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Dossier thématique : Pudeurs

Incidences de l’imagerie médicale sur la pudeur dans la relation patients-soignants

Modesty, medical imaging and therapeutic relationship
Cécile Estival
p. 77-91

Résumés

Cet article analyse la question de la pudeur dans le contexte particulier de l’hôpital, où la nudité de l’individu est le plus souvent admise par les différents protagonistes. La pudeur est plus particulièrement étudiée au sein de services d’imagerie médicale. L’article montre en quoi l’utilisation de machines d’imagerie médicale induit certaines perceptions du corps et comment elle pose la question de la pudeur, tant du point de vue des soignants que des patients.

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Notes de la rédaction

Une partie de cet article a été publiée sous le titre « L’imagerie médicale ou l’illusion de la “déconstruction” du genre », dans Chrystelle Grenier-Torres, L’identité genrée au cœur des transformations, Paris, L’Harmattan, 2010, p. 75-90. Il s’agit ici de revenir sur ce premier article en y intégrant une réflexion sur le vécu de la pudeur en fonction du genre des malades.

Texte intégral

  • 2 ELIAS Norbert, La dynamique de l’Occident, Lonrai, Calmann-Lévy, 1991, p. 269 et p. 275.
  • 3 MERCADIER Catherine, Le travail émotionnel des soignants à l’hôpital. Le corps au cœur de l’interac (...)

1La consultation médicale et les examens médicaux sont des contextes particuliers où la nudité de l’individu – le patient – est jugée nécessaire par le corps médical et est le plus souvent admise par les différents protagonistes. Notre regard se portera sur les examens d’imagerie médicale, qui ont cette particularité de ne montrer non pas uniquement la nudité, c’est-à-dire le corps « externe » dévêtu, mais également le corps interne, dans ce qu’il a de « plus intime » selon la pensée populaire et parfois même scientifique. Pourtant, nous montrerons ici en quoi l’utilisation des machines d’imagerie médicale conduit le plus souvent à la perception d’un corps asexué. Comment, alors, le genre des soignants et des patients a-t-il des incidences sur leurs relations et leurs interactions ? L’article analysera également le ressenti des patients lorsqu’ils subissent un examen d’imagerie médicale. À travers les lignes qui vont suivre, nous tâcherons ainsi de montrer dans quelle mesure l’utilisation de l’imagerie médicale pose la question de la pudeur dans la relation thérapeutique et ce, de manière distincte selon le genre du patient. Il semble ainsi utile de rappeler quelques définitions de cette notion. Selon Norbert Elias, elle est « une excitation spécifique, une sorte d’angoisse qui se produit dans l’individu d’une manière automatique et habituelle dans certaines circonstances. […] Elle est une forme de déplaisir ou de peur provoquée et caractérisée par le fait que la personne qui redoute de voir manifester son infériorité est incapable de parer ce danger par une attaque physique ou autre ». Il associe à la notion de pudeur celle de gêne : « Les sentiments de gêne sont des sentiments déplaisants ou des craintes qui surgissent quand une autre personne enfreint ou s’apprête à enfreindre les tabous représentés par le “surmoi” »2. Catherine Mercadier écrit quant à elle que la pudeur « protège du regard de l’autre. […] La pudeur est un sentiment éminemment social : son intention est de soustraire à la perception des autres ce qui pourrait susciter la gêne »3.

Aspects méthodologiques

  • 4 Thèse soutenue en décembre 2008, à l’École des hautes études en sciences sociales et soutenue finan (...)

2Cet article est issu de ma thèse, qui vise à analyser l’influence de l’imagerie médicale sur la perception du corps et de la maladie ainsi que sur la manière dont interviennent les machines d’imagerie au sein des interactions entre patients, radiologues et manipulateurs en radiologie4. L’enquête de terrain (juin 2006-juillet 2007) au sein d’un centre de cancérologie situé en région parisienne, se constitue d’un travail d’observation au sein des différents services d’imagerie médicale (radiodiagnostic, radiologie interventionnelle et médecine nucléaire), ainsi que d’entretiens semi-directifs réalisés auprès de soignants et de patients.

3Le service de radiodiagnostic se divise en différentes branches : l’unité de scanner et d’IRM, de radiologie conventionnelle et de sénologie. Les examens radiologiques réalisés dans ce service permettent notamment de suivre l’évolution de la maladie et l’efficacité du traitement.

  • 5 BONNIN André, BROUSSOULOUX Claude et CONVARD Jean-Paul, Éthique et imagerie médicale, Paris, Masson (...)

4La radiologie interventionnelle peut être définie comme un « acte agressif à visée diagnostique et/ou thérapeutique qui consiste à introduire par effraction dans le corps du patient un instrument sous le contrôle d’une des techniques de l’imagerie médicale : radiologie, échographie, IRM… »5. Cette spécialité permet notamment d’apporter une aide au diagnostic avec des interventions telles que des biopsies ou des ponctions de liquides afin d’en faire une analyse histologique.

5Au service d’imagerie nucléaire, deux principaux examens sont réalisés : la TEP-scanner et la scintigraphie. Le premier favorise la localisation des cellules tumorales tout en analysant leur activité et leurs réactions face au traitement. La scintigraphie est souvent prescrite afin de détecter d’éventuelles métastases (bilan d’extension) mais elle peut être également à visée thérapeutique (administration d’un radiomédicament – iode radioactif – favorisant la destruction d’un site tumoral).

  • 6 La période d’observation en médecine nucléaire a été plus courte qu’au sein des autres services dan (...)

6Mon travail d’observation s’est étendu sur une durée de sept mois, durant lesquels ma présence était quotidienne. Au service de radiodiagnotic, ma période d’observation a duré deux mois ; celle-ci a été d’un mois en médecine nucléaire6 et de quatre mois en radiologie interventionelle. Selon les différents services au sein desquels j’ai mené mon étude, le port de la blouse était plus ou moins de mise en fonction de la place que j’occupais. Il n’a pas été proscrit, au contraire. Lorsque je me trouvais dans la même pièce que le patient, il m’a été recommandé de la revêtir afin de ne pas entraver le bon déroulement de l’examen. Ainsi, aux yeux du patient, je faisais partie du personnel soignant et ma présence ne le dérangeait en rien.

