L’apprentissage saisi par les diplômes. Sociohistoire du décloisonnement de la formation initiale sous statut apprenti
Résumés
Cet article, en s’appuyant sur le cadre théorique institutionnaliste de la scolarisation, montre comment la formation initiale sous statut apprenti entre dans la logique des diplômes avec la loi du 23 juillet 1987 qui permet de préparer l’ensemble des diplômes de l’enseignement technique et professionnel en apprentissage. Cette entrée présente deux facettes solidaires : la hiérarchisation de l’apprentissage selon les diplômes et la segmentation des figures sociales des apprentis. Présenté en son temps comme une mesure pour l’emploi, le décloisonnement de l’apprentissage peut ainsi être vu d’abord et avant tout comme une réforme scolaire.
Entrées d’index
Haut de pagePlan
Haut de pageTexte intégral
- 1 Guy Brucy, Fabienne Maillard, Gilles Moreau (dir.), Le CAP. Un diplôme du peuple, 1911-2011, Renne (...)
- 2 Gérard Bodé, Stéphane Lembré, Marianne Thivend (dir.), La loi Astier, un projet pour le XXe siècle (...)
- 3 Fabienne Maillard, Gilles Moreau (dir.), Le bac pro. Un baccalauréat comme les autres ?, Toulouse, (...)
1Trois « anniversaires » de l’enseignement professionnel ont été célébrés ces dernières années par des colloques : les cent ans du certificat d’aptitude professionnelle (CAP)1, ceux de la loi Astier qui instaure les cours professionnels obligatoires pour les apprentis2 et les trente ans du baccalauréat professionnel3. Le « cap de la trentaine » de la loi du 23 juillet 1987, qui étend le spectre des diplômes pouvant être préparés par la voie de l’apprentissage au-delà du seul CAP, est en revanche passé plutôt inaperçu.
- 4 Marie-Christine Combes, « La loi de 1987 sur l’apprentissage », Formation emploi, no 22, 1988, p. (...)
- 5 Colette Grandgérard, Émergence d’un contre-modèle de formation et nouvelle professionnalité de l’i (...)
- 6 Prisca Kergoat, Les formations par apprentissage dans les grandes entreprises, thèse, sociologie, (...)
- 7 Dominique Maillard, Claudine Romani (dir.), « Le développement des politiques régionales d’apprent (...)
- 8 Prisca Kergoat, Emmanuel Quenson, Usage de la formation et production des inégalités sociales dans (...)
- 9 Gilles Moreau, « Apprentissage(s). Homogénéité et hétérogénéité d’un dispositif », Revue française (...)
- 10 Sabina Issehnane, « Le développement de l’apprentissage dans le supérieur : une évaluation empiriq (...)
- 11 Prisca Kergoat, « Les formations par apprentissage : un outil au service d’une démocratisation de (...)
2Au cours de ces trente ans, l’extension de cette voie de formation a pourtant été étudiée sous de nombreuses facettes : les débats parlementaires qui ont précédé le vote de la loi4 ; l’organisation des premières formations d’ingénieurs sous statut apprenti5 ; la manière dont les grandes entreprises ont investi les nouveaux diplômes ouverts à l’apprentissage6 ; les politiques régionales privilégiant tel ou tel niveau de diplôme7 et l’organisation des centres de formation d’apprentis (CFA) universitaires8 ; les propriétés sociales des apprentis selon les diplômes préparés et les usages sociaux de ces derniers9 ; les effets du passage par l’apprentissage sur l’insertion professionnelle10 ; la manière dont l’apprentissage constitue ou non un levier pour l’accès à l’enseignement supérieur11.
- 12 La nomenclature des niveaux de diplômes utilisée dans cet article est celle en vigueur jusqu’à sa (...)
3Ces travaux soulignent tous le pouvoir différenciateur des diplômes et niveaux de diplômes12 sur les formes, les finalités et les usages de l’apprentissage. Cependant, cette différenciation de l’apprentissage selon les diplômes s’avère bien souvent considérée comme allant de soi, par décalque de la hiérarchie des diplômes de la voie scolaire. Autrement dit, l’apprentissage se serait verticalisé, mais sans que ne soit interrogé le processus de verticalisation lui-même comme production sociale des promoteurs de la loi de 1987, à la fois en amont et en aval du vote de celle-ci. Le présent article adopte cette perspective processuelle, en restituant les différentes étapes du décloisonnement de l’apprentissage – c’est-à-dire la manière dont se rompt le lien séculaire qui unit, depuis la loi Astier de 1919, cette voie de formation au CAP – et en analysant la dynamique corollaire d’entrée de l’apprentissage dans la logique des diplômes de l’enseignement technique et professionnel. Par cette notion de logique des diplômes, nous qualifions la stratification symbolique et institutionnelle à la fois des diplômes et de ceux qui les préparent puis les détiennent. Décloisonnement et entrée dans la logique des diplômes renvoient alors à trois questions. Comment s’est ouvert l’apprentissage « du CAP au diplôme d’ingénieur » pour reprendre la formule consacrée de la promotion de l’apprentissage à tous les étages scolaires, du second degré à l’université ? Quels liens ont été construits ou non entre nouveaux diplômes accessibles par cette voie de formation ? Corrélativement, comment se sont pluralisées et hiérarchisées les figures sociales des apprentis selon le diplôme préparé ?
- 13 Gilles Moreau, « La scolarisation de l’apprentissage salarié », Les Temps modernes, no 637-638-639 (...)
- 14 Le système français de formation initiale se ramifie en deux voies distinctes, formation initiale (...)
- 15 Ibid., p. 413.
- 16 Guy Brucy, Histoire des diplômes de l’enseignement technique et professionnel (1880-1965). L’État, (...)
- 17 Jean-Pierre Briand, Jean-Michel Chapoulie, « L’institution scolaire et la scolarisation : une pers (...)
- 18 Ibid., p. 20-21.
- 19 Ibid., p. 15.
- 20 Ibid.
