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Statistiques coloniales

Ce que compter veut dire en situation coloniale et impériale

Introduction
The Importance of Counting in a Colonial and Imperial Context: Introduction
Béatrice Touchelay
p. 5-18

Résumés

Des chiffres comptables et statistiques sont produits dans les colonies. Ils ont un coût et impliquent des individus à tous les échelons et dans tous les territoires. Pleinement conscients de leurs imperfections, des illusions voire des erreurs inhérentes à leur manque de fiabilité, les auteurs de ce dossier font de la fabrication et des usages des chiffres les piliers de l’étude des sociétés coloniales et des situations impériales. Cinq textes et une introduction examinent les particularités de ces chiffres.

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Texte intégral

Figure 1. Kinkala, marché au caoutchouc, 1er février 1944

Figure 1. Kinkala, marché au caoutchouc, 1er février 1944

Source. Ellebé (Bernard Lefebvre dit), Kinkala. Marché au caoutchouc. Le chef de subdivision reçoit et paye la récolte individuelle des indigènes, 1er février 1944, Archives nationales d’outre-mer, FR ANOM 30Fi72/37.

1. Du sens des chiffres, une approche critique

  • 1 Voir par exemple R. R. Gervais, 1983 ; F. Cooper, 1996 ; D. Cogneau & L. Rouanet, 2011.
  • 2 F. Cooper, 1996, p. 41 et suiv. L’auteur évoque par exemple les transferts systématiques de main-d’ (...)

1Les insuffisances, voire l’inconsistance des statistiques disponibles sur les colonies françaises, en particulier celles des colonies d’Afrique subsaharienne avant 1945, sont fréquemment dénoncées par les spécialistes de l’histoire coloniale1. Ces carences sont à la fois le résultat et la cause de la faiblesse des administrations coloniales qui ne connaissent finalement pas grand-chose des territoires qu’elles ont à gouverner. Les conséquences de cette navigation à vue sont parfois dramatiques2. Dans le même ordre d’idées, la qualité des comptabilités des entreprises, sociétés et concessions installées dans les colonies doit d’autant plus être questionnée que l’éloignement des sièges peut faciliter les manipulations.

2Toutefois, des chiffres existent. Ils ont été produits et ont répondu à une demande. Les intentions de leurs commanditaires, les étapes et les modalités de leur fabrication, leur diffusion et leurs usages laissent des traces dans les sociétés coloniales. Ils en sont aussi les échos. Même biaisés, ces chiffres renvoient une image des sociétés coloniales. Ils informent sur les rapports hiérarchiques et les relations entre colons et colonisés. Ils éclairent l’ordre colonial et les résistances ouvertes ou à bas bruit qu’ils suscitent. Ce dossier, comme les programmes de recherche qui le portent, s’empare des chiffres pour les décortiquer afin d’en tirer toutes les informations possibles sur les sociétés qu’ils sont censés refléter.

  • 3 T. Porter, 1986 ; id., 1995 ; A. Desrosières, 1993 ; id., 2008. Ces auteurs introduisent l’approche (...)
  • 4 D. Cogneau, 2016 ; id., 2023.

3Il s’agit d’aborder ces chiffres, statistiques et comptables, de façon critique, suivant Theodore Porter, Alain Desrosières et ceux qui discutent leurs thèses3. La démarche est complémentaire de celle des économistes-historiens comme Alain Cogneau qui, en mobilisant un solide appareil critique, s’appuient sur des statistiques coloniales pour reconstituer des séries et éclairer le processus et les effets de la colonisation4.

  • 5 G. Serra, 2014 ; T. Westland, 2022.

4Il s’agit ici d’étudier la fabrication des indicateurs5, de préciser en quoi et comment ils sont influencés par les sociétés qui les produisent et comment en retour ils modèlent ces sociétés.

5Les chiffres sont abordés comme des conventions. Ils supposent un consensus minimum entre leurs commanditaires, leurs producteurs et leurs usagers. Les statistiques (souvent approchées comme une science de l’État) sont conçues comme des outils de gouvernement, la comptabilité comme un instrument de gouvernance, les chiffres sont au service des détenteurs du pouvoir politique, social et économique.