7L’échantillon de patients est composé de 92 malades, dont 65 femmes et 27 hommes. Ce déséquilibre s’explique en partie par le type de cancers des personnes ayant participé à l’étude : 21 femmes atteintes d’un cancer gynécologique et 18 femmes atteintes d’un cancer du sein. Pour les cancers touchant aussi bien les hommes que les femmes (digestif et colorectal, urologique, ORL et trois « autres »), la répartition était plus équilibrée, si ce n’est pour les cancers digestifs et colorectaux où davantage de femmes que d’hommes m’ont accordé un entretien. Les femmes avaient tendance en effet à participer avec un plus grand intérêt que les hommes à l’étude. Pour autant, ce déséquilibre n’a pas entravé l’analyse de la pudeur et du rapport au corps. 27 entretiens réalisés avec des hommes permettent l’analyse qualitative des discours. Bien que peu fréquent, le refus de participer à l’étude a été plus courant chez les hommes que chez les femmes. Une part du déséquilibre hommes/femmes est ainsi déjà en elle-même significative d’un rapport différent au corps et à la santé.

  • 7 MÈNORET Marie, Les temps du cancer, Paris, CNRS Éditions, 1999.
  • 8 AKRICH Madeleine et DODIER Nicolas, « Présentation », Techniques et cultures, éditions de la Maison (...)

8Cette étude est de nature qualitative, dans le sens où l’écoute des discours, des interactions entre les patients et les soignants, ainsi que l’analyse des entretiens permettent d’appréhender la façon dont se structurent et se définissent les perceptions du corps7. De même, l’observation des interactions permet d’étudier comment les machines d’imagerie constituent des médiatrices, « au sens où elles participent à la fois à la définition des pathologies et à des représentations élaborées du corps ou de parties du corps »8.

Corps sexué et pudeur dans la relation patient/manipulateur en radiologie

La préparation du patient : le travail des manipulateurs et des manipulatrices

  • 9 Spécialité d’imagerie médicale à visée diagnostique et thérapeutique.
  • 10 BROHM Jean-Marie, Le corps analyseur. Essais de sociologie critique, Paris, Economica, 2001, p. 49.

9Que ce soit au service de radiodiagnostic, de radiologie interventionnelle9 ou de médecine nucléaire, le patient à examiner passe par un temps de préparation, dont les manipulateurs en radiologie sont chargés. Au sein des services de radiodiagnostic et de médecine nucléaire, le patient est souvent contraint de se dénuder dans un déshabilloir et de revêtir une blouse. Les manipulateurs en radiologie leur font par la suite, lorsque cela est nécessaire, une perfusion afin d’injecter un produit de contraste qui permet de rendre la pathologie plus visible sur le cliché. Durant ce temps, le manipulateur est en contact très étroit avec le patient ainsi qu’avec le corps « physique » et « réel ». Pour Jean-Marie Brohm, le corps réel, ou corps-chose « c’est aussi le corps objectif cher aux anatomo-physiologistes. Corps substance qu’on peut inciser, diviser, ouvrir, manipuler, un peu comme une chose, ou pire, comme de la viande dépecée. Ce corps réel a des frontières, des surfaces, des organes, des capacités mesurables, des fonctions identifiables, une identité sexuelle plus ou moins prononcée, un âge, etc. »10.

10En imagerie interventionnelle, le temps de préparation du patient existe également et nécessite davantage de gestes : désinfection de la partie du corps sur laquelle va se produire l’intervention chirurgicale, explication de l’acte, rasage éventuel de certaines parties du corps. Cette dernière tâche revient souvent aux infirmiers, voire au patient lui-même. Au sein du service d’imagerie interventionnelle, le travail des manipulateurs en radiologie se distingue en quelques points de celui effectué dans les services de radiodiagnostic et de médecine nucléaire. En effet, le rôle du manipulateur est également d’assister le radiologue durant l’intervention : lui donner les instruments nécessaires, réaliser les clichés, sélectionner les images adéquates qui permettent au radiologue de suivre son intervention.

Le rapport à la nudité

11Avant tout examen d’imagerie, quel que soit le service, le patient est contraint de se dévêtir. Toutefois, ce degré de dénudation varie selon le service : en radiodiagnostic, le patient est soit en sous-vêtements – excepté le soutien-gorge – sous une blouse lorsqu’il subit un scanner ou une imagerie par résonance magnétique (IRM), soit partiellement habillé lorsqu’il passe une radiographie ou une échographie.

  • 11 POUCHELLE Marie-Christine, L’hôpital corps et âme. Essais d’anthropologie hospitalière, Paris, Seli (...)
  • 12 MULLER Patrice, « Corps approchés », dans « Expériences du corps », Raison présente, 104, 1992, p.  (...)

12Le port de la blouse est nécessaire dans la mesure où les objets métalliques pouvant se trouver sur les vêtements sont interdits dans les appareils de scanner et d’IRM. D’après des discussions informelles tenues avec des manipulateurs et manipulatrices en radiologie durant mes observations au sein du service de radiodiagnostic, certains patients, refusant de se dévêtir, s’habillent en conséquence et font en sorte de ne rien porter de métallique sur leurs vêtements. En revanche, en imagerie interventionnelle, le patient peut être entièrement dénudé, sous un champ stérile qui le recouvre entièrement, à l’exception du visage et de la partie du corps sur laquelle l’intervention se déroule. Le radiologue ne travaille alors que sur cette partie, qui est « détachée » du reste du corps dans le sens où elle seule est visible. D’après les propos de Marie-Christine Pouchelle, il travaille sur un morceau de corps, « relativement isolé du reste de la personne, et en ce sens sur une abstraction »11. Un processus de morcellement du corps se produit : le radiologue ne travaille pas sur un corps entier mais sur une partie du corps, dont la délimitation est marquée par le drap stérile recouvrant le patient. Quant au moment de la préparation du patient, le manipulateur en radiologie se focalise sur la partie du corps à examiner, ce qui conduit à l’effacement de la notion de personne. Le morcellement du corps peut ainsi s’opérer de multiples façons : focalisation sur la partie du corps à examiner et sur sa préparation (pose d’une perfusion, par exemple), délimitation d’une partie du corps et mise à distance du reste du corps par le champ stérile et déshabillage partiel n’en dévoilant qu’une partie. Selon Patrice Muller, « cette segmentation du corps permet de rester dans le registre de l’organe à vérifier (à l’opposé du rapport amoureux où le corps s’expose dans une nudité progressivement totale et est disponible sur toute sa surface pour les jeux de l’amour) »12. Ce stratagème favorise le passage d’un registre à un autre – registre de la vie quotidienne au registre médical.

