« Biribi en Savoie » : la fin du dernier bagne de l’armée française (Fort d’Aiton, 1972)
Résumés
Bien des lignes ont été écrites sur l’histoire des bagnes que l’armée française avait organisés en Afrique du Nord pour punir les « fortes têtes » entre 1830 et 1962. On sait moins que le dernier avatar de cet « archipel punitif », analysé par Dominique Kalifa dans son ouvrage Biribi, se trouvait en Savoie et qu’il n’a fermé qu’en 1972. Pendant dix ans, c’est dans un fort discret et austère, à Aiton, que sont enfermés par mesure disciplinaire les hommes du rang des trois armées. Un régime d’exception y a cours : hérité du temps des colonies, il trahit un mépris de la dignité humaine. Cet article se propose de comprendre comment, dans le contexte de l’après Mai 68, le pénitencier militaire du fort d’Aiton devient un lieu politique. Les soldats qui y sont envoyés, qu’ils soient condamnés par un tribunal ou sanctionnés sur le plan disciplinaire, constituent aux yeux de l’administration un danger pour la valeur morale du corps de troupe. Cependant, la mise à l’agenda de l’armée et de sa juridiction d’exception comme « problème public » au début des années 1970 incite la société à jeter un autre regard sur cette institution disciplinaire devenue scandaleuse, l’inscrivant dans un combat séculaire contre les procédures d’exception. Cette mobilisation conduit in fine à la fin du dernier bagne de l’armée française en 1972.
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Mots-clés :
bagne, armée, France, lieu politique, institution disciplinaire, autorité, discipline, années 1968, Debré (Michel), Savoie, droits de l’homme, violence d’État, guerre d’AlgérieKeywords:
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- 1 Service historique de la Défense (SHD), GR 2 T 158 : fiche à l’attention de Monsieur le Ministre d’ (...)
1À la fin des années 1960, au bout d’une petite route isolée gravissant en lacets un éperon rocheux entouré de forêts, le fort d’Aiton se révèle un imposant quadrilatère austère et froid, dont les pierres grises, le granit et le béton donnent une atmosphère particulièrement lugubre au lieu. À l’entrée, un écusson en ciment, où est grossièrement peint un scorpion, annonce la devise de l’unité stationnée là, inscrite en arabe : « Que Dieu le prenne en miséricorde », mais que l’usage a déformé par une traduction plus funèbre encore : « Adieu la vie », voire « Marche ou crève »1. Des militaires et une douzaine de chiens de guerre montent la garde, tandis que des pancartes barrées de tricolore indiquent le long du mur d’enceinte : « Terrain militaire ; défense de photographier ».
- 2 Bruno Berthier et Robert Bornecque, Pierres fortes de Savoie, Montmélian, La Fontaine de Siloé, 20 (...)
2Situé en Savoie, à trente minutes de Chambéry, le fort d’Aiton commande le carrefour que forment la vallée de la Maurienne et la Combe de Savoie depuis sa construction au XIXe siècle2. Si la forteresse a perdu son rôle stratégique avec les progrès de l’artillerie, le drapeau tricolore a continué de flotter en haut de son mât depuis qu’un nouveau rôle, plus discret, lui a été confié après la fin de la guerre d’Algérie : accueillir à partir de septembre 1962 les détenus de la compagnie spéciale des troupes métropolitaines (CSTM), jusqu’ici détenus à Tinfouchy, un lieu-dit situé à l’ouest du Sahara algérien. Destinée aux soldats indésirables qui, par leur crime ou leur indiscipline, se sont rendus indignes du service normal des armes, la CSTM s’inscrit dans la longue histoire des pratiques disciplinaires et pénitentiaires de l’armée, bénéficiant en ce début de Ve République d’un statut juridique et de l’accord des autorités civiles et militaires.
- 3 SHD, GR 7 T 304 : Rapport de l’inspecteur de l’Infanterie sur l’inspection de la CSTM effectuée à A (...)
- 4 Dominique Kalifa, Biribi. Les bagnes coloniaux de l’armée française, Paris, Perrin, 2016 [2009].
- 5 Les premières lignes de l’avant-propos du reportage sont les suivantes : « Biribi n’est pas mort. I (...)
3Si qualifier le fort d’Aiton de bagne a pu être perçu par le passé comme un parti pris politique, il se révèle une approche scientifique fructueuse aujourd’hui. La définition même de ce lieu a en effet fait l’objet au cours de ses dix années d’existence d’une opposition entre les militaires et les détracteurs d’Aiton. Tandis que les premiers réfutaient ce terme – d’autant qu’en Guyane le bagne de Cayenne n’accueillait officiellement plus de forçats depuis 1938 – et défendaient « un mal nécessaire3 », rude mais bien encadré et parfaitement légal, les seconds y voyaient une survivance insupportable des procédures d’exception et des atteintes à la dignité humaine révélées au XIXe siècle par l’affaire Dreyfus, puis lors des grands drames de la Seconde Guerre mondiale et des guerres de décolonisation. Au vrai, Aiton était la dernière pièce d’un « archipel punitif4 » formé par de nombreux pénitenciers militaires aux formes diverses, et dont la dénonciation était ancienne, à l’exemple du reportage d’Albert Londres paru sous la forme d’un livre en 1924, Dante n’avait rien vu (Biribi)5.
- 6 Sur les résonances mémorielles liées à des expériences de détention traumatiques, voir Marc André, (...)
- 7 Jean-Claude Vimont, La prison politique en France. Genèse d’un mode d’incarcération spécifique, XVI (...)
- 8 Michel Pierre, Le temps des bagnes. 1748-1953, Paris, Tallandier, 2017, p. 142. Voir également du m (...)
- 9 Mathilde Rossigneux-Méheust et Elsa Génard (dir.), Routines punitives. Les sanctions du quotidien X (...)
4Identifier un bagne dans la compagnie spéciale des troupes métropolitaines du fort d’Aiton invite donc, dans le droit fil d’une riche historiographie, à repenser cet objet en portant non seulement la focale sur les réminiscences du passé que ce fort caché dans les confins alpins a fait renaître6, mais aussi à restituer en même temps ce que les interactions entre différents « mondes » – bagnards, militaires de tout rang, militants et responsables politiques, journalistes, avocats – révèlent de l’évolution du débat public sur le degré de coercition admis dans la société7. Comme l’a expliqué Michel Pierre au fil de son œuvre sur le bagne, ce qui fait ce dernier n’est pas la « condamnation au bagne » – car ni la peine ni la catégorie juridique n’existent – mais la centralité des pratiques de violence dans la relation punitive et la soumission à un isolement extrême d’une main-d’œuvre forcée afin de faire de cette institution un outil privilégié de la répression8. L’étude des micropénalités, que le groupe de recherche sur les institutions disciplinaires (GRID) s’est attaché à analyser ces dernières années à travers une histoire sociale et comparée des sanctions, permet d’être plus attentif aux expériences des individus à l’échelle quotidienne des « routines punitives9 » qui les affectent, en particulier dans l’armée.
- 10 Dominique Kalifa, Biribi…, op. cit.
- 11 René Backmann, « Biribi en Savoie », Le Nouvel Observateur, 30 mars 1970.
5L’approche d’histoire sociale et culturelle proposée par Dominique Kalifa dans Biribi. Les bagnes coloniaux de l’armée française a, elle aussi, contribué à renouveler profondément l’objet10. À travers une analyse « totale » de cette institution, celui-ci a montré combien sont indissociables l’expérience quotidienne du bagne, son contexte politique et social et les représentations que s’en fait en parallèle la société par le prisme d’œuvres culturelles ou par le biais de dénonciations aux fondements parfois incertains. Le bagne est ainsi travaillé par le regard conflictuel que les acteurs portent sur lui et cette lutte est porteuse d’évolutions bien concrètes. Le fort d’Aiton, ce « Biribi en Savoie » comme le désigne Le Nouvel Observateur en 197011, s’inscrit dans un imaginaire social de la punition qui a été forgé par la conscience historique des acteurs depuis le XIXe siècle et réactualisé au cours du XXe siècle, en particulier lors de la décolonisation.
- 12 Sylvie Thénault, Une drôle de justice. Les magistrats dans la guerre d’Algérie, Paris, La Découvert (...)
- 13 Marius Loris, Désobéir en guerre d’Algérie. La crise de l’autorité dans l’armée française, Paris, É (...)
- 14 Raphaëlle Branche, La guerre d’Algérie : une histoire apaisée ?, Paris, Éditions du Seuil, 2005.
