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Dossier

Des « vaincus » en prison : imaginaire et discours de collaborateurs épurés à la Libération

Defeated in prison. The “épurés” ’s discurse and imaginary at the time of the Liberation
Antoine Limare

Résumés

L’histoire de l’épuration en France s’intéresse de plus en plus aux acteurs et à leur vécu au moment de la Libération. Pourtant, si les statistiques concernant la répression de la collaboration sont bien connues, il est peu fait cas de la manière dont les peines ont été appliquées, en particulier concernant l’enfermement des collaborateurs. L’étude de l’imaginaire des épurés permet d’envisager à la fois ce phénomène particulier de la « prison politique » tout en montrant en quoi l’épuration est un phénomène matriciel pour l’extrême droite française, dans la seconde moitié du XXe siècle.

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Texte intégral

1Le 22 janvier 1945, trois jours après sa condamnation à mort, Robert Brasillach rédige son « Testament d’un condamné » dans sa cellule de la prison de Fresnes :

  • 1 Robert Brasillach, « Le testament d’un condamné », Poèmes de Fresnes, Paris, Minuit et demi, 1945, (...)

« L’an trente-cinq de mes années,
Ainsi que Villon prisonnier,
Comme Cervantès enchaîné,
Condamné comme André Chénier,
Devant l’heure des destinées,
Comme d’autres en d’autres temps,
Sur ces feuilles mal griffonnées,
Je commence mon testament1. »

  • 2 L’imaginaire politique est compris ici comme l’ensemble des représentations, interprétations et réf (...)
  • 3 Par épurés, il faut entendre les personnes touchées par les mesures d’épuration, qu’elles soient d’ (...)
  • 4 Notre propos portera principalement sur les ultras de la collaboration, aussi appelés collaboration (...)

2Les références convoquées dans ce poème par l’ancien rédacteur en chef de Je suis partout contribuent à la formation d’un imaginaire2 singulier dans cette période de la Libération : celui des collaborateurs épurés3. Pour Brasillach, l’épuration est une période révolutionnaire, un temps de persécution politique, dont il est l’une des victimes. Mais à travers sa personne, c’est bien l’ensemble des prisonniers pour faits de collaboration qu’il entend défendre et faire figurer au rang des martyrs4.

  • 5 Alice Kaplan, Intelligence avec l’ennemi : le procès Robert Brasillach, Paris, Gallimard, 2001.
  • 6 Robert Foucqueteau, « Épuration administrative et répression judiciaire », thèse de doctorat de dro (...)
  • 7 Philippe Bourdrel, L’épuration sauvage, Paris, Perrin, 1991.
  • 8 François Rouquet, Fabrice Virgili, Les Françaises, les Français et l’Épuration, Paris, Gallimard, 2 (...)
  • 9 Michel Winock (dir.), Histoire de l’extrême droite en France, Paris, Seuil, 2015.
  • 10 Joseph Algazy, La tentation néo-fasciste en France, Paris, Fayard, 1985 et Jean-Paul Gautier, Les e (...)
  • 11 Corinne Jaladieu, La prison politique sous Vichy. L’exemple des centrales d’Eysses et de Rennes, Pa (...)
  • 12 Robert Belot, Lucien Rebatet, Pierre Antoine Cousteau, Dialogues de "Vaincus", Paris, Berg, 1999. O (...)
  • 13 Laurent Duguet, Incarcérer les collaborateurs dans les camps de la libération, Paris, Vendémiaire, (...)
  • 14 Bénédicte Vergez-Chaignon, Vichy en prison, Paris, Gallimard, 2006. Sur la prison de Fresnes, voir (...)
  • 15 Bénédicte Vergez-Chaignon, « Y-a-t-il une culture politique des épurés ? », dans Rémi Baudouï (dir. (...)

3Si le cas du procès Brasillach et des derniers jours du condamné sont bien connus5, cela demeure une exception dans l’histoire de l’épuration. Cette dernière n’est pas un champ neuf pour l’historiographie. Après l’approche juridique des premiers temps6 puis les débats consacrés au concept d’« épuration sauvage7 », la recherche historique se focalise désormais sur l’épuration comme phénomène de société, à travers notamment le prisme du genre8. Pourtant, il existe peu d’études au sujet des premiers concernés, à savoir les épurés. Les synthèses consacrées à l’extrême droite9 après la Libération se contentent d’évoquer la « traversée du désert » des anciens collaborateurs10. De même, les travaux portant sur les questions d’enfermement dans la France des années noires évoquent surtout la période de Vichy11. Si bien qu’en 1999, dans sa préface à la réédition du Dialogues de Vaincus de Lucien Rebatet et Pierre-Antoine Cousteau, Robert Belot déplore une « réelle méconnaissance » du sujet, qui condamne les historiens à imaginer ce qu’a pu être l’expérience carcérale des épurés12. Depuis, quelques travaux ont ouvert la voie à une meilleure compréhension du phénomène. On dispose ainsi d’éléments sur l’internement à la Libération13 et sur la prison de Fresnes14. Bénédicte Vergez-Chaignon a notamment montré comment « l’expérience commune » de la prison a créé une solidarité des épurés entre eux et permis l’émergence d’un groupe social et politique à part. Ce groupe, à défaut de structures organisationnelles d’ampleur ou de succès électoraux, s’est essentiellement affirmé par la construction d’une « vulgate » relativement homogène, dénonçant à la fois ses conditions d’incarcération et la persécution dont il serait la victime15.

  • 16 Alfred Fabre-Luce, Au nom des silencieux, Paris, Le cheval ailé, 1945. Sur l’itinéraire de Fabre-Lu (...)
  • 17 Marc Bergère, « Les épurés comme vecteurs mémoriels de l’épuration : relais et temporalités d’une m (...)

4En effet, dès la Libération, les anciens collaborateurs rédigent et publient, le plus souvent à compte d’auteurs, des textes justifiant leur engagement, à l’image d’Alfred Fabre-Luce16. Des supports sont également créés pour diffuser cette parole. La presse en est le premier vecteur, avec la création en 1946 de l’hebdomadaire d’André Mutter, Paroles françaises, puis, l’année suivante, des périodiques Aspects de la France et Écrits de Paris. Si certains récits de collaborationnistes paraissent dans ces journaux, les épurés peuvent aussi compter sur le soutien de maisons d’éditions qui se spécialisent dans ce genre de littérature, comme les Éditions de l’Élan (1946) ou Les Sept Couleurs (1948) fondées par Maurice Bardèche. Fonctionnant en vase clos, avec une trame descriptive qui est souvent la même, ces écrits sont d’abord destinés à un public d’anciens collaborateurs hostiles à la nouvelle République. Si la diffusion de ces textes demeure largement confidentielle, l’ensemble contribue à l’élaboration d’un contre-discours sur l’épuration et à l’affirmation d’une mémoire marginale17.

  • 18 François Broche, Jean-François Muracciole, Histoire de la collaboration, Paris, Tallandier, 2017. I (...)
  • 19 Michel Winock (dir.), Histoire de…, op. cit.

5L’enjeu de cet article est d’explorer l’imaginaire de ces collaborateurs incarcérés pour mieux comprendre comment celui-ci a pu nourrir leur contre-récit de l’épuration. Nous avons fait le choix de constituer notre corpus autour de deux critères. D’abord, ont été retenus des écrivains et des journalistes ayant participé à la collaboration intellectuelle18. Ce sont eux qui sont en effet les plus prolixes en matière de récit, à l’image de Lucien Rebatet, Pierre-Antoine Cousteau ou Robert Brasillach. Les militants politiques sont également nombreux dans notre analyse, tels les miliciens Jean Bassompierre et François Brigneau, les Waffen-SS Christian de la Mazière et Léon Gaultier ou les dirigeants du Mouvement social révolutionnaire (MSR) Lucien Combelle et Henri Charbonneau. L’autre dénominateur commun de notre échantillon est l’appartenance commune de ces hommes à la mouvance du nationalisme français. Ils sont en effet pour la plupart des héritiers des formations des années 1930, qu’il s’agisse des ligues (Action française, Jeunesses Patriotes), des partis (Parti populaire français – PPF –, Francisme) ou des organisations clandestines (la Cagoule). À ce titre, ils représentent le versant d’extrême droite de la collaboration19.

