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Notes critiques

FERRIER (Jean). – Les Inspecteurs des écoles primaires 1835-1995

Préface d’Antoine Prost. – Paris : L’Harmattan, 1997. – 2 vol., 965 p.
Gilles Rouet
Référence(s) :

FERRIER (Jean). – Les Inspecteurs des écoles primaires 1835-1995./ Préface d’Antoine Prost. – Paris : L’Harmattan, 1997. – 2 vol., 965 p.

Texte intégral

1Jean Ferrier propose une histoire du corps de l’inspection des écoles primaires et des inspecteurs. Il annonce dès l’avant-propos son ambition et ses hypothèses en déclarant vouloir combler des lacunes historiographiques : on sait en effet peu de chose sur « le rôle qu’ont tenu les inspecteurs […] dans la construction de l’école publique, dans la diffusion des valeurs – la République et la laïcité – qui ont soudé les instituteurs et la population autour de l’école pendant la IIIe République, celui qu’ils jouent aujourd’hui pour maintenir un enseignement de qualité » (p. 17). Il s’agit ainsi de mettre en évidence la place des inspecteurs dans la création de l’école républicaine, publique et laïque.

2L’ouvrage participe à une histoire de l’école primaire républicaine, semblant magnifier l’institution de la Troisième République, aboutissement historique d’une évolution, et envisageant l’histoire des inspecteurs des écoles primaires dans une articulation historique avec cette institution : l’avant, le pendant et l’après. Le choix du plan de l’introduction témoigne de ce parti pris : l’inspection naissante est confrontée aux « pouvoirs locaux » de la Révolution à Guizot (p. 25), puis part à la recherche d’un « équilibre entre pouvoir local et pouvoir central » jusqu’à Ferry (p. 31) avant d’atteindre un « équilibre durable » sous la Troisième République (p. 49) puis d’être totalement affranchie du local et de devenir « une affaire interne à l’Éducation nationale » (p. 53). Pour l’auteur, « l’âge d’or de l’école primaire et de ses inspecteurs » (p. 85) se situe entre 1886 et 1968 (ou 1972). Il définit ainsi trois « âges de l’inspection des écoles primaires » : « l’époque de la scolarisation des enfants des classes populaires », de 1835 à 1880, « l’école républicaine et laïque » de 1880 à 1950, et « la fin du mythe », depuis 1950 (pp. 673-677).

3Les deux tomes de cet ouvrage sont structurés en deux parties : pendant 340 pages, J. Ferrier traite des « Fonctions, recrutement et formation, environnement sociologique du corps » en quatre chapitres puis de « L’action des inspecteurs », en 300 pages (trois chapitres : « Les inspecteurs des écoles primaires et la formation des maîtres », « L’inspection » et « Le rôle des inspecteurs dans l’administration de la circonscription et du département »). Dans chaque partie et souvent dans chacun des chapitres, l’auteur respecte une description chronologique, dans la plupart des cas induite par les sources utilisées. La bibliographie, dans sa partie « Articles et discours » et « Ouvrages » semble assez réduite mais l’essentiel du travail de l’auteur repose sur le dépouillement de nombreux dossiers et liasses des Archives nationales (pp. 934-935), de périodiques, de rapports d’examen et de concours de recrutement et de l’analyse de plusieurs enquêtes : des questionnaires remplis par 172 inspecteurs en fonction en 1970 et par 113 inspecteurs en fonction en 1994. En complément a également été utilisée l’évaluation des acquis des élèves instituée en 1990 permettant de mettre en relation résultats des élèves et pratiques des inspecteurs. L’ouvrage s’enrichit énormément de plus de 200 pages d’annexes : documents de synthèse réalisés par l’auteur, questionnaires ayant été utilisés pour l’étude avec leurs grilles d’analyse et, enfin, reproductions en fac-similé de documents d’archives. Les documents synthétiques constituent des outils de référence très précieux, notamment une chronologie de l’organisation et de la surveillance des écoles primaires, la liste des circonscriptions et leur évolution de 1835 à 1994, une chronologie très détaillée des modalités de recrutement des inspecteurs, des statistiques des résultats aux épreuves de recrutement et l’analyse des programmes des concours, l’évolution des traitements des inspecteurs de 1850 à 1994, comparés aux traitements des instituteurs et des inspecteurs généraux et la liste des sujets imposés par le ministre de 1915 à 1968 pour les concours. Enfin dans la dernière partie des annexes, on trouve des reproductions de lettres, rapports, notes de service (notamment au sujet des conférences pédagogiques) qui illustrent la réalité des pratiques d’inspection (par exemple, « L’état des tournées de l’inspecteur de la Haute-Vienne au 4e trimestre de l’année 1842 », pp. 908-911 ou un rapport d’inspection de 1872, pp. 912-914).

