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Statistiques coloniales

Les sociétés concessionnaires françaises et le secret des affaires : le cas de l’Afrique-Équatoriale française lors de la crise du caoutchouc de 1913

French Colonial Companies and Business Secrecy: The Case of French Equatorial Africa during the 1913 Rubber Crisis
Antoine Fabre et Pierre Labardin
p. 19-50

Résumés

Le secret des affaires constitue une des caractéristiques principales du capitalisme de la seconde révolution industrielle. La diffusion des informations comptables était limitée au minimum légal. L’étude des sociétés concessionnaires de l’Afrique-Équatoriale française conduit cependant à un constat inverse, puisque les informations comptables relatives au prix de revient étaient largement diffusées. Nous cherchons à comprendre les raisons de ce paradoxe apparent en étudiant les discours produits par les sociétés concessionnaires, en nous concentrant sur un épisode révélateur, la crise du caoutchouc de 1913. Cette réflexion permet alors de caractériser les spécificités du contexte colonial et la différence avec le capitalisme métropolitain.

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Notes de l’auteur

Cet article a bénéficié du soutien de l’Agence nationale de la recherche, via le programme « Compter en situation coloniale. L’Afrique française (1830-1962) » (ANR-21-CE41-0012, 2021-2026).

Texte intégral

  • 1 Voir par exemple J.-N. Jeanneney, 1981.
  • 2 C. Coquery-Vidrovitch, 1968 ; id., 1972.

1L’historiographie souligne la centralité du secret des affaires dans les caractéristiques distinctives du capitalisme de la seconde révolution industrielle1. Les comptabilités (en particulier les informations relatives au prix de revient) étaient conservées secrètes et leur diffusion aux actionnaires, aux salariés aux syndicats, ou encore à l’État faisaient l’objet de nombreuses réticences de la part des entreprises. À rebours de cette tendance bien documentée, les travaux de Catherine Coquery-Vidrovitch2 sur les compagnies concessionnaires en Afrique-Équatoriale française (désormais AEF) montrent, au contraire, une large diffusion des prix de revient du caoutchouc par ces sociétés.

2Ce paradoxe apparent constitue le point de départ de notre questionnement : comment expliquer ce contraste dans les pratiques de diffusion du prix de revient à partir de spécificités propres au contexte colonial de l’AEF ? Le type de réponse que nous voulons apporter n’est pas fondé sur une documentation de nature quantitative d’un phénomène déjà établi par la littérature, mais plutôt sur une explicitation des logiques et rationalités sous-jacentes à ces pratiques. C’est par une documentation des finalités de la diffusion du prix de revient dans un contexte colonial que nous cherchons à éclairer les différences par rapport au contexte métropolitain. Autrement dit, il ne s’agit pas de proposer un traitement quantitatif élaboré, mais plutôt une réflexion sur l’inégale diffusion de données financières par les entreprises en fonction de leur contexte d’exploitation (métropolitain ou colonial) et les diverses fonctions rhétoriques associées.

3Notre analyse est basée sur les données comptables mobilisées dans les discours produits par les sociétés concessionnaires caoutchoutières en AEF au moment de la crise du caoutchouc de 1913. Confrontées à une chute durable des cours internationaux du caoutchouc au cours de cette période, ces sociétés organisèrent une vaste campagne de communication visant d’abord à rassurer les investisseurs et leurs actionnaires métropolitains, mais également à susciter des mesures fiscales et douanières favorables de la part de l’administration coloniale. Au cours de cet épisode, les prix de revient étaient systématiquement mobilisés dans les différents discours, et nous cherchons à analyser les stratégies rhétoriques associées. Deux sources principales sont mobilisées pour documenter cet épisode : le périodique Les assemblées générales, qui recense des documents comptables et financiers directement produits par les sociétés concessionnaires à destination de leurs actionnaires, ainsi que les articles de la presse économique et coloniale relatifs au caoutchouc africain, faisant parfois office de tribune pour les dirigeants de ces sociétés.

4Nous mettons ainsi en évidence un autre usage du prix de revient, de nature rhétorique, différent de sa fonction économique et gestionnaire habituelle. Notre étude montre que celui-ci a pu constituer une ressource discursive majeure pour les firmes coloniales dans la production de discours à destination des actionnaires et de l’administration coloniale. Dans le cas du caoutchouc en AEF, la réaction des autorités administratives s’est soldée par une intensification de l’exploitation de la main-d’œuvre colonisée, ce qui n’a par ailleurs pas empêché l’effondrement de la filière quelques années plus tard. Ces résultats nous conduisent en fin de compte à distinguer les pratiques de diffusion des données comptables métropolitaines et coloniales au début du xxe siècle.

5L’article est organisé de la manière suivante : dans un premier temps, nous rappelons l’historiographie relative au secret des affaires évoqué précédemment, avant de proposer des éléments de contexte de notre étude ainsi qu’une présentation des sources mobilisées, dans une deuxième partie. La troisième section sera consacrée à l’analyse de la campagne de communication initiée par les sociétés concessionnaires, fondée sur la diffusion de leur prix de revient.

1. Une culture métropolitaine du secret des affaires

  • 3 J.-N. Jeanneney, 1981, p. 12.
  • 4 J. Bouvier, 1961.
  • 5 H. Bonin, 2006.
  • 6 C. Vuillermot-Febvet, 2015.

6Jean-Noël Jeanneney évoquait « la puissance ancestrale, écrasante du secret économique3 » pour expliquer les difficultés rencontrées par les historiens et les chercheurs en sciences sociales à accéder à des informations économiques et financières relatives à la gestion interne des entreprises. Un tel constat se retrouve dans de nombreuses monographies sur les grandes entreprises françaises de la fin du xixe siècle comme celle de Jean Bouvier4 sur le Crédit Lyonnais entre 1863 et 1882 ou Hubert Bonin5 sur la Société Générale entre 1864 et 1890. La recherche en histoire de la comptabilité a également largement corroboré ce constat. Dans le cas de Paribas, Catherine Vuillermot-Febvet6 constate la transformation de la politique de communication financière de l’entreprise en une centaine d’années, à partir de 1875, passant d’une culture du secret caractérisée par une rétention généralisée des données comptables à une profusion de chiffres, diffusés largement dans les discours aux actionnaires.

  • 7 La loi dispose que les comptes étaient consultables par les actionnaires au siège de la société qui (...)
  • 8 A. Lefebvre-Teillard, 1985, p. 384-387.
  • 9 Y. Lemarchand & N. Praquin, 2005, p. 29.
  • 10 G. Delmas, 1898, cité par Y. Lemarchand & F. Le Roy, 2000, p. 89.
  • 11 La Cegos succède à la CGOST créée en 1926 (Confédération générale de l’organisation scientifique du (...)
  • 12 Y. Lemarchand & F. Le Roy, 2000.

7Ainsi, si le constat semble assez unanime en métropole, il convient toutefois de distinguer, parmi les différents types d’information comptable, les bilans et comptes de résultats d’une part, et les prix de revient de l’autre. Pour les premiers, la loi du 24 juillet 1867 rendait obligatoire, pour les sociétés anonymes, la présentation7 et l’approbation du bilan, de l’inventaire et du montant des dividendes distribués, ce dernier ne devant pas excéder le montant du profit8. Cette obligation faisait du calcul du profit un « enjeu social9 » puisque ses modes de calcul conditionnaient le montant des dividendes. La diffusion d’informations comptables concernait des destinataires assez différents : les actionnaires étaient évidemment les premiers concernés tant pour le montant de leur dividende que pour leur (dés)investissement. On retrouvait aussi les créanciers, les salariés, l’État (à partir du moment où le profit devint un élément imposable) ou les concurrents. Concernant les prix de revient, il n’existait en revanche aucune obligation de diffusion et le secret qui entourait leur calcul suscitait parfois des inquiétudes quant aux erreurs qui pourraient en résulter. C’est ainsi que les maîtres imprimeurs tentèrent d’en normaliser le calcul au tournant du xxe siècle, afin de « restreindre l’inévitable concurrence dans les limites raisonnables et sauver peut-être des maisons qui courent à une ruine certaine sans se rendre un compte exact de la cause de leur décadence10 », en évitant toute diffusion du résultat. Une tentative similaire fut initiée par la Cegos11 dans l’entre-deux-guerres12.

  • 13 Y. Lemarchand & F. Le Roy, 2000, p. 95.
  • 14 M. Floquet, 2012, p. 189-190.
  • 15 M. Floquet & P. Labardin, 2013.

8De manière plus systématique que le bilan et le compte de résultat, le prix de revient demeurait ainsi une donnée largement secrète : beaucoup de dirigeants craignaient de dévoiler à leurs concurrents lequel de leurs produits était le plus rentable et lequel l’était le moins. Ces craintes relevaient plus largement d’une peur d’une ingérence des concurrents et de l’administration fiscale dans les affaires de l’entreprise13. Mathieu Floquet évoque ainsi trois raisons de ne pas diffuser d’informations auprès des salariés : d’abord, le risque de voir des concurrents en tirer profit, ensuite l’ignorance des mécanismes comptables par les salariés et enfin le risque d’immixtion dans la gestion des entreprises14. Plus globalement, la communication d’informations par les entreprises métropolitaines au début du xxe siècle ne priorisait pas forcément le chiffre comptable, mais s’inscrivait avant tout dans des discours paternalistes, comme l’attestent par exemple les cérémonies de remise de médailles du travail15.

