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La société d’économie politique de Lyon (1859-1929) : itinéraire d’un groupe d’influence représentatif du libéralisme anglophile français

The Société d'économie politique de Lyon (1859-1929): the itinerary of a french anglophile and liberal lobby
Antonin Andriot

Résumés

Fondée en 1866, la Société d’économie politique de Lyon est la deuxième du genre après celle de Paris en 1841. Rassemblant dès ses origines l’essentiel des milieux d’affaires du Rhône, notamment dans les milieux de la banque et de la soierie, ses membres se donnent pour tâche de promouvoir le libéralisme économique et plus particulièrement le libre-échange, afin de développer les échanges commerciaux de leur ville. Très vite, compte tenu des atouts industriels lyonnais, les ambitions deviennent nationales et internationales, et les personnages les plus influents de la région comme Henri Germain, Édouard Aynard ou Auguste Isaac s’investissent pour renforcer les liens avec le voisin britannique. Par intérêt commercial mais aussi par sympathie libérale, la société d’économie politique de Lyon va pour longtemps devenir un bastion de l’anglophilie en France, enviant la politique douanière britannique, copiant la politique sociale du Royaume-Uni et poussant à faire des deux pays des partenaires incontournables.

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Texte intégral

  • 1 Fondée en 1702, la Chambre de commerce de Lyon est logiquement très impliquée dans la promotion de (...)
  • 2 Jean-François Berdah, « Henri Germain (1824-1905) : un banquier en politique », dans Jean-François (...)
  • 3 Jean-François Sirinelli, Pascal Ory, Les intellectuels en France. De l’affaire Dreyfus à nos jours, (...)

1Fondée le 22 février 1866, la Société d’économie politique de Lyon (SEPL) se donne immédiatement pour objectif de fédérer les différents milieux d’affaires rhodaniens autour d’objectifs communs. Tout comme la chambre de commerce, à laquelle elle est intimement liée, la SEPL entend devenir un organe de représentation influent des intérêts économiques de la région, notamment dans les incontournables domaines de la soie et de la banque1. Henri Germain, co-fondateur du Crédit lyonnais et issu d’une famille de soyeux, fait ainsi partie des membres fondateurs. C’est tout sauf un hasard si la SEPL s’installe dès ses origines dans le quartier du flambant neuf palais du Commerce, terminé en 1860, qui est également celui du siège social du Crédit lyonnais2. Le conseiller à la cour d’appel de Lyon, Émile Valantin, devient le premier président de la SEPL jusqu’en 1872, avant que ne lui succède l’ancien notaire Pierre Piaton, issu d’une famille de teinturiers sur soie. Banque, négoce, industrie et droit sont bien dès les origines les piliers de cette société dont on peut affirmer qu’elle constitue également un bastion du libéralisme. En complément des actions pratiques menées par la chambre de commerce pour dynamiser l’activité locale, les réunions hebdomadaires de la SEPL composent de façon assumée l’armature théorique, intellectuelle, disons métapolitique que ses membres souhaitent donner à leurs actions. En cela également, elle est typique de pratiques propres aux élites de cette époque3.

  • 4 Archives départementales du Rhône (AD Rhône), 1 ETP 271, Comptes-rendus des travaux de la CCI de Ly (...)

2Nous connaissons mal les détails de sa création car peu d’archives concernent les dix premières années de son existence : ce n’est en effet qu’en 1876 que Paul Rougier, son secrétaire général, décide de publier chaque année un compte-rendu analytique de l’ensemble des séances. À partir de cette date, où l’on dénombre cent quatre-vingt-neuf membres, il devient possible d’analyser les activités de la SEPL, principalement de la réflexion, du conseil et de l’investissement dans le but de développer le capitalisme industriel dans le cadre libéral. On ne sera pas surpris dès lors d’y trouver de fréquentes remises en cause de tout type d’intervention de l’État dans les affaires économiques et sociales, des soutiens répétés au libre-échange, et plus original, une constante volonté de renforcer la relation franco-britannique. En effet, Auguste Isaac, dirigeant de l’entreprise lyonnaise de tulles et dentelles Dognin et Cie, qualifie sa ville de « Manchester de la France » en 1903, en référence à leur semblable précocité industrielle et libre-échangiste4. Les milieux d’affaires lyonnais se rêvent ainsi en pionniers de l’importation d’un modèle britannique, y compris dans leur intérêt prêté aux enjeux ouvriers, et entendent plus prosaïquement garantir de fructueuses relations commerciales avec le voisin d’outre-Manche.

3Les publications annuelles de la SEPL fourmillent d’éléments sur les relations entretenues avec les cercles économiques britanniques, mais aussi d’analyses de tous ordres sur le Royaume-Uni et ses colonies. La correspondance et les délibérations de l’assemblée générale de la chambre de commerce proposent en outre un tableau des réseaux tissés de la Manche au Rhône, en particulier dans le textile, ainsi que des appels répétés à faire avancer le projet de tunnel sous la Manche. En somme, tout cela résume assez bien les activités de lobbying caractéristiques des cercles libéraux. Si ces derniers, à l’instar des Lyonnais Auguste Isaac ou Édouard Aynard, ne sont pas toujours opposés à l’idée d’intégrer l’arène politique en tant qu’élus, beaucoup d’autres lui préfèrent des activités d’influence métapolitique et civile, à travers la presse ou les associations. Ils s’inscrivent en cela dans l’héritage du libéralisme « classique » français, né au milieu du XIXe siècle autour du Journal des Économistes et de personnalités comme Frédéric Bastiat, qui place le progrès économique par l’initiative privée comme préalable à tout autre changement. Les libéraux sont intrinsèquement partisans à la fois de l’ordre politique et du mouvement économique, rejetant les solutions radicales, privilégiant la stabilité et la réforme à la rupture, mais pensant que les sociétés évoluent par le progrès continu vers une certaine forme de modernité. Il s’agit donc de tenter de mieux comprendre le parcours de cette famille politique à travers celui de la SEPL, son degré d’influence ainsi que ses pratiques dans la France des années 1860 jusqu’à la veille de la crise de 1929.

Un milieu lyonnais favorable aux idées libérales

Une école de l’économie politique

  • 5 Nicholas C. Edsall, Richard Cobden, Independent Radical, Cambridge, Harvard University Press, 1986.
  • 6 Louis Girard, Les libéraux français 1814-1875, Paris, Aubier, 1985, p. 141.
  • 7 Frédéric Bastiat, Œuvres complètes, tome 2, Paris, Guillaumin et Cie, 1862 [1854], p. 15.

4Les années 1860, durant lesquelles est fondée la SEPL, sont plus largement une période d’ébullition intellectuelle européenne autour de l’économie politique, démarrée vingt ans plus tôt. Il faut remonter en 1838, du côté du Royaume-Uni, pour voir le manufacturier Richard Cobden fonder la ligue de Manchester, aussi appelée Anti-Corn Law League en raison de son appel à supprimer les taxes douanières sur les grains5. C’est cette organisation, après un intense lobbying libre-échangiste, qui finit par convaincre le Premier ministre Robert Peel d’abolir les fameuses Corn Laws en 1846, recomposant au passage les équilibres de l’échiquier politique à Westminster. Ce puissant courant, d’ailleurs parfois nommé « manchestérien », donne au libéralisme « classique » européen une nouvelle impulsion durant la seconde moitié du XIXe siècle. En France, concomitamment à la création de la Société d’économie politique de Paris à la toute fin de l’année 1841, le Journal des Économistes est créé par l’éditeur Gilbert Guillaumin et le professeur d’économie à l’École supérieure de commerce de Paris Joseph Garnier6. Il faut ajouter à ce duo l’influence déterminante exercée par Frédéric Bastiat, issu d’une famille de négociants des Landes. Admirateur de l’œuvre de Richard Cobden, il fonde une association pour la liberté des échanges en mai 1846 et publie continuellement jusqu’à sa mort en 1850 des articles dans le Journal des Économistes7. Revendiquant bien sûr l’héritage des physiocrates et de Turgot en France, mais peut-être davantage encore celui des « classiques » Adam Smith et David Ricardo, puis de la ligue de Manchester, cette école française de l’économie politique devient rapidement le groupe d’influence privilégié en charge de la défense de la liberté commerciale, fédérant assez logiquement autour de lui une myriade d’acteurs économiques.

5La SEPL s’inscrit dans une semblable vocation : il s’agit en particulier, pour le président de la chambre de commerce de Lyon Joseph Brosset, de mieux faire connaître l’économie politique comme seule science explicative valable :

  • 8 AD Rhône, 1 ETP 239, Comptes-rendus des travaux de la CCI de Lyon, 1864, pp. 74-75. Joseph Brosset (...)

