Zadora-Rio, Élisabeth (sous la direction de). 2008. Des paroisses de Touraine aux communes d’Indre-et-Loire. La formation des territoires, Tours, Fercf
34e supplément à la Revue Archéologique du Centre de la France, 304 p.
Full text
- 1 Fernand Boulardet al., Matériaux pour l’histoire religieuse du peuple français, xixe-xxe siècles : (...)
- 2 Guy Arbellot, Jean-Pierre Goubert, Jacques Mallet & Yvette Palazot, Carte des généralités, subdélé (...)
- 3 Daniel Nordman, Marie-Vic Ozouf-Marignieret al., Atlas de la Révolution française, vol. 4, Le ter (...)
- 4 Voir par exemple Édouard Baratier, Georges Duby & Ernest Hildesheimer (dir.), Provence, comtat Ven (...)
- 5 Jacques Dupâquier & Jean-Pierre Bardet (dir.), Paroisses et communes de France : dictionnaire d’hi (...)
1La reconstitution cartographique des maillages et centres de la vie locale d’autrefois est, depuis longtemps, une des tâches majeures de la géographie historique. Auguste Longnon fut, à la charnière du xixe et du xxe siècle, l’un des plus actifs représentants de ce courant d’étude, avec ses travaux sur la géographie de la Gaule. Bien que la géographie historique soit restée une science peu nourrie en France, à la différence de ce qu’elle est dans d’autres pays, l’Angleterre notamment, des entreprises sont venues de loin en loin explorer tel ou tel pan de la structuration de l’espace à différentes époques (maillages ecclésiastiques par Fernand Boulard1, généralités, subdélégations et élections2, découpages administratifs de l’Ancien Régime dans l’Atlas de la Révolution française3, etc.) et parfois, pour différentes aires géographiques (Atlas historiques régionaux4). Mais le grain menu de l’organisation de l’espace, l’échelle de la paroisse, de la communauté puis de la commune, a toujours opposé à la recherche une résistance particulière, tant par l’ampleur de l’ouvrage qui consiste à réunir les sources pertinentes que par les problèmes méthodologiques et techniques posés par la restitution cartographique de quarante mille unités fort variables au cours du temps. La collection Paroisses et communes de France5, pionnière en son temps, témoigne de la méticulosité d’une telle enquête et de la difficulté de parvenir à une couverture exhaustive du territoire français.
2L’ouvrage coordonné par Élisabeth Zadora-Rio est limité à l’étude d’un département, l’Indre-et-Loire, qui coïncide approximativement avec l’ancien diocèse de Tours et avec l’ancienne Touraine. Ce caractère monographique est lié à la réunion d’une équipe de chercheurs collectant depuis bon nombre d’années des données concernant l’évolution du peuplement et du maillage ecclésial et communal tourangeaux à partir de sources variées : sources écrites – et notamment les exceptionnelles pages de Grégoire de Tours –, fouilles archéologiques, bases de données informatiques. L’échelle choisie permet la mise en œuvre d’une précision extrême sur le plan géographique et chronologique. Car si l’espace est restreint, la perspective temporelle est volontairement étirée de l’Antiquité tardive à nos jours. L’un des aspects les plus intéressants de cet ensemble de contributions est qu’il permet de saisir dans le détail le passage de la paroisse à la commune, angle mort de l’historiographie, et qu’il interroge l’idée reçue selon laquelle ce découpage élémentaire de la vie sociale se serait fixé de bonne heure et n’aurait pratiquement pas été modifié depuis lors.
3Pour mettre à l’épreuve l’antienne de la stabilité de la structuration spatiale à l’échelle inférieure, l’équipe réunie autour d’ Élisabeth Zadora-Rio a fondé l’investigation sur deux avancées majeures de l’historiographie. La première est liée à l’historiographie récente de la paroisse qui vient d’enregistrer des apports essentiels avec les travaux des médiévistes sur l’implantation des églises (Alain Guerreau, Dominique Iognat-Prat), sur les cimetières paroissiaux (Michel Lauwers) et sur les territoires paroissiaux. Élisabeth Zadora-Rio est elle-même une des meilleures spécialistes de ces questions de spatialisation religieuse des territoires ruraux, auxquelles elle a déjà consacré d’importantes contributions. La seconde innovation, d’ordre méthodologique, vient de l’utilisation des possibilités offertes par le traitement informatique des données et la création de systèmes d’information géographique. Le géo-référencement des données historiques offre des possibilités inédites de comparaison des répartitions et des appartenances à travers les âges. Plusieurs membres de l’équipe sont très exercés à l’approche quantitative et à la modélisation, comme Pascal Chareille et Xavier Rodin ; la cartographie a été réalisée par Corinne Rupin-Scheid.