4Il est d’usage de décrire les évolutions contemporaines de cette voie de formation par la notion de « scolarisation de l’apprentissage salarié »13. Cette expression vise le processus par lequel l’apprentissage s’est progressivement rapproché, depuis les années 1960, de son homologue sous statut scolaire14, par l’intermédiaire de la création d’un lieu d’enseignement dédié (les CFA), l’augmentation du nombre d’heures minimum de cours et l’accroissement des « effets des dotations scolaires dans la trajectoire et la réussite des apprentis »15. La loi de 1987 « scolarise » l’apprentissage dans un sens plus fondamental. En prenant place à tous les étages de l’enseignement technique et professionnel, l’apprentissage est alors saisi par l’histoire longue de cette voie d’enseignement marquée par des enjeux d’ordonnancement des diplômes16. La scolarisation dont il est question est alors à comprendre dans l’acception institutionnaliste du terme, élaborée par Jean-Pierre Briand et Jean-Michel Chapoulie17. Notre article leur emprunte deux concepts qui permettent d’éclairer le processus de verticalisation de l’apprentissage selon les diplômes de l’enseignement technique et professionnel. Le premier est celui de « forme de scolarisation », définie comme « les théories indigènes de la scolarisation, qui prescrivent la clientèle et les finalités sociales d’une partie du système scolaire – type d’établissement ou filière de scolarisation »18. L’intérêt principal de la notion est de scruter comment les différents diplômes font ou non filière, c’est-à-dire sont ordonnés dans une consécution de viviers et de débouchés. Le second concept est le processus de « définition des candidats acceptables » à l’entrée de tel ou tel diplôme19. Cette définition s’appuie à la fois sur des critères formels tels que le niveau scolaire exigé des candidats, et sur un « ensemble de normes port[ant] sur des caractéristiques sociales [réelles ou supposées] constituées à l’extérieur de l’institution » qui sont « souvent investies de significations morales »20. La définition des candidats acceptables est donc un processus de production de figures sociales, et non seulement scolaires, plus ou moins légitimes à emprunter tel ou tel parcours de formation. Ces deux concepts, forme de scolarisation et définition des candidats acceptables, servent à analyser chacune des deux faces de l’entrée de l’apprentissage dans la logique des diplômes : la construction de liens entre les nouveaux diplômes accessibles par cette voie de formation et la hiérarchisation des figures sociales des apprentis.
- 21 Archives nationales [désormais AN], 20020354/5-20020354/7. Ce fonds émanant du Bureau de la règlem (...)
- 22 Comme le montre Bénédicte Girault, cette vaste campagne d’entretiens met l’accent sur les visées r (...)
5Rendre compte du décloisonnement de l’apprentissage et de son entrée corrélative dans la logique des diplômes impose, méthodologiquement, d’adopter un cadrage chronologique lui-même décloisonné. Il importe notamment de ne pas référer la genèse de la loi de 1987 au seul mémorandum « pour une filière de formation organisée dans le cadre de l’apprentissage » signé en mai 1986 par les organisations professionnelles, mais de partir des réflexions engagées au début des années 1980 sous la tutelle du ministère de la Formation professionnelle, puis reprises par le secrétariat d’État chargé de cette compétence après l’alternance politique de 1986, sans que cette dernière ne bouleverse le travail antérieur. Pour ce faire, le présent article s’appuie sur un fonds d’archives consacré à la « rénovation de l’apprentissage »21 et mobilise trois entretiens réalisés par l’Institut national de recherche pédagogique (INRP) dans le cadre du programme « Histoire et archives orales de l’enseignement »22. L’entrée de l’apprentissage dans la logique des diplômes en aval de la loi de 1987 est, quant à elle, restituée par une analyse des catégories statistiques des publications de la Direction de l’évaluation et de la prospective (DEP) du ministère de l’Éducation nationale et, s’agissant de la construction sociale des figures apprenties, par une analyse de discours émanant des établissements affiliés à la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Versailles, pionniers de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur.
6La démonstration du processus par lequel l’apprentissage est saisi par les diplômes de l’enseignement technique et professionnel en entrant dans leur logique s’effectue en trois temps. Premièrement, la sociogenèse de la loi montre comment la logique des diplômes imprègne les réflexions avant même le décloisonnement effectif de l’apprentissage. Ensuite, en aval de la loi de 1987, l’analyse des catégories statistiques de recensement des effectifs apprentis met au jour comment la verticalisation des diplômes ouverts à l’apprentissage se cristallise progressivement. Enfin, cette verticalisation de l’apprentissage dans les statistiques va de pair avec une segmentation symbolique des figures sociales des apprentis qui résulte des pratiques d’appropriation de la voie de formation par les établissements au faîte des hiérarchies scolaires tentant de mettre à distance le lien séculaire qui unit l’apprentissage au CAP.
I. Du décloisonnement horizontal au décloisonnement vertical : les trois actes de la « rénovation de l’apprentissage » des années 1980
7Le décloisonnement de l’apprentissage s’est effectué en trois actes dans les années 1980, avec comme particularité d’avoir été initié au sein de la diversité des spécialités de CAP avant d’être étendu aux autres diplômes. Le décloisonnement a ainsi été d’abord horizontal avant d’être vertical.
- 23 Gilles Moreau, Le monde apprenti, Paris, La Dispute, 2003, p. 34.
- 24 Fabienne Maillard, « La disgrâce d’un diplôme professionnel français : le brevet d’études professi (...)
- 25 AN, 20020354/5 : « Compte rendu de la réunion de la commission permanente tenue le 28 septembre 19 (...)
- 26 Ibid.
- 27 Depuis 1972, la rémunération des apprentis tient compte de l’ancienneté dans l’apprentissage sur u (...)