  • 6 L. Piguet, 2024. L’autrice analyse la construction et les finalités des statistiques sociales antér (...)
  • 7 K. Kateb, 1998.

6Ce sont aussi des outils fabriqués pour informer et pour convaincre6. Ils visent à connaître, à hiérarchiser, à classer, à organiser pour encadrer, diriger et contrôler et éventuellement pour prévoir7. Leur fabrication a un coût qui est supporté collectivement pour les statistiques officielles et par les entreprises pour les comptabilités.

7La production de chiffres et leurs usages suscitent des tensions qui se manifestent dans les relations entre enquêteurs et enquêtés, à travers la question de l’obligation statistique ou celle de la définition des catégories et de leurs seuils (jeunes/vieux, actifs/inactifs, riches/pauvres, mais aussi métis, etc.).

8Les statistiques et les comptabilités ont de multiples usages (voir par exemple la propagande anticoloniale de Gandhi qui invite à ne pas répondre au questionnaire du recensement démographique, mais qui utilise ses résultats pour dénoncer la colonisation). Elles peuvent aussi déformer des situations (on pense aux doubles comptabilités) et flouter la réalité, elles sont pourvoyeuses d’illusions et rassurent les autorités à la veille d’une émeute…

  • 8 A. Memmi, 1967, p. 14.
  • 9 B. Samuel, 2016 ; B. Touchelay, 2019.

9Le contexte colonial pose à ces chiffres des questions spécifiques qui ne sont pas souvent évoquées. Il convient de combler ce vide, de préciser ce que ces chiffres nous apprennent de la relation coloniale, d’indiquer en quoi et comment ils contribuent à l’asymétrie du rapport de force entre colonisateur et colonisé8 et à la connaissance ou bien à la méconnaissance des territoires, ainsi qu’à leur organisation et à leur inscription dans la hiérarchie mondiale. Il s’agit aussi bien sûr de préciser leurs enjeux9.

2. Quantifier en situation coloniale

  • 10 A. Desrosières, 2008, p. 18.

10Quantifier, c’est concevoir puis dénombrer – « mettre en nombre » –, classer et compter. Les différentes étapes de la quantification distinguées par Desrosières10 et leurs finalités sont-elles les mêmes dans les situations coloniales ? En montant en généralité, la question revient à se demander si l’« on » (mais de qui s’agit-il ?) quantifie de la même façon dans un territoire sous domination coloniale et dans un territoire indépendant, et si les effets de cette quantification et les classements qui en résultent sont comparables.

  • 11 J. Fremigacci, 2014, p. 11.
  • 12 Date de la création du Service statistique colonial qui deviendra le Service statistique des territ (...)

11La réponse est sans appel : si les étapes de la quantification (concevoir, dénombrer, compter et classer) sont les mêmes dans les deux situations – coloniale/non coloniale –, leurs acteurs et leur environnement (territoires méconnus ou connus), les modes de perception et de traitement des données comme les objectifs des opérations sont différents. La présence ou l’absence de services statistiques ou comptables et celle de professionnels, la nécessité ou non de s’appuyer sur des intermédiaires pour constituer des échantillons et pour organiser les enquêtes (les chefs de cercles et de village, le rôle des fanjakana à Madagascar11, par exemple), le déroulement des enquêtes (mobilisation des missionnaires, des instituteurs ou des gendarmes, par exemple) et l’intervention d’interprètes, révélatrice de la distance entre les enquêteurs et les enquêtés, distinguent les opérations statistiques des territoires colonisés. À l’exception de l’Indochine, depuis la création du premier service de statistiques coloniales à Hanoi en 1922, les administrations des colonies françaises d’Afrique sont dépourvues de statisticiens professionnels avant 194312. Les premiers statisticiens français sont envoyés en Afrique francophone au moment de la création de l’Insee en 1946. En attendant, les statistiques coloniales sont fabriquées par des administrateurs coloniaux le plus souvent surchargés puisque l’empire est sous-encadré. On les trouve dans les rapports sur la situation politique et économique des territoires, rédigés par ces administrateurs pour les gouvernements généraux. On les trouve aussi dans les rapports des inspecteurs des colonies ou, plus rarement avant 1945, dans ceux des inspecteurs du travail. Les statistiques proviennent aussi des recensements démographiques organisés dans les colonies. Elles résultent enfin d’opérations administratives donnant lieu à un enregistrement systématique, comme la collecte des impôts ou les passages en douane. Les statistiques coloniales les plus régulières sont celles du commerce extérieur, ce qui renvoie une image très partielle de l’activité économique des territoires colonisés. Ces chiffres officiels sont diffusés par les journaux officiels des colonies et dans des bulletins et des annuaires plus ou moins réguliers.