  • 16 Y. Lemarchand & N. Praquin, 2005, p. 25-26.
  • 17 R. Fleischman & T. McLean, 2020, p. 222.
  • 18 Voir par exemple C. J. Napier, 1990 ; id., 1991 ; J. R. Edwards, 2019 ; ou encore T. Boyns, 2021.
  • 19 F. Steinfeld, 2022.

9Ces réticences à diffuser l’information comptable pouvaient également entraîner une diffusion de données tronquées : ainsi, comme le soulignent Yannick Lemarchand et Nicolas Praquin, les réserves occultes étaient largement utilisées pour gérer le résultat et permettre aux entreprises de conduire une politique d’autofinancement16. Ce constat n’est pas propre à la France : Richard Fleischman et Tom McLean rappellent le consensus occidental autour du secret en matière de calcul des coûts que nombre d’auteurs analysent comme une explication de la diffusion tardive des méthodes de calcul17. Des travaux convergents depuis trente ans ont montré que c’était notamment le cas en Grande-Bretagne, où les pratiques d’amortissement18 ou de constitution de réserves cachées19 étaient largement utilisées, rendant la mesure du profit très discutable.

10À partir de cette série de travaux, on peut donc souligner à quel point la diffusion du prix de revient au début du xxe siècle se faisait dans un cercle restreint : il ne s’agissait pas de données comptables règlementées (à l’inverse des bilans et des comptes de résultat) et leur diffusion s’accompagnait de beaucoup de craintes en métropole. La présente étude s’inscrit dans la continuité de ces travaux, à partir d’un contexte peu exploré jusqu’alors, celui des sociétés concessionnaires à la même époque. Nous nous focalisons plus précisément sur le cas des sociétés concessionnaires de l’AEF au cours des années 1910, que nous présentons dans la section suivante.

2. Les sociétés concessionnaires en Afrique-Équatoriale française et le marché du caoutchouc au début du xxe siècle

  • 20 Voir par exemple L. Cardoso de Mello & S. Van Melkebeke, 2019 ou W. G. Clarence-Smith, 2013.

11Dans cette section, nous présentons un bref historique de la mise en place et du développement des sociétés concessionnaires caoutchoutières de l’AEF au début du xxe siècle, développement favorisé dans un premier temps par l’essor du marché international du caoutchouc20, puis compromis par la baisse tendancielle des cours. Nous détaillerons également le type de sources que nous avons mobilisé dans le cadre de cette étude.

Le système concessionnaire en Afrique-Équatoriale française

  • 21 C. Coquery-Vidrovitch, 1969.
  • 22 C. Coquery-Vidrovitch, 1972, p. 28.
  • 23 M. Lagana, 2011 [1990].

12Le processus de colonisation du Congo français (qui devint l’Afrique-Équatoriale française à partir de 1910) fut initié dès 1842, et fut notamment marqué par une série d’expéditions conduites par Pierre Savorgnan de Brazza entre 1875 et 190021. À partir de 1899, l’État français se résolut à déléguer la colonisation et la mise en valeur économique de la colonie à quarante entreprises concessionnaires privées (Figure 1), projet partiellement inspiré par l’expérience du Congo voisin de Léopold II. Cette mesure résultait d’une vaste entreprise d’influence initiée par le Parti colonial dès le début des années 189022. Ce groupe de parlementaires, soutenu par plusieurs organisations patronales et groupes de pression, défendait un projet expansionniste de la France en Afrique et dans ses autres colonies, considérant que le développement des colonies ne devait rien coûter à l’État français, celles-ci devant devenir à terme productrices nettes de richesses pour la métropole23.

Figure 1. Carte documentaire des concessions

Figure 1. Carte documentaire des concessions

Source. L. Robelin, 1900 (Bibliothèque nationale de France, département Cartes et plans, GE C-19459. URL : https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/​ark:/12148/​btv1b532042215/​f1.item).

  • 24 C. Coquery-Vidrovitch, 1972, p. 51-52.

13L’objectif affiché du système concessionnaire était donc de permettre la mise en valeur de la colonie grâce à des investissements en hommes, en argent et en travaux d’infrastructure, le tout à moindres frais pour l’État. L’octroi d’une concession était conditionné par une série de clauses contractuelles : celle-ci était accordée pour une période de trente ans, et la société en question bénéficiait de droits exclusifs de jouissance et d’exploitation agricole, forestière et industrielle, en échange d’une redevance fixe et d’un pourcentage de 15 % sur les bénéfices réalisés annuellement. La société s’engageait également à réaliser des travaux d’infrastructure (construction de postes de douanes, de lignes télégraphiques, entretien d’un certain nombre d’embarcations sur le réseau fluvial) et à planter au moins 150 pieds de plantes à caoutchouc pour chaque tonne exportée24. Théoriquement, le capital global du système concessionnaire aurait dû s’élever à près de 60 millions de francs, mais il ne dépassa pas 40 millions en réalité, car la plupart des sociétés n’appelèrent pas la totalité des actions. Les investissements prévus ne furent ainsi jamais réalisés dans leur intégralité.

  • 25 Ce discours n’est pas isolé. On retrouve des discours similaires lors de l’assemblée générale de la (...)

14La mission ainsi définie par les clauses des contrats des concessions permettait aux dirigeants de ces sociétés de justifier le processus de colonisation par son action « civilisatrice », ainsi que l’illustre le discours aux actionnaires de la Société de la Haute-Sangha25 en 1909 :

« Enfin, Messieurs, poursuivant le programme qu’à diverses reprises vous avez approuvé, nous nous efforçons d’assurer le développement de notre œuvre de colonisation. Le concours des populations indigènes nous est nécessaire ; nous devons à celles-ci notre aide et les bienfaits de la civilisation qu’il est en notre pouvoir de leur donner. Et c’est par des faits que nous intervenons : Ce sont les importations de bestiaux […]. Ce sont les plantations vivrières, comprenant des espèces dont l’introduction au Congo pourra modifier sensiblement les conditions de la vie indigène. Ce sont les services médicaux, et notamment, une organisation destinée à lutter contre la variole, que nous avons vaincue sur plusieurs points. Ce sont les écoles professionnelles – sans oublier les dotations pour les œuvres d’intérêt général qui nous trouvent toujours prêts à fournir notre quote-part, dans la mesure de nos moyens […]26. »

Ces références aux services que rendraient ces sociétés résonnent avec les logiques paternalistes des entreprises métropolitaines. Dans les deux cas, la prospérité de l’entreprise était présentée comme un avantage pour les ouvriers ou les populations colonisées, devant les inciter à poursuivre des efforts dont ils tireraient profit.

  • 27 L’ivoire en question provenait principalement des réserves thésaurisées par les chefs de village, l (...)
  • 28 C. Coquery-Vidrovitch, 1972, p. 55.
  • 29 C. Coquery-Vidrovitch, 1972, p. 165.

15Le modèle économique de ces sociétés reposait sur le principe de la traite : en l’absence de circulation de monnaie au sein de la population locale, les produits tirés de l’exploitation des concessions (principalement le caoutchouc et l’ivoire) étaient payés en nature à la main-d’œuvre autochtone quand celle-ci les amenait aux factoreries27. Les principaux articles de traites étaient composés d’étoffes, de quincaillerie, de fusils et de divers produits alimentaires (sel, conserves, alcool…). Ces articles étaient systématiquement surévalués et échangés contre une matière première largement sous-évaluée : « Rien d’étonnant à ce qu’on en fut arrivé à échanger un kilo de caoutchouc (d’une valeur de 15 francs environ en Europe) contre un kilo de sel (25 centimes en Europe) ou deux aiguilles28 ». Le prix d’achat du kilogramme de caoutchouc par les concessionnaires aux populations autochtones était ainsi totalement déconnecté de l’évolution des cours mondiaux, puisque ce prix d’achat était compris entre 1 et 2 francs, atteignant très rarement un maximum de 3 francs, alors que les cours mondiaux du caoutchouc moyens sur la période 1904-1913 s’élevaient à 12,5 francs29. Ce prix variait également d’une concession à l’autre, voire entre plusieurs zones d’une même concession :

  • 30 C. Coquery-Vidrovitch, 1972, p. 55.

« la C.F.H.C. [Compagnie française du Haut-Congo] fut obligée de hausser les prix d’achat là où s’approvisionnaient les traitants du Cameroun ; en 1912, en basse Likouala, dans le Kouyou ou la Haute-Bokiba, elle payait en numéraire le caoutchouc 2 frs, […] ; partout ailleurs, le prix d’achat […] du caoutchouc [était] de 1 fr seulement ; dans la région de Liouesso, seul le troc était autorisé30. »

  • 31 C. Coquery-Vidrovitch, 1972, p. 105.
  • 32 C. Coquery-Vidrovitch, 1972, p. 103.