- 15 Que l’on pense aux thèses en cours de Victor Delaporte sur le mouvement de défense de l’Algérie fra (...)
6Les approches renouvelées de la guerre d’Algérie invitent en effet à identifier l’ombre portée par ce conflit encore récent sur le fort d’Aiton. Qu’il s’agisse de l’étude de la justice militaire12, du rôle des sections spéciales et des régiments disciplinaires dans l’exercice de l’autorité13, de l’attention portée aux processus mémoriels14 et aux trajectoires des acteurs après le conflit15, ce sont les formes de continuité dans certains discours et pratiques qu’il s’agit d’interroger, tout en resituant ce bagne dans un contexte en profonde mutation.
- 16 La bibliographie est vaste : voir Michelle Zancarini-Fournel, Le moment 68. Une histoire contestée, (...)
- 17 Maxime Launay, « Une armée nouvelle ? La gauche et l’armée française, 1968-1985. Antimilitarisme, l (...)
- 18 Erving Goffman, Asiles. Études sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus, Paris (...)
7De fait, l’historiographie de mai-juin 1968 s’est enrichie ces dernières décennies d’une approche plus large, « les années 196816 ». Elle permet de comprendre ce que la séquence ouverte par les accords d’Évian en 1962 et qui se referme avec l’élection de François Mitterrand en 1981 a changé dans le rapport de la société à l’autorité, à la hiérarchie et à la discipline, autant de notions dont l’armée se présente comme la gardienne sourcilleuse17. Devenue la cible d’une large contestation qui remet en cause une institution décrite comme « totale » et « disciplinaire », pour reprendre les concepts alors en plein essor d’Erving Goffman et de Michel Foucault18, l’armée – et singulièrement l’armée de terre – connaît dès lors une crise qui rejaillit inévitablement sur son bagne d’Aiton.
- 19 SHD, archives des régiments et organismes de l’armée de terre : GR 7 U 3451, CSTM (janvier 1971-mar (...)
- 20 Dominique Kalifa a ainsi consacré un passage au fort d’Aiton dans les dernières pages de son Biribi(...)
- 21 Ils sont publiés le plus souvent à compte d’auteur et avec un tirage limité : Bernard Cornet, Le ba (...)
8Au croisement de ces riches historiographies, cette recherche se heurte toutefois à un défi documentaire, tant les inventaires, cartons et documents d’archives restent a priori silencieux à propos de ce fort oublié. Les archives de la CSTM sont en effet quasiment muettes : les cartons des différentes formations militaires qui se sont succédé au fort d’Aiton, d’une taille très modeste, ne disent quasiment rien de l’activité du bagne, des hommes qui y étaient détenus et de ceux qui les encadraient. Seuls quelques feuillets, postérieurs à la réforme du régime disciplinaire ordonné par le gouvernement à partir de 1970, offrent de rares indications sur ces différents points19. Pour contourner cette absence, les sources imprimées – brochures, tracts et journaux d’opinion rattachés à la nébuleuse d’extrême gauche, non violente et libertaire – forment une documentation précieuse, couplées aux enquêtes de la presse régionale et nationale, pour comprendre comment, à la faveur du scandale au tournant des années 1970, la violence exercée dans le bagne a pu être dévoilée dans l’espace public20. Depuis les années 2010, des témoignages d’anciens « disciplinaires » – le nom des soldats envoyés dans les compagnies disciplinaires – ont aussi contribué timidement à en finir avec le silence qui avait conduit à occulter le fort d’Aiton des mémoires21. Ils éclairent d’un jour nouveau l’ordre disciplinaire qui y régnait et les interactions entre les soldats détenus et l’encadrement.
- 22 SHD, cabinet de chef d’état-major de l’armée de terre : GR 2 T 158, Unités disciplinaires du Fort (...)
- 23 Jusqu’ici, il convenait de procéder à une demande d’accès anticipé par dérogation au délai de commu (...)
- 24 Nous tenons à remercier très sincèrement les différents personnels du SHD qui nous ont permis de co (...)
9Ce serait cependant oublier le travail effectué dans le silence des bureaux des états-majors et du cabinet du ministre Michel Debré. L’histoire de la réforme du régime disciplinaire du fort d’Aiton entre 1970 et 1972 est en effet restée inédite. Elle se rapporte à plusieurs cartons de l’état-major de l’armée de terre dont l’accès est désormais ouvert22, le délai de communicabilité de cinquante ans prévu par le code du patrimoine étant échu23. Ces archives donnent à voir la prise en charge au plus haut sommet de l’État de la CSTM depuis son transfert d’Algérie jusqu’à sa profonde refonte, et montrent les tensions qui traversent le ministère de la Défense alors que le fort d’Aiton est au cœur d’une campagne de presse24.
- 25 Jean-Claude Vimont, La prison politique en France…, op. cit., p. 1.
10Notre propos sera donc de comprendre en quoi l’enjeu de la définition du fort d’Aiton en tant que bagne a contribué à en faire un lieu politique, devenu le symbole de la remise en cause des institutions disciplinaires après Mai 68, participant ainsi « au lent processus d’humanisation et de démocratisation des conditions de détention25 ».
11Dans une approche d’histoire sociale du politique, il semble utile de se pencher d’abord sur la fabrique de la déviance et du stigmate, contribuant pendant de longues années à entretenir le silence autour des pratiques à l’œuvre au fort d’Aiton. On analysera ensuite en quoi le régime de détention conduit à faire de ce bagne un lieu politique dans le contexte des années 1968, devenant ainsi un problème public. On étudiera enfin comment, malgré les résistances de l’armée, la fin du bagne est actée en 1972.
Les raisons d’un silence : construire la déviance, forger le stigmate
- 26 Arsène Altmeyer, Jean-Marc Villermet, J’ai été disciplinaire au fort d’Aiton…, op. cit. Le manuscri (...)
12En 2015, la découverte par l’historien Jean-Marc Villermet, sur le site de ventes eBay, d’un manuscrit de 413 pages rédigé par un ancien soldat disciplinaire, Arsène Altmeyer, a permis de mieux cerner le fonctionnement du fort d’Aiton. Source de première main en ce qu’elle a été rédigée très rapidement après le temps de détention de l’auteur, ce texte vient confirmer les enquêtes de la presse parues à la même époque26. Elle permet de mieux saisir comment la construction de la déviance et du stigmate ont contribué à forger le silence autour de ce pénitencier militaire.
- 27 Ibid., p. 24 sqq.
- 28 Ibid., p. 156.
13Né en 1945, Arsène Altemeyer est un jeune comédien qui, au moment même où la France connaît les événements de mai-juin 1968, effectue son service national à Vesoul. Très lié aux milieux culturels sans être un militant politique, il observe de loin cette crise inédite. Le 9 juin, alors qu’à Paris le théâtre de l’Odéon est occupé et que l’ordre n’a pas tout à fait triomphé dans les rues du Quartier latin et dans les usines, son colonel part en permission. Arsène Altemeyer transgresse alors les interdits par goût de la farce : il pénètre dans l’appartement de son supérieur dont il a les clés, revêt son uniforme de colonel, appelle le camp militaire voisin où séjourne un peloton de gendarmes présents sur place en raison de la fronde sociale, et annonce qu’il va passer en revue la troupe. Arrivé déguisé et en voiture officielle, accompagné d’un comparse qui prétend être son chauffeur, il inspecte une troupe au garde-à-vous qui ne se doute de rien27. Cette supercherie, qui n’avait pas un caractère politique immédiat mais qui devait tout à l’effervescence qui animait alors la jeunesse lycéenne et étudiante, est découverte quelques jours plus tard et suscite l’indignation de nombreux gradés. Puni par quarante-cinq jours d’arrêts de rigueur – une punition disciplinaire qui lui vaut un premier enfermement dans une caserne bisontine –, il est traduit ensuite devant la justice militaire, au tribunal permanent des forces armées (TPFA) de Metz, où il est condamné à six mois d’emprisonnement ferme pour « atteinte à la dignité militaire » et « intelligence avec l’ennemi »28.
- 29 Ibid., p. 74.
- 30 Jean-Lucien Sanchez, À perpétuité. Relégués au bagne de Guyane, Paris, Vendémiaire, 2013.