  • 13 B. Touchelay, 2023a ; id., 2023b.

12Les chiffres comptables destinés aux sièges sociaux de la métropole viennent des entreprises coloniales. Le double jeu de ces entreprises, qui répondent de très mauvaise grâce aux demandes d’informations des administrations sur la production, les salaires ou les conditions de travail13, ne les distingue pas de leurs consœurs métropolitaines. Les entreprises et sociétés implantées outre-mer « bénéficient » en revanche de leur éloignement de la maison mère et des centres de contrôle administratifs et fiscaux si elles souhaitent dissimuler ou biaiser des informations.

  • 14 T. Tiquet, 2017, p. 23-140.
  • 15 S. Pedersen, 2015 ; R. Cussó, 2020.

13La quantification en situation coloniale sert à rendre compte, c’est-à-dire à informer les autorités de métropole et des colonies, et les sièges sociaux des sociétés, de l’activité des territoires colonisés. Elle sert aussi à rendre des comptes, c’est-à-dire à témoigner du bon usage des finances publiques ou de l’épargne des sociétaires et de la bonne ou de la mauvaise gestion des administrateurs14. Dans le cas des mandats, les informations quantifiées visent également à répondre aux attentes de la SDN (Société des Nations)15.

14Chacune des étapes de la fabrication des chiffres s’inscrit dans des rapports de pouvoir propres à la situation coloniale. La relation entre l’enquêteur, le plus souvent un « Blanc » avant 1945, et l’enquêté, un « indigène » selon la terminologie de l’époque, est inégale. Ainsi, les entrepreneurs coloniaux qui refusent de répondre aux enquêtes ne sont pas poursuivis alors que les personnes colonisées, qui n’ont que la fuite pour éviter l’agent recenseur, sont très fortement sanctionnées lorsqu’elles sont rattrapées. Il y a donc deux poids et deux mesures face à la quantification…

3. Quantifier, c’est dominer ou s’illusionner ?

  • 16 C. Cissé, 2023.
  • 17 R. L. Roberts, 2023 [1996].
  • 18 C. Cissé, 2013.

15Les colons, administrateurs et entrepreneurs, se réservent le droit de quantifier. Ce privilège est sans partage. Les façons de compter et de classer, les formes et les usages des chiffres comme les étalons de mesure antérieurs à la colonisation sont écrasés par la colonisation. Leur rejet est, parmi bien d’autres, une des manifestations du sentiment de supériorité des colonisateurs qui imposent leurs propres façons de concevoir, de compter et de classer aux territoires conquis. En condamnant les étalons antérieurs, en remplaçant les repères traditionnels par des unités de mesure importées (le mètre ou le kilogramme, par exemple), en découpant la journée en heures, minutes et secondes, les colons entendent maîtriser les réseaux d’échanges et la circulation des personnes et des biens. Comme le montre l’histoire des Juba étudiée par Chikouna Cissé16 ou celle de la résilience des marchés locaux du coton au Soudan français étudiée par Richard L. Roberts17, les populations locales résistent efficacement à ces tentatives de normalisation. Dans bien des cas, la greffe ne prend pas. Les modes de paiement traditionnel disparaissent progressivement, mais ils sont remplacés par le troc qui préserve les traditions d’échanges. La nécessité d’employer la contrainte (travail forcé et impôt de capitation) pour mettre au travail, et l’ampleur des difficultés à surmonter pour tenter d’introduire l’état civil et le cadastre, attestent de l’importance des résistances suscitées par l’introduction des normes métropolitaines dans les sociétés colonisées18. L’incapacité des colons de concevoir et d’accepter d’autres normes que celles de la métropole, la condamnation et la non-prise en compte des traditions locales les obligent à mesurer tous les arpents, toutes les distances et toutes les valeurs d’échange, ce qui représente un travail colossal, pour connaître les espaces, organiser la colonisation, répartir les terres, attribuer les concessions et tenter de réguler les échanges. Dans bien des cas, si l’on retient par exemple le cadastre à Madagascar, cette tâche ne sera pas achevée avant les indépendances.