  • 20 Bénédicte Vergez-Chaignon, « Existe-t-il… », art. cit.
  • 21 Lucien Rebatet, « On ne fusille pas le dimanche », Le Crapouillot, n° 1, juin 1953.
  • 22 Jean-Hérold Paquis, Des illusions, désillusions !, Genève, Bourgoin, 1948.
  • 23 Jean Bassompierre, Frères ennemis, Paris, Amiot-Dumont, 1948.
  • 24 Jean-Pierre Abel [René Château], L’âge de Caïn. Premier témoignage sur les dessous de la Libération (...)
  • 25 Claude Jamet, Fifi roi, Paris, L’Élan, 1947.
  • 26 Lucien Combelle, Prisons de l’espérance, Paris, ETL, 1952.
  • 27 Henri Charbonneau, Le roman noir de la droite française, Paris, Desroches, 1969.
  • 28 Christian de la Mazière, Le rêveur casqué, Paris, Robert Laffont, 1972.
  • 29 François Brigneau, Mon après-guerre, Paris, Du Clan, 1966.
  • 30 Lucien Rebatet, Lettres de prisons adressées à Roland Cailleux (1945-1952), Paris, Le dilettante, 1 (...)
  • 31 Paul Sérant, Les inciviques, Paris, Plon, 1955.
  • 32 Henri Béraud, Journal de prison suivi de Ombres en Centrale, Paris, Déterna, 2022.
  • 33 Ralph Soupault, Fresnes. Témoignage d’un condamné, Paris, Rio, 1948. Les croquis de Soupault sont v (...)

6Les sources retenues proviennent de témoignages rédigés durant l’incarcération comme au-delà, dans la mesure où il existe une remarquable continuité de l’argumentation et des thèmes abordés dans ces récits20. De rares textes ont fait l’objet de publications dans la presse de l’époque, comme le dialogue « On ne fusille pas le dimanche », publié dans le Crapouillot en juin 195321. D’autres sont parus à titre posthume, tels les mémoires de Jean-Hérold Paquis22 ou de Jean Bassompierre23. Toutefois, l’essentiel de ces documents ont été rédigés après la libération de leurs auteurs. Certains sont publiés assez rapidement, à l’image des textes de Jean-Pierre Abel24, Claude Jamet25 ou Lucien Combelle26. La plupart, néanmoins, sont publiés de manière tardive, tels les souvenirs d’Henri Charbonneau27, Christian de la Mazière28 ou François Brigneau29. Pour pénétrer l’imaginaire des épurés, on peut aussi compter sur leur correspondance, comme les lettres de Rebatet30, voire sur la fiction, à l’image du roman de Paul Sérant, Les Inciviques31 ou celui d’Henri Béraud, Ombres en Centrale32. Enfin, on peut s’appuyer de manière épisodique sur les supports visuels. Ralph Soupault, dans ses souvenirs de Fresnes, a donné de nombreux croquis témoignant du climat de la prison33.

  • 34 Marc Bergère, « Les épurés comme vecteurs mémoriels de l’épuration : relais et temporalités d’une m (...)
  • 35 Robert Belot, « À la recherche de l’imaginaire des épurés », dans Robert Belot, Lucien Rebatet, Pie (...)

7L’unité de ces textes provient de leur commun objectif : proposer une contre-histoire de l’épuration à partir de récits des « vaincus »34. Ces témoignages d’épurés sont donc des sources à manier avec de grandes précautions. Écrits par des individus qui se considèrent comme vaincus mais non coupables, dans une perspective polémique, voire militante, ces textes ne sauraient être considérés comme des témoignages rigoureusement fidèles à la réalité de l’expérience carcérale durant la Libération. Les nombreuses descriptions de mauvais traitements, d’humiliations publiques ou de privations font partie d’une stratégie de victimisation propre à cette littérature. Ils sont néanmoins révélateurs d’un imaginaire politique riche et vivant. En effet, à rebours de ce qu’écrit Robert Belot sur des épurés condamnés à « imaginer la nouvelle société qui se met en place autour d’eux35 », les épurés, au contraire, cherchent constamment à se renseigner sur le contexte social et politique de l’époque. Ils agissent certes d’abord dans leur intérêt judiciaire, en suivant de près l’instruction de leur dossier. Mais au-delà des enjeux purement judiciaires, ces collaborateurs se considèrent comme des militants d’une cause politique à laquelle la Libération n’a pas mis un terme. Pour eux, l’enjeu est bien de prolonger leur engagement, avec une forme nouvelle et sous la contrainte, mais dans une véritable perspective politique.

8On se propose donc ici de revenir sur l’imaginaire politique des épurés dans les prisons de la Libération, afin de voir comment celui-ci est mis au service d’une contre-histoire de l’épuration où les collaborateurs se présentent comme vaincus mais non coupables. Il faudra d’abord évoquer les conditions de détention des épurés avant de montrer en quoi ceux-ci perçoivent la justice de la Libération comme étant la scène d’un règlement de compte politique et moral. Enfin, on se penchera sur la manière dont ils envisagent leur détention et les leçons politiques qu’ils en tirent.

Les conditions matérielles de l’incarcération : premières sources de contestation

  • 36 Marcel Baudot, « L’épuration : bilan chiffré », Bulletin de l’IHTP, 1986, n° 25, pp. 37-53 et Henry (...)
  • 37 Gilles Morin, « L’épuration à Paris. Justiciables et jugements de la Cour de justice de la Seine à (...)
  • 38 François Rouquet, Fabrice Virgili, Les Françaises…, op. cit., p. 168.
  • 39 Henri Rousso, « L’épuration en France, une histoire inachevée », Vingtième Siècle. Revue d’histoire(...)
  • 40 François Broche, Jean-François Muracciole, Histoire…, op. cit., p. 265.
  • 41 Ce qui confère à la France l’un des taux d’emprisonnement les plus faibles en Europe. Voir Henri Ro (...)
  • 42 Si Clairvaux est connue pour être une prison particulièrement rude, le camp de la Vierge à Épinal e (...)
  • 43 Le « régime politique » ou « détention politique » est le fruit d’une longue histoire de la pratiqu (...)

9Les enquêtes régionales du Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale (CHSGM) puis de l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP) fournissent une première base pour une étude quantitative du phénomène d’épuration36. Toutefois, considérer uniquement la peine prononcée ne permet pas de saisir pleinement le phénomène. À l’image de ce qu’a montré récemment Gilles Morin dans le cas de la cour de justice de la Seine, la question de l’effectivité des peines est essentielle pour comprendre les enjeux de l’épuration de manière durable37. Par ailleurs, tous les collaborateurs n’ont pas connu l’enfermement. En décembre 1944, au pic des internements, le nombre d’internés avoisine les cinquante-mille à l’échelle du pays, dont une moitié seulement sont des collaborateurs politiques, hommes et femmes38. Par ailleurs, en additionnant les condamnés à mort incarcérés, les condamnés aux travaux forcés, à la réclusion et à la prison, le total des collaborateurs emprisonnés à la suite d’une décision de cour de justice approcherait des quarante-mille personnes39. Si l’on juge fiable le chiffre fréquemment retenu de cent-mille collaborateurs40, on peut donc globalement estimer qu’une petite moitié seulement a connu l’épreuve carcérale à la Libération41. Enfin, compte tenu du taux de remplissage des prisons et de la sévérité variable des administrations42, tous ces individus n’ont pas vécu la même expérience d’emprisonnement. Mais il est un élément commun à ces prisonniers qui a fortement nourri leur imaginaire : tous sont incarcérés sous le régime de droit commun et non à titre de prisonniers politiques43.

  • 44 Georges Bernanos, par exemple, raconte comment anarchistes et Camelots du roi fraternisent en priso (...)

10Sous la Troisième République, le régime de détention politique est assez facilement accordé aux opposants. Ce régime politique est doublement important aux yeux des prisonniers. Il fournit d’abord un certain nombre d’avantages matériels non négligeables au vu des conditions de détention au milieu du XXe siècle : libre communication entre les détenus, plus grande facilité pour le courrier, les journaux ou les visites. Mais surtout, le régime politique apporte aux prisonniers – qui sont dans une relation du faible au fort avec l’État républicain – un avantage symbolique : la reconnaissance publique de leur combat. La plupart d’entre eux sont souvent des militants politiques issus de groupements minoritaires ou marginaux dans la société comme les anarchistes ou les royalistes44. De ce point de vue, l’incarcération au régime politique est perçue par eux comme une prise au sérieux par l’État républicain de leur caractère d’opposant, une légitimation de leur combat et évite à ces militants d’être assimilés à des criminels.

  • 45 On entend par collaboration politique les individus ayant milité dans l’une des organisations antin (...)
  • 46 Bénédicte Vergez-Chaignon, Vichy…, op. cit., p. 126.

11Dans le contexte de l’épuration, les collaborateurs politiques45 sont principalement inculpés aux titres des articles 75 à 83 du Code pénal qui punissent la trahison, l’espionnage ou l’atteinte à la sûreté de l’État. Or, depuis 1938 et 1939, les réformes du Code pénal ont fait passer ces crimes dans le régime du droit commun46. Ainsi, les épurés – prévenus et condamnés – sont privés du régime politique. Les tentatives des avocats d’obtenir des aménagements échouent. La surpopulation carcérale est présentée comme incompatible avec les largesses du régime politique. De plus, il est inconcevable de laisser tant de libertés à des individus dont on peut redouter des tentatives d’évasion ou des entraves à l’instruction. Toutefois, la surcharge carcérale fait qu’il est quasiment impossible d’appliquer la rigueur prévue par le règlement des prisons. Henri Charbonneau rapporte à propos de Fresnes :

  • 47 Henri Charbonneau, Le roman…, op. cit., p. 216.