8La « rénovation de l’apprentissage » s’initie dans le contexte de relatif échec de la loi no 71-576 du 16 juillet 1971 n’ayant pas abouti à une augmentation significative des effectifs apprentis23. Cette stagnation est en partie due à la concurrence qu’exerce sur le CAP « l’irrésistible essor » du brevet d’études professionnelles (BEP) qui n’est préparable que sous statut scolaire24. Les réflexions visant à consolider l’offre de places des CFA sont alors conduites, au début des années 1980, au sein de la commission permanente du Conseil national de la formation professionnelle, présidée par le directeur du cabinet de Marcel Rigout, ministre de la Formation professionnelle. Le compte-rendu de la réunion du 28 septembre 1983 fait état d’une série de « mesures destinées à assurer la rénovation de l’apprentissage »25. Il n’y est pas encore question d’autre diplôme que le CAP, mais d’« élarg[ir] les connaissances acquises par la voie de l’apprentissage ». Partant du constat qu’« à l’heure actuelle, les jeunes titulaires d’un CAP ne peuvent pas acquérir une formation complémentaire par la voie de l’apprentissage, il est proposé d’autoriser les apprentis à prolonger d’un an leur apprentissage en vue de préparer un second diplôme dans une spécialité connexe correspondant au diplôme obtenu »26. Le compte-rendu précise que « ce dispositif aurait un caractère dérogatoire », et c’est sur ce point que les diverses organisations professionnelles réagissent. Les propositions de l’Assemblée permanente des chambres de commerce et d’industrie (APCCI) donnent à voir le double usage potentiel des dérogations, puisqu’il s’agit d’une part de « donner aux jeunes issus de l’apprentissage des formations complémentaires dans les secteurs professionnels où des besoins existent », mais aussi, d’autre part, de « proroger de 6 à 12 mois les contrats d’apprentissage des jeunes qui, en fin de formation, ont peu de chance de réussir les épreuves du CAP ». Quant aux syndicats de salariés, ils mettent l’accent sur la rémunération des apprentis, qui avait déjà été l’un des enjeux de la loi no 71-576 du 16 juillet 1971. Le syndicat Force ouvrière (FO) souligne que « la prolongation d’un an de l’apprentissage pose des problèmes. Il faut regarder la rémunération de près ». La Confédération générale du travail (CGT) y voit l’opportunité d’une revalorisation salariale non négligeable des apprentis, en avançant qu’« en ce qui concerne la rémunération, la CGT demande que le salaire minimal applicable pendant la prolongation soit égal au SMIC [salaire minimum interprofessionnel de croissance] ». Les syndicats de salariés sont en partie entendus sur ces questions, puisque les rémunérations des apprentis seront majorées de 15 points de pourcentage lors de leur année supplémentaire d’apprentissage, passant alors de 45 % à 60 % du SMIC pour les apprentis en troisième année de formation27. L’avis le plus détaillé émane de l’Assemblée permanente des chambres de métiers (APCM) :
- 28 AN, 20020354/5 : « Compte rendu de la réunion de la commission permanente tenue le 28 septembre 19 (...)
« L’APCM est entièrement d’accord sur cette proposition [de spécialité connexe], qu’elle demande depuis plusieurs années. Cependant, […] elle marque son désaccord sur la procédure proposée. […] En effet, nous demandons, non pas la prorogation d’un contrat d’apprentissage, mais la signature d’un nouveau contrat car il n’est pas évident, d’une part que le premier maître d’apprentissage veuille poursuivre la formation dans un métier connexe et, d’autre part, qu’il ait la qualification pour le faire. […] L’APCM demande en conséquence que les apprentis puissent souscrire un contrat d’apprentissage complémentaire avec leur maître d’apprentissage précédent ou avec un nouveau sans qu’aucune procédure de dérogation n’intervienne »28.
9Cette prise de position obtient gain de cause puisque le principe dérogatoire est abandonné au profit de la signature d’un second contrat d’apprentissage dans les textes réglementaires instituant le décloisonnement horizontal de l’apprentissage en 1985. Dans ces derniers, s’opère un glissement syntaxique à propos de l’adjectif « connexe » qui marque l’entrée de l’apprentissage dans la logique des diplômes. En effet, dans les textes préparatoires, il est question de « spécialité connexe » au diplôme préparé, alors que dans l’arrêté du 12 février 1985 qui dresse la liste des 25 CAP concernés par le décloisonnement horizontal, l’épithète est directement associée au diplôme, les « CAP connexes ». Leur périmètre est étendu à soixante-quinze dès l’été 1985, par l’arrêté du 30 juillet 1985. Surtout, les listes des CAP concernés esquissent une mise en relation des formations ouvertes à l’apprentissage, en ceci que les CAP ne sont pas « connexes » en eux-mêmes, mais relativement « au CAP détenu par le candidat », ce qui se matérialise dans les listes des arrêtés par un système de double colonne, la première relative au « CAP initial », la seconde au « CAP connexe ». Le CAP peintre en carrosserie est ainsi préparable après celui de carrossier réparateur, celui de tôlier en ventilation après celui de métallier ou encore le CAP de sculpteur sur bois est défini comme connexe à celui d’ébéniste. Ainsi, même uniquement horizontal dans un premier temps, le décloisonnement va de pair avec une mise en ordre des parcours possibles qu’objective le système de double colonne en traçant les sens autorisés ou interdits entre CAP. Même s’il n’en va pas encore, en toute rigueur, de l’apprentissage comme « filière de scolarisation » puisque le décloisonnement n’est qu’horizontal, se retrouve en revanche bien le second élément constitutif de la logique des diplômes, à savoir la segmentation des apprentis par la « définition des candidats acceptables » à tel ou tel CAP connexe selon le CAP initial dont ils sont porteurs.
- 29 AN, 20020354/5 : Note du 22 août 1985 du service de la formation continue et de l’apprentissage de (...)
- 30 Gilles Moreau, Le monde apprenti, op. cit., p. 57.
- 31 AN, 20020354/5 : Courrier du 11 février 1985 du secrétaire général du Syndicat des industriels mét (...)
10Au cours du deuxième acte du décloisonnement, l’extension de l’apprentissage à d’autres diplômes que le CAP devient centrale. La possibilité de préparer le BEP est évoquée comme « résult[ant] du recours aux dispositions qui autorisent actuellement une 3e année […] par la préparation d’un diplôme complémentaire »29 instituée par le décloisonnement horizontal. Un projet d’ouverture, en janvier 1985 et en vue de la rentrée scolaire suivante, d’un brevet de technicien supérieur (BTS) « transformation des matières plastiques » porté par le lycée technique de Charleville-Mézières et l’Union nationale des industries de transformation des matières plastiques donne lieu à une correspondance fournie entre plusieurs acteurs : la Direction des lycées et collèges du ministère, la branche professionnelle, le rectorat de l’académie de Reims et les services régionaux puisque l’apprentissage est, depuis les lois de décentralisation de 1983, « dans le giron des régions »30. Dans un courrier du 11 février 1985 adressé au directeur général des services de la région Champagne-Ardenne, le secrétaire général du Syndicat des industriels métallurgistes ardennais expose les motifs de ce projet d’ouverture. Il s’agit à la fois d’« aider certaines de nos entreprises métallurgiques à réussir leur conversion industrielle, la plasturgie remplaçant de plus en plus la métallurgie » dans le bassin économique régional, d’« aider des jeunes bacheliers à pouvoir poursuivre leurs études dans la région, dans une voie porteuse d’emplois » et enfin d’« ouvrir une nouvelle voie à l’apprentissage »31. Ce projet est porté à la connaissance du ministère de l’Éducation nationale par la plume du recteur de l’académie de Reims dès le 21 février, celui-ci précisant que « cette procédure étant inhabituelle, j’ai l’honneur de solliciter votre avis sur ce projet qui me laisse assez perplexe ; je souhaiterais notamment savoir si un BTS peut être préparé par la voie de l’apprentissage ? ». Face à cette demande « inhabituelle », la réponse du service de la formation continue et de l’apprentissage du ministère au recteur de l’académie de Reims consiste à présenter ce qui lui paraît constituer l’« allant de soi » du cadre légal de l’apprentissage en place depuis 1971 :
- 32 Ibid. : Courrier du 23 mai 1985 du service de la formation continue et de l’apprentissage du minis (...)
