FURINGHETTI (Fulvia) et GIACARDI (Livia) (dir.), The International Commission on Mathematical Instruction, 1908-2008: People, Events, and Challenges in Mathematics Education
FURINGHETTI (Fulvia) et GIACARDI (Livia) (dir.), The International Commission on Mathematical Instruction, 1908-2008: People, Events, and Challenges in Mathematics Education, New York, Springer, 2022, 735 p.
Texte intégral
1Comment les disciplines scolaires deviennent-elles un objet de recherche, d’échange et de coopération internationale ? Qui sont les acteurs de ce processus, comment se mobilisent-ils et interagissent-ils ? L’ouvrage publié en 2022 par Fulvia Furinghetti et Livia Giacardi constitue une contribution nouvelle et intéressante à cette discussion. Située dans le champ de l’histoire de l’enseignement des mathématiques, cette publication intéresse tous ceux qui cherchent à comprendre les articulations internationales constituées autour des disciplines et de l’enseignement scolaire. En traitant de l’enchevêtrement des approches, des éloignements, des connexions internes et externes qui donnent vie à la International Commission on Mathematical Instruction (ICMI) tout au long d’un siècle d’extraordinaire expansion des systèmes scolaires, traversé par deux guerres mondiales, des révolutions anticoloniales et la guerre dite froide, le livre offre des réflexions et des indices sur les impasses, les possibilités et les tendances dans le processus d’internationalisation des débats.
- 1 Le nom français Union mathématique internationale était le plus utilisé dans les premières décennie (...)
2Le cas de cette commission est unique en raison des liens forts et persistants – bien que conflictuels – entre un organisme dédié à l’enseignement et la communauté des mathématiciens universitaires. Fondée et validée par les congrès mathématiques internationaux depuis sa naissance en 1908 sous le sigle de CIEM/IMUK, son existence précède la création, en 1920, de l’Union mathématique internationale (UMI)1.
3Des ouvrages antérieurs ont déjà traité de l’histoire de l’ICMI, de ses principaux articulateurs, de ses productions et de ses réalisations. Par rapport à ces travaux, le livre présente principalement deux grandes nouveautés.
4La première est un effort pour démêler les relations au sein de l’ICMI, entre ses dirigeants et avec les dirigeants de l’UMI ou les partenaires extérieurs, sur une longue période de cent ans. Dans la première partie du livre, Gert Schubring, Fulvia Furinghetti, Livia Giacardi et Marta Menghini examinent les intentions et les défis qui ont mobilisé les dirigeants de la commission, les conditions dans lesquelles ils se sont déplacés, les soutiens recherchés ou obtenus, les obstacles, les accords, les conflits et les ruptures. En s’appuyant sur la correspondance interne de l’ICMI, de l’UMI et de l’Unesco, les auteurs présentent un récit des réalisations de la commission entre 1908 et 2008, à travers le regard de ses propres dirigeants.
5La deuxième nouveauté est la mise en commun des sources et des données systématisées, ce qui permet de comparer les dates, les événements et les personnages et de développer ainsi de nouvelles lectures. Dans la deuxième partie du livre, la collection de transcriptions de la correspondance entre les dirigeants de l’ICMI et de l’UMI, de 1908 à 1974, sélectionnée par Livia Giacardi, est un élément particulièrement remarquable. En plus de cette collection, quatre chronologies sont présentées : les principales réalisations de l’ICMI entre 1908 et 2008 ; les compositions de la commission jusqu’en 2009 ; les termes de référence établissant sa composition, ses objectifs et ses conditions de fonctionnement, de 1954 à 2007 ; les activités liées à l’enseignement des mathématiques lors des congrès internationaux des mathématiciens, de 1897 à 2006. Le livre propose également une représentation graphique du processus d’internationalisation de l’ICMI et des données sur le premier Congrès international de l’enseignement mathématique qui s’est tenu à Lyon en 1969. La troisième partie présente les biographies de soixante-deux dirigeants et personnalités éminentes de l’ICMI.
6Les lettres échangées entre les dirigeants de l’ICMI et ceux de l’UMI nous permettent d’accéder aux coulisses de la commission. Dans certaines d’entre elles, les invitations et les consultations sont entrecoupées d’expressions de camaraderie, d’autres font état de tensions, d’avertissements ou de désaccords. Au-delà du contenu, les dates et les formats nous alertent sur les difficultés de communication entre collègues qui dépendaient d’un courrier acheminé par bateau. Les retards pouvaient rendre impossible une consultation, un voyage ou un accord. La reproduction d’une circulaire impliquait des coûts et des opérations complexes. Les traductions non révisées pouvaient également donner lieu à des malentendus, comme le déplore le président de l’ICMI, Heinrich Benke, dans sa lettre au secrétaire de l’UMI, Beno Eckmann, en mars 1957.