  • 19 En France métropolitaine, la question sur la religion disparaît des questionnaires du recensement d (...)
  • 20 K. Kateb, 2001.
  • 21 R. R. Gervais, 1983 ; id., 1998 ; R. R. Gervais & I. Mandé, 2007.

16En s’attribuant le pouvoir de quantifier, les colons imposent leurs classements. Leur tentative de normalisation n’aboutit pas complètement, mais des classifications qu’ils introduisent, celles qui reposent sur des critères ethniques et religieux proscrits en métropole par exemple, survivent parfois à la décolonisation19. Ces classements ont des effets immédiats en Algérie par exemple, puisqu’ils sont à la base des plans de répartition des terres20. Ils créent des hiérarchies là où il n’existait que des différences, instillant le racisme et les discriminations. Ces caractéristiques propres à la quantification coloniale expliquent sans doute parmi bien d’autres causes l’insuffisance des connaissances démographiques21, économiques et sociales des territoires sous domination française à la veille de la Seconde Guerre mondiale.

  • 22 T. Westland, 2021, p. 1-25.

17La réorientation volontariste de la politique coloniale à partir de 1944-1945 et la volonté affichée de mettre en valeur les territoires ultramarins s’accompagnent d’un renforcement de la production des statistiques. La création d’un service dédié, l’envoi de statisticiens sur place, la collaboration avec l’Insee et l’organisation d’enquêtes de terrain et par sondage étoffent les connaissances disponibles. Cette réorganisation fait prendre conscience de la faiblesse des connaissances antérieures. Les statisticiens « découvrent » l’ampleur de la mortalité infantile et la fréquence de la malnutrition, les effets délétères des migrations du travail et de l’insuffisance des niveaux de vie des populations non européennes22. Cette « découverte » est tardive.

18Ainsi, il apparait que quantifier dans les sociétés coloniales n’est pas seulement concevoir, dénombrer, classer et compter mais également normaliser, modeler et contraindre pour dominer.

4. Chiffrer en situation coloniale, tout un programme…

19Le dossier présente des recherches inédites analysant le rôle joué par les statistiques coloniales à différents moments (conquête des territoires, transformations des rapports de domination, mobilisation des populations et des ressources au cours des guerres ou des crises, etc.). Il interroge de façon critique la capacité des statistiques à influencer, sinon à guider, les décisions et à montrer comment elles servent (perception de l’impôt, conscription, réquisition de travailleurs et canalisation de richesses) ou desservent (le statistical gap) l’administration des territoires colonisés.