« Cette science offre aujourd’hui une réunion de notions fixes sur lesquelles il n’y a plus à revenir et qui constituent la vérité économique8. »

  • 9 Justine Tentoni, « Repousser les dangereux éléments : les autorités contre les faubourgs, Lyon 1830 (...)
  • 10 Pour un descriptif détaillé des membres de la SEPL, voir le travail prosopographique de Martine Fra (...)
  • 11 Maurice Vaïsse (dir.), L’Entente cordiale. De Fachoda à la Grande Guerre : dans les archives du Qua (...)
  • 12 Gendre de Michel Chevalier, plusieurs fois primé par l’Académie des sciences morales et politiques (...)
  • 13 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1876-1877 », Société d’économie politiqu (...)
  • 14 AD Rhône, 1 ETP 239, Comptes-rendus des travaux de la CCI de Lyon, 1864, p. 78. Ancien fouriériste (...)
  • 15 Lucette Le Van-Lemesle, Le Juste ou le Riche. L’enseignement de l’économie politique, 1815-1950, Pa (...)

6Selon lui, il s’agit de reprendre l’œuvre de lutte contre les diverses utopies socialistes, amorcée en 1848, mais aussi de conseiller au mieux les patrons d’industrie dans leurs décisions. Il faut dire qu’avec son rôle industriel particulier, Lyon occupe un statut à part au sein des grandes villes de province, de sorte que la croissance du monde ouvrier y est importante, notamment du côté de la Croix-Rousse et de La Guillotière9. En l’absence d’archives précises concernant la création de la SEPL, nous ne pouvons effectuer un premier bilan qu’après dix ans d’activités, en 1876. Forte de cent quatre-vingt-neuf membres, elle compte des représentants des grandes familles lyonnaises de la banque, de la soie, du négoce, menant parfois une carrière politique en parallèle comme Édouard Aynard, Oscar Galline, Paul Barral, Louis Desgrand, François Feroldi, Auguste Isaac, Louis Andrieux, Henri Germain ou Philippe Le Royer10. Les ingénieurs et avocats sont également bien représentés. Les principales activités de la Société consistent à rendre des rapports sur la vie commerciale de la ville et du pays, à proposer des projets pour l’améliorer, dont les plus notables sont alors l’idée d’un chemin de fer sous-marin reliant la France au Royaume-Uni11 ainsi que l’ouverture de chambres de commerce à l’étranger, mais aussi l’organisation depuis peu d’un banquet annuel recevant un prestigieux invité. En 1877, c’est le rédacteur en chef de L’Économiste français, Paul Leroy-Beaulieu, qui est reçu12. À cette occasion, il rappelle que « la Société d’économie politique de Lyon est, avec celle de Paris, la seule qui existe en France13 » et déplore, comme son auditoire, l’encore trop faible présence des idées libérales dans le débat public d’un point de vue économique. Pourtant, en juin 1864, la chambre de commerce de Lyon avait invité le professeur Henri Dameth à venir dispenser des cours publics hebdomadaires d’économie politique, s’enorgueillissant de recevoir en moyenne un millier d’auditeurs14. Cela avait participé à convaincre le pouvoir impérial d’autoriser la création de chaires d’économie politique aux facultés de droit de Paris et de Lyon en décembre de la même année15.

7Durant les années 1860-1870, la SEPL se donne donc pour tâche essentielle de mieux faire connaître ses principes dans l’espoir que sa science de l’économie soit davantage utilisée, mais surtout que son projet de société fondée sur la liberté des échanges, des entrepreneurs et des individus, en somme le sacro-saint « laissez-faire, laissez-passer », puisse être pleinement appliqué. Cette perspective théorique se nourrit de solides exigences commerciales, mais se heurte également à des réalités politiques plus prosaïques.

Une structure anglophile dès ses origines

  • 16 Romain Trichereau, « Analyse du processus d’une prise de décision : Napoléon III et le traité de co (...)
  • 17 Pierre Rosanvallon, La démocratie inachevée. Histoire de la souveraineté du peuple en France, Paris (...)
  • 18 AD Rhône, 1 ETP 239, Comptes-rendus des travaux de la CCI de Lyon, 1869, p. 149.
  • 19 Archives nationales (AN), fonds Jules Simon, 87 AP 10, notes personnelles sur les traités de commer (...)

8Créée sous le Second Empire, la SEPL doit composer avec un pouvoir politiquement autoritaire, qui tente au tournant des années 1860 de capter certaines idées issues de l’économie politique pour se draper d’une volonté d’ouverture. Conseillé par l’influent Michel Chevalier, titulaire de la chaire d’économie politique du Collège de France, Napoléon III ouvre à la fin de l’année 1859 des négociations douanières avec Londres par l’intermédiaire de Richard Cobden, qui aboutissent à la signature d’un traité le 23 janvier 186016. Cet accord « Cobden-Chevalier », largement imaginé par ces deux défenseurs du libéralisme, réduit fortement les taxes sur les échanges franco-britanniques, au point que l’on a pu abusivement parler de libre-échange. Les grandes chambres de commerce du pays, comme celles de Paris, Lyon ou encore Bordeaux, défendent de façon assez nette cet accord, alors que nombre d’autres libéraux français ne sont pas dupes, le considérant comme une concession économique mineure de la part de Napoléon III pour mieux étrangler la liberté politique17. La chambre de commerce de Lyon défend encore en 1869 sa ratification18, au motif qu’elle favorise de meilleures relations avec les Britanniques après les annexions de Nice et de la Savoie, et plus largement parce qu’elle permet un progrès commercial pour la France. Les soyeux y sont par exemple favorables dans la mesure où leurs exportations s’en trouvent améliorées. Force est de constater que les années 1860 sont une période faste pour la liberté commerciale puisque treize autres accords douaniers sont signés avec diverses nations européennes19.

  • 20 Auguste Chérot, « Du mouvement commercial entre la France et l’Angleterre », Journal des Économiste (...)
  • 21 AD Rhône, 1 ETP 248, Comptes-rendus des travaux de la CCI de Lyon, 1880, p. 73.
  • 22 Maurice Vaïsse (dir.), L’Entente cordiale…, op. cit., p. 104.
  • 23 National archives, Kew, FO27/2901, Report of the Commissioners for the Channel Tunnel and Railway, (...)

9Lorsque le pouvoir bonapartiste s’effondre en 1870, les différents représentants de l’économie politique doivent composer avec cet héritage ambigu. Si des organisations comme la SEPL ont constamment défendu ce que beaucoup d’autres ont considéré comme un « coup d’État douanier », en raison de sa signature unilatérale par l’empereur sans consultation du pouvoir législatif, c’est tout simplement parce qu’il servait leurs intérêts. À titre d’exemple, entre 1869 et 1873, les exportations de France au Royaume-Uni augmentent de 411 millions de livres sterling, les importations du Royaume-Uni vers la France de 177 millions de livres, auxquelles il faut ajouter 330 millions de produits coloniaux transitant par Londres20. Les produits privilégiés par les Britanniques sont les matières premières agricoles, les alcools et les tissus : encore en 1880, la soierie essentiellement lyonnaise exporte pour plus de 13 millions de livres de marchandises outre-Manche, ce qui explique l’activisme anglophile des milieux d’affaires rhodaniens21. La France s’approvisionne en retour en tissus manufacturés, en houille et en métaux. Si les relations franco-britanniques sont donc incontournables à cette époque, c’est aussi parce que leur dépendance commerciale réciproque est avérée. Quel meilleur exemple dans ce domaine que l’activisme avec lequel la SEPL essaie de lancer le chantier d’un tunnel sous la Manche ? Depuis la première proposition remontant à 1802, jusqu’à la création de la Channel Tunnel Company en 1872 puis de la Compagnie du chemin de fer sous-marin entre la France et l’Angleterre en 1875 sous la présidence de Léon Say, de nombreux projets ont été imaginés par les ingénieurs pour donner jour à cette infrastructure ambitieuse22. Un rapport est d’ailleurs rendu le 31 mai 1876 par des responsables des deux pays réunis en commission, incluant un mémorandum qui pourrait servir de base à un futur traité actant le début de travaux23. Pour les milieux d’affaire lyonnais, c’est une étape incontournable pour dynamiser encore davantage le commerce franco-britannique et offrir un argument supplémentaire en faveur du libre-échange. Une étude commandée par la SEPL conclut en 1877 à la faisabilité d’un tel projet :

  • 24 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1876-1877 », Société d’économie politiqu (...)

