Les choses de la guerre : l’aide militaire interalliée dans l’histoire globalisée de la Seconde Guerre mondiale
Résumés
Cet article a pour objectif d’approfondir, à travers une réévaluation des aides militaires interalliées, l’étude du tournant global dans l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. De 1941 à 1947, les Alliés échangèrent d’énormes quantités de biens et de services dans l’objectif de renforcer leur effort de guerre collectif contre les puissances de l’Axe. Ce fut, dans le contexte de l’aide au développement, l’approvisionnement le plus important de son histoire qui représenta un très grand pourcentage du commerce international contemporain. Pourtant, comme le démontre cet article, le phénomène passa pour l’essentiel inaperçu dans l’histoire politique, économique et internationale de la guerre. L’histoire de l’aide militaire interalliée demeure peu connue, elle permet pourtant de développer une histoire plus dense de l’économie politique et de la matérialité d’une guerre mondialisée au milieu du XXe siècle.
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Mots-clés :
Seconde Guerre mondiale, économie politique, historiographie, États-Unis, histoire économiqueRubriques :
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Cet article a été rédigé dans le cadre du projet » INTERALLIED » financé au titre des Marie Skłodowska-Curie Actions de l’Union européenne (no de convention de subvention 101025500 ; https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3030/101025500).
Texte intégral
- 1 Cf. Jay Winter (dir.), The Cambridge History of the First World War, 3 vol., Cambridge (GB), Cambri (...)
- 2 Andrew Buchanan, « Globalizing the Second World War », Past & Present, vol. 258, no 1, février 2023 (...)
- 3 Le point central de S.C.M. Paine, The Wars for Asia, 1911-1949, Cambridge (GB), Cambridge Universit (...)
- 4 Ashley Jackson, The British Empire and the Second World War, Londres, Hambledon Continuum, 2006 ; R (...)
- 5 1937-1945 se trouve aujourd’hui dans des manuels tels que Evan Mawdsley, World War II: a new histor (...)
1La Seconde Guerre mondiale a impliqué l’ensemble de la planète d’une manière et avec une intensité sans précédent. Pourtant, ce n’est que depuis une dizaine d’années que les travaux sur la guerre ont commencé à s’attaquer à ce que l’on appelle les « tournants » mondiaux et transnationaux de l’historiographie, bien après les études sur la Première Guerre mondiale1. Les travaux plus anciens, même les histoires globales autoproclamées, présentaient la Seconde Guerre mondiale comme une série d’efforts de guerre nationaux et de conflits régionaux distincts qui, en définitive, tournaient autour de la guerre européenne déclenchée par l’Allemagne en 19392. La nouvelle tendance « globalisante » s’est attaquée à cet eurocentrisme en insistant sur le fait que les événements qui eurent lieu en Asie et en Afrique ‑ en particulier la guerre de la Chine contre le Japon ‑ n’étaient pas périphériques, comme le veut le récit traditionnel, mais qu’ils étaient au cœur du processus d’intensification qui définit cette guerre et qui détermina l’issue finale3. Un autre développement majeur consista à rétablir le rôle joué par l’impérialisme et les empires qui en furent le produit, non seulement en tant que viviers majeurs de ressources et de main-d’œuvre, mais également en tant que cause principale de la guerre. L’agression radicale et la violence de l’Axe n’apparaissent donc plus comme le résultat du fascisme, mais comme une pulsion partagée, mutuellement imitée et renforcée, visant à construire des empires suprémacistes raciaux comme ceux que possédaient déjà les Alliés, brouillant ainsi la distinction morale entre les deux camps, distinction qui a longtemps défini la mémoire de la guerre4. Outre la remise en question de l’espace et des enjeux politiques de la Seconde Guerre mondiale, ce renouveau historiographique en a également brouillé les frontières temporelles, avec une multitude de périodisations alternatives rivalisant pour remplacer les traditionnelles dates décisives de 1939 et de 1945, depuis la période désormais familière et sinocentrique de 1937-1945, jusqu’à une « décennie de guerre fasciste » italianisante allant de 1935 à 1945, en passant par l’idée englobante d’une période « transwar » enracinée dans la japonologie5.
- 6 Cf. Reto Hofmann, The Fascist Effect: Japan and Italy, 1915-1952, Ithaca (NY), Cornell University P (...)
- 7 Alya Aglan et Robert Frank, « Introduction : La Seconde Guerre mondiale telle qu’en elle-même les h (...)
2D’un point de vue méthodologique, le tournant global des études sur la Seconde Guerre mondiale a toutefois été principalement porté par l’histoire culturelle et, dans une moindre mesure, par l’histoire militaire. La recherche eut plus à dire sur le monde pauvre, qu’on appellera ensuite Sud global, que sur les riches métropoles impériales qui en sont finalement sorties victorieuses, telles que la Grande-Bretagne et les États-Unis. Elle a également moins parlé de la matérialité d’une guerre mondialisée que de ses idéologies et de ses pratiques culturelles, comme de ses circuits et de ses réseaux de connaissances6. Cela limite la capacité des historiens à expliquer, d’un point de vue global, le déroulement et la conclusion paradoxale de la guerre. En effet, ce fut un « worldmaking moment » qui a ouvert des possibilités révolutionnaires pour de nouveaux ordres politiques, mais qui s’est néanmoins soldé par la victoire des forces établies et anti-révolutionnaires dans la majeure partie du monde, menées d’abord par la Grande-Bretagne et la France, et finalement par les États-Unis7.
- 8 Pour le présent article, le terme « aide » désigne les programmes d’aide à la défense gérés et fina (...)
3Cet article suggère que l’économie politique peut venir compléter les outils analytiques à la disposition des spécialistes d’histoire mondiale et transnationale pour comprendre cette conclusion. En nous concentrant sur l’aide à la défense interalliée pendant la Seconde Guerre mondiale ‑ la fourniture de biens et de services par principalement, voire exclusivement, les économies alliées les plus riches pour soutenir les efforts de guerre contre l’Axe d’autres nations8 ‑, nous démontrons, dans la première partie de cet article, que les États les plus riches et les plus puissants de la planète, contrairement à leurs ennemis, ont été en mesure de compenser la désintégration de l’économie mondiale pendant la guerre et de modifier les conditions des échanges mondiaux presque du jour au lendemain. Pourtant, en dehors du premier et du plus important et connu des programmes d’aide interalliés, le Lend-Lease Act de 1941 des États-Unis, nous connaissons remarquablement peu de choses sur la manière dont ils y sont parvenus. Comme nous le verrons dans la deuxième partie, il nous manque jusqu’à une première vue d’ensemble du système d’entraide que les Alliés ont créé dans les années 1940. Enfin, la troisième et dernière partie propose plusieurs pistes que les historiens pourraient suivre afin d’écrire une histoire plus complète de l’aide interalliée.
La place de l’aide interalliée dans l’économie mondiale en temps de guerre
- 9 Richard J. Overy, Why the Allies won, Londres, Jonathan Cape, 1995 ; Phillips Payson O’Brien, How t (...)