16Pour éviter la pénurie de main-d’œuvre (largement prévisible en raison des diverses exactions commises sur les concessions, ainsi que les rémunérations dérisoires), les sociétés concessionnaires militèrent pour la généralisation du principe de la contrainte dans la colonie, même si dans les faits, bon nombre d’entre elles y recouraient déjà soit par leur action directe, soit grâce à l’appui des chefs indigènes, ou à celui plus ou moins officieux de l’administrateur local31. Un système d’impôt de capitation fut alors élaboré par l’État français en parfait accord avec l’Union congolaise française, le syndicat des sociétés concessionnaires, via le décret du 11 février 1902. La contribution était uniformément fixée à « 3 francs par adulte en âge de travailler, ou 6 francs par case32 », mais en raison de l’absence quasi généralisée de monnaie sur le territoire, celui-ci devait être payé en nature :

  • 33 C. Coquery-Vidrovitch, 1968, p. 101.

« Chacun trouverait son compte la colonie percevrait des ressources supplémentaires le commerçant gagnerait de la main-d’œuvre et des produits quant à “l’indigène” il prendrait de ce fait le “goût du travail” qui lui faisait défaut33. »

  • 34 C. Coquery-Vidrovitch, 1972, p. 131. Voir aussi Journal officiel de l’Afrique-Équatoriale française(...)
  • 35 R.  Jaugeon, 1961, p. 406-411.
  • 36 R. Jaugeon, 1961, p. 433.

17De cette manière, les populations locales devaient livrer du caoutchouc ou de l’ivoire à l’administration pour s’acquitter de l’impôt de capitation, produits qui était ensuite rétrocédés à la société concessionnaire correspondante, à un prix fixé par l’administration. Celui-ci était réévalué tous les six mois par une commission formée de l’administrateur de la colonie, d’un fonctionnaire et d’un représentant des sociétés concessionnaires. Les prix de rétrocession restèrent globalement très bas, oscillant entre 0,5 franc le kilogramme initialement, jusqu’à un maximum de 3 francs le kilogramme en 1911 et 191234. Les résultats économiques des premières années furent peu encourageants : en 1900 seules trois sociétés furent bénéficiaires, il fallut attendre 1903 pour que ce chiffre augmente à 8, puis à 12 en 190435. En 1905, seules 33 concessions existaient encore : 6 concessions avaient fait faillite (la plupart du temps en raison de l’impossibilité d’exploiter leur concession) et 2 avaient fusionné36. À la fin des années 1930, il ne restait que 6 de ces sociétés parmi les 40 initiales. En raison de leur spécialisation quasi-exclusive sur la production de caoutchouc, ces sociétés étaient totalement dépendantes des fluctuations des cours mondiaux. Le début du xxe siècle fut caractérisé par une hausse spectaculaire des cours jusque dans les années 1910, avant de connaître une baisse tendancielle, résultant d’une évolution structurelle des modes de production de cette ressource, comme nous le montrons dans la partie suivante.

Le marché du caoutchouc au début du xxe siècle

  • 37 J.-B. Serier, 2000.
  • 38 A. Chevalier, 1948.

18Le caoutchouc était initialement produit à partir de la sève de l’hévéa, arbre découvert lors de la colonisation de l’Amérique du Sud au xviie siècle37, et dont l’exploitation commerciale débuta dès la deuxième moitié du xviiie siècle. D’autres plantes, majoritairement présentes sur le continent africain, permettaient également d’obtenir le latex nécessaire à la fabrication du caoutchouc. L’exploitation commerciale des espèces africaines par les colons européens commença dans les années 1850, même si leur usage par les populations locales était bien plus ancien38. Jusqu’à l’apparition du caoutchouc synthétique (qui requérait toutefois une certaine proportion de caoutchouc naturel) en 1930, les industriels ne disposaient pas d’autre procédé technique. L’Amérique du Sud et l’Afrique constituèrent ainsi jusqu’au début du xxe siècle les deux principales zones d’extraction du latex, à partir de l’exploitation des arbres qui poussaient naturellement dans les zones forestières : on parlait alors de caoutchouc « de cueillette ».

  • 39 C. Bonneuil, 1997 ; W. Beinart & L. Hughes, 2007.
  • 40 J.-B. Serier, 2000, p. 147-149.
  • 41 C. Bonneuil, 1997, p. 284.

19Une alternative apparut dans la deuxième moitié du xixe siècle : dès 1876, l’importation de graines d’hévéa du Brésil dans les colonies britanniques d’Asie du Sud-Est conduisit au développement des premières plantations39. En permettant de produire en grande quantité et à moindre coût un produit de qualité équivalente (voire supérieure) au caoutchouc de cueillette, les plantations asiatiques attirèrent rapidement les capitaux autrefois dirigés vers le Brésil, malgré une hausse du cours des espèces brésiliennes de caoutchouc (« Para fin ») au début du xxe siècle40. En raison du développement de la consommation de pneumatiques pour les cycles et les voitures, la production mondiale de caoutchouc passa de 44 milliers de tonnes en 1900 à près de 1 000 milliers de tonnes en 193941 (Tableau 1).

Tableau 1. La production mondiale de caoutchouc, 1900-1939 (en tonnes)

Malaisie Indes N. Indochine Ceylan Afrique Amérique latine Monde
1900 - - -   - 16 28    44
1907 1 - -   - 19 48    68
1913 35 7 -   11 13 51    118
1920 183 77 3   41 5 42    357
1925 228 197 6   47 7 34    533
1930 467 245 10   77 5 16    834
1935 404 292 20   55 6 13    837
1939 415 376 65   63 14 10    1 000

Note. Les totaux « Monde » ne correspondent pas toujours à l’ensemble de la ligne, mais restent toujours légèrement inférieurs. Il est possible que d’autres lieux de production dont l’importance est très faible se soient développés dans l’entre-deux-guerres sans être ici mentionnés.

Source. C. Bonneuil, 1997, p. 284.

20Le Tableau 1 ne montre pas seulement une augmentation très rapide de la production de caoutchouc, il traduit également son déplacement géographique : si l’Amérique latine et, dans une moindre mesure, l’Afrique constituaient les lieux de production historique, elles furent rapidement supplantées par l’Asie du Sud-Est où trois empires coloniaux (la Malaisie et Ceylan pour l’Angleterre, les Indes néerlandaises pour les Pays-Bas et l’Indochine pour la France) sécurisaient leurs approvisionnements. Ainsi, la production africaine française en AEF ne revêtit un intérêt stratégique pour les entreprises françaises qu’avant 1920, avant de décliner face à l’essor des plantations indochinoises.

  • 42 C. Bonneuil, 1997, p. 148.
  • 43 R. T. Stillson, 1971, p. 590.

21Une baisse généralisée des cours mondiaux, amorcée en 1912, accéléra encore le mouvement : ce qui précipita la disparition de la cueillette en forêt amazonienne au cours des années 191042, puis celle de la cueillette en Afrique à la fin de la même décennie. Les chiffres de Richard T. Stillson confirment cette tendance à partir de cours londoniens : après être monté dans les années 1900 pour culminer en 1910, le cours du caoutchouc de cueillette fut divisé par 3 en 1912 et se maintint durablement à des niveaux équivalents43. Le Tableau 2 et la Figure 2 montrent l’évolution des cours des essences congolaises sur le marché d’Anvers.

Tableau 2. Cotes des espèces de caoutchouc congolais sur le marché d’Anvers publiées dans la presse économique et coloniale, 1902-1914 (en francs)

Tableau 2. Cotes des espèces de caoutchouc congolais sur le marché d’Anvers publiées dans la presse économique et coloniale, 1902-1914 (en francs)

Note. Les valeurs reproduites correspondent aux cours de fin d’année (novembre ou décembre). Ce tableau s’arrête en 1914, car nous n’avons pas été en mesure de trouver les données correspondantes pour les années suivantes.

Sources. Ce tableau a été réalisé à partir des données publiées dans des titres de presse suivants : La dépêche coloniale, 5 janvier 1904 ; id., 15 décembre 1907 ; id., 13 décembre 1908 ; id., 19 décembre 1909 ; id., 24 décembre 1910 ; id., 10 décembre 1911 ; id., 31 décembre 1912 ; id., 21 décembre 1913 ; id., 2 août 1914 ; La Gironde, 25 novembre 1905 ; L’information financière, économique et politique, 10 janvier 1906 ; id., 20 décembre 1906.

Figure 2. Évolution du cours des espèces de caoutchouc congolais sur le marché d’Anvers, 1902-1914 (en francs)

Figure 2. Évolution du cours des espèces de caoutchouc congolais sur le marché d’Anvers, 1902-1914 (en francs)

Note. Ce graphique a été réalisé à partir des moyennes des valeurs reproduites dans le Tableau 2.

22Nous reviendrons ultérieurement et avec plus de détails sur l’effondrement des cours durant l’année 1913. Dans ce contexte de baisse tendancielle des cours du caoutchouc africain réduisant inexorablement la profitabilité des sociétés concessionnaires, celles-ci produisirent un ensemble de discours destinés à rassurer leurs actionnaires, mais également à obtenir des mesures favorables de la part de l’administration coloniale. Nous détaillons dans la partie suivante les sources que nous avons mobilisées pour étudier ces discours, qui comme nous le verrons par la suite, reposaient la plupart du temps sur la publication de données relatives au prix de revient.

