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2024

Georges Vidal, L’Armée française et le communisme. Guerre-révolution, insurrection et enjeu soviétique, 1939-1945

préface d’Olivier Forcade, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2023, 412 p.
François Cochet
Référence(s) :

Georges Vidal, L’Armée française et le communisme. Guerre-révolution, insurrection et enjeu soviétique, 1939-1945, préface d’Olivier Forcade, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2023, 412 p.

Texte intégral

1Depuis 2006, Georges Vidal trace son sillon, discrètement mais efficacement. Cette année-là, il publie La Grande illusion ? Le Parti communiste français et la défense nationale à l’époque du Front populaire, aux Presses universitaires de Lyon. Il s’y interroge déjà sur la notion d’« ennemi intérieur » envisagée par les hautes sphères militaires françaises ainsi que sur les stratégies du parti communiste. En 2015, Georges Vidal récidive avec deux ouvrages : L’Alliance improbable : l’armée française et la Russie soviétique (Presses universitaires de Rennes) et L’Armée française et l’ennemi intérieur (1917-1939), enjeux stratégiques et culture politique (Presses universitaires de Rennes), issu de son habilitation à diriger les recherches, soutenue à Montpellier III. Aujourd’hui, il élargit les bornes temporelles de son sujet à la période de la Deuxième Guerre mondiale.

2L’objet d’étude paraît simple. Il ne l’est pourtant pas. En effet, il oblige à croiser des approches politiques et culturelles, mais aussi stratégiques. En outre, le va-et-vient entre les considérations de politique intérieure et les regards portés sur les enjeux internationaux s’expriment à plein dans ce nouvel ouvrage. Dans L’Armée française et l’ennemi intérieur, l’auteur s’intéressait aux séquelles de la Grande Guerre et voyait dans la structuration du communisme un risque insurrectionnel pour la France, mais aussi une sorte de pantin manipulé par une puissance extérieure. Georges Vidal montre ici que les six années qui courent de 1939 à 1945 révèlent des changements majeurs tout en rappelant que certains stéréotypes au sein de l’armée ont la vie dure.

3Sur le plan méthodologique, le travail est très rigoureux. Les fonds d’archives consultés sont nombreux et riches, et les informations fournies sont rassemblées dans d’abondantes notes de bas de pages. Les archives du secrétariat de Jacques Duclos sur la direction clandestine du Parti communiste français (PCF) pendant la période 1939-1944 ont été notamment exploitées. Par rapport à des historiens du communisme traditionnellement spécialistes du parti et de ses organisations – ils sont nombreux –, Georges Vidal présente l’avantage de comprendre l’armée, ses rouages, et ses comportements culturels.

4L’ouvrage vaut d’abord pour les scansions qu’il introduit dans les comportements des sphères dirigeantes de l’armée face au communisme.

5Dans l’entre-deux-guerres, s’impose aux yeux de nombre d’observateurs la conviction que la dialectique guerre-révolution est devenue le fil directeur d’un monde nouveau issu du terrible conflit mondial qui vient de s’achever. Tous les courants politiques, y compris les plus extrêmes, partagent cette conviction. Les militaires n’y échappent pas et intègrent cette dialectique dans leurs calculs stratégiques et leurs doctrines d’emploi. Cela ne va d’ailleurs pas sans certains paradoxes.

6Dans les années trente, le maréchal Pétain est identifié comme le chef de file de la partie la plus radicalement anticommuniste de l’armée qui agit comme un lobby pour désigner le bloc PCF/URSS comme « l’ennemi absolu ». Pourtant ces actions de lobbying sont un échec car, excepté pendant la période du Front populaire, le PCF n’est pas considéré comme un danger majeur, son cas relevant plutôt du ministère de l’Intérieur, c’est-à-dire des missions de maintien de l’ordre, que de l’armée. Les postures à l’égard de l’URSS sont également paradoxales car les militaires français s’interrogent sur le rôle que le pays des Soviets peut jouer dans la confrontation franco-allemande. Le haut-commandement français ne parvient pas à y apporter une réponse claire et durable. Les militaires pensent souvent que l’URSS n’est qu’une nouvelle version de la vieille Russie et n’abandonnent jamais complétement, dans leurs représentations mentales, le mythe du colosse aux pieds d’argile.

