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Dossier thématique : Médicalisation de la sexualité

Perversions parisiennes

La psychopathologie sexuelle en France entre 1872 et 1897
Parisian perversions. Sexual psychopathology in France between 1872 and 1897
Julie Mazaleigue-Labaste
p. 19-38

Résumés

À partir des registres d’internement du Bureau d’admission de l’asile Sainte-Anne, cette étude montre comment les conditions matérielles et institutionnelles de la clinique octroyèrent une allure spécifique à la psychopathologie sexuelle française à la fin du xixe siècle. Elle conduit à trois conclusions : le décalage entre la prolifération culturelle des discours sur les perversions et la réalité clinique et sociale ; le style particulier des théories psychiatriques françaises, qui ne pouvaient accorder d’autonomie à l’étude de la sexualité ; les contradictions entre théories et pratiques, la psychiatrie publique française ne pouvant être considérée de manière univoque comme un instrument de contrôle social des comportements sexuels déviants. En conclusion, les conditions matérielles de la clinique sont un des facteurs expliquant l’absence en France d’une sexologie analogue à celle émergeant dans l’espace germanique au début du xxe siècle.

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Texte intégral

  • 1 Michel Foucault, Histoire de la sexualité, t. 1, La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976.
  • 2 David Halperin, Cent ans d’homosexualité et autres essais sur l’amour grec, Paris, EPEL, 2000 [19 (...)
  • 3 Harry Oosterhuis, Stepchildren of nature. Krafft-Ebing, Psychiatry and the Making of Sexual Identi (...)
  • 4 Chiara Beccalossi, Female Sexual Inversion: Same-Sex Desires in Italian and British Sexology, ca.  (...)
  • 5 Wannes Dupont, « Modernités et homosexualités belges », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire criti (...)
  • 6 Sylvie Chaperon, Les origines de la sexologie, 1850-1900, Paris, Audibert, 2007. Pour un bilan, à (...)
  • 7 Par exemples, André Bejin, « Préface », dans Alfred Binet, Le fétichisme dans l’amour, Paris, Payo (...)

1De son ouverture dans les années 1970 (en particulier avec les travaux de Michel Foucault1) jusqu’aux années 2000, l’histoire de la psychopathologie sexuelle, considérée comme la première forme de sexologie née au xixe siècle, a été dominée par trois approches. La première consiste dans la priorité longtemps accordée – à partir de Foucault et du développement des gay and lesbian studies puis des queer studies en Amérique du Nord et ensuite en Europe – à la problématique de l’identité en relation aux comportements et aux désirs sexuels, et au plus haut degré à l’opposition entre homosexualité et hétérosexualité2. La thèse selon laquelle la psychopathologie sexuelle aurait eu pour ambition et effet principaux d’assigner une identité psychosexuelle spécifique aux « pervers » s’est ainsi imposée pendant trente ans3. La seconde approche, historiographique, consiste en l’accent mis sur les sources et les savants germanophones. De fait, durant l’Âge d’or de la psychopathologie sexuelle (ca 1870-ca 1900), de Richard von Krafft-Ebing à Magnus Hirschfeld, les médecins, psychiatres et sexologues en Allemagne et en Autriche-Hongrie produisirent de nombreux travaux et une clinique des « perversions sexuelles » quantitativement fournie et qualitativement différenciée. L’enrichissement récent de l’histoire des sexologies européennes a toutefois conduit à développer une vision plus complexe et plus nuancée du paysage de la psychopathologie sexuelle. L’attention portée aux « sexualités anormales » durant les trois dernières décennies du xixe siècle traverse en définitive l’ensemble de l’espace européen – tout autant l’Italie4, la Belgique5, la France6, que l’espace germanique – et s’attache à des questions alternatives à celle de l’identité sexuelle7.

  • 8 Julie Mazaleigue-Labaste, Les déséquilibres de l’amour. La genèse du concept de perversion sexuell (...)
  • 9 Lantéri-Laura, Lecture des perversions, op. cit., p. 42.
  • 10 Florence Tamagne, Histoire de l’homosexualité en Europe : Berlin, Londres, Paris, 1919-1939, Paris (...)
  • 11 Tamagne, Histoire de l’homosexualité en Europe, op. cit.
  • 12 Régis Révenin, Homosexualité et prostitution masculines à Paris, 1870-1918, Paris, L’Harmattan, 20 (...)
  • 13 Jean-Martin Charcot et Valentin Magnan, « Inversion du sens génital et autres perversions sexuelle (...)

2Dans ce contexte de renouvellement de l’historiographie des sexologies, je souhaite m’attacher au cas français pour deux raisons épistémologiques et historiques. C’est d’abord en France, en 1849, que furent forgés le premier concept moderne de perversion sexuelle et son espace clinique, qui forma la matrice d’une partie des perversions de l’Âge d’or de la psychopathologie sexuelle (l’inversion sexuelle, le sadisme, le fétichisme, le voyeurisme, la nécrophilie, la zoophilie)8. Et entre 1870 et 1900 une psychopathologie sexuelle proprement française se constitua, en se distinguant de son homologue germanique dans sa manière d’appréhender les perversions. Dans l’espace germanophone et surtout en Allemagne, le « centre organisateur des perversions9 » était l’inversion sexuelle (matrice de la catégorie d’homosexualité), en raison d’un contexte juridique et sociopolitique particulier. Les luttes militantes à l’encontre de la criminalisation des relations entre personnes de même sexe et surtout entre hommes10, visant en particulier le § 175 du Code pénal allemand de 1871, avaient conduit à constituer les relations homoérotiques en problème public, les psychiatres s’attachant alors à en développer la clinique et la psychologie. Par contraste, en France, les relations entre personnes de même sexe étaient dépénalisées depuis 179111. Les relations et communautés homosexuelles masculines faisaient bien l’objet d’une répression en milieu urbain, mais elle restait, par comparaison, relativement silencieuse car essentiellement policière12. Ainsi, si les psychiatres et médecins français occupés de « sexualité anormale » s’intéressèrent aussi à l’inversion sexuelle13, ce fut dans une bien moindre mesure que leurs confrères Outre-Rhin.

  • 14 Vernon Rosario, L’irrésistible ascension du pervers entre littérature et psychiatrie, Paris, EPEL, (...)
  • 15 Yannick Ripa, La ronde des folles. Femme, folie et enfermement au xixe siècle, Paris, Aubier, 1986 (...)
  • 16 Notamment à partir de la théorie du fétichisme d’Alfred Binet en 1887. Alfred Binet, « Le fétichis (...)

3Ce qui conduit à la troisième raison pour laquelle cet article, en sus de chercher à contribuer à l’enrichissement de l’histoire de la psychopathologie sexuelle en Europe, prétend aussi à l’originalité. L’historiographie de la proto-sexologie française reste encore dominée par les sources imprimées. Elle s’est enrichie depuis les années 1990 par l’analyse des échanges entre corpus médicaux et littéraires14, mais en laissant de côté les sources asilaires. Si ces dernières sont bien exploitées par les historiens et historiennes de la psychiatrie, y compris dans la perspective de l’histoire des femmes et du genre15, elles restent un point aveugle pour l’histoire des sexualités au xixe siècle. Or, et c’est la thèse que je soutiens ici, les sources asilaires sont cruciales dans l’appréhension de la spécificité nationale de la psychopathologie sexuelle française. En effet, en dépit du développement d’une première psychologie sexuelle16, les conditions matérielles de la clinique française ont déterminé un style particulier de théories psychiatriques de la sexualité. Ceci a fait obstacle au développement d’une entreprise proprement sexologique qui se serait attachée à l’étude empirique des variétés du désir, de l’imaginaire érotique et du comportement sexuel. Cette spécificité s’explique par la fonction endossée par la psychiatrie française en tant qu’institution publique : la prise en charge d’un certain « rebut de la déviance » non administrable par les institutions familiales, policières et judiciaires. Une clinique asilaire fondée sur des patients « placés d’office » sur décision préfectorale en raison des troubles à l’ordre public qu’ils occasionnaient ou du danger qu’ils représentaient, et la polarisation médico-légale sur la question du passage à l’acte, ont conduit les psychiatres-aliénistes à maintenir la perversion au sein d’un ensemble de troubles obsessionnels et de maladies de l’adaptation et de l’action, et à interroger au premier chef sa dangerosité dans une perspective de gestion des risques.