Les supports de diffusion d’informations comptables par les sociétés concessionnaires

23Afin d’étudier la rhétorique utilisée par les sociétés concessionnaires dans la diffusion d’informations comptables auprès des actionnaires et du grand public, nous avons mobilisé une série de sources primaires. À cet égard, le périodique Les assemblées générales illustre bien la sélection qui était opérée dans ce type d’informations. Il propose, sur la période 1905-1945, la reproduction annuelle d’environ 400 assemblées générales d’entreprises, françaises pour une majeure partie. Pour chaque société, plusieurs éléments sont publiés : le discours des dirigeants aux actionnaires, le bilan et le compte de résultats, le rapport des commissaires aux comptes et les éventuels échanges entre actionnaires et dirigeants (ces deux derniers éléments n’étant pas toujours présents). S’ajoutent également des Notes documentaires sectorielles ou régionales proposées par des spécialistes de ces questions et visant à informer les actionnaires.

24En nous fondant sur le recensement des sociétés concessionnaires réalisé par C. Coquery-Vidrovitch, nous avons recherché celles dont les bilans sont partiellement reproduits dans Les assemblées générales. L’autrice identifie 40 sociétés concessionnaires : nous avons recherché chacune d’entre elles sur la période 1905-1920, soit avant et après la crise de 1913. Le choix de la période correspond à l’âge d’or des sociétés concessionnaires, étant donné qu’un nombre substantiel de faillites surviennent dans l’entre-deux-guerres. Le résultat de cette recherche est retranscrit dans le Tableau 3.

25Nous avons également mobilisé des archives de la presse économique et financière, ainsi que de la presse coloniale, à partir de Retronews, la plateforme de la Bibliothèque nationale de France dédiée à la presse44. Nous avons par exemple retrouvé des articles de L’économiste français ou encore de L’information financière, économique et politique à propos de la crise du caoutchouc, mais également des rapports émanant des autorités coloniales et des dirigeants de certaines sociétés concessionnaires dans des revues coloniales telles que La dépêche coloniale ou en encore le Bulletin mensuel de l’Afrique française et du comité du Maroc45. Dans ce cas, le public cible dépassait le cercle des actionnaires des sociétés coloniales : étaient visés les investisseurs de manière générale, et plus particulièrement ceux intéressés par les entreprises du secteur du caoutchouc. Nous avons identifié un moment particulièrement riche en termes de production de discours sur les prix de revient par les sociétés concessionnaires. Cet épisode fait suite à l’effondrement des cours mondiaux du caoutchouc en 1913, après plusieurs années haussières. C’est sur celui-ci que nous avons donc choisi de focaliser notre analyse, que nous présentons dans la section suivante.

Tableau 3. Sociétés concessionnaires de l’AEF dont les bilans sont publiés dans Les assemblées générales

Nom des sociétés concessionnaires Nb de bilans disponibles Années
Société de l’Ibenga   2 1904, 1905
Compagnie de l’Ekela-Kadei-Sangha*   5 1906, 1907, 1908, 1909, 1910
Société de la Haute-Sangha   4 1907, 1908, 1909, 1910
Société des établissements Gratry-M’Poko   3 1907, 1908, 1909
Compagnie des caoutchoucs et des produits de la Lobay   1 1910
Société commerciale et agricole de la Kadéï-Sangha   6 1904, 1905, 1906, 1907, 1908, 1910
Compagnie forestière Sangha-Oubangui**   6 1911, 1913, 1914, 1915, 1916, 1917
Compagnie française du Haut-Congo   5 1907, 1909, 1910, 1912, 1916
Société l’Alimaïenne   5 1907, 1908, 1909, 1911, 1914
Compagnie française du Bas-Congo   3 1910, 1911, 1913
Société de l’Ongomo   1 1907
Société La Kotto   4 1904, 1907, 1909, 1912
Compagnie française du Congo occidental***   4 1904, 1905, 1906, 1907
Société du Haut-Ogooué   8 1906, 1907, 1908, 1909, 1913, 1914, 1916, 1917
Compagnie des sultanats du Haut-Oubangui   8 1904, 1905, 1907, 1912, 1913, 1914, 1916, 1917
Nombre total de bilans consultés  65 -

Notes. *La Compagnie de l’Ekela-Kadei-Sangha résulte de la fusion (en 1906) de la Société de l’Ekela-Sangha et de la Société de la Kadéï-Sangha, dont nous n’avons pas retrouvé de références dans Les assemblées générales.
**La Compagnie forestière Sangha-Oubangui résulte de la fusion (en 1910) de dix sociétés concessionnaires, celles dont nous avons retrouvé des bilans sont listées au-dessus. Un accord de partenariat avait déjà été acté dès 1907 entre la majeure partie de ces sociétés.
***La Compagnie française du Congo occidental était l’actionnaire majoritaire d’une série de sociétés d’importance moindre : la Compagnie coloniale du Fernan-Vaz ; la Compagnie de la Haute-N’Gounié, la Nyanga, et la Société du Setté-Cama. Nous n’avons pas retrouvé de traces de ces entreprises dans Les assemblées générales.

3. Les usages rhétoriques du prix de revient du caoutchouc lors de la crise de 1913

26L’année 1913 fut caractérisée par un effondrement généralisé des cours du caoutchouc sur les principales places boursières, contrastant de manière spectaculaire avec le niveau des prix particulièrement élevés des années 1910-1911. Le Tableau 4 et la Figure 3, établis à partir de données communiquées dans la presse financière de l’époque, attestent l’ampleur de cet effondrement.

Tableau 4. Cotes des espèces de caoutchouc congolais sur le marché d’Anvers publiées dans la presse économique et coloniale, décembre 1912-janvier 1914 (en francs)

Tableau 4. Cotes des espèces de caoutchouc congolais sur le marché d’Anvers publiées dans la presse économique et coloniale, décembre 1912-janvier 1914 (en francs)

Sources. Ce tableau a été réalisé à partir des données publiées dans les titres de presse suivants : La dépêche coloniale, 31 décembre 1912 ; id., 12 janvier 1913 ; id., 16 février 1913 ; id., 22 mars 1913 ; id., 25 mai 1913 ; id., 22 juin 1913 ; id., 20 juillet 1913 ; id., 21 septembre 1913 ; id., 26 octobre 1913 ; id., 16 novembre 1913 ; id., 21 décembre 1913 ; id., 25 janvier 1914 et L’information financière, économique et politique, 25 avril 1913 ; id., 23 août 1913. Les valeurs reproduites correspondent aux cours publiés en fin de mois.

Figure 3. Évolution du cours des espèces de caoutchouc congolais sur le marché d’Anvers, décembre 1912-janvier 1914 (en francs)

Figure 3. Évolution du cours des espèces de caoutchouc congolais sur le marché d’Anvers, décembre 1912-janvier 1914 (en francs)

Note. Ce graphique a été réalisé à partir des moyennes des valeurs reproduites dans le Tableau 4.

27Cet épisode marqua une rupture dans la structure du marché du caoutchouc : avant la crise de 1913, les cours relatifs des différentes espèces de caoutchouc gravitaient autour de celui du Para brésilien, caoutchouc de référence, en raison de sa qualité et de la faiblesse des pertes liées à son usage industriel. À compter de la crise de 1913, les proportions évoluèrent de manière importante :

  • 46 M. J. Weber, 1913, p. 14.

« le Para se montre le moins affecté de tous et se maintient à des prix relativement élevés ; le “plantation” baisse progressivement en accentuant de plus en plus mais lentement son écart avec le Para ; le “Congo” s’effondre brusquement46 ».

  • 47 M. Merlin, 1913, p. 422.
  • 48 É. Payen, 1914, p.191.

28Plusieurs explications furent alors avancées par divers commentateurs quant aux origines de cette crise. En plus des tensions géopolitiques annonçant la guerre à venir, des difficultés conjoncturelles de l’industrie automobile américaine furent également évoquées47. L’augmentation massive de l’offre des planteurs sud-asiatique fut aussi invoquée, ce que le Tableau 2 confirme. À titre d’illustration, la part du caoutchouc de plantation importé et échangé sur le marché d’Anvers sur la période passe de 22,51 % à 41,32 %, pour un volume global croissant48. Des données publiées dans L’économiste français du 7 février 1914 permettent de se rendre compte de l’accroissement de l’offre relative du caoutchouc de plantation : celle-ci a été multipliée par 6 entre 1908 et 1911 et par 1,7 entre 1912 et 1913. Ces données amenèrent certains observateurs, à l’appui des prévisions de consommation de caoutchouc dans les années à venir, à qualifier cette crise de « spéculative », face à la crainte de surproduction. Quelles que soient les causes retenues pour expliquer l’occurrence de cette crise, un consensus semblait tout de même émerger autour de la remise en question de la viabilité du modèle économique du caoutchouc de cueillette africain, face à un caoutchouc de plantation de meilleure qualité et obtenu à un prix de revient inférieur :

  • 49 B. Raynaud, 1914, p. 366-367.