- 10 Brooke L. Blower, « New York City’s Spanish Shipping Agents and the Practice of State Power in the (...)
4L’économie politique est un prisme contre-intuitif pour explorer la globalité de la Seconde Guerre mondiale. Les ouvrages sur la guerre qui s’appuient fortement sur l’économie politique, comme l’important Why the Allies won de Richard Overy ou la récente Histoire totale de la Seconde Guerre mondiale d’Olivier Wieviorka, ont eu tendance à présenter le conflit comme une lutte entre un ensemble exclusif de grandes puissances presque entièrement blanches et principalement européennes : la Grande-Bretagne, l’Allemagne, le Japon, l’Union soviétique, les États-Unis, ainsi que l’Italie (jusqu’en 1943) et la France (jusqu’en 1940). Bien que ces ouvrages n’ignorent pas le contexte économique mondial dans lequel la guerre s’est déroulée ‑ empires, chaînes de valeur, commerce à longue distance, investissements et migrations (militaires) ‑, ils se concentrent essentiellement sur les efforts de guerre de leurs protagonistes, et ne disent pas grand-chose sur la façon dont ces derniers se sont appuyés et ont cherché à mobiliser les marchés mondiaux et les réseaux transnationaux de transport maritime, de banque, d’affaires et autres9. Comme l’a fait remarquer l’historienne américaine Brooke Blower, ces éléments « sont passés entre les mailles du filet des histoires centrées sur les États-nations10 ».
- 11 Parmi les comptes rendus classiques, on peut citer Barry J. Eichengreen, Golden fetters: the gold s (...)
- 12 Ronald Findlay et Kevin O’Rourke, Power and Plenty…, op. cit., p. 429-476.
- 13 Il n’y a pas d’équivalent pour l’économie mondiale des Alliés, par exemple, de Hein A.M. Klemann et (...)
5Ce prisme coïncide avec l’histoire économique mondiale. Dans les récits classiques, l’époque des deux guerres mondiales apparaît comme celle d’une profonde démondialisation, lorsque la prolifération des barrières commerciales, la surabondance de la production primaire et secondaire et l’érosion des fondements politiques internationaux et nationaux de la coopération monétaire internationale d’avant 1914 ont entraîné la désintégration, à l’échelle mondiale, des marchés des commodités et des investissements11. L’économie mondiale s’est fracturée en blocs commerciaux et monétaires rivaux, un processus qui a atteint son apogée lors de la Seconde Guerre mondiale, qui, en termes économiques, est perçue comme étant menée par trois grands blocs : l’Europe contrôlée par les Allemands, l’Asie contrôlée par les Japonais et, dans le reste du monde, la coalition alliée. Cependant, les spécialistes prennent soin de souligner que les guerres mondiales n’ont pas été uniformément démondialisantes. Si la guerre a virtuellement interrompu les échanges entre les blocs, les échanges à l’intérieur de ceux-ci ont probablement augmenté, que ce soit sous des formes contrôlées par l’État, voire coercitives, comme l’expropriation ou le pillage pur et simple, ou sous des formes commerciales12. Il est significatif que, parmi les trois blocs, l’« économie de guerre européenne » dirigée par les nazis et la sphère de « coprospérité » du Japon en Asie de l’Est aient fait l’objet de recherches plus approfondies que les Nations unies, comme la coalition anti-Axe s’est appelée elle-même à partir de 1942, beaucoup plus grande, plus riche et au moins aussi intégrée13.
- 14 Richard J. Overy, Why the Allies won, op. cit. ; Mark Harrison (dir.), The Economics of World War I (...)
- 15 Mark Harrison, « The economics of World War II: An overview », dans id., Economics, op. cit., p. 22 (...)
6Les données statistiques fiables et comparables sur l’économie mondiale pendant la Seconde Guerre mondiale sont, au mieux, fragmentaires. C’est au moins en partie pour cette raison que les économistes et les historiens de l’économie ont eu tendance à se concentrer sur l’économie comparée des efforts de guerre des grandes puissances, au détriment d’autres grands contributeurs de matériel de guerre et de main-d’œuvre (militaire) comme l’Inde et le Canada, la cinquième économie de la guerre14. Bien qu’ils soient conscients que « l’effort de guerre des Alliés formait un tout économiquement intégré », la manière dont celui-ci a été mis en place et a fonctionné n’a pas encore fait l’objet d’une étude systématique, fondée sur des archives15.
- 16 Banque des règlements internationaux, Quatorzième rapport annuel, Bâle, 1944, pp. 45-46.
- 17 Ronald Findlay et Kevin O’Rourke, Power and Plenty…, op. cit., p. 458.
- 18 Banque des règlements internationaux, Quatorzième rapport annuel, op. cit., p. 46.
7Les contemporains étaient pourtant conscients de l’importance du phénomène ainsi oublié par les historiens. En 1944, la Banque des règlements internationaux (BRI), basée dans la ville neutre de Bâle, a tenté d’estimer le déclin du commerce international causé par cinq années de guerre mondiale. Bien qu’assortie de réserves concernant les mouvements de prix violents, l’exclusion des armes des données nationales, les retards de publication et d’autres problèmes qui ont grevé ses chiffres d’une grande marge d’erreur, la BRI est néanmoins parvenue à une approximation grossière : de 1939 à 1943, la guerre avait réduit le commerce mondial de 40 % à 60 % par rapport au chiffre d’affaires total de 1938 (46,1 milliards de dollars), dernière année pour laquelle des données complètes étaient disponibles. Plus de la moitié de cette baisse estimée (19,8 milliards de dollars) était due à l’effondrement du commerce européen provoqué par le blocus britannique du continent ; un peu moins d’un cinquième supplémentaire était le résultat de l’interruption du commerce asiatique16. Ces chiffres doivent être considérés avec grande prudence. En l’absence de données systématiquement comparables, le travail de la BRI n’est guère plus qu’une estimation. S’il était avéré, le déclin du commerce mondial indiqué par la Banque aurait été bien plus important que les nadirs de la Première Guerre mondiale et de la Grande Dépression. Il est difficile, donc, de concilier ce constat avec les indices actuellement disponibles sur le commerce international dans les quelques années qui ont suivi la fin de la guerre17. Plus important encore, les chiffres de la BRI ne tiennent pas compte de « la mesure dans laquelle les exportations ou les importations de matériel de guerre, de minéraux stratégiques, de denrées alimentaires, etc. ont compensé la diminution des biens de consommation et d’équipement qui constituaient auparavant le pilier du commerce extérieur18 ». Une grande partie de cette omission avait à voir avec l’aide interalliée.
8Cela apparaît clairement si l’on compare la valeur des différents programmes d’aide interalliée, dans leur totalité et en 1944. La figure 1 montre que la valeur totale de l’aide interalliée pendant la Seconde Guerre mondiale était énorme, plus d’un tiers supérieure au chiffre d’affaires total du commerce mondial en 1938. 71 % du total étaient constitués par le seul Prêt-Bail des États-Unis, reflétant la richesse et la productivité extraordinaires du pays en temps de guerre par rapport au reste de la coalition alliée, et même du monde. Bien entendu, sur une base annuelle, l’aide interalliée était beaucoup moins importante. Néanmoins, une approximation préliminaire (et incomplète) de la valeur totale de l’aide alliée à la défense en 1944 ‑ comme en 1938, année record ‑ suggère que l’année du rapport de la BRI, cette aide pourrait avoir compensé la quasi-totalité de la perte du commerce mondial due à la guerre.