4L’ouvrage est divisé en quatre parties. Dans la première, Élisabeth Zadora-Rio date et reconstitue le semis des lieux de culte du ive au xive siècle, en étudiant les mentions d’églises et de vocables. La deuxième est consacrée à l’analyse de la territorialisation progressive des espaces polarisés par les centres paroissiaux et les petites villes pendant la même période. Jean-Michel Gorry, historien moderniste auteur du volume de Paroisses et communes de France consacré à l’Indre-et-Loire, étudie dans la troisième partie la constitution des communes en 1790. Il montre les continuités et ruptures entre le maillage paroissial et le maillage communal, ainsi que l’évolution de ce dernier, de sa création à nos jours. La dernière partie fournit des clés historiques et environnementales (pédologie et hydrographie notamment) pour l’interprétation de la morphogenèse des territoires. Elle soumet à la critique l’idée selon laquelle la superficie des communes est liée à leur potentiel agricole.
5Dans leur mise en œuvre, les analyses produites dans cet ouvrage représentent des apports majeurs à plusieurs égards. On peut d’abord relever l’attention prêtée aux notions et processus géographiques. Si les concepts de l’analyse spatiale sont communément appliqués aux situations d’aujourd’hui, il est rare de les voir employés aux situations de l’époque médiévale et moderne avec autant de rigueur. Élisabeth Zadora-Rios’appuie sur les dictionnaires et manuels de géographie où elle puise définitions et concepts qui fournissent une solide armature à son raisonnement. Ainsi, le semis de lieux de culte ne s’organise que progressivement en réseau de vocables et en centres paroissiaux, l’espace paroissial ne devient territoire que lentement, selon un processus de polarisation et plus tardivement, de fixation des limites. Élisabeth Zadora-Rio introduit les notions de cospatialité et d’enveloppe territoriale, plus adaptées à son sens au peuplement médiéval que celle de territoire pourvu de limites. À cet égard, il nous paraît inexact de parler de maillage pour la période ive-xiie siècle, mais c’est la seule réserve que nous pouvons adresser à un emploi manifestement très rigoureux des notions spatiales. À noter que l’usage du maillage communal de 1791 sur les cartes figurant la structuration de l’espace médiéval prête à confusion, même si ce choix n’est lié qu’à la volonté explicite de faciliter le repérage par le lecteur. En revanche, les éclaircissements donnés sur les termes de vicus, castrum, villa, burgum constituent des analyses de géographie historique extrêmement précieuses. Le problème fort intéressant du découplage entre le toponyme (qui peut se perpétuer) et le lieu désigné (qui peut se déplacer) plaide en faveur du recours à l’archéologie.
6Dans le développement consacré par Jean-Michel Gorry à la naissance de la commune, l’examen des notions est également fécond. Communauté d’habitants, collecte, paroisse, municipalité, voilà un ensemble de termes qui méritent explication avant tout examen de la création des communes. L’étude qui suit des archives relatives à la délimitation des communes et de la dynamique de fixation de leurs tracés n’en est que plus convaincante. De même, la typologie des modifications communales de 1790 à nos jours (fusions, absorptions, éclatements, etc.) est un guide dont la validité pourrait s’appliquer à tous les départements.
7Une seconde série de points forts réside dans le réexamen de théories antérieures concernant le système de peuplement ou d’idées communément admises. Élisabeth Zadora-Rio envisage notamment les modèles de l’incastellamento (Toubert), celui de l’encellulement (Fossier) et d’autres encore : en faisant varier les échelles d’analyse et en mêlant les sources, elle complexifie singulièrement les interprétations disponibles et fait apparaître les recouvrements ou décalages temporels entre les formes matérielles observées et les pratiques. Ce faisant, elle revisite les thèses qui privilégient la continuité et la fixité du système de peuplement.
8À l’encontre de la vision ordinaire d’un maillage stable mais pourtant difficile à reconstituer, l’étude de Jean-Michel Gorry nous montre, elle aussi, la relativité de la continuité entre paroisses et communautés et communes mais aussi la possibilité de cartographier précisément cette évolution.
