GRANDIÈRE (Marcel). – L’Idéal pédagogique en France au dix-huitième siècle
GRANDIÈRE (Marcel). – L’Idéal pédagogique en France au dix-huitième siècle. – Oxford : Voltaire Foundation, 1998. – 432 p.
Texte intégral
1À la veille de la Révolution, une visite du château de Versailles et de son parc représentait, pour les jeunes gens qui fréquentaient alors les collèges, la découverte d’un monde qui commençait à leur devenir étranger : les études qu’ils avaient suivies, boutant le latin et les références au monde de l’Antiquité hors des préoccupations quotidiennes et prenant pour axes principaux l’enseignement des choses et l’utilité, les avaient éloignés de la compréhension des symboles qui étaient encore quarante ans plus tôt directement accessibles à leurs grands-parents. Entre 1715 et 1789, le monde de l’éducation s’est transformé, disloqué pour donner naissance à la figure pédagogique, sur laquelle nous vivons encore, d’un enseignement sécularisé : le souci accordé à la nature humaine a définitivement chassé les questions sur les finalités religieuses d’une éducation qui, à la mort de Louis XIV, considérait encore l’école comme « l’église des enfants » et faisait de la « science du salut » sa fin primordiale. Retracer les étapes de cette transformation essentielle pour la connaissance du XVIIIe siècle et pour la compréhension de notre époque, les situer dans leur environnement philosophique et politique, telle est l’ambition du bel ouvrage de Marcel Grandière.
2Cette étude est ordonnée autour de trois grandes périodes : entre 1715 et 1746, l’idéal chrétien du salut et la fidélité au roi dominent ; de 1746, année de la parution de l’Essai sur l’origine des connaissances humaines de Condillac, à 1762, date de l’expulsion des jésuites de France, la connaissance de l’homme devient le thème dominant d’un nombre important d’œuvres pédagogiques et refoule progressivement les questions qui ont trait aux finalités de l’éducation au profit de celles qui s’occupent du fonctionnement de l’esprit humain, sur lequel on espère pouvoir bâtir l’éducation ; enfin, à partir de 1762, la critique de « l’éducation des moines » dispensée par les collèges met au premier plan des préoccupations le thème d’une éducation dont on souhaite qu’elle devienne nationale pour être au service de la société civile.
3Présents dans l’éducation des pauvres et dans celle des élites, les pédagogues chrétiens de la première période accordent une place importante aux finalités qu’il faut assigner à l’éducation : il s’agit pour eux de « former Jésus-Christ dans le cœur des enfants », ainsi que l’indique l’auteur anonyme de l’Essai d’une école chrétienne paru en 1724 (p. 17). Les moyens utilisés pour réaliser ces fins chrétiennes sont différents selon que l’on a affaire aux petites écoles ou aux collèges : un Jean-Baptiste de La Salle accorde une place importante à la formation des habitudes qui doivent perdurer au-delà de la sortie de l’école, alors que les auteurs qui traitent du collège visent à une synthèse de la piété et des études, même s’il y a plus d’une nuance entre les jansénistes et les jésuites, avec toute la question notamment de la part faite à la culture païenne. Le plus important pour l’avenir est cependant ailleurs : les préoccupations professionnelles des enseignants prennent le dessus avec l’ouvrage au titre évocateur de La Salle, Conduite des écoles chrétiennes (1720). Le souci de codifier la pratique magistrale amène son auteur à opérer une « séparation entre la conduite de l’école et l’exposé des connaissances chrétiennes à faire acquérir » (p. 31). Autrement dit, la sécularisation de l’enseignement commence avec l’un des saints de l’Église catholique ! De la même manière, le Traité des études (1726) de Rollin, « livre phare du début du dix-huitième siècle, […] introduit nettement la pédagogie dans le champ de la méthode en laissant moins de place à la spéculation chrétienne, aux fondements chrétiens de l’éducation » (p. 61). « Point d’équilibre » (Ibid.), nous dit Grandière de l’œuvre de Rollin. Mais ne faut-il pas l’entendre au sens d’un équilibre instable, qui amène à une réflexion pédagogique plus soucieuse de méthode que de spéculation sur les sources et les finalités religieuses de l’éducation ? Car le paradoxe du XVIIIe siècle éducatif veut que l’on trouve dans la diversité des préoccupations des gens d’Église qui écrivent sur l’éducation en se référant au christianisme à peu près tous les thèmes que l’on retrouvera par la suite sous la plume de leurs adversaires.