- 19 Il faut également tenir compte de la question problématique des taux de change en temps de guerre, (...)
- 20 Ibid. Edgerton ne s’intéresse qu’au Prêt-Bail, mais la Grande-Bretagne a également reçu une aide ca (...)
- 21 Mark Harrison, Accounting for War: Soviet Production, Employment, and the Defence Burden, 1940-1945(...)
9Nous ne pouvons pas tirer de conclusions définitives sur la base de ces données, qui sont tirées de livres blancs, de rapports gouvernementaux et d’histoires (semi-)officielles qui semblent utiliser des prix nominaux plutôt que des prix constants19. La figure 1 nous apprend peu, également, sur la nature et la direction des flux d’aide interalliés. L’assertion selon laquelle ils pourraient avoir compensé la perte brute du commerce mondial ordinaire en temps de paix ne tient pas compte du fait que ces flux n’ont bénéficié qu’aux membres de la coalition alliée. En d’autres termes, ils ont participé de la fracture de l’économie mondiale et n’y ont pas remédié. En dépit de ces réserves, la figure 1 suggère au moins le poids considérable de l’aide interalliée dans l’économie mondiale en temps de guerre. Il existe également des preuves solides pour affirmer que, du moins pour ses principaux bénéficiaires, l’aide étrangère a réellement compensé la perte du commerce d’avant-guerre, voire a augmenté son volume global. L’historien britannique David Edgerton a récemment démontré qu’en termes réels, les importations au Royaume-Uni étaient plus élevées à la fin de la Seconde Guerre mondiale qu’à la fin des années 1930, et plus élevées en proportion du produit intérieur brut, malgré la perte des importations régulières d’outre-mer ; la différence a été entièrement compensée par l’aide interalliée20. Cette remarque s’applique de manière encore plus spectaculaire à l’URSS, qui est passée d’une économie quasi autarcique à un importateur majeur en l’espace de quelques années21.
Figure 1. Aide interalliée, 1941-1946 (millions USD, prix de 1946)
Pays donateur |
Valeur nominale totale |
Valeur nominale en 1944 |
États-Unis |
43,615 |
14,800 |
Royaume-Uni |
10,439* |
3,766 |
Canada |
4,435† |
979† |
Reste de l’Empire britannique |
1,530 |
140 |
Autres alliés |
1,067 |
?‡ |
Total |
61,086 |
19 685 (incomplet) |
Sources: R.G.D. Allen, « Mutual Aid between U.S. and the British Empire, 1941-1945 », Journal of the Royal Statistical Society, vol. 109, no 3, 1946, p. 243-277; Canadian Mutual Aid Board, Final Report, Ottawa, King’s Printer, 1946; H. Duncan Hall, North American Supply, Londres, His Majesty’s Stationery Office, 1955, p. 429.
* Comprend à la fois le Prêt-Bail « inversé » exclusif du Royaume-Uni aux États-Unis et l’aide réciproque ou mutuelle du Royaume-Uni à d’autres alliés, principalement l’URSS.
† Les chiffres de l’aide canadienne ont été calculés en utilisant les totaux officiels (en $CA) multipliés par le taux de change officiel en temps de guerre avec le dollar américain (voir James Powell, Une histoire du dollar canadien, Ottawa, Banque du Canada, 2005, p. 53). Nota bene : Le chiffre pour 1944 n’est pas exact mais correspond à douze fois la moyenne de l’entraide canadienne entre le 1er septembre 1941 (début des opérations) et le 31 mars 1945 (fin de l’année comptable, qui correspondait aux années d’opérations, c’est-à-dire 1943-1944, 1944-1945, etc.) Les archives du Conseil de l’entraide étaient en transit vers un nouvel entrepôt aux Archives et à la Bibliothèque du Canada au moment de la rédaction du présent article et donc inaccessibles, ce qui rend impossible le calcul d’une somme exacte pour l’année civile 1944.
‡ À notre connaissance, il n’existe pas de données publiées sur les autres aides alliées par année.
Histoires invisibles : l’aide interalliée au sein de l’historiographie
- 22 Les principales histoires en langue anglaise sont les suivantes Warren F. Kimball, The most unsordi (...)
- 23 Cf. tableau 25, Twenty-first report to Congress on Lend-Lease operations, Washington, D.C., Governm (...)
- 24 John McVickar Haight, American aid to France, 1938-1940, New York, Atheneum, 1970 ; James J. Doughe (...)
- 25 National Archives and Records Administration (NARA), College Park (USA), Record Group (RG) 169: Rec (...)
- 26 Edward R. Stettinius, Jr, Lend-lease: weapon for victory, New York, Macmillan, 1944.
10Pourtant, l’ampleur et l’importance mondiale de l’aide interalliée sont pratiquement invisibles dans les ouvrages spécialisés qui en font pourtant leur objet principal. Cela s’explique en premier lieu par l’objet souvent restreint de la plupart de ces travaux, qui peuvent être arrangés selon les différentes relations d’aide bilatérale. La majeure partie d’entre eux, écrite principalement en anglais et en russe, ne s’intéresse qu’au Prêt-Bail envers les deux principaux bénéficiaires, le Royaume-Uni et l’URSS, et ignore le reste de la soixantaine d’États indépendants et de territoires coloniaux qui ont reçu l’aide américaine à la défense pendant la Seconde Guerre mondiale22. Bien qu’à eux deux, les Britanniques et les Soviétiques aient représenté environ deux tiers de la valeur totale du Prêt-Bail ‑ ce qui reflète leur situation géographique et le fait qu’ils ont mené la plupart des combats contre l’Axe ‑, cela signifie qu’un tiers de l’aide américaine réservée au monde colonisé pour conduire la guerre a été perdu de vue par les historiens23. Certains travaux ont été consacrés à d’autres bénéficiaires du Prêt-Bail, notamment la France (troisième bénéficiaire), mais comme pour l’aide à la Grande-Bretagne et à l’URSS, cette recherche s’inscrit dans un cadre strictement bilatéral, dissocié du reste du programme, sans même évoquer le système plus large de l’aide interalliée24. Sans doute cela est-il lié au fait qu’aucune histoire officielle du Prêt-Bail n’a été publiée, bien que le gouvernement fédéral américain ait employé un historien sur le sujet, dont l’équipe a préparé un vaste récit de 4 000 pages couvrant l’ensemble du programme qui, malheureusement, n’a jamais été achevé25. Le seul récit panoramique que nous possédons sur le programme est un livre semi-propagandiste écrit en 1943 par son directeur, Edward Stettinius26.
- 27 Hector Mackenzie, « Sinews of War and Peace: The Politics of Economic Aid to Britain, 1939-1945 », (...)
- 28 Joan Beaumont, Comrades in arms: British aid to Russia 1941-1945, Londres, Davis-Poynter, 1980.
