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Varia

L’influence politique d’une association de malades au cours des années 1945-1955, au travers de son mensuel Vers la Vie

The political influence of a patients’ association in the years 1945-1955 through its monthly magazine Towards life
Pierre Bachelot
p. 103-117

Résumés

À la Libération, la Fédération nationale des malades, association de patients qui se consacre à la défense des droits des usagers des sanatoriums, publie un mensuel : Vers la Vie. Pendant dix ans, le mensuel relate avec acuité l’intense activité d’influence ou de lobbying déployé par l’association auprès des différents cabinets ministériels en charge des questions de santé. À travers les articles qui relatent les échanges entre l’association et le gouvernement, on perçoit les rapports de force et leurs évolutions.

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Texte intégral

  • 1 La revue a été consultée à la Bibliothèque nationale de France, cote FOL-JO 3662_1946-1947, 1955-1 (...)
  • 2 « Extrait des statuts », Vers la Vie, janvier 1946, p. 2.
  • 3 « Notre histoire », Fédération des Malades Handicapés : https://fmh-association.org/presentation/n (...)

1Vers la Vie1 est le mensuel de la Fédération nationale des malades (FNM), association fondée en décembre 1945 par la fusion de différentes associations proches des mouvements chrétiens. Ce journal entend défendre les droits des tuberculeux de « condition populaire », principalement les usagers des institutions sanatoriales2. L’association adopte en 1953 le nom de Fédération nationale des malades, invalides et paralysés (FNMIP), signe du glissement de son objet initial, la tuberculose, vers les préoccupations liées au handicap. En 1992, la FNMIP devient Fédération des malades et handicapés (FMH), nom qu’elle porte encore aujourd’hui3.

  • 4 « Pas des petits garçons », Vers la Vie, mars 1947, p. 2.

2Vers la Vie, publié de 1946 à 2006, est le successeur direct de Santé populaire, publié de 1942 à 1945, mensuel du Service populaire de la santé du Mouvement populaire des familles (MPF). Entre 1945 et 1955, le journal est organisé en colonnes à la façon d’un quotidien et rend compte d’un contexte riche où se mêlent les recompositions politiques et les caractéristiques propres à la Libération, telle la création de la Sécurité Sociale et surtout les mutations des dynamiques liées à la tuberculose. En ce domaine, une large place est faite aux nouveaux médicaments que sont les antibiotiques. Le discours et les actions de la FNM-FNMIP révélés dans la publication sont souvent revendicatifs et insistent sur l’autonomie des patients face aux pouvoirs politiques et médicaux. Pour que les malades ne soient plus des « petits garçons4 », l’association mène une action de médiation scientifique et administrative. Afin de faire aboutir ses revendications, elle entretient avec le ministère de la Santé des relations fréquentes qui relèvent d’une politique d’influence et de rapports de force, que nous tenterons d’analyser ici.

  • 5 Pierre Bachelot, Vers la Vie, un journal d’association de patients (1945-1955), mémoire de master  (...)
  • 6 Roy Porter, « Patient’s View: Doing Medical History from below », Theory and society, 14/2, 1985, (...)
  • 7 Hervé Guillemain et Nathalie Richard, « Towards a Contemporary Historiography of Amateurs in Scien (...)

3Le mémoire5, dont est tiré cet article, vise à examiner la nature et les formes que peuvent prendre le discours et l’action d’une association de patients avant l’émergence des mouvements nés de la crise du sida. Il veut s’inscrire dans les recommandations faites par Roy Porter6 et destinées à écrire une histoire « par le bas ». Cette démarche, fertile dans de nombreux champs historiographiques, a permis de faire émerger des acteurs, des pratiques et des objets négligés ou oubliés par des historiographies antérieures. Dans le domaine des sciences et de la médecine, ce renouvellement a mis au jour une nébuleuse d’acteurs qui s’étaient vus disqualifiés par les processus de constitution des sciences modernes et réunis sous la catégorie d’« amateurs7 ».

  • 8 Michel Foucault, Naissance de la clinique, Paris, PUF, 2009 [1963].
  • 9 Corinne Doria, « Qui a le droit d’écrire l’histoire ? Controverse autour de l’histoire de la médec (...)
  • 10 Steven Epstein, Histoire du sida, 1, Le virus est-il bien la cause du sida ? ; 2, La grande révolt (...)
  • 11 Philip Rieder, La figure du patient au xviiie siècle, Genève, Droz, 2010.
  • 12 Il a été évoqué encore récemment dans le film de Robin Campillo, 120 battements par minute, Les fi (...)
  • 13 Nathalie Richard, La Vie de Jésus de Renan : la fabrique d’un best-seller, Rennes, Presses univers (...)
  • 14 Pierre Guillaume, Du désespoir au salut : les tuberculeux aux xixe et xxe siècles, Paris, Aubier, (...)

4Au sein de cette catégorie, le patient occupe une place particulière, puisqu’il est la victime de sa maladie. Les critiques des années 1960-1970 sur l’historiographie et le rôle de la médecine scientifique ont profondément réexaminé la nature des liens complexes qui peuvent unir patients, soins et médecins8. Mais elles offrent une vision peut-être trop clivée9 entre héroïsme médical et iatrogénie. Cette vision antagoniste des rapports patients soignants a connu un point d’orgue lors de la pandémie du virus HIV. Le pouvoir sanitaire, incapable d’offrir une réponse efficace, discrédité par des scandales comme celui du « sang contaminé », se serait vu confronté à une « grande révolte des malades10 », mouvement où la « figure du patient11 » s’est incarnée dans de puissantes associations12. Elles ont conduit de nombreuses actions, comme l’emblématique Community Research Initiative de Boston, laboratoire de recherche fondé en 1987, financé et dirigé par une association où patients et médecins peuvent communiquer dans un rapport moins distendu. Ces nouveaux rapports patients-soignants irriguent aujourd’hui l’organisation des soins, avec en France, par exemple la loi sur les droits des malades de 2002 et celle de 2009 « portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires », dite loi HPST (hôpital, patient, santé, territoire). Pourtant la catégorie des associations de patients n’est pas apparue avec le sida. Elle s’inscrit dans les processus complexes qui mêlent, au xixe siècle, mouvements mutualistes et syndicaux, volontés hygiénistes, charités bourgeoises et religieuses qui tentent d’apporter secours aux plus démunis, mais qui développent aussi des discours à destination de la classe populaire, qu’elles entendent influencer13. C’est dans les associations de lutte antialcoolique comme l’Association contre l’abus des boissons alcooliques, constituée en 1873, que se trouve la genèse du mouvement. C’est certainement le lien, admis à ce moment, entre alcoolisme et tuberculose qui permet l’émergence des préoccupations des pulmonaires au sein des groupes de tempérance. L’autonomie des associations de tuberculeux survient dans les années 1892-1902 avec la création de la Ligue française contre la tuberculose d’abord en Aquitaine, puis à l’échelle nationale en 190214.