Le rôle des procédures d’internement dans la clinique

  • 17 Une méthode de dépouillement systématique s’est imposée.
  • 18 Robert Castel, L’ordre psychiatrique. L’Âge d’or de l’aliénisme, Paris, Éditions de Minuit, 1967 ; (...)
  • 19 Le corpus ne comprend pas l’ensemble des PV. Patricia Prestwich a montré que la proportion de pati (...)
  • 20 Prestwich, « Family strategies and medical power… », art. cité.
  • 21 Ibid. Les familles contournaient parfois l’impératif légal en amenant directement leurs membres à (...)
  • 22 Henckes, « Entre tutelle et assistance… », art. cité.

4La thèse que je présente ici s’appuie sur l’analyse des cas cliniques de « perversion sexuelle » auxquels les aliénistes parisiens ont été confrontés durant les trois dernières décennies du xixe siècle, à partir de celle des diagnostics portés sur les individus internés. Le corpus d’archives se compose des 239 Livres de la Loi de l’asile Sainte-Anne entre 1872 et 1897, réunis aux Archives de Paris sous les cotes D3X3 179 à 418. Ce sont les registres des placements du Bureau central d’examen de Sainte-Anne (dit aussi Bureau d’admission ou de répartition), créé en 1867. Reliés et foliotés, ils comptent entre 488 et 506 pages. Chaque page présente les certificats médicaux justifiant l’internement du patient17, le plus souvent sous placement d’office (« PO »), internement sur décision préfectorale conformément aux articles 18 et 19 de la loi de 1838 sur les aliénés (qui fixait le statut des personnes internées, le cadre légal de leur internement et celui de leur protection18). Les placements d’office relevaient donc d’une procédure dont les premières étapes étaient policières. À partir de 1876, les registres comportent aussi des certificats de patients sous placement volontaire (« PV »), désignant un internement non soumis à l’autorité préfectorale à la demande de la famille ou du voisinage. La proportion de certificats de PO dans les Registres de la Loi, établie par sondage sur la période, est comprise entre 90 % et 99 %19. La différence entre PO et PV reste toutefois d’ordre procédural et ne présage pas de l’origine de la demande d’internement. Le rôle des familles à bout de ressources face à leurs membres perturbés ainsi que celui du voisinage dans le recours policier conduisant au placement d’office sont connus20. De plus, le placement volontaire fut interdit dans les asiles de la Seine entre 1840 et 1876 en raison de l’encombrement des asiles. La procédure de PO s’imposait alors21 – non sans soulever de nombreuses critiques, qui faisaient écho à celles du cadre de la loi de 1838 depuis la fin des années 1860, relayées par des ambitions réformatrices qui prirent davantage d’ampleur dans les années 189022.

  • 23 Archives de Paris, D3X3 179 - D3X3 418 (1872-1897). La comparaison avec les Rapports sur le servic (...)
  • 24 Thierry Haustgen, Observations et certificats psychiatriques au xixe siècle, Rueil-Malmaison, Ciba (...)

5Le corpus compte 85 630 certificats23 qui présentent les données suivantes : état civil complet (nom, prénom, genre, âge, profession, lieu de naissance, lieu de résidence, interdiction, c’est-à-dire tutelle, le cas échéant, la date du jugement et le nom du tuteur), copie des arrêtés préfectoraux ayant conduit à la séquestration, reproduction littérale du certificat délivré par le premier médecin ayant examiné l’aliéné, certificats des médecins du Bureau d’admission délivrés sous 24 heures et certificat de quinzaine en vertu des articles 8 et 11 de la loi de 183824. S’y ajoutent la transcription des ordres d’admission, de maintenue, de mutation dans un autre asile de la Seine ou de sortie, et la date du jugement ordonnant la sortie ainsi que le motif de cette dernière (« amélioration » ou « guérison »).

  • 25 Chaperon, Les origines de la sexologie…, op. cit., p. 61-62.
  • 26 Lantéri-Laura, Lecture des perversions, op. cit.
  • 27 Il fut nommé en décembre 1867 à l’asile Sainte-Anne proprement dit. Caire, Contribution à l’histoi (...)

6Comme l’a déjà souligné Patricia Pretswich, il s’agit d’un fonds exemplaire pour l’analyse des diagnostics en milieu asilaire. Le Bureau d’admission de Sainte-Anne était la plus grosse plaque tournante psychiatrique en France. Il recevait les aliénés du département de la Seine pour les répartir dans les différents asiles de la Seine : les services de Sainte-Anne, de Bicêtre et de la Salpêtrière, la colonie de Vaucluse, à partir de 1886 l’Institution Vallée pour certains enfants dits « arriérés », l’asile-hospice de Villejuif, Ville-Évrard, plus rarement d’autres asiles régionaux. Ensuite, le Bureau d’admission fut un des pôles majeurs d’élaboration de la psychopathologie sexuelle française25. Le psychiatre le plus prolixe sur les perversions en France fut Valentin Magnan – qui forgea l’expression « perversion sexuelle » pour remplacer « perversion de l’instinct sexuel »26. Il officia au Bureau d’examen comme médecin à partir de sa fondation en 186727, forma à son tour une génération de psychiatres, et la plupart des textes de psychopathologie sexuelle qu’il produisit s’appuyèrent sur la clinique de patients passés par les admissions.

  • 28 Les autres patients sous PO provenaient des hôpitaux, directement de leur domicile avec un PO sign (...)
  • 29 Prestwich, « Family strategies and medical power… », art. cité.
  • 30 Caire, Contribution à l’histoire de l’hôpital Sainte-Anne…, thèse citée, p. 64-66.
  • 31 La circulaire est reproduite dans Ernest Dupré, L’œuvre psychiatrique et médico-légale de l’Infirm (...)
  • 32 Commissaire de police, fonctionnaire du bureau judiciaire, du bureau des prisons ou du Dépôt.
  • 33 La mise en liberté était le cas le plus rare. Marc Renneville, Crime et folie. Deux siècles d’enqu (...)
  • 34 Un autre pôle étant l’école d’Anthropologie criminelle de Lyon. Voir Chaperon, Les origines de la (...)
  • 35 Charles Lasègue, « Les exhibitionnistes », Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie, série (...)
  • 36 « les médecins confirment le plus souvent le jugement des autorités judiciaires et administratives (...)

7Enfin, ce corpus d’archives est une voie privilégiée pour interroger le rôle des conditions matérielles de la clinique dans la structuration des savoirs de la sexualité. Une grande partie des certificats présente en effet deux séries de diagnostics. À ceux du médecin des admissions s’ajoute la retranscription littérale du diagnostic ayant conduit au PO, qui était dans plus de 80 % des cas posé par un médecin de l’Infirmerie spéciale (IS) près la préfecture de Police de Paris (voir tab. 1)28 ou Infirmerie du Dépôt (le Dépôt était le lieu d’incarcération des prévenus sous l’autorité de la préfecture de Police de Paris, situé au sous-sol du Palais de Justice). L’IS était liée institutionnellement et par les procédures d’internement à l’asile Sainte-Anne, en dépit des nombreuses critiques dont elle faisait l’objet29 (le Bureau des admissions avait initialement été créé pour la remplacer30). C’était une institution de gestion de l’ordre public en prise directe avec la police parisienne. Son rôle, reconnu officiellement par une circulaire du préfet de police Léon Renault le 28 février 1872, était de prendre en charge les individus « constituant un danger pour l’ordre public ou compromettant la sûreté des personnes », et « suspectes de présenter des troubles mentaux »31, et d’évaluer leur dangerosité. Sur le fondement d’un procès-verbal d’un fonctionnaire de police32, les individus « présumés aliénés » étaient envoyés pour observation psychiatrique à l’IS. Le terme maximum d’une semaine passé, ils étaient renvoyés dans le circuit judiciaire ou internés sous PO, le plus souvent à Sainte-Anne33. Infirmerie spéciale et Bureau d’admission fonctionnaient alors comme un double pôle de visibilité clinique, ce qui en fit le double pôle institutionnel d’élaboration de la psychopathologie sexuelle parisienne34. Les médecins qui y officiaient avaient en effet accès à de nombreux cas dont certains d’« aberrations sexuelles », et les psychiatres qui se succédèrent à l’Infirmerie (Charles Lasègue, Benjamin Ball, Paul Garnier, Charles Féré, Ernest Dupré, Gaëtan-Gatian de Clérambault) développèrent des travaux sur les perversions en inventant de nouvelles catégories – l’exhibitionnisme de Lasègue, le sadi-fétichisme de Garnier, la passion érotique des étoffes chez la femme de Clérambault35. La psychopathologie sexuelle française se développa ainsi dans des institutions publiques dont une des fonctions centrales était d’assurer le maintien de l’ordre36.