« Il importait d’en finir avec les doutes qui faisaient naître la possibilité d’un ouvrage reliant la France à l’Angleterre, en supprimant tous les obstacles qui, jusqu’ici, ont entravé les rapports entre les deux peuples qui ont peut-être le plus besoin l’un de l’autre, et sont le mieux disposés à confondre leurs intérêts et à associer leurs efforts24. »

  • 25 Réunion de la Société d’économie politique de Paris du 6 juillet 1885, Journal des Économistes, jui (...)
  • 26 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1884-1885 », Société d’économie politiqu (...)

10Sous la Troisième République, la SEPL s’inscrit donc avec un peu plus de solidité dans les réseaux libéraux et anglophiles nationaux, conformément aux attentes économiques d’une ville investie dans le commerce international. Contrairement à son homologue parisienne, elle ne bénéficie toutefois pas encore réellement d’une aura reconnue dans tout le pays. En dehors d’Édouard Aynard ou d’Henri Germain, peu de ses membres peuvent se vanter d’avoir une stature influente jusque dans les milieux parisiens et de côtoyer les principaux représentants nationaux du libéralisme que sont alors Léon Say, Hippolyte Passy et son neveu Frédéric Passy, Yves Guyot, Paul Leroy-Beaulieu, Jean-Gustave Courcelle-Seneuil ou encore Henri Baudrillart. Ces différentes personnalités sont en 1884 à l’origine de la création de la Ligue nationale contre le renchérissement du pain et de la viande, explicitement définie comme « anti-protectionniste », qui adopte en juillet 1885 le nom plus général de Ligue pour le libre-échange25. La SEPL ne soutient que timidement cette initiative et il a fallu toute l’influence d’Édouard Aynard pour la faire admettre26. En effet, Auguste Isaac, personnellement favorable au libre-échange, s’est d’abord opposé à ce soutien au nom de la neutralité selon lui nécessaire de la Société qui comprend également quelques défenseurs du protectionnisme. Dans cette perspective, on comprend que l’implication politique de la SEPL se heurte à un tout aussi nécessaire besoin de préserver son unité locale. Quitte à affaiblir le discours libre-échangiste dans le pays.

Le temps des incertitudes

Contre l’État

11Paul Leroy-Beaulieu, devenu professeur d’économie politique au Collège de France, écrit en 1890 :

  • 27 Paul Leroy-Beaulieu, L’État moderne et ses fonctions, Paris, Guillaumin et Cie, 1900 [1890], p. 461

« Que les nations civilisées y prennent garde. En subordonnant à outrance la volonté personnelle à la volonté collective, l’action individuelle à l’action nationale, elles détruiraient le principal facteur de la civilisation27 ! »

  • 28 Henri Germain, « L’état politique de la France en 1886 », Revue des Deux Mondes, novembre-décembre  (...)

12Ce « monstre étatique » de l’âge de la massification politique, décrit jusqu’à la caricature comme industrialisé, militarisé, bureaucratisé, naît de cette crainte des libéraux inquiets de voir sombrer le self-government individuel et associatif. Les milieux de l’économie politique s’assument de plus en plus en cette fin de XIXe siècle comme les défenseurs historiques de la liberté individuelle, hier contre le despotisme autocratique, désormais contre le risque de tyrannie des masses. Henri Germain, influent banquier et député de l’Ain, écrit dans La Revue des Deux Mondes pour reprocher à la France la médiocrité de ses dirigeants politiques, notamment au sein de la Chambre des députés élue en 1885 qui a pris la mauvaise habitude de déstabiliser continuellement les cabinets28. Il faut y voir une volonté toute libérale de dépolitiser la démocratie, effacer dissensus public et intervention de l’État pour leur opposer une vision individualiste, technique et dépassionnée de la gestion des affaires.

  • 29 Par exemple, à l’occasion de la séance du 21 février 1879, une discussion autour de l’adhésion de l (...)
  • 30 Pierre Vernus, « L’émergence du syndicalisme patronal dans les industries lyonnaises de la soie : l (...)
  • 31 Herman Lebovics, The alliance of iron and wheat in the Third French Republic, 1860-1914: origins of (...)

13Au sein de la SEPL, l’écart entre les idées et les actes, entre large prédominance libre-échangiste et volonté de conserver un certain œcuménisme neutre, empêche longtemps une politisation aboutie, pour demeurer un organe de consultation et d’expertise. Les séances hebdomadaires se bornent à fournir des rapports sur l’actualité de l’économie française et européenne, d’éventuels débats n’aboutissant qu’à la nécessité de laisser libre cours à la diversité des opinions29. Ce n’est pas un problème en soi mais cela le devient au fur et à mesure que les taxes douanières sur les échanges franco-britanniques sont peu à peu réévaluées, en 1872 puis à nouveau en 1881. Auguste Isaac, devenu président en 1889, doit alors changer de discours car les opposants à la liberté commerciale se sont largement renforcés, menaçant les intérêts directs des milieux d’affaires lyonnais : en effet, les organisations patronales qui représentent les milieux de la soie, comme l’Union des marchands de soie ou l’Association de la fabrique lyonnaise, défendent résolument le libre-échange depuis leur création à la fin du Second Empire30. À l’échelle nationale, les protectionnistes s’organisent également autour du monde agricole et d’une partie de l’industrie, regroupés au sein de l’Association pour l’industrie française fondée en 187831. En mars 1891, lorsque le gouvernement Freycinet propose de réviser en profondeur le tarif général des douanes, il s’agit de faire le bilan de la triple décennie écoulée depuis 1860 mais aussi, en creux, de dresser l’inventaire des apports réels d’une politique anglophile. Jules Méline, rapporteur du projet de loi et président de la commission du Budget de la Chambre des députés, se charge lors du printemps 1891 de défendre un véritable retour au protectionnisme pour la France. Auguste Isaac prend alors la parole pour défendre sa vision libérale lors de la réunion du 20 novembre 1891 :

  • 32 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1891-1892 », Société d’économie politiqu (...)

« Nous avons la passion des constitutions et des reconstitutions. Nous ne savons jamais faire l’économie d’une révolution (…). Il faut se remettre au travail pour réparer les erreurs de nos concitoyens32. »

  • 33 Rita Aldenhoff-Hübinger, « Deux pays, deux politiques agricoles ? Le protectionnisme en France et e (...)

14Le 11 janvier 1892, le « tarif Méline » entre en application. Il élève l’ensemble des droits sur les importations dans une fourchette comprise entre 15 et 30 %, en particulier sur les produits agricoles33. Ces « erreurs » dont parle le Lyonnais Isaac, concernent l’éternelle insuffisance d’appétit libéral dont la société française ferait preuve, comme en témoigne ce succès final de la campagne protectionniste qui a fait consensus en-dehors des cercles de l’économie politique. Difficile pour les libéraux français de composer avec une solide spécificité française datant de la Révolution : l’existence d’une large classe moyenne de petits propriétaires. Par ailleurs, en-dehors du Royaume-Uni, la plupart des pays d’Europe se sont convertis au protectionnisme à la même époque.

  • 34 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1880-1881 », Société d’économie politiqu (...)

15Au fond, au-delà des thématiques douanières ou démocratiques, il faut comprendre que les libéraux français craignent par-dessus tout une éventuelle résurgence des idées et des forces socialistes en contexte de crise. Le 28 avril 1882, à nouveau invité au banquet annuel de la SEPL, Paul Leroy-Beaulieu rappelle avec insistance la nécessité de lutter pour le libre-échange mais aussi contre le « socialisme d’État » qui menace34. Les solutions proposées par la SEPL sont diverses. Auguste Isaac avance qu’il faut d’abord combattre les chimères socialistes :

  • 35 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1891-1892 », Société d’économie politiqu (...)

« Les interventionnistes, les étatistes comme on commence à le dire, c’est-à-dire des socialistes déguisés ou inconscients, forment une foule grossissante au milieu de laquelle un certain nombre d’agitateurs de profession essayent de se faire prendre au sérieux35. »

16Il s’agit en outre d’éduquer politiquement le peuple :

  • 36 Ibid, p. 39.

« Il y a une sorte de naïveté dans la confiance que les classes les moins heureuses de la société accordent à l’intervention des pouvoirs publics ; on a de la peine à croire que l’État, si puissant sous ses diverses formes, si impérieux, si exigeant, si tyrannique parfois, n’ait pas le pouvoir de mettre un terme à toutes les souffrances36. »

  • 37 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1892-1893 », Société d’économie politiqu (...)
  • 38 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1902-1903 », Société d’économie politiqu (...)
  • 39 Denis Bayon, Ludovic Frobert, « Lois ouvrières et réformisme social dans l’œuvre de Paul Pic (1862- (...)