20Ces textes s’inscrivent dans un programme de recherche23 soutenu par l’Institut de la gestion publique et du développement économique (IGPDE, ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique) et ouvert en 2020 par une journée d’études intitulée « Les statistiques des empires : compter, classer, connaître et dominer24 ». Ce premier test a montré tout l’intérêt de la rencontre entre les spécialistes de l’Afrique, du monde colonial et impérial et de l’histoire économique et sociale. Fortes de ce constat, les organisatrices de la journée ont décidé d’organiser un colloque, « Les mesures du travail en situation impériale et leurs héritages » en 2022 au campus Condorcet pour échanger avec des collègues britanniques (Gareth Austin, Université de Cambridge, et Sarah Stockwell, King’s College, Londres), malgaches (Jeannot Rasoloarison et Roland Rakotovao, Université d’Antananarivo), sénégalais (Babacar Fall, Faculté des sciences et technologies de l’éducation et de la formation, Université Cheikh Anta Diop de Dakar et Institut d’études avancées de Saint-Louis du Sénégal) ou haïtien (Guy Pierre, Université d’Haïti). Cette ouverture internationale s’est accompagnée d’un appel aux doctorants comme Madeline Woker (Université de Cambridge), Thomas Zuber (Université de Columbia New York) et Tom Westland (Université de Melbourne) qui ont présenté leurs travaux inédits. L’intérêt suscité par les questionnements sur les chiffres en situation coloniale et impériale conduit également les organisatrices à définir un cycle de séminaires pour les étudiants de master, les doctorants et les enseignants-chercheurs et chercheurs intéressés : « Chiffrer et déchiffrer les empires ». Il s’agit d’offrir une plateforme à de jeunes chercheurs (en majorité) en sciences humaines et sociales (historiens, économistes, politistes, sociologues) et à des archivistes pour qu’ils fassent connaître leurs travaux et les soumettent à la discussion. Le cycle de séminaire arrive au terme de sa troisième année, après une année au musée du Quai Branly (2021-2022) puis au campus Condorcet (2022-2023) et, bénéficiant du renfort d’Annick Lacroix (Université de Paris Nanterre), une année (2023-2024) en format hybride avec une demi-journée organisée au musée national de l’Immigration. La plupart des séances ont été enregistrées et sont accessibles dans le carnet de recherche « Compter en situation coloniale25 ». Ces manifestations scientifiques s’accompagnent du montage et de la réalisation de deux projets de recherches que coordonne Béatrice Touchelay : « Compter en situation coloniale. L’Afrique française (1830-1962)26 » (2021-2026), financé par l’ANR-21-CE41-0012 et réunissant différents laboratoires et universités (TELEMMe Aix-Marseille, IRHiS Lille, IDHE.S Nanterre et Paris 1) ; « Chiffrer et classer en Afrique francophone, des origines au xxie siècle : Cameroun, Côte d’Ivoire, Gabon, Madagascar et Sénégal, genèse d’un réseau continental » (2023-2027), un international research network (IRN) financé par le CNRS Sciences humaines et sociales, comptant plusieurs partenaires en Afrique francophone. Ces programmes entendent valoriser les recherches en cours sur les statistiques et la comptabilité coloniales et impériales. Le dossier présenté par Histoire & Mesure y contribue.

5. … et un numéro spécial

21Les cinq contributions proposées dans ce dossier témoignent d’un intérêt renouvelé pour la production des statistiques et de la comptabilité impériale, particulièrement chez les doctorants. Ce dossier a pour objectif premier de montrer comment de jeunes historiens et spécialistes des sciences de gestion s’emparent de la quantification. Il entend aussi faire partager l’intérêt de l’usage des chiffres pour éclairer les situations coloniales. Il souhaite enfin contribuer à améliorer la compréhension des statistiques (fabrication, usages et enjeux) et participer aux réflexions sur la construction d’une expertise par le chiffre et sur ses effets dans les empires coloniaux contemporains.

22Le dossier présente trois textes inédits qui analysent les usages politiques des chiffres statistiques et comptables au tournant des xix et xxe siècles : celui de deux spécialistes des sciences de gestion, Antoine Fabre et Pierre Labardin, « Les sociétés concessionnaires françaises et le secret des affaires. Le cas de l’Afrique-Équatoriale française lors de la crise du caoutchouc de 1913 » ; ceux de deux doctorants d’histoire, Arnaud Clermidy, « Contrôler et diriger une banque d’émission coloniale en temps de crise : l’État et la banque de la Réunion à la Belle Époque », et Thomas Clare, « L’opium au Việt Nam en situation coloniale (1899-1946). Vers une histoire renouvelée de la place de l’opium dans l’économie et la société coloniale indochinoise ».

  • 27 A. Appadurai, 1996.

23Ces trois exemples montrent à la fois les fragilités et la nécessité des chiffres pour encadrer, contrôler et diriger. Les prix de revient du caoutchouc, les cours de l’opium ou du sucre ou les indicateurs d’activité retenus par la banque de la Réunion, montrent l’importance des chiffres dans la gestion des activités économiques coloniales. Instruments de contrôle, ces chiffres sont très approximatifs, voire impossibles à calculer, comme le montrent les statistiques de consommation de l’opium en Indochine. Le travail de fourmi auquel Thomas Clare s’est livré pour fournir une estimation du cours de l’opium et de sa consommation, en exploitant les procès-verbaux des tribunaux du Tonkin, souligne la difficulté d’approcher la consommation réelle. Le rôle des prix de revient du caoutchouc dans la propagande en faveur des implantations coloniales, celui de l’évaluation des consommations réelles d’opium pour répondre aux pressions de la SDN et du BIT (Bureau international du travail) ou bien des dividendes de la Banque de la Réunion pour conserver des sociétaires, témoignent néanmoins de l’importance du nombre dans la gestion et aussi dans la représentation des institutions coloniales27.