Tableau 1 : PO au Bureau d’admission sortant de l’Infirmerie spéciale (en %)

% PO en provenance de l’IS
1878 85,01 %
1879 85,92 %
1880 81,04 %
1881 81,64 %

8Trois conclusions générales se dégagent de l’analyse des données des certificats du Bureau d’admission : le petit nombre de cas de « perversion sexuelle » ; l’intégration des diagnostics de perversion au sein de constellations pathologiques beaucoup plus larges, faisant obstacle à l’appréhension autonome de la sexualité ; la polarisation sur la dangerosité sociale et pénale des perversions, qui s’exprime pourtant dans un décalage surprenant entre les théories et les pratiques qui empêche de réduire l’institution asilaire parisienne à un outil de contrôle social.

Quelques pauvres hères perdus dans les archives

La rareté des perversions

  • 37 L’inversion sexuelle reposait sur l’hypothèse d’une interversion du masculin et du féminin dans l’ (...)

9Deux critères sémantiques ont été appliqués pour sélectionner les diagnostics pertinents en tenant compte des usages sémiologiques de la catégorie de « perversion sexuelle » et de ses synonymes dans la littérature psychopathologique française entre 1850 et 1900 : un critère large incluant tout élément faisant référence à l’instinct sexuel (y compris la masturbation) ; un critère étroit correspondant à l’usage littéral de la locution « perversion sexuelle » ou à ses synonymes (« aberration », « anomalie », etc.). La catégorie recevait en effet deux usages psychiatriques. Le premier, générique, englobait l’onanisme, les désirs sexuels excessifs, etc., et non seulement les déviations dites qualitatives de l’instinct sexuel. Le second usage était restreint à ces dernières et correspondait à la définition de « perversion » stricto sensu : inversion sexuelle37, fétichisme, sadisme, masochisme, exhibitionniste, etc.

  • 38 Le substantif « pervers » n’apparaît qu’au cours de la première décennie du xxe siècle dans le cha (...)

10Force est de constater que sur une période de trente-cinq ans, les perversions sexuelles représentent une part extrêmement congrue des diagnostics des admissions38 : 514 cas lorsque l’on applique des critères sémantiques larges, 78 ca lorsque l’on applique des critères étroits (tab. 2). Que l’on prenne en compte les critères larges ou étroits, 74 % des patients diagnostiqués avec un trouble relevant du spectre de la perversion sexuelle proviennent de l’Infirmerie spéciale, et sur les 78 cas de perversion stricto sensu, 58 proviennent de l’IS (tab. 3).

11La prise en charge par cette institution de gestion de la déviance parisienne qu’était l’Infirmerie spéciale opérait donc la sélection des cas formant la clinique des perversions, ce qui rendait cette dernière matériellement tributaire de l’administration de l’ordre public et de la dangerosité.

Tableau 2 : diagnostics présentant un élément appartenant au spectre de la perversion sexuelle sur l’ensemble des certificats 1872-1897 (en %)

Critères sémantiques larges 514 cas 0,6 %
Critères sémantiques étroits 78 cas 0,091 %

Tableau 3 : répartition des diagnostics appartenant au spectre de la perversion selon la provenance des patients

Critères larges Critères étroits
Cas % Cas %
Placements d’office 401 78,01 % 59 75,64 %
- En provenance de l’IS 381 74,12 % 58 74,36 %
- Autre provenance 20 3,89 % 1 1,28 %
Placements volontaires 113 21,99 % 19 24,36 %
  • 39 On peut retracer l’origine de la plus grande partie des cas mobilisés dans les articles publiés pa (...)
  • 40 Ce qui rejoint les conclusions plus générales de Prestwich, « Reflections on Asylum Archives… », a (...)

12La rareté de ces diagnostics contraste fortement avec l’omniprésence discursive des perversions sexuelles sur la même période en Europe. La psychopathologie française de la sexualité, loin de se fonder sur une clinique quantitativement riche, se construisit sur un nombre très limité d’observations cliniques39. On comprend mieux la raison des multiples occurrences des mêmes cas au travers de la littérature médicale. On peut alors faire l’hypothèse que l’omniprésence textuelle des perversions témoigne d’une polarisation théorique et culturelle du discours psychiatrique sur la sexualité, plutôt que du développement de nouvelles formes de déviances40.

  • 41 Archives de Paris, D3X3 288, 1884, p. 415.
  • 42 Charcot et Magnan, « Inversion du sens génital et autres perversions sexuelles », art. cités.

13Il faut ajouter que l’expression « perversion sexuelle » n’apparaît en toutes lettres dans les certificats qu’en 188441, alors qu’elle faisait partie depuis des décennies du vocabulaire psychopathologique. La « perversion de l’instinct sexuel » (et ses synonymes terminologiques) existait depuis 1849 ; la littérature germanique dédiée à l’inversion sexuelle circulait en France ; Lasègue, médecin à l’IS, inventa en 1877 une catégorie de « perversion du sens génital », l’exhibitionnisme, que Magnan reprit à son compte en 1881 ; ce dernier publia un an plus tard une étude avec Jean-Martin Charcot sur l’« inversion du sens génital et autres perversions sexuelles42 », dont une des observations présente un patient entré à Sainte-Anne en 1881 (Auguste C., interné à de multiples reprises). Mais étrangement, le diagnostic de perversion d’Auguste C. n’est pas mentionné dans les registres d’admission de l’année 1881. Comment interpréter cette apparition tardive de la catégorie dans la pratique diagnostique, en décalage avec son maniement dans la littérature imprimée ? Au-delà de l’hypothèse de lacunes dans les données, elle peut témoigner de ce qui apparaît au travers d’autres données : l’absence de polarisation en pratique du regard des psychiatres français sur la sexualité déviante en tant que telle, c’est-à-dire en tant qu’objet d’un champ d’études autonome et dégagé des finalités de la prise en charge de la déviance.

Les « pervers » : des hommes

14La répartition genrée des diagnostics de perversion est sans appel. Si l’on tient compte des critères larges, les écarts sont peu notables lorsqu’il s’agit des patients et patientes sous PV, mais se creusent lorsqu’il s’agit des PO, en particulier en provenance de l’IS : le rapport s’approche de 1 à 2.

Tableau 4 : répartition genrée des diagnostics sur l’ensemble des cas (critères larges)

Femmes Hommes
Cas % Cas %
Toutes provenances 199 38,72 % 315 61,28%
Placement volontaire 54 10,50 % 59 11,48 %
Placements d’office 145 28,22 % 256 49,80 %
Provenance IS 137 26,66 % 244 47,47 %
Provenance autre 8 1,56 % 12 2,33%

Tableau 5 : répartition des diagnostics selon le genre et la provenance des patients et patientes (critères larges)

Femmes Hommes
F/H sur ensemble des cas 38,72 % 61,28 %
PV F/H sur ensemble des PV 47,79 % 52,21 %
PO F/H sur ensemble PO 36,16 % 63,84 %
PO F/H IS sur PO IS 35,96 % 64,04 %

15Pour les perversions sexuelles stricto sensu, le même constat s’applique quant aux PV, mais l’écart se creuse encore sur les PO : le rapport est de 1 femme pour 7 hommes.