17En novembre 1892, il ouvre une séance sur un débat opposant « école anglaise » et « école française »37, autrement dit associationnisme contre étatisme, pour davantage ancrer le principe d’une tradition libérale contrariée dans son propre pays. Au tournant du XXe siècle, ce réflexe anglophile par antisocialisme se confirme puisque René Gonnard, professeur à la faculté de droit de Lyon, tente encore en 1902 de distinguer dans le socialisme britannique une bonne tendance « social[e]-démocrate » d’une mauvaise « collectiviste38 ». Adapté à la France, ce propos ne traduit que l’idéal de l’économie sociale opposée au marxisme, combat précocement mené dans la région lyonnaise. Un an plus tôt, le professeur de droit à la faculté de Lyon, Paul Pic, avait en effet créé la revue Questions pratiques de législation ouvrière et d’économie sociale, pour réfléchir à l’évolution de la Troisième République vers une forme de démocratie sociale39. Parmi les collaborateurs, on retrouve des figures locales comme le cofondateur de la revue Justin Godard, mais aussi Laurent Bonnevay ou Édouard Herriot.

L’économie sociale, une tentative sociale-libérale

18En 1890, la Société d’économie politique de Lyon prend le nom de Société d’économie politique et sociale. Dès 1887 lors du banquet annuel, le juriste et historien Georges Picot imagine une alternative toute libérale au socialisme :

  • 40 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1886-1887 », Société d’économie politiqu (...)

« Nous ne pouvons, je le répète, lutter contre le socialisme d’État qu’en mettant entre l’État et l’individu isolé l’association40. »

  • 41 Léon Say, « Rapport général. Économie sociale », dans Alfred Picard (dir.), Rapport du jury sur l’e (...)

19L’objectif est bel et bien de proposer un discours alternatif au marxisme, les libéraux français rêvant d’une entente des classes, à l’image de la société britannique idéalisée où la collaboration serait privilégiée à la rupture, où le rule of law supplanterait toute velléité révolutionnaire, où l’émancipation individuelle serait préférée par les ouvriers à la conscience de classe. De manière trop éphémère en 1848, c’est surtout à partir des années 1860 qu’ils revendiquent l’héritage du socialisme « associationniste » essentiellement franco-britannique, en mobilisant aussi bien Saint-Simon et Charles Fourier que Robert Owen. Mais il faut attendre l’exposition universelle de 1889 pour voir apparaître la dénomination formelle d’économie sociale qui se donne pour tâche d’explorer les voies d’un social-libéralisme par l’intermédiaire de la coopération, le secours mutuel, l’hygiène, le logement ou encore l’éducation populaire, plutôt que par l’intervention de l’État41.

  • 42 AD. Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1884-1885 », Société d’économie politiq (...)
  • 43 AD Rhône, fonds Bonnevay, 10 J 1, « Mes premières années de propagande politique et sociale : mutua (...)
  • 44 Michel Dreyfus, Histoire de l’économie sociale de la Grande Guerre à nos jours, Rennes, PUR, 2017, (...)

20La ville de Lyon fait office de pionnière dans le domaine de l’économie sociale, sans doute parce qu’elle est déjà de longue date concernée par la politisation des ouvriers, en particulier des canuts, tisserands lyonnais révoltés par deux fois dans les années 1830. Dès 1884, il s’agit de les convertir au libéralisme. En s’inspirant surtout des premières œuvres sociales britanniques si compatibles avec l’économie politique, la SEPL appelle à développer massivement des sociétés coopératives de production, de consommation, des crédits mutuels, des banques populaires pour substituer l’initiative individuelle et l’association à l’étatisme42. Laurent Bonnevay, député de Tarare à partir de 1902, se souvient dans ses notes de l’organisation à Lyon du premier congrès national des sociétés de secours mutuel du 5 au 9 septembre 188343. C’est l’ancien artisan joaillier Auguste Bleton qui en est à l’origine et qui, malgré des débuts timides, ouvre une longue tradition de congrès réunis tous les trois ans. Elle aboutit notamment à la grande loi de 1898 qui libéralise la création de sociétés de secours mutuel, ces structures recevant des fonctions élargies comme l’assurance-chômage et l’assurance-vie44. En plus des ouvriers de la soie, Lyon se dote rapidement de sociétés de secours mutuels dans les métiers de la pharmacie et de la banque, ce qui pousse le maire Édouard Herriot à lancer le chantier du palais de la Mutualité en 1910.

  • 45 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1878-1879 », Société d’économie politiqu (...)
  • 46 Entre 1840 et 1875, la fortune publique outre-Manche est passée de 6,113 à 8,548 millions de livres (...)

21Il faut cependant se rappeler que, pour les milieux attachés à l’économie politique, l’économie sociale est d’abord un moyen de s’adapter à des temps nouveaux. La Grande Dépression, symbolisée en France par la faillite de l’Union générale en 1882, une banque justement lyonnaise, témoigne pour beaucoup de ses adversaires des limites du libéralisme économique et du « laissez-faire ». Ainsi, en 1879, l’avocat Alexandre Bérard, fils du propriétaire de soieries lyonnaises Ernest Bérard, prononce un discours devant la SEPL pour expliquer les réelles causes du retournement économique45. Contrairement à certaines idées préconçues alors diffusées, il refuse de voir dans le développement du machinisme ou dans les divers traités de commerce, l’origine des dérèglements dans les affaires : depuis le milieu du XIXe siècle, la richesse publique a augmenté continuellement aussi bien en France qu’au Royaume-Uni46. C’est au contraire l’attachement aux idées protectionnistes, aux États-Unis mais aussi de plus en plus en Europe, qui serait à la source des maux actuels pour Bérard. Édouard Aynard abonde dans son sens quelques années plus tard :

  • 47 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1884-1885 », Société d’économie politiqu (...)

« Si cette erreur venait à dominer, elle nous entraînerait à un esclavage nouveau en substituant progressivement l’action et la conscience collectives de l’État, monstrueuses et vagues, à l’action précise et à la conscience délicate de l’individu47. »

  • 48 Janet Horne, Le Musée social : aux origines de l’État providence, Paris, Belin, 2004, pp. 105-112.

22Dans la droite lignée des idées de Richard Cobden, les libéraux des milieux de l’économie politique continuent ainsi à tenter de lier au mieux libéralisme politique et libéralisme économique dans une même vision : si la crise économique dure, c’est parce que les États, en intervenant dans les affaires, dérèglent le mécanisme naturel des initiatives privées. Le Musée social, fondé en 1894, tente dans la même veine d’incarner à l’échelle nationale un cercle de sociabilité libéral autour de l’économie sociale alors en plein essor : son fondateur, Aldebert de Chambrun, sénateur de Lozère, espère promouvoir les libertés individuelles et associatives pour régler la question sociale par la voie privée48. Mais dans les faits, les événements prennent une autre tournure en France, entre la constitution du Bloc des Gauches et celle de la SFIO au début des années 1900. Le discours social des libéraux devient moins audible. La SEPL va alors s’atteler à promouvoir ses idées par un autre canal : celui de la diplomatie.

Une conversion croissante aux intérêts nationaux

Des passeurs franco-britanniques

  • 49 Laurent Villate, La République des diplomates. Paul et Jules Cambon, 1843-1935, Paris, Science infu (...)

23Après l’épisode de la crise de Fachoda en 1898, les gouvernements français et britannique s’accordent de plus en plus sur la nécessité de trouver un terrain d’entente, d’abord pour éviter la répétition d’une telle tension, ensuite parce que les deux pays semblent s’entendre sur la nécessité de faire front commun face à la puissance montante de l’époque, l’Allemagne. Une fois les dernières vagues anglophobes passées au terme de la guerre des Boers en 1902, tout concorde pour permettre à l’ambassadeur à Londres, Paul Cambon, de négocier un rapprochement49. Cette situation est idéale pour les cercles de l’économie politique qui ont depuis leur naissance même toujours assumé une forte coloration anglophile. Dans la mesure où leur lutte contre l’extension des compétences de l’État apparaît au moins idéologiquement en recul, ils s’attachent à faire à nouveau du développement du commerce leur cheval de bataille.

  • 50 François Crouzet, De la supériorité de l’Angleterre sur la France. L’économique et l’imaginaire (XV (...)
  • 51 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1903-1904 », Société d’économie politiqu (...)

