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Comptes rendus et notes critiques

AUBOURG (Valérie), CHATELAN (Olivier), CULLAFROZ (Jean-François), FOUILLOUX (Étienne), MOULINET (Daniel) et PRUDHOMME (Claude) (dir.), Les chrétiens à Lyon en mai 68

Yves Verneuil
p. 203-208
Référence(s) :

AUBOURG (Valérie), CHATELAN (Olivier), CULLAFROZ (Jean-François), FOUILLOUX (Étienne), MOULINET (Daniel) et PRUDHOMME (Claude) (dir.), Les chrétiens à Lyon en mai 68, Paris, Éditions des Archives contemporaines, 2020, 112 p.

Texte intégral

1La publication de cet ouvrage, issu d’un colloque qui s’est tenu à Lyon en 2018, à l’occasion du cinquantenaire de mai-juin 1968, répond à une double évolution de l’historiographie : déplacement du regard de Paris vers la province, prise en compte des questions religieuses, alors que, comme le souligne Étienne Fouilloux dans son introduction, « les historiens, politologues ou sociologues qui se sont penchés sur cet épisode étaient des spécialistes du politique ou du social, peu familiers des milieux chrétiens, auxquels ils ne s’intéressaient guère » (p. 1). Le cas lyonnais est doublement intéressant : seconde ville universitaire de France en 1968, la capitale des Gaules est réputée comporter d’importants centres d’influence chrétiens, avec notamment une tradition de catholicisme social. Toutefois, ce volume ne s’intéresse pas seulement aux catholiques : plusieurs contributions prennent en compte la communauté protestante. En majorité, ce sont des institutions d’enseignement et de formation qui ont fait l’objet d’études. Aussi cet ouvrage ne peut-il manquer de susciter l’intérêt des historiens de l’éducation.

2Olivier Chatelan commence par dresser un tableau des « chrétiens à Lyon à la veille de mai 1968 » qui fait sa part aux « étudiants et professeurs ». De fait, « l’enseignement catholique […] est un vaste réseau d’institutions qui occupent à Lyon une place fondamentale dans la formation de la jeunesse » (p. 15-16). Si les collèges catholiques sont nombreux, l’enseignement technique – moins connu – est également bien représenté, avec notamment l’École catholique des arts et métiers de Lyon (ECAM), tenue par les Frères des écoles chrétiennes, l’École d’apprentissage supérieur, l’École de la Salle des Frères des écoles chrétiennes, les Ateliers d’apprentissage du père Boissard et l’École d’orientation professionnelle du Prado. Les catholiques, au demeurant, ne sont pas présents seulement dans l’enseignement privé. On peut citer Jean Lacroix, professeur de philosophie au lycée du Parc, animateur du groupe Esprit à Lyon et membre du Cercle Tocqueville, « un des principaux lieux de réflexion politique, très actif au milieu des années 1960 dans la nébuleuse des clubs qui forment la “deuxième gauche” » (p. 22). Toutefois, dans l’enseignement public, le cas le plus éminent est sans doute celui d’André Latreille, doyen de la faculté des lettres de l’université : représente-t-il un exemple d’immobilisme et de faux libéralisme ou au contraire a-t-il été présent lors des événements de mai-juin 1968, accompagnant les discussions au sein de la faculté des lettres en vue de la mise en place d’une gestion paritaire, au risque d’être accusé par certains de ses collègues de complicité objective avec le désordre ambiant ? Les avis divergent. En tout cas, son fils, Jean Latreille, docteur en théologie, est quant à lui responsable de l’aumônerie de l’ensemble des facultés et grandes écoles de l’agglomération lyonnaise. Parmi les lieux de rencontre et de travail des étudiants lyonnais, il faut mentionner la Maison des étudiants catholiques (MEC), dont le rôle revient dans plusieurs contributions. Si la JEC a traversé une crise, elle compte encore de nombreux militants, telle, à la JECF, Bernadette Béraud, élève-maître à l’école normale d’institutrices de la Croix-Rousse et leader de la contestation de cette institution en mai-juin 1968. Cette présentation générale est complétée par la contribution (« Églises et chrétiens à Lyon en mai 68 à Lyon ») de Jean-François Cullafroz qui confirme que les membres de la JEC sont bien représentés parmi les étudiants et lycéens lyonnais, y compris au sein de l’UNEF. Soulignant l’implication de chrétiens, il retrace le fil des événements, en mettant l’accent sur la rupture qui a résulté de la soirée du 24 mai, marquée par le mort du commissaire Lacroix. La dimension du genre est apportée par Mathilde Dubesset qui jette un regard rétrospectif sur les catholiques et protestantes à Lyon en 1968 et dans les années 1970.