14Après avoir purgé sa peine à la prison du Cambout, à Metz, Arsène Altemeyer est affecté au fort d’Aiton pour achever son service militaire, où on lui promet « la satisfaction de devenir un homme, un vrai29 ». Il y découvre immédiatement la condition des disciplinaires. Non seulement la stricte discipline y est consubstantielle à la privation de liberté que subissent les enfermés, mais la centralité de la violence propre aux relations punitives d’un bagne, bien démontrée par les historiens des bagnes coloniaux30, y est manifeste. Insulté et frappé jusqu’au sang dès son arrivée, Arsène Altemeyer voit son quotidien rythmé par la discipline la plus rude et la brutalité arbitraire exercées par la poignée d’hommes qui forme les « petits cadres », pour une bonne part des sous-officiers passés par l’Indochine et dont la consommation d’alcool est selon lui immodérée.
15Le croisement des sources entre le récit du jeune disciplinaire, d’autres témoignages et les rapports de l’armée de terre montrent qu’aucune activité cérébrale n’est admise au fort d’Aiton. Contraints de se déplacer en permanence au pas de course, les disciplinaires sont astreints à casser et déplacer des cailloux déterrés le matin et replacés au même endroit le soir. Utilisés également comme main-d’œuvre servile au service du commandement, ils construisent la villa d’un officier dans le village voisin, transportant à dos d’homme des sacs de ciment de 50 kg, sans possibilité de s’hydrater. Les chiens de guerre utilisés pour retrouver les fuyards sont lâchés sur ceux qui s’effondrent au travail.
- 31 Cette description est recoupée en tout point par le rapport de l’inspecteur de l’Infanterie rédigé (...)
- 32 SHD, GR 7 T 304 : Rapport de l’inspecteur de l’Infanterie sur l’inspection de la CSTM, op. cit.
- 33 Ibid.
- 34 André Ruff, Gérard Simonnet, Michel Tachon, Les bagnes de l’armée français…, op. cit.
16Les disciplinaires vivent par ailleurs en permanence sous la menace d’être enfermés dans une des minuscules cellules glaciales, appelées le « calbot », qui tiennent lieu de cachot : situées sous le fort, taillées dans le roc, exiguës, très froides et humides, elles sont sans air et sans lumière, inchauffables et fermées par une trappe en bois massive à laquelle est fixé un verrou. Les détenus punis de « calbot » couchent à même le sol sur une natte et ne disposent d’aucun siège31. Cœur répressif de l’institution, le « calbot » fait l’objet d’une mise en scène ritualisée par l’encadrement qui y voit « un effet de dissuasion32 » et le moyen de réduire arbitrairement toutes les « fortes têtes », terme omniprésent dans la bouche des militaires et dont on trouvait déjà la trace à Biribi. Signe de la terreur organisée et de la déshumanisation à l’œuvre en raison des mauvais traitements physiques, des brimades, de l’insuffisance de nourriture et de soins, les tentatives d’évasion et de suicide sont nombreuses – l’état-major de l’armée de terre évoque même pour la période 1968-1969 une « épidémie de tentatives de suicide33 ». Les bagnards, après avoir avalé des lames de rasoirs ou de la ferraille, sont opérés dans un hôpital militaire et sont ensuite condamnés par la justice militaire pour « mutilation volontaire ». Si beaucoup rejoignent avec soulagement la prison lyonnaise de Montluc – décrite dans les témoignages comme un « séjour 3 étoiles » comparé à Aiton – pour purger leur peine, ils sont ensuite réaffectés à la CSTM pour y achever leur service34.
- 35 Michel Foucault, Surveiller et punir…, op. cit., p. 160 et 166.
- 36 Mathilde Rossigneux-Méheust et Elsa Génard (dir.), Routines punitives, op. cit., pp. 8-9.
- 37 SHD, GR 7 U 3451 et GR 7 U 3489.
- 38 Erving Goffman, Asiles, op. cit.
- 39 Arsène Altmeyer, Jean-Marc Villermet, J’ai été disciplinaire au fort d’Aiton…, op. cit., p. 126.
17C’est donc toute la gouvernementalité des corps, pour reprendre les termes de Michel Foucault, qui se donne à voir au fort d’Aiton par des techniques de clôture, de surveillance, de contrôle des déplacements et de punitions35. La sanction, profondément inscrite dans l’histoire des armées et tout particulièrement de ses sections disciplinaires, agit « comme un mode généralisé de régulation des rapports sociaux derrière les murs36 ». Outre les micropénalités qui, sous la forme de violences, constituent le quotidien des détenus à Aiton, les journaux des marches et opérations montrent aussi un nombre élevé de conseils de discipline, signe que l’ordre disciplinaire est sans cesse rappelé37. Utile pour conditionner le corps et l’esprit, la punition doit aussi être comprise à travers le couple sanctions-faveurs étudié par Erving Goffman dans son livre Asiles38. Altemeyer explique ainsi « avoir bénéficié à plusieurs reprises de la protection toute-puissante39 » du capitaine commandant le lieu.
18Lettré, comédien, Arsène Altemeyer n’était pas un militant révolutionnaire, mais son sort a été décidé au moment même où le pouvoir reprenait en main le pays en juin 1968. L’institution militaire avait d’ailleurs joué un rôle dans ce retour à l’ordre. La visite du général de Gaulle aux forces stationnées à Baden-Baden et l’arrivée de troupes d’élite à proximité de la capitale l’avaient rappelé à tous : une solution militaire à la crise était possible. Arsène Altemeyer, en revêtant par pure bouffonnerie l’uniforme d’un officier supérieur, incarnait la « chienlit » que dénonçaient les autorités. Son envoi dans la compagnie spéciale d’Aiton visait à punir le désordre qu’il symbolisait et pouvait aussi servir de rappel à l’ordre à une jeunesse en ébullition qui devrait tôt ou tard être encasernée pour accomplir son devoir militaire.
19Ce choix de l’administration s’était cependant fait au risque d’amalgamer un soldat, pour lequel la dimension politique de la sanction était sous-jacente, avec des déserteurs et des condamnés de droit commun. Il offrait le fort d’Aiton au regard d’un appelé doté d’un plus fort capital social que le bagnard moyen, ce qui, comme l’exprimait le commandant de la compagnie à Arsène Altemeyer au moment de sa libération, n’était pas sans poser de problème :
- 40 Ibid.
« Tu n’aurais jamais dû connaître cet endroit. Je crains même qu’on ait commis une erreur grossière en te faisant muter ici. Mais que veux-tu ? Tu es venu ! L’État français me paye, plutôt bien, pour m’aider dans ma tâche. […] Je suis passé maître dans l’art de faire chier une bande d’ordures, de crapules. Qui me dit que ce sont des ordures et des crapules ? Eh bien leur seul ordre de mutation. […] Après tout, je ne suis qu’un militaire, un capitaine, j’obéis aux ordres et je les exécute40. »
- 41 Howard Becker, Outsiders. Études de la sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 2020 [1963], p. (...)
- 42 Michel Foucault, Surveiller et punir…, op. cit., p. 174.
- 43 SHD, GR 2 T 158 : Fiche du cabinet du CEMAT, 21 avril 1970 ; SHD, GR 7 T 304 : Lettre du général de (...)
- 44 André Fribourg-Blanc, La pratique psychiatrique dans l’armée, Paris, Lavauzelle, 1935, et Dominique (...)
- 45 Erving Goffman, Stigmate. Les usages sociaux du handicap, Paris, Éditions de Minuit, 1963.
20Pour le commandant, le plus important pour qu’un bagnard soit étiqueté comme un déviant à discipliner n’est pas qu’il soit une « crapule », mais qu’il soit muté sur ordre de sa hiérarchie41. Ces mots sont signifiants quant à l’opération de catégorisation qui vient justifier la sanction42. Institution disciplinaire et bureaucratique, l’armée ne cesse à travers ces opérations routinières d’étiquetage de classer les multiples dangers qu’elle identifie dans le monde social pour maintenir l’obéissance en son sein et combattre tout ce qui pourrait être assimilé à de la subversion. S’appuyant sur une vaste taxonomie actualisée au fil du temps, cet étiquetage qui se traduit matériellement par des fiches, des notations et des dossiers sur les personnels, cherche à détecter les militaires « nocifs » ou « douteux », quitte à construire des profils à partir d’une sociologie pour le moins incertaine et affectée par les effets de permanence d’une grille d’analyse forgée par des années de travail disciplinaire et de lutte contre-subversive. L’emploi en permanence des termes « tarés » et « pervers » à propos de ceux qui, à Aiton, sont regardés comme des anormaux43, illustre cette rémanence de pratiques anciennes déjà attestées dans les bagnes coloniaux, les sections disciplinaires et plus généralement dans la psychiatrie militaire des XIXe et XXe siècles44. Ces étiquettes, au-delà de leurs formulations maladroites et de leur ineptie pour notre regard contemporain mieux formé à la santé mentale, permettent de saisir ce qui, dans ces observations et leurs conséquences concrètes dans la discipline du bagne, fabrique à vif un sentiment de honte pour les concernés. Elles forment une expérience du « stigmate45 » qui n’est sans doute pas pour rien dans le silence qui a entouré le fort d’Aiton jusqu’à la fin des années 1960.