- 29 Par exemple, il ne mérite pas d’être indexé dans le meilleur compte rendu de la présence américaine (...)
11Les études sur l’aide interalliée non américaine sont encore plus fragmentaires. Il est révélateur, par exemple, que le premier article utilisant des sources primaires sur l’aide canadienne n’ait été publié qu’à la fin des années 1990, et qu’il ait été rédigé par un historien officiel, travaillant pour le ministère des Affaires étrangères qui s’est concentré exclusivement sur l’aide à la Grande-Bretagne (qui en était, il est vrai, de très loin, le principal bénéficiaire) et qui n’a pas pris la peine de convertir ses chiffres de monnaie canadienne en d’autres devises27. En dehors d’une seule étude par l’historienne australienne Joan Beaumont sur l’aide britannique à l’Union soviétique, il n’existe, à notre connaissance, aucune source secondaire sur la douzaine d’autres initiatives d’aide interalliée, connues sous le nom de Reciprocal ou Mutual Aid28. Même l’aide britannique dite « inversée » de Prêt-Bail aux États-Unis (reverse Lend-Lease), qui a permis de nourrir, d’habiller et de construire des bases pour les troupes américaines, des îles britanniques à Takoradi au Ghana, continue d’attendre son historien29.
- 30 En plus de la note 22, cf. Richard N. Gardner, Sterling-dollar diplomacy: Anglo-American collaborat (...)
- 31 Par exemple Hubert P. Van Tuyll, Feeding the bear: American aid to the Soviet Union, 1941-1945, New (...)
- 32 Comme l’a souligné il y a longtemps George C. Herring, Aid to Russia…, op. cit., pp. xiii-xxi.
- 33 Sur l’utilisation d’armes et de services fabriqués aux États-Unis par d’autres armées, voir Gavin J (...)
12Ce que nous savons de l’aide interalliée a principalement trait à des questions diplomatiques et militaires relatives aux relations anglo-américaines et soviéto-américaines, ce qui constitue la deuxième limite de l’historiographie. Ainsi, les historiens ont été particulièrement attentifs à la fin abrupte du programme en août 1945, pour savoir si celle-ci a contribué à provoquer la guerre froide, ou à la manière dont, en échange de l’aide américaine, la Grande-Bretagne a été contrainte de s’engager à démanteler son bloc commercial et monétaire impérial, préfigurant ainsi la conférence de Bretton Woods de 194430. Bien que ces recherches aient révélé beaucoup d’éléments sur la diplomatie financière du monde de l’après-guerre, elles en disent peu sur l’économie politique de l’aide interalliée elle-même, et encore moins sur les choses réellement données et sur la manière dont elles ont été utilisées. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de travaux qui traitent de cette question. Il existe en effet de nombreux travaux sur la contribution des armes produites par les Britanniques et les Américains et fournies aux Soviétiques dans leurs batailles contre l’Allemagne, en particulier autour de Moscou en 1941-194231. Toutefois, s’ils ont certainement fourni une vision matérielle de l’aide interalliée, il s’agit d’une vision limitée, essentiellement axée sur des questions militaro-opérationnelles. Elle est, de plus, influencée par le débat de longue haleine, commencé pendant la guerre et d’une grande véhémence par la suite durant la guerre froide, sur la mesure dans laquelle Moscou dépendait de l’aide étrangère pour remporter sa victoire sur le nazisme32. Outre le fait qu’elle est totalement dissociée de la recherche sur l’utilisation par d’autres armées alliées de munitions fabriquées à l’étranger, cette littérature n’a pratiquement rien à dire sur des questions plus larges, telles que la manière dont les armements donnés ont été intégrés dans les cultures militaires et matérielles existantes des pays bénéficiaires, ou comment l’aide interalliée a modifié celles-ci pendant des années, voire des décennies, après la fin des combats33.
- 34 David Edgerton, « The United Kingdom’s disappearing wartime imports », op. cit., p. 8.
- 35 Mark Clayton, « Cutting the Gordian Knot: Reassessing Australia’s Lend-Lease Settlement », Australi (...)
- 36 Forty-fifth Report to Congress on Lend-Lease Operations, Washington, DC, GPO, 1964 ; Bernard Gwertz (...)
13Le troisième et dernier problème de l’historiographie est qu’elle est confuse quant à la nature de l’aide interalliée, y compris le Prêt-Bail, le programme le plus étudié. Comme l’a souligné Edgerton, même les spécialistes de l’économie de la Seconde Guerre mondiale ont souvent pris l’expression « Prêt-Bail » au pied de la lettre et l’ont comprise comme une subvention ou un prêt d’argent34. Mais ce n’était pas aussi simple. La plus grande partie du Prêt-Bail était en fait un don. Officiellement, il s’agissait d’un transfert de biens dont le gouvernement américain conservait la propriété légale s’ils n’étaient pas utilisés ou détruits au combat, et dont la valeur totale était comptabilisée dans le cadre de traités bilatéraux connus sous le nom d’accords d’entraide (Mutual Aid Agreements). Dans le cas du Royaume-Uni, le déficit du compte d’entraide a été presque entièrement annulé en 1946, tandis que les Soviétiques (dont l’aide était soumise à une série de protocoles spéciaux) ont bénéficié d’un arrangement similaire, en grande partie par défaut. D’autres Alliés moins importants n’ont pas été traités aussi généreusement : l’Australie a ainsi contracté une dette sous la forme d’avions excédentaires loués par Prêt-Bail, dont le paiement a assombri les relations australo-américaines jusque dans les années 195035. En effet, jusque sous la présidence de Lyndon B. Johnson, plus d’un milliard de dollars de dettes de Prêt-Bail avec des pays comme l’Égypte, la France et les Pays-Bas étaient encore dues. Entre-temps, il a fallu attendre 1972 pour que l’Union soviétique règle son compte de Prêt-Bail avec Washington, en échange d’un accord commercial qui constituait une petite partie de la politique plus large de détente entre les superpuissances36. Pourtant, cette complexité ‑ et souvent, de fait, cette hiérarchie internationale ‑ passe inaperçue lorsque la partie de l’aide américaine accordée sous forme de dons, qui était de loin la plus importante, est confondue avec ce qui a été finalement loué ou prêté. La question est de toute façon largement discutable pour le reste de l’aide interalliée : les initiatives britanniques, canadiennes et autres ont été des dons inconditionnels dès le départ, à l’exception de l’aide civile à l’URSS, pour laquelle les Soviétiques ont bénéficié d’un crédit à long terme à des conditions avantageuses.
14En résumé, si la littérature existante fournit une histoire du Prêt-Bail, celle-ci est incomplète et reste pratiquement muette sur la manière dont le programme s’inscrit dans le système plus large de l’aide interalliée. De fait, l’histoire internationale et mondiale de l’économie de guerre combinée des Alliés reste à écrire. Nous disposons de fragments de cette histoire, mais rien de plus. La partie suivante propose plusieurs pistes pour l’écriture d’une histoire plus panoramique de l’aide interalliée, axée principalement, sinon uniquement, sur le Prêt-Bail.