« Il est exact que la définition de l’apprentissage tirée de l’article L. 115.1 du code du travail ne précise pas le niveau des diplômes préparés par cette voie, mais il est évident que seul le niveau V est visé par les travaux préparatoires à la loi no 71-576 du 16 juillet 1971 relative à l’apprentissage »32.
- 33 Journal officiel de la République française [JORF] no 164, 17 juillet 1971, p. 7041.
11En effet, l’article 1er de la loi de 1971 se contente de stipuler que « l’apprentissage est une forme d’éducation. Il a pour but de donner à des jeunes travailleurs, ayant satisfait à l’obligation scolaire, une formation générale, théorique et pratique en vue de l’obtention d’une qualification professionnelle sanctionnée par un des diplômes de l’enseignement technologique »33. L’explicitation de l’« évidence » de l’esprit de la loi en dépit du flou de sa lettre est complétée dans la réponse adressée au recteur par deux autres arguments. « L’hypothèse d’une extension du champ de l’apprentissage aux formations de niveau IV et III, examinée dans le cadre de l’élaboration de diverses mesures gouvernementales en faveur de l’apprentissage, n’a pas été retenue par le cabinet du Premier Ministre ». En outre, « sur le plan de l’opportunité, il ne ressort pas des documents émanant de la profession que le besoin de formation ressenti au plan local soit suffisamment établi pour conduire à l’ouverture d’une capacité nouvelle de formation présentant la permanence structurelle de la formation initiale », de sorte qu’il convient d’enjoindre la branche professionnelle à recourir à la formation continue.
12Ce projet avorté de BTS en apprentissage n’est toutefois pas sans conséquence, à court comme à moyen terme. Les services du ministère diffusent à l’ensemble des recteurs d’académie les réponses à apporter à d’éventuelles demandes d’ouverture de ce type. Notamment, la première des trois « observations générales » spécifie que « la réglementation applicable à l’apprentissage a été élaborée pour favoriser l’accès des jeunes en difficultés scolaires à une qualification professionnelle de niveau V ; de ce fait les CFA ne sont pas a priori aptes à organiser des formations de niveau IV et III ». S’entrevoit ici la segmentation des définitions des figures sociales de l’apprenti selon le niveau de diplôme préparé, en particulier celle du « jeune en difficulté », apanage de l’enseignement professionnel court sous statut apprenti comme sous statut scolaire. Compte tenu de l’« actualité croissante du fait de la pression de certaines régions », il est néanmoins proposé de « provoquer une réflexion interministérielle sur le sujet », mais :
- 34 AN, 20020354/5 : Note du directeur des lycées au conseiller technique du secrétaire d’État chargé (...)
« dans l’immédiat, les recteurs ont été invités à mettre en garde les régions contre des initiatives qui ne seraient pas compatibles avec la réglementation actuelle, et à formuler des contre-propositions pouvant se situer dans le cadre des formations [continues] alternées. Mais la position est inconfortable, car les services de l’Éducation nationale portent seuls la responsabilité d’une attitude négative, ce qui, à mon sens, n’est pas tenable longtemps dans toutes les situations, compte tenu des rapports de force »34.
13La prudence est de mise, ne serait-ce qu’en raison du contexte politique de l’époque, l’abandon du projet de loi Savary en 1984 ayant éloigné la gauche au pouvoir d’une partie de son électorat enseignant, qui pourrait voir dans le décloisonnement de l’apprentissage un second acte de défiance. L’alternance politique de mars 1986 change la donne à cet égard, de sorte qu’est signée le 16 juillet 1986 une ordonnance « relative à l’emploi des jeunes de seize à vingt-cinq ans » qui élargit, par son article 13, l’âge d’entrée en apprentissage de 20 à 25 ans. Cet âge maximal d’entrée en apprentissage fixé à 25 ans perdure jusqu’à la fin des années 2010 (alors porté à 30 ans) et constitue, de fait, une condition nécessaire du décloisonnement jusqu’aux plus hauts niveaux de formation puisque l’âge d’entrée « normal », et a fortiori moyen, dans certains diplômes de l’enseignement supérieur est supérieur à 20 ans. Cette extension de l’âge d’entrée ouvre donc la voie à l’adaptation de la réglementation de l’apprentissage à la pluralité des diplômes, préparés à des âges différents selon leur position dans le système scolaire.
14Le troisième acte du décloisonnement se focalise sur le nouvel arrivant dans le paysage des diplômes professionnels : le baccalauréat professionnel. Si le BEP est évoqué en janvier 1985 comme pouvant éventuellement se couler dans le moule du « CAP connexe », autrement dit d’un décloisonnement quasi horizontal, l’accès au baccalauréat professionnel par la voie de l’apprentissage s’avère d’emblée perçu comme un décloisonnement vertical. Il est le plus aisément atteignable pour répondre aux demandes des branches professionnelles, comme le relate Claude Bancal, alors conseiller technique du cabinet du secrétariat d’État chargé de l’Enseignement technique :
- 35 Entretien réalisé par l’INRP, 15 octobre et 5 novembre 2003.
« Le deuxième point, c’est que jusqu’alors l’apprentissage plafonnait au CAP et que donc les jeunes qui s’engouffraient dans l’apprentissage avaient un avenir culturel nécessairement borné, puisque dans le système tel qu’il existait on pouvait préparer un CAP, un point c’est tout [en insistant]. Et donc la grande nouveauté qui était pratiquement acquise depuis les années 1984-85, c’était le bac professionnel. Parce que le bac professionnel, par l’intermédiaire du BEP, apparaissait comme quelque chose de tout à fait jouable et c’était quelque chose qui intéressait fondamentalement les milieux professionnels et les milieux syndicaux »35.
- 36 Georges Solaux, « Le baccalauréat professionnel et son curriculum », Formation emploi, no 49, 1995 (...)
- 37 Antoine Prost, « La création du baccalauréat professionnel », in Gilles Moreau (dir.), Les patrons (...)