7Le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale pose d’entrée de jeu la question de l’attitude de l’armée face aux communistes français dans la « drôle de guerre ». La frange la plus anticommuniste de l’institution militaire estime que le communisme est l’allié de l’Allemagne et qu’il convient de lutter sans faiblesse contre l’ennemi intérieur, mais, dans le même temps, toujours au nom de regards paradoxaux, il n’y a pas d’aggravation de la répression au sein de l’armée contre le PCF. En revanche, la débâcle provoque réellement chez les militaires français la hantise d’une prise de pouvoir par les communistes, hantise qui se poursuit après le 10 juillet 1940. L’anticommunisme radical s’impose alors à l’armée d’armistice. Le fantasme d’une prise de pouvoir par les communistes français participe d’une vision collective qui, chez nombre d’officiers français, remonte aux années 1930. Même en préparant la revanche, l’armée d’armistice prend en compte le risque d’insurrection communiste jusqu’à novembre 1942. Officiellement instrument de maintien de l’ordre, l’armée d’armistice conserve jusqu’à sa dissolution une dimension contre-révolutionnaire mais à bas bruit, en quelque sorte, puisque l’auteur ne relève aucune traque de communistes ni dans les régiments ni dans les chantiers de jeunesse. Les services de renseignements traquent certes les communistes, mais leur activité principale demeure tournée vers leurs homologues allemands et italiens. L’auteur montre bien qu’il convient davantage d’aller chercher les principaux auteurs de la répression des communistes français dans les préfectures et la police, plutôt qu’au sein de l’armée d’armistice.

8L’invasion de l’URSS par la Wehrmacht à partir du 22 juin 1941 ouvre une alternative au sein de l’institution militaire et constitue donc une ligne de clivage : faut-t-il souhaiter l’effondrement de l’Armée rouge ou espérer un enlisement allemand, le IIIReich devant désormais combattre sur deux fronts ? Pour le dire autrement : qui est l’ennemi ?

9Après Stalingrad (11 juillet 1942 – 2 février 1943), l’armée française d’armistice radicalise ce questionnement. Faut-il souhaiter une possible victoire de l’URSS, obligeant à composer avec les communistes, ou bien faut-il, au contraire, accentuer l’effort de soutien aux Allemands pour empêcher la victoire de l’URSS ? La question du rapport de l’armée d’armistice au communisme devient ainsi celle du choix des alliances.

10Or ces questions n’épargnent pas les officiers de la France libre, même si les choses sont plus claires dans ce camp. C’est parmi les hommes de la mission militaire française en URSS qu’il peut exister parfois des trajectoires philocommunistes. Le général Ernest Petit, qui dirige la Mission militaire, vice-président de l’association France-Viet-Nam dès 1946 et apparenté PCF au Conseil de la République, en est un bon exemple. Mais Georges Vidal montre que le rapprochement de Petit avec le communisme est tardif, se situant probablement fin 1944-début 1945 et que, jusque-là, son parcours est conforme à celui de ses camarades passés par Saint-Cyr.

11Le débarquement allié en Afrique du Nord, le 8 novembre 1942, constitue dès lors un tournant majeur à plus d’un titre. L’Armée d’Afrique, au prix de quelques contorsions et de beaucoup de rivalités qui vont laisser des traces mémorielles profondes, est amenée à se fondre avec les Forces françaises libres (FFL), bien moins nombreuses qu’elle. Le Comité français de libération nationale (CFLN), puis le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) exercent l’autorité politique. L’auteur montre de manière remarquable que la question du communisme constitue un facteur discriminant entre giraudistes et gaullistes. Si les seconds s’engagent de plus en plus ouvertement dans la voie de l’alliance avec les communistes, les premiers s’unissent plutôt dans le combat contre de Gaulle (alors que l’URSS tient une place prépondérante dans la politique de Charles de Gaulle, comme en atteste la signature du Traité franco-soviétique de décembre 1944). Surtout, de Gaulle veut en finir avec la politique fluctuante de l’entre-deux-guerres et, au sein de la France libre, le principe de l’alliance avec l’URSS est globalement admis.

12La lecture que font les Français libres de l’URSS et des communistes français n’est pas un long fleuve tranquille pour autant. Jusqu’à la fin 1942, Charles de Gaulle attache plus d’importance aux relations avec l’URSS qu’au développement des contacts avec le PCF. Mais par la suite, le développement de la France combattante, la création du CFLN et le fonctionnement des institutions d’Alger font du PCF un interlocuteur puissant avec qui il convient de s’entendre.