3Les autres contributions sont consacrées à des institutions d’enseignement et de formation, en cherchant à savoir comment elles ont été affectées par les événements de mai-juin 1968 et quelles en ont été les conséquences sur le moyen terme. De façon inattendue, à « la Catho », étudiée par Daniel Moulinet, ce sont les étudiants de la faculté de théologie qui sont à la pointe du mouvement, qui aboutit à la mise au point de nouveaux statuts pour l’université catholique. Jean-François Zorn examine le cas de l’École préparatoire de théologie protestante de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, qui reçoit des jeunes gens non-bacheliers souvent déjà engagés dans la vie professionnelle, mais désireux d’entreprendre des études de théologie en vue de devenir pasteurs. Pas de grève étudiante dans cette institution, mais un désir de réformes pédagogiques qui rencontre l’intérêt des enseignants, même si ceux-ci craignent malgré tout de perdre leur pouvoir. Ce même désir de réformes pédagogiques se retrouve au couvent d’études de La Tourette (qui dépend de l’ordre des dominicains), étudié par Tangi Cavalin. Il en va de même au scolasticat de Fourvière, important lieu de formation des jésuites, qui constitue un des axes de la contribution de Valérie Aubourg sur les effets de Mai 68 dans la Compagnie de Jésus à Lyon. Fondée sur des témoignages, son enquête montre qu’au scolasticat de Fourvière, le moment 1968 se caractérise par une remise en cause de la formation et une exigence de nouvelle gestion des relations internes. Valérie Aubourg étudie aussi le cas des collèges tenus par les jésuites. Comme dans les établissements publics, les contraintes s’y relâchent. Ainsi au collège Fénelon (Lyon, 6e), dirigé par André Juès : dans les années qui suivent les événements de mai-juin 1968, celui-ci prend l’initiative de supprimer l’uniforme et d’introduire la mixité des sexes.

4Au total, trois axes parcourent ces études, mises en écho avec cinq témoignages : l’implication des chrétiens dans les événements de mai-juin 1968, la répercussion de ces événements sur les institutions religieuses, le devenir des chrétiens ayant vécu ces événements.

5Jean-François Cullafroz considère que les chrétiens lyonnais ont activement participé au mouvement de mai-juin 1968. L’Église catholique se montrerait « bienveillante » envers les mouvements sociaux et étudiants (p. 36). Mais le terme de « mansuétude » ne serait-il pas plus approprié ? Dans la conclusion de l’ouvrage, Jean-Dominique Durand écrit d’ailleurs : « Contrairement à Jean-François Cullafroz, je ne pense pas que l’on puisse généraliser une “empathie évidente” [sous-titre de la contribution de Jean-François Cullafroz] des chrétiens lyonnais avec le mouvement de Mai 68 […]. Des chrétiens ont participé au mouvement, parfois même à des manifestations violentes, mais cette participation ne paraît pas massive » (p. 110). Par ailleurs, si des engagements dans le mouvement de mai-juin 1968 ont certes existé, ou si, plus généralement, de nombreuses formes de contestations se sont développées, les autres contributions témoignent aussi des craintes, de l’attentisme, parfois de l’hostilité devant les événements de ces deux mois. Il est vrai que, dans l’ensemble, les auteurs de cet ouvrage mettent malgré tout davantage l’accent sur les chrétiens de gauche que sur ceux de droite. Olivier Chatelan rappelle néanmoins l’engagement de catholiques lyonnais dans le Centre universitaire Charles-Péguy, fondé par le professeur de biologie aux facultés catholiques Michel Delsol, centre fréquenté aussi par sa fille Chantal, qui va militer au sein du Mouvement autonome des étudiants lyonnais, hostile à mai-juin 1968, qu’a fondé le jeune Charles Millon, son futur mari.