Vers une nouvelle histoire de l’aide interalliée
- 37 Le terme a été utilisé pour la première fois par le Premier ministre canadien Mackenzie King en 194 (...)
- 38 Bibliothèque et Archives Canada, Ottawa, Record Group (RG) 36 : fonds Department of Reconstruction (...)
- 39 Sur ce point, voir Stefan Link et Noam Maggor, « The United States as a Developing Nation: Revisiti (...)
15Ce qui suit n’est qu’un aperçu de ce que pourrait être une étude plus complète de l’aide interalliée. Le sujet est vaste et l’espace disponible très limité. Cependant, trois pistes d’interprétation se révèlent d’elles-mêmes. Il est tout d’abord évident que l’histoire de l’aide interalliée doit être rigoureusement internationale et non simplement bilatérale. Cela nécessiterait de rendre pleinement compte des programmes non américains, ainsi que de mieux apprécier la place et la politique des petites puissances au sein de la coalition alliée, un sujet négligé dans les études sur la Seconde Guerre mondiale. Nous comprenons très mal, par exemple, la position complexe du Canada dans le système d’aide interalliée. Il refusa le Prêt-Bail et maintint avec les États-Unis un commerce en espèces qui représentait 14 % de sa production totale d’armes, mais il reçut en même temps des articles du Prêt-Bail (souvent des biens intermédiaires) pour les transborder en Grande-Bretagne, tout en fournissant sa propre aide. Il est clair que l’aide apportée par le Canada a joué un rôle central dans son émergence et dans l’idée qu’il se faisait de lui-même en tant que « puissance moyenne » après 1945, mais la relation précise entre les deux n’est pas claire37. Le simple fait d’élucider la position du Canada dans la coalition d’aide alliée impliquerait un projet de recherche international. Il s’agirait non seulement d’utiliser les archives jusqu’ici peu étudiées du Mutual Aid Board ‑ un comité interministériel créé en 1943 par le gouvernement fédéral canadien pour coordonner son aide à l’étranger ‑ ainsi que les documents administratifs et privés de personnalités clés telles que C.D. Howe, le puissant ministre des Munitions et des Approvisionnements surnommé « Ministre de tout », mais aussi des sources britanniques et surtout américaines sur les relations économiques britanno-canadiennes et canado-américaines38. Un tel projet permettrait de reconstituer l’histoire des mobilisations canadiennes et américaines à leur échelle propre, c’est-à-dire nord-américaine, sortant ainsi des silos nationaux dans lesquels on les étudie habituellement. Il contribuerait également à étendre l’histoire nouvelle et non exceptionnaliste de la politique économique et du développement des États-Unis39.
- 40 Il existe une courte section sur le Prêt-Bail et l’aide réciproque dans l’ouvrage de J.V.T. Baker, (...)
- 41 Comme le note R.G.D. Allen, « Mutual Aid », op. cit., note de bas page de la p. 244.
- 42 Archives New Zealand, Wellington, fonds du Department of External Affairs (ACIE), Registered Subjec (...)
16Comme nous l’avons indiqué, nous en savons encore moins sur les autres dispositifs d’aide des Alliés. Ainsi, bien que la Nouvelle-Zélande ait consacré près de 10 % de son revenu national brut à l’aide réciproque avec les États-Unis ‑ le pourcentage le plus élevé de tous les Alliés ‑, la nature précise de sa contribution à l’effort de guerre n’est pas claire, bien que nous sachions que la moitié de cette aide a consisté en nourriture pour les troupes américaines dans le Pacifique. La manière dont la relation d’aide avec les États-Unis a modifié la place de la Nouvelle-Zélande dans l’Empire britannique et son statut d’État souverain à part entière est tout aussi obscure : le pays, ce n’est pas une coïncidence, a établi sa première légation en dehors de la Grande-Bretagne en 1941, à Washington40. La réception et la fourniture d’aides par l’Inde sont également entourées de mystère. Les quelques études panoramiques que nous possédons et qui traitent de l’Inde furent écrites directement après la guerre, lorsque le Royaume-Uni et la République nouvellement indépendante étaient encore en train de se disputer sur la manière de répartir leurs dettes au titre du Prêt-Bail41. Nous n’avons pas la moindre idée de la place qu’occupait le Pakistan, avec son grand port de Karachi, dans cette histoire, ni du Sri Lanka (une colonie distincte de la Couronne), bien que l’île ait accueilli un important établissement militaire multinational en tant que siège du commandement de l’Asie du Sud-Est (South East Asian Command) à partir de la fin de 1943. À notre connaissance, il n’existe aucune étude établissant un lien entre les sources américaines relativement bien connues sur le Prêt-Bail et les documents néo-zélandais sur la « coopération entre les nations alliées », comme on l’appelait à Wellington, ou les documents britanniques tels que ceux des bureaux de l’Inde et de la Birmanie (conservés par la British Library)42.
- 43 Mark R. Wilson, Destructive Creation: American Business and the Winning of World War II, Philadelph (...)
- 44 Cf. NARA, RG 169: History of Lend-Lease, boîtes 1-10, contenant le chapitre II sur l’histoire légis (...)
17Un deuxième aspect qui reste à explorer est, ironiquement, l’économie politique de l’aide interalliée. Si nous en savons beaucoup sur la diplomatie financière entourant le Prêt-Bail, pratiquement aucune recherche n’a été effectuée sur l’aspect industriel du programme, notamment sur la manière dont le gouvernement fédéral américain a géré, réglementé et même possédé des entreprises s’occupant de la production et de l’expédition de l’aide. Notre connaissance du rôle et des opinions des entreprises américaines et de leurs alliés politiques sur la fourniture de l’aide aux Alliés est également inégale. À cet égard, il est dommage de constater que l’étude révolutionnaire de Mark Wilson sur la mobilisation économique américaine sous le New Deal, qui contient des informations très riches sur les relations conflictuelles entre le gouvernement et les milieux d’affaires dans le secteur de la défense, ignore en grande partie le Prêt-Bail43. Néanmoins, les mêmes questions se posent, avec force, au sujet de l’aide des autres Alliés. Ainsi, nous ne pouvons pas savoir à quel point le système d’aide interalliée représentait une intervention massive et coordonnée de l’État dans l’économie mondiale, ni des grandes controverses qu’il était susceptible de susciter. Le fait que les fonctionnaires américains responsables du Prêt-Bail aient passé une grande partie de leur temps à préparer des rapports semestriels pour les membres du Congrès et à répondre à leurs questions montre bien que le risque de controverse était grand44. Le Congressional Record pour la commission des crédits de la Chambre et du Sénat, ainsi que celles de la commission spéciale du Sénat chargée d’enquêter sur le programme de défense nationale (la fameuse commission Truman, du nom de son président, le futur président américain Harry S. Truman), constituent de riches filons pour l’histoire de l’économie politique et morale de l’aide interalliée, tout comme le Hansard du Royaume-Uni et ceux des autres parlements de l’Empire britannique.
- 45 17 décembre 1940, Franklin Roosevelt’s Press Conference, http://docs.fdrlibrary.marist.edu/odllpc2. (...)