Le fort d’Aiton, un lieu politique dans la France de l’après Mai 68
- 46 Érik Neveu, Sociologie politique des problèmes publics, Paris, Armand Colin, 2015.
21Les recherches en sciences sociales ont depuis longtemps mis en évidence comment l’émergence d’un problème public repose sur une dimension médiatique et sur la mobilisation d’une pluralité d’acteurs pour le faire connaître46. Dans le cas du bagne d’Aiton, la presse, les intellectuels et les militants jouent un rôle bien mis en évidence par les sources médiatiques et politiques de l’époque. Elles mettent le doigt sur le hiatus entre une institution militaire immobile, conservatoire de pratiques disciplinaires d’un autre temps, et une société en mouvement devenue rétive aux procédures d’exception et aux violences de l’arbitraire.
- 47 « Le procès de deux déserteurs devient celui des méthodes employées à la compagnie disciplinaire du (...)
- 48 Arsène Altmeyer, Jean-Marc Villermet, J’ai été disciplinaire au fort d’Aiton…, op. cit., pp. 206-20 (...)
22Dès les premières années de la CSTM, de rares informations ont filtré sur les méthodes employées à Aiton, sans que rien ne change cependant47. Il faut en fait attendre 1970 pour qu’une campagne réussisse à alerter l’opinion publique lorsque des témoignages d’anciens disciplinaires – dont celui, anonyme, d’Arsène Altemeyer – et des enquêtes paraissent dans plusieurs journaux nationaux et régionaux, ainsi que sur des tracts et des feuilles militantes de tendance anarchiste ou libertaire. Des mobilisations s’organisent à proximité immédiate du fort dans le but de susciter une prise de conscience de la part de la population de la vallée de la Maurienne, et spécialement des 400 habitants d’Aiton qui observent le plus souvent ces bagnards avec méfiance48. C’est le sens d’un tract distribué dans le village en septembre 1969 :
- 49 SHD, GR 2 T 158 : Tract intitulé « Non aux bagnes militaires », 21 septembre 1969.
« "Biribi" ! Pas mort – Belle manchette pour la presse à sensation […] – Cayenne, la Guyane, les "Bat’ d’Af’" c’est paraît-il du passé, ce serait trop beau… Vous ignorez qu’ici en France, en ce moment, dans cette région, près de chez vous existent des bataillons disciplinaires où les hommes sont en danger de mort […].
Venez manifester dans le silence le dimanche 21 septembre à Aiton devant ce bagne militaire49. »
- 50 Dominique Kalifa, Biribi…, op. cit.
23La mémoire toujours vivace des bataillons d’Afrique montre que l’identité de la compagnie spéciale d’Aiton restait durablement associée aux souffrances provoquées par la relégation et la violence des « sections spéciales » d’Afrique du Nord. Ces bataillons disciplinaires d’hommes en armes, qui ont vu se succéder depuis 1832 des générations de soldats déviants dans le but de les châtier et, si possible, de les amender50, conservaient une réputation sulfureuse qui laissait encore des traces quelques années à peine après la fin de la guerre d’Algérie. En parallèle, d’autres pratiques d’enfermement, fondées elles aussi sur des procédures d’exception, étaient encore dans les esprits comme le montre cette lettre adressée par un militant opposé au bagne au commandant de la CSTM :
- 51 SHD, GR 2 T 158 : Lettre d’André Ruff au commandant de la CTSM, le capitaine B., 25 mars 1972.
« Il nous semble important de continuer à informer l’opinion publique sur ce qui a existé […], car de la même façon les Français ont pris connaissance il y a 12 ans de l’existence des camps dit "d’assignation à résidence" où étaient enfermés et tabassés les suspects algériens51. »
- 52 Sur le sujet, voir Marc Bernardot, « Être interné au Larzac. La politique d’assignation à résidence (...)
- 53 Philippe Artières, Le peuple du Larzac, Paris, La Découverte, 2021, pp. 156-165.
24Faisant référence à l’internement administratif de milliers d’Algériens dans des camps, le plus souvent installés sur des sites militaires comme celui du Larzac, ces militants entendaient combattre l’occultation dont faisait l’objet le fort d’Aiton comme ils avaient auparavant lutté pour faire connaître le circuit répressif mis en œuvre pendant la guerre d’Algérie52. Si l’analogie avait ses limites en ce sens que les acteurs répressifs n’étaient pas les mêmes, elle montre toutefois la continuité de certains modes de contestation qui retrouvent à travers le temps les mêmes mobiles et les mêmes lieux de cristallisation. C’est à nouveau le cas à partir de 1971 sur le causse du Larzac, à l’occasion de la lutte contre le projet d’expansion du camp militaire53.
- 54 SHD, GR 2 T 158 : Lettre du gouverneur militaire de Lyon à Michel Debré, ministre d’État, 15 octobr (...)
- 55 SHD, GR 2 T 136 : Circulaire militante intitulée « Action sur Grenoble pour la suppression des bagn (...)
25La contestation du bagne vient donc de l’extérieur et a pour but de briser le silence et l’indifférence locale, ainsi que de s’assurer que nul ne puisse désormais ignorer ce qui s’y passe. Le refus de croire que l’armée traite ainsi ses soldats a pu cependant inspirer une certaine prise de distance à l’égard de ces dénonciations, d’autant qu’elles venaient de militants politiques issus le plus souvent des villes et appartenant à la nébuleuse d’extrême gauche. Informée de ces agissements qui se multiplient à l’automne 1969, la chaîne hiérarchique de l’armée de terre s’alarme et cherche à identifier le profil de ces contestataires : les « hippies » et « beatniks » sont cités dans les rapports, mais également « plusieurs organisations gauchisantes, telles les maoïstes et les objecteurs de conscience » de Grenoble, ainsi que les « milieux catholiques »54. Dans les années qui suivent, on voit se multiplier les distributions de tracts et les collages d’affiches, les lettres individuelles adressées au gouvernement, les contacts avec la presse, les syndicats et les Églises55.
- 56 Arnaud-Dominique Houte et Éric Fournier, L’antimilitarisme en France du XIXe siècle à nos jours, Pa (...)
- 57 Maurice Vaïsse, Le putsch d’Alger, Paris, Odile Jacob, 2021.
26La circulation des témoignages accablants sur Aiton au sein d’une jeunesse particulièrement réceptive parvient progressivement à retenir l’attention des médias, dans un contexte où l’antimilitarisme connaît un essor fulgurant depuis Mai 6856. Les questions militaires sont l’objet d’une politisation inédite et l’armée est devenue la cible commune de mouvements différents mais convergents, qu’ils soient révolutionnaires, antinucléaires, écologistes, pacifistes ou libertaires, et qui voient dans cette institution un symbole des rigidités du capitalisme et du régime gaullo-pompidolien qu’ils entendent combattre. Tous participent ainsi d’un mouvement antiautoritaire qui braque les projecteurs sur une armée qui vit au même moment une crise morale depuis son départ douloureux d’Algérie57.
- 58 René Backmann, « Biribi en Savoie », Le Nouvel Observateur, 30 mars 1970. Voir aussi Jérôme Gauthi (...)
- 59 JORF, Débats parlementaires – Assemblée nationale, séance du 7 octobre 1970, p. 4147.
- 60 René Dumont, À vous de choisir. La campagne de René Dumont, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1974, p. 7 (...)
- 61 SHD, GR 2 T 158 : Lettre du gouverneur militaire de Lyon à Michel Debré, ministre d’État, 5 mai 197 (...)
27La parution d’une enquête intitulée « Biribi en Savoie » dans Le Nouvel Observateur, suivie d’autres articles dans la presse nationale58, conduit des acteurs politiques et associatifs à se saisir du problème, à l’exemple de la Ligue des droits de l’homme par la voix de son président, Daniel Mayer, ou d’hommes politiques, comme Michel Rocard devant l’Assemblée nationale59 et, plus tard, de René Dumont au cours de l’élection présidentielle de 197460. Des journalistes, des avocats et des médecins soulignent l’impossibilité qui leur est faite de visiter les lieux, ce que l’armée de terre justifie par les « tendances gauchistes » qu’elle croit déceler chez eux61.
