Albert Wu et Stephen W. Sawyer (eds.), The Making of a World Order. Global Historical Perspectives on the Paris Peace Conference and the Treaty of Versailles
Albert Wu et Stephen W. Sawyer (dir.), The Making of a World Order. Global Historical Perspectives on the Paris Peace Conference and the Treaty of Versailles, Routledge, London & New York, 2024, 277 p.
Texte intégral
1À l’heure où par le retour de la guerre « de haute intensité » en Europe se pose la question de la fin d’un ordre mondial inauguré en 1945 et consolidé en 1989, il est intéressant d’interroger la perspective que nous avons sur un événement qui, il y a plus de cent ans, a pu être vu comme le moment inaugural d’un nouvel ordre international. « La Grande Guerre a ébranlé la vision du monde de nombreux peuples en obligeant les hommes politiques à modifier leurs positions, leurs politiques et leurs idéaux » (p. 69), écrit Ryan J. Gesme dans le volume que nous présentons. La conférence de la Paix de Paris fut un moment révélateur et un accélérateur de cette transformation.
2Le volume rassemble par les soins d’Albert Wu et de Stephen W. Sawyer les contributions de nombre d’historiens qui enseignent aux États-Unis, au Canada, en France, en Grande-Bretagne ou en Chine. Ces textes sont issus de communications présentées à l’occasion d’un colloque qui s’est tenu à Paris en 2019.
3D’emblée, la question des effets de la conférence de la Paix sur l’ordre international et de son rapport à l’éclatement ultérieur de la Seconde Guerre mondiale est soulevée par Georges-Henri Soutou. Dans la tradition d’un certain regard historiographique porté surtout à partir des pays de l’Europe occidentale et que l’actuelle guerre post-impériale en Ukraine met quelque peu à mal, l’éminent spécialiste français voit d’abord dans les changements de la géographie politique de l’Europe centrale, non pas l’accomplissement des idéaux nationaux des Polonais, des Roumains, des Tchèques ou des Slovaques dans le prolongement des émancipations nationales initiées au XIXe siècle, mais l’apparition de constructions territoriales démesurées sous la forme de nouveaux États multinationaux. « La paix fluide » que les traités instituent apporte néanmoins des éléments positifs, comme l’apparition de la Ligue des Nations, l’importance nouvelle des référendums sous surveillance internationale dans la réglementation des litiges territoriaux, le début d’un système international de protection des minorités et les premières manifestations d’un fléchissement des logiques coloniales qui prépare le terrain des futurs processus de décolonisation. La conclusion de l’étude mérite toute notre attention car George-Henri Soutou ne trace pas de lien direct entre 1919 et 1939 : « On peut dire que la Seconde Guerre mondiale a été dans une plus grande mesure le résultat d’un échec catastrophique du capitalisme libéral et de la démocratie libérale à la suite de la Grande Crise plutôt qu’un résultat direct des dispositions de la conférence de la Paix de Paris » (p. 20).
4Il est alors d’autant plus intéressant d’éclairer, comme le fait Alain Chatriot, les évolutions de l’historiographie française sur la question de la conférence de la Paix depuis l’œuvre tutélaire de Pierre Renouvin, en passant par les analyses de Jean-Baptiste Duroselle, Paul Mantoux et Pierre Miquel, pour arriver aux renouveaux historiographiques postérieurs à la chute du Mur de Berlin. La diversification des problématiques, des interrogations et des sources de la recherche, entraînant des changements de perspective historiographique, sont mises en évidence sur la durée d’un siècle de riche production intellectuelle française consacrée aux traités de paix et au « système de Versailles ». Dans le cas de l’Allemagne, sans prétendre à la même synthèse des évolutions historiographiques, la contribution d’Erik Grimmer-Solem porte la marque des études novatrices de l’auteur sur la persistance, après 1918, dans la sensibilité et l’imaginaire politiques des classes moyennes allemandes, de relents de « l’impérialisme libéral » conquérant de l’Allemagne wilhelmienne dont l’empire colonial et la puissance navale – tous les deux anéantis en 1919 – sont les instruments et les symboles. Le poids de ce « paysage mental impérial », hérité de la culture politique d’avant-guerre, pèsera beaucoup, tant dans la perception profondément négative du traité de Versailles que dans le refus d’une culture politique alternative et post-impériale sous la République de Weimar.