  • 13 Entretien avec un manipulateur de 46 ans du service de radiodiagnostic.

13Examinons dans un premier temps cette situation assez inhabituelle, observée au service d’IRM : avant la prise des clichés, les manipulateurs accompagnent les patients au déshabilloir afin qu’ils se dévêtent et qu’ils mettent une blouse pour se rendre à la salle d’examen où se trouve la machine. Une patiente a préfèré rester en culotte pour se rendre à la salle d’examen. Cette attitude, qui rompt avec le cadre habituel de la « consultation » qui veut que les patients soient en blouse, a induit de la gêne chez le manipulateur. L’extrait d’entretien suivant montre également une gêne éprouvée par un manipulateur face à la nuidité des patients : « Si le mec, il se balade à poil, non, je ne suis pas d’accord. Tu ne vois pas la nudité, je ne veux pas la voir. Ça m’énerve toujours quand un malade se balade pas habillé »13. Lors de mes observations au service de médecine nucléaire, un jeune manipulateur m’avoua que réaliser des examens portant sur la poitrine des femmes le gênait du fait des dimensions sexuées qui sont attachées à cet organe. Par ailleurs, il est apparu lors des entretiens que nombreuses sont les patientes rencontrées à l’unité de sénologie qui admettent préférer passer leur examen avec une manipulatrice plutôt qu’avec un manipulateur.

  • 14 La moindre gêne durant le temps de parole est certainement, ici, davantage liée à la parole qu’au g (...)
  • 15 KATTAN-FARHAT Madeleine, « Territoires et scénarios de rencontre dans une unité de soin », dans COS (...)
  • 16 MERCADIER Catherine, Le travail émotionnel…, op. cit., p. 221.

14Lors d’une mammographie, beaucoup de femmes, après avoir ôté le haut de leur tenue vestimentaire dans le déshabilloir, cachent leurs seins avec leurs mains en entrant dans la salle d’examen mais ne le font plus en retournant dans ce déshabilloir une fois l’examen terminé. Ce qui peut paraître davantage surprenant, c’est que certaines ne les cachent plus une fois le cliché pris, lorsqu’elles parlent avec la manipulatrice de sujets divers tels que leurs dernières vacances ou leurs prochains rendez-vous. Les seins sont l’objet de la pudeur en entrant et, dans une moindre mesure en sortant de la salle d’examen, mais ce sentiment disparaît lorsqu’elles discutent avec la manipulatrice14, comme s’ils n’étaient plus l’objet de l’examen. Durant ce laps de temps, l’interaction devient « personnelle », elle sort, d’un point de vue communicationnel, du cadre purement médical15. Catherine Mercadier ajoute que la parole peut être utilisée par les soignants pour diminuer le malaise provoqué par la situation. Selon elle, « la parole agit de manière interactive ; en détournant l’attention de la source de la gêne (nudité, plaie horrible, excrétas), elle diminue simultanément la gêne du soignant et du soigné. […] Cette parole est de l’ordre de la conversation mondaine. […] Elle est une parole vide qui vient remplir le vide creusé par l’angoisse de la situation »16.

  • 17 GOFFMAN Erwin, Les rites d’interaction, Paris, Éditions de Minuit, 1974.
  • 18 STRAUSS Anselm, Miroirs et masques. Une introduction à l’interactionnisme, Paris, Métailié, 1992.
  • 19 LE TREUT et al., « L’incidence oblique externe », dans L’imagerie du sein, Institut de formation de (...)
  • 20 DILHUYDY et al., « Conseils pour réaliser et lire correctement une mammographie », ibidem, p. 73.

15Ces exemples mettent en lumière l’existence des sentiments de pudeur et de gêne ressentis par les soignants, alors même que, selon Erwin Goffman, les statuts de patients et de médecins – de manipulateurs dans le cadre de cette étude – dissimuleraient toute relation sexuelle au profit d’une relation médicale. Lorsqu’un individu entre en relation avec un autre, il ne le fait pas en tant que personne globale, mais selon une identité particulière17. Les analyses d’Anselm Strauss, et en particulier son concept d’interaction à structure simple ou multiple, peuvent alors être mobilisées afin de comprendre les situations exposées ci-dessus. Selon lui, les individus possèdent diverses identités (professionnelle, de genre, etc.). Lorsqu’ils ne font ressortir qu’une seule de ces identités, il parle d’interaction à structure simple. Au contraire, lorsqu’ils mettent en avant plusieurs de leurs identités, il parle d’interaction à structure multiple18. Les situations exposées sont des exemples d’interactions à structure multiple (patient-femme, manipulateur-homme) qui permettent de comprendre la gêne ressentie par ces manipulateurs. Dans cette spécialité, sont réalisées principalement des échographies mammaires – effectuées par des radiologues par le biais d’une sonde utilisant des ultrasons – et des mammographies – radiographies permettant d’obtenir des images de la stucture interne du sein. Ce dernier type d’examen amène le manipulateur à être particulièrement en contact avec le corps de la patiente. D’après un rapport de formation sur l’imagerie du sein et sur la façon dont il doit procéder afin de réaliser au mieux la mammographie, il est explicité très clairement comment ce dernier doit positionner le sein sur l’appareil : « Le manipulateur mobilise les parties mobiles externe et inférieure du sein et étale avec la main à plat le sein sur le porte-film en faisant légèrement tourner la patiente, ce qui engage une partie du muscle grand pectoral. […] La main du manipulateur maintient le plus longtemps possible le sein en position correcte »19. « Il faut manipuler la patiente avec des mains non hésitantes mais douces. […] On apprécie aussi la souplesse et la mobilité du sein, le glissement des parties mobiles, externes et inférieures. […] On obtient le relâchement nécessaire en décontractant le pectoral et en tirant le sein vers l’avant, vers le haut et en dedans, pour le décoller au mieux de la paroi »20.

