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Notes critiques

CARON (Jean-Claude). – À l’école de la violence. Châtiments et sévices dans l’institution scolaire au XIXe siècle

Paris : Aubier, 1999. – 337 p.
François Jacquet-Francillon
Référence(s) :

CARON (Jean-Claude). – À l’école de la violence. Châtiments et sévices dans l’institution scolaire au XIXe siècle. - Paris : Aubier, 1999. – 337 p.

Texte intégral

1L’histoire des mauvais traitements infligés aux enfants dans les contextes éducatifs et scolaires du XIXe siècle, tel est l’objet de ce livre assez dense mais toujours captivant de Jean-Claude Caron.

2Avant d’examiner les définitions proposées dans tels passages de Foucault, Arendt ou autres, l’auteur explore (chap. 1) les textes littéraires qui témoignent, avec une objectivité variable, de la méchanceté des maîtres. Car nombreux sont les écrivains qui nous ont laissé une « écriture de la violence », tels Balzac, Daudet ou Zola, ou les auteurs d’autobiographies comme Maxime Du Camp ou Jules Vallès. J.-C. Caron classifie et décrit ensuite les châtiments en usage de façon plus ou moins réglementaire, même lorsque la brutalité fait place à des attitudes plus bienveillantes à l’égard de l’enfance, dont témoignent par exemple les ouvrages d’Ernest Legouvé sous le Second Empire et, plus généralement, la montée du discours de protection et de prévention, insistant chez les hygiénistes (chap. 2). Le « rejet des méthodes pédagogiques assimilées à des tortures ou à un supplice » (p. 126) apparaît davantage dans l’analyse des procès intentés aux enseignants ; 32 cas recensés de 1838 à 1859 et publiés en 1860 dans les Annales d’hygiène publique et de médecine légale ; et 50 affaires signalées sous le Second Empire à l’instigation du ministre Duruy : il s’agit de crimes, délits ou plus simplement fautes graves (l’alcoolisme en est une), toutes assorties de condamnations (chap. 3). Ceci conduit l’auteur à suivre les interventions savantes, celles de l’expertise médicale puis psychologique, parallèlement à l’expression d’inquiétudes diverses catholiques (la déploration du péché originel), hygiénistes (l’exigence d’exercer une surveillance physique et morale). D’où le relief singulier que prend la question des attentats aux mœurs, bien visible en 1847 dans l’affaire Cécile Combettes, une apprentie relieuse de 14 ans, violée et assassinée, qu’on retrouva au pied du mur d’enceinte d’un noviciat des frères de la Doctrine chrétienne (chap. 4). Enfin, à partir de dossiers constitués par le ministère de l’Instruction publique, J.-C. Caron examine les procès intentés cette fois aux maîtres coupables de sévices et de viols d’enfants, 114 cas de 1843 à 1865 et 101 affaires dont 37 pour des laïcs et 60 pour des congréganistes (chap. 5).

  • 1  Notamment E. Prairat : Éduquer et punir. Généalogie du discours psychologique, Presses universitai (...)
  • 2  Sur ce débat de la décennie 1970, voir E. Becchi et D. Julia : Histoire de l’enfance en Occident, (...)

3Voici au total l’histoire d’une ignominie spécialement attachée aux méthodes pédagogiques – qu’on avait entrevue ces dernières années à travers quelques ouvrages sur l’arsenal disciplinaire des écoles1. Toutefois, insiste J.-C. Caron, il ne s’agit pas de fixer une « légende noire » de l’école. Certes, il y a bien eu jusqu’au XIXe siècle, adossée aux excès des pères indignes et des mères dénaturées, une « pédagogie noire » (notons la nuance), qui d’ailleurs était loin de soulever une indignation universelle. Mais en nous ménageant ces tristes rencontres, J.-C. Caron n’adopte pas les présupposés « psycho-historiques » d’un auteur comme Lloyd de Mause qui, aux thèses déjà classiques de Philippe Ariès, opposait les mauvais traitements, les coups, l’usage sexuel, le meurtre, bref un martyrologe sans fin2.

4Mais l’enquête ne consiste pas davantage à suivre, dans le sens inverse, le retrait continu et progressif de la violence et des fauteurs de violences, exclus de la socialité par une conscience humaniste de plus en plus claire et forte. Pour dire vite, nous apercevons dans ce livre deux propositions plus originales.