- 62 Michel Foucault, Dits et écrits. 1954-1988, vol. 3 : 1976-1979, Paris, Gallimard, 1994, p. 138.
- 63 Emmanuel Naquet, « Pour une nouvelle justice militaire. Actions et réflexions de la Ligue des Droit (...)
- 64 Entretien de l’auteur avec Guy Paris, avocat, membre de la LDH et du Comité droits et libertés dans (...)
- 65 Le contrôle des correspondances entre les disciplinaires et leur conseil était une violation du Cod (...)
28En rappelant à beaucoup un passé encore actuel, cette dénonciation d’un nouveau Biribi est aussi celle de la justice militaire. Pour les contempteurs qui, à gauche, s’engagent sur cette question, l’articulation dans leur discours entre les bagnes et les TPFA dispose d’une référence historique pesante pour l’institution militaire : l’affaire Dreyfus. Comme le rappelle Michel Foucault, « la justice militaire a traîné longtemps [cette] infamie62 » car la dégradation et la déportation au bagne d’un innocent incarnaient par excellence la répression et l’injustice pratiquées au sein de l’armée. Les arguments développés contre elle sous la IIIe République comme sous la Ve République montrent une grande similitude des critiques qui lui sont adressées63. La Ligue des droits de l’homme, créée pour défendre Dreyfus, continue de se mobiliser dans les années 1970 pour l’abolition de cette justice d’exception, dénoncée pour la sévérité de ses peines et ses procédure truffées d’anomalies64. De nombreux bagnards affectés à la CSTM avaient été jugés devant un TPFA, et leurs avocats dénonçaient les irrégularités de la procédure ainsi que le décachetage, à Aiton, de leur correspondance avec leurs clients, en violation de la loi65.
- 66 Philippe Artières, Laurent Quéro et Michelle Zancarini-Fournel, Le Groupe d’information sur les pri (...)
- 67 SHD, GR 2 T 158 : Note du cabinet du ministre pour l’état-major de l’armée de terre, 20 octobre 196 (...)
- 68 SHD, GR 2 T 158 : Lettre du gouverneur militaire de Lyon au CEMAT, 12 avril 1972.
29La pression sur les autorités monte d’un cran lorsqu’une bombe artisanale est retrouvée dans les locaux du fort d’Aiton. Cet attentat manqué – l’engin n’a pas explosé – attire derechef l’attention des médias lorsque la piste maoïste est envisagée : l’incident survient au moment même où s’ouvre le procès d’Alain Geismar, figure de la Gauche prolétarienne dissoute. Demandant un régime spécial reconnaissant leur statut de prisonnier politique, les maos multiplient les cocktails Molotov et les tirs de roquettes contre les prisons, dans un contexte où les mutineries dans une trentaine de centrales viennent pointer les dysfonctionnements du système carcéral. Les images d’occupation des toits des prisons marquent les esprits : désormais la prison est considérée comme une modalité du politique, et les intellectuels, à l’instar de Michel Foucault, annoncent leur soutien avec la création du Groupe d’information sur les prisons (GIP)66. Tandis que des tracts relatifs à Aiton qualifient les disciplinaires d’« esclaves contraints à se mutiner67 », les armées réalisent qu’il leur faut, selon le mot du gouverneur militaire de Lyon, « désamorcer la bombe Aiton68 ».
Une réforme du régime disciplinaire qui conduit à la fin du bagne
- 69 SHD, GR 2 T 158 : Lettre de Michel Debré, ministre d’État, à Daniel Mayer, président de la LDH, 19 (...)
- 70 Jérôme Perrier, Michel Debré, Paris, Ellipses, 2010.
30Cette campagne médiatique conduit le ministre d’État chargé de la Défense nationale, Michel Debré, à se saisir de la question à partir du printemps 1970. S’il ne prend jamais la parole publiquement sur le sujet et dément dans sa correspondance avec la Ligue des droits de l’homme les accusations portées contre la CSTM69, les archives militaires témoignent de l’intense activité qui saisit son cabinet et les différents états-majors concernés, ainsi que le suivi précis des décisions qu’il a ordonnées, signe du caractère sensible du dossier aux yeux des plus hautes autorités de l’État. Gaulliste orthodoxe, réformateur tous azimuts et homme de dossiers, Michel Debré connaît bien l’armée pour avoir été le Premier ministre du général de Gaulle pendant la guerre d’Algérie. Son influence personnelle dans la transformation de son ministère à partir de 1969 est très forte, contribuant à faire évoluer le lien entre les armées et la société à travers une série de réformes – Statut général des militaires, nouveau règlement de discipline générale des armées, Code du service national70.
31À partir du moment où son attention est attirée sur Aiton, le ministre ne relâche plus la pression sur la hiérarchie, et son cabinet, par l’entremise du conseiller juridique, est constamment à l’œuvre pour tenir la ligne de crête qu’il a fixée : en finir avec l’exception qui règne à la CSTM, mais ne rien dire publiquement qui puisse contribuer à affaiblir l’institution militaire.
- 71 SHD, GR 7 T 304 : Rapport de l’inspecteur de l’Infanterie sur l’inspection de la CSTM effectuée à A (...)
32Sur place, la situation tarde à évoluer. Un premier rapport lénifiant avait conclu fin 1969 qu’« il ne se passe absolument rien d’anormal à la CSTM », admettant tout juste que le régime du « calbot », jugé « inadapté » mais « indispensable », pouvait être revu pour « prévenir cette campagne » de presse71. En contrepoint, une inspection inopinée est réalisée par plusieurs membres du cabinet. Ses conclusions sont d’un tout autre ordre :
- 72 SHD, GR 2 T 158 : Fiche du cabinet du CEMAT, 21 avril 1970.
« Il semble que les objectifs impartis à la CSTM et sa finalité même aient été progressivement perdus de vue, puis déviés. En fait, selon le système actuel, la Compagnie est un pénitencier et les disciplinaires n’y sont pas considérés comme des soldats destinés, après un régime certes sévère, à réintégrer à court terme ou une formation militaire ou un milieu civil. En d’autres termes, seul l’aspect répressif, visant en premier lieu à éviter toute évasion ou toute collusion avec l’extérieur, y prédomine, à l’exclusion de toute préparation militaire et de toute autre alternative de récupération. Quel que soit le pessimisme que l’on peut avoir sur les chances d’une telle récupération, fût-elle partielle, quantitative comme qualitative, à partir d’hommes déjà très marqués par un passé chargé, parfois même très tarés, le spectacle d’un abandon moral aussi total reste affligeant72. »
- 73 Voir le dossier d’Émilie Guitard, Igor Krtolica, Baptiste Monsaingeon et Mathilde Rossigneux-Méheus (...)
33L’emploi du mot « récupération » est ici remarquable et rattache, là encore, le fort d’Aiton à une longue histoire militaire. Le terme, utilisé depuis la Première Guerre mondiale dans des acceptions variables (le fait d’aller récupérer les blessés sur le champ de bataille, mais aussi leur convalescence et la capacité à les remettre en état de servir, donc aussi, le cas échéant, leur « rééducation »), renvoyait ici à son envers, la catégorie des « irrécupérables73 », ceux qui, tout en étant dans l’obligation de servir, étaient relégués et exclus du service des armes afin de ne pas nuire à la partie jugée saine du corps militaire. Organiser l’exclusion des « irrécupérables » et des « tarés » – catégorie elle aussi coutumière dans les armées – devenait une nécessité au regard de l’expérience peu concluante d’Aiton, mais posait la question des textes qui permettaient ces mesures.
- 74 SHD, GR 7 T 304 : Lettre de Michel Debré, ministre d’État, au CEMAT, 29 juin 1970.
- 75 Ibid.
- 76 SHD, GR 7 U 3489.