Tableau 6 : répartition genrée des diagnostics sur l’ensemble des cas (critères étroits)

Femmes Hommes
Cas % Cas %
Toutes provenances 15 19,23 % 63 80,77 %
Placement volontaire 7 8,98 % 12 15,38 %
Placement d’office 8 10,25 % 51 65,39 %
PO IS 7 8,97 % 51 65,39%
autres que IS 1 1,28 % 0 0%

Tableau 7 : répartition des diagnostics relativement selon le genre et la provenance des patients (critères étroits)

Femmes Hommes
F/H sur cas « perversion sexuelle » 19,23 % 80,77 %
PV F/H sur ensemble des PV 36,84 % 63,16 %
PO F/H sur ensemble PO 13,56 % 86,44 %
PO F/H IS sur PO IS 12,07 % 87,93 %
  • 43 Michelle Perrot, « Ouverture » dans Christine Bard et al. (dir.), Femmes et justice pénale : xixe(...)
  • 44 C’était le standard de l’appréhension ordinaire et criminologique de la délinquance et de la crimi (...)
  • 45 Archives de Paris, D3X3 303, 1886, p. 297.
  • 46 Archives de Paris, D3X3 313, 1887, p. 347. Ces deux cas feront plus tard l’objet de publications p (...)

16Les « pervers » parisiens sont donc des hommes. Comment interpréter cette distribution sans la naturaliser ? Les conditions de l’identification et de la prise en charge de la déviance en amont de la psychiatrie pèsent ici de tout leur poids. Les déviances féminines et masculines faisaient l’objet de traitements différenciés. La différence entre espace public et espace privé jouait fortement43. Elle se combinait avec les représentations collectives naturalistes des relations entre féminité et criminalité, qui s’exprimaient tout autant en théorie qu’en pratique (la femme, essentiellement passive, n’est censée être délinquante et criminelle que si sa nature est anormale44). C’est donc l’identification des comportements déviants avant tout examen psychiatrique qui est genrée. L’activité masculine générant un trouble manifeste à l’ordre social fait d’emblée l’objet d’une prise en charge policière voire judiciaire, tandis que la déviance féminine, si elle peut faire l’objet d’une intervention policière lorsqu’elle se donne sous la forme du scandale, relève aussi d’une gestion proprement familiale – ce qui correspond à la différence du rapport entre placements volontaires et placements d’office chez les femmes (environ 27 % de PV sur l’ensemble des placements en tenant compte des critères larges, et 47 % avec les critères étroits) et chez les hommes (respectivement 19 % et 81 %). Ainsi Georgette J., adolescente « incorrigible » est internée sous PV à la demande de sa mère qu’elle menace lorsque cette dernière refuse ses avances sexuelles45, et Louise C., 69 ans, à la demande de sa famille avec laquelle elle se montre violente (on découvre à l’examen qu’elle s’introduit des serviettes dans le vagin, ce qui lui vaut le diagnostic « d’aberration sexuelle »)46.

Les « pervers » : des prolétaires

  • 47 Archives de Paris, D3X3 407, 1896, p. 18. La distribution sociologique des « pervers » possède don (...)
  • 48 Prestwich, « Family strategies and medical power… », art. cité.

17Le profil sociologique des « pervers » est assez homogène. La plus grande partie appartient aux classes populaires (particulièrement ouvriers, dont nombre de journaliers ; petits employés ; sans-emploi voire sans domiciles), quelques-uns aux classes moyennes (petits artisans et commerçants en particulier), l’appartenance aux classes bourgeoises étant l’exception – il faut que le scandale public ait été bien grand, comme celui provoqué par Madame Elisa M., rentière faisant grand bruit à la Gare de l’Est sous l’emprise de l’alcool47. Aux procédures d’admission correspondent des différences sociologiques déjà mises en évidence par d’autres travaux. Les individus sous placement d’office viennent de groupes sociaux moins favorisés que les individus sous placement volontaire (ce dernier pouvant être payant), et le statut marital et familial des deux populations diverge : les patients sous PV sont généralement mariés, ce qui n’est pas le cas des placés d’office48. L’homogénéité sociologique du groupe des « pervers » s’explique alors par deux facteurs qui relèvent de la sélection par les institutions prenant en charge les individus concernés en amont de la clinique.

  • 49 Ces motifs sont loin d’être systématiquement indiqués dans les registres.
  • 50 Jean-François Wagniart, Le vagabond à la fin du xixe siècle, Paris, Belin, 1999.

18En raison de la fonction de l’Infirmerie spéciale, les motifs d’arrestation menant au premier diagnostic49, puis les motifs d’internement, ne sont quasiment jamais directement sexuels (voir infra). Ce sont des comportements troublant le voisinage ou l’espace public : états d’excitation consécutifs à l’abus d’alcool ; menaces de suicide ; menaces de mort ou violences exercées sur les proches ; mendicité et vagabondage – problème politique important entre 1870 et 190050. S’y ajoutent de petits délits, dont des vols et « l’outrage à la pudeur » ou « l’obscénité » (notamment sous l’emprise de l’alcool) ; mais le problème que posent ces conduites n’est pas tant leur caractère sexualisé que le trouble public qu’ils occasionnent, qui n’est pas contenu par une famille souvent absente. Vagants et journaliers célibataires, ne bénéficiant pas du soutien d’un entourage familial et social proche, sont directement concernés. Le tableau des motifs d’internement des femmes témoigne davantage de troubles familiaux et infrajudiciaires : moins de délits, très peu d’outrage à la pudeur, ces derniers relevant plutôt des obscénités verbales ou vestimentaires liées à la désinhibition alcoolique ou maniaque.

  • 51 Haustgen, « Les archives et l’histoire de la psychiatrie… », art. cité.
  • 52 Selon les statistiques de l’Infirmerie spéciale, 2 189 individus alcoolisés y transitèrent entre 1 (...)

19Le second facteur est le recrutement de Sainte-Anne, asile public, et en particulier celui des placés d’office, qui s’opérait majoritairement dans les « classes laborieuses » ne pouvant s’offrir les services d’une maison de santé privée. Au-delà des perversions sexuelles, le tableau général que brossent les archives du Bureau d’admission forme une image des difficultés sociales et sanitaires en milieu urbain durant ces décennies, émaillée de dépressions, de tentatives de suicide et de délires de persécution, de placements d’enfants « incorrigibles » ou « idiots » par des familles dépassées, de syphilis tertiaires et de démences, d’exaltations maniaques ou alcooliques, et de delirium tremens51 – les effets des excès alcooliques occupant une place importante dans les internements52.

La gestion de la déviance

20Les caractères du « rebut de la déviance » géré par la psychiatrie publique parisienne apparaissent clairement dans l’analyse quantitative et qualitative des motifs d’internement des individus « pervers ».

21L’espace des conduites que venait qualifier la catégorie de « perversion sexuelle » apparaît globalement comme infrajudiciaire. Alors que le statut judiciaire est bien indiqué lorsqu’une procédure est en cours, on n’en trouve aucune mention dans presque 90 % des cas. Il s’agit alors de « troubles à l’ordre public » que ne peut absorber l’institution pénale.

Tableau 8 : statut judiciaire des PO via l’Infirmerie spéciale (critères larges)

Statut judiciaire F H Total %
Prévention (affaire en cours d’instruction) 2 3 5 1,31 %
Inculpation 1 1 2 0,52 %
Non-lieu 1 22 23 6,04 %
Non-lieu après expertise 1 10 11 2,89 %
Relaxe après expertise 0 2 2 0,52 %
Condamnation 0 1 1 0,26 %
Condamnation(s) passée(s) 0 3 3 0,79 %
Pas de statut judiciaire 132 202 334 87,67 %
Total 137 244 381 100 %

22Deuxièmement, l’espace au sein duquel se manifestent les comportements déviants (lorsque cela est précisé) est avant tout l’espace public, puis familial – les autres institutions (hôpital, école, etc.) occupant une part congrue. La distribution des cas est ici aussi genrée : les troubles dans l’espace public aux hommes, ceux dans l’espace familial aux femmes.