16Ces quelques extraits témoignent d’un contact physique très marqué entre le manipulateur et la patiente lors d’une mammographie ainsi que d’une réelle manipulation de celle-ci et de son sein. Le terme de « manipulateur en radiologie » prend ici tout son sens : la machine est manipulée mais aussi – et surtout – le corps. C’est très probablement pour cette raison qu’il a été décidé au sein de cet Institut que seules des femmes exerceraient ce métier à l’unité de sénologie. Une manipulation particulièrement marquée du sein ainsi que les dimensions érotique et féminine attachées à cet organe font que la question du genre – des patientes et des manipulateurs – participe de l’organisation sociale au sein de l’hôpital et a des incidences sur leur relation et leurs interactions.

  • 21 MERCADIER Catherine, Le travail émotionnel…, op. cit., p. 188.

17Bien que les sentiments de gêne soient parfois présents chez les manipulateurs en radiologie, l’utilisation d’une machine d’imagerie médicale tend à modifier le rapport à l’autre et à la pathologie et favorise le détachement nécessaire au métier de manipulateur. De ce point de vue, les manipulateurs, de par l’utilisation de ces machines, entre autres, semblent se positionner entre, d’un côté, les infirmiers et, de l’autre, les médecins. En effet, le rapport à l’autre et à la maladie ou à la mort, pour ces deux professions, s’inscrit dans deux approches très distinctes l’une de l’autre, qui trouvent leur origine dans leur formation. Catherine Mercadier montre que le premier contact des infirmiers avec un corps se fait lors des toilettes, donc, sur un corps vivant. Ils sont également confrontés à la mort « dans un contexte ordinaire » : les décès des patients au sein des services. Pour les médecins, ce premier contact s’établit sur un cadavre, lors des séances de dissections anatomiques. Dans ce dernier contexte, le corps est très fortement déshumanisé. Dès lors, la distance entre le soignant et le patient (décédé ou non) est beaucoup plus marqué chez les médecins : « Ce côtoiement de la mort, dans une ambiance où se mêlent l’effroi et la franche rigolade, permet assurément de prendre ensuite une plus grande distance »21. L’auteure ajoute que cette distance devient une norme. Le rapport au patient et à la maladie observé chez les manipulateurs semble donc se situer entre celui des infirmiers et des médecins, ce qui est principalement dû à l’utilisation des machines d’imagerie médicale. L’une des dimensions du métier les conduit à être en contact étroit avec les malades (la préparation du patient). L’autre dimension (la prise des clichés), les amène à s’éloigner géographiquement et symboliquement (entendre le verbe « s’éloigner » au sens propre et figuré) des patients.

Vers un corps asexué

  • 22 En 1910, le Français Jean Clunet fut le premier à avoir fait apparaître une tumeur maligne sous les (...)
  • 23 BROUSSOULOUX Claude et BONNIN André, Le corps humain est-il transparent ?, Paris, Robert Laffont, 1 (...)

18Les premières techniques d’imagerie utilisaient les rayons X pour la radiographie. Ce fut par hasard que Roentgen, en 1895, durant des expériences, découvrit la façon dont les rayons X permettaient de visualiser l’intérieur du corps humain22. Cest ainsi que la photo de la main « interne » de sa femme – le premier cliché radiographique – fut publié dans la presse scientifique. Cette invention engendra à la fois de la fascination pour les scientifiques – mais aussi pour les profanes, qui trouvaient extraordinaire de pouvoir voir l’intérieur du corps humain, ce qui était jusqu’alors impensable – et un sentiment de rejet et d’horreur. En effet, cette possibilité de voir ce qui était jusqu’alors invisible renvoyait à une sorte de violation de l’identité et de ce tout ce qu’il y a de plus privé et d’intime chez l’individu. A priori, observer l’intérieur du corps semble renvoyer, encore aujourd’hui, à cette idée : « C’est une vision plus intime que celle que le sujet examiné peut avoir de lui-même. […] Classé X ce pouvoir-plaisir ? Non dénué d’ambiguïté, d’observer ce que les autres ne peuvent voir ! »23

19L’enquête de terrain a permis de prendre connaissance du point de vue des manipulateurs et manipulatrices en radiologie quant à cette question. Quelques-uns semblent réfuter cette thèse :

  • 24 Entretien avec un manipulateur en radiologie, service de radiodiagnostic, 27 ans.

Il y a des parties qui sont un peu plus… moins simples à aborder avec le patient, les tumeurs dans les régions intimes du corps, ce n’est pas simple pour le côté relationnel avec le patient, surtout lorsqu’on est face au sexe opposé. Ce n’est pas simple à gérer parce qu’il y a aussi la gêne du patient à gérer. Après, lorsqu’on a réussi à gérer le patient, le côté technique, le côté imagerie, ça ne nous gêne pas, il n’y a pas de problèmes24.

  • 25 Entretien avec une manipulatrice en radiologie, service de radiodiagnostic, 23 ans. Il est à noter (...)

Faire un lavement, c’est délicat parce que, c’est bizarre parce qu’on voit à l’intérieur des gens quand on fait ce métier. Tu fais la radio, le scanner, tu vois tout. Il y a des zones qui restent intimes, ce n’est pas violer leur intimité, tu les préviens les gens, mais c’est la seule partie qu’ils ont à eux et qu’on ne peut pas voir. Le fait d’y aller, je ne sais pas, je n’ai jamais fait de lavement mais ce n’est pas agréable25.

  • 26 Il s’agit d’introduire par l’anus une canule.

20Pour ces manipulateurs en radiologie, certaines parties du corps du patient sont intimes et induisent de la gêne à la fois pour eux et pour le malade, durant le temps de la préparation à l’examen. Une fois cette préparation réalisée, les manipulateurs travaillent sur le corps imagé et technique. À partir de ce moment, il semblerait que toute gêne disparaisse. L’exemple du lavement26 en témoigne : l’anus, qui constitue une partie du corps non examinée par l’imagerie médicale, demeure pour ces manipulateurs en radiologie une partie intime de l’individu, une région du corps qui conserve un aspect privé (« c’est la seule partie qu’ils ont à eux »). En dévoilant l’invisible, les machines d’imagerie médicale conduisent ainsi à une désérotisation des parties intimes de l’anatomie. Finalement, ce sont les régions corporelles extérieures, et donc visibles à l’œil nu, qui sont définies comme privées, davantage que les parties du corps internes, qui pourraient sembler, a priori, constituer le propre de l’individu dans ce qu’il a de plus intime et privé.