24La confrontation entre la précision du chiffre et ce qu’il représente indique à quel point il peut faire illusion. Le statistical gap évoqué par Romain Tiquet construit un environnement imaginé et conforte les administrations et les entreprises coloniales dans des certitudes qui les privent de toute emprise sur leur environnement. Affirmer systématiquement que les travailleurs « indigènes » ne veulent pas travailler et que leur productivité est très inférieure à celle des salariés européens, sans interroger les conditions du travail ni celles de sa rémunération, revient à tronquer des réalités et à construire un empire imaginé. L’absence d’enquête statistique régulière sur les conditions du travail en situation coloniale avant 1945 contraint les administrations à recourir aux statistiques du patronat colonial qui, juge et partie, continue d’affirmer que l’application des lois sociales est inenvisageable dans les colonies. Ces quelques exemples montrent que le chiffre sert davantage à asservir les populations colonisées qu’à éclairer les situations. Comme l’indique Thomas Clare, les enquêtes sur la faiblesse des salaires des coolies, consommateurs d’opium, n’entrainent aucune prise de conscience de l’insuffisance de leurs conditions de vie mais elles permettent juste de constater une différence entre les prix de vente de l’opium de contrebande et ceux du « monopole ». De la même façon, dans le texte d’Antoine Fabre et Pierre Labardin le calcul de prix de revient des plantations de caoutchouc n’incite pas à douter du bien-fondé de l’exploitation intensive des ressources disponibles (travailleurs et hévéas) mais à produire un discours séduisant pour les actionnaires. Il en est de même des chiffres produits par la banque de la Réunion qui cherchent à convaincre les sociétaires de sa solidité et de son efficacité, quel que soit le cours du sucre dont elle dépend.

25Ainsi, parce qu’ils sont au service du profit ces chiffres sont partiaux et canalisent les tensions.

26Il a semblé nécessaire de compléter l’approche académique en interrogeant les archives, matrices de nos recherches. Deux courts articles d’archivistes, l’un d’Amélie Hurel, intitulé « Les sources statistiques coloniales aux Archives nationales d’outre-mer. De l’histoire de leur production aux perspectives d’usage actuelles » et l’autre de Gersende Piernas, « Chiffrer et déchiffrer les empires avec les Archives nationales du monde du travail (ANMT) Roubaix. Quelques exemples », présentent ce point de vue. Ces textes soulignent les spécificités des « archives coloniales », produites outre-mer et rapatriées en partie au moment des indépendances et dont l’appropriation suscite parfois des tensions. Ces archives sont abondantes parce que « le chiffre rassure » certains administrateurs coloniaux qui, à l’image de Galliéni en 1898 à Madagascar, sont pris d’une véritable boulimie d’informations. Les tableaux de chiffres qu’ils réclament leur donnent l’impression de connaître et d’encadrer le territoire dont ils ont la charge. Sur le papier, dans des tableaux bien ordonnés, et malgré la fréquence des non-réponses et des colonnes vides, les chiffres créent une familiarité avec le terrain. Ils mobilisent des classifications, importées de métropole ou fabriquées par l’administration, qui sont familières et qui rassurent.

27Les archivistes soulignent la richesse des fonds disponibles, qu’il s’agisse des archives des administrations ou de celles des entreprises. Elles montrent aussi, comme l’écrit Amélie Hurel que « le traitement des sources statistiques est cause d’un certain embarras pour l’archiviste », l’une des raisons étant que les chiffres statistiques ou comptables sont partout. Ce dossier entend contribuer au développement d’une socio-histoire des statistiques impériales en précisant ce que ces chiffres nous apprennent des territoires colonisés.

Conclusion, une quantification coloniale aux effets durables

  • 28 M. B. Jerónimo & A. Costa Pinto, 2015.
  • 29 M. Jerven, 2013.