Tableau 9 : les espaces de la déviance des PO (critères larges)

*156 cas pour lesquels l’espace du comportement déviant est mentionné.

F H Total
Cas % Cas % Cas %
Espace public 23 14,74 % 76 48,72 % 99 63,46 %
Famille 18 11,54 % 31 19,87 % 49 31,41 %
Public + famille 0 0 % 3 1,92 % 3 1,92 %
Institution (préciser) 2 1,29 % 3 1,92 % 5 3,21 %

23Si l’on restreint l’analyse aux cas de perversions sexuelles stricto sensu, il en ressort un profil général du « pervers » : homme, ouvrier ou petit employé, alcoolique, que les troubles qu’il occasionne au voisinage ou les comportements déviants sur la voie publique conduisent au Dépôt de la préfecture de Police, puis à Sainte-Anne. On est fort loin des bourgeois voyageurs qui envoyaient à Krafft-Ebing leurs confessions sexuelles de toute l’Europe.

Une constellation pathologique

  • 53 Révenin, Homosexualité et prostitution masculines…, op. cit. Entre 1872 et 1897, seuls 7 certifica (...)

24Ces conditions institutionnelles et matérielles de la clinique expliquent pourquoi l’étude de la sexualité ne put occuper une place autonome dans la psychopathologie française. L’identification d’un trouble psychosexuel n’était pas l’élément déterminant la trajectoire psychiatrique des patients. Ce sont surtout des actes déviants ou des délits non sexualisés ne relevant pas des attentats aux mœurs, commis par des individus apparemment troublés, qui conduisent à l’internement. En particulier, l’aliénisme parisien ne se présente pas au travers de ses archives comme un outil de répression de l’homosexualité, cette dernière passant plutôt par les voies policières et judiciaires53. La perversion ne constitue jamais un motif en soi d’examen psychiatrique ; elle est au contraire découverte après la première prise en charge policière puis médicale. Même lorsque le placement d’office est motivé par un acte sexualisé, il est impossible de diagnostiquer d’emblée une perversion. Les petits délits comme l’outrage à la pudeur, l’obscénité, le frotteurisme ou l’exhibitionnisme, sont en effet le plus souvent commis par des individus en état de « démence » ou de « délire alcoolique ». Lorsqu’il est posé, le diagnostic de « perversion sexuelle » est alors quasiment toujours une anecdote au sein d’un tableau clinique multiforme. En voici quelques exemples, dont deux donnèrent pourtant lieu par la suite à des publications sur les perversions sexuelles dans la littérature médicale française.

  • 54 Archives de Paris, D3X3 290, 1885, p. 205.
  • 55 Charcot et Magnan, art. cité, p. 317-320.

25Voici le certificat d’Auguste C. journalier, établi le 5 janvier 1885 à l’Infirmerie spéciale : « Dégénérescence intellectuelle avec anomalie sexuelle ; la vue d'un tablier blanc lui donne des sensations voluptueuses. Ce malade qui a déjà été interné trois fois dans les asiles de la Seine après quelques excès de boissons, est devenu excité, incapable de travail et présente quelques idées de suicide54 ». Mais l’intérêt d’Auguste C. pour les tabliers blancs était déjà connu depuis 1881. Et c’est parce qu’il était alcoolique et alternait des états d’excitation maniaque et de mélancolie suicidaire qu’il fut interné la première fois en 1881, révélant alors sa passion qui fera l’objet d’une des observations dans un article cosigné par Magnan et Charcot en 188255.

  • 56 Archives de Paris, D3X3 297, 1885, p. 95.

26Georges R., tailleur d’habits, certificat établi à l’Infirmerie spéciale le 5 novembre 1885 : « Excitation maniaque avec idées de persécution. Hallucinations. Divagations. Terreurs nocturnes. Projets extravagants. Impulsions au suicide. » Même cas, certificat établi par Magnan le 6 novembre 1885 : « Dégénérescence mentale avec dépression mélancolique ; obsessions ; aberrations sexuelles et impulsions au suicide56 ».

  • 57 Archives de Paris, D3X3 311, 1886, p. 80.

27Rose D., 16 ans, certificat établi le 9 décembre 1886, à l’Infirmerie spéciale : « Débilité mentale qui paraît consécutive à une méningite survenue à l’âge de 12 ans. Mémoire très affaiblie. Mauvais instincts. Instincts génésiques, pervers. Victime d'un attentat aux mœurs il y a une quinzaine de jours. Hérédité probable57 ».

  • 58 Archives de Paris, D3X3 343, 1890, p. 137.

28Eugène M., 23 mars 1890, certificat établi par Magnan aux Bureau d’admission : « Dégénérescence mentale avec obsessions et impulsions ; perversions instinctives ; orgasme génital à la vue et au contact de nattes de cheveux de femmes. Arrêté au moment où il coupait la natte d’une jeune fille de 11 ans58 ».

  • 59 Archives de Paris, D3X3 396, 1895, p. 129 ; Paul-Émile Garnier, « Pervertis et invertis sexuels. L (...)

29De même, Garnier élabora la clinique et le concept de sadi-fétichisme à l’Infirmerie spéciale grâce à l’examen d’Eugène L. et de Joseph V., respectivement arrêtés en juin 1891 et en mai 1895 pour des motifs non sexuels : le premier se mutilait en public, le second était prévenu pour coups et blessures. Leurs « perversions » ne furent découvertes qu’a posteriori à l’examen psychiatrique59.

  • 60 Voir notamment Benedict Augustin Morel, Traité des maladies mentales, Paris, Masson, 1960.
  • 61 Pierre-Henri Castel, Âmes scrupuleuses, vies d’angoisse, tristes obsédés, vol. 1, Obsessions et co (...)
  • 62 Pour une étude de détail de ces théories, voir Mazaleigue-Labaste, Les déséquilibres de l’amour, o (...)

30On comprend pourquoi les modèles théoriques français de la perversion sexuelle ne lui ont pas accordé d’autonomie clinique et psychologique. D’une part, la place institutionnelle et théorique de Magnan à Sainte-Anne et dans le champ psychiatrique jusqu’au milieu des années 1890 rend compte, en partie, de l’allure générale des diagnostics des admissions. Magnan avait réinvesti et actualisé la théorie de la dégénérescence après Benedict Morel60 afin de proposer une théorie pathogénique unifiante, dont le succès était assuré par l’angoisse collective de la décadence, de plus en plus forte à mesure que s’approchait la fin de siècle : un déséquilibre neurologique constitutionnel s’exprime dans une pluralité de symptômes chroniques, de l’alcoolisme à la perversion sexuelle en passant par les diverses formes d’obsessions. Ceci déterminait l’emploi des items diagnostiques, et éclaire l’omniprésence dans les registres d’admission de la « dégénérescence mentale » chez les « pervers ». D’autre part, la perversion, puisqu’elle jouxtait dans la clinique quantité de troubles et de symptômes, était alors intégrée à des constellations pathologiques d’« obsessions-impulsions » diverses (allant de la phobie à l’acte obsessionnel en passant par les obsessions mentales, comme l’arithmomanie), dans le cadre plus général d’une psychopathologie dynamique de l’action. Cette dernière était en réalité une psychopathologie des phénomènes obsessionnels, dont Pierre-Henri Castel a montré qu’elle s’élaborait partout en Europe (avec des variations nationales) comme une réponse aux difficultés de l’individu confronté aux nouvelles exigences de la modernité urbaine et industrielle61. La perversion était ainsi perçue comme résultant d’un déséquilibre neuropsychiatrique menant au passage à l’acte déviant (à l’inverse de la phobie, qui était définie comme inhibition totale de l’acte). Cette appréhension théorique était transversale ; on la retrouve tout autant chez Magnan, Garnier, que chez le psychologue Théodule Ribot. Dès lors, les perversions ne pouvaient relever d’une structuration du désir et de l’imaginaire érotique, car elles étaient traitées comme un élément symptomatique parmi d’autres d’une pathologie déficitaire de l’action et de l’adaptation sociale62. En retour, la réalité clinique semblait avérer cette option théorique. Les individus chez lesquels on découvrait des « perversions sexuelles » étaient bien des « déséquilibrés », présentant de nombreuses altérations comportementales et mentales dont les bizarreries sexuelles n’étaient qu’un élément parmi d’autres. De manière circulaire, les conditions matérielles de la clinique assuraient une apparente continuité de la théorie psychopathologique à la pratique diagnostique.

