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2023

François Dubasque et Anne-Laure Ollivier (dir.), Le promeneur enraciné. François Mitterrand, un cheminement politique et sensible à travers les territoires

Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2023, 270 p.
Gilles Candar
Référence(s) :

François Dubasque et Anne-Laure Ollivier (dir.), Le promeneur enraciné. François Mitterrand, un cheminement politique et sensible à travers les territoires, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2023, 270 p.

Texte intégral

  • 1 Du reste, ce sujet avait déjà été traité dans un colloque précédent, dirigé par François Dubasque e (...)
  • 2 François Mitterrand, Lettres à Anne 1962-1995, Paris, Gallimard, 2016 et Journal pour Anne 1964-197 (...)

1Ce livre est issu d’un colloque tenu à Poitiers en mars 2017 sous l’intitulé « François Mitterrand et les territoires. Sensibilité et pouvoirs ». Son objet est plus large qu’annoncé, et, d’une certaine manière, plus subtil qu’on pourrait le penser de prime abord. Il ne s’agit pas seulement d’interroger une carrière politique prestigieuse en étudiant l’implantation électorale et en démontant les ressorts de la construction d’un fief. Cet aspect n’est pas absent dans le livre, puisqu’il y est fort bien traité par Jean Vigreux à propos de la Nièvre, mais le livre va plus loin1. Il cherche en fait à appréhender une action publique au prisme des territoires, en décloisonnant « local » et « national », en essayant de saisir la complexité d’une politique, de la prise de décision à l’inscription plus ou moins effective ou biaisée au sein de divers espaces territoriaux déterminés. En outre, sollicitant largement les Lettres à Anne et le Journal pour Anne2, qui venaient alors de paraître, le colloque a voulu aussi prendre largement en compte l’approche sentimentale, intellectuelle voire spirituelle du paysage par François Mitterrand.

2Vaste programme donc. Certes, l’ouvrage ne prétend pas à l’exhaustivité. François Dubasque et Anne-Laure Ollivier, ses maîtres d’œuvre, signalent eux-mêmes quelques compléments possibles : Venise, Florence, l’Égypte. Ajoutons tout bonnement Paris, de ses lieux d’habitation, du « 104 » (rue de Vaugirard) estudiantin catholique à la rue de Bièvre en passant par des appartements amis, les lieux de la politique ou du pouvoir, la rue du Louvre, le palais Bourbon, Solférino, l’Élysée, mais aussi le quai Branly, et son environnement campagnard comme le manoir de Souzy-la-Briche dans l’Essonne. Paris reste mystérieux quant à l’investissement politique de Mitterrand avec le maintien d’un doute sur sa détermination à faire passer Paris à gauche, en tout cas ce ne pouvait être avec les communistes (Henri Fiszbin en 1977), mais peut-être pas non plus avec les socialistes (Georges Sarre en 1977, Paul Quilès en 1983 et Pierre Joxe en 1989) ? Pour autant, Paris fut aimé, parcouru, visité, connu et transformé… et la bibliographie sur le sujet est déjà assez fournie.

3Le livre étudie donc diverses régions hors de Paris : le fief conquis dans la Nièvre, la Drôme, un temps séduite à partir d’un modeste point d’appui, Suze-la-Rousse, et d’un homme surtout, Henri Michel (Gilles Vergnon), des « petites patries » personnelles, de Jarnac (Éric Kocher-Marboeuf) à Soustons (Judith Bonnin) et Solutré (Noëlline Castagnez), la Bretagne, cas divers et complexe, avec de fortes attaches (Beg An Fry à Guimaëc/Lanmeur et Belle-Île, aux deux extrémités du parcours public de François Mitterrand) et quelques contrepoints locaux de territoires plus difficiles, comme Cavaillon ignoré (Christian Chevandier) ou Lyon rétif (Bruno Benoit).