15Le baccalauréat professionnel apparaît comme un décloisonnement « tout à fait jouable » en raison de son curriculum qui le place dans la droite ligne du CAP et du BEP et le distingue des autres baccalauréats36 et en réponse aux demandes des milieux patronaux que ce nouveau diplôme soit ouvert à l’apprentissage37. L’opportunité d’étendre l’apprentissage au baccalauréat va alors être évaluée par une commission ad hoc chargée de superviser les expérimentations d’ouvertures. Cette commission est présidée par Jean Garagnon et rattachée auprès de la secrétaire d’État à la Formation professionnelle du gouvernement dirigé par Jacques Chirac, Nicole Catala. Le récit que celle-ci fait de l’installation de la commission reprend le même argument de la mise en filière des diplômes de l’enseignement professionnel :
- 38 Entretien réalisé par l’INRP, 10 mars et 30 avril 2003.
« L’un des premiers dossiers que nous avons eus à traiter a porté sur la demande des milieux du commerce et de l’artisanat de permettre la préparation du bac professionnel dans les CFA, par la voie de l’apprentissage. Il y a eu immédiatement une rébellion des enseignants de l’Éducation nationale à l’encontre de cette perspective, qui je dois le dire, m’inquiétait un petit peu aussi. Mais, d’une part, la pression était très forte, et d’autre part je me disais qu’il y avait quand même une question d’égalité des chances qui se posait. Parce qu’il y a un certain nombre de jeunes gens qui sont orientés […] vers un CFA […] et qu’ensuite, ils ne pouvaient plus poursuivre d’études, puisqu’ils ne pouvaient pas accéder à un bac. L’égalité des chances voulait que, sous certaines conditions, on envisage la préparation du bac. [se reprend] En tout cas, du bac professionnel. Mais on est allé prudemment, puisqu’on a constitué une commission chargée de mettre au point les modalités d’une expérimentation »38.
- 39 Déclaration du SNES sur le projet de loi gouvernemental relatif à l’apprentissage, Paris, 25 mars (...)
- 40 AN, 20020354/7 : Lettre de mission de Nicole Catala à Jean Garagnon, 26 mai 1986.
16La « rébellion des enseignants » évoquée dans cet extrait est menée par le Syndicat national des enseignements de second degré (SNES) qui critique le décloisonnement de l’apprentissage, en pointant « un remodelage du système éducatif » où « les entreprises par le biais de l’apprentissage se réserv[eraient] la formation professionnelle à tous les niveaux »39. La lettre de mission adressée à Jean Garagnon par Nicole Catala donne à voir la réticence de la secrétaire d’État envers le décloisonnement de l’apprentissage, ce dernier terme n’étant employé qu’incidemment à une unique reprise en milieu de texte, alors que l’expression de « développement des baccalauréats professionnels » sans mention de voie de formation ouvre et conclut la lettre40. Cette réticence est d’ailleurs renouvelée à l’automne dans une lettre à l’attention de son ministre de tutelle, René Monory :
- 41 AN, 20020354/7 : Lettre de Nicole Catala à René Monory, 17 octobre 1986.
« J’ai demandé à Monsieur le Directeur des lycées et collèges d’étudier dès à présent les modifications à apporter aux règlements du brevet d’études professionnelles, du brevet professionnel (BP) et du brevet de technicien (BT) afin d’élargir les conditions d’accès à ces diplômes. En ce qui concerne le baccalauréat professionnel, il me semble préférable d’attendre le résultat des expérimentations avant d’engager la réforme des textes [L’ensemble de ces lignes est marqué d’un trait de stylo en marge du texte] »41.
17La composition du groupe national de la commission Garagnon est resserrée autour de personnels de l’Éducation nationale (proviseurs, inspecteurs et délégués académiques à la formation professionnelle) et ne comporte que quatre représentants des organisations professionnelles. Quatorze CFA d’autant d’académies différentes participent aux expérimentations. Les groupes locaux de suivi comportent systématiquement le directeur du CFA retenu et les inspecteurs de l’enseignement technique et de l’apprentissage dans chacune des académies où sont menées ces ouvertures de baccalauréats professionnels par la voie de l’apprentissage.
18Ces dernières augmentent significativement au cours des deux années scolaires d’existence de la commission, donc à la fois en amont et en aval de la loi de juillet 1987. Pour l’année 1986-1987, dix-sept baccalauréats professionnels de six spécialités différentes sont expérimentés. Davantage avaient été autorisés, mais sans avoir pu voir le jour en raison « d’autorisations administratives tardives ». Pour l’année 1987-1988, ce sont 168 formations de niveau IV qui sont ouvertes, réunissant 2 640 apprentis. Conformément au souhait de N. Catala, l’extension s’effectue vers les autres diplômes de niveau IV. Si, la première année, les expérimentations ne concernent que le baccalauréat professionnel, 111 des 168 ouvertures de la seconde année concernent des BEP, BP et BT. Pour leur part, les cinquante-sept baccalauréats professionnels se répartissent entre douze spécialités. Le rapport d’étape à la fin de la première année scolaire d’existence de la commission, rédigé par un inspecteur de l’enseignement technique, donne à voir la mise en ordre des diplômes en train d’être opérée, comme le montre le schéma suivant :
Ill. 1 : extrait du rapport Michel de la commission Garagnon
Source : AN, 20 020 354/7 : Rapport de Monsieur Y. Michel, inspecteur de l’enseignement technique.
- 42 Gilles Moreau, « Le bac pro “saisi” par l’apprentissage », in Fabienne Maillard, Gilles Moreau (di (...)
- 43 Jean-Jacques Arrighi, Damien Brochier, « 1995-2003, l’apprentissage aspiré vers le haut », Bref du (...)
19Cependant, cette vision de l’apprentissage comme une filière à part entière est trompeuse à l’aune des évolutions des effectifs apprentis dans la décennie suivante. Certes, le CAP va être de plus en plus préparé sous statut apprenti relativement au statut scolaire42, mais surtout, l’apprentissage va être « aspiré vers le haut », les effectifs de CAP et BEP stagnant tandis qu’augmentent ceux en baccalauréat professionnel et dans l’enseignement supérieur43. Le rapport de mi-parcours de la commission Garagnon construit également la figure sociale de l’apprenti bachelier professionnel, à la fois proche et différente de celle du « jeune en difficulté » de CAP :
- 44 AN, 20020354/7 : Bilan de la première année d’expérimentation de la préparation de baccalauréats p (...)
« Son niveau de recrutement est toujours signalé comme faible ou très faible par les enseignants en CFA qui sont très déçus. En revanche, il n’y est pas fait allusion par les responsables en entreprises. Sa motivation est reconnue comme très grande, voire exceptionnelle. L’Apprenti s’accroche dur à sa formation et ce qui le motive le plus est la perspective d’une embauche définitive possible. Certaines entreprises prévoient d’ailleurs de lier l’embauche à la réussite au diplôme. De toute façon, le jeune veut son bac »44.
