matière de santé publique. C’est dans cette optique qu’il s’attache à répertorier les idées les plus diffusées au Québec, ayant pu avoir un impact sur la conception de la tuberculose par la suite. Face à l’absence de traités publiés à l’époque au Canada, il s’appuie sur des inventaires après décès et catalogues de bibliothèques pour dégager deux courants de pensée semblant avoir dominé dans la profession médicale au Québec à l’époque : l’un trouve plusieurs causes possibles à la tuberculose, l’autre en fait le résultat de « difficultés d’ordre physiologiques » (p. 31).
3Suivant le fil chronologique, le voyage continue ensuite au cœur du xixe siècle, marqué par des avancées majeures dans la compréhension de la tuberculose, des travaux de Gaspard-Laurent Bayle sur les lésions pulmonaires laissées par la maladie jusqu’à l’identification du bacille à l’origine de l’infection par Robert Koch en 1882. L’auteur prend soin de s’attarder sur les travaux de Jean-Antoine Villemin, pierre angulaire de la théorie contagionniste, qui démontra la contagiosité de la tuberculose en 1865. De manière claire et succincte, Bernier résume ainsi les thèses et idées déconstruites et invalidées par Villemin, dont le lecteur pourra trouver des extraits en annexe, ainsi que la découverte de Koch. Après avoir décrit ces avancées eurocentrées, le chapitre se tourne vers leur réception et diffusion au Québec. Bernier va là aussi chercher dans les inventaires après décès et ceux des bibliothèques afin de déterminer quels ouvrages étaient en circulation à l’époque, mais il consulte également les revues scientifiques qui fleurissent au xixe siècle, et attestent d’un intérêt grandissant pour la théorie de la contagion, sans pour autant délaisser les thèses rivales, telles que l’hérédité. Alors même que les découvertes majeures de Villemin et Koch font grand bruit, les thèses adverses à la contagion ne font pas que survivre, mais fusionnent en une seule pour faire de la tuberculose une « maladie constitutionnelle ».
4L’histoire de la tuberculose au xixe siècle ne serait cependant pas complète sans une estimation du nombre de décès causés par la pathologie à l’époque, afin de nous donner une idée de l’ampleur du problème. Au Canada comme ailleurs, ces chiffres font débat, et sont manipulés avec précaution. La difficulté à établir des statistiques précises réside dans le sous-enregistrement des décès, ainsi que le manque d’information concernant la cause des décès. Jean-Noël Biraben, pour la France, et Linda Bryder, pour la Grande-Bretagne, ont aussi soulevé le problème de la dissimulation des cas de tuberculose par les familles. Afin de vérifier la validité de ces problèmes, et d’autres qu’il liste avec soin, Bernier nous livre une étude de cas détaillée, basée sur les registres d’un cimetière de la ville de Québec, choisi pour la qualité de ses registres. Ses minutieuses analyses statistiques tendent à prouver que les termes employés pour désigner les décès dus à la tuberculose pulmonaire sont souvent précis et ne démontrent aucun stigma associé à la pathologie. Il arrive également à la conclusion que les statistiques tirées des recensements décennaux du Canada sont globalement plus fiables que ce que l’on pourrait penser.
5La période 1900-1950 est abordée sous deux angles différents : la vision médicale de la tuberculose puis sa prise en compte sociale. Il sera peut-être surprenant d’apprendre que la médecine, jusqu’à l’avènement des traitements antibiotiques à la fin des années 1940, tentera d’ancrer les nouveaux savoirs de l’ère de Koch aux anciennes croyances. Ce mariage sera officiellement scellé par le rapport de la Commission royale de la tuberculose (1909-1910), que l’auteur examine et dont les conclusions sont, elles aussi, à consulter en annexe. Plutôt que de stopper la propagation de la tuberculose, le corps médical concentre ses efforts sur la recherche de traitements effectifs, médicamenteux autant que chirurgicaux, tous décrits par Bernier qui nous livre également des chiffres précis sur l’ampleur des actes hospitaliers.
6Le dernier chapitre, et celui qui pose certainement le plus de questions aujourd’hui, se penche sur la mobilisation contre la tuberculose à l’échelle du Canada. Les médecins, encore sceptiques quant à la contagiosité de la maladie qui leur imposerait, en plus de la mission de guérir leurs patients, de protéger la population, peinent à respecter l’obligation de déclarer les cas de tuberculose (rajoutée en 1901 à la liste des maladies à déclaration obligatoire). Face à la non-intervention des services publics, qui jugent que la santé est du ressort de l’individu et de sa famille, ce sont les élites qui s’organisent en ligues et associations qui fleurissent dans la première décennie du siècle dernier. Bernier en raconte les actions, de la sensibilisation par les gazettes et expositions à la construction de sanatoriums. La pression exercée par ces groupes sur le gouvernement finira par pousser le gouvernement à créer la « division de la Tuberculose » en 1938 au sein du ministère de la Santé et du Bien-être social (1936). Cette division, formée par une vingtaine de médecins, harmonisera les pratiques de prise en charge des patients atteints de tuberculose active. Du nombre de lits à la problématique de la tuberculose animale, Bernier ne laisse aucune question sans réponse.
7À l’époque où l’hésitation vaccinale défraie la chronique, où la tuberculose fait encore plus d’un million de morts dans le monde et menace de faire son grand retour sous une forme résistante aux antibiotiques, Médecines et idéologies. La tuberculose au Québec xviiie-xxe siècles s’impose comme un travail d’intérêt historique mais avant tout de santé publique. La rigueur de Jacques Bernier, ainsi que son style clair et synthétique sauront convaincre spécialistes comme amateurs.
Pour citer cet article
Référence papier
Alice Fauré, « Jacques Bernier, Médecines et idéologies. La tuberculose au Québec, xviiie-xxe siècles », Histoire, médecine et santé, 15 | 2020, 165-167.
Référence électronique
Alice Fauré, « Jacques Bernier, Médecines et idéologies. La tuberculose au Québec, xviiie-xxe siècles », Histoire, médecine et santé [En ligne], 15 | été 2019, mis en ligne le 24 septembre 2020, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/2382 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.2382
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