5La manière dont certaines perspectives, valeurs et pratiques innovantes issues de la conférence de la Paix se déclinent dans des cas précis occupent la deuxième partie du livre. Celle-ci est consacrée à des expériences « périphériques », telles l’application du principe de l’autodétermination nationale à travers le plébiscite de 1920 au Schleswig (Ryan J. Gesme) ou le fonctionnement de la « Petite Entente des Femmes » (Marijana Kardum) réunissant les mouvements féministes des pays de la Petite Entente, de Pologne et de Grèce et au sein de laquelle les objectifs de paix, de démocratisation et d’émancipation politique des femmes coexistent avec le choix d’exclure la participation de représentantes des pays vaincus et révisionnistes comme la Hongrie et la Bulgarie. À ces textes s’ajoute celui de Caroline Liebich-Gümüș consacré à l’interaction entre, d’une part, un nationalisme turc en pleine redéfinition dans sa quête d’une issue favorable à la Turquie après la défaite de 1918 et, d’autre part, le nouveau discours sur les valeurs qui sont censées régir l’ordre international sous le signe de la Ligue des Nations et de l’internationalisme d’inspiration wilsonienne.
6La troisième partie du livre, entièrement consacrée au cas de la Chine, enrichit la diversité des perspectives sur la fin de la Grande Guerre et la conférence de la Paix. Les études de Peter Zarrow, Sebastian Veg et Tze-ki Hon se rejoignent sur l’importance de la Grande Guerre et de la conférence de la Paix dans l’accélération de l’ouverture sur le monde de la Chine post-impériale avec ses élites de plus en plus tournées vers les dynamiques culturelles, politiques et idéologiques du monde moderne. L’amertume que provoquent les conséquences de la Conférence pour la Chine – notamment la perte de la ville de Quingdao qui passe sous domination japonaise après avoir été contrôlée par l’Allemagne jusqu’en 1914 – représente un catalyseur de nouvelles formes de mobilisation politique et de positionnement idéologique anticolonial, y compris d’inspiration léniniste comme dans le cas du jeune Mao Tsé-toung. Les rapports qu’entretiennent les intellectuels et l’opinion publique chinoise avec la conférence de la Paix et qui passent du registre de l’idéalisation de l’événement à celui de son rejet marquent une nouvelle étape dans l’histoire d’un sentiment collectif d’injustice et d’une vision victimaire du passé chinois.
7« La naissance de la gouvernance globale » fait l’objet de la dernière partie du livre à travers les contributions de Christopher Szabla, Albert Wu, Martin Beddeleem et Hagen Schulz-Forberg. C’est à partir de ce point d’observation qu’apparaissent certains des traits les plus modernes du nouvel ordre international qui tente de se mettre en place dans le sillage de la Grande Guerre. L’amplification sous l’effet du conflit et des bouleversements politiques de certaines dynamiques transnationales préexistantes, comme les migrations, les crises des réfugiés ou les crises sanitaires de grande ampleur, favorisent la cristallisation de nouvelles manières d’envisager des solutions à l’échelle internationale par l’action d’organismes liés à la Ligue des Nations, tels l’Organisation internationale du travail et l’Organisation de la santé de la Société des Nations (ancêtre de l’Organisation mondiale de la Santé). L’ampleur de la dimension proprement intellectuelle de cet effort pour asseoir des logiques innovantes et des instruments internationaux destinés à faire avancer la paix universelle, la coopération économique et la justice sociale représente un résultat sur le long terme de la création de la Ligue des Nations. D’une manière générale, comme le notent Martin Beddeleem et Hagen Schulz-Forberg, « la Ligue a créé la première génération de gouvernance mondiale fondée sur des organisations internationales connectées, des instituts de recherche, des universités, des groupes de réflexion, des gouvernements nationaux et de riches organismes de financement privés » (p. 247).
8Par la variété des thèmes, des interrogations et des perspectives réunis dans ses pages, le volume offre un faisceau d’analyses à la fois innovantes et stimulantes sur les ambitions et les perceptions attachées à la conférence de la Paix de Paris ainsi que sur certaines de ses conséquences internationales moins éclairées jusqu’ici.
Pour citer cet article
Référence électronique
Florin Turcanu, « Albert Wu et Stephen W. Sawyer (eds.), The Making of a World Order. Global Historical Perspectives on the Paris Peace Conference and the Treaty of Versailles », Histoire Politique [En ligne], Comptes rendus, mis en ligne le 09 décembre 2024, consulté le 22 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoirepolitique/19514 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12voe
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