« Le régime intérieur, assez libéral à notre époque, n’était à vrai dire nullement la conséquence d’un esprit de mansuétude de l’État gaulliste ! Au contraire, celui-ci se refusait à nous reconnaître, dans le principe, un statut de prisonniers politiques et s’obstinait à nous traiter en détenus de droit commun. Si notre type de vie était à peu près passable, nous devions cet avantage à l’invraisemblable pagaille qui régnait alors en France et dans la machine pénitentiaire comme ailleurs. En somme on pouvait reprendre à l’usage du système gaulliste issu de la Résistance le fameux jugement porté autrefois sur la bureaucratie austro-hongroise : la rigueur tempérée par le désordre47. »

  • 48 François Rouquet, Fabrice Virgili, Les Françaises…, op. cit., p. 168.
  • 49 Lucien Rebatet, Pierre-Antoine Cousteau, Dialogue…, op. cit. En particulier le dialogue n° 9, intit (...)

12Ainsi, les épurés sont considérés, d’un strict point de vue juridique, comme des criminels de droit commun. La première conséquence est, au point de vue matériel, la cohabitation des épurés avec des délinquants, des voleurs et des assassins48. Cette cohabitation forcée avec les détenus de droit commun est systématiquement évoquée dans les mémoires des épurés comme une épreuve. Plusieurs d’entre eux font état de rackets, d’insultes, de violences, y compris sexuelles49. Christian de la Mazière, raconte :

  • 50 Christian de la Mazière, Le rêveur…, op. cit., p. 203.

« Les droits communs faisaient la loi et nous leur étions offerts. Avec nous ils tombaient sur une catégorie d’individus fragiles, peu préparés à leur jungle. Nous étions leurs inférieurs, nous fûmes très vite leurs victimes50. »

  • 51 Lucien Combelle, Liberté à huit clos, Paris, La butte aux cailles, 1983, pp. 12-13.

13Les détenus de droit commun visent les collaborateurs, dont la plupart font alors leur premier passage en prison51, ce qui en fait des cibles faciles :

  • 52 Christian de la Mazière, Le rêveur…, op. cit., p. 207.

« Heureusement que je faisais un mètre quatre-vingts, que j’étais solidement bâti et que ma forme de Janowitz ne s’était pas totalement évanouie ! Sinon ça aurait été l’enfer. Dès qu’ils ont su, en effet, que j’étais un politique, ça a été un flot d’injures et de menaces […] Malheur au faible qui se laisse impressionner par leur pedigree ou, simplement, terroriser par ceux qui ne sont rien d’autre que des brutes épaisses. Ils vivent sur son dos et, en moins d’une nuit, peuvent le transformer en giton – tout cela bien sûr avec la neutralité bienveillante des gaffes52. »

  • 53 « Il y a un an, j’étais blessé ! Quelle chute, de l’éminente dignité du combat à l’infamie de la pr (...)
  • 54 De fait, la presse collaborationniste parisienne était largement stipendiée par les nazis.

14À cette proximité imposée s’ajoute une autre difficulté, tout aussi rude, mais d’ordre symbolique. Leur caractère de détenus de droit commun prive les collaborateurs de ce qu’ils estiment être la dignité de militants politiques53, activité jugée plus respectable que la délinquance. Ils sont au contraire accusés – parfois à juste titre – d’avoir trahi pour raisons financières54. Ils sont alors amalgamés aux truands et aux collaborateurs économiques, qui se sont enrichis du commerce avec l’Occupant, sous le qualificatif particulièrement déshonorant de « vendus ». Lucien Rebatet s’amuse du terme qui revient alors si souvent à son endroit :

  • 55 Lucien Rebatet, Pierre-Antoine Cousteau, Dialogue…, op. cit., pp. 72-73.

« Naturellement, j’ai toujours été vendu. J’ai été vendu dès 1929 : à l’A.F., je touchais en sous-main de l’argent des maçons. J’ai touché aussi d’Abetz, de l’Abwehr, de l’Organisation Todt, j’ai touché des chèques énormes que j’ai dépensés en orgies chez Tonton. Je n’ai jamais écrit une ligne sans palper. Mais j’ai palpé également des Anglais, parce qu’il est évident que mes outrances de vocabulaire ne pouvaient que ridiculiser la collaboration55. »

  • 56 Ralph Soupault (1904-1962), journaliste et caricaturiste. Initialement proche de la gauche, il se r (...)
  • 57 De fait, les légionnaires de LVF ont combattu sur le Front de l’Est puis en Poméranie dans des cond (...)

15Ralph Soupault56 ironise également sur l’arrivée à Fresnes d’anciens légionnaires de la Légion des volontaires français (LVF) particulièrement diminués physiquement57 :

  • 58 Ralph Soupault, Fresnes…, op. cit., p. 30.

« Contraste étonnant entre ces "vendus" aux flancs creux et les honnêtes "économiques" […] ayant arrondi leur bourse et leur panse en vendant à l’Occupant quelques mètres cubes du mur de l’Atlantique […]. Même en prison, on ne mélange pas, bien sûr, les torchons et les serviettes, les cloches et les merles, les vendus et les vendeurs58… »

  • 59 Style assez commun, il est vrai, chez l’auteur des Décombres. De manière plus large, Thomas Bouchet (...)

16Au-delà de l’ironie des propos de Soupault et de Rebatet, le style employé est frappant par le recours à l’exagération et à l’outrance59. Le recours à l’hyperbole, comme à la victimisation, fait partie de la stratégie discursive des épurés.

  • 60 Lucien Rebatet, Pierre-Antoine Cousteau, Dialogue…, op. cit., p. 267.

17Pour les collaborateurs, l’absence de distinction entre les « vrais » vendus et les militants sincères est le reflet des « mensonges60 » de la République et de la disparition des hiérarchies de valeur. Lors d’un transfert, Henri Charbonneau est interpellé dans la rue :

« C’est un politique ? demande une passante. Un droit commun, répondent les gardiens par prudence. »

18Devant l’air satisfait de la femme, l’ex-milicien enrage :

  • 61 Henri Charbonneau, Le roman…, op. cit., p. 208.

« Peut-être ai-je donc fait le coup du lapin à une rentière pour lui prendre ses économies, mais j’ai le droit à plus de considération de la part de ces gens que si j’avais combattu quatre ans sur le front de l’Est ! Il y a des taloches qui se perdent61. »

19Face à cette assimilation à des criminels, les épurés tiennent à mettre en avant une image de détenus politiques. À défaut d’obtenir le régime de détention souhaité, ils utilisent leurs chefs d’inculpation :

  • 62 Lucien Rebatet, Pierre-Antoine Cousteau, Dialogue…, op. cit., p. 70.

« Un greffier du tribunal m’a donné copie de mon mandat d’arrêt. On m’a notifié les chefs d’accusation : atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l’état, intelligence avec l’ennemi. "Intelligence avec l’ennemi", cette expression, étrangement, me réconfortait. Elle claquait comme un label de qualité : je n’étais plus un prisonnier ordinaire et je comprenais tout à coup la haine du droit commun pour le politique62. »

  • 63 Christian de la Mazière (1922-2006), journaliste, travaille d’abord au Pays Libre sous l’Occupation (...)

20Dans cette lutte pour être reconnus comme des militants politiques, le lieu d’incarcération joue également un rôle important. En sortant de la Santé, repère des droits communs, pour rejoindre Fresnes, maison des épurés, Christian de la Mazière63 exulte :

  • 64 Christian de la Mazière, Le rêveur…, op. cit., p. 209.

« […] c’était la prison politique où règne une certaine forme de civilisation ; pour moi, qui sortait d’un univers de médiocrité et de haine, c’était un vrai soulagement64. »

21Henri Charbonneau explique également :

  • 65 Henri Charbonneau, Le roman…, op. cit., p. 215. Il inscrit le cas des épurés dans l’histoire des pr (...)

« À Fresnes, j’entrais dans une vaste prison politique qui était à la fois la Bastille et la Conciergerie du Régime. Pour moi, c’était presque une promotion. En juin 1945, avoir son domicile légal à Fresnes, c’est un peu faire partie du Tout-Paris et participer en quelque sorte à la grande saison65. »

22À bien des égards donc, les conditions matérielles d’incarcération des épurés influent sur leur discours. Mais c’est leur assimilation à des criminels qui nourrit le plus activement leur réflexion sur la justice de la Libération.

La justice de la Libération : « l’hypocrisie » républicaine en procès

23C’est peu dire que les épurés regardent avec hostilité la justice de la Libération sous le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) comme sous la IVe République. Leur opinion combine, de manière assez contradictoire, le reproche d’une grande sévérité avec la médiocrité et la lâcheté.