« Trop longtemps peut-être nos caoutchoucs coloniaux se sont fiés à la bonne fortune que leur donnait un débouché croissant dû aux développements de la consommation. Les producteurs s’en sont tenus aux anciens systèmes de récolte sans pratiquer assez la culture scientifique : la routine, ici comme ailleurs, a joué son rôle néfaste. Cependant arrivaient sur le marché d’autres caoutchoucs de qualité supérieure et de prix inférieur qui les concurrençaient victorieusement49. »

  • 50 Sur ce point, voir P. Labardin et al., 2024.
  • 51 Ce rapport a été notamment publié dans La dépêche coloniale (numéros du 19 et 20 novembre 1913), ai (...)

29C’est dans ce contexte que s’engagea une campagne de promotion du caoutchouc africain de la part des sociétés concessionnaires, auprès de leurs actionnaires lors des assemblées générales, mais également dans la presse économique et coloniale. Cette campagne était appuyée par la diffusion généralisée du prix de revient des différents types de caoutchouc, celui-ci étant considéré comme un élément central à la fois pour fixer les anticipations des investisseurs concernant l’évolution structurelle du marché50, mais également comme un levier permettant d’améliorer la compétitivité du caoutchouc congolais. On retrouve un exemple dans le rapport du 6 novembre 1913, rédigé par M. J. Weber, administrateur directeur général de la Compagnie forestière Sangha-Oubangui, diffusé dans la presse coloniale51 :

  • 52 M. J. Weber, 1913, p. 16.

« La question essentielle à envisager dans la lutte entre les diverses sortes de caoutchouc est celle de leur prix de revient. […] le Para est [l’espèce] dont le prix de revient est le plus élevé. On considère communément que le coût de production avec les divers frais qui grèvent la marchandise jusqu’à la vente, s’élève à Fr. 8,25 le kilogramme. Le caoutchouc de plantation doit son succès, surtout dans le public financier, victime des émetteurs de papier, au bas prix de revient qu’on lui attribue52. »

Dans ce qui suit, nous analysons les différents types de discours centrés autour du prix de revient, et dégageons trois usages rhétoriques associés.

Une réestimation à la hausse du prix de revient des concurrents asiatiques

30Un premier type d’usage rhétorique du prix de revient par les concessionnaires consistait à démontrer que les prix de revient du caoutchouc de plantation diffusés auprès du public étaient fortement sous-estimés :

« Les affirmations les plus audacieuses et les plus invraisemblables ont été avancées à ce sujet ; tout dernièrement encore, on donnait les chiffres suivants qui ont vivement impressionné l’esprit crédule des actionnaires :

Provenance Prix de revient total au kilo en francs
Ceylan en 1911    4,531
Ceylan en pleine production    2,691
États Malais en 1911    4,945
États Malais, moyenne 1912-1917    3,622 5
Sumatra, moyenne 1912-1917    3,525 9
Sumatra en pleine production    3,180 9
Java, moyenne 1914-1919    4,100 9
  • 53 M. J. Weber, 1913, p. 16.

[…] le prix de revient du caoutchouc de plantation est, en général, assez élevé. […] à mon avis il est probable qu’un très petit nombre de sociétés de plantation anciennes et bien dirigées peuvent abaisser leur prix de revient jusqu’à 4 francs environ, mais que par contre la moyenne des entreprises sont obligées de compter avec un prix de revient minimum de 6 francs, et qu’une grande quantité de ces sociétés en mauvaise posture n’arrivent guère à produire à moins de 7 francs. On peut considérer que le 10 % des compagnies de plantations sont dans le premier cas, 30 % dans le second et 60 % dans le troisième. D’après une importante maison de commission et de commerce de caoutchouc établie sur la place de Paris, le prix de revient moyen du caoutchouc de plantation serait de 6,25 francs53. »

31En décembre 1913, le gouverneur-général de l’AEF, Martial Merlin, publiait lui aussi un rapport dans lequel il s’efforçait également de démontrer, à partir de données britanniques (Tableau 5), que les prix de revient en question étaient en réalité largement supérieurs :

  • 54 M. Merlin, 1913, p. 425.

« le prix de revient du caoutchouc de plantation serait donc de 5,175 francs par kilogramme. Mais il faut considérer que certaines compagnies exploitent des terrains médiocres et sont obligées de recourir aux engrais de toute nature, sans parler des difficultés qu’elles éprouvent pour se procurer de la main-d’œuvre. Et il semble […] qu’il serait plus conforme à la réalité d’évaluer le prix de revient moyen du caoutchouc de plantation à 6,25 francs54 ».

Tableau 5. Prix de revient d’une livre (454 g) de caoutchouc dans la péninsule de Malaisie en cents de dollar chinois valant 28 pence

Tableau 5. Prix de revient d’une livre (454 g) de caoutchouc dans la péninsule de Malaisie en cents de dollar chinois valant 28 pence

Source. Ce tableau est tiré de M. Akers, Le bassin de l’Amazone, sa production de caoutchouc et ses autres richesses, 1912, cité par M. Merlin, 1913, p. 425.

Cet argument visait à rassurer les actionnaires pouvant hésiter entre un investissement dans le caoutchouc et mettant en balance les plantations d’Asie du Sud-Est avec les sociétés concessionnaires en AEF.

Démontrer l’incompressibilité de l’essentiel des composantes du prix de revient congolais

  • 55 M. J. Weber, 1913, p. 17.
  • 56 M. J. Weber, 1913, p. 17.

32Dans un second temps, les défenseurs du caoutchouc congolais présentaient des estimations détaillées de leur propre prix de revient. Par exemple, M. J. Weber reconnaissait que celui-ci avait « dans le passé représenté des chiffres assez élevés, et l’on peut admettre que le prix de revient du caoutchouc de l’Afrique-Équatoriale française, […] a oscillé entre les deux chiffres extrêmes de 6 francs et de 9 francs par kilogramme55 ». Il s’agissait alors pour les concessionnaires d’exposer les diverses réductions envisageables pour chacune des composantes du prix de revient, tandis que le caoutchouc de plantation était présenté comme « hors d’état de comprimer ses prix de revient, qui sont destinés à s’élever au contraire par la suite, grâce aux difficultés croissantes de main-d’œuvre56 ».

  • 57 M. J. Weber, 1913, p. 17.

33La formation du prix de revient d’une compagnie caoutchoutière congolaise résultait de la somme de trois éléments. Tout d’abord, l’ensemble des frais de transport, d’emballage, des droits de douane et des commissions diverses, qui constituaient « la masse des frais de toute nature qui grèvent la matière première depuis qu’elle sort de la main de l’indigène jusqu’à ce qu’elle passe dans celle de l’acheteur57 ». Le Tableau 6 fournit une estimation de cette composante du prix de revient pour deux factoreries en AEF.

Tableau 6. Estimation (en francs) des frais de douanes, frais de vente et frais de commission de deux factoreries en AEF

Factorerie Nola Factorerie Mongoumba
Transports intérieurs   0,1   0,1
Emballages   0,05   0,05
Transports faits par la compagnie      0,1   0,00
Messageries fluviales   0,2   0,2
Transit Kinshasa ou Brazzaville   0,00   0,02
Traversée du Pool   0,02   0,025
Chemin de fer du Congo   0,145   0,145
Fret Matadi-Havre   0,07   0,02
Assurance maritime   0,015   0,015
Douane   0,5   0,5
Commission aux agents   0,25   0,25
Menus frais   0,02   0,02
Frais de vente   0,2   0,2
Total   1,67   1,395

Source. M. Merlin, 1913, p. 426.

  • 58 « Au Congo belge, la tonne kilométrique sur le chemin de fer de Stanley-Pool à Matadi a baissé de 1 (...)
  • 59 M. Merlin, 1913, p. 427.

34À la fin de l’année 1913, la masse des frais, liés au transport de la matière jusqu’au lieu de vente en Europe, semblait d’ores et déjà avoir fait l’objet d’une réduction substantielle dans les colonies françaises en Afrique (voir le détail dans le Tableau 7), à l’instar d’autres colonies58. Dans le cas de l’AEF, M. Merlin estimait à 0,775 franc par kilogramme de caoutchouc les « réductions obtenues par les producteurs soit de l’administration, soit des compagnies de transport59 ». Cet effort était d’ailleurs salué par M. J. Weber :

  • 60 M. J. Weber, 1913, p. 17.

« Il faut reconnaître que […] les producteurs congolais ont été sérieusement aidés par les Compagnies de transport et par le Gouvernement. […] On peut admettre que, pour une entreprise placée à la distance moyenne de la Côte, entre les parties les plus proches du Moyen-Congo et les parties les plus éloignées de l’Oubangui, les frais accessoires de toute espèce s’élèvent également à environ 1,75 francs par kilogramme, ce qui, avec le coût de production, porterait à 3 francs le prix du kilogramme au Havre60. »

Tableau 7. Montant des réductions des frais de transport et droits de douane

Montant de la réduction du tarif
Messageries fluviales du Congo
(trajet Mongoumba-Brazzaville)
250 francs à 187,5 francs par tonne
Chemin de fer du Congo
(trajet Kinshasa-Matadi)
419 francs à 136,5 francs par tonne
Les chargeurs réunis 10 francs par tonne
Gouverneur-général (droits de sortie)    0,60 franc par kilogramme à 0,30 franc

Source. Tableau élaboré à partir des données fournies par M. J. Weber, 1913, p. 17.