34Fort de ces éléments, le ministre ordonne une « expérimentation » fondée sur de nouveaux principes et sur une nouvelle organisation. Il charge l’état-major de rédiger une nouvelle instruction relative aux unités spéciales, destinée à remplacer la précédente qui date de 193074. Son objectif est de mettre en harmonie l’instruction avec les nouveaux textes mis en œuvre parallèlement par le gouvernement dans le but d’assouplir la condition militaire. Il s’agit de faire de la compagnie spéciale non plus un centre pénitentiaire, mais une unité de formation militaire75. L’euphémisation des termes doit y participer : la « section de redressement » deviendrait la « section de ré-éducation » et le mot « disciplinaire » serait remplacé par celui de « soldat ». En découlent plusieurs conséquences pratiques : l’instruction militaire doit garder la primauté sur les autres activités, les travaux d’intérêt général doivent être validés par la voie hiérarchique, une formation scolaire et sociale doit être garantie, l’habillement de bagnard hérité des colonies – brodequins, guêtres, calot et bourgeron blanc – est abandonné tandis que les loisirs et visites des familles sont repensés. Le « calbot » est muré et d’importants travaux de réfection sont entrepris76.
- 77 Entretien de l’auteur avec Rémy Sautter, le 13 décembre 2023 à Paris. Après être entré au cabinet d (...)
35L’effort de l’administration est aussi dirigé vers les « petits cadres » de contact – sous-officiers et soldats non gradés du contingent – car, mis en cause à la fois dans la presse et dans les rapports, ils forment l’un des principaux obstacles au succès de cette réforme. Nombre des sous-officiers, marqués par leur expérience indochinoise, étaient affectés de longue date à Aiton et poursuivaient une carrière à part, isolée des évolutions d’ordre technique, social et juridique qui affectaient les armées au même moment. Le témoignage de Rémy Sautter paru dans Le Monde du 29 mars 1972 et intitulé « Les "joyeux" de Fort-Aiton » est à ce titre éclairant77. Affecté juste après le début de sa scolarité à l’ENA comme sous-lieutenant au 7e bataillon de chasseurs alpins de Bourg-Saint-Maurice, où il effectue son service militaire en 1968-1969, il commande une section d’instruction au sein de laquelle certaines recrues sont destinées à l’encadrement du fort d’Aiton. Il demande à visiter le fort d’Aiton car, intrigué par « le manque d’enthousiasme » des recrues, il a aussi remarqué que le système des incorporations recrutait pour Aiton les appelés ayant le score le plus faible au SIGYCOP, le profil médical d’aptitude utilisé par les médecins militaires afin de déterminer les facultés physiques et psychiques d’un individu. Le résultat de cette sélection conduisait les appelés du contingent les plus retardés et les plus dociles à rejoindre les anciens d’Indochine parmi les « petits cadres » d’Aiton. En sa qualité de militaire gradé, Rémy Sautter bénéficie d’une visite sans filtre par le commandement : témoin de vexations et de brimades, il remarque que le temps des « durs des Bat’ d’Af’ » semble être une « époque héroïque et malheureusement révolue que tous regrett[ent] » parmi l’encadrement.
- 78 SHD, GR 2 T 158 : Rapport de l’inspecteur de l’Infanterie, 27 septembre 1971.
- 79 SHD, GR 7 U 3489 et GR 2 T 158.
36Dans le cadre de la réforme, Michel Debré exige par conséquent la mise à l’écart du personnel mis en cause, obtient le changement des cadres lorsque ceux-ci ne croient pas à la libéralisation du régime des disciplinaires, et ordonne que les soldats non gradés du contingent soient privés du droit au commandement78. De 1970 à 1972, des visites régulières sont organisées pour s’assurer du respect de ces instructions : gouverneur militaire de la région, inspecteur général, représentants du cabinet et de l’état-major de l’armée de terre se succèdent à Aiton79.
- 80 SHD, GR 7 T 304 : Lettre du commandant de la division militaire au gouverneur militaire, 9 septembr (...)
37Le dernier obstacle à lever restait la refonte de l’instruction ministérielle régissant la vie au sein de la CSTM. Les états-majors firent valoir la spécificité du statut de militaire, avancèrent des arguties juridiques pour maintenir les mesures exorbitantes du droit commun, défendirent aussi la nécessité de conserver ce précieux « épouvantail » pour les militaires susceptibles d’y être envoyés80.
38En vain, et cela pour deux raisons de principe. La première tient à la personnalité de Michel Debré qui, en juriste du Conseil d’État, ne pouvait accepter l’amalgame d’appelés condamnés pour des infractions de droit commun (des voleurs, des assassins, des proxénètes…) et d’appelés condamnés après leur incorporation pour des faits relatifs à leur service militaire (insoumission, désertion, indiscipline…). Ce mélange entre des criminels, des déséquilibrés mentaux et des appelés réfractaires ou indisciplinés – dans une acception très large, on l’a vu, aux yeux de l’administration – risquait de faire d’Aiton, à l’image de la prison, « l’école du crime ».
- 81 Jean-Lucien Sanchez, À perpétuité…, op. cit.
- 82 SHD, GR 7 T 304 : Lettre de Michel Debré, ministre d’État, au CEMAT, 29 juin 1970.
39La deuxième raison tient à une philosophie de la sanction de plus en plus ancrée dans la société, mais à laquelle l’encadrement avait jusqu’ici refusé de croire : la rédemption d’un homme est possible tandis que l’élimination sociale d’un homme n’est plus tolérable. Il ne s’agit donc pas seulement d’humaniser le bagne en tentant d’en réguler la brutalité, comme l’administration a cherché à le faire tant de fois par le passé81, mais de défendre la dignité humaine en donnant la possibilité d’une réhabilitation et d’une deuxième chance. La nouvelle instruction ordonnée par Michel Debré le stipule : « chaque homme doit être a priori considéré comme récupérable82 ». Un précepte qui est suivi en 1981 lorsque, après la victoire de François Mitterrand et la nomination de Robert Badinter au ministère de la Justice, il est mis fin à la peine de mort et aux juridictions d’exception.
Conclusion
- 83 La même année que la section d’épreuve de la Légion étrangère (SELE), située à Corte en Corse, elle (...)
40Réformée en 1972, l’unité stationnée au fort d’Aiton perd son appellation de compagnie « spéciale », mettant un terme à la longue histoire de Biribi. Devenue la « 50e Compagnie d’Instruction », elle devient progressivement une unité comme les autres, ses effectifs s’éteignant progressivement, avant qu’elle ne soit dissoute définitivement en 197683. Dépourvue de toute finalité combattante, reconduite comme dispositif ultime de répression au sein des armées afin de retrancher de leurs rangs ceux qu’elles estiment inassimilables, la CSTM disparaît en même temps qu’un cycle se referme pour les armées. Héritière des premières compagnies de discipline qui étaient apparues en 1818 au moment même où était rétablie la conscription avec la loi Gouvion-Saint-Cyr, la forteresse d’Aiton fermait ses portes à l’heure d’une reconfiguration du service national qui marquait une moindre emprise sociale de l’activité militaire sur la population et une diversification des missions dévolues aux armées, au-delà de la seule finalité combattante. Ce choix des autorités participe de la volonté de donner une nouvelle image à l’institution militaire, dix ans après la fin de la guerre d’Algérie, alors que les forces armées traversent une crise morale et qu’une crise antimilitariste d’une ampleur inédite commence à poindre, avant qu’elle n’éclate complètement en 1974. De cette tension permanente entre une dimension citoyenne et intégratrice du service des armes et son envers, le pouvoir répressif des armées sur la longue durée, émerge dès lors un nouvel équilibre en faveur de la première.
- 84 Michel de Certeau, La Prise de parole et autres écrits politiques, Paris, Seuil, 1984.
- 85 Odile Roynette, « À la croisée des chemins : le Biribi de Dominique Kalifa », dans Arnaud-Dominique (...)
- 86 Dominique Kalifa, Biribi…, op. cit., p. 313.
- 87 Michel Foucault, « La vie des hommes infâmes », Dits et écrits, vol. 3, Paris, Gallimard, 1994, n° (...)