  • 15 Lion Murard et Patrick Zylberman, « La mission Rockefeller en France et la création du Comité nati (...)

5La Première Guerre mondiale marque un réel tournant dans la diffusion et la gestion de la maladie, les conditions sanitaires dégradées du front accroissent le nombre de blessés du poumon. L’action de la Mission Rockefeller et du Comité de défense contre la tuberculose, à partir de 1917, intensifie le phénomène associatif, dans un schéma inspiré par le modèle nord-américain où les associations privées doivent servir de relais locaux à la puissance publique15. C’est dans ce contexte qu’apparaissent les associations qui sont aux racines de la FNM.

  • 16 Christophe Capuano et Marie-Emanuelle Chessel, « Qu’est-ce qu’une association catholique éfficace  (...)

6Vers la Vie ouvre une fenêtre sur le rôle et la capacité d’action de cette catégorie intermédiaire que sont les associations de malades. À la fois médiatrices scientifiques et administratives, elles permettent l’acculturation des populations aux nouveautés scientifiques, mais font aussi émerger des résistances et des propositions alternatives, dans un mouvement d’échange entre science académique et perception de la maladie. Cet échange relève très souvent d’une tension et d’un jeu d’influence politique, dans lesquels la FNM et Vers la Vie semblent prendre une part active. Cette capacité à agir affichée dans les colonnes est porteuse d’interrogations. Ainsi on peut se demander ce qui permet à une collectivité somme toute réduite à quelques milliers de membres, de peser dans le débat public. Reprenant en cela des grilles d’analyses déjà développées pour des structures associatives16, on peut s’interroger sur l’efficacité de l’action de la FNM. Que veut-elle ? Quels sont les moyens et les réseaux mis en œuvre, perceptibles dans Vers la Vie ? Ses actions sont-elles couronnées de succès ?

7Pour tenter de répondre à ces questions, nous détaillerons trois fils rouges : en premier lieu, une structure : le Conseil national consultatif des associations de malades fondé en 1946. Nous évoquerons ensuite le sujet des « thérapeutiques nouvelles » qui oppose l’association au corps médical. Enfin nous aborderons les suites de débordements violents au sein des sanatoriums et les réactions du ministère. Bien qu’ils soient de natures différentes, ces épisodes éclairent les relations que l’association a pu entretenir avec le ministère de la Santé au cours de la période.

La Fédération nationale des malades et son journal

La FNM, une association dans les recompositions de la Libération

  • 17 Groupement pour la recherche sur les mouvements familiaux (GRMF), Monde ouvrier, 1937-1957 : une p (...)

8Fondée en décembre 1945, la FNM est une fusion entre différentes entités proches du Mouvement populaire des familles (MPF). L’élément central de cette fusion est le Service populaire de santé, structure sans personnalité juridique intégrée au MPF. C’est ce « Service » qui apporte le savoir-faire éditorial de Vers la Vie. Dans cette fusion, si le Service populaire obtient son autonomie juridique, la FNM garde des liens très forts avec sa maison-mère. Ainsi, les journaux Vers la Vie et Monde Ouvrier, organe du MPF, ont la même adresse de publication jusqu’en 195017.

  • 18 GRMF, De l’action catholique au mouvement ouvrier : la déconfessionnalisation du mouvement populai (...)
  • 19 Joseph Debès, Naissance de l’Action catholique ouvrière, Paris, Éditions ouvrières, 1982.
  • 20 « Justice et Fraternité », Vers la Vie, janvier 1946, p. 1.
  • 21 GRMF, Monde ouvrier, 1937-1957 : une presse libre pour des temps difficiles, op. cit., p. 79.
  • 22 Bruno Béthouart, Des syndicalistes chrétiens en politique, 1944-1962 : de la Libération à la Ve Ré (...)
  • 23 Joseph Debès, Naissance de l’Action catholique ouvrière, op. cit.
  • 24 Bruno Béthouart, Des syndicalistes chrétiens en politique, 1944-1962, op. cit.

9Le Mouvement populaire des familles est une association familiale créée en 1941 à partir d’une transformation au sein de la Ligue ouvrière catholique (LOC), créée en 1934, mouvement lui-même issu des Jeunesses ouvrières chrétiennes (JOC), fondée en France en 1927. Si la FNM provient des milieux catholiques, elle est, à l’instar du MPF, une instance en voie de déconfessionnalisation18. Ces mouvements font partie du paysage social français d’avant-guerre. Ce paysage a été profondément tiraillé par la mise en place de la politique sociale de Vichy, symbolisée par la Charte du travail d’octobre 1941. Mouvement d’inspiration chrétienne et familiale, le MPF trouve sa place dans le nouvel édifice, dans une position résumée par la phrase d’un de ses dirigeants en 1941 : « Ici encore nous avons à sauvegarder notre indépendance, sans refuser systématiquement notre collaboration19 ». Alors que les grandes centrales syndicales CGT et CFTC sont interdites, le MPF sert de structure d’accueil à certains de leurs membres. C’est peut-être là qu’il faut rechercher la genèse d’un glissement à gauche, perceptible dans les colonnes du mensuel. Ainsi, dans l’éditorial du premier numéro de Vers la Vie, la FNM indique son souhait de rester proche de la CFTC et de la CGT20. Cette mutation est certainement à rapprocher de celles qui touchent le MPF, qui devient en 1950 le Mouvement de libération du peuple (MLP)21. Néanmoins la FNM garde des relais cohérents avec son substrat d’origine. Parmi eux, un nom revient régulièrement : Robert Prigent22. Il est un des dirigeants du MPF en 1941, à l’origine de la transformation de la Ligue ouvrière chrétienne en MPF. On connaît, grâce à Joseph Debès, quelques éléments de cette transformation23. Sur le procès-verbal de création de la FNM apparaît le nom de Louis Meyer, « représentant du service des malades ». Il est, en 1946, secrétaire général de la FNM et le rédacteur en chef de Vers la Vie. Or, si en 1941 Robert Prigent organise le MPF, il intègre par la suite la Résistance et rejoint le Conseil national de la résistance (CNR) d’Alger. Il prend part à l’élaboration du programme social de la Résistance. Il est ministre de la Santé entre novembre 1945 et décembre 1946, puis à nouveau entre mai et octobre 194724. Il existe donc un lien direct entre les instances de la FNM et les autorités politiques.