6Autre relativisation de l’impact de mai-juin 1968 : le constat fait par de nombreuses contributions que le mouvement de réformes a commencé dans la plupart des cas avant 1968. Le « moment 1968 » défini par Michelle Zancarini-Fournel doit tenir compte ici d’une chronologie propre aux milieux catholiques, dans laquelle le Concile de Vatican II compte finalement peut-être plus que mai-juin 1968. Plusieurs contributeurs, et notamment Mathilde Dubesset, soulignent par ailleurs l’impact de la publication, le 25 juillet 1968, de l’encyclique Humanae Vitae, qui condamne la contraception. Il reste que plusieurs acteurs ont eu l’impression d’une communauté d’inspiration entre l’aggiornamento initié par le Concile et le mouvement de mai-juin 1968. Aumônier de la JOC, Clément Dumas considère rétrospectivement que « le Concile fut un peu notre mai 68 : une Église ouverte au monde, une autre conception de l’autorité, la mise en place de la réforme liturgique » (p. 31). Évêque auxiliaire de Lyon, Xavier Matagrin souligne qu’« il serait dommage que le peuple chrétien ne perçoive pas la dimension spirituelle » des événements de mai-juin 1968 (p. 38). Du côté des protestants, Alain Blancy, qui dirige l’École préparatoire de théologie protestante de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, conclut son rapport au Synode national d’Avignon de juin 1969 sur la vie communautaire à l’École préparatoire en écrivant que « politique dans ses manifestations, cette contestation était religieuse dans ses motivations » (p. 71). Cependant, pour le dominicain Christian Duquoc, « aujourd’hui pour certains croyants, l’engagement politique est en passe de rendre la foi inutile » (p. 45).

7De fait, comme on sait, mai-juin 1968 contribua à accélérer la crise des vocations religieuses. Le vent de contestation renforce l’aspiration de jeunes se destinant à la vie religieuse à vivre dans de petites communautés fraternelles, en marge des maisons traditionnelles (la notion de « communauté » résonne à la fois du côté des religieux et du côté des thuriféraires du mouvement de mai-juin 1968) ; mais c’est souvent le premier pas vers une sécularisation et la réduction à l’état laïc. Des religieuses ne rompent pas leur engagement, mais décident de quitter l’habit. Fréquente est la volonté de s’engager dans une vie professionnelle, pour se mêler au monde. Clément Dumas, déjà cité, devient par la suite prêtre ouvrier et responsable syndical CFDT dans les centres commerciaux Mammouth. De fait, quel que soit le degré de détachement vis-à-vis de l’institution ecclésiale, il semble que la fidélité à un certain nombre de valeurs caractérise les parcours de vie de ces chrétiens de gauche marqués par le Concile puis les événements de mai-juin 1968. De ce point de vue, à l’opposé des clichés ressassés sur les leaders parisiens de la contestation soixante-huitarde, les études réunies dans ce volume confirment les recherches de Julie Pagis, ainsi que celles du « Collectif de la Grande Côte » ayant abouti à la publication de l’ouvrage Lyon en luttes dans les années 1968. Lieux et trajectoires de la contestation (Lyon, PUL, 2018).

8Ce volume sur les chrétiens à Lyon en mai 68 n’est pas, en effet, la première publication sur le Mai 68 lyonnais (citons en particulier Vincent Porhel et Jean-Luc de Ochandiano [dir.], Lyon 68. Deux décennies contestataires, Lyon, Éditions Lieux Dits, 2017). Toutefois, il contribue à enrichir et à renouveler la perspective, en profitant de l’ouverture de nouveau fonds d’archives (archives diocésaines pour la période de mai-juin 1968, archives du Consistoire de l’Église réformée, archives de l’Université catholique de Lyon, etc.) et en s’appuyant sur de précieux témoignages. On peut regretter que les enseignements primaire et secondaire n’aient pas été davantage explorés : conformément à une vision faisant de mai-juin 1968 l’expression de la contestation de la jeunesse, les chrétiens et chrétiennes qui sont présentés sont essentiellement de jeunes adultes, étudiants, novices ou jeunes religieux. Cette orientation permet en tout cas d’offrir des aperçus sur des institutions d’enseignement et de formation qui étaient restées largement en marge des études sur mai-juin 1968.

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Pour citer cet article

Référence papier

Yves Verneuil, « AUBOURG (Valérie), CHATELAN (Olivier), CULLAFROZ (Jean-François), FOUILLOUX (Étienne), MOULINET (Daniel) et PRUDHOMME (Claude) (dir.), Les chrétiens à Lyon en mai 68 »Histoire de l’éducation, 158 | 2022, 203-208.

Référence électronique

Yves Verneuil, « AUBOURG (Valérie), CHATELAN (Olivier), CULLAFROZ (Jean-François), FOUILLOUX (Étienne), MOULINET (Daniel) et PRUDHOMME (Claude) (dir.), Les chrétiens à Lyon en mai 68 »Histoire de l’éducation [En ligne], 158 | 2022, mis en ligne le 01 novembre 2022, consulté le 08 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/8197 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.8197

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Yves Verneuil

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