Joël Glasman, Humanitarianism and the Quantification of Human Needs
Joël Glasman, Humanitarianism and the Quantification of Human Needs, Londres, Routledge, 2020 (260 + xiii p.)
Texte intégral
1Voici un ouvrage original, percutant, voire novateur à maints égards et qui dépasse les frontières thématiques : histoire des organisations internationales, des statistiques, de l’Afrique, de l’aide humanitaire. Le jeune auteur, professeur à l’université de Bayreuth, a une formation intellectuelle internationale, dans laquelle l’influence française, notamment d’une certaine sociologie – de Desrosières à Callon, de Chiapello à Boltanski – est évidente. L’ouvrage traite de la manière dont la quantification intervient dans le déploiement de l’aide humanitaire.
2Son argument consiste tout d’abord (chapitre 1) à montrer que si, initialement, vers la fin du xixe siècle, l’humanitarisme s’appuyait sur des sentiments moraux, par la suite l’argument quantitatif s’est imposé. En particulier le nutritionnisme et le calcul des calories s’affirment dès le tournant du xixe et du xxe siècle. Dans ce cadre, l’auteur offre une analyse passionnante, profondément réflexive, de la catégorie de « besoin » au sein des organisations internationales. Ce sont là parmi les pages les plus novatrices de l’ouvrage, en particulier lorsque la déclinaison de la notion de besoin pour les différents acteurs impliqués s’accompagne d’une analyse tout aussi détaillée des efforts menés pour quantifier les « besoins » des populations concernées. La question étant bien entendu celle de hiérarchiser et mesurer les « besoins » : sont-ils les mêmes partout et pour tous ? Le deuxième chapitre examine la catégorie de réfugié, en principe destinataire de l’aide humanitaire, tandis que le troisième chapitre prend l’exemple d’un programme « proxi » de la malnutrition. Ce programme (MUAC, pour « Mid-Upper Arm Circumference ») s’appuie à la fois sur l’anthropométrie et le nutrionnisme pour évaluer la malnutrition à partir de la mesure de la circonférence de la partie supérieure du bras. Il a connu un développement important au tournant des années 1960-1970, au Biafra en particulier, pour se généraliser par la suite. L’auteur rend compte des dissensions qui émergèrent autour du choix des standards anthropométriques et, plus généralement, pour évaluer la qualité nutritionnelle et l’état de santé des populations.
3Le chapitre 4 discute le projet « Sphère » mis en place à la suite du génocide au Rwanda. Ce projet cherche à identifier des standards universels en matière, parmi d’autres, d’espace individuel dans les camps des réfugiés, mais également des principaux besoins considérés comme fondamentaux. Les débats mentionnés sont vifs, entre, d’une part, les tenants de standards universels et, d’autre part, ceux qui insistent (notamment des organisations non gouvernementales françaises) pour relativiser ces standards et les adapter au contexte. Depuis le milieu des années 1990, un manuel reprenant ces standards est périodiquement actualisé.
4Le chapitre 5 présente l’enregistrement des réfugiés dans les camps au Cameroun depuis 2016. L’auteur suit une démarche anthropologique qui détaille heure par heure l’activité des représentants du Haut Commissariat aux réfugiés dans ce pays. Le dernier chapitre interroge la notion de vulnérabilité du point de vue des statistiques et des indicateurs de mesure, et rend compte des débats que soulève cette notion. L’auteur retrace également l’historique des enquêtes, et leur organisation (mode de sélection des villages et des ménages).
5Les chapitres les plus réussis sont ceux qui mettent l’accent sur la production des chiffres ; ils sont novateurs dans ce domaine, et apportent une réflexivité en complément d’une analyse empirique impeccable. Les passages sur les réfugiés sont moins convaincants, notamment parce qu’ils ont du mal à se relier aux autres parties du texte et qu’en ce domaine les publications sont déjà nombreuses. En réalité, la catégorie même de réfugié est extrêmement complexe ; pour la traiter de manière adéquate, tout en sachant que des travaux ont déjà été publiés sur ce sujet, il aurait fallu mieux prendre en compte le contexte politique – les négociations dans ce domaine relevant davantage de cette sphère que du seul domaine juridique (qui en découle) ou de la statistique. Si nous voulions trouver une limite à cet ouvrage, c’est effectivement sa tendance, au moins dans certains chapitres, à être en partie décontextualisé. Les négociations, voire les tensions sur les sujets discutés, sont importantes et elles dépassent les spécialistes des ONG. On pouvait s’attendre à ce que ces organisations soient mieux identifiées et reliées à tel ou tel État (si cela est fait pour le projet « Sphère », cela l’est nettement moins dans les autres cas). Ce qui conduit à la question de savoir si les statistiques et les chiffres produits, brillamment discutés dans l’ouvrage, ont réellement servi à déployer les aides ou si, finalement, les négociations politiques l’ont emporté. La réponse dépend évidemment du contexte. Il n’empêche que cet ouvrage devrait faire date, nous l’espérons, par sa capacité à transformer les statistiques de l’aide humanitaire en champs d’investigation réflexif et à combler ainsi un vide étonnant de la bibliographie dans ce domaine.
Pour citer cet article
Référence papier
Alessandro Stanziani, « Joël Glasman, Humanitarianism and the Quantification of Human Needs », Histoire & mesure, XXXV-2 | 2020, 260-261.
Référence électronique
Alessandro Stanziani, « Joël Glasman, Humanitarianism and the Quantification of Human Needs », Histoire & mesure [En ligne], XXXV-2 | 2020, mis en ligne le 31 décembre 2020, consulté le 21 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoiremesure/13570 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoiremesure.13570
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