  • 25 « Henri Mage, notre regretté camarade », Vers la Vie, novembre 1948, p. 2.
  • 26 « Les manœuvres de la médecine officielle sont loin de prouver sa volonté de faire la lumière sur (...)
  • 27 « Ni marchands de soupe ni fonctionnarisme », Vers la Vie, octobre 1946, p. 1.
  • 28 « Le professeur Rist condamné pour insultes », Vers la Vie, juillet 1950, p. 3.

10Malgré cet arrière-plan politique et en dépit de sa prégnance forte dans le champ de l’influence, la FNM est une association de tuberculeux. D’ailleurs les quelques dirigeants identifiés, Louis Meyer déjà cité, mais aussi Henri Mage25, premier président de l’association et d’autres, sont tous d’anciens ou actuels pensionnaires des institutions sanatoriales. La fédération est préoccupée par le malade et ses relations avec le monde médical. Relations qui sont pour le moins tendues, surtout avec la « médecine officielle26 », nom générique qui incarne les dérives supposées d’un corps médical, inattentif, condescendant, allié aux « marchands de soupe27 » et dirigé par les grands professeurs comme Édouard Rist28, accrochés à la chirurgie thoracique.

Vers la Vie, un journal d’actualité médicale, sociale et militante

  • 29 Découverte par Charles Hollande de l’université de Montpellier, la clitocybine et son inventeur fo (...)
  • 30 « Pour vous Mesdames », Vers la Vie, mai 1948, p. 4.
  • 31 « Mort aux affameurs », Vers la Vie, juin 1946, p. 3 ; « Entre deux portes, nous nous sommes fait (...)

11Vers la Vie se veut un journal complet centré sur le pensionnaire de sanatorium. C’est un journal d’actualité médicale, qui suit avec attention les évolutions du tableau thérapeutique. Ainsi les antibiotiques, font l’objet d’articles disséminés sur toute la période et l’on suit une sorte de feuilleton qui égrène ses épisodes aux noms restés célèbres : Streptomycine et Rimifon ou plus confidentiels comme la Clitocybine29. Il suit aussi l’actualité administrative, indiquant les services et les démarches à suivre pour obtenir telle ou telle prestation, détaillant par le menu les évolutions législatives et parlementaires. C’est également un journal de vie pratique avec ses conseils pour réaliser : poupées, soutien-gorge30, sonorisation des locaux ou organisation d’activités destinées à sortir de l’ennui. C’est enfin un journal de propagande qui relate l’action centrale et rend compte de la multitude d’actions organisées par le réseau des unions départementales de la FNM. On y perçoit le véritable rôle de médiateur social de certains militants qui reçoivent lors de « permanences » les usagers pour préparer dossiers et demandes que l’on adresse ensuite aux organismes concernés. C’est un journal qui bénéficie de l’expertise ancienne de la JOC-LOC-MPF en matière de presse. Il en a d’ailleurs la patte éditoriale, avec un ton revendicatif, aux accents populaires et irrévérencieux. Des titres comme « Mort aux affameurs », « Entre deux portes, nous nous sommes fait entendre d’un homme entre deux chaises », ou d’autres qui appellent à faire sauter le ministère de la Santé donnent une idée de la façon dont la FNM présente son combat31.

12Le cœur des revendications de la FNM et de son journal, repose, quoiqu’il ne soit pas directement affiché comme tel, sur un triptyque : dignité, autonomie, connaissance.

  • 32 « La malade reste un homme », Vers la Vie, octobre 1950, p. 2.
  • 33 Luc Vincent, « Toujours la tuberculophobie », Vers la Vie, février 1947, p. 2.

13La dignité du malade pour la FNM est sa nature humaine irréfragable. Le « malade reste un homme32 », il n’est pas la somme d’organes dysfonctionnant, ou le porteur d’un stigmate social qui le condamnerait à l’ostracisme. Le mot « tuberculophobie33 » est ainsi régulièrement employé. Il désigne ici, l’impossibilité pour l’ancien pensionnaire du « sana » à retrouver un travail. Il est ainsi condamné à mener « une vie de misère » avec des pensions insuffisantes ; la dignité pour la FNM est d’abord une question économique.

  • 34 « À la commission des thérapeutiques nouvelles. Une histoire de fous », Vers la Vie, mars 1949, p. (...)
  • 35 « L’établissement collectif de soins doit cesser d’être une “affaire” pour devenir propriété parta (...)

14L’autonomie que prône la FNM est double. C’est d’abord celle du libre choix de sa thérapeutique, même si elle est jugée marginale ou dangereuse par les autorités. Cette lutte pour les « thérapeutiques nouvelles34 » est centrale dans la rupture avec le corps médical. C’est ensuite celle de la « cogestion35 » des établissements sanatoriaux et plus généralement de la prise en compte des revendications des malades dans la gestion de la santé publique.

  • 36 Bruno Duriez, « La différenciation des engagements : l’Action catholique ouvrière entre radicalism (...)
  • 37 Prof, « Croisière extragalactique », Vers la Vie, juin 1947, p. 4.

15Le véritable moyen d’assurer cette autonomie ou, tout au moins, de rééquilibrer le rapport patients-soignants, c’est la connaissance. Nous avons déjà évoqué le suivi des antibiotiques, mais c’est une action d’acculturation scientifique plus large que Vers la Vie entend mener en abordant des champs aussi variés que la physique, l’astronomie, la diététique, etc. Il reprend en cela la tradition des mouvements chrétiens désireux de créer une « élite ouvrière », en menant une large entreprise d’éducation de ses membres36. Les quelques articles signés « Prof », sur l’astronomie, semblent très renseignés malgré leur présentation sous forme de fables, peut-être pour les rendre moins arides37.