4Ainsi le thème du bonheur, qui apparaît chez le père Buffier, jésuite, ou chez l’abbé Castel de Saint-Pierre, fait passer à l’arrière-plan les références aux Écritures, l’histoire des sociétés civiles prenant le pas sur l’histoire sainte (p. 64) et inversant le rapport de moyen à fin entre bonheur et religion. C’est le même père Buffier qui, ébloui par l’exemple de Newton et de Locke, affirme qu’une bonne méthode, c’est-à-dire inspirée de la pensée anglaise, constitue une « sorte de pierre philosophale avec laquelle on parvient à tout » (p. 77). On espère notamment constituer ainsi une science de l’éducation en appliquant aux choses humaines les principes dégagés par l’étude du monde physique. Désormais, pour ceux qui commencent à se réclamer de l’empirisme lockien, l’éducation se libère de toute référence religieuse, et se limite à la nature. Les « méthodistes » vont commencer à occuper le devant de la scène, tel Dumas, qui, à l’aide de son « bureau typographique » va donner une énorme impulsion à ce que l’on appellerait aujourd’hui la recherche didactique (pp. 93-100). En même temps, l’inadéquation de l’éducation des collèges et des universités qui est en mesure de former seulement des ecclésiastiques et des juristes permet aux novateurs de proposer des idées neuves qui s’appuient sur la nouvelle métaphysique. Avec la volonté de satisfaire les besoins économiques de l’industrie et du commerce, on cherche à substituer à une éducation des mots une éducation des choses ; ainsi le grand thème de l’utilitarisme fait son entrée dans le domaine pédagogique.
5La seconde période étudiée par M. Grandière est extrêmement riche tant par la qualité des œuvres qui sont publiées que par l’importance des thèmes qu’elle met à l’ordre du jour. Condillac, Diderot, Bonnet, Rousseau imposent dans toute l’Europe l’éclat de la pensée d’expression française sur les questions d’éducation. Le sensualisme de Condillac constitue la base commune à ceux qui sont désignés ici comme « les métaphysiciens de la pédagogie » (p. 143) et trace les bases d’une éducation qui affirme procéder par principes et non plus par routine (p. 178), à l’inverse de ce que ferait celle des collèges. Dès lors s’affirme sans fard l’idée de l’omnipotence de l’éducation (p. 127) – on connaît la formule d’Helvétius : « il n’est rien d’impossible à l’éducation, elle fait danser l’ours » (p. 298). Cette toute-puissance, l’éducation la doit au fait qu’elle peut, grâce à l’observation et au ressort qu’elle découvre dans l’être humain, l’intérêt, se constituer sur le modèle de la science newtonienne en véritable physique de l’âme (p. 157). Ainsi prétend se constituer une psychologie de l’éducation (p. 124) qui élimine de ses préoccupations tout ce qui touche aux finalités de l’existence humaine et se limite à l’étude du fonctionnement de l’esprit humain. Sur cet arrière-fond, l’Émile de Rousseau est essentiellement l’expression des idées pédagogiques communes de son époque, contrairement à ce que son auteur affirme bien haut (p. 146). Un autre thème apparaît chez les novateurs en pédagogie, promis lui aussi à un long avenir : puisque l’intérêt est le motif principal des actions humaines, on doit chercher à éduquer les enfants en les amusant et sans qu’ils s’en rendent compte (p. 149). L’importance croissante prise par les émules de Locke ne fait pas disparaître le courant chrétien : les collèges des jésuites dispensent encore une éducation humaniste, ainsi que l’auteur nous le montre par l’examen de concours de rhétorique du collège Louis le Grand (p. 155). D’autres écrivains chrétiens « se laisse[nt] facilement pervertir par les nouvelles idées philosophiques » (p. 132) et considèrent tantôt l’enfant comme un petit animal sur lequel l’éducation va pouvoir exercer facilement son action, tantôt comme un être soumis au péché originel.