24En 1901, le Royaume-Uni absorbe 22 % des exportations et fournit 14 % des importations françaises, faisant de lui le premier partenaire commercial de la France. Sur la même période, la France compte pour 9,3 % des importations et 6,2 % des exportations britanniques50. Pour l’industrie lyonnaise, comme pour l’essentiel de l’économie nationale, la bonne entente franco-britannique est non seulement devenue primordiale mais doit être approfondie. Dans la mesure où les multiples projets de tunnels et ponts transManche se heurtent encore aux réticences de la marine britannique, soucieuse de conserver l’avantage de l’insularité, la SEPL s’évertue d’abord à s’opposer aux protectionnistes cette fois-ci britanniques. En 1903, Joseph Chamberlain, l’un des leaders du Parti conservateur au pouvoir, expose un projet de Tariff Reform, loi douanière à l’échelle de l’empire colonial britannique qui rétablirait une forme de préférence commerciale entre colonies et métropole. Auguste Isaac ne peut tolérer ce repli sur soi qui signifierait pour le Royaume-Uni un pur et simple abandon de son statut de modèle libéral. Il prend la parole au nom de ses collègues de la SEPL pour condamner cette proposition51. Cet avis sur la politique commerciale d’un autre pays est suffisamment rare pour être remarqué, mais Isaac paraît particulièrement attaché à préserver l’idée qu’il se fait du modèle voisin et sans doute à éviter une nouvelle victoire des protectionnistes quels qu’ils soient.

  • 52 Jean-Louis de Lanessan, Histoire de l’entente cordiale franco-anglaise : les relations de la France (...)
  • 53 Journal des Économistes, octobre-décembre 1900, pp. 307-316.
  • 54 Journal des Économistes, janvier-mars 1903, p. 469.
  • 55 AD Rhône, 1 ETP 271, Comptes-rendus des travaux de la CCI de Lyon, 1903, pp. 267-281.

25Surtout, les acteurs de l’économie politique s’évertuent à cette époque à favoriser ce rapprochement franco-britannique en pleine gestation, conciliant au mieux leurs intérêts économiques et culturels. De multiples rencontres donnent corps à ce rapprochement, en bonne partie organisées par les chambres de commerce des deux pays. Dès 1895, lors de la visite du lord-maire de Londres John Renals à l’exposition universelle de Bordeaux, le ministre de la Justice Ludovic Trarieux explique que « L’avantage inappréciable de cet échange à ciel ouvert de cordiaux procédés, c’est de faire tomber les défiances artificielles qu’entretiennent des partis pris intéressés d’antagonisme52 ». En fin d’année 1900, ce sont des délégués des chambres de commerce et du Congrès des Trade Unions britanniques qui visitent Paris, pour tenir des déclarations ouvertement francophiles et pacifistes contre le front commun des nationalistes des deux pays53. En début d’année 1903, Paul Cambon est l’invité du banquet de l’association des chambres de commerce britanniques et les convainc d’influer directement sur leur nation pour renforcer la contiguïté avec la France54. Le 7 décembre de la même année, une délégation d’une vingtaine de parlementaires britanniques est enfin reçue en grande pompe à la chambre de commerce de Lyon. C’est à cette occasion qu’Auguste Issac se félicite de vivre dans « le Manchester de la France55 ». Outre célébrer l’héritage commun du libéralisme, cette réunion n’a d’autre but que d’encourager, une fois encore, les autorités nationales à poursuivre leur œuvre de rapprochement qui serait la première pierre de l’édifice d’un partenariat privilégié.

  • 56 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1904-1905 », Société d’économie politiqu (...)
  • 57 Documents diplomatiques : Accords conclus le 8 avril 1904 entre la France et l’Angleterre au sujet (...)

26En fin d’année 1904, la SEPL adresse au prestigieux Cobden Club londonien un télégramme pour s’associer à la célébration du centenaire de la naissance de l’industriel britannique56. L’objectif est double : en honorant l’amitié franco-britannique de la sorte, les milieux d’affaires lyonnais font l’éloge de leur inspirateur libre-échangiste qui avait donné son nom au traité commercial négocié entre les pays en 1860, et se réjouissent d’avoir été témoins quelques mois plus tôt de la signature de l’Entente cordiale. Le 8 avril 1904, Paris et Londres avaient en effet mis un terme à leurs querelles coloniales dans le cadre d’un vaste troc intégrant les épineuses questions de l’Égypte et du Maroc57. La boucle est en quelque sorte bouclée puisque, grâce à leur intense travail de lobbying, ce sont l’ensemble des sociétés d’économie politique du pays ainsi que les chambres de commerce qui ont favorisé ce moment historique au regard de la longue rivalité entre les deux pays. Durant les dix années qui suivent, l’amitié franco-britannique ne fait que se renforcer, au point de donner à certains observateurs l’envie de la convertir en traité militaire formel. De nature plutôt pacifiste à l’origine, la SEPL est peu à peu gagnée par ce sentiment, nourri par une germanophobie lancinante. En février 1914, François Aynard, fils d’Édouard, se montre pessimiste en clamant :

  • 58 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1913-1914 », Société d’économie politiqu (...)

« En Angleterre et en France, je m’apprêtais à conclure que, malgré le développement prodigieux de certaines branches de l’activité économique, ce progrès était en somme plus lent qu’on ne serait tenté de le supposer (…). Les statistiques allemandes nous montrent une progression beaucoup plus rapide. Il y a dans la vie des peuples, comme celle des individus, des périodes particulièrement favorisées par la fortune, et l’Allemagne se trouve, sans doute, dans une de ces périodes58. »

27Inquiétudes croissantes rimant avec priorités nouvelles ?

Vers un nouveau modèle au contact de la guerre ?

28À bien des égards, l’éclatement de la Grande Guerre apparaît comme une profonde remise en cause des idées libérales. En décembre 1917, François Aynard, nouveau président de la SEPL, ose poser la question qui fâche dans les milieux libéraux les plus orthodoxes :

  • 59 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances des années 1916-1918 », Société d’économie politiqu (...)

« Le premier point que j’examinerai avec vous sera de savoir si la science économique a fait faillite comme d’aucuns le prétendent59. »

29Ce bilan sévère s’impose tant l’idéal de la « main invisible » d’Adam Smith ou encore celui de la paix générale par le libre-échange de Richard Cobden apparaissent obsolètes.

  • 60 Richard Kuisel, Le capitalisme et l’État en France : modernisation et dirigisme au XXe siècle, Pari (...)
  • 61 Yves Guyot et alii, Le libre-échange international : six conférences organisées en 1918 par la ligu (...)
  • 62 AD Rhône, 1 ETP 286, Comptes-rendus des travaux de la CCI de Lyon, 1918, p. 278. Lettre du 15 mars  (...)

30On peut parler de l’émergence d’un capitalisme « dirigé » par l’État dès le début de la Grande Guerre, tant les producteurs privés sont au cœur d’un système dont ils profitent largement60. Les secteurs agricole, industriel et commercial du pays sont de fait organisés en consortiums sous l’égide de l’État, ce qui réduit leur latitude d’action mais permet le fonctionnement d’une économie oligopolistique très concentrée. Ce cartellisme sied même à une partie des milieux économiques, pourtant loin d’être des étatistes affirmés, qui y voient un moyen de moderniser le pays en rompant avec des conceptions jugées éculées. Ces propositions heurtent toutefois les quelques défenseurs d’une économie politique « classique », au premier rang desquels figure Yves Guyot qui, dans une lettre du 10 juin 1915 adressée aux membres de la Ligue du libre-échange, alerte sur les dangers après-guerre d’une importation du modèle allemand en France qui briserait les indispensables initiatives individuelles61. La chambre de commerce de Bordeaux fait également part de ses inquiétudes pour la sortie du conflit, craignant de voir l’État s’habituer à jouer les apprentis sorciers. Elle écrit à ce titre à son homologue lyonnaise en 1918, protestant « énergiquement contre toutes mesures tendant à donner pour base à l’organisation économique d’après-guerre un caporalisme industriel qui est proprement le régime coûteux et stérile de l’incompétence62 ».

31À la fin de la guerre, la SEPL se penche également sur le sujet de l’état de l’économie britannique, diagnostiquant que la conjoncture défavorable nuit à sa prospérité :

  • 63 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1923-1924 », Société d’économie politiqu (...)

« De tous les pays de l’Europe, l’Angleterre est celui qui souffre le plus du chômage. Le nombre de chômeurs y oscille entre 1.200 et 2 millions. Il en résulte dans l’intérieur du Royaume-Uni une situation assez tendue (…). Le remède serait évidemment de rendre l’industrie son activité d’avant-guerre, et pour cela, de lui trouver des marchés capables de compenser ceux qu’elle a perdus63. »

  • 64 John Maynard Keynes, Les conséquences économiques de la paix, traduction Paul Frank, Paris, Édition (...)
  • 65 Gaëtan Pirou, « Un congrès économique d’après-guerre à Lyon », Revue politique et parlementaire, av (...)