9Une autre investigation fructueuse est celle qu’a menée Éric Blin à propos de la concordance entre limites communales et réseau hydrographique. On sait que la rivière est tantôt une séparation, tantôt un facteur d’unité mais les études systématiques manquaient jusqu’ici pour l’établir dans le détail. Analyse et cartes nous montrent qu’un tiers du réseau hydrographique est utilisé comme limite communale alors qu’un sixième des limites communales coïncident avec un cours d’eau.
10Enfin, nous souhaitons insister sur un troisième registre de résultats innovants. Ils résident dans la méthode mise en œuvre, qui met en cause l’approche régressive au profit d’une perspective résolument génétique, qui n’exclut pas la modélisation. C’est en effet à propos de la contribution réservée à cette dernière que l’accent est mis sur les impasses d’une lecture rétrospective prenant pour point de départ les formes actuelles du peuplement pour en rechercher les origines lointaines. Si les résultats produits par la modélisation des dynamiques territoriales (chapitre 4 et 5 de la quatrième partie) sont à lire à la lumière des débats historiographiques sur la morphologie des paroisses et communes (et leurs fondements économiques), ils participent aussi d’une génération de travaux qui assignent à la géographie historique la mission d’une lecture dynamique du territoire, à l’intersection entre la synchronie et la diachronie.
11Cet ouvrage intéressera donc non seulement les spécialistes de l’Indre-et-Loire, les médiévistes et modernistes travaillant sur le fait paroissial et communal, mais tous ceux qui s’efforcent de pratiquer de manière exigeante le croisement de l’espace et du temps. Bien au-delà de sa portée monographique, il propose une approche renouvelée et très stimulante de la géographie historique
Notes
1 Fernand Boulardet al., Matériaux pour l’histoire religieuse du peuple français, xixe-xxe siècles : région de Paris, Haute-Normandie, Pays de Loire, Centre, Paris, Ehess, Fnsp, Cnrs, 1982 ; id., Bretagne, Basse-Normandie, Nord-Pas-de-Calais, Picardie, Champagne, Lorraine, Alsace, Paris, Ehess, Fnsp, Cnrs, 1987 ; id., Aunis-Saintonge-Angoumois, Limousin, Auvergne, Guyenne, Gascogne, Béarn, Foix, Roussillon, Languedoc, Paris, Ehess, Fnsp, Cnrs,1992.
2 Guy Arbellot, Jean-Pierre Goubert, Jacques Mallet & Yvette Palazot, Carte des généralités, subdélégations et élections en France à la veille de la Révolution de 1789 : circonscriptions administratives à la fin de l’Ancien Régime, Paris, Éditions du Cnrs, 1986, 12 feuilles couleur, 1/500 000e.
3 Daniel Nordman, Marie-Vic Ozouf-Marignieret al., Atlas de la Révolution française, vol. 4, Le territoire, réalités et représentations ; vol. 5, Le territoire, les limites administratives, Paris, Éditions de l’Ehess, 1989.
4 Voir par exemple Édouard Baratier, Georges Duby & Ernest Hildesheimer (dir.), Provence, comtat Venaissin, principauté d’Orange, comté de Nice, principauté de Monaco, Paris, Colin, 1969 (Atlas historique de France).
5 Jacques Dupâquier & Jean-Pierre Bardet (dir.), Paroisses et communes de France : dictionnaire d’histoire administrative et démographique, Paris, Cnrs. Actuellement, la collection compte quarante volumes publiés qui couvrent quarante-sept départements.
Top of pageReferences
Bibliographical reference
Marie-Vic Ozouf-Marignier, “Zadora-Rio, Élisabeth (sous la direction de). 2008. Des paroisses de Touraine aux communes d’Indre-et-Loire. La formation des territoires, Tours, Fercf”, Histoire & mesure, XXV-1 | 2010, 261-264.
Electronic reference
Marie-Vic Ozouf-Marignier, “Zadora-Rio, Élisabeth (sous la direction de). 2008. Des paroisses de Touraine aux communes d’Indre-et-Loire. La formation des territoires, Tours, Fercf”, Histoire & mesure [Online], XXV-1 | 2010, Online since 15 July 2010, connection on 12 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoiremesure/3921; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoiremesure.3921
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