4Dans ses approches, l’ouvrage apparaît comme un peu déséquilibré. L’histoire proposée des inspecteurs de l’école primaire jusqu’en 1960 est relativement normative, basée essentiellement sur l’analyse de sources administratives officielles et de quelques témoignages. À la création du corps, l’inspecteur, « homme du ministre », est soumis à des obligations de service « écrasantes ». Sa tâche est « administrative » et Jean Ferrier semble regretter son rôle pédagogique « très limité » : il doit « essentiellement […] vérifier la conformité du travail du maître avec les instructions qui lui sont données » (p. 65). Il s’agit pratiquement d’une « enquête policière » et il n’y a pas de rapport d’inspection « au sens où on l’entend aujourd’hui ». Cette analyse illustre bien l’hypothèse (la problématique) de J. Ferrier : l’inspecteur n’atteint son âge d’or qu’à partir du moment où une autonomie pédagogique lui est reconnue avec l’avènement de l’école républicaine. Mais sous la monarchie de Juillet et sous une grande partie du Second Empire, le « pouvoir local », seul, connaît la réalité des écoles primaires, du moins dans de nombreuses régions de France. Seuls, certains instituteurs deviennent des experts en pédagogie de l’école primaire. Il est clair que les enquêteurs dépêchés par Guizot en 1833 pour décrire l’état de l’enseignement primaire en France ignoraient tout ou presque de la réalité rurale comme urbaine de l’école primaire et, justement, J. Ferrier relève qu’en 1835, « la majorité des inspecteurs nommés […] sont issus des lycées […] et des universités. Ainsi, plus de 90 % d’entre eux sont probablement issus d’une bourgeoisie plutôt aisée […]. Il y a peu de place pour les maîtres d’école qui forment moins de 6 % de l’effectif » (p. 337). Ainsi, les premiers inspecteurs ignoraient le fonctionnement et, peut-être, la réalité pédagogique des écoles primaires de cette époque, gérées et contrôlées par les pouvoirs locaux. Rien d’étonnant alors à ce que ces inspecteurs ne soient, en définitive, que des agents de renseignements, dont les tâches s’alourdissent et dont « certains travaux n’ont rien à voir avec l’école primaire » (p. 71).

5Le rôle pédagogique des inspecteurs se développerait à partir de 1857 : le ministre Rouland se préoccupe alors de « l’efficacité du système » et « non plus seulement de l’aspect quantitatif des choses » (p. 79). Cette analyse semble trop étroite et ignore justement la réalité des écoles primaires, gérées et organisées localement, de la Révolution au Second Empire. L’école ne devient pas pédagogique à partir du moment où l’État juge nécessaire qu’elle le devienne ! Il faut attendre 1865 pour constater que « les enseignants de “l’ordre primaire” ont massivement investi la fonction ». Jean Ferrier émet d’ailleurs une hypothèse intéressante : si les enseignants du primaire deviennent majoritaires dans « un corps pour lequel une partie au moins des enfants de la bourgeoisie continue à éprouver de l’intérêt », c’est que « les titulaires des diplômes universitaires élevés […] (pouvaient) trouver ailleurs des débouchés plus rémunérateurs » (p. 338).

  • 1  Sauf pages 284-298 mais il s’agit essentiellement de descriptions de carrières-types et de gestion (...)

6En première lecture, on peut regretter ici l’absence d’analyse stratégique du corps des inspecteurs1 et, notamment, la description et l’analyse des modalités des prises de fonction et les confrontations avec les inspecteurs gratuits et autres membres des comités d’arrondissement et comités locaux que l’auteur, suivant ainsi la lecture des textes officiels sur ce sujet, néglige ou sous-estime beaucoup. Mais, en deuxième lecture, cette absence apparaît comme en conformité avec l’hypothèse sous-jacente, reprise dans l’introduction puis dans la conclusion, concernant l’évolution du corps des inspecteurs et de l’école primaire avant Jules Ferry : l’État, de Guizot à Ferry, s’appuie sur l’inspecteur « porte-parole, œil du gouvernement, et agent de renseignement » afin d’« asseoir, à travers celle de son inspecteur, son autorité sur l’école et, presque constamment, de limiter la mainmise et le pouvoir de l’Église sur ce service ». Les inspecteurs ont donc dû « affirmer leur autorité et leurs compétences, défendre leur territoire, notamment vis-à-vis de l’Église et des notables locaux. Pendant toute cette période, les inspecteurs sont véritablement les pièces maîtresses de la construction de l’école primaire pour laquelle ils s’imposent comme de véritables spécialistes » (p. 673). La qualité des sources utilisées induit également cette démarche. En effet, J. Ferrier n’a pratiquement eu accès à aucune source locale susceptible d’éclairer cette confrontation entre inspecteurs fonctionnaires d’État et acteurs des écoles primaires. L’inspecteur se situe donc bien entre « pouvoir local » et « pouvoir central » mais pour quel enjeu vis-à-vis de l’évolution de l’école primaire ?

  • 2  Même si on peut critiquer l’utilisation de chiffres bruts de traitement rapportés à un indice des (...)
  • 3  Environ 240 pages consacrés à ces deux aspects, dont approximativement les trois quarts pour la pé (...)
  • 4  Pages 545-575 : « la continuité de l’histoire de l’inspection est évidente. Le modèle, acceptable (...)