- 45 Henri Eckert, « L’émergence d’un ouvrier bachelier. Les “bac pro” entre déclassement et recomposit (...)
20Cette définition sociale du candidat acceptable est proche de son homologue de CAP dans la mesure où est affirmé un marquage scolaire négatif, mais sans néanmoins qu’une quelconque « difficulté » ne soit rédhibitoire, puisque cette relégation ne se joue que sur la scène scolaire et non sur celle du travail, où est au contraire vantée sa « motivation exceptionnelle ». De plus, si cet « Apprenti » – qui n’est, de toute évidence, qu’un profil parmi d’autres sur l’ensemble des « deux cents apprentis que [les rapporteurs se sont] imposés de rencontrer » – perçoit d’abord son diplôme sous l’angle de sa valeur d’échange (« l’embauche définitive possible »), sa valeur symbolique est aussi objet de considération (« de toute façon, le jeune veut son bac »). L’« Apprenti » de baccalauréat professionnel constitue ainsi l’homologue structural du diplôme qu’il prépare. À la position ambivalente de celui-ci dans la hiérarchie des diplômes (l’appellation même de baccalauréat professionnel étant considérée aux yeux de certains comme un oxymore) correspond la perception de l’« Apprenti » oscillant entre embauche et obtention du diplôme. Ces thèmes de la reconnaissance du diplôme et des usages sociaux qui en sont faits constituent un exemple d’enjeu se posant simultanément aux deux voies de formation, sous statuts scolaire et apprenti, plutôt que par décalque de l’une vers l’autre. En effet, ces mêmes formes d’entre-deux susceptibles de produire des « désenchantements » lors de l’entrée sur le marché du travail se retrouvent chez les bacheliers professionnels sous statut scolaire45.
- 46 Marie-Christine Combes, « La loi de 1987 sur l’apprentissage », art. cit., p. 85.
- 47 AN, 20150751/37 : Discours de Philippe Seguin devant le Sénat (10 juin 1987) et l’Assemblée nation (...)
- 48 Pierre Bourdieu, Sur l’État. Cours au Collège de France, 1989-1992, Paris, Raisons d’agir, 2012, p (...)
21Cette chronologie en trois actes montre que la loi de 1987 est davantage qu’une réponse du ministre en charge des Affaires sociales et de l’Emploi Philippe Séguin à la demande des organisations patronales signataires du mémorandum du 27 mai 1986 « pour une filière de formation organisée dans le cadre de l’apprentissage »46. La préparation de la loi s’est d’abord effectuée du côté du ministère de l’Éducation nationale en mettant en jeu la question des diplômes, avant que sa rédaction et sa présentation devant le Parlement par le ministre Séguin ne la convertisse en une mesure pour l’insertion professionnelle47. L’appellation du texte comme « loi Séguin » accrédite une vision resserrée de la sociogenèse de la loi, centrée sur sa discussion parlementaire, et minore corrélativement le travail antérieur effectué par le secrétariat d’État à l’Enseignement technique. Retracer la « rénovation de l’apprentissage » depuis le début des années 1980 n’est pas qu’affaire de précision chronologique, mais permet aussi de pointer, dans « la clarté des commencements »48, les deux faces de la logique des diplômes : d’une part leur stratification hiérarchique qui va donner sa forme contemporaine à l’apprentissage, d’autre part la définition des candidats acceptables et donc corrélativement la segmentation des figures sociales des apprentis. En aval de la promulgation de la loi, ces deux faces continuent d’être des enjeux pour l’apprentissage désormais décloisonné, comme les parties suivantes le montrent successivement.
II. Faire exister les diplômes dans les statistiques de l’apprentissage
- 49 Ces premières ouvertures d’ITII figurent dans le fonds AN, 19960451/37 constitué des rapports d’ha (...)
- 50 La DEP consacre systématiquement une Note d’information par an à l’évolution des effectifs apprent (...)
22Une erreur d’interprétation couramment faite à propos du décloisonnement de l’apprentissage consiste à croire qu’il aurait eu lieu en deux temps, d’abord pour les diplômes de niveaux IV et III (baccalauréat professionnel, diplôme universitaire de technologie [DUT] et BTS) par la loi de 1987, puis jusqu’aux diplômes d’études supérieures spécialisées (DESS) universitaires et diplômes d’écoles de commerce et d’ingénieurs par sa « petite sœur » du 17 juillet 1992. Or, l’apprentissage pour tous les diplômes de l’enseignement technique et professionnel est bien acquis dès 1987, comme l’atteste l’ouverture des premiers Instituts des techniques d’ingénieur de l’industrie (ITII) préparant à un diplôme d’ingénieur par apprentissage en 199049. Cependant, ces premières créations passent relativement inaperçues en raison de la lenteur de la visibilisation statistique de la stratification de l’apprentissage selon la logique des diplômes. En effet, ici comme ailleurs, existence sociale et existence statistique du phénomène entretiennent des rapports dialectiques. Utiliser telles ou telles catégories statistiques revient à faire exister socialement tel ou tel phénomène et à en invisibiliser d’autres. Réciproquement, la mise en lumière sociale de tel ou tel phénomène incite la statistique publique à modifier son système catégorique pour le considérer. Dans cette perspective, pour montrer l’apparition progressive des diplômes comme critère de hiérarchisation de l’apprentissage, cette partie analyse la structure et les catégories des tableaux des Notes d’information de la DEP consécutives au décloisonnement de l’apprentissage et consacrées aux effectifs apprentis50.
- 51 C’est du moins le cas dans le premier tableau de la note ; le dernier, présentant la répartition d (...)
23La Note no 90.22 renseignant les effectifs apprentis de l’année 1988-1989 présente des tableaux distinguant cinq diplômes : le CAP, le BEP, le BP, le baccalauréat professionnel et le BTS. Ce groupe des cinq est reconduit pour les deux années suivantes, 1989-1990 (Note no 91.41) et 1990-1991 (Note no 92.17), avec comme nouveauté leur regroupement selon les niveaux de diplôme, du moins pour l’enseignement du second degré puisque n’existe – statistiquement – jusqu’alors que le BTS pour les niveaux supérieurs. L’usage des niveaux ratifie, dans les tableaux, la hiérarchisation verticale de l’apprentissage, en contraste avec les regroupements effectués dans la note de l’année 1988-1989, à savoir le CAP d’un côté, les quatre autres diplômes de l’autre, connotant alors la situation antérieure au décloisonnement, en exhibant le « noyau dur » historique de l’apprentissage. La verticalisation se parachève dans la Note no 92.47 relative aux effectifs de l’année 1991-1992 avec l’apparition de la catégorie « niveaux I et II » et la substitution du « niveau III » au seul BTS51. Un paragraphe dédié à l’enseignement supérieur précise alors :
- 52 Note d’information « Les centres de formation d’apprentis », no 92.47, 1992, p. 2.