31Il eut donc bien une psychopathologie sexuelle française, accompagnée d’une clinique et faisant preuve d’une certaine inventivité théorique. Mais elle releva bien davantage d’une psychopathologie de l’action déviante (dont hérita le xxe siècle) que d’une enquête sur les variétés du comportement sexuel et de l’imaginaire érotique. Elle ne pouvait guère former la matrice d’études et de théories sexuelles analogues à celles de la sexologie et de la psychanalyse germaniques à venir.

La dangerosité des perversions, en théorie et en pratique

32En revanche, la thérapeutique et l’évaluation de la dangerosité étaient le lieu d’une contradiction entre théorie et pratiques.

  • 63 Ibid.

33Faire en théorie de la perversion sexuelle une pathologie de l’action marquée par les impulsions, c’était en effet insister sur le passage à l’acte déviant et dès lors sur la dangerosité de l’individu. Du point de vue pathogénique, la perversion relève d’un déséquilibre entre les fonctions neurocérébrales, les fonctions inférieures dominant alors les fonctions supérieures. Ceci s’exprime comme une incapacité à l’inhibition mentale et motrice, en d’autres termes une incapacité de l’individu à contrôler ses désirs et ses actes. Chez le « pervers », il y aurait ainsi une relation causale entre les idées sexuellement anormales et leur réalisation. Le passage à l’acte déviant dans la perversion est donc censé être fatal ; l’individu est dangereux socialement et pénalement, et ce de manière irrémédiable puisque le déséquilibre constitutionnel est incurable et s’exprime dans la chronicité de la pathologie63.

  • 64 Archives de Paris, D3X3 337, 1889, p. 466.
  • 65 Archives de Paris, D3X3 396, 1895, p. 129.

34Or, la pratique des tenants de ce schéma théorique, au premier chef Magnan, s’y opposait frontalement. Les « pervers » (stricto-sensu) faisaient régulièrement l’objet d’une évaluation concluant à leur « guérison » et à leur innocuité, même dans les cas d’« obsession-impulsion » multirécidivante, censément exemplaires de la dangerosité de la perversion. En témoigne l’évaluation de l’état mental d’Alfred P. (le second fétichiste coupeur et collectionneur de nattes français recensé) par Magnan le 25 février 1890 : « Comme dégénéré affecté d’une aberration sexuelle qui l’avait poussé à couper les nattes et cheveux de femme, est actuellement affranchi de ce syndrome épisodique64 ». Magnan n’hésite pas davantage à conclure à la guérison du « sadi-fétichiste » Joseph V., piqueur de fesses, le 18 avril 1896 : « À la suite d’agressions étranges commises impulsivement sur des jeunes filles (piqûres avec un canif à la région fessière) V. est aujourd’hui tranquille, raisonnable, se rend tout à fait compte de la bizarrerie et du caractère maladif de ses actes […]. Il paraît réellement affranchi de toute aberration sexuelle65 ».

  • 66 Ian Dowbiggin, La folie héréditaire (ou comment la psychiatrie française s’est constituée en un co (...)
  • 67 Henckes, « Entre tutelle et assistance… », art. cité.

35Comment expliquer cette contradiction entre théorie de la perversion incurable et dangereuse et pratiques ordinaires de l’asile ? En réalité, l’évaluation diagnostique était ici guidée par la combinaison d’impératifs réglementaires et pragmatiques. La séquestration prolongée d’individus dont les déviances restaient mineures posait en effet quatre problèmes. Elle était illégale. Elle risquait de laisser prise aux accusations d’abus de la part de la presse et des milieux catholiques auxquelles les aliénistes devaient faire face depuis les années 186066. L’institution asilaire engorgée ne pouvait se permettre, économiquement et logistiquement, de garder en ses murs des individus dont les troubles restaient in fine anodins. Enfin, s’adjoignent à ces raisons les transformations de la problématique de l’assistance aux aliénés dans la dernière décennie du siècle, la prise en charge des « aliénés curables inoffensifs » devenant un problème social et de politique publique67.

  • 68 Prestwich, « Family strategies and medical power… », art. cité, p. 811.
  • 69 Archives de Paris, D3X3 396, 1895, p. 129.
  • 70 Archives de Paris, D3X3 337, 1889, p. 466.

36Les certificats montrent ainsi que la résolution de la contradiction s’opérait, lorsque c’était possible, dans une « relation dialectique entre les familles et l’asile68 » : dans la convergence des intérêts des familles réclamant leurs membres et s’engageant à veiller sur eux, et de ceux de l’administration psychiatrique pressée de libérer des patients jugés inoffensifs en s’appuyant sur les ressources familiales. Ainsi, Joseph V. « peut, sans inconvénient, être rendu à sa mère qui le réclame pour lui donner une occupation près d’elle à la Varenne Saint-Hilaire69 », et Alfred P. « peut aujourd’hui être rendu à la liberté sans nul danger pour l’ordre public », car il « va s’éloigner de Paris et ne se trouvera plus soumis aux nombreuses excitations qui, dans les tendances maladives de ce genre, servent de cause déterminante à l’accès » et se trouvera « sous la conduite de son père70 ». À l’inverse, Auguste C., sans entourage familial et ne pouvant quitter Paris en tant que journalier, était régulièrement transféré à Ville-Évrard plutôt que de bénéficier d’une sortie définitive. La décision de sortie pour les patients « pervers » reposait ainsi sur trois éléments : la « bonne conduite » à l’asile (l’observance du règlement intérieur, la participation active au travail, l’absence de violences et de délire bruyant, la reconnaissance de l’anormalité des comportements passés) ; un transfert d’autorité du médical au familial ; et l’éloignement de la capitale, critère essentiel de choix entre une sortie et un transfert dans un autre établissement. Ce dernier critère met en évidence l’existence d’une forme de gestion non seulement sociale mais aussi géographique des comportements déviants et des troubles mentaux dans l’espace parisien, bien éloignée des théories sécuritaires des aliénistes sur la dangerosité des « anormaux sexuels ».

*

37Les conditions matérielles de la clinique psychosexuelle parisienne permettent de remettre en perspective l’absence d’une sexologie institutionnalisée au début du xxe siècle en France, au moment où cette dernière était en pleine émergence dans l’espace germanique. Entre 1870 et la toute fin du siècle, les Allemands et Autrichiens, confrontés à la constitution de l’homosexualité en question sociale et politique, étudièrent de plus en plus la sexualité déviante à travers une clinique privée, commencèrent à relativiser l’idée de pathologie psychosexuelle par le biais de l’anthropologie et de l’histoire, et songèrent à élargir leur pratique du côté de l’enquête et du questionnaire administré hors milieu asilaire ou carcéral, augurant des premières recherches sexuelles au début du xxe siècle. Mais de ce côté du Rhin, la place occupée par l’aliénisme, institution publique, dans la psychiatrie française, fit obstacle à ces développements. Le recrutement asilaire et la collaboration entre asile et police polarisaient la pratique sur le trouble familial et social occasionné par les conduites déviantes. Ceci octroya à la clinique, et en conséquence aux théories, une allure bien différente : les perversions restèrent des symptômes proprement psychiatriques d’une forme de maladie de l’action et de l’adaptation sociale s’exprimant de manière multiforme. Les conditions épistémologiques étaient peu propices à la transition, opérée par les savants germanophones, d’une psychopathologie sexuelle à une sexologie, d’une appréhension médicale des perversions à une conception des variétés « naturelles » du comportement et du désir sexuel au sein des populations humaines.

