CHOLVY (Gérard). – Frédéric Ozanam. L’engagement d’un intellectuel catholique au xixe siècle
CHOLVY (Gérard). – Frédéric Ozanam. L’engagement d’un intellectuel catholique au xixe siècle, Paris : Fayard, 2003. – 783 p.
Texte intégral
1Documentation, études et publications n’ont pas manqué pour évoquer celui qui fut l’une des principales figures de l’Église catholique en France durant la première moitié du xixe siècle. La force de ses analyses intellectuelles et spirituelles approfondies avec son entourage, une éloquence sans pareille qui entraînait des foules de plus en plus nombreuses, ne l’empêchaient pas de cultiver ses affections familiales, tandis qu’il travaillait de son mieux à devenir le savant médiéviste reconnu comme tel par ses contemporains. L’auteur a adopté pour son œuvre un sous-titre qui, eu égard au langage de notre époque, surprend un peu : le style d’alors ne comporte guère les mots d’« engagement » et d’« intellectuel ». La vie d’Ozanam (1813-1853), le « moment » catholique où elle se déroule ne sauraient d’autre part expliquer l’évolution des idées et circonstances auxquelles les catholiques ont été confrontés durant la seconde moitié du xixe siècle. Chaque génération apporte sa réponse propre, face aux situations qui se modifient.
2Pour retracer cette vie, ce qu’elle a représenté au sein de son temps, ce qu’elle explique de son héros, Gérard Cholvy a choisi la forme biographique la plus classique, des origines ancestrales jusqu’à la mort de celui-ci, à l’âge de quarante ans. À la suite de cette longue évocation, un Mémento fait l’inventaire des ouvrages successifs consacrés à Ozanam et des polémiques dont, lors de leur publication et même ensuite, ils ont été l’objet. L’auteur ne compare guère son entreprise à celle de ses prédécesseurs et ne se pose pas, eu égard à cela, la question du bien-fondé d’une histoire qui se veut « totale » et embrasse son objet de façon très détaillée. Gérard Cholvy il est vrai, a disposé d’une source rigoureuse, complète depuis 1997 : les Lettres de Frédéric Ozanam. Les archives familiales lui ont été largement ouvertes, il a dépouillé celles de la Société de Saint-Vincent de Paul, recueilli des souvenirs. Au-delà des fonds publics d’archives, il a eu recours à la lecture de revues essentielles, Le Correspondant et L’Ère nouvelle, pour connaître, au-delà des détails d’une vie, le milieu, les événements et les réponses. Sa bibliographie dresse la liste des biographies antérieures. Il évoque l’accueil qui leur fut réservé et cite même les ouvrages d’histoire générale qu’il estime pouvoir éclairer son sujet. De tels instruments disent le sérieux de l’entreprise à laquelle manque seulement l’Ozanam posthume, le long processus qui a conduit Jean-Paul II à proclamer, au terme de soixante-dix ans de procès, sa béatification en 1997, lors des Journées mondiales de la Jeunesse. Le Mémento placé à la fin du livre la rappelle, après avoir décrit à loisir les derniers moments et les funérailles solennelles à Saint-Sulpice.
3Le livre, considérable par la taille d’un texte vraiment peu aéré, a été ordonné en douze chapitres. La longueur des débuts provient sans doute d’un grand souci de placer le personnage dans ses origines et son entourage, d’expliquer les relations parfois difficiles entre les parents de Frédéric, mais aussi entre parents et enfants dans sa famille. La situation occupée par celle-ci au sein de la société lyonnaise – ni grande bourgeoisie, ni prolétariat – la rapproche de la bourgeoisie de talent. L’attachement personnel d’Ozanam à la ville de Lyon, où il se marie, ne fait pas de doute : il a espéré, à ses débuts, s’y fixer de façon durable, sinon définitive. Son éducation distinguée révèle un enfant précoce, doué de très grandes capacités intellectuelles, capable d’effectuer un travail énorme en peu de temps. Une contradiction reste permanente entre les aspirations du jeune homme, porté vers les études littéraires, et la volonté de son père qui veut en faire un avocat. Aussi bien, Ozanam fit-il des études juridiques, par obéissance, avant d’aller aux lettres. Décrire cette époque permet de connaître les maîtres qui ont le plus contribué à son orientation. De fines analyses portent sur ce qui a pu servir à l’élaboration de sa pensée : l’abbé Noirot, professeur de philosophie adepte de la méthode socratique, éveille en lui l’esprit de réflexion. Il l’entraîne à concilier raison et foi et l’entretiendra toute sa vie selon ces principes. Les relations avec Noirot se muèrent en amitié. Autour de l’abbé Noirot se constitue parallèlement un très petit groupe de jeunes gens, préfiguration de ce qui s’épanouit quelques années ensuite à Paris.