« Dans les formations post-baccalauréat, les effectifs ont plus que doublé. Le BTS y reste prépondérant, mais le champ des diplômes ou des titres pouvant être préparés par la voie de l’apprentissage s’est ouvert. 130 apprentis ont ainsi préparé un DUT en 1991-1992 […]. Ont été recensés également 273 apprentis engagés dans diverses formations d’ingénieurs, recrutant au niveau bac, “bac + 2” et même “bac + 4”. Enfin, 49 apprentis ont préparé le diplôme d’études comptables et financières, et 60 une maîtrise d’informatique appliquée à la gestion. [en note de bas de page] : Les anciens apprentis ayant atteint les niveaux I et II de formation ont été seulement comptabilisés manuellement ; ils n’ont pu être pris en compte dans l’exploitation de l’enquête, et donc dans les tableaux détaillés »52.
- 53 AN, 19960451/5 : Flux de nouvelles formations habilitées au 10/12/1991, établi par le groupe de tr (...)
24Cette citation constitue un parfait exemple de la dialectique entre existences statistique et sociale. En toute rigueur, « le champ des diplômes ou des titres pouvant être préparés par la voie de l’apprentissage » ne s’est pas ouvert entre 1990 et 1991, puisque le décloisonnement légal de 1987 concerne bien l’ensemble des diplômes. La citation porte ainsi non pas sur la réalité mais sur le tableau présenté, lui-même reflet de l’effort d’investigation réalisé de comptabilisation manuelle des apprentis de niveaux I et II. Le chiffre de 273 apprentis ingénieurs s’avère d’ailleurs instable, revu à 203 dans les Notes ultérieures et ne correspondant pas au relevé détaillé par établissements effectué par la CTI des « flux de nouvelles formations habilitées au 10/12/1991 » qui en totalise 24753.
25Les rédacteurs des Notes font implicitement amende honorable dès la parution suivante consacrée spécifiquement à « l’apprentissage dans l’enseignement supérieur » :
- 54 Note d’information « L’apprentissage dans l’enseignement supérieur », no 93.46, 1993, p. 1. Les IT (...)
« Le champ des diplômes pouvant être préparés par l’apprentissage s’est élargi dès la rentrée 1990 avec l’ouverture de deux sections de préparation au DUT à Mulhouse, ainsi que d’une formation d’ingénieurs du Centre d’études supérieures industrielles (CESI) à Gentilly dans l’académie de Créteil »54.
26Les séries statistiques ne sont toutefois pas retravaillées pour faire apparaître ces premiers apprentis ingénieurs et de DUT restés invisibles dans les parutions antérieures, car les tableaux présentés ne commencent que pour l’année 1991-1992. Ceux-ci acquièrent cependant leur forme définitive, en deux étages, celui des niveaux de formation et celui de certains diplômes particularisés. Pour les niveaux I et II, qui demeurent regroupés, la ventilation en diplômes s’effectue progressivement, d’abord sur un mode binaire (diplômes d’ingénieurs et « autres diplômes de niveaux I et II ») puis de manière plus fine. Les trois tableaux reproduits ci-dessous montrent ainsi le processus de visibilisation progressive de la stratification de l’apprentissage par les diplômes au cours des années 1990 dans les publications de la DEP.
Tableau 1 : les effectifs apprentis en 1987-1989
1987-1988 | 1988-1989 | |||||||||
1ère année | 2e année | 3e année | MC | Total | 1ère année | 2e année | 3e année | MC | Total | |
CAP | 108 556 | 104 548 | 3 390 | 7 737 | 224 231 | 106 769 | 107 704 | 3 764 | 8 031 | 226 268 |
BEP | - | - | - | - | - | 1 268 | 655 | - | 30 | 1 953 |
Brevet prof. | 1 060 | 301 | - | - | 1 361 | 2 713 | 955 | - | 5 | 3 673 |
Bac prof. | 658 | 179 | - | 837 | 1 246 | 666 | - | - | 1 912 | 2 578 |
BTS | - | - | - | - | - | 190 | 52 | - | - | 242 |
Total | 110 274 | 105 028 | 3 390 | 7 737 | 226 429 | 112 186 | 110 032 | 3 764 | 8 066 | 234 048 |
Champ : ensemble des apprentis, France métropolitaine + DOM.
Lecture : en 1987-1988, 224 231 apprentis préparaient un CAP et 7 737 une mention complémentaire [MC].
Source : Note d’information « Les centres de formation d’apprentis », n° 90.22, 1990, p. 4.
Tableau 2 : les effectifs apprentis en 1991-1994
1991-1992 | 1992-1993 | 1993-1994 | |||||
Flux d’entrée | Effectifs | Flux d’entrée | Effectifs | Flux d’entrée | Effectifs | Évol. eff. 93/92 (%) | |
CAP | 83 995 | 176 169 | 75 721 | 161 564 | 80 725 | 162 297 | + 0,5 |
BEP | 6 560 | 10 230 | 7 417 | 14 616 | 9 961 | 19 395 | + 32,7 |
MC | 144 | 4 847 | 160 | 4 671 | 373 | 5 135 | + 9,9 |
Total niv. V | 3 695 | 17 203 | 3 784 | 19 796 | 5 459 | 23 698 | + 3,3 |
Brevet prof. | 1 301 | 11 334 | 1 375 | 12 911 | 1 801 | 15 005 | + 16,2 |
Bac prof. | 2 394 | 5 869 | 2 409 | 6 885 | 3 658 | 8 693 | + 26,3 |
Total niv. IV | 3 695 | 17 203 | 3 784 | 19 796 | 5 459 | 23 698 | + 19,7 |
BTS | 1 694 | 2 524 | 1 637 | 3 271 | 2 577 | 4 621 | + 41,3 |
DUT | 111 | 130 | 405 | 506 | 569 | 969 | + 67,8 |
Autres dipl. niv. III | 70 | 70 | 103 | 183 | 229 | 307 | + 91,5 |
Total niv. III | 1 875 | 2 724 | 2 145 | 3 960 | 3 375 | 5 897 | + 48,9 |
Dipl. d’ingénieurs | 177 | 203 | 227 | 465 | 351 | 795 | + 71,0 |
Autres dipl. niv. II et I | 109 | 109 | 228 | 363 | 849 | 1 137 | + 213,2 |
Total niv. II et I | 286 | 312 | 455 | 828 | 1 200 | 1 932 | + 133,3 |
Total général | 96 555 | 211 485 | 89 682 | 205 435 | 101 093 | 218 354 | + 6,3 |
Champ : ensemble des apprentis, France métropolitaine + DOM.