- 46 Cf. NARA, RG 169, Foreign Field Missions: Records of the Foreign Field Mission to China, India, and (...)
18Enfin, l’histoire matérielle de l’aide interalliée mérite d’être explorée. Lorsque Roosevelt a proposé pour la première fois ce qui allait devenir le Prêt-Bail en lieu et place de l’extension traditionnelle des prêts de guerre, il a déclaré qu’il souhaitait « éliminer le dollar » des relations des États-Unis avec les Alliés45. Comme nous l’avons vu, cette vision ne s’est pas tout à fait concrétisée : le dollar américain est resté l’unité de compte principale et le Prêt-Bail a effectivement créé des dettes, sauf pour quelques chanceux, comme les Britanniques. Néanmoins, pendant toute la durée de la Seconde Guerre mondiale, l’aide interalliée a remplacé le commerce international privé par la fourniture de biens par l’État. Dans la pratique, il s’agissait d’une affaire manifestement matérielle. Elle était l’apanage des logisticiens, des mécaniciens et des ingénieurs qui travaillaient, dans le cas du Prêt-Bail, pour la division internationale de l’armée américaine ou pour la Foreign Economic Administration (créée en 1943) et ses prédécesseurs. Si le suivi des marchandises transférées afin de comptabiliser leur valeur totale était une tâche essentielle, il s’agissait d’une tâche parmi d’autres, souvent secondaire par rapport au besoin plus immédiat de s’assurer que les marchandises qu’ils étaient censés livrer arrivaient effectivement à destination46.
- 47 Pour un exemple pionnier, voir Michael Miller, « Sea transport », dans Michael Geyer et Adam Tooze (...)
- 48 Sur la réparation, voir Corbin Williamson, « Industrial-Grade Generosity: British Warship Repair an (...)
- 49 Richard P. Tucker, « Environmental scars in northeastern India and Burma », dans Simo Laakkonen, Ri (...)
19Une histoire matérielle de l’aide interalliée partagerait cet objectif. Elle s’intéresserait au poids et au volume des choses, et non à leur valeur en dollars, en livres ou autre. Elle se demanderait où et comment ils ont été emballés, expédiés et transbordés, à travers quels types de voies (ferrées) et de (aero)ports et s’ils sont arrivés à destination à temps et en un seul morceau, ou s’ils ont été perdus ou endommagés47. Une question majeure serait l’utilisation et la réutilisation : comment les choses données ont été utilisées, ont-elles répondu aux attentes des donateurs et des bénéficiaires, et qu’-est-il est advenu des biens endommagés ou excédentaires ? Ont-ils été réparés, mis au rebut ou vendus aux enchères ? Quelle a été l’existence de l’aide interalliée après la fin du conflit48 ? Il y a des raisons de penser qu’elle pourrait être très longue. La route dite de Stillwell ou de Ledo, construite pour accélérer l’acheminement de l’aide de l’Inde britannique vers la Chine à travers l’Himalaya, a par exemple modifié de façon permanente la démographie, l’utilisation des terres et l’écologie des hauts plateaux de Birmanie et du nord-est de l’Inde49. Ainsi, une histoire plus complète de l’aide interalliée ne contribuerait pas seulement à la mondialisation de la Seconde Guerre mondiale ; elle ouvrirait une nouvelle fenêtre sur le XXe siècle.
Notes
1 Cf. Jay Winter (dir.), The Cambridge History of the First World War, 3 vol., Cambridge (GB), Cambridge University Press, 2013.
2 Andrew Buchanan, « Globalizing the Second World War », Past & Present, vol. 258, no 1, février 2023, pp. 246-281 ; cf. Gerhard L. Weinberg, A world at arms: a global history of World War II, Cambridge (GB), Cambridge University Press, 1994.
3 Le point central de S.C.M. Paine, The Wars for Asia, 1911-1949, Cambridge (GB), Cambridge University Press, 2012. Voir aussi Hans J. van de Ven, War and nationalism in China, 1925-1945, Abingdon, Routledge, 2003 ; China at War: Triumph and Tragedy in the Emergence of the New China 1937-1952, Londres, Profile Books, 2017 ; Rana Mitter, China’s war with Japan, 1937-1945: the struggle for survival, Londres, Allen Lane, 2013 ; Srinath Raghavan, India’s War: The Making of Modern South Asia, 1939-1945, Londres, Allen Lane, 2016.
4 Ashley Jackson, The British Empire and the Second World War, Londres, Hambledon Continuum, 2006 ; Reto Hoffmann et Daniel Hedinger (dir.), «Axis empires: towards a global history of fascist imperialism», dossier du Journal of Global History, vol. 12, no 2, juillet 2017, p. 161-296 ; Daniel Hedinger, Die Achse. Berlin ‑ Rom ‑ Tokio, 1919-1946, Munich, C.H. Beck, 2021 ; Richard Overy, Blood and Ruins: The Great Imperial War, 1931-1945, Londres, Allen Lane, 2021.
5 1937-1945 se trouve aujourd’hui dans des manuels tels que Evan Mawdsley, World War II: a new history, 2e ed, Cambridge (GB), Cambridge University Press, 2020. Voir aussi Marco Maria Aterrano et Karine Varley (dir.), A Fascist Decade of War: 1935-1945 in International Perspective, Londres, Routledge, 2020 ; Reto Hofmann et Max Ward (dir.), Transwar Asia: Ideology, Practices, and Institutions, 1920-1960, Londres, Bloomsbury, 2021.
6 Cf. Reto Hofmann, The Fascist Effect: Japan and Italy, 1915-1952, Ithaca (NY), Cornell University Press, 2015 ; Sheldon Garon, « On the Transnational Destruction of Cities: What Japan and the United States Learned from the Bombing of Britain and Germany in the Second World War », Past & Present, vol. 247, no 1, mai 2020, pp. 235-271.
7 Alya Aglan et Robert Frank, « Introduction : La Seconde Guerre mondiale telle qu’en elle-même les historiens la changent (1937-1947) », dans idem (dir.), 1937-1947 : la guerre-monde, vol. I, Paris, Gallimard, 2015, pp. 2-3 ; David Motadel, « The Global Authoritarian Moment and the Revolt against Empire », The American Historical Review, vol. 124, no 3, juin 2019, pp. 843-877 ; Ruth Lawlor et Andrew Buchanan (dir.), The Greater Second World War, à paraître.
8 Pour le présent article, le terme « aide » désigne les programmes d’aide à la défense gérés et financés par l’État, et non l’aide humanitaire, que les Alliés ont également fournie en grandes quantités (principalement par l’intermédiaire de l’Agence des Nations unies pour le secours et la reconstruction, créée en 1943).
9 Richard J. Overy, Why the Allies won, Londres, Jonathan Cape, 1995 ; Phillips Payson O’Brien, How the war was won: air-sea power and Allied victory in World War II, Cambridge (GB), Cambridge University Press, 2014 ; Olivier Wieviorka, Histoire totale de la Seconde Guerre mondiale, Paris, Perrin/Ministère des Armées, 2023. D’importantes exceptions à ce constat sont Adam Tooze, La salaire de la destruction : formation et ruine de l’économie nazie, trad. Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, Les Belles Lettres, 2012 ; David Edgerton, Britain’s war machine: weapons, resources and experts in the Second World War, Londres, Penguin, 2012.