4D’autres monographies auraient pu être proposées, mais avec raison le colloque ne les multiplie pas au profit de plusieurs fortes études transversales qui prennent en considération l’espace national dans sa globalité. François Dubasque tente un parallèle très intéressant entre les deux Charentais, François Mitterrand et Félix Gaillard, confrontés à la mise en place des Commissions de développement économique régional (Coder) en 1964 et à leurs premières années de fonctionnement. Le second, président du Parti radical, privilégie une approche technique et consensuelle alors que le premier, fondateur de la Convention des institutions républicaines, n’hésite pas à aller davantage au conflit, dans une approche plus politique. Il rappelle l’attachement de François Mitterrand au cadre départemental, d’autant plus qu’il préside alors le Conseil général de la Nièvre, et surtout sa volonté de maintenir l’élection comme source de légitimité dans ces assemblées mêlant représentants élus des collectivités et socio-professionnels. La solide étude de Thibault Tellier permet de préciser les choses et de confirmer les grands principes de la politique mitterrandienne. Le leader de la gauche accepte la régionalisation, à condition qu’elle ne porte pas atteinte à la primauté nationale et qu’elle n’annihile pas le cadre départemental. Mais cette politique ne peut échapper aux contraintes du temps, notamment aux fortes pressions économiques qui pèsent, « dénaturent » le projet initial selon Pascal Chauchefoin. Il en fut un peu de même de sa politique de la ville qu’évoque dans ses grandes lignes, avec un optimisme peut-être un peu surjoué, l’architecte et urbaniste Michel Cantal-Dupart, animateur avec son collègue Roland Castro de Banlieue 89.

5La conquête du pouvoir se fait par l’implantation, le quadrillage du territoire, ce que les responsables du colloque appellent le « maillage mitterrandien ». La grande qualité de l’homme politique est sans doute de sentir, comprendre et harmoniser les mouvements sociaux, politiques ou culturels de son temps. Il faut être à l’écoute et savoir dialoguer avec son époque, le réel, appuyé sur quelques idées fortes, ce qu’on appelait l’idéal ou tout simplement « l’idée » du temps de Jaurès. Quoi qu’on en pense par ailleurs, c’est ce que parvient à faire avec une certaine réussite François Mitterrand au cours des années 1960 et 1970, évoluant sans difficulté majeure dans des milieux en principe antagonistes. L’ancien ministre, notable implanté aux contacts multiples, ne s’interdit pas d’apposer un poster de Che Guevara dans son bureau à Latche. L’avait-il encore conservé quand il reçut la visite de Kissinger au cours de l’été 1981 ? Sa stratégie de conquête du pouvoir venait alors de se concrétiser. Les victoires locales avaient préparé le socle d’un succès national, malgré une gauche plutôt désunie. Rémi Lefebvre montre bien que Mitterrand l’avait emporté en jouant sur la nationalisation et la politisation du local. La SFIO restait un parti de notables gestionnaires. Le PS se voulait être parti de militants, porteur des aspirations des années 1960, et donc promoteur d’une nouvelle génération d’élus à l’image et au programme rafraîchis. Après, c’était affaire de contacts, de connaissance des lieux et des milieux, d’entretien des réseaux comme l’analysent aussi bien François Prigent pour la Bretagne que Gilles Vergnon pour la Drôme, même si à Lyon (Bruno Benoit) et dans le Vaucluse (Christian Chevandier), malgré la maison de Gordes qui doit rester à l’abri de l’attention médiatique, c’est plus difficile.

