Madline Favre, Suzanne Necker et son hospice de charité
Madline Favre, Suzanne Necker et son hospice de charité, Slatkine, Genève, 2018, 162 pages.
Texte intégral
- 1 Sona Boon, The Life of Mme Necker: Sin, Redemption and the Parisian Salon, Londres, Pickering & Cha (...)
- 2 Catherine Dubeau, La lettre et la mère : roman familial et écriture de la passion chez Suzanne Neck (...)
1Suzanne Necker et son hospice de charité est un ouvrage issu d’un mémoire de maîtrise en histoire soutenu en 2017 à l’Université de Lausanne par Madline Favre. L’autrice étudie le personnage de Suzanne Necker non plus en tant qu’épouse du ministre des Finances ou mère de la future Mme de Staël, à la tête du célèbre salon parisien, mais en tant que femme ayant des activités dans les domaines de l’assistance sanitaire et de la philanthropie. Le propos se focalise sur l’hospice de charité fondé par Mme Necker à Paris en 1778, un projet expérimental en matière de santé publique et de bienfaisance. Il s’agit de rompre avec une historiographie qui, jusque dans les années 2000, faisait de Mme Necker une figure austère, et de contribuer au mouvement de redécouverte de ce personnage, étudié pour lui-même, comme le font, par exemple, Sonja Boon1 ou Catherine Dubeau2.
2Décrire l’ensemble des liens (culturel, politique, scientifique, religieux, psychologique) unissant Mme Necker à son hospice : telle est l’ambition de l’ouvrage. L’étude repose sur la mobilisation de la correspondance privée de Mme Necker mettant en lumière la façon dont celle-ci a vécu son expérience d’administratrice de l’hospice mais aussi sa relation avec la Sœur Cassegrain, Supérieure de l’hospice, en charge de sa gestion quotidienne.
3Dans une première partie (« Les relations entre Mme Necker et son hospice »), Madline Favre s’interroge sur la légitimité de Mme Necker à créer un hospice, à ses motivations intrinsèques et extrinsèques, à ses compétences. Épouse du ministre chargé de la réforme des hôpitaux, fervente protestante, Mme Necker s’impose le devoir de contribuer à l’amélioration des conditions sanitaires des populations. Sa connaissance des questions médicales, son statut de femme prétendument dotée des vertus de bienfaisance, de bonté et d’empathie, son investissement dans la pratique de la philanthropie à Paris, ses capacités d’organisation viennent justifier son intervention. L’originalité du propos de Madline Favre est d’étudier les répercussions de la création de ce lieu d’assistance sur la vie personnelle de Mme Necker.
4Tout d’abord, celle-ci est reconnue publiquement pour une action qui l’extrait de la sphère exclusivement féminine de la bienfaisance. Administratrice de son hospice, Mme Necker contribue à réaliser un projet voulu et financé par le roi dont elle assure la publicité par des publications sous son propre nom à partir de 1780. Si les éloges adressés à Mme Necker par les membres de son salon soulignent surtout ses qualités dites « féminines » (bienfaisance, modestie, bonté), Madline Favre montre qu’elle est aussi placée au même niveau que son mari en ce qui concerne ses actions de bienfaisance. Pour cela, elle s’appuie sur les écrits de ses proches (Diderot, Thomas, Buffon) mais aussi sur les objets usuels de l’hospice et l’iconographie. Mme Necker est vue comme la collaboratrice de son mari dont elle relaie le projet de modernisation des hôpitaux. Le couple ministre de la Charité/ministre des Finances s’équilibre et se soutient.
5Ensuite, l’expertise de Mme Necker sur les hospices est aussi admise en province. Des sollicitations de religieuses, curés, administrateurs d’hôpitaux lui sont directement adressées, y compris dans des périodes où son mari n’est pas au pouvoir. En fondant, en 1785, un hôpital à Montpellier, ouvert à la seule communauté protestante de la ville, Mme Necker conjugue l’expérience acquise à Paris et ses aspirations personnelles pour étendre son champ d’action. À ce moment de la démonstration, la distinction entre « l’hospice » et « l’hôpital » est faite (p. 79) mais pourrait être nuancée. L’hospice reçoit les pauvres malades des paroisses Saint-Sulpice et du Gros-Caillou et non exclusivement les « infirmes ou vieillards ». Ils y sont soignés par des médecins réputés, tous titulaires du plus haut grade décerné par la faculté de Paris, le doctorat en médecine. De surcroît « régents », ils font partis de l’élite médicale reconnue apte à pouvoir enseigner la médecine au sein de la faculté de Paris. Jean Colombier, chargé de l’organisation du service médical de l’hospice de charité de Mme Necker dès sa création, s’est déjà illustré dans la lutte contre les épidémies de la généralité de Paris. Membre de la commission de 1777, mise en place par Jacques Necker, il participe aux réflexions sur la réforme hospitalière. En 1778, il a publié sur ordre du gouvernement, une Médecine militaire, où il traite des hôpitaux militaires. Le docteur François Doublet, médecin de l’hospice entre 1780 et 1783, est aussi sous-inspecteur des hôpitaux civils et des Maisons de Force du Royaume. Médecin consultant de l’hospice en 1781, François Thierry de Bussy est déjà médecin consultant du roi. Michel François Delaplanche, présent à l’hospice entre 1783 et 1786 (moment de son décès), est un jeune médecin, auteur d’une lettre sur la symphyséotomie adressée au Journal de médecine, en 1781. Lacaze, chirurgien en chef de l’hospice de 1780 à 1782, est le premier chirurgien du comte d’Artois.