7Pour les autres périodes, l’analyse apparaît beaucoup plus fine : le lecteur peut ainsi suivre très exactement l’évolution du corps d’inspection et des inspecteurs, de leur traitement2, de leur carrière, de leur environnement, de leurs origines, de leur métier. L’utilisation d’enquêtes apporte une quantité et une qualité d’informations précieuses qui assure la pertinence de la description de l’auteur. Il s’intéresse notamment à deux questions qui occupent une place importante dans l’ouvrage : l’évolution des conférences pédagogiques d’une part, l’évolution des pratiques d’inspection et du rôle de l’inspecteur d’autre part3. Les conférences pédagogiques, « véritable rituel de l’enseignement primaire » sont progressivement investies par les inspecteurs primaires, qui prennent en charge la formation continue des maîtres. Cette évolution s’accompagne d’une mutation du rôle de l’inspecteur et J. Ferrier, à partir de l’analyse des bulletins d’inspection de 1870 à 1990, propose une synthèse très intéressante en définissant des « modèles » d’inspection, entre « normalisation et formation »4.

8Cet ouvrage s’enrichit enfin d’un dernier type d’analyse : l’histoire de la gestion administrative des circonscriptions à partir de 1950. Le lecteur trouve dans cette partie des indications précises sur l’évolution des notes de service et des courriers des inspecteurs. Les notes de service sont « l’outil personnel de l’inspecteur qui régule ainsi le fonctionnement de l’école dans sa circonscription » (p. 604) tandis que « la vie de l’école apparaît à travers les courriers » (p. 611), le courrier administratif apparaissant comme étant « d’une très grande variété et d’une grande richesse » qui confirme également le rôle « de régulation joué par les inspecteurs » (p. 614).

  • 5  Comme le rappelle Antoine Prost dans sa préface, page 11.

9Jean Ferrier, ancien inspecteur d’académie puis directeur de l’enseignement primaire au ministère5 a consacré sa carrière à l’amélioration de l’enseignement primaire. Il livre ainsi une histoire des inspecteurs des écoles primaires sans précédent, au niveau de la documentation comme de la rigueur, au moins pour la période la plus récente, qui peut, plus aisément peut-être que les périodes précédentes, s’analyser à partir de documents normatifs et réglementaires. Mais il utilise également des enquêtes et témoignages qui illustrent sa thèse principale : le corps d’inspection primaire a contribué à la création de l’école républicaine mais, depuis 1968, perd petit à petit son rôle pédagogique pour un rôle d’administrateur de circonscription, de « cadre » de l’école primaire. Il s’agit, pour l’auteur, d’un des symptômes de la perte des valeurs républicaines de l’école française. Cette thèse se comprend aisément dans la perspective historique qu’il définit. Après avoir décrit le « local » par opposition au « central » pour la première période de l’inspection, Jean Ferrier revient à cette opposition dans sa conclusion : « Par les décisions qu’il prendra à l’égard de ses inspecteurs, l’État indiquera mieux que par n’importe quel discours le rang et l’autorité qu’il entend leur donner. Sans doute aussi l’avenir qu’il réserve pour la fonction et pour l’école primaire de demain. L’alternative est simple : laisser aux pouvoirs locaux le soin de réguler l’activité d’une école éclatée ou restaurer le rang et l’autorité d’un corps qui, malgré les difficultés, tient l’enseignement du premier degré » (p. 695).

10Cette première synthèse de l’histoire de l’inspection des écoles primaires appelle, en définitive, de nouveaux chantiers complémentaires : sur l’histoire administrative des circonscriptions, sur les rapports des inspecteurs du XIXe siècle avec les comités puis les délégués cantonaux, sur le rôle des conférences pédagogiques dans la construction du corps des instituteurs et sur le développement des compétences pédagogiques, sur l’incidence des pratiques des inspecteurs sur les pratiques scolaires, sur les stratégies des acteurs, etc. Ces chantiers nécessiteront une confrontation entre sources centrales et sources locales, car l’histoire de l’évolution de l’inspection des écoles primaires n’est peut-être pas, comme d’ailleurs l’histoire des écoles primaires elle-même, envisageable de manière unifiée sur l’ensemble du territoire français, en s’abstenant de références aux acteurs locaux de l’institution.

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Notes

1  Sauf pages 284-298 mais il s’agit essentiellement de descriptions de carrières-types et de gestion des carrières par l’administration centrale.

2  Même si on peut critiquer l’utilisation de chiffres bruts de traitement rapportés à un indice des prix pour comparer des situations économiques très dissemblables en pratique, notamment entre instituteurs (ruraux) et inspecteurs (urbains).

3  Environ 240 pages consacrés à ces deux aspects, dont approximativement les trois quarts pour la période à partir de 1968.

4  Pages 545-575 : « la continuité de l’histoire de l’inspection est évidente. Le modèle, acceptable hier, est-il encore valable aujourd’hui ? »

5  Comme le rappelle Antoine Prost dans sa préface, page 11.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Gilles Rouet, « FERRIER (Jean). – Les Inspecteurs des écoles primaires 1835-1995 »Histoire de l’éducation [En ligne], 85 | 2000, mis en ligne le 19 février 2009, consulté le 10 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/978 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.978

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Auteur

Gilles Rouet

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