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Notes

1 Michel Foucault, Histoire de la sexualité, t. 1, La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976.

2 David Halperin, Cent ans d’homosexualité et autres essais sur l’amour grec, Paris, EPEL, 2000 [1990] ; Jonathan Ned Katz, L’invention de l’hétérosexualité, Paris, EPEL, 2001 [1995].

3 Harry Oosterhuis, Stepchildren of nature. Krafft-Ebing, Psychiatry and the Making of Sexual Identity, Chicago/Londres, University of Chicago Press, 2000 ; Arnold Davidson, L’émergence de la sexualité. Épistémologie historique et formation des concepts, Paris, Albin Michel, 2005 [2001].

4 Chiara Beccalossi, Female Sexual Inversion: Same-Sex Desires in Italian and British Sexology, ca. 1870-1920, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2012.

5 Wannes Dupont, « Modernités et homosexualités belges », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 119, 2012, p. 19-34.

6 Sylvie Chaperon, Les origines de la sexologie, 1850-1900, Paris, Audibert, 2007. Pour un bilan, à la fin des années 2000, et une analyse historiographique détaillée de l’histoire des sexologies en France, voir ead., « La sexologie française contemporaine : un premier bilan historiographique », Revue d’histoire des sciences humaines, 17, 2007, p. 7-22. Georges Lantéri-Laura avait toutefois, dès la fin des années 1970, mis en lumière l’existence d’une psychopathologie et d’une psychologie sexuelle en France : Georges Lantéri-Laura, Lecture des perversions. Histoire de leur appropriation médicale, Paris, Masson, 1979.

7 Par exemples, André Bejin, « Préface », dans Alfred Binet, Le fétichisme dans l’amour, Paris, Payot, 2001, p. 7-26 ; Amandine Malivin, Voluptés macabres. La nécrophilie en France au xixe siècle, thèse d’histoire, université Paris 7, 2012 ; Alison M. Moore, Sexual Myths of Modernity: Sadism, Masochism, and Historical Teleology, Lanham, Lexington Books, 2015.

8 Julie Mazaleigue-Labaste, Les déséquilibres de l’amour. La genèse du concept de perversion sexuelle de la Révolution française à Freud, Paris, Ithaque, 2014, p. 137-150.

9 Lantéri-Laura, Lecture des perversions, op. cit., p. 42.

10 Florence Tamagne, Histoire de l’homosexualité en Europe : Berlin, Londres, Paris, 1919-1939, Paris, Seuil, 2000 ; Régis Schlagdenhauffen, Triangle rose : la persécution nazie des homosexuels et sa mémoire, Paris, Autrement, 2011.

11 Tamagne, Histoire de l’homosexualité en Europe, op. cit.

12 Régis Révenin, Homosexualité et prostitution masculines à Paris, 1870-1918, Paris, L’Harmattan, 2005.

13 Jean-Martin Charcot et Valentin Magnan, « Inversion du sens génital et autres perversions sexuelles », Archives de neurologie, 3, 1882, p. 53-60 et 4, 1882, p. 296-322 ; Julien Chevalier, Une maladie de la personnalité : l’inversion sexuelle, Lyon/Paris, Storck/Masson, 1893 ; Dr Laupts [pseud. de Georges Saint-Paul], Perversion et perversité sexuelles : tares et poisons, Paris, Carré, 1896 ; Régis Révenin, « Conceptions et théories savants de l’homosexualité masculine en France, de la monarchie de Juillet à la Première Guerre mondiale », Revue d’histoire des sciences humaines, 17, 2007, p. 23-45 ; Romain Courapied, Le traitement esthétique de l’homosexualité dans les œuvres décadentes face au système médical et légal : accords et désaccords sur une éthique de la sexualité, thèse de littérature française, université Rennes 2, 2014.

14 Vernon Rosario, L’irrésistible ascension du pervers entre littérature et psychiatrie, Paris, EPEL, 2000 [1997] ; Peter Cryle, « Foretelling Pathology: The Poetics of Prognosis », French Cultural Studies, 17/1, 2006, p. 107-122 ; Anna Katharina Schaffner, Modernism and perversion, Palgrave Macmillan, 2011.

15 Yannick Ripa, La ronde des folles. Femme, folie et enfermement au xixe siècle, Paris, Aubier, 1986 ; Nicole Edelman, Les métamorphoses de l’hystérique. Du début du xixe siècle à la Grande Guerre, Paris, La Découverte, 2003.

16 Notamment à partir de la théorie du fétichisme d’Alfred Binet en 1887. Alfred Binet, « Le fétichisme dans l’amour », Revue philosophique, 1887, p. 142-167, p. 252-274 ; Bejin, « Préface », op. cit. ; Chaperon, Les origines de la sexologie…, op. cit.

17 Une méthode de dépouillement systématique s’est imposée.

18 Robert Castel, L’ordre psychiatrique. L’Âge d’or de l’aliénisme, Paris, Éditions de Minuit, 1967 ; Jan Goldstein, Contrôler et classifier. L’essor de la psychiatrie française, Le Plessis-Robinson, Institut Synthélabo, 1997 [1987] ; Thierry Haustgen, « Les archives et l’histoire de la psychiatrie. 2e partie : l’hospitalisation des malades mentaux à Paris au xixe siècle », Psychiatrie, Sciences humaines, Neurosciences, 11, 2013, p. 55-82.

19 Le corpus ne comprend pas l’ensemble des PV. Patricia Prestwich a montré que la proportion de patients admis sous PV augmentait fortement à partir des années 1890, se montant à 21 % des admissions au milieu des années 1890 : Patricia Prestwich, « Family strategies and medical power. “Voluntary” Committal in a Parisian Asylum, 1876-1914 », Journal of Social History, 27/4, 1994, p. 799-818. Dans les faits, les patients sous PV pouvaient être directement adressés à un des asiles de la Seine : Michel Caire, Contribution à l’histoire de l’hôpital Sainte-Anne (Paris) : des origines au début du xxe siècle, thèse de médecine, université Paris 5, 1981, p. 67. Cette augmentation des PV est à replacer dans le contexte d’une ambition de réforme des soins psychiatriques dans le département de la Seine durant les années 1890, les médecins réformateurs cherchant à s’éloigner du cadre de contraintes fixé par la loi de 1838 : Nicolas Henckes, « Entre tutelle et assistance : le débat sur la réforme de la loi de 1838 sur les aliénés des années 1870 aux années 1910 », Sciences sociales et santé, 2, 2017, p. 81-108 ; Patricia Prestwich, « Reflections on Asylum Archives and the Experience of Mental Illness in Paris », Journal of the Canadian Historical Association, 232, 2012, p. 91-110, ici p. 95.

20 Prestwich, « Family strategies and medical power… », art. cité.

21 Ibid. Les familles contournaient parfois l’impératif légal en amenant directement leurs membres à Sainte-Anne.

22 Henckes, « Entre tutelle et assistance… », art. cité.

23 Archives de Paris, D3X3 179 - D3X3 418 (1872-1897). La comparaison avec les Rapports sur le service des aliénés du département de la Seine fournis par la préfecture de Police de Paris (Archives de Paris, D3X3 26) montre un écart minime de +/- 4 maximum par année entre le nombre de certificats des Registres de la Loi et le nombre de patients admis, qui s’explique par la présence d’erreurs et de doublons.

24 Thierry Haustgen, Observations et certificats psychiatriques au xixe siècle, Rueil-Malmaison, Ciba, 1985.

25 Chaperon, Les origines de la sexologie…, op. cit., p. 61-62.

26 Lantéri-Laura, Lecture des perversions, op. cit.

27 Il fut nommé en décembre 1867 à l’asile Sainte-Anne proprement dit. Caire, Contribution à l’histoire de l’hôpital Sainte-Anne…, thèse citée, p. 68.