6Madline Favre montre que, dès 1781, des pamphlets critiquent spécifiquement Mme Necker à la fois en tant qu’administratrice d’hospice et en tant que femme ayant investi la sphère publique grâce à ses propres actions, et, de fait, transgressé son statut. Ici, une comparaison avec d’autres cas aurait permis de souligner encore plus fortement la spécificité du cas de Mme Necker ou de la nuancer.
7L’étude des conséquences psychologiques de la gestion de l’hospice sur Mme Necker clôt cette partie. L’autrice revient sur le rapport personnel de Mme Necker avec la maladie en le mettant en perspective avec le soin des pauvres. Madline Favre fait de l’hospice une sorte de double de Mme Necker (un « prolongement de sa vie » p. 93), qui le régit de la même façon que sa propre existence. Pour Mme Necker, s’occuper des pauvres revient à soigner son propre corps et à se donner le moyen de supporter des traumatismes personnels.
- 3 Marie-Claude Dinet-Lecomte, Les sœurs hospitalières en France aux xviie et xviiie siècles. La chari (...)
8La deuxième partie concerne la figure de la Sœur Cassegrain, « intermédiaire entre Mme Necker et son hospice ». Le mode de gestion de l’hospice se dévoile à travers l’étude des relations entre les deux femmes. L’autrice insiste, en s’appuyant sur les travaux de Marie-Claude Dinet-Lecomte et Matthieu Brejon de Lavergnée3, sur la situation de Fille de la Charité de Sœur Cassegrain, un atout moral et financier pour Mme Necker. « Assistante chérie » (p. 113) de Mme Necker, Sœur Cassegrain est chargée de la gestion financière de l’hospice, de son bon fonctionnement et rend compte de la situation à l’administratrice et aux supérieurs ecclésiastiques. Les échanges épistolaires témoignent de la communication d’informations factuelles sur l’hospice, « professionnelles » (p. 121), à la demande de Mme Necker, et d’une relation amicale partagée. Sœur Cassegrain fait passer le service de Mme Necker avant son devoir religieux. La différence de confession n’est pas un obstacle car seul importe le partage d’une même conception de l’action charitable. La fin de cette relation, par le décès de la Sœur en 1790, marque le retrait de l’action charitable de Mme Necker.
9À travers son analyse, Madline Favre parvient à montrer comment Mme Necker a vécu son expérience de directrice de l’hospice de charité. Toutefois, on peut regretter qu’il ne soit rien dit des raisons du choix de cet hospice par Mme Necker, de ses relations avec les autorités religieuses et avec le personnel médical y travaillant. Cela tient à la nature des sources consultées relevant principalement de la correspondance privée, ce que souligne l’autrice. Celle-ci analyse finement les impacts de la fondation et de l’administration de l’hospice sur l’image publique de Mme Necker, indépendante de celle de son époux, dans une perspective d’histoire du genre. Faisant de l’hospice un prolongement d’elle-même, Mme Necker en organise le fonctionnement, la publicité, la surveillance grâce à de fréquentes visites et à l’aide de la Sœur Cassegrain, collaboratrice professionnelle, relais de ses ambitions charitables, et amie. Somme toute, Madline Favre renouvelle les études sur les établissements charitables en se situant du côté de leurs fondateurs, en mettant en valeur leurs expériences spécifiques et leurs impacts sur leur administration.
Notes
1 Sona Boon, The Life of Mme Necker: Sin, Redemption and the Parisian Salon, Londres, Pickering & Chatto, 2011.
2 Catherine Dubeau, La lettre et la mère : roman familial et écriture de la passion chez Suzanne Necker et Germaine de Staël, Québec/Paris, Presses de l’Université de Laval/Hermann, 2013.
3 Marie-Claude Dinet-Lecomte, Les sœurs hospitalières en France aux xviie et xviiie siècles. La charité en action, Paris, Honoré Champion, 2005 ; Matthieu Brejon de Lavergnée, Histoire des Filles de la Charité. La rue pour cloître, xviie-xviiie siècle, Paris, Fayard, 2011.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Isabelle Coquillard, « Madline Favre, Suzanne Necker et son hospice de charité », Histoire, médecine et santé, 15 | 2020, 162-164.
Référence électronique
Isabelle Coquillard, « Madline Favre, Suzanne Necker et son hospice de charité », Histoire, médecine et santé [En ligne], 15 | été 2019, mis en ligne le 24 septembre 2020, consulté le 18 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/2371 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.2371
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page