28Le dossier et les programmes de recherches présentés n’offrent qu’une modeste participation à un vaste chantier. Il reste à prendre la mesure des héritages de la quantification en situation coloniale sur celle des États devenus indépendants pour apprécier la force de la normalisation par le chiffre, quel que soit le contexte politique. Il reste aussi à comparer les chiffres statistiques et comptables des différents empires, à analyser les circulations d’idées et de pratiques, à pointer les rivalités et les concurrences, leurs manifestations (la course anglo-française pour implanter des écoles de formation de statisticiens ou d’enquêteurs anglophones ou francophones en Afrique dans les années 1950, par exemple), leurs enjeux et leurs effets28. Cette comparaison à l’échelle impériale permettra de mieux comprendre la force des catégories statistiques introduites pendant la colonisation qui, en dépit des indépendances politiques, servent toujours à classer les puissances mondiales. Le PIB est un exemple de cette hégémonie de la mesure. Les indicateurs de la Banque mondiale ou des agences de développement restent calqués sur le modèle occidental, comme pendant la période coloniale. La dépendance des anciens pays colonisés à l’égard des modes de calcul, de classement et d’évaluation des anciennes métropoles subsiste. Les taux d’intérêt des prêts de la Banque mondiale qui en découlent reposent sur des chiffres qui, même s’ils sont « pauvres », comme l’indique Jerven Morgen, ont un impact décisif sur les conditions de vie des populations29. Ces chiffres ne retiennent que ce qui a une valeur marchande. Ils excluent les activités non monétaires, invisibilisent une grande partie des activités artisanales et du travail des femmes et, puisque seul ce qui est compté à travers l’échange marchand compte, marginalisent des activités essentielles pour la richesse des territoires. Ces chiffres jouent au détriment des anciens territoires colonisés par la France en Afrique qui se trouvent souvent en bas de la hiérarchie des puissances mondiales.

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Serra, Gerardo, « An Uneven Statistical Topography: the Political Economy of Household Budget Surveys in Late Colonial Ghana, 1951-1957 », Revue canadienne d’études du développement, vol. 35, no 1, 2014, p. 9-27.

Tiquet, Romain, « Rendre compte pour ne pas avoir à rendre des comptes. Pour une réflexion sur l’écrit administratif en situation coloniale (Sénégal, années 1920-1950) », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, no 137, 2017, p. 123-140.

Touchelay, Béatrice, « British and French Colonial Statistics: Development by Hybridization from the Nineteenth to the Mid-Twentieth Centuries », in James R. Fichter (dir.), British and French Colonialism in Africa, Asia and the Middle: Connected Empires across the Eighteenth to the Twentieth Centuries, Basingstoke, Palgrave Macmillan (Cambridge Imperial and Post-Colonial Studies), 2019, p. 249-274.

Touchelay, Béatrice, « L’industrie coloniale ou les silences révélateurs de la statistique (empires belges et français, mi xixe-mi xxe siècle), in Régis Boulat & Laurent Heyberger (dir.), Industries coloniales en contexte impérial (fin xviiie-xxe siècles), Belfort, Université de technologie de Belfort-Montbéliard, 2023a, p. 163-180.

Touchelay, Béatrice, « Wages Measurement in the Belgian Congo and Franc Sub-Saharan Africa from 1919 to Independance: a Challenge? », in Pedro Ramos Pinto & Massimo Asta (dir.), The Value of Work since the 18th Century: Custom Conflict, Measurement and Theory, Londres, Bloomsbury Academic, 2023b, p. 207-227.

Westland, Tom, « The Fruits of the Boom: Real Wages and Housing Costs in Dakar, Senegal (1914-1960) », African Economic History Working Paper Series, no 60, 2021.

Westland, Tom, « How Accurate Are the Prices in the British Colonial Blue Books? », Economic History of Developing Regions, vol. 37, no 1, 2022, p. 75-99.

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Notes

1 Voir par exemple R. R. Gervais, 1983 ; F. Cooper, 1996 ; D. Cogneau & L. Rouanet, 2011.

2 F. Cooper, 1996, p. 41 et suiv. L’auteur évoque par exemple les transferts systématiques de main-d’œuvre en provenance de Haute-Volta vers la Cote d’Ivoire.