  • 61 M. J. Weber, 1913, p. 17.
  • 62 M. J. Weber, 1913, p. 17.

35La deuxième composante du prix de revient représentait « la part que supporte chaque kilogramme de caoutchouc produit, dans les frais généraux de la Compagnie61 », comprenant les vivres, les salaires et traitements des employés européens travaillant dans les factoreries. Cette part importante du prix de revient était systématiquement présentée comme incompressible, en raison de l’éloignement des factoreries, ainsi que « de la cherté des vivres, du coût élevé des salaires et traitements à servir aux employés européens […] et de la paresse naturelle des travailleurs noirs62 ». Le seul moyen de parvenir à réduire le poids de cette composante du prix de revient était d’augmenter considérablement les volumes de production puisque :

  • 63 M. J. Weber, 1913, p. 17.

« la part des frais généraux qui incombe à chaque kilogramme de caoutchouc, est d’autant moins élevée que la production est plus considérable […] Il suffirait, pour les Sociétés actuellement installées au Congo, de maintenir leur production des années 1910 et 1911 pour que la part de frais généraux supportée par chaque kilogramme de caoutchouc ne dépassât pas en moyenne 2 francs63. »

Promouvoir l’intensification de l’exploitation de la main-d’œuvre coloniale comme unique levier d’action

  • 64 M. J. Weber, 1913, p. 17.
  • 65 M. J. Weber, 1913, p. 17.

36La troisième composante du prix de revient de la tonne du caoutchouc, celle sur laquelle insistaient le plus les sociétés concessionnaires, était le prix payé aux populations locales qui livraient du caoutchouc dans les factoreries, ainsi que le prix de rétrocession payé à l’administration pour le caoutchouc perçu au titre de l’impôt de capitation. Autrefois raisonnable (« le prix de revient en factorerie peut être évalué normalement, à 1,25 franc et même 1 franc le kilogramme. Ce sont là les prix que payaient de tout temps les Compagnies concessionnaires64 »), ce prix semblait avoir sensiblement augmenté depuis quelques années : « sous la pression de l’Administration et en présence de la concurrence du commerce libre […]. C’est ainsi que l’on est allé jusqu’à payer 5 francs à l’indigène le kilogramme de caoutchouc dans des régions du Haut-Oubangui65. »

37Selon M. J. Weber, ce dernier élément devait pouvoir faire l’objet d’une réduction importante, avec le concours des autorités coloniales :

  • 66 M. J. Weber, 1913, p. 17.

« Il appartient à l’Administration […] de faire comprendre aux populations que la situation n’est plus la même et qu’il faut revenir aux prix d’autrefois. Comme l’indigène, même lorsqu’il est beaucoup payé, travaille bien moins par l’appât du salaire que pour obéir aux suggestions et aux ordres des autorités, les Compagnies doivent pouvoir réaliser une compression du prix de base sans que leur production s’en trouve atteinte66 ».

L’augmentation de l’impôt de capitation, qui entraînerait mécaniquement une hausse de la production de caoutchouc, était également présentée comme un moyen de compenser les pertes budgétaires liées aux réductions des droits de sortie précédemment consenties :

  • 67 M. J. Weber, 1913, p. 18.

« C’est pourquoi il est beaucoup plus important pour elles, plutôt que d’obtenir une nouvelle détaxe de 30 centimes sur les droits de sortie, de pouvoir compter sur la solidarité réelle qui les lie envers l’Administration locale. Celle-ci, obligée de veiller à maintenir les recettes de son budget, n’y peut parvenir qu’en demandant à l’indigène un effort sérieux pour le paiement des impôts modérés qui lui incombent67. »

D’autre part, cette mesure était justifiée par le fait qu’elle correspondait à la dimension « civilisatrice » de l’action des colonisateurs français en Afrique :

  • 68 M. J. Weber, 1913, p. 18.

« l’Administration peut exercer l’influence la plus salutaire et la plus importante, en veillant à ce que la perception de l’impôt de capitation soit assurée dans toutes les régions sans exception, […] en développant chez l’indigène, par un exercice régulier de l’autorité, les habitudes laborieuses qui sont la conséquence nécessaire d’un développement de civilisation68 ».

Finalement, M. J. Weber estimait qu’en suivant ses recommandations, il devenait tout à fait envisageable que le prix de revient du caoutchouc d’AEF puisse :

  • 69 M. J. Weber, 1913, p. 18.

« être ramené à environ 5 francs par kilogramme et il ne s’agit que d’une moyenne. Les entreprises bien conduites, économiquement exploitées, installées dans les régions productives, peuvent abaisser ce prix de revient jusqu’à près de 4 francs. D’autres entreprises moins favorisées ne pourront guère descendre au-dessous de 6 francs, mais à ce taux encore, elles ne sont pas plus désavantagées que la généralité des Sociétés de plantations destinées à survivre69. »

  • 70 Journal officiel de l’Afrique-Équatoriale française, 1913, p. 602.

38La diffusion de leurs prix de revient par les sociétés concessionnaires peut alors être analysée comme faisant partie intégrante d’une stratégie visant à influencer l’administration coloniale pour intensifier l’exploitation de la main-d’œuvre coloniale. Cette campagne aboutit dans les faits à une modulation du taux de l’impôt de capitation, traduisant une complète adhésion des responsables administratifs de la colonie aux arguments avancés par les concessionnaires sous la plume de M. J. Weber. Ainsi, dans son rapport de 1913, M. Merlin reprenait de manière quasi similaire le raisonnement évoqué plus haut pour justifier les mesures prises par l’administration. Il fut ainsi annoncé le 18 septembre 1913, une diminution de la valeur mercurialisée du caoutchouc d’arbre de 6 à 3 francs, diminuant mécaniquement le montant des droits de sortie correspondants, ainsi qu’une diminution de son prix de rétrocession à 1 franc70. Des mesures similaires furent par la suite annoncées le 22 octobre 1913 concernant la valeur mercurialisée du caoutchouc d’herbes :

  • 71 M. Merlin, 1913, p. 427

« le gouverneur-général prescrivait une mesure analogue pour le caoutchouc des herbes […] abaissant les droits de sortie sur le caoutchouc d’herbes – fixés antérieurement à 45 centimes – à 20 centimes et même à 15 centimes par kilogramme. C’est donc d’une diminution nette de 0,30 francs par kilogramme d’une part, de 25 centimes ou même 30 centimes par kilogramme d’autre part, que bénéficient respectivement les caoutchoucs de lianes et les caoutchoucs d’herbes71. »

39Enfin, une diminution du prix de rétrocession de ce type de caoutchouc (de 1,25 franc à 1 franc) fut décidée le 29 octobre 1913, à l’issue d’une réunion avec l’Union coloniale française à laquelle participa M. J. Weber. Étant donné que la valeur du caoutchouc récolté au titre de l’impôt était calculée en fonction du prix de rétrocession, une réduction des prix de rétrocession n’avait pas d’effets sur les recettes fiscales de la colonie, puisqu’elle se traduisait dans les faits par une augmentation de la quantité de travail obligatoire fournie par la population locale :

  • 72 M. Merlin, 1913, p. 428.

« L’indigène sera obligé, désormais, pour payer son impôt, d’apporter 5 kilogrammes de caoutchouc au lieu de 1 kilogramme, charge fiscale bien minime si l’on songe que c’est la seule qui soit supportée par la population indigène et qu’elle correspond à peine à huit ou neuf journées de travail par an. Ce sont des habitudes plus laborieuses qui se répandront obligatoirement dans la population et dont les exportateurs de caoutchouc seront les premiers à profiter. La part de frais généraux qui incombe à chaque kilogramme de caoutchouc, est, en effet, d’autant moins élevée que la production est plus considérable ; aussi le véritable moyen d’alléger ce dernier élément du prix de revient est de développer la production72 ».

40De cette manière, on observe un effet d’éviction du travail « libre » par le travail contraint : les quantités de caoutchouc livrées directement aux factoreries par les travailleurs autochtones diminuaient, au profit des quantités délivrées au titre de l’impôt. Les sociétés concessionnaires apparaissaient doublement bénéficiaires de cette mesure, puisqu’assurées de percevoir de plus grandes quantités de caoutchouc rétrocédées à un prix plancher plus faible, mais également avantagées par une baisse du prix du caoutchouc livré directement aux factoreries :

  • 73 M. Merlin, 1913, p. 426.

« en fixant à 1,25 francs – et même à 1 franc – le prix de rétrocession du caoutchouc d’impôt, le gouverneur-général a indiqué aux administrateurs le prix normal – tout à fait légitime, de l’avis même des intéressés – qui peut être payé pour la matière première cédée par l’indigène73 ».

