Natacha Coquery, Florence Weber & François Menant (dir.), Écrire, compter, mesurer
Natacha Coquery, Florence Weber & François Menant (dir.), Écrire, compter, mesurer. Vers une histoire des rationalités pratiques, Paris, Éditions rue d’Ulm, 2006, 280 p.
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1Plusieurs des communications d’un colloque, réunissant des chercheurs en sciences humaines venus de différents horizons (histoire, ethnologie, économie, gestion) et qui fut organisé en 2001 sur le thème « Écrire, compter, mesurer », ont été colligées dans l’ouvrage éponyme que publient les éditions de l’ens de la rue d’Ulm. Le livre est structuré en quatre parties que nous allons brièvement présenter.
2François Menant rapproche le développement de l’écrit documentaire aux xie et xiie siècles du besoin d’administrer, de contrôler, de gouverner des ensembles qui commencent à s’organiser en États. Pierre Portet retrace, de son côté, le développement des techniques du calcul élémentaire dans l’Occident médiéval, avec l’utilisation de l’abaque à jetons, le calcul sur la poussière pour l’algoriste, la diffusion de la numérotation de position arabo-indienne. On en vient tout naturellement à la comptabilité à partie double avec Giacomo Todeschini, qui reprend la réflexion menée par Max Weber sur la rationalité économique occidentale en la croisant avec celle de Jack Goody sur la raison graphique. Ces trois chapitres constituent la première partie, qui dresse le parallèle entre « écriture pratique, État et capitalisme ».
3La deuxième partie regroupe cinq textes sur le thème « Inscrire des transactions ». Parmi ceux-ci, on relèvera celui de l’ethnographe Alban Bensa, qui nous fait découvrir l’écriture et la comptabilité des cadeaux dans les échanges non marchands en Nouvelle-Calédonie kanak contemporaine. L’Allemand Ludolf Kuchenbuch s’est intéressé, lui, aux baguettes de taille, dont on suspecte qu’elles furent utilisées pour compter depuis l’aube de l’humanité et dont on peut suivre avec certitude l’utilisation pour garder trace des échanges dans le Nord-Ouest du continent européen, depuis le xie siècle jusqu’à l’entre-deux-guerres ! Car si l’écrit documentaire connaît un développement à l’époque médiévale, si la comptabilité en partie double est inventée pendant cette période, les applications restent longtemps maladroites, ce que montrent les textes de Marc Bompaire, Natacha Coquery et Thomas Berhmann, à partir, respectivement, des livres des changeurs français aux xive et xve siècles, des boutiquiers au xviiie et des marchands dans les villes hanséatiques au xive siècle.
4La troisième partie du livre est intitulée « Tenir ses comptes ». Les trois chapitres qui la constituent font apparaître le budget et la comptabilité dans des cadres différents de ceux auxquels on les rapporte usuellement : les églises collégiales de la basse vallée du Rhin pour Dieter Scheler, les comptes de châtellenie savoyards pour Christian Guilleré et Guido Castelnuovo, le registre d’une famille de paysans quercynois pour Florent Hautefeuille.
5La dernière partie porte sur « Les enjeux pratiques et politiques de la mesure ». L’économiste Agnès Gramain compare l’approche des historiens, des ethnographes, qui cherchent à comprendre les individus dans leur complexité humaine, et celle des micro-économistes, qui visent la prévision au travers de modèles dans lesquels la motivation des agents se résume à une maximisation sous contraintes. Quant au statisticien Alain Desrosières, il nous invite à une réflexion sur ce qu’il est possible techniquement ou/et moralement de mesurer. Dans une postface, Karine Chemla, historienne des sciences, fait valoir l’intérêt pour sa discipline des recherches sur l’histoire des écritures pratiques.
6Dans l’introduction, Natacha Coquery, Florence Weber et François Menant, sous la responsabilité desquels l’ouvrage a été publié, visent à repérer les lignes de force des différents chapitres, à donner une cohérence à leur variété. Il en ressort un questionnement d’importance, celui de la rationalité : quelle définition lui donner ? Quelle universalité lui reconnaître ? Quand on sait la pauvreté des hypothèses sur lesquelles se fonde la faction dominante des économistes, on mesure l’intérêt des travaux qui sont présentés ici ; même si certains, en se limitant à une perspective descriptive, paraissent éloignés de la problématique dégagée par ceux qui ont dirigé la publication. Enfin, on notera que la table des matières renvoie à des articles publiés en ligne : « Ce qu’écrire veut dire au Moyen Âge », par Joseph Morsel et « À la conquête de la Science des comptes », par Yannick Lemarchand. On aurait aimé quelques commentaires pour comprendre l’apport de ces communications dans le cadre général. On aurait également souhaité que cette écriture de chapitres virtuels inspire aux auteurs du livre une réflexion sur ce que signifie écrire, compter et mesurer à l’heure des nouvelles technologies de l’information.
7Le livre éveille la curiosité du chercheur en sciences humaines, il stimule la réflexion et suscite un désir de débattre. On espère donc que le programme commencé dans cet ouvrage sera poursuivi dans des travaux ultérieurs. À quand la suite ?
Pour citer cet article
Référence papier
Henri Zimnovitch, « Natacha Coquery, Florence Weber & François Menant (dir.), Écrire, compter, mesurer », Histoire & mesure, XXII - 2 | 2007, 181-183.
Référence électronique
Henri Zimnovitch, « Natacha Coquery, Florence Weber & François Menant (dir.), Écrire, compter, mesurer », Histoire & mesure [En ligne], XXII - 2 | 2007, mis en ligne le 09 décembre 2008, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoiremesure/2613 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoiremesure.2613
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