3 T. Porter, 1986 ; id., 1995 ; A. Desrosières, 1993 ; id., 2008. Ces auteurs introduisent l’approche critique des statistiques. Ils invitent à les « déconstruire », à préciser leur relation avec l’État (Le gouvernement par les nombres) et plus généralement avec toutes les formes de pouvoirs. Leurs travaux incitent à ne plus aborder les chiffres comme de simples résultats techniques, mais comme des outils politiques, des éléments structurant les organisations qui les produisent. Ces chiffres et leur fabrication sont au cœur des recherches portées par le programme de l’Agence nationale de la recherche « Compter en situation coloniale. L’Afrique française (1830-1962) » (Cocole, ANR-21-CE41-0012), présenté dans le carnet de recherches dédié (URL : https://chiffrempire.hypotheses.org/).

4 D. Cogneau, 2016 ; id., 2023.

5 G. Serra, 2014 ; T. Westland, 2022.

6 L. Piguet, 2024. L’autrice analyse la construction et les finalités des statistiques sociales antérieures à celles des observateurs sociaux à travers les enquêtes budget des tisserands lyonnais et du Lancashire au tournant des xviii et xixe siècles.

7 K. Kateb, 1998.

8 A. Memmi, 1967, p. 14.

9 B. Samuel, 2016 ; B. Touchelay, 2019.

10 A. Desrosières, 2008, p. 18.

11 J. Fremigacci, 2014, p. 11.

12 Date de la création du Service statistique colonial qui deviendra le Service statistique des territoires d’outre-mer en 1947 et sera rattaché au ministère de la France d’outre-mer. Signalons que les Archives nationales d’outre-mer (ANOM) viennent d’inventorier une première partie du fonds de ce service intitulé « STAT » qui apporte de précieuses informations sur la fabrication des enquêtes après 1945.

13 B. Touchelay, 2023a ; id., 2023b.

14 T. Tiquet, 2017, p. 23-140.

15 S. Pedersen, 2015 ; R. Cussó, 2020.

16 C. Cissé, 2023.

17 R. L. Roberts, 2023 [1996].

18 C. Cissé, 2013.

19 En France métropolitaine, la question sur la religion disparaît des questionnaires du recensement démographique en 1876.

20 K. Kateb, 2001.

21 R. R. Gervais, 1983 ; id., 1998 ; R. R. Gervais & I. Mandé, 2007.

22 T. Westland, 2021, p. 1-25.

23 URL : https://www.economie.gouv.fr/igpde-seminaires-conferences/histoire-economique/les-statistiques-des-empires-compter-classer.

24 Organisée par Emmanuelle Sibeud, Université Paris 8, et Béatrice Touchelay, Université de Lille (URL : https://www.idhes.cnrs.fr/les-statistiques-des-empires/).

25 URL : https://chiffrempire.hypotheses.org/.

26 URL : https://anr.fr/Projet-ANR-21-CE41-0012.

27 A. Appadurai, 1996.

28 M. B. Jerónimo & A. Costa Pinto, 2015.

29 M. Jerven, 2013.

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Kinkala, marché au caoutchouc, 1er février 1944
Crédits Source. Ellebé (Bernard Lefebvre dit), Kinkala. Marché au caoutchouc. Le chef de subdivision reçoit et paye la récolte individuelle des indigènes, 1er février 1944, Archives nationales d’outre-mer, FR ANOM 30Fi72/37.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoiremesure/docannexe/image/20930/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 2,3M
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Pour citer cet article

Référence papier

Béatrice Touchelay, « Ce que compter veut dire en situation coloniale et impériale »Histoire & mesure, XXXIX-1 | 2024, 5-18.

Référence électronique

Béatrice Touchelay, « Ce que compter veut dire en situation coloniale et impériale »Histoire & mesure [En ligne], XXXIX-1 | 2024, mis en ligne le 11 octobre 2024, consulté le 12 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoiremesure/20930 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12ht4

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Auteur

Béatrice Touchelay

Institut de recherches historiques du Septentrion (IRHiS, UMR 8529), CNRS, Université de Lille

beatrice.touchelay@univ-lille.fr

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Droits d’auteur

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