Conclusion

41L’épisode d’intensification de l’exploitation de la main-d’œuvre coloniale pour maintenir le taux de profitabilité des sociétés concessionnaires que nous venons de décrire ne semble pas être un évènement isolé dans l’histoire de l’AEF. En effet, l’historiographie indique que ce type de pression à la baisse du prix de rétrocession, exercée par les sociétés coloniales, apparaissait de manière récurrente durant la première moitié du xxe siècle, par exemple en 1903 :

  • 74 C. Coquery-Vidrovitch, 1972, p. 131.

« La moindre tentative de rajustement n’en provoquait pas moins une levée de boucliers : en dépit des hauts cours en Europe, l’Union Congolaise protesta avec véhémence en 1903 contre l’élévation du taux à 1,50 frs pour le caoutchouc, et à 6 frs pour l’ivoire74 »,

ou encore en 1917 :

  • 75 C. Coquery-Vidrovitch, 1972, p. 131.

« en dépit de la dévaluation, la baisse [du prix de rétrocession] s’accrût encore [après 1913]. Les Sociétés eurent beau jeu d’invoquer l’effondrement du marché pour ramener le caoutchouc à 1 franc en 191775 ».

  • 76 C. Coquery-Vidrovitch, 1972, p. 131-132.
  • 77 Lettre du directeur de Société des sultanats du Haut-Oubangui adressée au Lieutenant-gouverneur (25 (...)

42À chaque fois les arguments mobilisés par les concessionnaires semblaient identiques : « Ils invoquèrent au début du siècle leur “situation presque inextricable, bientôt désespérée”, pour s’opposer à un taux supérieur “aux prix habituels d’achat dans la Région, faiblement majorés afin de couvrir les frais de perception”76 ». De l’aveu même du directeur de la Société des sultanats du Haut-Oubangui, le prix de rétrocession du caoutchouc d’impôt jouait un rôle de variable de régulation des prix d’achat du caoutchouc « libre » pratiqués sur les factoreries. Selon lui, le prix de rétrocession devait s’établir à un « taux proche du prix que la Société “aurait elle-même fixé pour ses achats faits directement aux indigènes. Les droits de la Société intéressée seraient ainsi respectés”77 ». Une étude systématique des archives administratives et privées des sociétés concessionnaires permettrait de déterminer de manière plus précise le rôle joué par la mobilisation rhétorique du prix de revient dans ces divers épisodes. Cet argument semble néanmoins disparaître après 1920 : les plantations du sud-est asiatique représentent un tel volume que l’AEF n’apparaît plus capable de produire les quantités de caoutchouc nécessaires à des prix plus faibles.

43Il nous semble également utile d’insister ici sur la spécificité du rôle joué par les prix de revient dans un contexte colonial. En raison de la multiplicité de leurs estimations dans les sources, il nous est apparu difficile de tenter de déterminer le prix de revient réel du caoutchouc sur la période. Par exemple, lors de l’assemblée générale de la Compagnie forestière Sangha-Oubangui du 16 décembre 1913, M. J. Weber annonce aux actionnaires un prix de revient inférieur à 6,25 francs78. Dans les comptes relatifs à l’exercice 1909, la société La Kotto estime ses « produits à réaliser » au prix de revient, « comprenant l’achat de la matière première, la commission aux agents, les transports, frais divers et en tenant compte du déchet naturel de ces produits79 », ce qui correspond à un montant de 9,05 francs par kilogramme. Dans un document daté du 5 juillet 1905, adressé au ministère des Colonies, le comité consultatif de l’Agriculture, du Commerce et de l’Industrie estimait la moyenne de ce prix de revient à 5 francs. Le Tableau 8 détaille les différentes composantes de ce calcul.

Tableau 8. Prix de revient en Europe du kilo de caoutchouc

Prix d’achat en Afrique Environ 1 franc
Transport maritime (de Libreville, Loango, Banane, Borna, Matadi à Bordeaux) 80 francs le quintal, soit pour 1 kg, 0,08 franc
Transport de Bordeaux à Liverpool, Anvers, etc., 20 francs le quintal, ou de Bordeaux à Paris-Roubaix 32 francs le quintal, soit pour 1 kg, environ 0,02 franc
Frais de transport en Afrique, emmagasinage, assurances, commissions en Europe, etc. 0,9 franc
Frais de toute nature, payés au Havre 1,75 franc
Prix de revient rendu au Havre Environ 3 francs
Application des frais généraux de la Société congolaise, lourds en raison de l’éloignement, de la cherté des vivres et du coût élevé des salaires Environ 2 francs
Prix de revient total 8,75 francs

Source. Tableau établi à partir du Rapport sur le marché du caoutchouc de Bordeaux, adressé au ministre des Colonies par le comité consultatif de l’Agriculture, du Commerce et de l’Industrie du ministère des Colonies, cité par C. Coquery-Vidrovitch, 1972, p. 167.

  • 80 Voir par exemple B. Bush & J. Maltby, 2004, ou J. Maltby & M. Tsamenyi, 2010.

44Ces différences importantes illustrent l’impact des spécificités de chaque société, des méthodes de calcul choisies et du type d’informations disponibles sur le calcul d’un tel agrégat comptable, voire même des approximations alimentant le calcul. Il nous est donc apparu plus pertinent d’analyser sa diffusion comme une ressource discursive visant à faire pression sur l’administration pour influencer le taux de capitation et à rassurer les actionnaires métropolitains, de manière similaire à d’autres usages documentés dans le cas de l’Empire britannique80.

  • 81 R. A. Bryer, 1993, p. 678.

45Dans un travail sur les pratiques comptables en Grande-Bretagne et aux États-Unis à la fin du xixe siècle, Rob A. Bryer rappelait la prégnance de la dissimulation des profits à l’aide de divers mécanismes comptables. Au lieu d’y voir, comme beaucoup, la preuve d’un conflit d’agences entre actionnaires et dirigeants, il analysait ce phénomène comme une volonté de leur part de conserver la valeur créée par devers les salariés81. Notre étude, focalisée sur les sociétés concessionnaires, vient documenter la spécificité du rôle qu’a pu avoir la diffusion d’informations comptables dans les politiques de gestion de la main-d’œuvre coloniale. Face à des syndicats et aux menaces de mouvements sociaux qui s’appuieraient sur l’information comptable, les dirigeants craignaient de communiquer une telle information en métropole. Au contraire, face à une population colonisée dont la rémunération était une variable ajustable à la baisse via l’impôt de capitation, la diffusion du prix de revient pouvait être utilisée par les sociétés concessionnaires dans diverses stratégies rhétoriques visant à faire pression sur l’administration coloniale. Ainsi, notre étude permet de distinguer des stratégies de diffusion ou non aux salariés en fonction du contexte (colonial ou métropolitain) : elle souligne que le contexte est primordial pour saisir l’intérêt des entreprises ou sociétés concessionnaires à diffuser cette information.

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Bibliographie

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Notes

1 Voir par exemple J.-N. Jeanneney, 1981.

2 C. Coquery-Vidrovitch, 1968 ; id., 1972.

3 J.-N. Jeanneney, 1981, p. 12.

4 J. Bouvier, 1961.

5 H. Bonin, 2006.

6 C. Vuillermot-Febvet, 2015.

7 La loi dispose que les comptes étaient consultables par les actionnaires au siège de la société quinze jours au moins avant l’assemblée générale (titre II, article 35, loi du 24 juillet 1867 sur les sociétés anonymes). Certaines sociétés ont alors fait imprimer et diffuser leurs états financiers qu’ils envoyaient aux actionnaires ou diffusaient dans la presse.

8 A. Lefebvre-Teillard, 1985, p. 384-387.

9 Y. Lemarchand & N. Praquin, 2005, p. 29.

10 G. Delmas, 1898, cité par Y. Lemarchand & F. Le Roy, 2000, p. 89.

11 La Cegos succède à la CGOST créée en 1926 (Confédération générale de l’organisation scientifique du travail) comme branche de la CGPF (Confédération générale du patronat français).

12 Y. Lemarchand & F. Le Roy, 2000.

13 Y. Lemarchand & F. Le Roy, 2000, p. 95.

14 M. Floquet, 2012, p. 189-190.

15 M. Floquet & P. Labardin, 2013.

16 Y. Lemarchand & N. Praquin, 2005, p. 25-26.

17 R. Fleischman & T. McLean, 2020, p. 222.

18 Voir par exemple C. J. Napier, 1990 ; id., 1991 ; J. R. Edwards, 2019 ; ou encore T. Boyns, 2021.

19 F. Steinfeld, 2022.

20 Voir par exemple L. Cardoso de Mello & S. Van Melkebeke, 2019 ou W. G. Clarence-Smith, 2013.

21 C. Coquery-Vidrovitch, 1969.

22 C. Coquery-Vidrovitch, 1972, p. 28.

23 M. Lagana, 2011 [1990].

24 C. Coquery-Vidrovitch, 1972, p. 51-52.

25 Ce discours n’est pas isolé. On retrouve des discours similaires lors de l’assemblée générale de la Haute-Sangha (7 octobre 1905, Les assemblées générales, 1905, p. 609), la Compagnie française du Congo occidental (15 novembre 1905, Les assemblées générales, 1905, p. 735) et la Compagnie du Kasaï (Les assemblées générales, 1907, supplément p. 229-230).