6Mais l’attrait est sans conteste du côté des « métaphysiciens de l’éducation », à tel point d’ailleurs que toutes les réalisations nouvelles portent leur marque, comme la création des écoles de dessin et des écoles militaires royales. Ces innovations sont faites avec l’agrément du Roi (p. 181) : le mercantilisme découvre l’utilité pour l’économie nationale de favoriser un type d’éducation qui puisse servir les intérêts nationaux sur le marché européen. Éducation qui doit être double : le principal initiateur des écoles de dessin, Ferrand de Monthelon, combat conjointement pour l’ouverture d’établissements destinés à poursuivre le travail des écoles de charité et recrutant un public populaire (p. 183) et pour la création de grandes écoles des arts, destinées aux fils de la noblesse, où il s’agit de former des ingénieurs et des architectes (pp. 187, 192). C’est également dans la noblesse que cherchera à recruter l’École royale militaire de Paris (1751). Cet établissement qui se donne pour un anticollège (p. 174) jouit bien sûr de l’appui de la Cour. Celle-ci est devenue un haut lieu du renouveau des méthodes d’éducation, et le soutien que les gouverneurs et précepteurs des enfants de la famille royale accordent aux « méthodistes » est patent, à tel point que M. Grandière rapproche l’article de l’Encyclopédie « Gouvernante d’enfans » de l’expression des soucis éducatifs du Dauphin à l’égard de son fils, le duc de Bourgogne (p. 206 sq.). Il n’est pas jusqu’à l’idée d’égalité qui ne soit reprise à son compte par le Dauphin, en véritable homme des Lumières, devant ses enfants (p. 210).
7La dernière période est essentiellement marquée par l’expulsion des jésuites hors du royaume de France, cette « revanche du jansénisme », disait Compayré, et par les débats autour de cette mesure, qui marque la défaite politique et pédagogique de l’éducation humaniste, bien davantage que celle de l’éducation chrétienne, puisqu’aussi bien à la veille de la Révolution trois thèmes structurent les projets éducatifs : l’homme, la nation et Dieu (p. 331). À la différence de la pure spéculation sur l’éducation, l’éducation réelle accorde une place importante à la religion, mais en cherchant à réduire la place de l’Église aux seules choses de la religion, lui déniant toute autorité sur les choses temporelles. L’un des thèmes fondamentaux de la critique qui est alors menée contre les collèges touche à l’inadéquation de cette éducation aux besoins de la société civile, les parlementaires qui se veulent l’expression éclairée de l’État n’hésitant pas, tel La Chalotais, à parler à ce propos de « barbarie des siècles passés » (p. 219). Il s’agit de lutter contre l’emprise de l’Église et des jésuites sur l’éducation, afin de confier à l’État la formation exclusive de la jeunesse : l’éducation doit devenir nationale. Cette revendication ne remet nullement en cause l’ordre social et s’accompagne d’une hostilité envers les écoles de charité, car on redoute que l’augmentation des effectifs scolaires dans le Tiers-État n’éloigne ces enfants de l’agriculture et de l’artisanat (p. 221) et ne menace la cohésion sociale (p. 243) ; l’éducation doit être nationale, dit-on encore, parce que les enfants appartiennent à l’État (p. 230 in fine). Ainsi, elle produira une uniformité des esprits qui exige une uniformité des moyens pédagogiques mis en œuvre par les enseignants (pp. 240-242). Les positions des parlementaires sur l’éducation populaire sont fortement critiquées par les héritiers de La Salle, mais également par certains réformateurs influencés par le jansénisme (p. 245), pendant que d’autres s’intéressent aux mesures prises par le gouvernement de Prusse pour favoriser une éducation populaire (p. 289). Parallèlement à toute l’agitation créée par l’expulsion des jésuites, se poursuit l’expansion des écoles de dessin qui étaient apparues dans la période précédente (p. 254 sq.) et des écoles militaires qui s’établissent en province (p. 260 sq.). Là encore, ces écoles sont destinées à servir de modèles à ce qui doit s’inventer.