21Le corps humain est partagé entre, d’un côté, des parties conservant une part d’intimité car non visibles à l’écran et, de l’autre, des parties rendues technicisées par la médiation des machines. En passant du visible à l’invisible et de l’extériorité du corps vers son intériorité, l’imagerie médicale contribue dans une très large mesure au changement de statut du corps.

  • 27 KEVLES Bettyann, Naked to the Bone: medical Imaging in the Twentieth Century, Rutgers University Pr (...)

22Deux visions peuvent se dégager de l’utilisation des rayons X dans la perception du corps : une vision d’un corps asexué, désérotisé puisque l’intérieur du corps – organes, os – est dénué d’une dimension sexuée, contrairement à l’enveloppe corporelle et, par ailleurs, une vision centrée davantage sur un corps sexué puisque dévoilant les organes génitaux – pelvis, ovaires, utérus27.

23Les manipulateurs et manipulatrices en radiologie interviewés ont une vision d’un corps asexué et désérotisé dès lors que les régions du corps sont examinées par le biais des techniques d’imagerie médicale. Après plusieurs années d’intérêt porté sur les organes génitaux et sur la sexualité, les rayons X ont bien démystifié ces régions corporelles.

Du côté des patients plus spécifiquement : rapport au corps, pudeur et imagerie médicale

  • 28 Thèmes abordés lors des entretiens réalisés avec des patients : 1) la maladie et son annonce ; 2) l (...)
  • 29 Sous cette forme : « Pouvez-vous me parler de la manière dont vous vous sentez dans votre corps ? »
  • 30 La sonde de néphrostomie est un tube long de 25 centimètres préconisé lorsque l’urine ne peut plus (...)
  • 31 Entretien avec un patient, atteint d’un cancer du côlon, depuis 2007, célibataire, sans enfant, 50  (...)
  • 32 AÏACH Pierre, CÈBE Dominique, CRESSON Geneviève et PHILIPPE Claudine, Femmes et hommes dans le cham (...)
  • 33 LOUX Françoise, Traditions et soins d’aujourd’hui, Paris, InterÉditions, 1990.
  • 34 BOLTANSKI Luc, « Les usages sociaux du corps », Annales ESC, vol. 26, n° 1, janvier-février 1971, p (...)
  • 35 Entretien avec un patient, atteint d’un cancer du côlon, depuis 2007, célibataire, sans enfant, 50  (...)

24Les entretiens ont révélé une plus grande facilité à parler du corps pour les femmes que pour les hommes28. Lorsque la question du rapport au corps était abordée29, les femmes développaient bien davantage que les hommes leur ressenti et les perceptions qu’elles avaient de leur corps : notamment perte de l’identité féminine suite à une mastectomie ou à une ovarectomie, dégoût lié à la pose d’une sonde de néphrostomie ou de colostomie30. Au contraire, les réponses des hommes se cantonnaient plus souvent à une description des effets induits par la maladie tels que la douleur ou la fatigue. Il n’allait pas de soi, pour certains d’entre eux, de parler de leur corps, ni même d’y porter une attention particulière : « Le corps… Oh, pour un homme… »31. Différents facteurs permettent de l’expliquer : la médicalisation de la société ainsi que certains « événements » propres aux femmes font qu’elles appréhendent d’une certaine manière leur corps. La médicalisation de la société touche en effet davantage les femmes, ce qui les conduit à se familiariser avec le corps médical, son système de pensée, les examens médicaux (et notamment les clichés d’imagerie médicale). La contraception amène aussi les femmes à être suivies régulièrement. Cela les conduit également à se familiariser avec certains de leurs organes, à y porter une plus grande attention. Les échographies (principalement anténatales) ainsi que les mammographies les conduisent à parler davantage de leurs seins, de leur utérus, de leurs ovaires. Ces organes, dont certains sont internes, leur deviennent ainsi plus familiers32. Françoise Loux note qu’au XIXe siècle, les individus parlaient avec une certaine facilité de leurs organes externes (pieds, bras, etc.) dans le sens où ils constituaient des instruments de travail, contrairement aux organes internes, qui étaient tus, même dans le contexte de la maladie33. L’emploi du vocabulaire physiologique et anatomique, par les profanes, s’est développé avec la médicalisation. Par ailleurs, selon Luc Boltanski, « les femmes paraissent plus attentives que les hommes à leurs sensations morbides, s’écoutent plus que les hommes »34. Chez les hommes, le rapport au corps est davantage instrumentalisé : « ça ne me gêne pas du tout que ce soit là, j’en ai que faire, je m’en fous. J’ai une cicatrice, je m’en fous. […] À moins qu’on me coupe un bras ou une jambe, que je ne puisse plus faire de sport. Là, il n’y a pas de problème, je continue »35.

  • 36 Les deux autres intérêts distingués sont davantage des valeurs : la valeur clinique du cliché (déce (...)

25L’étude a permis de mettre en lumière en quoi ce rapport au corps est corrélé au degré d’intérêt porté aux clichés d’imagerie médicale, degré plus marqué chez les femmes : les patients portant une plus grande attention à leur corps et à son altération sont ceux et celles pour lesquels la visualisation des clichés est la plus souvent souhaitée. En outre, il s’agit souvent pour ces femmes d’un « intérêt propre », en ce sens que le cliché leur apporte personnellement une aide36. Il s’agit d’un désir d’apprendre sur soi, son corps et sa maladie.

26La question plus spécifique de la pudeur, bien qu’elle n’ait pas été nommée explicitement, a été abordée lors de certains entretiens :

  • 37 Entretien avec une patiente atteinte d’un cancer des intestins et du foie depuis 2002, mariée, un e (...)

Me dire que d’autres personnes voient comment on est à l’intérieur… Les gens voient mon corps. Mais bon, je suis malade, il faut le faire. Au début, ça m’ennuyait qu’on voie à l’intérieur de mon corps, mais moins maintenant car c’est presque toujours la même personne. Mais je préfère quand c’est une femme. […] Par contre, quand on va en bas, au scanner, on est déshabillé, on a juste une blouse. Ça, ça m’embête un peu.37

  • 38 Entretien avec une patiente, atteinte d’un cancer du sein, depuis 2006, ayant subi une mastectomie, (...)