41Les débats qui entourent ce bagne montrent les permanences disciplinaires et pénitentiaires à l’œuvre à l’époque contemporaine entre les régimes politiques et viennent interroger le fonctionnement de la République française, partagée entre son attachement pour les libertés publiques et la réalité de pratiques répressives déléguées à une institution comme l’armée. À Aiton, l’histoire balbutie : dernier réduit de l’univers complexe et tentaculaire des bagnes militaires, ce fort, comme Biribi avant lui, repose sur un système lui-même relégué, retenant peu l’attention des pouvoirs publics, empêchant toute réforme jusqu’à ce que le scandale ne pousse à agir. Il avait ainsi fallu attendre, à la fin des années 1920, l’enquête d’Albert Londres pour soulever l’indignation collective, interpeller les autorités et mettre en œuvre une réforme du dispositif. Un demi-siècle plus tard, le fort d’Aiton était, comme ses devanciers, un lieu relégué aux marges du pays. Cette méconnaissance dont il était frappé ne résista cependant pas à l’émergence d’une société nouvelle après la Seconde Guerre mondiale dont Mai 1968 fut un brutal révélateur. Avec ce bagne, ce sont ces tensions secouant la France depuis la fin des guerres de décolonisation qui se donnent à voir. À l’heure de la « prise de parole84 », pour reprendre l’expression de Michel de Certeau, les « seuils de sensibilité [ont fait] bouger le curseur répressif85 ». Pourtant, comme le remarquait déjà Dominique Kalifa, « Biribi est un non-lieu de mémoire, qui ne semble relever qu’accessoirement de l’histoire nationale86 ». Frappé par le silence puis tombé dans l’oubli, le dernier bagne de l’armée française n’a pas encore livré toutes les histoires des individus qu’il enferma, mais les traces réunies, aussi minces et partielles soient-elles, permettent de donner une place, aux côtés des militants politiques et des intellectuels, des journalistes et des juristes, des militaires et des ministres, à « la vie des hommes infâmes87 ».
Notes
1 Service historique de la Défense (SHD), GR 2 T 158 : fiche à l’attention de Monsieur le Ministre d’État chargé de la Défense nationale, 25 avril 1970. « Marche ou crève » est en réalité une devise répandue parmi les militaires des bataillons d’Afrique du Nord – les Bat’ d’Af’ –, elle était tatouée sur la plante du pied droit. Voir Jean Graven, L’argot et le tatouage des criminels. Étude de criminologie sociale, Neuchâtel, Éditions de la Baconnière, 1962, pp. 76-81. Les mots « Adieu la vie » sont quant à eux les premiers du refrain de La chanson de Craonne.
2 Bruno Berthier et Robert Bornecque, Pierres fortes de Savoie, Montmélian, La Fontaine de Siloé, 2001, pp. 215-218.
3 SHD, GR 7 T 304 : Rapport de l’inspecteur de l’Infanterie sur l’inspection de la CSTM effectuée à Aiton le 23 décembre 1969.
4 Dominique Kalifa, Biribi. Les bagnes coloniaux de l’armée française, Paris, Perrin, 2016 [2009].
5 Les premières lignes de l’avant-propos du reportage sont les suivantes : « Biribi n’est pas mort. Il s’agit des pénitenciers militaires. » Albert Londres, Dante n’avait rien vu (Biribi), Paris, Albin Michel, 1924, p. 7.
6 Sur les résonances mémorielles liées à des expériences de détention traumatiques, voir Marc André, Une prison pour mémoire. Montluc, de 1944 à nos jours, Lyon, ENS Éditions, 2022.
7 Jean-Claude Vimont, La prison politique en France. Genèse d’un mode d’incarcération spécifique, XVIIIe-XXe siècles, Paris, Anthropos-Économica, 1993, p. 1.
8 Michel Pierre, Le temps des bagnes. 1748-1953, Paris, Tallandier, 2017, p. 142. Voir également du même auteur Bagnards. La terre de la grande punition. Cayenne, 1852-1953, Paris, Autrement, 2000 [Ramsay, 1982].
9 Mathilde Rossigneux-Méheust et Elsa Génard (dir.), Routines punitives. Les sanctions du quotidien XIXe-XXe siècle, Paris, CNRS Éditions, 2023.
10 Dominique Kalifa, Biribi…, op. cit.
11 René Backmann, « Biribi en Savoie », Le Nouvel Observateur, 30 mars 1970.
12 Sylvie Thénault, Une drôle de justice. Les magistrats dans la guerre d’Algérie, Paris, La Découverte, 2001. Sur un autre plan, voir aussi Vanessa Codaccioni, Justice d’exception. L’État face aux crimes politiques et terroristes, Paris, CNRS Éditions, 2015.
13 Marius Loris, Désobéir en guerre d’Algérie. La crise de l’autorité dans l’armée française, Paris, Éditions du Seuil, 2023. Sur les insoumis, voir Tramor Quemeneur, « Une guerre sans “non” ? Insoumissions, refus d’obéissance et désertions de soldats français pendant la guerre d’Algérie (1954-1962) », thèse de doctorat sous la direction de Benjamin Stora, Université Paris 8, 2007.
14 Raphaëlle Branche, La guerre d’Algérie : une histoire apaisée ?, Paris, Éditions du Seuil, 2005.
15 Que l’on pense aux thèses en cours de Victor Delaporte sur le mouvement de défense de l’Algérie française et de Vincent Rébeillé sur les officiers-auteurs vétérans des guerres de décolonisation.
16 La bibliographie est vaste : voir Michelle Zancarini-Fournel, Le moment 68. Une histoire contestée, Paris, Éditions du Seuil, 2008.
17 Maxime Launay, « Une armée nouvelle ? La gauche et l’armée française, 1968-1985. Antimilitarisme, libertés publiques et défense nationale », thèse de doctorat en histoire contemporaine soutenue sous la direction d’Olivier Dard, Sorbonne Université, 2022.
18 Erving Goffman, Asiles. Études sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus, Paris, Éditions de Minuit, 1968, et Michel Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975.
19 SHD, archives des régiments et organismes de l’armée de terre : GR 7 U 3451, CSTM (janvier 1971-mars 1972) et GR 7 U 3489, 50e compagnie d’instruction (avril 1972-mai 1976). On compte par ailleurs une poignée de documents parlementaires (des questions au gouvernement ou des lignes consacrées à Aiton dans des rapports, à l’exemple du n° 1597 du 2 avril 1971).
20 Dominique Kalifa a ainsi consacré un passage au fort d’Aiton dans les dernières pages de son Biribi en se fondant sur ces sources imprimées des années 1970. Dominique Kalifa, Biribi…, op. cit., pp. 61-62.
21 Ils sont publiés le plus souvent à compte d’auteur et avec un tirage limité : Bernard Cornet, Le bagne au fort d’Aiton, Courtomer, ABM Éditions, 2010 ; Jean-François Garcia, Rescapé des camps disciplinaires, Algérie (1959-1962), Saint-Amans, 2012 et Lucien Palomarès, Tarik Es Salama de Casablanca – Histoire de famille, Éditions Ma Vie, 2012. À noter enfin le témoignage important d’Arsène Altmeyer et le travail réalisé sur cette source par Jean-Marc Villermet dans J’ai été disciplinaire au fort d’Aiton, Bière, Cabédita, 2019, sur lequel nous revenons plus bas.
22 SHD, cabinet de chef d’état-major de l’armée de terre : GR 2 T 158, Unités disciplinaires du Fort d’Aiton (1968-1972) ; GR 2 T 136, Études sur le moral (1969-1972) ; GR 7 T 304, Bureau des personnels civils, Sections effectifs-recrutement et législation-personnels : sections puis compagnies spéciales, dont Aiton (1943-1972).
23 Jusqu’ici, il convenait de procéder à une demande d’accès anticipé par dérogation au délai de communicabilité de cinquante ans, selon les conditions prévues au I de l’article L213-2 du code du patrimoine, mais l’administration opposait un refus aux demandes de communication : voir l’avis 20180419 de la commission d’accès aux documents administratifs du 31 mai 2018 (https://cada.data.gouv.fr/20180419/, lien consulté le 22 mai 2024).
24 Nous tenons à remercier très sincèrement les différents personnels du SHD qui nous ont permis de consulter ces cartons.
25 Jean-Claude Vimont, La prison politique en France…, op. cit., p. 1.
26 Arsène Altmeyer, Jean-Marc Villermet, J’ai été disciplinaire au fort d’Aiton…, op. cit. Le manuscrit est désormais conservé dans les collections des Archives départementales de la Savoie. Nos remerciements vont à Jean-Marc Villermet qui a bien voulu nous éclairer sur l’histoire exceptionnelle de ce livre.
27 Ibid., p. 24 sqq.
28 Ibid., p. 156.
29 Ibid., p. 74.
30 Jean-Lucien Sanchez, À perpétuité. Relégués au bagne de Guyane, Paris, Vendémiaire, 2013.
31 Cette description est recoupée en tout point par le rapport de l’inspecteur de l’Infanterie rédigé à la suite de sa visite à Aiton le 23 décembre 1969 (SHD, GR 7 T 304), ainsi qu’avec les récits parus dans la presse et dans le livre d’André Ruff, Gérard Simonnet et Michel Tachon, Les bagnes de l’armée française (fort Aiton, c.i.l.a., etc.), Paris, Maspero, 1971.