32Entre 1913 et 1921, les exportations ont diminué de moitié, touchant par voie de conséquence la production industrielle, le commerce maritime et les transactions bancaires, au cœur du moteur économique britannique. Ces difficultés sont à l’origine de la « mésentente cordiale » qui s’installe avec la France, nourrie par les écrits de John Maynard Keynes64, Paris et Londres ne paraissant plus pouvoir s’entendre au sujet du sort de l’Allemagne. Tous les piliers de l’économie politique en France vacillent tour à tour et lors du congrès scientifique pour les relations commerciales internationales qui se déroule du 1er au 4 mars 1924 à Lyon, mis à part Yves Guyot et quelques libéraux « classiques » britanniques, plus personne ne défend l’idée d’une liberté commerciale universelle et absolue65. Le libéralisme hérité du XIXe siècle semble effectivement avoir vécu. L’individualisme bourgeois, voire aristocratique, la « main invisible », le libre-échange débridé et le parlementarisme élitiste sont autant d’éléments qui se heurtent au développement démocratique et étatique, et se drapent par conséquent d’un passéisme certain après la guerre. Lors des diverses séances de la SEPL au début des années 1920, la remise en cause de l’internationalisation des échanges (séance du 16 janvier 1920), la réforme du système économique d’après-guerre (séance du 24 novembre 1923), la prépondérance des enjeux économiques sur les enjeux politiques (séance du 5 décembre 1924) sont autant de thématiques désormais abordées sans tabou.

  • 66 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1924-1925 », Société d’économie politiqu (...)
  • 67 Olivier Dard, « Louis Germain-Martin (1872-1948). De la "nébuleuse réformatrice" au CPAS : le sens (...)
  • 68 Stephen Douglas Carls, Louis Loucheur, 1872-1931 : ingénieur, homme d’État, modernisateur de la Fra (...)
  • 69 François Denord, Néo-libéralisme version française : histoire d’une idéologie politique, Paris, Dem (...)
  • 70 Pierre Labardin, « Les patrons français et le management », dans Jean-Claude Daumas (dir.), Diction (...)

33La SEPL reçoit en mars 1925 le professeur de droit Louis Germain-Martin qui, à travers un exposé sur « le rôle de l’entrepreneur dans les sociétés modernes », fournit le meilleur résumé des conceptions en pleine mutation de l’époque66. À rebours des économistes « classiques » puis marxistes, le juriste ne conçoit pas l’homme d’affaires comme un capitaliste opposé aux ouvriers mais comme un gestionnaire d’entreprise qui harmonise capital et travail, tel un « constructeur de l’économie moderne ». Il faut dire que sa réaction à la révolution russe de 1917 est épidermique ; il en déduit que le rôle social du patronat est plus que jamais nécessaire pour encadrer le monde ouvrier67. Dans un après-guerre critique vis-à-vis des élites politiques, Germain-Martin érige l’entrepreneur en sauveur non seulement face au marxisme mais plus encore fondateur d’un fonctionnement politique nouveau, organisé autour du primat de l’économie, de l’expertise technique et de la compétence de commandement. Cet idéal de l’homme d’affaires transposé vers le politique n’a pas grand-chose de surprenant dans une perspective libérale, mais il se distingue du libéralisme « classique » en assumant plus ouvertement qu’au XIXe siècle une propension à non plus seulement prioriser les questions économiques, mais à parfois réduire l’action publique à celles-ci. Cela a pour autre conséquence majeure dans les années 1920, en plus du culte de la compétence, de nourrir un sentiment de nécessité apolitique croissant pour gagner en efficacité68. L’heure est à la rationalisation des entreprises, bientôt à la réforme de l’État, et ce qu’il convient d’appeler le néolibéralisme est déjà en germe69. Avant son émergence dans les années 1930 puis sa consécration après 1945, la technocratie est bien portée sur les fonts baptismaux, hybride improbable entre libéralisme et économie de guerre70.

Conclusion

  • 71 Jean Garrigues, La République des hommes d’affaires : 1870-1900, Paris, Aubier, 1997, p. 30.
  • 72 Antonin Andriot, « Entre héritage national et influences britanniques : une histoire croisée du lib (...)

34La SEPL est intéressante parce qu’originale dans son parcours. Son anglophilie libérale prononcée est remarquable compte tenu de sa précocité, pour ainsi dire contemporaine de sa naissance : ses membres se sont directement investis dans la défense de l’accord « Cobden-Chevalier », dans la promotion d’un tunnel traversant la Manche ainsi que dans l’économie sociale. Elle est à ce titre l’une des institutions de la Troisième République les plus représentatives du libéralisme et des libéraux en France. L’école de l’économie politique propose d’appliquer dans le pays une forme de « libéralisme intégral »71, étendu à la politique, l’économie, les rapports sociaux et les normes culturelles. Or, c’est précisément ce qui a constitué peu à peu le modèle britannique du XIXe siècle72. À l’évidence, la Grande Dépression, le développement du protectionnisme et de l’étatisme, la poussée électorale du socialisme et enfin l’éclatement de la Grande Guerre, rapidement muée en guerre totale, ont successivement mis à mal le discours libéral « classique » de la SEPL, largement fondé sur le « laissez-faire ». Mais la promotion de l’économie sociale, le travail d’entretien des relations franco-britanniques puis plus ouvertement de rapprochement constant ont constitué de solides éléments de permanence au tournant du XXe siècle. Ils ont permis aux milieux d’affaire lyonnais de maintenir leurs ambitions nationales et internationales, et à la SEPL de continuer à incarner un pôle de dynamisme.

  • 73 Fondation nationale des sciences politiques, Direction des ressources et de l’information scientifi (...)
  • 74 AN, fonds André Tardieu, 324 AP 119, lettre de Roger Pezzani, non datée.

35Après la guerre de 1914-1918, les désaccords autour de la paix et les intérêts économiques désormais divergents ternissent l’Entente cordiale, mais n’amenuisent pas la volonté des cercles de l’économie politique : c’est aussi à ce titre que ce milieu apparaît comme le plus anglophile de France, car le plus attaché à un idéal de société largement inspiré du Royaume-Uni du siècle passé. L’Association France-Grande-Bretagne née en 1916 demeure active après-guerre. On y retrouve les grandes figures anglophiles comme Émile Loubet, Raymond Poincaré, Paul Cambon, André Lebon, Jacques Bardoux, Auguste Isaac, Louis Loucheur, Louis Mercier, André Tardieu, Paul Reynaud, Paul Tirard ou François de Wendel73. Dotée d’un comité des relations intellectuelles et d’un comité du tunnel sous la Manche, l’organisation se fixe pour but d’entretenir entre les deux pays « une amitié qui est leur commune sauvegarde et qui doit être celle de la civilisation ». En 1932, la plupart de ces noms sont également à l’origine de la création d’un Comité économique franco-anglais, patronné par l’industriel lyonnais du textile et député Étienne Fougère et par le député conservateur et francophile Leo Amery outre-Manche74, afin de renouer avec des échanges commerciaux intenses, quelque peu diminués par la guerre. La capitale des Gaules semble décidément constituer un lieu particulier dans ce domaine.

  • 75 Jérôme Grondeux, « La Révolution française et la spécificité du libéralisme français », dans Domini (...)
  • 76 Historique de la SEPL, brochure officielle imprimée en 2019.

36L’idée d’un tournant dans le rapport à l’État durant l’entre-deux-guerres doit enfin être affinée. Les libéraux finissent certes par être convertis à une logique d’État-nation autrefois combattue, mais essaient d’y maintenir un substrat libéral, la compétence se substituant à la démocratie. Or, jusqu’à nos jours, la SEPL incarne précisément ce « libéralisme d’État75 » qui n’a dès lors fait que s’accroître, version adaptée à la culture politique française de ce qu’il convient d’appeler le néolibéralisme. Fidèle à son héritage de « creuset de réflexion », ne sortant de sa neutralité que pour des causes essentielles pour elle, la Société lyonnaise née en 1866 a poursuivi sa mue néolibérale et technocratique en s’attachant à fournir un rôle d’expertise auprès des pouvoirs publics76. Dans les thématiques abordées des années 2000 à nos jours ‑ synergie entre entreprises et métropole, renouveau industriel, adaptation à la transformation numérique… ‑, elle participe à une certaine dépolitisation du débat public où l’adaptation aux mutations économiques contemporaines est avant tout une question de compétence technique. François Guizot n’aurait pas renié cet éloge des « capacités » adapté aux temps nouveaux. Un aboutissement de plus pour les fondateurs de la SEPL en 1866 qui ambitionnaient de faire de l’économie politique la seule « vérité économique » qui vaille. Assurément, c’est à travers ces pratiques que l’on retrouve le plus son inspiration libérale historique.