24Dans un premier temps, c’est l’appareil judiciaire qui est dénoncé. Les juges sont très sévèrement attaqués pour leur médiocrité et leur partialité :

  • 66 Lucien Rebatet, Pierre-Antoine Cousteau, Dialogue…, op. cit., pp. 71-72.

« Le métier de juge est le plus repoussant des métiers, beaucoup plus repoussant que celui de flic ou de geôlier. La réputation de servilité de la magistrature française est bien établie depuis de longs siècles […] Les juges de l’épuration ont réservé leur indulgence aux seuls personnages tarés ou, du moins, à ceux dont les défaillances de caractère étaient évidentes66. »

25En ce qui concerne les avocats, ce que Rebatet pense n’est guère mieux :

  • 67 Ibid., pp. 73-74.

« Je me demande s’il ne faudrait pas placer neuf avocats sur dix encore au-dessous des juges. Ces auxiliaires de la justice ! Ces juges camouflés !... Ah ! bah ! à quoi bon s’occuper de tous ces merdeux ? Le mépris des robins est vieux comme le monde […] les avocats sont mis sur le même pied que les hommes de lettres, quand il n’y en a pas vingt dans tout le barreau de Paris qui seraient capables faire les chiens écrasés à Libé-Soir. Des sous-cabots dont les huissiers de village ne voudraient pas comme copistes67. »

  • 68 Lucien Rebatet, Pierre-Antoine Cousteau, Dialogue…, op. cit., pp. 68-69.
  • 69 Ibid., p. 69 et Henri Charbonneau, Le roman…, op. cit., p. 308.

26C’est surtout « l’hypocrisie » de la justice républicaine qui est dénoncée68. Les épurés dénoncent la gauche et les démocrates populaires qui recourent à la peine de mort, bien qu’abolitionnistes69. Ils s’en prennent aussi aux magistrats qui condamnent au nom de la République, après avoir servi sous l’Occupation :

  • 70 Robert Brasillach, Lettre à un soldat de la classe 60, Paris, Les Sept Couleurs, 1946.

« Je pense donc comparaître dans peu de jours devant des juges dont il me faut avouer que la qualité morale ne me frappe pas. Les jurés sont choisis parmi des partisans, ce qui n’a jamais été une forme de légalité bien régulière, de pauvres bougres convaincus que j’ai fait torturer les leurs, massacrer leurs frères, brûler leurs maisons. Je les méprise beaucoup moins que l’Avocat Général, le Président, magistrats qui ont prêté serment, comme fonctionnaires, au gouvernement du Maréchal Pétain, qui étaient prêts à requérir contre les communistes s’ils en avaient reçu l’ordre […]. Toutes ces lâchetés et toutes ces incompréhensions réunies, cela fait la Société, la Société avec un grand S, celle qu’injurient les anarchistes au seuil de l’échafaud70. »

27A contrario, certains dénoncent, dans une perspective jusqu’au-boutiste, la faiblesse de la IVRépublique qui les a épargnés :

  • 71 Lucien Rebatet, Pierre-Antoine Cousteau, Dialogue…, op. cit., p. 67.

« Je gamberge. Je me demande, vois-tu, ce que nous avons bien pu faire pour ne pas être fusillés71. »

28Outre « l’hypocrisie », évoquée plus haut, l’hypothèse retenue est celle de la faiblesse morale :

  • 72 Ibid., p. 106.

« Je te répète que ces personnages ne m’inspirent de l’horreur que dans la mesure où ils n’ont pas le courage intellectuel de leur férocité72. »

29Rebatet et Cousteau expliquent :

  • 73 Lucien Rebatet, Pierre-Antoine Cousteau, Dialogue…, op. cit., p. 106.

« Ils se sont dégonflés pour flinguer le vieux Pétain, qui était tout de même leur ennemi, et ils ont buté le républicain Laval qui était, quoiqu’ils prétendent, un des leurs. Le massacre des petites gens relève de la même incohérence. Pendant quelques semaines, les tiraillons ont égorgé au petit bonheur des dizaines de milliers d’ennemis présumés. Ce pouvait être l’amorce d’un nettoyage sérieux. Il y avait une possibilité d’en finir définitivement avec la réaction, de faire descendre au tombeau tout ce qui n’avait pas la tripe républicaine. Mais brusquement l’opération a été abandonnée et on lui a substitué l’absurde loterie des cours de justice. […] Quand faut-il tuer ? Quand faut-il s’arrêter de tuer ? C’est à cette épreuve que l’on reconnaît les grands politiques. Les sous-hommes de la Quatrième ne savent ni tuer ni s’arrêter de tuer. On se demande d’ailleurs ce qu’ils savent faire […]. Tout ce que ces gens entreprennent est raté d’avance. Ils ont raté l’épuration et ils rateront l’amnistie73. »

  • 74 Abbé Desgranges, Les crimes masqués du résistancialisme, Paris, L’élan, 1948.

30Au-delà du discours convenu sur les prétendus « crimes » de la Résistance74, cet extrait illustre bien comment, pour Rebatet et Cousteau, l’épuration prolonge les luttes politiques des années 1930. Les deux intellectuels nationalistes pointent la contradiction supposée entre le parcours de Laval et son exécution pour dénoncer la faiblesse morale des républicains.

31Dans l’ensemble, les épurés dénoncent une répression brutale des opposants, dont les communistes sont censés être les premiers instigateurs :

  • 75 Henri Charbonneau, Le roman…, op. cit., p. 354. La guerre froide débutant, ils revendiquent d’avoir (...)

« Les communistes, nos ennemis acharnés de l’heure et de toujours, ne se livrent à aucune vengeance : ils obéissent seulement à leur réflexe stalinien de liquider physiquement l’adversaire75. »

  • 76 Lucien Rebatet, Pierre-Antoine Cousteau, Dialogue…, op. cit., pp. 102-103.
  • 77 Cette comparaison est dans l’air du temps puisqu’on évoque alors une seconde Révolution française. (...)
  • 78 Schlomo Sand, « Les représentations de la Révolution dans l’imaginaire historique du fascisme franç (...)
  • 79 Alya Aglan, La France à l’envers, Paris, Gallimard, 2020 et Olivier Wieviorka, « Guerre civile à la (...)

32Outre la rhétorique anticommuniste qui prolonge les diatribes des années 1930 et de l’Occupation, les épurés ont largement recours aux analogies historiques pour décrire leur situation. On évoque ainsi « l’épuration » à la fin de l’Empire ou la répression de la Commune76. L’analogie la plus fréquente est celle de la Révolution française77. Si les collaborateurs ont fréquemment recours à cette analogie, ce n’est pas tant pour revendiquer l’héritage politique de 1789, que pour légitimer la dimension révolutionnaire de l’époque comme de leur action78. Cette comparaison doit aussi nourrir l’image d’une guerre franco-française. L’idée d’une guerre civile à la Libération79 s’exprime dans l’ouvrage de Bassompierre, Frères ennemis, mais surtout chez Brasillach :

  • 80 Robert Brasillach, Lettre à…, op. cit.

« Dans cette prison, j’ai lu les pages politiques de Chénier, où le vrai visage de la Révolution de 1793 est si magnifiquement apparent, loin des déformations de la légende. Peut-être plus tard les regarderas-tu à ton tour, je te le demande, comme une clé prophétique des événements de 1944. Tu pourras y méditer sur les dernières lignes publiées par Chénier dans un journal encore presque libre, où il déplorait "l’avilissement d’une grande nation réduite par ses fautes à choisir entre Coblentz et les Jacobins". Nous avons aussi Coblentz, de nos jours, et nous avons nos Jacobins. Il ne faut que deux noms à changer pour rendre la phrase actuelle, mais l’avilissement reste valable dans les deux époques80. »

  • 81 Sur les usages et mésusages du concept de « Terreur », voir Jean-Clément Martin, Les échos de la Te (...)
  • 82 Christian de la Mazière, Le rêveur…, op. cit., p. 255 et Henri Charbonneau, Le roman…, op. cit., p. (...)
  • 83 Henri Charbonneau, Le roman…, op. cit., p. 247.
  • 84 Ibid., p. 339.
  • 85 Henri Béraud, Quinze jours avant la mort, Paris, Plon, 1951, p. 15.

33La comparaison avec la Révolution sert enfin à développer l’idée d’une nouvelle Terreur81. Les cours de justice sont comparées aux Tribunaux révolutionnaires avec leurs « tricoteuses »82. On compare les juges à « Fouquier-Tinville »83 et le ministre de la Justice à « Robespierre »84. Dans cette analogie, les collaborateurs jouent le rôle des victimes de la Terreur. Henri Béraud, au moment de son arrestation, se compare à Danton85. Robert Brasillach rend lui hommage à André Chénier :

  • 86 Robert Brasillach, Poèmes de Fresnes, Paris, Souvenirs, 1947.

« Les heures vives ou obscures,
Un siècle et demi a passé.
La saison est encore moins sûre,
Voici le temps d’André Chénier86. »

  • 87 Julian Jackson, Le procès Pétain, Paris, Seuil, 2024.