L’action d’influence politique de la FNM

  • 38 « La FNM chez le président de la République », Vers la Vie, mai 1950, p. 1.
  • 39 « Le bureau fédéral chez M. Prigent », Vers la Vie, mars 1946, p. 1.
  • 40 « Pour la première fois en France, un Conseil consultatif des associations de malade est crée aupr (...)
  • 41 « Les malades feront obstacle à la circulaire 278 », Vers la Vie, mai 1948, p. 1.
  • 42 « M. Schneiter citez-nous des faits », Vers la Vie, mars 1950, p. 3.
  • 43 Lion Murard et Patrick Zylberman, « Mi-ignoré, mi-méprisé ? Le ministère de la Santé publique, 192 (...)

16Les colonnes de Vers la Vie rendent compte avec régularité de l’action d’influence déployée à destination des décideurs politiques. L’unique mention d’une rencontre avec le président de République Vincent Auriol38, si elle est peut-être anecdotique, sur le plan de l’efficacité à orienter une politique, est le signe d’une reconnaissance, tout au moins symbolique, de la légitimité de la cause et de ses défenseurs. L’interlocuteur le plus visible est le ministre de la Santé et de la Population et ses services. Cette relation prend plusieurs formes, rendez-vous ès qualités39, participations à des réunions de travail40. Il existe des relations épistolaires qui portent sur des questions structurantes, parfois assez techniques, comme sur les questions de pensions41 et sur des dossiers particuliers ou locaux. Au-delà, le ministre est la référence, c’est à lui qu’on adresse les satisfecit ou les reproches42. Dans son combat, la FNM a identifié ce poste politique comme étant le point d’appui qui lui permettra de peser. C’est pourtant une fonction éminemment volatile avec pas moins de quatorze titulaires pendant notre période, ce qui fragilise la position du ministre. Cette fragilité est accrue par la position encore subalterne du ministère dans l’ordre hiérarchique de l’État43. Pour tenter d’éclairer les actions de la FNM et mesurer son efficacité auprès de ce pouvoir politique, trois « fils rouges » sont apparus comme étant illustratifs de la capacité à agir de la FNM, et de ses limites.

Le Conseil national consultatif des associations de malades

  • 44 « Pour la première fois en France, un Conseil consultatif des associations de malade est crée… », (...)
  • 45 « La Fédération reçue au ministère de la Population », Vers la Vie, janvier 1946, p. 1.
  • 46 Pierre Guillaume, Du désespoir au salut…, op. cit.
  • 47 Jean-Philippe Hesse et Jean-Pierre Le Crom (dir.), La protection sociale sous le régime de Vichy, (...)
  • 48 « La Vie ouvrière », Vers la Vie, avril 1946, p. 3.

17La création d’un Conseil national consultatif des associations de malades (CNCAM) est le grand titre du numéro d’avril 194644. Sa présentation : « Pour la première fois en France, un Conseil consultatif des associations de malades est créé auprès du ministère de la Santé Publique », ne laisse que peu de doute sur l’importance que donne la FNM à cette structure, et sur l’interlocuteur privilégié de sa démarche. Cet objet reste malheureusement encore flou, les seules mentions en faisant état, pour le moment, sont celles trouvées dans le journal. Il existe pourtant certains indices qui permettent de faire des hypothèses sur la genèse et la destination de l’institution. La volonté de créer une telle structure est évoquée dès le premier numéro de Vers la Vie en janvier 1946, à l’occasion d’un rendez-vous avec le ministre de la Population : « Nous avons demandé que soit créé, auprès du ministère, un Conseil des Associations de Malades, dont le but serait d’éclairer directement le Ministre des problèmes des malades45 ». La structure est inaugurée le 19 mars 1946 par le ministre dont le discours, résumé dans l’article, reprend expressément cette volonté de « lien direct et fort ». Elle rassemble 17 personnes dont un représentant des grandes associations de patients. Il faut ajouter des médecins de « l’Académie et de l’Institut Pasteur » et des fonctionnaires. Cette commission doit se réunir tous les deux mois, le troisième lundi à 16 heures (sic). Les membres du CNCAM, quoique le sigle ne soit jamais utilisé, décident de se répartir en sous-commissions dont quatre sont citées dans cet ordre : celle chargée du rééquilibrage des différentes pensions d’invalidités ; celle, centrale, sur les thérapeutiques nouvelles ; celle dédiée à la répartition des ressources du timbre antituberculeux et enfin celle concernant la « suralimentation » des malades. On notera ici, la nature différente des thèmes traités qui couvrent un large spectre de préoccupations, tant économiques que médicales, et qui touchent même aux financements avec les ressources non-négligeables du timbre46. C’est une structure assez ambitieuse. Il s’agit d’une opération orchestrée de gestion et de communication politique, qui met en avant les associations de patients, et qui fait du ministère l’arbitre entre celles-ci et les médecins. Quel rôle la FNM a-t-elle joué dans cette opération ? On peut remarquer que la FNM est fondée en décembre 1945, reçue certainement le même mois par le ministre, et que deux mois et demi après, elle est intégrée à une instance d’orientation de la politique de santé publique. Faut-il y voir la manifestation des liens personnels que certains dirigeants de la FNM entretiennent avec le ministre ou encore l’illustration du désir de « renouvellement de la société47 » ? L’efficacité de la démarche est sans conteste, mais elle lie aussi l’association au ministère et l’institutionnalise. On trouve pourtant au sein de Vers la Vie, une mise en garde contre ce genre de démarche. Dans un bref compte rendu qui relate le 26e congrès de la CGT, paru dans ce même numéro d’avril 1946, apparaît ce commentaire évoquant les comités d’entreprise et la place grandissante des syndicats comme outils de gestion : « Nous craignons seulement que cela nous mène à une confusion regrettable entre syndicalisme et politique et que l’abandon de la formule de combat n’enlève au syndicalisme ce qui faisait à la fois son dynamisme et son efficacité48 ».

18Le « conseil » est le lieu de rencontres assez fréquentes, et semble actif jusqu’en 1950. Après les mentions sont moins nettes et si des réunions sont relatées, le terme de « Conseil consultatif » n’est plus aussi clairement utilisé. De plus les articles ne traitent pas précisément des travaux par sous-commission, leur sort est obscur. Très vite, les discussions du Conseil se focalisent sur ce qui constitue une des principales récurrences du journal et le cœur des récriminations contre le corps médical : « les thérapeutiques nouvelles ».