5Premièrement, J.-C. Caron ne trace pas une frontière très précise entre des adeptes et des adversaires de la violence, entre ceux qui en font un usage secret et ceux qui la portent au grand jour des tribunaux. Son approche est plus globale et plus nuancée à la fois : plus globale parce qu’elle établit un diagnostic sur l’époque elle-même, mais plus nuancée pour constater que les adultes sont d’un côté engagés dans un rejet de la violence, une « débarbarisation » voulue et attendue comme telle, quoique d’un autre côté la violence reste inhérente à leurs habitudes éducatives. Or cette contradiction, cette « tension permanente […] inscrite dans le jeu politique d’une société en voie d’accession à la démocratie » (p. 38), se loge au cœur de l’école et des méthodes pédagogiques. La classe semble un lieu pacifique, puisque d’une part le savoir et la transmission du savoir sont par essence « disjoints » de la violence, et puisque d’autre part on demande aux enfants de renoncer à la violence dont ils seraient porteurs, comme créatures enclines à la criminalité ou comme agents de la révolte et de la guerre sociale. Cependant, les élèves resteront longtemps exposés au sadisme de maîtres qui affirment l’exemplarité de la souffrance infligée par punition et qui, de ce fait, invoquent le caractère emblématique de la redoutable férule.

6Secondement, ceci imposait d’être attentif aux processus de mise en discours de la violence : étant données ces contradictions, l’activité violente, c’est-à-dire les comportements et les mentalités correspondantes, ne sont pas déposés dans une « mémoire » qui n’attendrait que l’historien pour avouer ses turpitudes. C’est pourquoi J.-C. Caron examine l’ensemble des efforts et des hésitations au terme desquels la violence est devenue lisible ou du moins a été soumise à une certaine lisibilité. Un passage significatif du livre est celui sur les agressions sexuelles et les attentats aux mœurs (chap. 5). Cette question surgit en effet avec une grande acuité vers 1850-1860 non pas au terme d’un dévoilement, mais après la « modification d’un regard » et la formation d’un discours sur la sexualité des enfants et des violeurs. De même pour la prise en charge judiciaire de la violence pédagogique, qui se renforce continûment depuis les dernières années de la monarchie de Juillet et connaîtra son apogée après 1860. Il y a alors, après dénonciation, des procédures réglées, une enquête double, l’une interne (par un inspecteur mandaté par le recteur), l’autre externe (du fait des gendarmes ou du juge d’instruction), etc. Mais toutes sortes de contraintes locales agissent à l’encontre des règles nationales, pour libérer ou refouler une parole, pour encourager ou décourager les plaintes et les témoignages, introduire d’autres enjeux comme des rivalités de pouvoirs (entre juges, préfets, recteurs, etc.), et surtout entretenir des conflits politiques (les laïcs contre les congréganistes), ce qui explique en fin de compte que la faute soit plus souvent qualifiée en Correctionnelle qu’aux Assises et soit sanctionnée par des condamnations relativement légères (du moins au départ).

7On comprendra, ce qui est une des surprises du livre, que les congréganistes soient très présents dans cette histoire : par exemple, dans les 50 affaires examinées sous le Second Empire (chap. 3), un cinquième concerne les laïcs, et quatre cinquième les frères, alors que les proportions sont inverses dans l’école primaire de cette époque. Cette sur représentation, si elle n’est pas un effet d’optique de la documentation retenue, tient peut-être à la brutalité incoercible d’enseignants jeunes, inexpérimentés, d’origine modeste, et eux-mêmes formés à des usages très rudes… (p. 135). Mais on ne doit pas négliger le fait que leur accusation s’inscrit dans un contexte de guerre scolaire qui, sous une forme larvée ou bien ouverte, traverse tout le siècle.

8Au fond, le livre de J.-C. Caron (qui fait bien évidemment penser à la question du viol des femmes dans les vingt ou trente dernières années) saisit l’effort de la société du XIXe siècle pour surmonter des contradictions qui se manifestent d’abord dans l’ordre du langage et de la représentation. Si donc il fait penser à Foucault, c’est peut-être par le choix de son projet, une sorte d’anthropologie des rapports sociaux, mais c’est surtout par le choix d’une méthode nominaliste qui examine les jeux du discours et cherche à saisir, à travers eux, la constitution des normes essentielles de la vie collective.

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Notes

1  Notamment E. Prairat : Éduquer et punir. Généalogie du discours psychologique, Presses universitaires de Nancy, 1994.

2  Sur ce débat de la décennie 1970, voir E. Becchi et D. Julia : Histoire de l’enfance en Occident, Seuil, 1998. t. 1, pp. 21-22.

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Pour citer cet article

Référence électronique

François Jacquet-Francillon, « CARON (Jean-Claude). – À l’école de la violence. Châtiments et sévices dans l’institution scolaire au XIXe siècle »Histoire de l’éducation [En ligne], 85 | 2000, mis en ligne le 19 février 2009, consulté le 07 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/984 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.984

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Auteur

François Jacquet-Francillon

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