10 Brooke L. Blower, « New York City’s Spanish Shipping Agents and the Practice of State Power in the Atlantic Borderlands of World War II », The American Historical Review, vol. 119, no 1, janvier 2014, pp. 111-141 (ici : p. 113).
11 Parmi les comptes rendus classiques, on peut citer Barry J. Eichengreen, Golden fetters: the gold standard and the Great Depression, 1919-1939, Oxford, Oxford University Press, 1992 ; Jeffry A. Frieden, Global capitalism: its fall and rise in the twentieth century, New York, W.W. Norton & Co, 2006 ; Ronald Findlay et Kevin O’Rourke, Power and Plenty: Trade, War, and the World Economy in the Second Millennium, Princeton (NJ), Princeton University Press, 2007, pp. 429-472 ; et le chapitre de Guillaume Daudin et al. et celui de Jari Eloranta et Mark Harrison dans Stephen Broadberry et Kevin H. O’Rourke (dir.), The Cambridge Economic History of Modern Europe, vol. 2, Cambridge (GB), Cambridge University Press, 2010, pp. 5-29 et 133-155. Pour de puissantes critiques, voir Michael B. Miller, Europe and the Maritime World: A Twentieth-century History, Cambridge (GB), Cambridge University Press, 2012, pp. 1-19 ; Adam Tooze et Ted Fertik, « The World Economy and the Great War », Geschichte und Gesellschaft, vol. 40, no 2, juin 2014, pp. 214-238 ; Nicholas Mulder, The Economic Weapon: The Rise of Sanction as a Tool of Modern War, New Haven (CT), Yale University Press, 2022, pp. 204-209.
12 Ronald Findlay et Kevin O’Rourke, Power and Plenty…, op. cit., p. 429-476.
13 Il n’y a pas d’équivalent pour l’économie mondiale des Alliés, par exemple, de Hein A.M. Klemann et Sergei Kudryashov, Occupied Economies: An Economic History of Nazi-Occupied Europe, 1939-1945, Londres & New York, Berg, 2013 ; Gregg Huff, World War II and Southeast Asia: Economy and Society under Japanese Occupation, Cambridge (GB), Cambridge University Press, 2020.
14 Richard J. Overy, Why the Allies won, op. cit. ; Mark Harrison (dir.), The Economics of World War II: Six Great Powers in International Comparison, Cambridge (GB), Cambridge University Press, 1998 ; Stephen Broadberry et Mark Harrison (dir.), The Economics of the Second World War: Seventy-Five Years On, Londres, Centre for Economic Policy Research, 2020. L’ouvrage fondateur d’Alan Milward War, economy and society, 1939-1945 (Londres, Allen Lane, 1977) est également comparatif et axé sur les six grands, mais il s’intéresse à l’économie internationale en temps de guerre, d’occupation et de reconstruction, ainsi qu’à des efforts de guerre moins connus comme ceux du Canada ou de l’Australie.
15 Mark Harrison, « The economics of World War II: An overview », dans id., Economics, op. cit., p. 22 ; cf. Richard J. Overy, Why the Allies won, op. cit., pp. 248-255.
16 Banque des règlements internationaux, Quatorzième rapport annuel, Bâle, 1944, pp. 45-46.
17 Ronald Findlay et Kevin O’Rourke, Power and Plenty…, op. cit., p. 458.
18 Banque des règlements internationaux, Quatorzième rapport annuel, op. cit., p. 46.
19 Il faut également tenir compte de la question problématique des taux de change en temps de guerre, qui ont été fixés dans le cadre du contrôle des capitaux et ont donc faussé les prix. En effet, la pratique même de la comptabilisation de l’aide interalliée était profondément politique, mais mal comprise : voir David Edgerton, « The United Kingdom’s disappearing wartime imports 1939-45: A statistical, ideological, and historiographical accounting », The Economic History Review, 1 mai 2023. DOI : 10.1111/ehr.13254. URL : https://0-onlinelibrary-wiley-com.catalogue.libraries.london.ac.uk/doi/abs/10.1111/ehr.13254 [lien consulté le 22 octobre 2023].
20 Ibid. Edgerton ne s’intéresse qu’au Prêt-Bail, mais la Grande-Bretagne a également reçu une aide canadienne d’une valeur d’environ 3 milliards de dollars.
21 Mark Harrison, Accounting for War: Soviet Production, Employment, and the Defence Burden, 1940-1945, Cambridge (GB), Cambridge University Press, 1996, pp. 128-154.
22 Les principales histoires en langue anglaise sont les suivantes Warren F. Kimball, The most unsordid act: lend-lease, 1939-1941, Baltimore, Johns Hopkins Press, 1969 ; George C. Herring, Aid to Russia, 1941-1946: strategy, diplomacy, the origins of the cold war, New York, Columbia University Press, 1973 ; Alan P. Dobson, U.S. wartime aid to Britain 1940-1946, Londres, Croom Helm, 1986 ; Albert L. Weeks, Russia’s Life-Saver: Lend-Lease Aid to the USSR in World War II, Lanham, MD, Lexington Books, 2004. Depuis la glasnost, une importante littérature russophone sur le prêt-bail à l’URSS a vu le jour, en grande partie non traduite. Voir cependant Boris V. Sokolov, « The role of lend-lease in Soviet military efforts, 1941-1945 », The Journal of Slavic Military Studies (ci-après : JSMS), vol. 7, no 3, 1 septembre 1994, pp. 567-586 ; Mikhail Suprun, « Lend-Lease food aid to Russia/USSR during the Second World War », JSMS, vol. 36, no 1, 2 janvier 2023, pp. 96-108 et le site web https://lend-lease.net/ [lien consulté le 22 octobre 2023].
23 Cf. tableau 25, Twenty-first report to Congress on Lend-Lease operations, Washington, D.C., Government Printing Office (ci-après : GPO), 1945, pp. 42-43.
24 John McVickar Haight, American aid to France, 1938-1940, New York, Atheneum, 1970 ; James J. Dougherty, The Politics of wartime aid: American economic assistance to France and French Northwest Africa, 1940-1946, Westport (CT), Greenwood Press, 1978 ; Gérard Bossuat, Les aides américaines économiques et militaires à la France, 1938-1960 : une nouvelle image des rapports de puissance, Vincennes, Institut de la gestion publique et du développement économique, 2001, pp. 8-118.
25 National Archives and Records Administration (NARA), College Park (USA), Record Group (RG) 169: Records of the Foreign Economic Administration, series History of Lend-Lease and Supporting Documents, 1939-1947.