Les « thérapeutiques nouvelles »

  • 49 « La Streptomycine est le premier antibiotique ayant une action efficace contre le BK », Vers la V (...)
  • 50 « Un professeur américain parle à l’Institut Pasteur de la Streptomycine », décembre 1946, p. 2.
  • 51 « La répartition de la Streptomycine », Vers la Vie, mars 1947, p. 3.
  • 52 « Drogues miraculeuses  ? », Vers la Vie, mars 1952, p. 4.
  • 53 « Un chimiste de la région parisienne aurait-il découvert un traitement contre la tuberculose », V (...)
  • 54 Fournier, « Interview du docteur Fouqué sur la Bernaythérapie », Vers la Vie, juin 1946, p. 3.
  • 55 Thierry Lefebvre, « Une offensive contre le charlatanisme dans les années vingt », Revue d’histoir (...)
  • 56 « Documents sur l’affaire Doré », Vers la Vie, juin 1946, p. 2.
  • 57 « Que la lumière soit faite sur le traitement Doré », Vers la Vie, mai 1946, p. 3.
  • 58 « Documents sur l’affaire Doré », art. cité.
  • 59 « Les manœuvres de la médecine officielle sont loin de prouver sa volonté de faire la lumière sur (...)
  • 60 « Les malades prennent actes des promesses du ministre de la Santé publique relatif à la création (...)
  • 61 « Doré en correctionnelle », Vers la Vie, avril 1947, p. 3.
  • 62 « À la commission des thérapeutiques nouvelles… », art. cité, p. 3.
  • 63 « Entre deux portes, nous nous sommes fait entendre d’un homme entre deux chaises », art. cité.
  • 64 Notice biographique de Pierre Schneiter dans la base de données des députés français depuis 1789 : (...)
  • 65 « L’attitude du ministre de la santé publique signifie-t-elle un retour en arrière dans l’ère de c (...)
  • 66 « Cessera-t-on de se moquer des malades ou bien faudra-t-il faire sauter le ministère de la Santé (...)
  • 67 « La vaccination par le BCG est désormais obligatoire », Vers la Vie, février 1950, p. 3.
  • 68 « Le Dr Rist de l’académie de médecine et les thérapeutiques nouvelles », Vers la Vie, mai 1949, p (...)

19Pour comprendre ce débat, il faut intégrer que c’est un moment d’espoir et d’attentes thérapeutiques. Une mention parmi d’autres nous donne une idée de cet horizon. Dans un article de 1948 concernant la Streptomycine, alors que celle-ci a déjà montré ses limites dans le traitement de la forme pulmonaire de la maladie, on trouve ce commentaire : « malgré ces limites, les résultats sont très encourageants et la chimiothérapie apportera demain des moyens de soigner la tuberculose dans toutes ses localisations49 ». Nous avons brièvement évoqué la volonté d’information et d’éducation scientifique de Vers la Vie, celle-ci prend toute son ampleur sur ces questions de « chimiothérapie ». L’acuité avec laquelle l’association traite ces questions est extrême. Elle relate et vulgarise des communications scientifiques50. Elle suit les expérimentations, donne des informations précises sur les services qui suivent les protocoles51. Cette expertise interroge d’ailleurs. Est-ce là encore le signe de la proximité avec le ministère ou la manifestation d’autres réseaux ? Cette veille scientifique attentive relève certainement de cet espoir et l’introduction rapide du Rimifon à partir de 1952 est très vite présentée et perçue comme la réalisation tant attendue52. Mais à côté de cette chimiothérapie officielle on trouve différents « médicaments » que les autorités médicales jugent inefficaces, voire qu’elles considèrent comme des escroqueries. C’est un point de discorde considérable entre l’association et le pouvoir médical. Le sujet apparaît en avril 1946 : « un chimiste de la région parisienne aurait-il découvert un traitement contre la tuberculose ?53 ». À ce qui devient rapidement l’affaire Doré, se joignent d’autres techniques, « Vaccin Marbais », « Bernaythérapie », « méthode ART ». Elles semblent toutes liées à l’injection d’une sorte de vaccin54. Pour les autorités, la proximité de ces vaccins avec la méthode « Friedmann » les rend suspects. Ce même vaccin Friedmann, qui, dès les années 1924, faisait l’objet d’une campagne contre le charlatanisme, animée par le Centre national de défense contre la tuberculose et soutenue par des médecins qui apparaissent dans cette controverse55. Ces « thérapeutiques nouvelles » semblent connaître du succès notamment dans les sanatoriums. L’ampleur du phénomène est suffisante pour que le CNRS publie un communiqué de presse qui met en garde contre « les faux espoirs suscités par des articles parus dans la presse », communiqué repris par Vers la Vie56. À la suite de ces « faux espoirs » la FNM demande qu’une expertise soit menée sur la méthode Doré. C’est d’ailleurs, d’après l’article, une demande de toutes les associations émises dans le cadre du Conseil consultatif57. Rapidement, cette expertise est diligentée sous la tutelle de l’Institut Pasteur. Les résultats paraissent dans le numéro de juin 194658. Là encore la rapidité entre la revendication et sa résolution est remarquable. Pour des raisons quelque peu complexes, l’expertise apparaît comme biaisée aux yeux de la FNM. Dès lors, et pour le reste de la période, les « thérapeutiques nouvelles » sont le terrain d’une lutte entre la FNM et le corps médical. La FNM n’indique jamais qu’elle cautionne ces thérapeutiques. Ce qu’elle veut connaître : la vérité, vérité forcément cachée par les « manœuvres de la médecine officielle59 ». En 1947, après une campagne au sein du Conseil consultatif et dans les colonnes du journal, les associations obtiennent même du ministère la promesse de la création d’un laboratoire d’expérimentation indépendant60. Il est à noter que ces promesses sont faites alors que Prigent est redevenu ministre. Pourtant alors qu’il semble marquer l’apogée de « l’efficacité » de l’association, ce dossier connaît un fort enlisement, et le laboratoire ne fut pas réalisé. Si la FNM se mobilise pour les « thérapeutiques nouvelles », les promoteurs et utilisateurs de ces techniques sont l’objet de plaintes pour exercice illégal de la médecine. Ils sont poursuivis et dans la plupart des cas condamnés61. Dans le même temps, au sein du Conseil consultatif, les « médecins » campent sur leurs positions : les thérapeutiques nouvelles relèvent au mieux de la naïveté et sont des escroqueries de charlatans. Pour la FNM, c’est une position condescendante qui suscite l’irritation62. Pendant un peu plus d’un an, la situation reste sur ce statu quo. Un article d’octobre 1948 marque un point de basculement. Intitulé de façon quelque peu irrévérencieuse : « entre deux portes nous nous sommes fait entendre d’un homme entre deux chaises63 », il relate la réunion avec Pierre Schneiter, nouveau ministre de la Santé. La prédiction de brièveté induite dans le titre va se révéler fausse, puisque Pierre Schneiter occupe le poste sous les différents gouvernements jusqu’en août 1951. Le nouveau ministre est membre du MRP, résistant, déporté et ne semble pas lié à la santé publique64. Cinq mois après, en mars 1949, Vers la Vie pose cette question : « L’attitude du ministre de la Santé publique signifie-t-elle un retour en arrière dans l’ère de collaboration avec les organisations de malades inaugurée par ses prédécesseurs ?65 ». Au mois d’octobre de la même année, Vers la Vie titre : « Cessera-t-on de se moquer des malades ou bien faudra-t-il faire sauter le ministère de la Santé publique66 ». Le coup de grâce est porté trois mois après, avec la mise en place de la vaccination obligatoire par BCG en janvier 195067. Cette décision non concertée est, pour la FNM, « un coup de force de la médecine officielle68 ». On ne peut rien dire ici des motivations du ministre. On peut néanmoins constater qu’il rompt, ne serait-ce que par la durée avec ses prédécesseurs, et que sur le plan du rapport avec la FNM la rupture est brutale. L’association est refoulée du champ médical, interdite de participer aux décisions. Les idées qui avaient présidé à la constitution du Conseil consultatif sont pour le moins écornées. Est-ce là la conséquence d’un lien trop personnalisé avec un ministre particulier, dont le remplacement met à mal une position auparavant enviable ? Ou les raisons de la dégradation des rapports sont-elles à chercher ailleurs ?