32 SHD, GR 7 T 304 : Rapport de l’inspecteur de l’Infanterie sur l’inspection de la CSTM, op. cit.
33 Ibid.
34 André Ruff, Gérard Simonnet, Michel Tachon, Les bagnes de l’armée français…, op. cit.
35 Michel Foucault, Surveiller et punir…, op. cit., p. 160 et 166.
36 Mathilde Rossigneux-Méheust et Elsa Génard (dir.), Routines punitives, op. cit., pp. 8-9.
37 SHD, GR 7 U 3451 et GR 7 U 3489.
38 Erving Goffman, Asiles, op. cit.
39 Arsène Altmeyer, Jean-Marc Villermet, J’ai été disciplinaire au fort d’Aiton…, op. cit., p. 126.
40 Ibid.
41 Howard Becker, Outsiders. Études de la sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 2020 [1963], p. 32.
42 Michel Foucault, Surveiller et punir…, op. cit., p. 174.
43 SHD, GR 2 T 158 : Fiche du cabinet du CEMAT, 21 avril 1970 ; SHD, GR 7 T 304 : Lettre du général de la 51e division militaire au gouverneur militaire de Lyon, 9 septembre 1970.
44 André Fribourg-Blanc, La pratique psychiatrique dans l’armée, Paris, Lavauzelle, 1935, et Dominique Kalifa, « Chapitre 9. Le "résidu des hommes tarés" ? », dans id., Biribi…, op. cit., pp. 289-311.
45 Erving Goffman, Stigmate. Les usages sociaux du handicap, Paris, Éditions de Minuit, 1963.
46 Érik Neveu, Sociologie politique des problèmes publics, Paris, Armand Colin, 2015.
47 « Le procès de deux déserteurs devient celui des méthodes employées à la compagnie disciplinaire du fort d’Aiton », Le Monde, 31 octobre 1963.
48 Arsène Altmeyer, Jean-Marc Villermet, J’ai été disciplinaire au fort d’Aiton…, op. cit., pp. 206-207. Jean-Marc Villermet, dans une analyse très fouillée, montre au contraire la très bonne insertion de la compagnie dans son environnement et les bonnes relations entre le commandement du fort et la municipalité. Il suggère aussi que le fort apportait localement des avantages économiques et matériels.
49 SHD, GR 2 T 158 : Tract intitulé « Non aux bagnes militaires », 21 septembre 1969.
50 Dominique Kalifa, Biribi…, op. cit.
51 SHD, GR 2 T 158 : Lettre d’André Ruff au commandant de la CTSM, le capitaine B., 25 mars 1972.
52 Sur le sujet, voir Marc Bernardot, « Être interné au Larzac. La politique d’assignation à résidence surveillée durant la guerre d’Algérie (1958-1962) », Politix, 69/1, 2005, pp. 39-61 ; Sylvie Thénault (coord.), « L’internement en France pendant la guerre d’indépendance algérienne », Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 92, 2008, pp. 1-6.
53 Philippe Artières, Le peuple du Larzac, Paris, La Découverte, 2021, pp. 156-165.
54 SHD, GR 2 T 158 : Lettre du gouverneur militaire de Lyon à Michel Debré, ministre d’État, 15 octobre 1969 ; SHD, GR 2 T 136 : Lettre du chef d’état-major de l’armée de terre à Michel Debré, ministre d’État, 8 mars 1972.
55 SHD, GR 2 T 136 : Circulaire militante intitulée « Action sur Grenoble pour la suppression des bagnes militaires », 24 février 1972.
56 Arnaud-Dominique Houte et Éric Fournier, L’antimilitarisme en France du XIXe siècle à nos jours, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2023.
57 Maurice Vaïsse, Le putsch d’Alger, Paris, Odile Jacob, 2021.
58 René Backmann, « Biribi en Savoie », Le Nouvel Observateur, 30 mars 1970. Voir aussi Jérôme Gauthier, « Fort Aiton », Le Canard enchaîné, 6 mai 1970.
59 JORF, Débats parlementaires – Assemblée nationale, séance du 7 octobre 1970, p. 4147.
60 René Dumont, À vous de choisir. La campagne de René Dumont, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1974, p. 75.
61 SHD, GR 2 T 158 : Lettre du gouverneur militaire de Lyon à Michel Debré, ministre d’État, 5 mai 1971.
62 Michel Foucault, Dits et écrits. 1954-1988, vol. 3 : 1976-1979, Paris, Gallimard, 1994, p. 138.
63 Emmanuel Naquet, « Pour une nouvelle justice militaire. Actions et réflexions de la Ligue des Droits de l’Homme de l’affaire Dreyfus aux années trente », dans Virginie Albe, Jacques Commaille et Florent Le Bot (dir.), L’échelle des régulations politiques, XVIIIe-XXIe siècles, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2019.
64 Entretien de l’auteur avec Guy Paris, avocat, membre de la LDH et du Comité droits et libertés dans l’institution militaire, le 8 mars 2018, à Paris.
65 Le contrôle des correspondances entre les disciplinaires et leur conseil était une violation du Code de procédure pénale. Le ministre interdit par conséquent tout décachetage, malgré les résistances initiales de l’armée. SHD, GR 7 T 304 : Lettre du ministre des Armées au gouverneur militaire de Lyon, 27 août 1964.
66 Philippe Artières, Laurent Quéro et Michelle Zancarini-Fournel, Le Groupe d’information sur les prisons. Archives d’une lutte. 1970-1972, Paris, Éditions de l’IMEC, 2003.
67 SHD, GR 2 T 158 : Note du cabinet du ministre pour l’état-major de l’armée de terre, 20 octobre 1969.
68 SHD, GR 2 T 158 : Lettre du gouverneur militaire de Lyon au CEMAT, 12 avril 1972.
69 SHD, GR 2 T 158 : Lettre de Michel Debré, ministre d’État, à Daniel Mayer, président de la LDH, 19 janvier 1970.
70 Jérôme Perrier, Michel Debré, Paris, Ellipses, 2010.
71 SHD, GR 7 T 304 : Rapport de l’inspecteur de l’Infanterie sur l’inspection de la CSTM effectuée à Aiton le 23 décembre 1969.
72 SHD, GR 2 T 158 : Fiche du cabinet du CEMAT, 21 avril 1970.
73 Voir le dossier d’Émilie Guitard, Igor Krtolica, Baptiste Monsaingeon et Mathilde Rossigneux-Méheust, « Les irrécupérables », Tracés. Revue de Sciences humaines, n° 37, 2019.
74 SHD, GR 7 T 304 : Lettre de Michel Debré, ministre d’État, au CEMAT, 29 juin 1970.
75 Ibid.
76 SHD, GR 7 U 3489.
77 Entretien de l’auteur avec Rémy Sautter, le 13 décembre 2023 à Paris. Après être entré au cabinet de Charles Hernu en 1981, il rejoint Havas puis RTL, dont il fut pendant plusieurs décennies l’un des principaux dirigeants.
78 SHD, GR 2 T 158 : Rapport de l’inspecteur de l’Infanterie, 27 septembre 1971.
79 SHD, GR 7 U 3489 et GR 2 T 158.
80 SHD, GR 7 T 304 : Lettre du commandant de la division militaire au gouverneur militaire, 9 septembre 1970.
81 Jean-Lucien Sanchez, À perpétuité…, op. cit.
82 SHD, GR 7 T 304 : Lettre de Michel Debré, ministre d’État, au CEMAT, 29 juin 1970.
83 La même année que la section d’épreuve de la Légion étrangère (SELE), située à Corte en Corse, elle aussi rapatriée d’Algérie après les accords d’Évian.
84 Michel de Certeau, La Prise de parole et autres écrits politiques, Paris, Seuil, 1984.
85 Odile Roynette, « À la croisée des chemins : le Biribi de Dominique Kalifa », dans Arnaud-Dominique Houte (dir.), Les belles époques de Dominique Kalifa, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2024, p. 70.
86 Dominique Kalifa, Biribi…, op. cit., p. 313.
87 Michel Foucault, « La vie des hommes infâmes », Dits et écrits, vol. 3, Paris, Gallimard, 1994, n° 198, 1977, p. 237 sqq.
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Référence électronique
Maxime Launay, « « Biribi en Savoie » : la fin du dernier bagne de l’armée française (Fort d’Aiton, 1972) », Histoire Politique [En ligne], 52 | 2024, mis en ligne le 01 juin 2024, consulté le 11 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoirepolitique/17408 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11vu0
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