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Notes

1 Fondée en 1702, la Chambre de commerce de Lyon est logiquement très impliquée dans la promotion de l’industrie et du commerce de la soie. En 1856, elle participe à la création du Musée d’Art et d’Industrie, puis en 1872 à l’ouverture d’une École supérieure de commerce. Pour davantage d’informations, voir Pierre Dockès, Historique de la Société d’Économie Politique et d’Économie Sociale de Lyon, 1866-1966, Lyon, Bonnaviat, 1966, et Anne Mingous, Chambre de commerce et d’industrie de Lyon, Lyon, Archives départementales et métropolitaines de Lyon, 2015.

2 Jean-François Berdah, « Henri Germain (1824-1905) : un banquier en politique », dans Jean-François Berdah (dir.), Banques, industrie et Europe du Nord, Toulouse, Presses universitaires du Midi, 2013, pp. 45-69.

3 Jean-François Sirinelli, Pascal Ory, Les intellectuels en France. De l’affaire Dreyfus à nos jours, Paris, Armand Colin, 2002 [1987], p. 10.

4 Archives départementales du Rhône (AD Rhône), 1 ETP 271, Comptes-rendus des travaux de la CCI de Lyon, 1903, pp. 267-281.Originaire de Calais, Auguste Isaac a nourri une anglophilie précoce en séjournant quelques mois outre-Manche durant son adolescence. Voir Hervé Joly (dir.), Patronat, bourgeoisie, catholicisme et libéralisme : autour du journal d’Auguste Isaac, Lyon, LARHRA, 2004.

5 Nicholas C. Edsall, Richard Cobden, Independent Radical, Cambridge, Harvard University Press, 1986.

6 Louis Girard, Les libéraux français 1814-1875, Paris, Aubier, 1985, p. 141.

7 Frédéric Bastiat, Œuvres complètes, tome 2, Paris, Guillaumin et Cie, 1862 [1854], p. 15.

8 AD Rhône, 1 ETP 239, Comptes-rendus des travaux de la CCI de Lyon, 1864, pp. 74-75. Joseph Brosset préside la Chambre de commerce de Lyon de 1845 à 1868, il est par ailleurs fabricant de soieries.

9 Justine Tentoni, « Repousser les dangereux éléments : les autorités contre les faubourgs, Lyon 1830-1852 », Siècles, 54 | 2023. Ces communes sont d’ailleurs absorbées par Lyon sur décret du 24 mars 1852, afin de leur retirer toute autonomie politique. De la même auteure, voir également Incarner Lyon et ses faubourgs : le parcours des élites municipales lyonnaises de 1830 à 1870 et Gouverner Lyon et ses faubourgs : l’organisation des élites municipales lyonnaises de 1830 à 1870, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2023.

10 Pour un descriptif détaillé des membres de la SEPL, voir le travail prosopographique de Martine François sur le site internet du Comité des travaux historiques et scientifiques (CTHS).

11 Maurice Vaïsse (dir.), L’Entente cordiale. De Fachoda à la Grande Guerre : dans les archives du Quai d’Orsay, Bruxelles, Éditions Complexe, Ministère des Affaires étrangères, 2004, p. 104.

12 Gendre de Michel Chevalier, plusieurs fois primé par l’Académie des sciences morales et politiques pour ses travaux sur l’économie, le monde britannique ou encore les colonies, Paul Leroy-Beaulieu est également publiciste au Journal des Débats et à la Revue des Deux Mondes, et dispense ses cours de finance à l’École libre des sciences politiques.

13 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1876-1877 », Société d’économie politique de Lyon, Lyon, Imprimerie A. Bonnaviat, 1877, p. 154. La société d’économie politique de Bordeaux n’est par exemple fondée qu’en 1888.

14 AD Rhône, 1 ETP 239, Comptes-rendus des travaux de la CCI de Lyon, 1864, p. 78. Ancien fouriériste exilé entre 1851 et 1862, Henri Dameth était par ailleurs professeur d’économie politique à l’Université de Genève.

15 Lucette Le Van-Lemesle, Le Juste ou le Riche. L’enseignement de l’économie politique, 1815-1950, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2004, pp. 259-285.

16 Romain Trichereau, « Analyse du processus d’une prise de décision : Napoléon III et le traité de commerce franco-britannique de 1860 », thèse d’histoire soutenue en 2019 à l’école doctorale de l’EHESS, sous la direction de Jean-Yves Grenier.

17 Pierre Rosanvallon, La démocratie inachevée. Histoire de la souveraineté du peuple en France, Paris, Gallimard, 2000, p. 212.

18 AD Rhône, 1 ETP 239, Comptes-rendus des travaux de la CCI de Lyon, 1869, p. 149.

19 Archives nationales (AN), fonds Jules Simon, 87 AP 10, notes personnelles sur les traités de commerce, probablement 1877.

20 Auguste Chérot, « Du mouvement commercial entre la France et l’Angleterre », Journal des Économistes, janvier-mars 1875, pp. 56-69.

21 AD Rhône, 1 ETP 248, Comptes-rendus des travaux de la CCI de Lyon, 1880, p. 73.

22 Maurice Vaïsse (dir.), L’Entente cordiale…, op. cit., p. 104.

23 National archives, Kew, FO27/2901, Report of the Commissioners for the Channel Tunnel and Railway, 1876.

24 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1876-1877 », Société d’économie politique de Lyon, Lyon, Imprimerie A. Bonnaviat, 1877, pp. 14-16. Rapport rendu par l’ingénieur Marchegay.

25 Réunion de la Société d’économie politique de Paris du 6 juillet 1885, Journal des Économistes, juillet-septembre 1885, p. 117.

26 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1884-1885 », Société d’économie politique de Lyon, Lyon, Imprimerie A. Bonnaviat, 1885, p. 116. Séance du 28 novembre 1884.

27 Paul Leroy-Beaulieu, L’État moderne et ses fonctions, Paris, Guillaumin et Cie, 1900 [1890], p. 461.

28 Henri Germain, « L’état politique de la France en 1886 », Revue des Deux Mondes, novembre-décembre 1886, p. 820.

29 Par exemple, à l’occasion de la séance du 21 février 1879, une discussion autour de l’adhésion de la SEPL à l’Association pour la défense de la liberté commerciale se clôt par un simple soutien de principe, sans participation financière, au nom de son rôle de « Société d’étude » neutre. AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1878-1879 », Société d’économie politique de Lyon, Lyon, Imprimerie A. Bonnaviat, 1892, p. 236. Séance du 21 février 1879.

30 Pierre Vernus, « L’émergence du syndicalisme patronal dans les industries lyonnaises de la soie : l’Union des marchands de soie et l’Association de la fabrique lyonnaise (fin des années 1860-début des années 1880), dans Danièle Fraboulet, Pierre Vernus (dir.), Genèse des organisations patronales en Europe (19e-20e siècles), Rennes, PUR, 2012, pp. 89-102.

31 Herman Lebovics, The alliance of iron and wheat in the Third French Republic, 1860-1914: origins of a new conservatism, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 1988.

32 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1891-1892 », Société d’économie politique de Lyon, Lyon, Imprimerie A. Bonnaviat, 1892, pp. 43-44. Séance du 20 novembre 1892.

33 Rita Aldenhoff-Hübinger, « Deux pays, deux politiques agricoles ? Le protectionnisme en France et en Allemagne (1880-1914) », Histoire & Sociétés Rurales, 23 | 2005, pp. 65-87.

34 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1880-1881 », Société d’économie politique de Lyon, Lyon, Imprimerie A. Bonnaviat, 1881, p. 364. Banquet du 28 avril 1882.

35 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1891-1892 », Société d’économie politique de Lyon, Lyon, Imprimerie A. Bonnaviat, 1892, p. 34. Séance du 20 novembre 1891.

36 Ibid, p. 39.

37 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1892-1893 », Société d’économie politique de Lyon, Lyon, Imprimerie A. Bonnaviat, 1893, p. 49. Séance du 4 novembre 1892.

38 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1902-1903 », Société d’économie politique de Lyon, Lyon, Imprimerie A. Bonnaviat, 1903, p. 379. Séance du 13 mars 1903. Il fait alors référence au Labour Party qui rejette l’influence du marxisme pour collaborer avec le Liberal Party.

Voir également David Deroussin (dir.), Le renouvellement des sciences sociales et juridiques sous la IIIe République. La Faculté de droit de Lyon, actes du colloque des 4 et 5 février 2004 organisé par le Centre Lyonnais d’Histoire du Droit et de la Pensée Politique, Éditions La Mémoire du Droit, 2007.