6La troisième partie sur « les territoires intimes : représentations et mises en scène » était loin d’être la plus facile. Comment aborder historiquement ce qui semble échapper à un regard social ? Le pari est pourtant tenu. Un littéraire, François-Jean Authier, s’exerce à expliquer « la poétique du terrestre » chez François Mitterrand dans une communication intitulée « Territoires de littérature ». Son analyse est précieuse par le décalage même qu’elle autorise par rapport à l’ensemble du livre – tout ne doit pas être soumis au décryptage des seuls historiens – même s’il s’achève sans trop de surprise par une évocation barrésienne de La Colline inspirée, mais aussi par un bel apophtegme mitterrandien : « La merveille est dans l’instant. » Les historiens ne manquent pas de reprendre les rênes : Éric Kocher-Marboeuf intervient avec une solide érudition sur Jarnac et le territoire de l’enfance, confrontés aux récits des biographes, aux mythes et aux reconstructions successives. Judith Bonnin, spécialiste de la politique internationale des socialistes, décrypte l’utilisation de Latche dans le jeu politique du candidat Mitterrand, puis son utilisation par la diplomatie du président. Un exemple resté finalement sans vrai successeur, malgré quelques tentatives des Chirac en Corrèze avec les Clinton. Noëlline Castagnez se confronte à la rude tâche de traiter de Solutré, écartelé entre « rituel privé et rituel public », ce qu’elle appelle « la territorialisation de la geste et de la mémoire mitterrandienne ». Elle ne laisse rien au hasard et en analyse très finement les diverses facettes, citant et confirmant le constat de Marc Abélès : Solutré est « la jonction réussie du sacré et du quotidien ». Spécialiste de Michel Rocard, mais aussi des stratégies modernes de communication, Pierre-Emmanuel Guigo envisage « le territoire de la communication », citant le géographe et philosophe Jacques Lévy qui définit le territoire comme un « espace imaginé ». Il en fait l’historique dans la carrière de François Mitterrand : de l’Outre-Mer, essentiellement africain, du jeune ministre de la IVRépublique, aux paysages industriels de la modernité, puis plus ruraux sous la Ve République, afin d’humaniser son personnage et de préparer les chemins de la France unie. Le meilleur en passa beaucoup par l’écrit, de Ma part de vérité (Fayard, 1969) aux chroniques de L’Unité : La paille et le grain (Flammarion, 1975), puis L’abeille et l’architecte (Flammarion, 1978).

7Les témoignages de quelques grands acteurs du mitterrandisme, Michel Charasse, Philippe Marchand, Henri Nallet, Jacques Santrot, Gilbert Mitterrand, apportent leur lot d’anecdotes ou de précisions, qui ont leur intérêt et font le charme de ces colloques d’histoire très contemporaine. François Mitterrand a donc à la fois pensé le territoire et agit profondément sur lui pour servir sa vision de la France et son destin personnel. La question est posée parfois de la fin du modèle du succès politique par l’implantation puisque le colloque, puis la rédaction définitive des contributions, coïncident avec l’émergence de la candidature Macron et du début de sa présidence. On sait que depuis il en a beaucoup été rabattu sur la prétention disruptive de l’opération. Il est certes démontré qu’une carrière politique est concevable sans ancrage préalable dans un territoire, surtout quand elle peut compter sur d’autres appuis bien plus puissants qui y suppléent. Cela ne dispense pas d’avoir une politique territoriale. La négliger entraîne des risques, sociaux (Gilets jaunes…) ou même électoraux (défaites aux régionales, départementales et municipales). Et le vieux modèle du politique arc-bouté sur sa relation particulière à un territoire d’élection fonctionne encore avec Édouard Philippe (Le Havre), Gérald Darmanin (Tourcoing), François Bayrou (Pau), voire à gauche avec Carole Delga (Occitanie) ou François Ruffin dans la Somme, pour ne citer que ces seuls exemples. Ce n’est pas un modèle unique, mais il ne l’a jamais été non plus et les sables du Nivernais ne sont pas seuls à pouvoir glisser un soir d’élection. Même sous la IIIe République, Jaurès, Ferry et Clemenceau connurent la défaite dans leurs circonscriptions tandis que Doumer, Briand, Viviani, Painlevé, Paul-Boncour et bien d’autres durent en changer pour rester dans la course. Il reste donc préférable en histoire d’éviter les modèles trop rigides et exclusifs.

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Notes

1 Du reste, ce sujet avait déjà été traité dans un colloque précédent, dirigé par François Dubasque et Éric Kocher-Marboeuf, Terres d’élection. Les dynamiques de l’ancrage politique (1750-2009), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004.

2 François Mitterrand, Lettres à Anne 1962-1995, Paris, Gallimard, 2016 et Journal pour Anne 1964-1970, Paris, Gallimard, 2016.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Gilles Candar, « François Dubasque et Anne-Laure Ollivier (dir.), Le promeneur enraciné. François Mitterrand, un cheminement politique et sensible à travers les territoires »Histoire Politique [En ligne], Comptes rendus, mis en ligne le 07 septembre 2023, consulté le 19 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoirepolitique/13170 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoirepolitique.13170

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Gilles Candar

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