34Le parallèle atteint son apogée par le rapprochement du procès Pétain87 avec celui de Louis XVI :

  • 88 Henri Charbonneau, Le roman…, op. cit., p. 252.

« Ce procès de haute trahison, le nôtre à tous, nous semblait encore plus odieux, parce qu’intenté à un Chef d’État ‑ c’était la seconde fois dans notre histoire en un siècle et demi ! […] En traînant devant un tribunal de rencontre un vieillard glorieux, le pouvoir d’alors voulait humilier l’homme et les principes, comme en ce matin de janvier 1793, la Convention, en faisant monter Louis Capet poings liés et la chemise échancrée sur l’échafaud de la place de la Révolution, entendait rompre "le charme séculaire de la vieille monarchie" […]. Cette fois, il m’était donné de suivre par la presse et des témoignages directs un second procès de Louis XVI dont je ressentais toute la honte pour mon pays88. »

  • 89 Lucien Rebatet, Pierre-Antoine Cousteau, Dialogue…, op. cit., p. 65.
  • 90 Ibid., p. 70.

35Au-delà de ces attaques sur les décisions de justice et la « sévérité »89 de la République, les épurés entendent contester sur le fond la légitimité de leur jugement. Ils dénoncent ainsi le « mythe juridique » de l’épuration90. Pour les collaborateurs, l’épuration a favorisé les truands et les corrompus au détriment des « adversaires honnêtes » que sont les collaborateurs politiques :

  • 91 Ibid., p. 73.

« Mon honnêteté me rassurait. Quels corniauds nous étions. […] Plaider l’honnêteté ! Autant me passer tout de suite une boulette de cyanure. Avec ces fumiers-là, c’est du tout cuit. Ne vois-tu pas que pour eux, le seul ennemi, c’est l’homme propre91 ? »

36La prétention à la morale des résistants et des républicains est constamment moquée par les épurés car, derrière cette mise en scène de la justice, il y a simplement la loi du plus fort :

  • 92 Ibid., p. 68.

« Il n’y a pas de justice. Il n’y a jamais de justice. Il n’y en a jamais eu. Il n’y en aura jamais. Le Droit et la Justice sont des constructions métaphysiques. Pour peu qu’on décortique un peu le système, on retrouve toujours la vieille loi de la jungle, c’est-à dire le droit du plus fort. Ça, c’est solide. La société organisée élimine ses ennemis92. »

37Robert Brasillach ajoute :

  • 93 Robert Brasillach, Lettre à…, op. cit.

« La Justice, c’est un beau mot, la Justice, c’est six mille ans d’erreurs judiciaires. C’est la Justice après tout qui a condamné Socrate et le Christ, et André Chénier, et on se surprend à des assimilations bien peu modestes quand on y songe : mais il faut avouer qu’il n’y a aucune institution humaine à avoir accumulé d’aussi imposantes erreurs, car la Guerre, elle, au moins, est inconsciente dans ses meurtres. Cela ne rend pas peu fier de s’approcher de cette Justice qui soudain va nous consacrer du seul sacrement qu’elle puisse accorder, celui de l’Imbécillité93. »

38Enfermés par une justice dont ils dénoncent les supposées férocité et médiocrité, les épurés développent néanmoins une réflexion politique sur le nouveau contexte du pays ainsi qu’une analyse historique et morale de leur échec.

Les collaborateurs : des vaincus mais non des coupables

39L’incarcération des épurés après leur condamnation conduit ceux-ci à réfléchir au sens de leur défaite. Dans un premier temps, les épurés inscrivent leur lutte politique dans l’histoire de la guerre. Ils se comparent aux Résistants en se présentant comme des militants politiques désintéressés. Toutefois, le parallèle n’est utilisé que pour mieux opérer un renversement complet de la perspective. À la répression des Résistants par l’Axe aurait succédé l’épuration des collaborateurs : ceux-ci deviennent en quelque sorte les nouveaux résistants.

  • 94 Ce renversement des rôles est fréquent dans les récits de collaborateur. Cf. François Rouquet, « Al (...)

40La IVRépublique est ainsi présentée comme une dictature qui reprend à son compte les méthodes de Vichy et du fascisme94. Les épurés dénoncent un acharnement à leur égard et un climat de haine qui prolonge la guerre plutôt que d’y mettre un terme :

  • 95 Henri Charbonneau, Le roman…, op. cit., p. 202.

« On s’acharnait à nous déshonorer et nous n’avions aucune possibilité de nous disculper, de nous défendre. Comment pourrais-je supporter cette nouvelle France, dont les nouvelles fondations reposaient souvent sur le faux héroïsme, l’imposture, le double-jeu, la délation : mieux valait-il peut-être disparaître avec un dernier coup de panache [sic]95. »

  • 96 Ibid., p. 425. Son récit, paru en 1969, s’inscrit dans une période qui voit l’affirmation de la mém (...)

41Dans ce jeu de miroir déformant, les épurés expliquent – sans que cela corresponde à la réalité – que leurs conditions de détention sont les mêmes, voire pires, que celles des résistants. Les maisons centrales sont assimilées aux camps nazis. Les prisonniers se surnomment fréquemment « déportés ». Henri Charbonneau dénonce le « camp de la mort » où il est interné96 et écrit, à propos du mitard de Clairvaux :

  • 97 Ibid., p. 358.

« Ceci ne se passait ni à Dachau, ni à Buchenwald, mais à Clairvaux, à dix kilomètres de Colombey-les-Deux-Églises97. »

  • 98 Christian de la Mazière, Le rêveur…, op. cit., p. 269.
  • 99 Ibid., p. 287.
  • 100 Ibid., p. 289.
  • 101 Cité par Bénédicte Vergez-Chaignon dans Vichy…, op. cit., p. 304.

42Le personnel des prisons est également assimilé aux Allemands98. Les gardiens sont appelés « kapos »99 et le directeur est surnommé Sauckel100. Dans ce renversement complet de perspective, le sommet du parallèle est atteint par l’abbé Desgranges qui explique que l’indignité nationale, peine emblématique de l’épuration, est « la nouvelle étoile jaune101 ».

  • 102 Je Suis Partout est emblématique à cet égard. Voir Jean-Marie Dioudonnat, Je suis Partout (1930-194 (...)
  • 103 Paul Sérant, Les vaincus de la Libération, Paris, Robert Laffont, 1964.

43Outre ces discours à l’ambition clairement provocatrice, les épurés développent une réflexion plus profonde et historique sur la portée de leur défaite. Pour la Résistance et la IVRépublique, la victoire militaire revêt une signification politique et philosophique : la supériorité morale de la démocratie et de la République sur le fascisme. Cette lecture providentialiste a été, durant le conflit, celle des collaborationnistes. Du temps où les forces de l’Axe dominaient, les collaborationnistes n’hésitent pas à faire de la supériorité militaire le reflet d’une supériorité philosophique, l’issue de la guerre devant faire officie d’ordalie102. Or, avec le retournement de la fortune des armes, cette lecture disparaît progressivement pour laisser place à une pure lecture matérielle des combats. Ainsi, la défaite finale des collaborateurs n’inclut qu’une dimension empirique et n’entraîne pas pour autant une condamnation philosophique ou morale de leur idéologie. Le jugement de l’histoire disparaît, faisant d’eux des vaincus mais non des coupables103.

44Dès lors, le pire pour les épurés est qu’en plus d’avoir gagné militairement, la République veut avoir raison. Les collaborateurs les plus acharnés condamnent ceux qui se rallient à ce jugement et qui acceptent cette lecture de la défaite. Dans un dialogue intitulé « La raison du plus fort », Lucien Rebatet et Pierre Antoine Cousteau expliquent :

  • 104 Lucien Rebatet, Pierre-Antoine Cousteau, Dialogue…, op. cit., p. 70.

« La pire engeance en prison, ce sont les innocents. Car de deux choses l’une : ou bien ils sont vraiment innocents, et alors je me désintéresse de leur sort puisque ce ne sont pas des copains à nous, ou bien ils sont faussement innocents et c’est bien pire. Car ils sont entrés ainsi dans le jeu de l’ennemi, ils ont accepté l’échelle des valeurs de l’ennemi, et en se proclamant innocents, ils admettent implicitement que les autres condamnations sont légitimes. La seule réaction honorable est de répudier ce mythe dégradant de l’innocence et de la culpabilité, et de n’accepter que des vainqueurs et des vaincus. Tout le reste est fariboles et fumisteries104. »

  • 105 Je suis Partout est un hebdomadaire fondé par Arthème Fayard en 1930. Initialement d’obédience maur (...)

45Les deux journalistes de Je suis partout105 ajoutent :

  • 106 Ibid., p. 71.

« Il ne faut point avoir la prétention dérisoire d’infliger des "châtiments". Une société bien organisée est obligée d’éliminer les individus nuisibles et les éléments asociaux. Mais elle devient burlesque lorsqu’elle transpose en années de prison la notion mythique du bien et du mal106. »

46Cette clé de lecture ne leur est pas propre. On la retrouve chez Christian de la Mazière :

  • 107 Christian de la Mazière, Le rêveur…, op. cit., p. 199.