Les « dramatiques » incidents en sanatoriums

  • 69 « Les incidents de “La Nouvielle” », Vers la Vie, août 1947, p. 2.
  • 70 « Annonces », Vers la Vie, janvier 1949, p. 4.
  • 71 Pierre Guillaume, Du désespoir au salut…, op. cit.
  • 72 GRMF, Bruno Duriez, Jean Nizey et al., La solidarité en actes. Services collectifs et expression d (...)
  • 73 « Vous faudra-il des morts  ? », Vers la Vie, juillet 1950, p. 3.
  • 74 Ibid.
  • 75 GRMF et al., La solidarité en actes, op. cit.
  • 76 « Abrogez la circulaire 146 ! », Vers la Vie, septembre 1949, p. 1.
  • 77 « M. Schneiter citez-nous des faits », art. cité, p. 3.

20Le sanatorium est un lieu de thérapie mais aussi de vie. Les représentants fédéraux de la FNM y donnent régulièrement des conférences à la demande des amicales, les associations locales constituées aux seins des sanatoriums. Les conférences s’agrémentent souvent d’une visite et d’un « verre de l’amitié69 ». Dans un premier temps, les médecins-directeurs ne s’opposent pas à ces conférences, qui relèvent du fonctionnement classique des amicales. On voit d’ailleurs régulièrement des mentions dans les rubriques consacrées aux activités locales70. On sait d’ailleurs par la littérature que les responsables de sanatoriums, pour certains échaudés par des confrontations antérieures, tentent de conserver de bons rapports avec les amicales et leurs dirigeants71. Pourtant les choses peuvent s’envenimer. Alors blocages, confrontations verbales, avec des menaces d’en appeler au « préfet » peuvent émailler ces visites72. Des bousculades et même des coups peuvent être échangés. Les forces de l’ordre sont mobilisées réglant la situation par des « brutalités policières73 ». Il y a là clairement une forme de mise en scène et d’instrumentalisation d’incidents. On perçoit bien que les épisodes « dramatiques » le sont d’autant plus que le paysage associatif local est fragmenté. Ainsi les éventuels « coups » et incidents les plus graves opposent en fait, les représentants locaux des amicales concurrentes74. S’il existe des amicales conjointes ayant réussi « l’unité », si chère à la FNM, d’autres sont divisées et prennent les couleurs des différentes associations : FNM, FNT, FNBPC, etc. Si on ne sait quelle est la part effective prise par les dirigeants, le journal, lui, reprend ces incidents en chargeant invariablement le médecin-directeur. Cette stratégie d’agitation se révèle contre-productive. Dans un ouvrage publié en 2002, Francis Montès, secrétaire général de la FNM en 1950, pour qualifier ces manœuvres, a cette formule : « Est bien piégé celui qui voulait piéger… la FNM75 ». C’est à une sorte de piège que mènent ces opérations, car si dans la période antérieure les bonnes relations et la fragmentation des cabinets ministériels empêchaient toute réponse forte, les choses changent avec le nouveau ministre. À une date incertaine, mais dont Vers la Vie fait mention en septembre 1949, le ministère publie une circulaire numéro 146, qui réaffirme la primauté du médecin-directeur dans la gestion de la discipline interne. Cette circulaire permet d’interdire l’accès du sanatorium aux représentants des associations76. C’est évidemment le tollé dans les colonnes du mensuel, le ministre est sommé de s’expliquer77, et la circulaire devient l’emblème d’un rapport déséquilibré, bien loin de la cogestion promue par la FNM.