28 Les autres patients sous PO provenaient des hôpitaux, directement de leur domicile avec un PO signé par un commissaire, ou étaient récupérés après évasion d’un des asiles de la Seine.

29 Prestwich, « Family strategies and medical power… », art. cité.

30 Caire, Contribution à l’histoire de l’hôpital Sainte-Anne…, thèse citée, p. 64-66.

31 La circulaire est reproduite dans Ernest Dupré, L’œuvre psychiatrique et médico-légale de l’Infirmerie spéciale de la préfecture de Police, Paris, Jean Gainche, 1905, p. 7.

32 Commissaire de police, fonctionnaire du bureau judiciaire, du bureau des prisons ou du Dépôt.

33 La mise en liberté était le cas le plus rare. Marc Renneville, Crime et folie. Deux siècles d’enquêtes médicales et judiciaires, Paris, Fayard, 2003, p. 182-183 ; Jean-Pierre Soubrier et Michel Gourevitch, « Recherches aux archives de la préfecture de Police sur les origines de l’Infirmerie spéciale », Perspectives psychiatriques, 96, 1984, p. 129-136.

34 Un autre pôle étant l’école d’Anthropologie criminelle de Lyon. Voir Chaperon, Les origines de la sexologie…, op. cit., p. 62.

35 Charles Lasègue, « Les exhibitionnistes », Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie, série 2, 14, 1877, p. 335-336 ; Paul-Émile Garnier, « Le sadi-fétichisme », Annales d’hygiène publique et de médecine légale, série 3, 43, 1899, p. 97-121, p. 210-247 ; Gaëtan-Gatian de Clérambault, « Passion érotique des étoffes chez la femme », Archives de l’anthropologie criminelle de médecine légale et de psychologie normale et pathologique, 23, 1908, p. 439-470 et 25, 1910, p. 583-589.

36 « les médecins confirment le plus souvent le jugement des autorités judiciaires et administratives » (Renneville, Crime et folie, op. cit., p. 183), qui tendent elles-mêmes à aligner leur évaluation sur celle des familles et du voisinage (Prestwich, « Family strategies and medical power… », art. cité).

37 L’inversion sexuelle reposait sur l’hypothèse d’une interversion du masculin et du féminin dans l’individu. Elle englobait les désirs et relations sexuelles entre personnes de même sexe, le travestissement, la sensation d’appartenir à l’autre sexe. C’est la matrice des catégories médico-psychologiques d’homosexualité, de transvestisme et de transsexualisme.

38 Le substantif « pervers » n’apparaît qu’au cours de la première décennie du xxe siècle dans le champ psychopathologique. Entre 1870 et 1900, il n’y a que des individus atteints d’une perversion. Pour cette raison, j’emploierai systématiquement « pervers » avec des guillemets.

39 On peut retracer l’origine de la plus grande partie des cas mobilisés dans les articles publiés par Valentin Magnan.

40 Ce qui rejoint les conclusions plus générales de Prestwich, « Reflections on Asylum Archives… », art. cité, p. 102-103.

41 Archives de Paris, D3X3 288, 1884, p. 415.

42 Charcot et Magnan, « Inversion du sens génital et autres perversions sexuelles », art. cités.

43 Michelle Perrot, « Ouverture » dans Christine Bard et al. (dir.), Femmes et justice pénale : xixe-xxe siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002, p. 9-21.

44 C’était le standard de l’appréhension ordinaire et criminologique de la délinquance et de la criminalité féminine durant la seconde moitié du xixe siècle.

45 Archives de Paris, D3X3 303, 1886, p. 297.

46 Archives de Paris, D3X3 313, 1887, p. 347. Ces deux cas feront plus tard l’objet de publications par Magnan.

47 Archives de Paris, D3X3 407, 1896, p. 18. La distribution sociologique des « pervers » possède donc des spécificités par rapport au portrait général brossé par Patricia Prestwich dans lequel la plupart des patients appartiennent aux classes populaires et aux classes moyennes inférieures, avec très peu de vagants et de mendiants. Prestwich, « Reflections on Asylum Archives… », art. cité, p. 102.

48 Prestwich, « Family strategies and medical power… », art. cité.

49 Ces motifs sont loin d’être systématiquement indiqués dans les registres.

50 Jean-François Wagniart, Le vagabond à la fin du xixe siècle, Paris, Belin, 1999.

51 Haustgen, « Les archives et l’histoire de la psychiatrie… », art. cité.

52 Selon les statistiques de l’Infirmerie spéciale, 2 189 individus alcoolisés y transitèrent entre 1886 et 1888 (27 % du total) : Paul-Émile Garnier, La folie à Paris. Étude statistique, clinique et médico-légale, Paris, Baillière, 1890, p. 24.

53 Révenin, Homosexualité et prostitution masculines…, op. cit. Entre 1872 et 1897, seuls 7 certificats mentionnent l’inversion sexuelle et 7 la pédérastie, qui ne constituent pas le motif d’internement, sauf pour un adolescent de 12 ans dit « débile » (déficience cognitive) ayant commis des viols avec violences sur son jeune frère et interné sur demande familiale. Le motif d’internement est alors davantage la violence que la dimension sexuelle de la conduite. Archives de Paris, D3X3 382, 1894, p. 161.

54 Archives de Paris, D3X3 290, 1885, p. 205.

55 Charcot et Magnan, art. cité, p. 317-320.

56 Archives de Paris, D3X3 297, 1885, p. 95.

57 Archives de Paris, D3X3 311, 1886, p. 80.

58 Archives de Paris, D3X3 343, 1890, p. 137.

59 Archives de Paris, D3X3 396, 1895, p. 129 ; Paul-Émile Garnier, « Pervertis et invertis sexuels. Les fétichistes. Observations médico-légales », Annales d’hygiène publique et de médecine légale, série 3, 33, 1895, p. 349-408 ; id., « Le sadi-fétichisme », art. cité. Magnan mobilisa aussi le cas Eugène L. : Valentin Magnan, « Héréditaires dégénérés », Archives de neurologie, 23/69, 1892, p. 304-323.

60 Voir notamment Benedict Augustin Morel, Traité des maladies mentales, Paris, Masson, 1960.

61 Pierre-Henri Castel, Âmes scrupuleuses, vies d’angoisse, tristes obsédés, vol. 1, Obsessions et contrainte psychique de l’Antiquité à Freud, Paris, Ithaque, 2011.

62 Pour une étude de détail de ces théories, voir Mazaleigue-Labaste, Les déséquilibres de l’amour, op. cit., p. 223-256.

63 Ibid.

64 Archives de Paris, D3X3 337, 1889, p. 466.

65 Archives de Paris, D3X3 396, 1895, p. 129.

66 Ian Dowbiggin, La folie héréditaire (ou comment la psychiatrie française s’est constituée en un corps de savoir et de pouvoir dans la seconde moitié du xixe siècle), Paris, EPEL, 1993 [1991].

67 Henckes, « Entre tutelle et assistance… », art. cité.

68 Prestwich, « Family strategies and medical power… », art. cité, p. 811.

69 Archives de Paris, D3X3 396, 1895, p. 129.

70 Archives de Paris, D3X3 337, 1889, p. 466.

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Pour citer cet article

Référence papier

Julie Mazaleigue-Labaste, « Perversions parisiennes »Histoire, médecine et santé, 12 | 2018, 19-38.

Référence électronique

Julie Mazaleigue-Labaste, « Perversions parisiennes »Histoire, médecine et santé [En ligne], 12 | hiver 2017, mis en ligne le 28 mai 2018, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/hms/1141 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/hms.1141

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Auteur

Julie Mazaleigue-Labaste

Julie Mazaleigue-Labaste est chargée de recherches CNRS à l’Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne (UMR 8103). Ses recherches portent sur l’histoire des discours savants sur la sexualité et leur diffusion dans les représentations collectives (XIXe-XXIe siècles). Elle a publié en 2014 Les déséquilibres de l’amour. La genèse du concept de perversion sexuelle de la Révolution française à Freud (Éditions d’Ithaque).

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