« Tout cela, me semblait-il, se situait en deçà de la morale. Il n’y avait pas de coupable, pas d’innocent, rien que l’univers impitoyable de la guerre que domine la loi du vainqueur107. »

47On la retrouve aussi chez François Brigneau :

  • 108 François Brigneau, Mon après-guerre, op. cit., p. 11.

« Nous sommes les vaincus de la Libération, et il n’y a pas d’excuses pour les vaincus108. »

48Cette vision des choses imprègne si fortement l’imaginaire de l’extrême droite à la Libération qu’elle se retrouve dans les œuvres de fictions. Dans son roman paru en 1955, Les inciviques, qui raconte les déboires de jeunes miliciens à la Libération, Paul Sérant fait dire à l’un de ses personnages :

  • 109 Paul Sérant, Les inciviques, op. cit., p. 83.

« Ils ont raison et nous avons tort. Je ne sursaute pas, je ne songe pas à passer chez eux moi. Non, ça jamais ! J’aimerais mieux me faire crever la peau. Je dis seulement ils ont raison parce qu’ils ont gagné et nous avons tort parce que nous avons perdu109. »

  • 110 C’est le titre des souvenirs d’un ancien anonyme de la LVF. Vae Victis, Paris, La jeune Parque, 194 (...)

49Leur vision se résume en quelque sorte à la fameuse formule « Vae Victis »110 (« malheur au vaincu »).

50Ce refus d’une victoire des valeurs démocratiques sur le fascisme va souvent de pair avec une revendication, voire une fierté de l’engagement militant tout au long de la procédure d’épuration. Henri Charbonneau dit du moment de son arrestation :

  • 111 Henri Charbonneau, Le roman…, op. cit., p. 202.

« Fort du sentiment d’avoir toujours agi par idéal et avec droiture, je ressentais une relative paix de l’âme, à quoi s’ajoutait cette véritable consolation de ne pas survivre à un immense désastre moral111. »

51À la clôture de son procès, Christian de la Mazière déclare à l’adresse du président du tribunal :

  • 112 Christian de la Mazière, Le rêveur…, op. cit., p. 265.

« J’ai cru sincèrement pouvoir défendre certaines idées. Ce que j’ai fait, je l’ai fait en toute honnêteté. C’est à vous de juger maintenant avec sérénité, mais je voulais vous dire, puisque les débat vous ont prouvé que je n’étais pas un criminel, que je n’avais aucun reniement à faire112. »

  • 113 François Brigneau, Mon après-guerre, op. cit., p. 12.

52Cette attitude bravache, sans reniement aucun, se retrouve même à la sortie de prison, avec François Brigneau qui s’adresse à « ceux qui demeurent, emmurés vifs, dans le colombarium pour sursitaires : Lucien Combelle, Béraud, François Chasseigne, Benoit-Méchin… Au garde-à-vous, le bras levé, je salue et je crie : Camarades ! Je ne vous oublierai pas113 ».

Conclusion : l’enfermement des épurés, matrice de l’extrême droite d’après-guerre

  • 114 Sur les prisonniers de l’OAS, voir par exemple Pierre Calvas, « Les généraux de l’OAS à la prison d (...)

53La prison fait partie, au XXe siècle, de l’histoire de l’extrême droite française. Des Camelots du Roi aux activistes d’Ordre nouveau, en passant par les clandestins de l’OAS, il n’est pas une génération militante qui n’ait connu la prison pour faits politiques114. Toutefois, par son ampleur et sa durée, l’expérience carcérale de l’épuration est sans doute celle dont l’empreinte est la plus forte. L’emprisonnement de plusieurs dizaines de milliers de militants d’extrême droite imprègne durablement leur culture politique. Les témoignages et souvenirs de ces collaborateurs emprisonnés illustrent bien ce sentiment d’être des vaincus de l’histoire. La défaite de l’Axe et de Vichy est vécue comme un revers de fortune mais non comme une manifestation d’une erreur idéologique. Dès lors, l’emprisonnement ne met pas un terme à l’engagement politique des collaborateurs mais leur permet, au contraire, de prolonger celui-ci en lui donnant une cohérence et en l’actualisant par rapport aux problématiques de la Libération puis de la Guerre froide. Nombre de ces écrits témoignent de la persistance d’éléments doctrinaux propre à l’extrême droite qui remontent à l’avant-guerre : l’anticommunisme, l’antisémitisme et le rejet de la République.

  • 115 Condamné en janvier 1946 à l’indignité nationale et cinq ans de travaux forcés par la cour de justi (...)
  • 116 François Brigneau (1919-2012), journaliste, est membre du RNP sous l’Occupation puis de la Milice. (...)
  • 117 Pierre Bousquet (1919-1991), journaliste, adhère au Francisme en 1935 et devient l’un des cadres de (...)
  • 118 Roland Gaucher (1919-2007), journaliste, milite au RNP durant l’Occupation. Il est condamné à cinq (...)
  • 119 Léon Gaultier (1915-1997), journaliste, membre du PPF dès 1936, est d’abord milicien avant d’intégr (...)
  • 120 Pierre Bousquet est écroué en 1960 pour reconstitution de ligue dissoute après la dissolution de Je (...)
  • 121 Le mouvement Jeune Nation évoque dans les années 1950, et jusqu’à aujourd’hui, « l’assassinat » de (...)

54L’engagement politique après les amnisties de certains épurés, dont le fondateur de Jeune Nation, Pierre Sidos115, doit conduire à s’interroger sur le rôle matriciel pour cette famille politique de l’expérience carcérale de la Libération. Plusieurs fondateurs du Front national de Jean-Marie Le Pen, tels François Brigneau116, Pierre Bousquet117, Roland Gaucher118 ou encore Léon Gaultier119, ont ainsi été incarcérés à la Libération, voire après120. À cette expérience humaine et politique s’ajoute la mémoire de certains condamnés, élevés durablement au rang de martyrs nationalistes, à commencer par la figure de Robert Brasillach121. Dès 1948, une association des Amis de Robert Brasillach voit le jour ainsi que, deux ans plus tard, des Cahiers Robert Brasillach, pour défendre la mémoire de l’écrivain. Lorsqu’en 1960, une nouvelle génération de nationalistes qui n’a pas été mêlée à la collaboration – Dominique Venner, Jean Mabire, Alain de Benoist – lancent la Fédération des étudiants nationalistes (FEN), leur texte fondateur, intitulé « Manifeste de la classe 1960 », se veut une référence implicite à l’un des derniers textes de Brasillach. De ce point de vue, poursuivre l’histoire des épurés est indispensable pour envisager les héritages de l’extrême droite française de l’après-guerre.

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Notes

1 Robert Brasillach, « Le testament d’un condamné », Poèmes de Fresnes, Paris, Minuit et demi, 1945, p. 10.

2 L’imaginaire politique est compris ici comme l’ensemble des représentations, interprétations et références qui structurent un comportement et un discours politiques. Bernard Lamizet, L’imaginaire politique, Paris, Hermes-Science Lavoisier, 2012.

3 Par épurés, il faut entendre les personnes touchées par les mesures d’épuration, qu’elles soient d’ordre administratif ou judiciaire. Pour notre propos, on s’intéressera aux individus frappés d’une mesure d’incarcération, au titre de la prison ou des travaux forcés.

4 Notre propos portera principalement sur les ultras de la collaboration, aussi appelés collaborationnistes. Il s’agit des militants politiques et intellectuels, essentiellement parisiens, qui s’engagent sans réserve aux cotés de l’Allemagne nazie et aspirent à l’instauration d’un régime fasciste en France, par opposition au régime de Vichy jugé trop timide. Voir Stanley Hoffmann, « Collaborationism in France during World War II », The Journal of Modern History, vol. 40, n° 3, sept. 1968, pp. 375-395.

5 Alice Kaplan, Intelligence avec l’ennemi : le procès Robert Brasillach, Paris, Gallimard, 2001.

6 Robert Foucqueteau, « Épuration administrative et répression judiciaire », thèse de doctorat de droit, Paris, 1947.

7 Philippe Bourdrel, L’épuration sauvage, Paris, Perrin, 1991.

8 François Rouquet, Fabrice Virgili, Les Françaises, les Français et l’Épuration, Paris, Gallimard, 2018 et Fabien Lostec, Condamnées à mort. L’épuration des femmes collaboratrices, Paris, CNRS Éditions, 2024.

9 Michel Winock (dir.), Histoire de l’extrême droite en France, Paris, Seuil, 2015.

10 Joseph Algazy, La tentation néo-fasciste en France, Paris, Fayard, 1985 et Jean-Paul Gautier, Les extrêmes droites en France de 1945 à nos jours, Paris, Syllepse, 2017.