39 Denis Bayon, Ludovic Frobert, « Lois ouvrières et réformisme social dans l’œuvre de Paul Pic (1862-1944) », Le Mouvement Social, 201 | 2002, pp. 53-80. Paul Pic réfléchit à une meilleure intégration des ouvriers à la démocratie, notamment à travers la promotion d’une économie sociale organisée autour des syndicats, des caisses de mutuelles et de retraites, des coopératives ou encore des organes d’éducation populaire.

40 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1886-1887 », Société d’économie politique de Lyon, Lyon, Imprimerie A. Bonnaviat, 1887, p. 393. Discours de Georges Picot au banquet du 21 avril 1887.

41 Léon Say, « Rapport général. Économie sociale », dans Alfred Picard (dir.), Rapport du jury sur l’exposition universelle internationale de 1889, Paris, Imprimerie nationale, 1891.

42 AD. Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1884-1885 », Société d’économie politique de Lyon, Lyon, Imprimerie A. Bonnaviat, 1885, pp. 9-34. Séance du 7 novembre 1884.

43 AD Rhône, fonds Bonnevay, 10 J 1, « Mes premières années de propagande politique et sociale : mutualité et liberté », notes personnelles non datées. Voir également Bruno Benoît, Gilles Vergnon (dir.), Laurent Bonnevay : le centrisme, les départements et la politique, Lyon, Les cuisinières-Sobbollire, 2009.

44 Michel Dreyfus, Histoire de l’économie sociale de la Grande Guerre à nos jours, Rennes, PUR, 2017, p. 23.

45 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1878-1879 », Société d’économie politique de Lyon, Lyon, Imprimerie A. Bonnaviat, 1879, pp. 271-312. Séance du 21 mars 1879.

46 Entre 1840 et 1875, la fortune publique outre-Manche est passée de 6,113 à 8,548 millions de livres sterling. En France, de 1848 à 1868, on constate une hausse de 8 à 22,7 milliards de francs.

47 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1884-1885 », Société d’économie politique de Lyon, Lyon, Imprimerie A. Bonnaviat, 1885, pp. 66-94. Séance du 20 mars 1885.

48 Janet Horne, Le Musée social : aux origines de l’État providence, Paris, Belin, 2004, pp. 105-112.

49 Laurent Villate, La République des diplomates. Paul et Jules Cambon, 1843-1935, Paris, Science infuse, 2002.

50 François Crouzet, De la supériorité de l’Angleterre sur la France. L’économique et l’imaginaire (XVIIe-XXe siècles), Paris, Perrin, 1999 [1985], pp. 411-412.

51 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1903-1904 », Société d’économie politique de Lyon, Lyon, Imprimerie A. Bonnaviat, 1904, p. 393. Séance du 26 février 1904.

52 Jean-Louis de Lanessan, Histoire de l’entente cordiale franco-anglaise : les relations de la France et de l’Angleterre depuis le XVIe siècle jusqu’à nos jours, Paris, Félix Alcan, 1916, p. 213. Discours à l’hôtel de ville de Bordeaux.

53 Journal des Économistes, octobre-décembre 1900, pp. 307-316.

54 Journal des Économistes, janvier-mars 1903, p. 469.

55 AD Rhône, 1 ETP 271, Comptes-rendus des travaux de la CCI de Lyon, 1903, pp. 267-281.

56 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1904-1905 », Société d’économie politique de Lyon, Lyon, Imprimerie A. Bonnaviat, 1905, p. 17. Séance du 23 novembre 1904.

57 Documents diplomatiques : Accords conclus le 8 avril 1904 entre la France et l’Angleterre au sujet du Maroc, de l’Égypte, de Terre-Neuve, etc., 1904, pp. 7-8. Lettre de Théophile Delcassé à différentes ambassades, 12 avril 1904. Voir également David Todd, Un empire de velours : l’impérialisme informel français au XIXe siècle, Paris, La Découverte, 2022.

58 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1913-1914 », Société d’économie politique de Lyon, Lyon, Imprimerie A. Bonnaviat, 1914, p. 298. Séance du 27 février 1914.

59 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances des années 1916-1918 », Société d’économie politique de Lyon, Lyon, Imprimerie A. Bonnaviat, 1918, p. 67. Séance du 14 décembre 1917.

60 Richard Kuisel, Le capitalisme et l’État en France : modernisation et dirigisme au XXe siècle, Paris, Gallimard, 1984, p. 74.

61 Yves Guyot et alii, Le libre-échange international : six conférences organisées en 1918 par la ligue du libre-échange à l’école des hautes études sociales, Paris, Félix Alcan, 1918, pp. 187-201. Lettre aux membres de la ligue du libre-échange du 10 juin 1915.

62 AD Rhône, 1 ETP 286, Comptes-rendus des travaux de la CCI de Lyon, 1918, p. 278. Lettre du 15 mars 1918 de la Chambre de commerce de Bordeaux.

63 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1923-1924 », Société d’économie politique de Lyon, Lyon, Imprimerie A. Bonnaviat, 1924, pp. 28-29. Séance du 24 novembre 1923.

64 John Maynard Keynes, Les conséquences économiques de la paix, traduction Paul Frank, Paris, Éditions de la Nouvelle Revue française, 1920.

65 Gaëtan Pirou, « Un congrès économique d’après-guerre à Lyon », Revue politique et parlementaire, avril-juin 1924, p. 274.

66 AD Rhône, « Compte-rendu analytique des séances de l’année 1924-1925 », Société d’économie politique de Lyon, Lyon, Imprimerie A. Bonnaviat, 1925, p. 153-165. Séance du 21 mars 1925.

67 Olivier Dard, « Louis Germain-Martin (1872-1948). De la "nébuleuse réformatrice" au CPAS : le sens d’un itinéraire », dans Gilles Richard et Olivier Dard (dir.), Les permanents patronaux : éléments pour l’histoire de l’organisation du patronat en France dans la première moitié du XXe siècle, Metz, Centre de recherche universitaire lorrain d’histoire, 2013, pp. 118-119.

68 Stephen Douglas Carls, Louis Loucheur, 1872-1931 : ingénieur, homme d’État, modernisateur de la France, Paris, Presses universitaires du Septentrion, 2000.

69 François Denord, Néo-libéralisme version française : histoire d’une idéologie politique, Paris, Demopolis, 2007, pp. 51-52. Avec toutefois une certaine précaution sémantique : y compris jusqu’au colloque Walter Lippmann de 1938 précisément organisé pour refonder le libéralisme, ce renouvellement tâtonne, sans trouver une ligne directrice unitaire et cohérente.

70 Pierre Labardin, « Les patrons français et le management », dans Jean-Claude Daumas (dir.), Dictionnaire historique des patrons français, Paris, Flammarion, 2010, pp. 874-876.

71 Jean Garrigues, La République des hommes d’affaires : 1870-1900, Paris, Aubier, 1997, p. 30.

72 Antonin Andriot, « Entre héritage national et influences britanniques : une histoire croisée du libéralisme et des libéraux français entre 1859 et 1929 », Thèse sous la direction de Mathias Bernard, Université Clermont Auvergne, 2022.

73 Fondation nationale des sciences politiques, Direction des ressources et de l’information scientifique, Département Archives, fonds André Siegfried, 2 SI 18, Bulletin de l’Association France Grande-Bretagne, 36 | 1924.

74 AN, fonds André Tardieu, 324 AP 119, lettre de Roger Pezzani, non datée.

75 Jérôme Grondeux, « La Révolution française et la spécificité du libéralisme français », dans Dominique Barjot et alii (dir.), Histoire de l’Europe libérale ; libéraux et libéralisme en Europe XVIIIe-XXIe siècle, Paris, Éditions Nouveau Monde, 2016, p. 37.

76 Historique de la SEPL, brochure officielle imprimée en 2019.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Antonin Andriot, « La société d’économie politique de Lyon (1859-1929) : itinéraire d’un groupe d’influence représentatif du libéralisme anglophile français »Histoire Politique [En ligne], 52 | 2024, mis en ligne le 01 juin 2024, consulté le 12 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoirepolitique/17270 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11vtx

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Auteur

Antonin Andriot

Antonin Andriot est docteur en histoire contemporaine, professeur agrégé au lycée Théodore de Banville de Moulins, ainsi que chargé d’enseignement à l’Université Clermont Auvergne. Ses travaux analysent les différentes facettes du libéralisme en France, notamment sous l’angle de l’anglophilie, des années 1860 aux année 1920. Il a soutenu en 2022 une thèse intitulée « Entre héritage national et influences britanniques : une histoire croisée du libéralisme et des libéraux français entre 1859 et 1929 ».

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