27La pudeur a également pu être abordée par certains patients, mais dans une intension inverse, pour affirmer qu’ils n’étaient pas gênés de montrer leur corps, interne comme externe. L’extrait d’entretien de cette patiente le révèle : « J’ai aucun souci à exposer l’intérieur de mon corps. Exposer l’extérieur non plus »38. Les patientes rencontrées ont parfois abordé leur ressenti lorsque les médecins et les manipulateurs regardaient l’intérieur de leur corps sur un écran, de même que ce que leur procurait le fait d’être dévêtues (tel est le cas dans l’extrait d’entretien ci-dessus). Ces extraits d’entretiens montrent le lien existant entre le degré de pudeur ressenti tant au niveau du corps externe que du corps interne. Effectivement, ils ne révèlent pas de fortes dissociations entre ces deux corps : quand ces patientes abordent leur ressenti lorsque les médecins et les manipulateurs regardent l’intérieur de leur corps sur un écran, elles évoquent également, tout de suite, ce que leur procure le fait d’être dévêtues (du moins partiellement). Le niveau de pudeur à l’égard du corps interne semble, de la sorte, être corrélé avec celui concernant le corps externe. Les patients pour qui il est le plus difficile de se dévêtir lors d’un examen médical, ou d’une consultation, sont ceux qui sont les plus gênés de « montrer » leur corps interne au professionnel, et ce d’autant plus lorsqu’ils n’appartiennent pas au même sexe.

28Par ailleurs, l’étude révèle un type d’intérêt souvent différencié pour la visualisation des clichés selon le genre du patient. Alors que pour les hommes, la valeur accordée aux clichés sera plus largement clinique, pour les femmes, il s’agira davantage d’un intérêt propre (désir d’apprendre sur soi, son corps et sa maladie).

29Pour ce patient, l’intérêt se porte sur l’aspect technologique des examens d’imagerie :

  • 39 Entretien avec un patient, atteint d’un cancer du rein, avec des métastases au foie, depuis 2007, d (...)

J’ai passé une biopsie, donc je n’étais que partiellement endormi, c’est pareil, je regardais tout ce qu’il se passait sur l’écran, l’aiguille, je voyais tout sur l’écran de contrôle. […] C’est de la curiosité pure et simple. Rien à voir avec moi. Ça serait quelqu’un d’autre, ça serait pareil, je regarderais pour voir un peu ce qu’ils font […]. Pour moi, c’est, encore une fois, de la curiosité quelque part technologique. […] C’est la technologie qui m’intéresse. C’est voir comment on voit un organe à travers une technologie. Je n’ai pas l’impression que c’est moi qu’on regarde sur l’écran39.

30Cette focalisation sur la technologie conduit ce patient à faire abstraction, non pas du corps, mais de son corps en particulier.

  • 40 On parle ici de réappropriation du corps dans la mesure où la prise des clichés conduit bien souven (...)
  • 41 Entretien avec une patiente, atteinte d’un cancer à la cuisse, ayant des métastases, depuis 2003, e (...)
  • 42 Entretien avec une patiente, atteinte d’un cancer du sein en 1995, ayant fait une récidive en 2001, (...)
  • 43 ZIMMERMANN Margitta, Le jeu avec les ombres : médecine, maladie et expérience esthétique, thèse d’a (...)

31Le discours de la patiente suivante montre au contraire en quoi la visualisation des clichés favorise une reconstruction identitaire et une réappropriation du corps40 : « Plus tard, ce qu’on me dit, je finis petit à petit par le réapproprier à moi, c’est moi, c’est mon corps. […] Et puis si quelqu’un a l’image de mon corps, moi, je veux l’avoir aussi. […] C’est important. Encore une fois, j’ai l’impression d’être dépossédée de mon corps sinon »41. Les propos de nombreuses patientes témoignent du fait que le cliché représente bien une image de soi, de son propre corps : « Oui, tout à fait, je reconnais mon corps. Je suis cambrée en plus. C’est ma cambrure de déesse ! [rires] C’est vraiment ça ! »42 Dans ce cas précis, une particularité physique favorise la reconnaissance de soi sur ses clichés car il se distingue du corps anatomique qui semble commun à tout individu. De la même manière, l’image pathologique peut faciliter un rapprochement entre soi et le corps imagé. À cet égard, Margitta Zimmermann parle du caractère « réel » du cliché d’imagerie en ce sens que le patient voit certaines particularités dans cette image qui renvoient « à la singularité de son être »43.

  • 44 Ma thèse montre également comment l’intérêt porté aux clichés d’imagerie médicale varie selon le te (...)
  • 45 Il importe de préciser que, bien que de manière générale, les femmes portent davantage d’intérêt à (...)

32Du point de vue du rapport au corps, ceci montre, d’une part, que le niveau et le type d’intérêt porté aux clichés d’imagerie médicale varient selon le genre du patient44 et, d’autre part, que les femmes portent un intérêt plus marqué que les hommes à leur corps et qu’elles en parlent avec davantage de facilité, les deux étant liés45. La question de la pudeur a été ainsi bien plus largement développée par les femmes. Il est donc moins évident de dire si les hommes ont une préférence pour une prise en charge par un soignant du même sexe. Toutefois, le peu – voire même l’absence – de discussions portant sur le corps et la pudeur n’est-il pas justement une marque de pudeur ? La différence de genre entre l’anthropologue et le patient pose certainement, qui plus est, une barrière au discours.

*

  • 46 GOFFMAN Erwin, Les rites d’interaction…, op. cit.

33Il s’agissait ici d’analyser la manière dont les machines d’imagerie médicale interrogeaient la question de la pudeur dans la relation thérapeutique. Lorsque le corps physique du patient constitue le matériau de travail des soignants – matériau humain selon Goffman46 –, le genre des protagonistes a des conséquences sur leur relation voire même sur l’organisation de l’hôpital, comme le montre la stratégie d’évitement mise en place en sénologie par l’instauration d’une norme voulant que ce soit des femmes qui occupent les postes de manipulateur. En revanche, lorsque les manipulateurs travaillent sur leur console et que le corps devient « imagé », la question du genre ne se pose que rarement, le corps se désérotise et devient asexué. Toutefois, l’utilisation de l’imagerie médicale n’exclut pas les sentiments et les ressentis que pose la question de l’appartenance à un genre différent. Malgré la technicisation et la désérotisation du corps imagé, nous sommes bien en présence de pratiques d’évitement, de malaise de la part des manipulateurs, de sentiments de gêne et de pudeur.