11 Corinne Jaladieu, La prison politique sous Vichy. L’exemple des centrales d’Eysses et de Rennes, Paris, L’Harmattan, 2007 ; Vincent Giraudier, Les bastilles de Vichy : répression politique et internement administratif, Paris, Tallandier, 2009 ; Christophe Lastécouères, Prisonniers d’État sous Vichy, Paris, Perrin, 2019.

12 Robert Belot, Lucien Rebatet, Pierre Antoine Cousteau, Dialogues de "Vaincus", Paris, Berg, 1999. On sait à quel point l’expérience carcérale des prisonniers politiques a nourri la production d’écrits et de souvenirs. Bernadette Morand, Les Écrits des prisonniers politiques, Paris, PUF, 1976.

13 Laurent Duguet, Incarcérer les collaborateurs dans les camps de la libération, Paris, Vendémiaire, 2015.

14 Bénédicte Vergez-Chaignon, Vichy en prison, Paris, Gallimard, 2006. Sur la prison de Fresnes, voir Christian Carlier, Histoire de Fresnes. Prison « moderne ». De la genèse aux premières années, Paris, Syros, 1998.

15 Bénédicte Vergez-Chaignon, « Y-a-t-il une culture politique des épurés ? », dans Rémi Baudouï (dir.), Un professeur en République. Mélanges en l’honneur de Serge Berstein, Paris, Fayard, 2006, pp. 231-237.

16 Alfred Fabre-Luce, Au nom des silencieux, Paris, Le cheval ailé, 1945. Sur l’itinéraire de Fabre-Luce, voir François Rouquet, « Alfred Fabre-Luce ou le roman d’un tricheur », dans Jacqueline Sainclivier (dir.), Images des comportements sous l’Occupation : Mémoires, transmission, idées reçues, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016, pp. 229-241.

17 Marc Bergère, « Les épurés comme vecteurs mémoriels de l’épuration : relais et temporalités d’une mémoire marginale », dans Jacqueline Sainclivier (dir.), Images…, op. cit., pp. 203-213.

18 François Broche, Jean-François Muracciole, Histoire de la collaboration, Paris, Tallandier, 2017. Il n’est pas question ici des collaborateurs économiques et trafiquants du marché noir dont les collaborateurs politiques veulent se distinguer. Les individus retenus sont également tous des hommes, les sources ne nous permettant pas de traiter la question des femmes incarcérées. Sur ce point, voir Fabien Lostec, Condamnées…, op. cit.

19 Michel Winock (dir.), Histoire de…, op. cit.

20 Bénédicte Vergez-Chaignon, « Existe-t-il… », art. cit.

21 Lucien Rebatet, « On ne fusille pas le dimanche », Le Crapouillot, n° 1, juin 1953.

22 Jean-Hérold Paquis, Des illusions, désillusions !, Genève, Bourgoin, 1948.

23 Jean Bassompierre, Frères ennemis, Paris, Amiot-Dumont, 1948.

24 Jean-Pierre Abel [René Château], L’âge de Caïn. Premier témoignage sur les dessous de la Libération de Paris, Paris, Les éditions nouvelles, 1947.

25 Claude Jamet, Fifi roi, Paris, L’Élan, 1947.

26 Lucien Combelle, Prisons de l’espérance, Paris, ETL, 1952.

27 Henri Charbonneau, Le roman noir de la droite française, Paris, Desroches, 1969.

28 Christian de la Mazière, Le rêveur casqué, Paris, Robert Laffont, 1972.

29 François Brigneau, Mon après-guerre, Paris, Du Clan, 1966.

30 Lucien Rebatet, Lettres de prisons adressées à Roland Cailleux (1945-1952), Paris, Le dilettante, 1993.

31 Paul Sérant, Les inciviques, Paris, Plon, 1955.

32 Henri Béraud, Journal de prison suivi de Ombres en Centrale, Paris, Déterna, 2022.

33 Ralph Soupault, Fresnes. Témoignage d’un condamné, Paris, Rio, 1948. Les croquis de Soupault sont visibles sur le site Criminocorpus : https://criminocorpus.org/fr/bibliotheque/doc/2391/.

34 Marc Bergère, « Les épurés comme vecteurs mémoriels de l’épuration : relais et temporalités d’une mémoire marginale », dans Jacqueline Sainclivier (dir.), Images…, op. cit., pp. 203-213.

35 Robert Belot, « À la recherche de l’imaginaire des épurés », dans Robert Belot, Lucien Rebatet, Pierre Antoine-Cousteau, Dialogues…, op. cit., p. 7.

36 Marcel Baudot, « L’épuration : bilan chiffré », Bulletin de l’IHTP, 1986, n° 25, pp. 37-53 et Henry Rousso, « L’épuration en France : une histoire inachevée », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 33, 1992, pp. 78-105. Pour une approche plus complète, Bénédicte Vergez-Chaignon, Histoire de l’épuration, Paris, Larousse, 2010.

37 Gilles Morin, « L’épuration à Paris. Justiciables et jugements de la Cour de justice de la Seine à la Libération », 20 & 21. Revue d’histoire, n° 155, 2023, pp. 23-41.

38 François Rouquet, Fabrice Virgili, Les Françaises…, op. cit., p. 168.

39 Henri Rousso, « L’épuration en France, une histoire inachevée », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 33, 1992, p. 92 et François Rouquet, Fabrice Virgili, Les Françaises…, op. cit., p. 187.

40 François Broche, Jean-François Muracciole, Histoire…, op. cit., p. 265.

41 Ce qui confère à la France l’un des taux d’emprisonnement les plus faibles en Europe. Voir Henri Rousso, « L’épuration… », art. cit., p. 103.

42 Si Clairvaux est connue pour être une prison particulièrement rude, le camp de la Vierge à Épinal est, quant à lui, réputé pour sa souplesse.

43 Le « régime politique » ou « détention politique » est le fruit d’une longue histoire de la pratique d’incarcération en France. L’octroi du « régime politique » n’est pas spécifiquement codifié dans les textes. Il dépend en fait de plusieurs éléments comme la juridiction concernée, l’incrimination retenue ou le recours à l’amnistie. Cf Jean-Claude Vimont, « Histoire de la détention politique en France », Criminocorpus, [en ligne], Justice et détention politique, mis en ligne le 18 novembre 2013, http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/criminocorpus/2547 [lien consulté le 27/05/2024]. L’auteur note d’ailleurs que les collaborateurs, bien qu’officiellement détenus de droit commun, étaient chaque année comptabilisés comme des détenus politiques par l’administration pénitentiaire.

44 Georges Bernanos, par exemple, raconte comment anarchistes et Camelots du roi fraternisent en prison dans Les Grands Cimetières sous la lune. Georges Bernanos, Essais et écrits de combats, tome 1, Paris, Gallimard, « La Pléiade », p. 386.

45 On entend par collaboration politique les individus ayant milité dans l’une des organisations antinationales au sens de l’ordonnance du 26 août 1944 ou ayant écrit dans la presse collaborationniste.

46 Bénédicte Vergez-Chaignon, Vichy…, op. cit., p. 126.

47 Henri Charbonneau, Le roman…, op. cit., p. 216.

48 François Rouquet, Fabrice Virgili, Les Françaises…, op. cit., p. 168.

49 Lucien Rebatet, Pierre-Antoine Cousteau, Dialogue…, op. cit. En particulier le dialogue n° 9, intitulé « Le troisième sexe ».

50 Christian de la Mazière, Le rêveur…, op. cit., p. 203.

51 Lucien Combelle, Liberté à huit clos, Paris, La butte aux cailles, 1983, pp. 12-13.

52 Christian de la Mazière, Le rêveur…, op. cit., p. 207.

53 « Il y a un an, j’étais blessé ! Quelle chute, de l’éminente dignité du combat à l’infamie de la prison ! L’adversaire nous couvre de boue » écrit par exemple l’ancien Waffen SS Léon Gaultier dans Siegfried et le Berrichon, Paris, Perrin, 1991, p. 318.

54 De fait, la presse collaborationniste parisienne était largement stipendiée par les nazis.

55 Lucien Rebatet, Pierre-Antoine Cousteau, Dialogue…, op. cit., pp. 72-73.

56 Ralph Soupault (1904-1962), journaliste et caricaturiste. Initialement proche de la gauche, il se rapproche à la fin des années 1920 de l’Action française à laquelle il adhère. En 1936, il rejoint le PPF. Durant la guerre, il travaille pour la presse collaborationniste, en particulier Je suis Partout. Il est condamné à la Libération à la dégradation nationale et à quinze ans de travaux forcés.

57 De fait, les légionnaires de LVF ont combattu sur le Front de l’Est puis en Poméranie dans des conditions particulièrement difficiles, en raison du climat, de leur impréparation et de l’acharnement de l’adversaire soviétique.