21L’incursion faite à l’occasion de cette recherche dans les pages de Vers la Vie fut riche à plusieurs égards. Commencée par une question très classique, Qu’y avait-il avant ?, cette étude qui se voulait concentrée sur le champ de l’histoire de la santé, s’est très vite confrontée au maquis politique et syndical de l’Occupation et de la Libération. Et même si la FNM est une association de tuberculeux, le doute, ou tout au moins une gêne subsiste, quant à la profondeur de son action, et la réussite éclatante de ses premières années interroge. La question se pose alors : l’action de la FNM, n’est-elle que l’histoire d’un échec politique ? La FNM ne serait alors qu’une « singularité » née des circonstances de l’après-guerre, portée un temps par des volontés bien placées, et vouée ensuite à la disparition ? Là encore il faut répondre par la négative. Nous nous sommes interrogé ici sur l’efficacité de l’action d’une association de malades. Décrire la FNM, comme un simple « coup », une aventure, serait faux, autrement comment expliquer l’exceptionnelle pérennité de la structure et de son journal ? Car il faut le rappeler Vers la Vie a cessé d’être publié en 2006, soixante ans après sa première édition. Voilà qui semble fort éloigné de toute instantanéité et qui est certainement la manifestation d’un substrat humain et conceptuel structuré. Quarante ans avant la crise du sida, des associations de patients fortes ont existé, capables de peser dans l’action publique et de se faire reconnaître au plus haut sommet de l’État. Celles-ci ont peut-être réussi à mettre en place une proto démocratie sanitaire, potentiel espace de dialogue, mais aussi de direction de la santé publique. Même si les efforts de la FNM se sont finalement révélés apparemment sans lendemain, on peut s’interroger sur l’éventuelle « précocité » de la démarche venue trop tôt, en tout cas avant les grandes contestations des années 1960-1970. Le prestige et la position dominante du corps médical sont-elles encore trop fortes, dans ces années pour qu’une réelle remise en question puisse avoir lieu ? Cependant les causes profondes de la « défaite » de la FNM sont peut-être à chercher ailleurs. Dans les années qui suivirent notre période étudiée, c’est tout le modèle de soin tuberculeux qui disparaît, rendu obsolète en moins de dix ans par les nouvelles chimiothérapies. Cette perte de substance et de repères alors amorcée est peut-être la cause de la perte d’efficacité de la FNM : si les antibiotiques n’ont pas tué la tuberculose, ils ont sûrement tué une certaine tuberculose, celle qui formait la raison d’être de la FNM.

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Notes

1 La revue a été consultée à la Bibliothèque nationale de France, cote FOL-JO 3662_1946-1947, 1955-1961.

2 « Extrait des statuts », Vers la Vie, janvier 1946, p. 2.

3 « Notre histoire », Fédération des Malades Handicapés : https://fmh-association.org/presentation/notre-histoire/ (consulté le 4 octobre 2017).

4 « Pas des petits garçons », Vers la Vie, mars 1947, p. 2.

5 Pierre Bachelot, Vers la Vie, un journal d’association de patients (1945-1955), mémoire de master 1 dirigé par Hervé Guillemain, Le Mans Université, 2017.

6 Roy Porter, « Patient’s View: Doing Medical History from below », Theory and society, 14/2, 1985, p. 175-195.

7 Hervé Guillemain et Nathalie Richard, « Towards a Contemporary Historiography of Amateurs in Science », Gesnerus, 73/2, 2016, p. 137.

8 Michel Foucault, Naissance de la clinique, Paris, PUF, 2009 [1963].

9 Corinne Doria, « Qui a le droit d’écrire l’histoire ? Controverse autour de l’histoire de la médecine en France (xxe-xxie siècle) », Journal of the Canadian Historical Association, 27/2, 2016, p. 41-62, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.7202/1040561ar.

10 Steven Epstein, Histoire du sida, 1, Le virus est-il bien la cause du sida ? ; 2, La grande révolte des malades, Paris, Les empêcheurs de penser en rond, 2001.

11 Philip Rieder, La figure du patient au xviiie siècle, Genève, Droz, 2010.

12 Il a été évoqué encore récemment dans le film de Robin Campillo, 120 battements par minute, Les films de Pierre, 2017.

13 Nathalie Richard, La Vie de Jésus de Renan : la fabrique d’un best-seller, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015.

14 Pierre Guillaume, Du désespoir au salut : les tuberculeux aux xixe et xxe siècles, Paris, Aubier, 1986.

15 Lion Murard et Patrick Zylberman, « La mission Rockefeller en France et la création du Comité national de défense contre la tuberculose (1917-1923) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 34/2, 1987, p. 257-281.

16 Christophe Capuano et Marie-Emanuelle Chessel, « Qu’est-ce qu’une association catholique éfficace ? (1900-1947) », Entreprises et histoire, 56, 2009, p. 30-48.

17 Groupement pour la recherche sur les mouvements familiaux (GRMF), Monde ouvrier, 1937-1957 : une presse libre pour des temps difficiles, Forest-sur-Marque, GRMF (Les Cahiers du GRMF), 1986.

18 GRMF, De l’action catholique au mouvement ouvrier : la déconfessionnalisation du mouvement populaire des familles, 1941-1950. Journée d’étude du 1er octobre 1983, Forest-sur-Marque, GMRF (Les Cahiers du GRMF), 1984.

19 Joseph Debès, Naissance de l’Action catholique ouvrière, Paris, Éditions ouvrières, 1982.

20 « Justice et Fraternité », Vers la Vie, janvier 1946, p. 1.

21 GRMF, Monde ouvrier, 1937-1957 : une presse libre pour des temps difficiles, op. cit., p. 79.

22 Bruno Béthouart, Des syndicalistes chrétiens en politique, 1944-1962 : de la Libération à la Ve République, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion (Histoire et civilisations), 1999.

23 Joseph Debès, Naissance de l’Action catholique ouvrière, op. cit.

24 Bruno Béthouart, Des syndicalistes chrétiens en politique, 1944-1962, op. cit.

25 « Henri Mage, notre regretté camarade », Vers la Vie, novembre 1948, p. 2.

26 « Les manœuvres de la médecine officielle sont loin de prouver sa volonté de faire la lumière sur les thérapeutiques nouvelles », Vers la Vie, décembre 1947, p. 1.

27 « Ni marchands de soupe ni fonctionnarisme », Vers la Vie, octobre 1946, p. 1.

28 « Le professeur Rist condamné pour insultes », Vers la Vie, juillet 1950, p. 3.

29 Découverte par Charles Hollande de l’université de Montpellier, la clitocybine et son inventeur font l’objet de plusieurs articles qui suivent sa recherche, sans que la molécule ne soit réellement utilisée dans les traitements : « La merveilleuse découverte du professeur Hollande », Vers la Vie, février 1946, p. 1.

30 « Pour vous Mesdames », Vers la Vie, mai 1948, p. 4.

31 « Mort aux affameurs », Vers la Vie, juin 1946, p. 3 ; « Entre deux portes, nous nous sommes fait entendre d’un homme entre deux chaises », Vers la Vie, octobre 1948, p. 1 ; « Cessera-t-on de se moquer des malades ou bien faudra-t-il faire sauter le ministère de la Santé publique  ? », Vers la Vie, octobre 1949, p. 1.