34L’article proposé ici revisite également la question de la pudeur selon le genre du patient. Les femmes s’expriment en effet bien plus largement que les hommes sur cette question. Cela s’explique notamment par un rapport au corps différencié. En outre, ce rapport au corps a une incidence sur l’intérêt que les patients portent à leurs clichés d’imagerie médicale et sur la manière dont ils y perçoivent leur corps. Ce regard porté sur le corps imagé a ainsi nécessairement un impact sur la pudeur propre au corps interne.

  • 47 Sur la question de la formation des étudiants en médecine et sur leur rapport à l’autre et à la mor (...)

35S’agissant des soignants, l’étude n’a pas révélé de différence significative selon le genre. Toutefois, ce qu’elle met en lumière, c’est que contrairement aux patients, la pudeur est exprimée quel que soit le genre du soignant, ce qui peut s’expliquer en partie par le rapport que les soignants ont au corps47.

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Notes

2 ELIAS Norbert, La dynamique de l’Occident, Lonrai, Calmann-Lévy, 1991, p. 269 et p. 275.

3 MERCADIER Catherine, Le travail émotionnel des soignants à l’hôpital. Le corps au cœur de l’interaction soignant-soigné, Paris, Seli Arslan, 2002, p. 169.

4 Thèse soutenue en décembre 2008, à l’École des hautes études en sciences sociales et soutenue financièrement par l’Institut national du cancer et par le CNRS.

5 BONNIN André, BROUSSOULOUX Claude et CONVARD Jean-Paul, Éthique et imagerie médicale, Paris, Masson, 1998, p. 93.

6 La période d’observation en médecine nucléaire a été plus courte qu’au sein des autres services dans la mesure où une moindre diversité d’examens s’y réalise.

7 MÈNORET Marie, Les temps du cancer, Paris, CNRS Éditions, 1999.

8 AKRICH Madeleine et DODIER Nicolas, « Présentation », Techniques et cultures, éditions de la Maison des sciences de l’homme, janvier-décembre 1995, p. V.

9 Spécialité d’imagerie médicale à visée diagnostique et thérapeutique.

10 BROHM Jean-Marie, Le corps analyseur. Essais de sociologie critique, Paris, Economica, 2001, p. 49.

11 POUCHELLE Marie-Christine, L’hôpital corps et âme. Essais d’anthropologie hospitalière, Paris, Seli Arslan, 2003, p. 212. Bien que l’anthropologue s’appuie ici sur le travail du chirurgien, l’exercice du radiologue en radiologie interventionnelle rejoint cette dimension.

12 MULLER Patrice, « Corps approchés », dans « Expériences du corps », Raison présente, 104, 1992, p. 18.

13 Entretien avec un manipulateur de 46 ans du service de radiodiagnostic.

14 La moindre gêne durant le temps de parole est certainement, ici, davantage liée à la parole qu’au genre du soignant. Lorsqu’il s’agit de l’unité de sénologie, le terme « manipulateur » est employé au féminin car seules des femmes exercent ce métier dans cette unité de l’institut.

15 KATTAN-FARHAT Madeleine, « Territoires et scénarios de rencontre dans une unité de soin », dans COSNIER J., GROSJEAN M. et LACOSTE M. (dir.), Soins et communication. Approches interactionnistes des relations de soins, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1993, p. 179-197.

16 MERCADIER Catherine, Le travail émotionnel…, op. cit., p. 221.

17 GOFFMAN Erwin, Les rites d’interaction, Paris, Éditions de Minuit, 1974.

18 STRAUSS Anselm, Miroirs et masques. Une introduction à l’interactionnisme, Paris, Métailié, 1992.

19 LE TREUT et al., « L’incidence oblique externe », dans L’imagerie du sein, Institut de formation de manipulateurs en électroradiologie médicale du CHU de Bordeaux, 2003, p. 58.

20 DILHUYDY et al., « Conseils pour réaliser et lire correctement une mammographie », ibidem, p. 73.

21 MERCADIER Catherine, Le travail émotionnel…, op. cit., p. 188.

22 En 1910, le Français Jean Clunet fut le premier à avoir fait apparaître une tumeur maligne sous les effets des rayons X. Voir Patrice Pinell, Naissance d’un fléau. Histoire de la lutte contre le cancer en France (1890-1940), Paris, Métailié, 1992.

23 BROUSSOULOUX Claude et BONNIN André, Le corps humain est-il transparent ?, Paris, Robert Laffont, 1985, p. 28.

24 Entretien avec un manipulateur en radiologie, service de radiodiagnostic, 27 ans.

25 Entretien avec une manipulatrice en radiologie, service de radiodiagnostic, 23 ans. Il est à noter que la moyenne d’âge des manipulateurs et manipulatrices avec lesquels un entretien a été réalisé est de 30 ans (la plus jeune avait 23 ans et le plus âgé en avait 46). Nous pouvons émettre l’hypothèse que le peu d’expérience de cette manipulatrice de 23 ans (dont un extrait d’entretien est retranscrit) contribue à un sentiment de gêne plus marqué que chez des manipulateurs plus âgés et ayant davantage d’expérience.

26 Il s’agit d’introduire par l’anus une canule.

27 KEVLES Bettyann, Naked to the Bone: medical Imaging in the Twentieth Century, Rutgers University Press, 1997.

28 Thèmes abordés lors des entretiens réalisés avec des patients : 1) la maladie et son annonce ; 2) l’imagerie médicale et son usage ; 3) le rapport au corps et la pudeur.

29 Sous cette forme : « Pouvez-vous me parler de la manière dont vous vous sentez dans votre corps ? »

30 La sonde de néphrostomie est un tube long de 25 centimètres préconisé lorsque l’urine ne peut plus passer de manière naturelle jusqu’à la vessie. Elle est placée directement dans le rein et reliée à une poche extérieure. La sonde de colostomie permet de relier le côlon à la paroi de l’abdomen. Elle permet aux matières fécales d’être évacuées hors du corps, dans une poche.