58 Ralph Soupault, Fresnes…, op. cit., p. 30.

59 Style assez commun, il est vrai, chez l’auteur des Décombres. De manière plus large, Thomas Bouchet, relève que le recours à l’injure fait partie autant d’un style personnel que d’une stratégie de positionnement politique. Thomas Bouchet, Noms d’oiseaux. L’insulte en politique de la Restauration à nos jours, Paris, Stock, 2010.

60 Lucien Rebatet, Pierre-Antoine Cousteau, Dialogue…, op. cit., p. 267.

61 Henri Charbonneau, Le roman…, op. cit., p. 208.

62 Lucien Rebatet, Pierre-Antoine Cousteau, Dialogue…, op. cit., p. 70.

63 Christian de la Mazière (1922-2006), journaliste, travaille d’abord au Pays Libre sous l’Occupation avant de s’engager dans la Waffen SS. À la Libération, il est condamné à la dégradation nationale et à cinq ans de prison.

64 Christian de la Mazière, Le rêveur…, op. cit., p. 209.

65 Henri Charbonneau, Le roman…, op. cit., p. 215. Il inscrit le cas des épurés dans l’histoire des prisonniers politiques : « Résistants, collabos, musulmans rebelles puis OAS. Quelle est la famille française ayant un peu de tempérament qui n’a pas eu, à un moment ou à un autre, un de ses membres locataires à la prison de Fresne ? »

66 Lucien Rebatet, Pierre-Antoine Cousteau, Dialogue…, op. cit., pp. 71-72.

67 Ibid., pp. 73-74.

68 Lucien Rebatet, Pierre-Antoine Cousteau, Dialogue…, op. cit., pp. 68-69.

69 Ibid., p. 69 et Henri Charbonneau, Le roman…, op. cit., p. 308.

70 Robert Brasillach, Lettre à un soldat de la classe 60, Paris, Les Sept Couleurs, 1946.

71 Lucien Rebatet, Pierre-Antoine Cousteau, Dialogue…, op. cit., p. 67.

72 Ibid., p. 106.

73 Lucien Rebatet, Pierre-Antoine Cousteau, Dialogue…, op. cit., p. 106.

74 Abbé Desgranges, Les crimes masqués du résistancialisme, Paris, L’élan, 1948.

75 Henri Charbonneau, Le roman…, op. cit., p. 354. La guerre froide débutant, ils revendiquent d’avoir eu raison trop tôt. Les engagés de la LVF sont ainsi présentés comme des visionnaires de la « défense de l’Europe ».

76 Lucien Rebatet, Pierre-Antoine Cousteau, Dialogue…, op. cit., pp. 102-103.

77 Cette comparaison est dans l’air du temps puisqu’on évoque alors une seconde Révolution française. Le garde des Sceaux lui-même, Pierre Henri Teitgen, dans son discours du 6 août 1946, explique que le gouvernement n’a pas à rougir de la comparaison avec la Convention de 1793.

78 Schlomo Sand, « Les représentations de la Révolution dans l’imaginaire historique du fascisme français », Mil neuf cent, n° 9, 1991, pp. 29-47.

79 Alya Aglan, La France à l’envers, Paris, Gallimard, 2020 et Olivier Wieviorka, « Guerre civile à la française ? Le cas des années sombres (1940-1945) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 85, /2005, pp. 5-19.

80 Robert Brasillach, Lettre à…, op. cit.

81 Sur les usages et mésusages du concept de « Terreur », voir Jean-Clément Martin, Les échos de la Terreur : vérités d’un mensonge d’État, 1794-2001, Paris, Belin, 2018.

82 Christian de la Mazière, Le rêveur…, op. cit., p. 255 et Henri Charbonneau, Le roman…, op. cit., p. 206.

83 Henri Charbonneau, Le roman…, op. cit., p. 247.

84 Ibid., p. 339.

85 Henri Béraud, Quinze jours avant la mort, Paris, Plon, 1951, p. 15.

86 Robert Brasillach, Poèmes de Fresnes, Paris, Souvenirs, 1947.

87 Julian Jackson, Le procès Pétain, Paris, Seuil, 2024.

88 Henri Charbonneau, Le roman…, op. cit., p. 252.

89 Lucien Rebatet, Pierre-Antoine Cousteau, Dialogue…, op. cit., p. 65.

90 Ibid., p. 70.

91 Ibid., p. 73.

92 Ibid., p. 68.

93 Robert Brasillach, Lettre à…, op. cit.

94 Ce renversement des rôles est fréquent dans les récits de collaborateur. Cf. François Rouquet, « Alfred Fabre-Luce… », loc. cit.

95 Henri Charbonneau, Le roman…, op. cit., p. 202.

96 Ibid., p. 425. Son récit, paru en 1969, s’inscrit dans une période qui voit l’affirmation de la mémoire juive mais, aussi, du négationnisme. Henri Rousso, Le syndrome de Vichy, Paris, Seuil, 2016. Charbonneau, qui est à ce moment proche d’Ordre nouveau, participe de cette propagande antisémite.

97 Ibid., p. 358.

98 Christian de la Mazière, Le rêveur…, op. cit., p. 269.

99 Ibid., p. 287.

100 Ibid., p. 289.

101 Cité par Bénédicte Vergez-Chaignon dans Vichy…, op. cit., p. 304.

102 Je Suis Partout est emblématique à cet égard. Voir Jean-Marie Dioudonnat, Je suis Partout (1930-1944), Paris, La Table ronde, 1987.

103 Paul Sérant, Les vaincus de la Libération, Paris, Robert Laffont, 1964.

104 Lucien Rebatet, Pierre-Antoine Cousteau, Dialogue…, op. cit., p. 70.

105 Je suis Partout est un hebdomadaire fondé par Arthème Fayard en 1930. Initialement d’obédience maurrassienne sous la direction de Pierre Gaxotte, le journal évolue progressivement vers le fascisme et le nazisme. Durant l’Occupation, il est le fer de lance de la collaboration intellectuelle.

106 Ibid., p. 71.

107 Christian de la Mazière, Le rêveur…, op. cit., p. 199.

108 François Brigneau, Mon après-guerre, op. cit., p. 11.

109 Paul Sérant, Les inciviques, op. cit., p. 83.

110 C’est le titre des souvenirs d’un ancien anonyme de la LVF. Vae Victis, Paris, La jeune Parque, 1948.

111 Henri Charbonneau, Le roman…, op. cit., p. 202.

112 Christian de la Mazière, Le rêveur…, op. cit., p. 265.

113 François Brigneau, Mon après-guerre, op. cit., p. 12.

114 Sur les prisonniers de l’OAS, voir par exemple Pierre Calvas, « Les généraux de l’OAS à la prison de Tulle : réalités et rumeurs », dans Histoire pénitentiaire, vol. III, Paris, direction de l’Administration pénitentiaire, 2005, pp. 28-53.

115 Condamné en janvier 1946 à l’indignité nationale et cinq ans de travaux forcés par la cour de justice de La Rochelle.

116 François Brigneau (1919-2012), journaliste, est membre du RNP sous l’Occupation puis de la Milice. En 1945, il est interné à Fresnes où il partage la cellule de Brasillach.

117 Pierre Bousquet (1919-1991), journaliste, adhère au Francisme en 1935 et devient l’un des cadres de la région orléanaise. En 1943, il rejoint la Waffen SS et combat dans Berlin en avril 1945. Condamné à mort, sa peine est finalement commuée en trois ans de prison.

118 Roland Gaucher (1919-2007), journaliste, milite au RNP durant l’Occupation. Il est condamné à cinq ans de prison à la Libération.

119 Léon Gaultier (1915-1997), journaliste, membre du PPF dès 1936, est d’abord milicien avant d’intégrer la Waffen-SS. Pour avoir combattu contre les Soviétiques, il est condamné à dix ans de travaux forcés.

120 Pierre Bousquet est écroué en 1960 pour reconstitution de ligue dissoute après la dissolution de Jeune Nation.

121 Le mouvement Jeune Nation évoque dans les années 1950, et jusqu’à aujourd’hui, « l’assassinat » de Brasillach. En février 2012, Jean-Marie Le Pen lit à la convention présidentielle du Front national le poème « Enfant d’honneur », extrait des Poèmes de Fresnes.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Antoine Limare, « Des « vaincus » en prison : imaginaire et discours de collaborateurs épurés à la Libération »Histoire Politique [En ligne], 52 | 2024, mis en ligne le 01 juin 2024, consulté le 12 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoirepolitique/17538 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11vu2

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Auteur

Antoine Limare

Antoine Limare, agrégé d’histoire, est doctorant et chargé d’enseignement à Sorbonne Université. Ses sujets de recherche portent sur les droites françaises et le militantisme politique au XXe siècle. Il a récemment publié « Entre nationalisme, fascisme et ambition politique. L’itinéraire du franciste André Rainsart » (20 & 21. Revue d’histoire, n° 155, 2022, pp. 3-21) et « La Cagoule : un réseau nationaliste au temps du Front populaire. L’exemple du milieu « cagoulard » haut-normand » (Histoire@Politique, n° 50, 2023).

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