32 « La malade reste un homme », Vers la Vie, octobre 1950, p. 2.

33 Luc Vincent, « Toujours la tuberculophobie », Vers la Vie, février 1947, p. 2.

34 « À la commission des thérapeutiques nouvelles. Une histoire de fous », Vers la Vie, mars 1949, p. 3.

35 « L’établissement collectif de soins doit cesser d’être une “affaire” pour devenir propriété partagé », Vers la Vie, avril 1947, p. 1.

36 Bruno Duriez, « La différenciation des engagements : l’Action catholique ouvrière entre radicalisme politique et conformisme religieux », communication à l’atelier « Porter les Évangiles au monde » : les logiques religieuses d’engagements politiques des catholiques au xxe siècle, 9e congrès de l’Association française de science politique, Toulouse, 5-7 septembre 2007, en ligne : http://www.afsp.msh-paris.fr/congres2007/ateliers/textes/at17duriez.pdf (consulté le 23 janvier 2019).

37 Prof, « Croisière extragalactique », Vers la Vie, juin 1947, p. 4.

38 « La FNM chez le président de la République », Vers la Vie, mai 1950, p. 1.

39 « Le bureau fédéral chez M. Prigent », Vers la Vie, mars 1946, p. 1.

40 « Pour la première fois en France, un Conseil consultatif des associations de malade est crée auprès du ministère de la Santé publique », Vers la Vie, avril 1946, p. 1.

41 « Les malades feront obstacle à la circulaire 278 », Vers la Vie, mai 1948, p. 1.

42 « M. Schneiter citez-nous des faits », Vers la Vie, mars 1950, p. 3.

43 Lion Murard et Patrick Zylberman, « Mi-ignoré, mi-méprisé ? Le ministère de la Santé publique, 1920-1945 », Les Tribunes de la santé, 1/1, 2003, p. 19.

44 « Pour la première fois en France, un Conseil consultatif des associations de malade est crée… », art. cité.

45 « La Fédération reçue au ministère de la Population », Vers la Vie, janvier 1946, p. 1.

46 Pierre Guillaume, Du désespoir au salut…, op. cit.

47 Jean-Philippe Hesse et Jean-Pierre Le Crom (dir.), La protection sociale sous le régime de Vichy, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2001, p. 12.

48 « La Vie ouvrière », Vers la Vie, avril 1946, p. 3.

49 « La Streptomycine est le premier antibiotique ayant une action efficace contre le BK », Vers la Vie, novembre 1948, p. 3.

50 « Un professeur américain parle à l’Institut Pasteur de la Streptomycine », décembre 1946, p. 2.

51 « La répartition de la Streptomycine », Vers la Vie, mars 1947, p. 3.

52 « Drogues miraculeuses  ? », Vers la Vie, mars 1952, p. 4.

53 « Un chimiste de la région parisienne aurait-il découvert un traitement contre la tuberculose », Vers la Vie, avril 1946, p. 2.

54 Fournier, « Interview du docteur Fouqué sur la Bernaythérapie », Vers la Vie, juin 1946, p. 3.

55 Thierry Lefebvre, « Une offensive contre le charlatanisme dans les années vingt », Revue d’histoire de la pharmacie, 87/324, 1999, p. 449-458.

56 « Documents sur l’affaire Doré », Vers la Vie, juin 1946, p. 2.

57 « Que la lumière soit faite sur le traitement Doré », Vers la Vie, mai 1946, p. 3.

58 « Documents sur l’affaire Doré », art. cité.

59 « Les manœuvres de la médecine officielle sont loin de prouver sa volonté de faire la lumière sur les thérapeutiques nouvelles », art. cité, p. 1.

60 « Les malades prennent actes des promesses du ministre de la Santé publique relatif à la création d’un centre d’expérimentation », Vers la Vie, août 1947, p. 1.

61 « Doré en correctionnelle », Vers la Vie, avril 1947, p. 3.

62 « À la commission des thérapeutiques nouvelles… », art. cité, p. 3.

63 « Entre deux portes, nous nous sommes fait entendre d’un homme entre deux chaises », art. cité.

64 Notice biographique de Pierre Schneiter dans la base de données des députés français depuis 1789 : http://www2.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche/(num_dept)/6353 (consultée le 17 janvier 2019).

65 « L’attitude du ministre de la santé publique signifie-t-elle un retour en arrière dans l’ère de collaboration avec les organisations de malades inaugurée par ses prédécesseurs ? », Vers la Vie, mars 1949, p. 2.

66 « Cessera-t-on de se moquer des malades ou bien faudra-t-il faire sauter le ministère de la Santé publique  ? », Vers la Vie, octobre 1949, p. 1.

67 « La vaccination par le BCG est désormais obligatoire », Vers la Vie, février 1950, p. 3.

68 « Le Dr Rist de l’académie de médecine et les thérapeutiques nouvelles », Vers la Vie, mai 1949, p. 3.

69 « Les incidents de “La Nouvielle” », Vers la Vie, août 1947, p. 2.

70 « Annonces », Vers la Vie, janvier 1949, p. 4.

71 Pierre Guillaume, Du désespoir au salut…, op. cit.

72 GRMF, Bruno Duriez, Jean Nizey et al., La solidarité en actes. Services collectifs et expression des usagers dans le mouvement populaire des familles, 1940-1955, Villeneuve d’Ascq, GRMF, 2002, p. 374.

73 « Vous faudra-il des morts  ? », Vers la Vie, juillet 1950, p. 3.

74 Ibid.

75 GRMF et al., La solidarité en actes, op. cit.

76 « Abrogez la circulaire 146 ! », Vers la Vie, septembre 1949, p. 1.

77 « M. Schneiter citez-nous des faits », art. cité, p. 3.

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Pour citer cet article

Référence papier

Pierre Bachelot, « L’influence politique d’une association de malades au cours des années 1945-1955, au travers de son mensuel Vers la Vie »Histoire, médecine et santé, 14 | 2019, 103-117.

Référence électronique

Pierre Bachelot, « L’influence politique d’une association de malades au cours des années 1945-1955, au travers de son mensuel Vers la Vie »Histoire, médecine et santé [En ligne], 14 | hiver 2018, mis en ligne le 15 mars 2019, consulté le 25 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/1787 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.1787

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Auteur

Pierre Bachelot

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