8C’est à cette époque qu’apparaît une littérature pédagogique édifiante où vont s’illustrer Mme Le Prince de Beaumont et Mme de Genlis. Cette forme nouvelle de l’éducation s’inscrit dans la lignée de Locke : elle représente une pédagogie morale inductive où des exemples mis en scène remplacent les préceptes de l’éducation traditionnelle ; il s’agit aussi pour ces auteurs d’éduquer les enfants en les distrayant. Dans une belle formule, M. Grandière évoque « cette pédagogie nouvelle qui veut bégayer avec les enfants sans les contraindre en quoi que ce soit » (p. 305). Par ailleurs les projets pédagogiques se multiplient qui cherchent à proposer des solutions aux difficultés nées de la disparition des jésuites et débouchent souvent sur des créations de maisons d’éducation ou de pensions de collèges. Les périodiques comme le Mercure de France ou les Affiches de province vont permettre aux instigateurs de ces projets de développer une critique de l’enseignement des collèges et de faire connaître leurs projets novateurs : l’enseignement dispensé sera un enseignement des choses (p. 361) où le français dominera ; la sociabilité des enfants pourra se développer au mieux, à la différence du préceptorat ; l’intérêt accordé à la santé des élèves apparaît dans ces maisons par un souci d’hygiène, d’exercices physiques, par l’importance donnée aux préoccupations médicales ; enfin, le contrôle permanent auquel sont soumis les enfants doit garantir aux parents la tranquillité d’esprit face à la corruption de la société qui pourrait menacer leur progéniture. Ces maisons, qui s’adressent à un public très à l’aise, développent une éducation pour les riches (p. 366) et heurtent ainsi la prétention à l’égalité qui est forte jusque chez les privilégiés. De leur côté, les collèges abandonnés par les jésuites vont chercher à contrecarrer le succès des maisons privées en créant des pensionnats qui vont reprendre à leur compte le même type de préoccupations (p. 366 sq.). Pendant toute cette période existe, dit M. Grandière, des représentants de qualité de la tradition humaniste chrétienne, mais il ne leur est pas possible de s’imposer face au succès des philosophes et de leurs tenants, alors même qu’ils posent de bonnes questions sur l’éducation populaire, sur la métaphysique sensualiste de Locke ou de Condillac, ou sur les promesses impossibles à tenir des programmes d’études des novateurs (p. 388 sq.). De manière générale, l’Église de France est dans une position purement défensive sur les questions d’éducation, alors même que beaucoup de novateurs sont obligés de reconnaître que le départ des jésuites n’a pas amélioré la situation dans bien des établissements scolaires.
- 1 Roger Chartier, Marie-Madeleine Compère, Dominique Julia : L’Éducation en France du XVIe au XVIIIe (...)
- 2 Gabriel Compayré : Histoire critique des doctrines de l’éducation en France depuis le seizième siè (...)
- 3 Ibid., p. 203.
9On aura perçu, à la lecture de ce bref compte rendu du livre de M. Grandière, que son approche des problèmes de l’histoire de l’éducation est celle d’une histoire des idées pédagogiques dans la ligne de Compayré, laquelle n’ignore rien des acquis de l’école des Annales ou les apports d’Ernest Labrousse1. Son intérêt est précisément de montrer qu’une histoire des idées pédagogiques est toujours possible après les Annales, mais en tenant compte de ce que cette école a apporté. Le maître ouvrage de Compayré est cité d’ailleurs à plus d’une occasion et L’Idéal pédagogique en France cherche en quelque sorte à réparer les injustices d’une histoire pédagogique qui n’a pas retenu des auteurs comme Philipon de La Madeleine, Le Mercier de La Rivière, Wandelaincourt (pp. 297 sq.), qui mériteraient l’intérêt tout autant que La Chalotais, nous dit-on, ou encore Filassier, que Ferdinand Buisson jugeait fort sévèrement dans son Dictionnaire (p. 311). Il est vrai que Compayré fondait son choix sur l’importance qu’il accordait aux auteurs dans leur « marche progressive [vers] l’idéal »2. Le finalisme naïf de Compayré n’ayant plus cours, M. Grandière a constitué son corpus à partir, en particulier, des écrits « des obscurs praticiens des écoles, des collèges et des maisons d’éducation » (p. 2 sub init.). Mais si le lecteur apprend qu’on arrive ainsi à un total de 464 écrits auxquels il faut ajouter les articles de journaux, il ignore de quoi ces textes d’occasion peuvent être représentatifs. De plus, il est amené à se demander si les « grands auteurs pédagogiques », qui sont aussi présents dans l’ouvrage, sont en porte-à-faux par rapport aux documents découverts par M. Grandière. Faudrait-il peut-être dire que cette question n’a pas de sens, une fois qu’on est sorti d’une conception téléologique de l’histoire à la Compayré ? Il est dommage que ces questions ne soient pas abordées. Mais si la référence à l’Histoire des doctrines de l’éducation s’impose, c’est bien plus, à notre avis, parce que la thèse fondamentale de Compayré qui porte sur « la sécularisation nécessaire de l’instruction »3 et qui est imputée aux représentants des Lumières, est en quelque sorte radicalisée, et par là totalement subvertie, par M. Grandière qui la découvre à l’œuvre chez J.-B. de La Salle, Rollin et chez pratiquement tous les auteurs qui se réclament du christianisme.