4La ville de Lyon est alors à trois jours de voyage de Paris, où Ozanam, en novembre 1831, vient faire des études de droit. Ses lettres abondent en détails matériels. Les cours l’ennuient ; il est docteur en 1836. Dès le début de son séjour, d’ailleurs, il fréquente des cours de lettres qu’il complète par de vastes lectures. Il soutient, en 1837, une thèse sur la philosophie de Dante. Membre du jury, Victor Cousin le félicite de son éloquence. Dès 1840, agrégé des facultés, le voilà candidat à un poste d’enseignement supérieur.
5Un paragraphe au moins aurait été bienvenu pour regrouper l’aspect proprement universitaire de la vie d’Ozanam. Au lieu de quoi se trouvent mêlées, alourdies d’interminables citations tirées de la correspondance, l’évocation des attitudes et initiatives religieuses ou caritatives, à vrai dire entreprises avant l’achèvement de ses études et souvent simultanées, et l’évolution du jeune homme. Il est doté très tôt d’une réputation au sein des catholiques en raison de son éloquence qui emporte tout, malgré son absence de prestige physique, et de ses diverses initiatives : articles publiés dans diverses revues ou grandes manifestations telles que le pèlerinage de la Fête-Dieu à Nanterre. À son rôle proprement religieux se mêlent des indications sur son parcours et son influence proprement politiques, toutes orientées par un souci permanent, la défense du catholicisme, le renouveau de sa place dans la société française, le tout dans une fidélité inflexible à l’attitude du Saint-Siège.
6Quelques indications surviennent en chemin, relatives à l’influence exercée par son frère Alphonse, plus âgé, médecin comme son père et devenu prêtre. L’auteur relève la marque profonde que leur mère, toute dévouée aux enseignements de l’Église, leur a laissée en ce domaine. À elle s’oppose naturellement un mari à demi détaché de la pratique, très adversaire surtout des jésuites. L’itinéraire religieux de Frédéric, au fil du livre, se mêle à des rencontres avec ceux qu’il considère comme les plus grands hommes de son temps, à commencer par Chateaubriand. Il fréquente le salon de Montalembert et se lie enfin, dès 1834, à Lacordaire qui attire alors les foules à Notre-Dame. Avec une poignée de jeunes gens, Ozanam a déjà fondé ce qui devient rapidement la Société de Saint-Vincent-de-Paul. L’auteur en décrit les premiers développements, la multiplication rapide, son essor.
7La vie personnelle du fondateur fait alors irruption : après bien des hésitations entre sacerdoce et mariage, il épouse Amélie Soulacroix, fille du recteur de Lyon. D’où un long développement sur la famille de celle-ci comme sur les soucis de carrière du nouveau marié. Il prend brièvement la charge d’un cours d’enseignement commercial à Lyon, puis, muni de l’agrégation des facultés, vient occuper en qualité de suppléant la chaire de littérature étrangère occupée par Fauriel à la Sorbonne. À la mort de celui-ci (1844), il obtient sa succession. Suit une longue évocation du cours d’Ozanam, du travail considérable que lui consacre le professeur. S’ajoutent des développements sur son amour pour l’Italie où il est né, et, au passage, une description détaillée des voyages effectués, parfois une reproduction de poèmes adressés par lui à sa femme. Ses ennuis de santé variés, presque constants, occupent de surcroît une grande place, de même que le chapitre consacré aux derniers combats.
8L’attention constante attachée à l’homme public, à la place qu’il occupe dans le monde religieux et la pensée de son temps, ne fait pas oublier les sentiments intérieurs de l’homme. Sa piété n’en fait pas une image de vitrail : profonde, nourrie d’une grande connaissance de l’Écriture et des Pères, elle est tourmentée de crises et de noires périodes qu’il surmonte toujours, aidé par la prière et ses directeurs de conscience. Lui-même éclaire de ses conseils certains amis. Les textes cités montrent l’intensité de ses affections de famille. Son approche des autres, empreinte d’amour et de délicatesse, ne veut blesser personne. Ce qui n’exclut pas une grande lucidité sur les caractères, les attitudes religieuses et politiques de ceux qu’il connaît, en personne ou par leurs écrits : ainsi renie-t-il Lamartine, qu’il admirait, après la publication de Jocelyn.
Notes
1 L’éditeur aurait pu s’épargner quelques erreurs sur les noms propres (le baron d’Ekstein, Boissonnade) et quelques étourderies : l’École normale ne s’appelle pas alors l’École normale supérieure, rien n’explique les coupures dans les citations, l’abondance du discours n’est pas exempte de toute répétition.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Françoise Mayeur, « CHOLVY (Gérard). – Frédéric Ozanam. L’engagement d’un intellectuel catholique au xixe siècle », Histoire de l’éducation, 101 | 2004, 108-111.
Référence électronique
Françoise Mayeur, « CHOLVY (Gérard). – Frédéric Ozanam. L’engagement d’un intellectuel catholique au xixe siècle », Histoire de l’éducation [En ligne], 101 | 2004, mis en ligne le 06 janvier 2009, consulté le 14 septembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/749 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.749
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