13Les combats de la Libération et le poids des Forces françaises de l’intérieur (FFI), notamment communistes, font l’objet des chapitres V et VI de l’ouvrage. Ceux-ci intègrent notamment la vision communiste visant à créer une nouvelle armée nationale, comme c’était déjà le cas dans les années 1930. La question du recours à des officiers de carrière pour encadrer les Forces de l’intérieur fait débat et l’auteur rapporte opportunément l’expérience du Gard où Michel Bruguier, communiste et chef FFI du département, habile politique mais ne connaissant rien ni aux armes ni au combat, fait appel, pour le seconder, au colonel Dominique Magnant, polytechnicien, officier d’artillerie à la longue expérience combattante, bien que réserviste. Le binôme fonctionne parfaitement, preuve que les clivages idéologiques peuvent être dépassés ! L’ouvrage offre également des pages intéressantes sur l’amalgame FFI/Armée régulière de septembre 1944, qui rassemblent en une synthèse les différents savoirs sur cette thématique importante.

  • 1 Philippe Buton, Les lendemains qui déchantent : le Parti communiste français à la Libération, Paris (...)
  • 2 Mikhail Narinski, « Moscou et le Parti communiste français pendant la Seconde Guerre mondiale (1942 (...)

14En bon chercheur, Georges Vidal sait aussi remettre à plat certaines interprétations anciennes. Ainsi montre-t-il que la thèse d’une possible prise de pouvoir par les communistes français – même si elle ne dure pas –, avancée par Philippe Buton au début des années 19901, ne tient pas, au regard de l’exploitation des archives du Komintern par Mikhaïl Narinski, mais aussi des travaux de Fabrice Grenard2. Il analyse également fort bien les distorsions entre mémoires et contenu des archives.

15Au terme de cette étude fouillée, Georges Vidal montre bien que la cohésion du corps des officiers français a sensiblement diminué durant les cinq années de guerre. Les expériences ont été extraordinairement différentes entre les quelques-uns « qui ont dit non » et ceux de l’armée d’armistice, même si l’organisation de l’armée de la Libération en Afrique du Nord tente de mettre sous le tapis les vieilles rancunes entre gaullistes, giraudistes et maréchalistes. Plusieurs petits bémols peuvent cependant être avancés. D’abord, mais c’est habituel malheureusement dans ce type de recherche, on a l’impression que seuls les officiers pensent et agissent, et que les personnels sous-officiers et hommes du rang sont là uniquement pour servir la soupe. Il est vrai que nous disposons de bien peu de sources pour appréhender les réactions de ces personnels. Le deuxième bémol tient dans un défaut lié à la qualité de l’ouvrage. Très étayé et argumenté, au point d’être parfois touffu, il faut au lecteur, de temps à autre, résister à la tentation de ne pas sauter une page. Le dernier petit regret est de ne pas voir mentionné, à la fin de l’ouvrage, le fait que, dès l’automne 1945, la 2e DB est en Indochine et qu’un autre rapport entre armée et communistes s’instaure, notamment du fait de la présence dans le corps expéditionnaire français en Extrême-Orient d’un certain nombre d’officiers d’origine FTP et communistes.

16Il y a là néanmoins un ouvrage à posséder par la richesse de ses informations pour tout passionné d’histoire sociale de la culture militaire.

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Notes

1 Philippe Buton, Les lendemains qui déchantent : le Parti communiste français à la Libération, Paris, Presses de la Fondation nationales des sciences politiques, Paris, 1993.

2 Mikhail Narinski, « Moscou et le Parti communiste français pendant la Seconde Guerre mondiale (1942-1944) », dans Georges-Henri Soutou et Émilia Robin Hivert (dir.), L’URSS et l’Europe de 1941 à 1957, Paris, PUPS, 2008. Fabrice Grenard, « Le PCF et le maquis », Territoires contemporains, 2017, n° 7, dans dossier « Histoire documentaire du communisme » dirigé par Jean Vigreux et Romain Ducoulombier, (http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html, lien consulté le 14/05/2024).

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Pour citer cet article

Référence électronique

François Cochet, « Georges Vidal, L’Armée française et le communisme. Guerre-révolution, insurrection et enjeu soviétique, 1939-1945 »Histoire Politique [En ligne], Comptes rendus, mis en ligne le 16 mai 2024, consulté le 26 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoirepolitique/17218 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11p88

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François Cochet

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