26 Les assemblées générales, 1909, p. 1938 (URL : https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k3068677b).

27 L’ivoire en question provenait principalement des réserves thésaurisées par les chefs de village, la population d’éléphants étant en déclin constant. Les factoreries étaient des postes commerciaux, de taille souvent modeste, établis par chacune des sociétés en divers points de leur concession respective.

28 C. Coquery-Vidrovitch, 1972, p. 55.

29 C. Coquery-Vidrovitch, 1972, p. 165.

30 C. Coquery-Vidrovitch, 1972, p. 55.

31 C. Coquery-Vidrovitch, 1972, p. 105.

32 C. Coquery-Vidrovitch, 1972, p. 103.

33 C. Coquery-Vidrovitch, 1968, p. 101.

34 C. Coquery-Vidrovitch, 1972, p. 131. Voir aussi Journal officiel de l’Afrique-Équatoriale française, 1911, p. 620 ; id., 1912, p. 440.

35 R.  Jaugeon, 1961, p. 406-411.

36 R. Jaugeon, 1961, p. 433.

37 J.-B. Serier, 2000.

38 A. Chevalier, 1948.

39 C. Bonneuil, 1997 ; W. Beinart & L. Hughes, 2007.

40 J.-B. Serier, 2000, p. 147-149.

41 C. Bonneuil, 1997, p. 284.

42 C. Bonneuil, 1997, p. 148.

43 R. T. Stillson, 1971, p. 590.

44 URL : https://www.retronews.fr/.

45 URL : https://numba.cirad.fr/numba/?mode=desktop.

46 M. J. Weber, 1913, p. 14.

47 M. Merlin, 1913, p. 422.

48 É. Payen, 1914, p.191.

49 B. Raynaud, 1914, p. 366-367.

50 Sur ce point, voir P. Labardin et al., 2024.

51 Ce rapport a été notamment publié dans La dépêche coloniale (numéros du 19 et 20 novembre 1913), ainsi que dans les « Notes documentaires » des Assemblées générales, 22 janvier 1914, p. 13-18 (URL : https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k3068760d/f699.item.r=).

52 M. J. Weber, 1913, p. 16.

53 M. J. Weber, 1913, p. 16.

54 M. Merlin, 1913, p. 425.

55 M. J. Weber, 1913, p. 17.

56 M. J. Weber, 1913, p. 17.

57 M. J. Weber, 1913, p. 17.

58 « Au Congo belge, la tonne kilométrique sur le chemin de fer de Stanley-Pool à Matadi a baissé de 1,07 francs à 0,35 francs ; la flottille du Haut-Congo a ramené le coût de transport de la tonne, de Léopoldville à Bumba, de 210 francs à 168 francs, soit une diminution de 75 % [sic]. Au Cameroun allemand, la compagnie de navigation Deutch Ost Africa a réduit le prix de la tonne de 90 marks à 65 marks. Grâce à ces réductions, des allégements appréciables ont été obtenus dans les prix de revient » (B. Raynaud, 1914, p. 364).

59 M. Merlin, 1913, p. 427.

60 M. J. Weber, 1913, p. 17.

61 M. J. Weber, 1913, p. 17.

62 M. J. Weber, 1913, p. 17.

63 M. J. Weber, 1913, p. 17.

64 M. J. Weber, 1913, p. 17.

65 M. J. Weber, 1913, p. 17.

66 M. J. Weber, 1913, p. 17.

67 M. J. Weber, 1913, p. 18.

68 M. J. Weber, 1913, p. 18.

69 M. J. Weber, 1913, p. 18.

70 Journal officiel de l’Afrique-Équatoriale française, 1913, p. 602.

71 M. Merlin, 1913, p. 427

72 M. Merlin, 1913, p. 428.

73 M. Merlin, 1913, p. 426.

74 C. Coquery-Vidrovitch, 1972, p. 131.

75 C. Coquery-Vidrovitch, 1972, p. 131.

76 C. Coquery-Vidrovitch, 1972, p. 131-132.

77 Lettre du directeur de Société des sultanats du Haut-Oubangui adressée au Lieutenant-gouverneur (25 août 1901), citée par C. Coquery-Vidrovitch, 1972, p. 131.

78 Les assemblées générales, 1914, p. 150 (URL : https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k3068760d/f160.item.r=%22Compagnie%20Foresti%C3%A8re%20Sangha%20Oubangui%22).

79 Les assemblées générales, 1910, p. 1985 (URL : https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k3067919m/f223.item.r=%22kotto%22).

80 Voir par exemple B. Bush & J. Maltby, 2004, ou J. Maltby & M. Tsamenyi, 2010.

81 R. A. Bryer, 1993, p. 678.

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Carte documentaire des concessions
Crédits Source. L. Robelin, 1900 (Bibliothèque nationale de France, département Cartes et plans, GE C-19459. URL : https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/​ark:/12148/​btv1b532042215/​f1.item).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoiremesure/docannexe/image/20940/img-1.jpeg
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Titre Tableau 2. Cotes des espèces de caoutchouc congolais sur le marché d’Anvers publiées dans la presse économique et coloniale, 1902-1914 (en francs)
Légende Note. Les valeurs reproduites correspondent aux cours de fin d’année (novembre ou décembre). Ce tableau s’arrête en 1914, car nous n’avons pas été en mesure de trouver les données correspondantes pour les années suivantes.
Crédits Sources. Ce tableau a été réalisé à partir des données publiées dans des titres de presse suivants : La dépêche coloniale, 5 janvier 1904 ; id., 15 décembre 1907 ; id., 13 décembre 1908 ; id., 19 décembre 1909 ; id., 24 décembre 1910 ; id., 10 décembre 1911 ; id., 31 décembre 1912 ; id., 21 décembre 1913 ; id., 2 août 1914 ; La Gironde, 25 novembre 1905 ; L’information financière, économique et politique, 10 janvier 1906 ; id., 20 décembre 1906.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoiremesure/docannexe/image/20940/img-2.jpg
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Titre Figure 2. Évolution du cours des espèces de caoutchouc congolais sur le marché d’Anvers, 1902-1914 (en francs)
Légende Note. Ce graphique a été réalisé à partir des moyennes des valeurs reproduites dans le Tableau 2.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoiremesure/docannexe/image/20940/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 971k
Titre Tableau 4. Cotes des espèces de caoutchouc congolais sur le marché d’Anvers publiées dans la presse économique et coloniale, décembre 1912-janvier 1914 (en francs)
Crédits Sources. Ce tableau a été réalisé à partir des données publiées dans les titres de presse suivants : La dépêche coloniale, 31 décembre 1912 ; id., 12 janvier 1913 ; id., 16 février 1913 ; id., 22 mars 1913 ; id., 25 mai 1913 ; id., 22 juin 1913 ; id., 20 juillet 1913 ; id., 21 septembre 1913 ; id., 26 octobre 1913 ; id., 16 novembre 1913 ; id., 21 décembre 1913 ; id., 25 janvier 1914 et L’information financière, économique et politique, 25 avril 1913 ; id., 23 août 1913. Les valeurs reproduites correspondent aux cours publiés en fin de mois.
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Titre Figure 3. Évolution du cours des espèces de caoutchouc congolais sur le marché d’Anvers, décembre 1912-janvier 1914 (en francs)
Légende Note. Ce graphique a été réalisé à partir des moyennes des valeurs reproduites dans le Tableau 4.
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Titre Tableau 5. Prix de revient d’une livre (454 g) de caoutchouc dans la péninsule de Malaisie en cents de dollar chinois valant 28 pence
Crédits Source. Ce tableau est tiré de M. Akers, Le bassin de l’Amazone, sa production de caoutchouc et ses autres richesses, 1912, cité par M. Merlin, 1913, p. 425.
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Pour citer cet article

Référence papier

Antoine Fabre et Pierre Labardin, « Les sociétés concessionnaires françaises et le secret des affaires : le cas de l’Afrique-Équatoriale française lors de la crise du caoutchouc de 1913 »Histoire & mesure, XXXIX-1 | 2024, 19-50.

Référence électronique

Antoine Fabre et Pierre Labardin, « Les sociétés concessionnaires françaises et le secret des affaires : le cas de l’Afrique-Équatoriale française lors de la crise du caoutchouc de 1913 »Histoire & mesure [En ligne], XXXIX-1 | 2024, mis en ligne le 11 octobre 2024, consulté le 12 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoiremesure/20940 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12ht6

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Auteurs

Antoine Fabre

Paris sciences & lettres (PSL), Dauphine recherche en management (DRM), Marchés, organisations, sociétés, technologies (MOST), Université Paris-Dauphine, CNRS

antoine.fabre@dauphine.psl.eu

Pierre Labardin

Institut Littoral urbain durable et intelligent (LUDI), La Rochelle Université

pierre.labardin@univ-lr.fr

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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