Alexandre Klein et Séverine Parayre (dir.), Histoire de la santé (xviiie-xxe siècles)
Alexandre Klein et Séverine Parayre (dir.), Histoire de la santé (xviiie-xxe siècles), Presses universitaires de l’université de Laval/Hermann, Québec/Paris, 2015, 230 pages.
Texte intégral
1On ne peut que se réjouir de voir un nouveau livre venir s’ajouter à la collection déjà fournie des ouvrages d’histoire de la santé produits depuis quarante ans. Celui-ci est d’autant plus sympathique et novateur qu’il a été coordonné par deux chercheurs dépourvus de positions institutionnelles solides, qu’il associe chercheurs français et québécois (auxquels s’adjoint une chercheuse brésilienne) et qu’il accueille des contributions de jeunes chercheurs. Il témoigne donc bien, avec d’autres, de l’ouverture et du dynamisme jamais démentis de ce secteur de recherche. Mieux encore, comme il se présente autant comme un manifeste que comme une vitrine, il permet d’ouvrir un débat sur le devenir de l’histoire de la santé francophone, ce qui n’est pas le moindre de ses mérites.
2Visitons d’abord brièvement la vitrine. Au-delà de leur grande diversité qui fait leur richesse, les contributions ici rassemblées illustrent bien les tendances actuelles de l’histoire de la santé. Dans sa très utile et exhaustive présentation de la riche production québécoise depuis vingt ans (147 textes), François Guérard pointe bien les orientations aujourd’hui dominantes. Dans ce domaine de l’histoire comme dans d’autres, l’approche par l’individu revient en force et pas moins de quatre contributions choisissent l’entrée biographique. À côté de ce retournement méthodologique, les textes de Didier Nourrisson et Denyse Baillargeon, qui étudient la publicité pour les produits de santé ou pour l’aspirine, se situent dans la veine qui analyse le système médico-sanitaire comme un marché et montrent (D. Baillargeon) comment une publicité pour un produit (l’aspirine) peut modifier le seuil de tolérance à la douleur. Très en vogue, l’histoire de la médecine vue d’en bas est aussi représentée dans ce recueil par la contribution d’Alexandre Klein consacrée aux malades de Tissot et celle de Marie-Claude Thifault qui analyse les lettres d’une malheureuse épileptique enfermée plus de trente ans durant dans un asile montréalais. En écho aux études qui se développent sur les médecines « alternatives », Xavier Riondet analyse le parcours de la « guérisseuse » Élise Freinet inspirée par le médecin naturiste Basile Vrochopoulos (1892-1936). Les médecins académiques ne sont toutefois pas oubliés et A. Klein revisite l’œuvre écrite de Tissot dans son ensemble. Il en ressort que malgré son titre officiel, Tissot n’était pas un simple médecin des pauvres mais bien le penseur de la santé de la population tout entière. A. Klein exagère sans doute un peu l’originalité et l’aspect révolutionnaire du personnage. En distinguant la population selon son genre de vie, Tissot ne faisait que donner une justification médicale à la vision de la société qui opposait le peuple et les élites.
3Si le recueil présente une bonne illustration de ce qui se fait en histoire de la santé, son bilan en termes de nouveautés est plus nuancé. Se penchant après d’autres sur les patients de Tissot, A. Klein confirme que loin d’être des sujets passifs, ils sont des agents actifs qui imposent leurs stratégies et leurs désirs. Sans apporter de révélations nouvelles par rapport aux travaux de Séverine Pilloud, il a le mérite d’appliquer aux malades de Tissot le concept anglo-saxon d’agentivité (capacité d’action sous sa propre autorité) qui permet de les qualifier de façon plus explicite que les termes vagues de laïcs ou de non-médecins. En analysant les lettres d’une épileptique hospitalisée, M.-C. Thifault apporte sa contribution à une approche de la psychiatrie qui met au centre les expériences de la folie pour reprendre le titre de l’ouvrage récent d’Hervé Guillemain et Stéphane Tison. En suivant la correspondance en apparence si raisonnable voire anodine de Marguerite-Marie, M.-C. Thifault émet l’intéressante hypothèse qu’il pourrait s’agir là d’une carapace édifiée par la malade pour survivre à sa marginalisation. Deux thèmes semblent plus franchement novateurs. En étudiant les réponses des instituteurs au questionnaire ministériel de 1860 qui les interrogeait sur les besoins de l’instruction primaire au triple point de vue de l’école, des élèves et du maître, Séverine Parayre se propose de repérer quelle place la santé des élèves occupait dans les préoccupations des maîtres et de savoir si ceux-ci étaient des agents d’une médicalisation sans médecins. L’enquête n’en est qu’à ses débuts et l’article proposé ici nous livre surtout des considérations de méthode et s’interroge sur les déterminants qui pourraient expliquer le plus ou moins grand investissement sanitaire des instituteurs. On attend avec impatience de lire d’autres articles qui donneront la parole aux instituteurs et l’analyseront. Parmi les thèmes abordés par les instituteurs se trouvaient des considérations relatives à la nourriture des enfants. Si l’on ne sait pas encore ce qu’ils en disaient, le thème de l’alimentation est au centre de la biographie du docteur Marcel Labbé (1870-1939). Celui-ci ne fut pas seulement un spécialiste du diabète mais aussi l’initiateur de la cuisine de régime dans les hôpitaux et participa par des conférences au mouvement d’enseignement populaire de l’alimentation rationnelle sans négliger les contacts avec les firmes (Heudebert) lancées sur ce marché.