26 Edward R. Stettinius, Jr, Lend-lease: weapon for victory, New York, Macmillan, 1944.
27 Hector Mackenzie, « Sinews of War and Peace: The Politics of Economic Aid to Britain, 1939-1945 », International Journal, vol. 54, 1999 1998, pp. 648-670 ; « Transatlantic Generosity: Canada’s "Billion Dollar Gift" to the United Kingdom in the Second World War », The International History Review, vol. 34, no 2, juin 2012, pp. 293-314. Cf. Robert Bryce, Canada and the Cost of World War II: the International Operations of Canada’s Department of Finance 1939-1947, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2005.
28 Joan Beaumont, Comrades in arms: British aid to Russia 1941-1945, Londres, Davis-Poynter, 1980.
29 Par exemple, il ne mérite pas d’être indexé dans le meilleur compte rendu de la présence américaine au Royaume-Uni, David Reynolds, Rich relations: the American occupation of Britain, 1942-1945, Londres, HarperCollins, 1995.
30 En plus de la note 22, cf. Richard N. Gardner, Sterling-dollar diplomacy: Anglo-American collaboration in the reconstruction of multilateral trade, Oxford, Clarendon Press, 1956 ; Robert M. Hathaway, Ambiguous Partnership: Britain and America, 1944-1947, New York, Columbia University Press, 1981 ; Peter Clarke, The last thousand days of the British Empire, Londres, Allen Lane, 2007.
31 Par exemple Hubert P. Van Tuyll, Feeding the bear: American aid to the Soviet Union, 1941-1945, New York, Greenwood Press, 1989 ; V.F. Vorsin, « Motor vehicle transport deliveries through "lend-lease" », JSMS, vol. 10, no 2, juin 1997, pp. 153-175 ; Alexander Hill et David Stahel, « British "Lend-Lease" Aid to the USSR and the Battle of Moscow in the Light of Soviet and German Sources », JSMS, vol. 34, no 4, 2 octobre 2021, pp. 537-557.
32 Comme l’a souligné il y a longtemps George C. Herring, Aid to Russia…, op. cit., pp. xiii-xxi.
33 Sur l’utilisation d’armes et de services fabriqués aux États-Unis par d’autres armées, voir Gavin J. Bailey, The arsenal of democracy: aircraft supply and the evolution of the Anglo-American alliance, 1938-1942, Édimbourg, Edinburgh University Press, 2013 ; Zach Fredman, The Tormented Alliance: American Servicemen and the Occupation of China, 1941-1949, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2022.
34 David Edgerton, « The United Kingdom’s disappearing wartime imports », op. cit., p. 8.
35 Mark Clayton, « Cutting the Gordian Knot: Reassessing Australia’s Lend-Lease Settlement », Australian Journal of Politics & History, 21 mai 2023. DOI : 10.1111/ajph.12894. URL : https://0-onlinelibrary-wiley-com.catalogue.libraries.london.ac.uk/doi/full/10.1111/ajph.12894 [consulté le 22 octobre 2023].
36 Forty-fifth Report to Congress on Lend-Lease Operations, Washington, DC, GPO, 1964 ; Bernard Gwertzman, « U.S. and Russians sign agreements to widen trade », New York Times, 19 octobre 1972 ; George C. Herring, Aid to Russia…, op. cit., annexe.
37 Le terme a été utilisé pour la première fois par le Premier ministre canadien Mackenzie King en 1944. Elizabeth H. Armstrong, « Canadian-American Cooperation in War and Peace », The Department of State Bulletin, XIII, no 314, 28 octobre 1945, pp. 674-678. Cf. J. L. Granatstein, The Ottawa men: the civil service mandarins, 1935-1957, Toronto, Oxford University Press, 1982, l’ouvrage inclut un chapitre sur la diplomatie en temps de guerre qui parvient à ignorer totalement l’aide.
38 Bibliothèque et Archives Canada, Ottawa, Record Group (RG) 36 : fonds Department of Reconstruction and Supply, sous-fonds Records relating to the Department of Munitions and Supply, série 21 : Mutual Aid Board, 80 vol. ; fonds Clarence Decatur Howe (MG 27, III-B-20) ; et, par exemple, les documents liés à la loi Prêt-Bail et le Canada dans NARA, RG 160 : Records of Headquarters Army Service Forces, les séries Security Classified Documents Related to Defense Aid et Security Classified Correspondence, Reports, and Issuances Relating to Lend-Lease Aid and Reciprocal Aid Policies and Procedures.
39 Sur ce point, voir Stefan Link et Noam Maggor, « The United States as a Developing Nation: Revisiting the Particularities of American History », Past & Present, vol. 246, no 1, février 2020, pp. 269-306.
40 Il existe une courte section sur le Prêt-Bail et l’aide réciproque dans l’ouvrage de J.V.T. Baker, War Economy, Wellington, Historical Publications Branch, coll. « The Official History of New Zealand in the Second World War, 1939-1945 », 1965, pp. 125-127.
41 Comme le note R.G.D. Allen, « Mutual Aid », op. cit., note de bas page de la p. 244.
42 Archives New Zealand, Wellington, fonds du Department of External Affairs (ACIE), Registered Subject Files: Allied Nations Co-operation ; British Library, Londres, Asian and African Studies, fonds India Office Records, série M: Burma Office Records, 4: Annual Department Files, Economic Department Files, ‘Trade: India-US Lend-Lease Agreement’, juin-août 1946.
43 Mark R. Wilson, Destructive Creation: American Business and the Winning of World War II, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2016.
44 Cf. NARA, RG 169: History of Lend-Lease, boîtes 1-10, contenant le chapitre II sur l’histoire législative de Lend-Lease et sa documentation. Il s’agit de l’un des chapitres les plus longs et les plus documentés de l’histoire officielle.
45 17 décembre 1940, Franklin Roosevelt’s Press Conference, http://docs.fdrlibrary.marist.edu/odllpc2.html, consulté le 24 octobre 2023.
46 Cf. NARA, RG 169, Foreign Field Missions: Records of the Foreign Field Mission to China, India, and Burma, 1942-1945.
47 Pour un exemple pionnier, voir Michael Miller, « Sea transport », dans Michael Geyer et Adam Tooze (dir.), The Cambridge History of the Second World War, Cambridge (GB), Cambridge University Press, 2015, vol. 3, pp. 174-195.
48 Sur la réparation, voir Corbin Williamson, « Industrial-Grade Generosity: British Warship Repair and Lend-Lease in 1941 », Diplomatic History, vol. 39, no 4, septembre 2015, p. 745-772. Sur l’après-vie du matériel de guerre, voir Alex Souchen, War Junk: Munitions Disposal and Postwar Reconstruction in Canada, Vancouver, UBC Press, 2020.
49 Richard P. Tucker, « Environmental scars in northeastern India and Burma », dans Simo Laakkonen, Richard P. Tucker et Timo Vuorisalo (dir.), The Long Shadows: A Global Environmental History of the Second World War, Corvallis, Oregon State University Press, 2017, pp. 117-134.
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Référence électronique
Th. W. Bottelier, « Les choses de la guerre : l’aide militaire interalliée dans l’histoire globalisée de la Seconde Guerre mondiale », Histoire Politique [En ligne], 52 | 2024, mis en ligne le 01 juin 2024, consulté le 07 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoirepolitique/17607 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11vu4
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