7L’accès quasi direct à ces sources attire notre attention sur les conditions de développement des activités internationales surtout pendant la première moitié du XXe siècle, très différentes de celles d’aujourd’hui. Cette lecture est cruciale pour comprendre, par exemple, l’importance des événements internationaux comme seuls espaces de dialogue synchrone entre de multiples interlocuteurs de différents pays.
8Par ailleurs, un thème central du livre est l’internationalisation des débats et des recherches sur l’enseignement des mathématiques, à l’initiative des mathématiciens intéressés par les questions de l’enseignement. Cette internationalisation est centrée sur l’Europe en dialogue avec les États-Unis : en cent ans, tous les présidents de l’ICMI ont été européens ou nord-américains, à l’exception du Japonais Shokichi Iyanaga (1975-1978). Les antagonismes politiques ont affecté cette internationalisation de différentes manières à différentes époques. À la fin de la Première Guerre mondiale, l’Union mathématique internationale est créée en 1920 à Strasbourg, lors d’un congrès qui exclut les mathématiciens des puissances dites centrales. Cette exclusion, soutenue par Henri Fehr, affecte Felix Klein, alors président de la CIEM/IMUK, qui est dissoute et ne se reconstitue qu’en 1928. Interrompue à nouveau par la Seconde Guerre mondiale, l’ICMI, rebaptisée, n’est reformée qu’en 1952. L’OCDE et l’Unesco, des organisations internationales également créées dans l’après-guerre, apportent un soutien important à ses activités. Les symposiums régionaux en Asie, en Afrique et en Amérique latine débutent dans les années 1960 et sont systématiquement promus par l’ICMI à partir de 1974. Néanmoins, le centre de ses activités reste dans les pays les plus riches : ce n’est qu’en 2008 que le congrès international sur l’enseignement des mathématiques – la principale activité de l’ICMI depuis 1969 – se tient en dehors de cet axe, à Monterrey, au Mexique.
9Enfin, l’ouvrage s’attarde sur la place des mathématiques dans les programmes. Les discussions sur les programmes scolaires et les réformes éducatives promues dans différents pays à partir des années 1950 et 1960 ont fourni un environnement favorable aux débats sur l’enseignement des mathématiques. La constitution de l’éducation mathématique en tant que champ disciplinaire a également été favorisée par le dialogue avec d’autres domaines, tels que la psychologie de l’éducation, et par l’adoption de nouveaux thèmes, tels que l’utilisation des technologies ou l’enseignement des statistiques. En France, les premiers Instituts de recherche sur l’enseignement des mathématiques (IREM) ont été créés en 1968. Au niveau international, les échanges ont été favorisés par divers organismes collectifs, comme la Commission internationale pour l’étude et l’amélioration de l’enseignement des mathématiques (CIEAEM). Dans cette diversité des initiatives, l’ICMI a joué un rôle décisif avec la création de la revue Educational Studies in Mathematics en 1968, et l’organisation des congrès internationaux sur l’enseignement des mathématiques à partir de 1969.
10Les coulisses montrent que les dirigeants de l’UMI ont opposé une résistance importante à l’autonomisation progressive de l’ICMI et à ces initiatives. Les mathématiciens ont cherché à plusieurs reprises à contrôler la composition de la commission, la dynamique de ses réunions et la portée de ses réalisations. Les actions de mathématiciens tels que Heinrich Behnke et Hans Freudenthal, qui ont cherché à encourager la recherche, le dialogue avec les enseignants de mathématiques et le soutien d’organismes de financement comme l’Unesco, ont permis de surmonter ces restrictions.
11L’histoire de l’ICMI, racontée dans le livre de Furinghetti et Giacardi, suggère que l’intérêt des mathématiciens pour l’enseignement, bien que marqué par des conflits, a joué un rôle important dans l’institutionnalisation de l’éducation mathématique et la reconnaissance de sa légitimité.
Notes
1 Le nom français Union mathématique internationale était le plus utilisé dans les premières décennies. Pour l'ICMI, nous adoptons le nom anglais adopté depuis 1952, comme le font les auteurs du livre.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Elisabete Zardo Búrigo, « FURINGHETTI (Fulvia) et GIACARDI (Livia) (dir.), The International Commission on Mathematical Instruction, 1908-2008: People, Events, and Challenges in Mathematics Education », Histoire de l’éducation, 161 | 2024, 270-273.
Référence électronique
Elisabete Zardo Búrigo, « FURINGHETTI (Fulvia) et GIACARDI (Livia) (dir.), The International Commission on Mathematical Instruction, 1908-2008: People, Events, and Challenges in Mathematics Education », Histoire de l’éducation [En ligne], 161 | 2024, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 03 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/9940 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11wtq
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