31 Entretien avec un patient, atteint d’un cancer du côlon, depuis 2007, célibataire, sans enfant, 50 ans, agent d’entretien.

32 AÏACH Pierre, CÈBE Dominique, CRESSON Geneviève et PHILIPPE Claudine, Femmes et hommes dans le champ de la santé. Approches sociologiques, Rennes, Éditions de l’École nationale de la santé publique, 2001 ; SOHN Anne-Marie, « Le corps sexué », dans CORBIN Alain, COURTINE Jean-Jacques et VIGARELLO Georges (dir.), Histoire du corps. Les mutations du regard. Le XXe siècle, tome 3, Paris, Seuil, 2006, p. 93-127.

33 LOUX Françoise, Traditions et soins d’aujourd’hui, Paris, InterÉditions, 1990.

34 BOLTANSKI Luc, « Les usages sociaux du corps », Annales ESC, vol. 26, n° 1, janvier-février 1971, p. 316.

35 Entretien avec un patient, atteint d’un cancer du côlon, depuis 2007, célibataire, sans enfant, 50 ans, agent d’entretien.

36 Les deux autres intérêts distingués sont davantage des valeurs : la valeur clinique du cliché (déceller des erreurs d’intervention et intérêt de l’imagerie dans le parcours thérapeutique) et la valeur instrumentale (volonté des patients de posséder les clichés au cas où ils seraient amenés à être suivis dans un autre hôpital). Le terme d’intérêt est employé lorsque le patient accorde un intérêt au cliché en soi et pour ce qu’il lui apporte personnellement. Inversement, les patients mettant en avant les valeurs cliniques ou instrumentales des clichés n’accordent pas d’intérêt pour le cliché en soi mais ils y accordent une importance médicale et utilitaire.

37 Entretien avec une patiente atteinte d’un cancer des intestins et du foie depuis 2002, mariée, un enfant, 42 ans, femme de service dans un collège.

38 Entretien avec une patiente, atteinte d’un cancer du sein, depuis 2006, ayant subi une mastectomie, puis une reconstruction mammaire, mariée, 3 enfants, 63 ans, professeure d’EPS.

39 Entretien avec un patient, atteint d’un cancer du rein, avec des métastases au foie, depuis 2007, divorcé, 1 enfant, 57 ans, informaticien.

40 On parle ici de réappropriation du corps dans la mesure où la prise des clichés conduit bien souvent à une dépossession du corps pour les patients. Deux mouvements ont ainsi été identifiés : 1) le corps comme objet de soins durant la prise des clichés (dépossession du corps) ; 2) la réappropriation du corps par les clichés.

41 Entretien avec une patiente, atteinte d’un cancer à la cuisse, ayant des métastases, depuis 2003, en protocole d’essai thérapeutique, mariée, 4 enfants, 47 ans, sans profession.

42 Entretien avec une patiente, atteinte d’un cancer du sein en 1995, ayant fait une récidive en 2001, puis en 2002 et en 2005, séparée, 2 enfants, 55 ans, responsable des ressources humaines.

43 ZIMMERMANN Margitta, Le jeu avec les ombres : médecine, maladie et expérience esthétique, thèse d’anthropologie sociale et ethnologie, EHESS, Paris, 2004, p. 325.

44 Ma thèse montre également comment l’intérêt porté aux clichés d’imagerie médicale varie selon le temps de la maladie (le moment précédant le traitement, la période post-diagnostique, la rémission et la récidive). Le cancer est une pathologie se caractérisant, notamment, par un décalage entre la réalité de la pathologie et les symptômes ressentis par les patients et ce, particulièrement durant les premiers temps. La visualisation des clichés permet ainsi de matérialiser la maladie, de prendre conscience de la nécéssité de suivre un traitement ou de subir une intervention chirurgicale.

45 Il importe de préciser que, bien que de manière générale, les femmes portent davantage d’intérêt à leurs clichés d’imagerie médicale que les hommes (cela s’expliquant notamment par un rapport au corps plus marqué), un certain nombre de femmes atteintes d’un cancer du sein éprouvent des diffidultés à les visualiser. La majorité des patients rencontrés qui ont tenu un discours en faveur du refus de les visualiser sont des femmes porteuses de ce cancer. Deux raisons principales permettent de l’expliquer. Tout d’abord, la difficulté, pour les femmes ayant subi une mastectomie, de voir sur un cliché l’absence de poitrine, remplacée par une prothèse mammaire. Le déni de la pathologie et de sa gravité conduit ces patientes à ne pas vouloir admettre ce dont elles sont atteintes et donc, ce qu’elles voient sur un cliché. La deuxième raison réside dans l’extériorité de l’organe. Le fait que le sein soit un organe « externe » au corps, palpable, explique une moins grande nécessité de visulaiser les clichés, contrairement aux patients qui considèrent leur maladie comme « abstraite », non tangible (le cancer digestif est l’exemple le plus révélateur). L’analyse selon laquelle l’intérêt porté aux clichés est en lien avec le rapport au corps, dans le cas des femmes atteintes d’un cancer du sein, est donc à relativiser (malgré la dimension féminine attachée à cet organe).

46 GOFFMAN Erwin, Les rites d’interaction…, op. cit.

47 Sur la question de la formation des étudiants en médecine et sur leur rapport à l’autre et à la mort, voir GODEAU Emmanuelle, L’« esprit de corps ». Sexe et mort dans la formation des internes en médecine, Paris, 2007 ; MERCADIER Catherine, Le travail émotionnel…, op. cit.

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Pour citer cet article

Référence papier

Cécile Estival, « Incidences de l’imagerie médicale sur la pudeur dans la relation patients-soignants »Histoire, médecine et santé, 1 | 2012, 77-91.

Référence électronique

Cécile Estival, « Incidences de l’imagerie médicale sur la pudeur dans la relation patients-soignants »Histoire, médecine et santé [En ligne], 1 | printemps 2012, mis en ligne le 01 juillet 2013, consulté le 18 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/215 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.215

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Auteur

Cécile Estival

Cécile Estival est docteure en anthropologie. Elle a réalisé sa thèse à l’EHESS et est rattachée au CERMES (Centre de Recherche Médecine, Science, Santé et Sociétés. UMR EHESS, CNRS, INSERM).

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