- 4 Christa Kersting : Die Genese der Pädagogik im 18. Jahrhundert. Campes « Allgemeine Revision » im (...)
10Autrement dit, l’enjeu intellectuel des analyses que l’on trouve dans L’Idéal pédagogique en France n’est pas mince, puisqu’il concerne rien de moins que l’origine d’une pensée sécularisée dans le champ de ce que l’on appellera plus tard les sciences humaines : faut-il soutenir que cette pensée est née du combat contre l’Église, ainsi que le soutenait Compayré, ou qu’elle est d’une certaine façon fille du christianisme ? Il est sans doute dommage que, par une sorte de modestie théorique, l’auteur n’explicite pas les conclusions qu’il en tire lui-même. On se demande d’ailleurs s’il n’hésite pas entre deux positions qui l’amènent, ici à accepter les germes d’une pensée sécularisée de l’éducation chez des théoriciens chrétiens de l’éducation, lorsqu’il évoque La Salle et Rollin, là à dénoncer la perversion des idées chrétiennes par les idées philosophiques nouvelles lorsque les finalités d’une éducation chrétienne ne sont plus imposées d’autorité (p. 132). S’il y a effectivement perversion du christianisme à soutenir que les enfants doivent être considérés dans l’action éducative comme s’ils étaient purement soumis à l’action de la nature, la conclusion n’en est-elle pas qu’il n’y a pas de doctrine possible d’une éducation chrétienne dans un monde sécularisé, c’est-à-dire dans notre monde moderne ? On retrouve cette question sous une autre forme lorsque l’on s’étonne que le titre de l’ouvrage soit L’idéal pédagogique… et non pas Les idéaux pédagogiques… : si le chapitre qui précède la conclusion s’intitule « L’idéal d’éducation chrétienne », n’est-ce pas pour laisser entendre qu’il y a antagonisme radical avec celui que peuvent présenter les « métaphysiciens de l’éducation » ? Mais alors, le pluriel dans le titre n’aurait-il pas été mieux à sa place ? Pourtant, alors que le pluriel signifierait qu’il n’y a pas le moindre rapport de filiation entre le modèle chrétien et le modèle sécularisé de l’éducation, le singulier ne ferme pas cette possibilité… Si nous avions un regret à formuler, et nous reconnaissons volontiers qu’il n’est pas tout à fait à sa place, vu la délimitation que M. Grandière a opérée de son sujet, c’est que le mouvement de sécularisation dans le domaine de l’éducation, celui d’autonomisation d’une psychologie qui se donne pour base d’une approche scientifique des phénomènes éducatifs ne soit pas mis en perspective avec ce qui se passe au même moment dans d’autres pays d’Europe. Nous pensons notamment au livre de Christa Kersting qui porte sur les mêmes problèmes pour l’Allemagne4, en centrant cependant son étude sur le mouvement philanthropiniste et l’ouvrage dirigé par Campe et qui se présentait comme une Encyclopédie en matière d’éducation. La similitude rencontrée dans différents pays d’Europe doit sans aucun doute être elle-même versée au dossier pour tenter de donner des réponses satisfaisantes aux questions qui constituent les enjeux de cet ouvrage.
11Gageons que le livre de Marcel Grandière apportera à tous ceux qui s’intéressent au XVIIIe siècle, et notamment aux étudiants en histoire et aux étudiants de sciences de l’éducation une vision renouvelée de cette période cruciale pour l’histoire de France et pour la pensée intellectuelle française.
Notes
1 Roger Chartier, Marie-Madeleine Compère, Dominique Julia : L’Éducation en France du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, Sedes, 1976, p. 1.
2 Gabriel Compayré : Histoire critique des doctrines de l’éducation en France depuis le seizième siècle, Paris, Hachette, 1911 (1re éd., 1879), t. II, p. 376 sub init.
3 Ibid., p. 203.
4 Christa Kersting : Die Genese der Pädagogik im 18. Jahrhundert. Campes « Allgemeine Revision » im Kontext der neuzeitlichen Wissenschaft, Weinheim, Deutscher Studien Verlag, 1992. [La Genèse de la pédagogie au XVIIIe siècle. La Révision générale de Campe dans le contexte de la science moderne].
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Référence électronique
Claude Mouchet, « GRANDIÈRE (Marcel). – L’Idéal pédagogique en France au dix-huitième siècle », Histoire de l’éducation [En ligne], 85 | 2000, mis en ligne le 19 février 2009, consulté le 07 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/974 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.974
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