4Si la vitrine n’est forcément que partielle et inégale, le manifeste ne manque pas de cohérence et suscite le débat. Il affirme d’abord que l’histoire francophone de la santé doit se structurer de façon à obtenir plus de visibilité et de reconnaissance institutionnelle à l’image de ce qui se fait dans les pays anglophones (mais aussi germanophones). Néanmoins, cette logique institutionnelle centrée sur la « diffusion des résultats et donc la reconnaissance du travail réalisé » (p. 6) ne doit pas masquer tout le reste. Si les auteurs considèrent le manque d’unité de l’histoire de la médecine comme une faiblesse, on pourrait défendre la position inverse et souligner que c’est la diversité qui a fait la richesse de cette histoire. À tout le moins, la question d’une organisation institutionnelle et de ses buts mériterait d’être discutée par tous les acteurs de cette histoire. Peut-être suffirait-il, et serait-il plus raisonnable et productif, comme l’a suggéré D. Nourrisson, de multiplier les espaces et les occasions de se réunir et d’échanger, par exemple dans des congrès périodiques et ouverts à tous. Là aussi, les avis divergent et la question mérite d’être débattue.
5Si l’on acceptait, ce qui n’est pas acquis, l’une ou l’autre des deux formules, il faudrait bien prévoir une structure. Implicitement, les directeurs de l’ouvrage proposent de faire du réseau Historiens de la santé qu’ils ont créé le point de ralliement de l’histoire de la santé. À lire l’intitulé du livre on pourrait croire que les études qu’il rassemble représentent l’ensemble des recherches en cours dans l’espace francophone. Or, la genèse de l’ouvrage, très honnêtement exposée par les maîtres d’œuvre, montre qu’il s’agit en fait des recherches d’un petit groupe animé par S. Parayre et A. Klein qui, depuis sa première réunion en 2012, ne s’est guère élargi et reste si limité que certains intervenants doivent livrer deux communications dans un même volume ou colloque. Si l’on reconnaît volontiers les qualités de ces chercheurs et le dynamisme du groupe qu’ils forment, on ne peut que les inciter à l’ouverture. Ils n’ont rien à craindre de la confrontation avec d’autres chercheurs.
6Le manifeste plaide aussi pour une histoire inclusive, c’est-à-dire ouverte à tous ceux qui s’intéressent de près ou de loin à l’histoire de la médecine, quelle que soit leur formation. Aussi généreuse et ouverte qu’elle paraisse, cette définition ne fait pas l’unanimité. Une partie des historiens de ce champ revendiquent une spécificité de la démarche proprement historienne. Leur reprocher leur corporatisme serait ignorer que leur motivation principale est de voir respecter strictement les règles de la démarche historique, seule garantie de scientificité et condition du renouvellement des problématiques. L’analyse critique des sources et la mise en contexte par la bibliographie sont centrales. Pour méconnaître les deux, X. Riondet prend pour argent comptant les affirmations de Vrochopoulos sur la tuberculose et interprète le parcours d’Élise Freinet à la seule aune de son parcours personnel sans voir, faute d’avoir lu Arnaud Baubérot, les liens très forts entre le courant anarchiste auquel se rattachaient les Freinet et les médecines naturistes. Au total s’il n’est pas question de réserver l’histoire de la santé aux seuls historiens, il faut absolument que tous ceux qui s’en revendiquent respectent strictement les règles de la démarche historique. Dans ce livre comme dans d’autres, la large circulation des papiers avant publication ne peut qu’enrichir la qualité des textes.
7Au-delà des qualités et des limites variables des textes, il faut remercier les maîtres d’œuvre et les auteurs de poser à notre discipline de vraies questions, institutionnelles et scientifiques et d’ouvrir un débat dont on espère qu’il sera fructueux.
Pour citer cet article
Référence papier
Olivier Faure, « Alexandre Klein et Séverine Parayre (dir.), Histoire de la santé (xviiie-xxe siècles) », Histoire, médecine et santé, 14 | 2019, 130-133.
Référence électronique
Olivier Faure, « Alexandre Klein et Séverine Parayre (dir.), Histoire de la santé (xviiie-xxe siècles) », Histoire, médecine et santé [En ligne], 14 | hiver 2018, mis en ligne le 15 mars 2019, consulté le 19 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/1856 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.1856
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