Lecture : en 1991-1992, 176 169 apprentis préparaient un CAP.
Source : Note d’information « Les centres de formation d’apprentis », n° 94.40, 1994, p. 2.
Tableau 3 : les effectifs apprentis en 1997-1998
Garçons | Filles | Total | % de filles | |
CAP | 138 893 | 47 084 | 185 977 | 25,3 |
BEP | 35 110 | 11 432 | 46 542 | 24,6 |
MC niv. V | 4 078 | 3 125 | 7 203 | 43,4 |
Autres dipl. niv. V | 884 | 584 | 1 468 | 39,8 |
Total niv. V | 178 965 | 62 225 | 241 190 | 25,8 |
Bac prof. | 17 571 | 6 269 | 23 840 | 26,3 |
Bac techno. | 59 | 41 | 100 | 41,0 |
Brevet prof. | 16 526 | 11 787 | 28 313 | 41,6 |
Brevet de technicien | 632 | 283 | 915 | 30,9 |
MC niv. IV | 52 | 50 | 102 | 49,0 |
Autres dipl. niv. IV | 2 093 | 504 | 2 597 | 19,4 |
Total niv. IV | 36 933 | 18 934 | 55 867 | 33,9 |
BTS | 11 712 | 8 754 | 20 466 | 42,8 |
DUT | 1 678 | 1 211 | 2 889 | 41,9 |
Autres dipl. niv. III | 1 229 | 798 | 2 027 | 39,4 |
Total niv. III | 14 619 | 10 763 | 25 382 | 42,4 |
DECF | 381 | 666 | 1 047 | 63,6 |
DESS | 217 | 221 | 438 | 50,5 |
Ingénieur | 2 463 | 314 | 2 777 | 11,3 |
Licence | 91 | 93 | 184 | 50,5 |
Maîtrise (MST) | 564 | 469 | 1 033 | 45,4 |
Autres dipl. niv. I et II | 2 040 | 1 536 | 3 576 | 43,0 |
Total niv. I et II | 5 756 | 3 299 | 9 055 | 36,4 |
Ensemble | 236 273 | 95 221 | 331 494 | 28,7 |
Champ : ensemble des apprentis, France métropolitaine.
Lecture : en 1997-1998, 185 977 apprentis préparaient un CAP.
Source : Note d’information « Apprentissage en 1997-1998 : une hausse continue des effectifs », n° 98.43, 1998, p. 2.
- 55 Romuald Bodin, Sophie Orange, « Les mécomptes du supérieur - “autres” écoles, “autres” établisseme (...)
- 56 Lucie Tanguy, « La mise en équivalence de la formation avec l’emploi dans les IVe et Ve Plans (196 (...)
27Le premier tableau donne à voir un décloisonnement initialement timoré, avec de nombreuses cases sans effectif, dans la lignée des réticences exprimées lors de la commission Garagnon. De plus, la stratification de l’apprentissage selon les diplômes y est minimale, notamment faute de recourir aux niveaux de diplômes. Ceux-ci font leur apparition dans le deuxième tableau, mais avec un nombre limité de représentants pour les niveaux supérieurs. En particulier, pour l’année 1993-1994, la majorité des effectifs des niveaux I et II est du côté des « autres diplômes » (1 137 contre 795 apprentis ingénieurs)55. La diversité des diplômes à niveau donné s’avère davantage prise en compte dans le troisième tableau, mais ce niveau de détail constitue une limite haute, le nombre de diplômes distingués refluant dans les publications ultérieures. En outre, si la catégorie « autres diplômes » ne regroupe plus la majorité absolue des apprentis des niveaux I et II, elle en représente toutefois la majorité relative avec 3 576 apprentis. La verticalisation de l’apprentissage dans les statistiques s’est donc opérée progressivement au cours des années 1990 et non comme un décalque immédiat des hiérarchies de la voie scolaire, à commencer par les niveaux de diplômes qui n’apparaissent que progressivement, alors même qu’ils sont les outils de pilotage privilégiés de la formation professionnelle depuis les années 196056.
- 57 Marianne Blanchard, Socio-histoire d’une entreprise éducative : le développement des Écoles supéri (...)
- 58 Respectivement École des hautes études commerciales de Paris et École supérieure des sciences écon (...)
28Cette mise en forme chemin faisant a ainsi contribué à faire exister socialement la hiérarchie scolaire de l’apprentissage saisi par les diplômes. Réciproquement, les ouvertures de diplômes par apprentissage dans les établissements jouissant d’un prestige social important accélèrent le processus de reconnaissance statistique, à l’instar de l’ESSEC en 1993 explicitement mentionnée dans la Note d’information relative aux effectifs de 1993-1994. École supérieure de commerce (ESC) pionnière de l’apprentissage et aimant à le souligner par « stratégie de distinction »57 à l’égard de sa rivale HEC, l’ESSEC58 va alors être particularisée dans les séries statistiques d’effectifs du Système d’information de la formation des apprentis (SIFA) dès 1995, alors que les autres ESC sont regroupées dans une catégorie générique jusqu’au milieu des années 2000. Ce traitement différencié des ESC montre que les enjeux de mise en visibilité statistique valent non seulement à l’échelle des diplômes, mais aussi à celle des établissements pour un type de diplôme donné. L’appropriation du dispositif de formation par les écoles jouissant d’un fort prestige social va alors catalyser l’autre face de la verticalisation de l’apprentissage, à savoir la segmentation symbolique des figures sociales des apprentis selon le diplôme préparé.
III. Apprentissage verticalisé et apprentis segmentés
29L’appropriation de l’apprentissage, dans les années 1990, par les établissements au faîte des hiérarchies scolaires a consisté, sur le plan des luttes symboliques, à tenir à distance autant que possible le « spectre qui hante » la voie de formation, son arrimage séculaire au CAP. Ce travail de préservation à l’égard de la contamination symbolique des diplômes « du haut » par ceux « du bas » a alors pris la forme d’une segmentation des publics apprentis.
- 59 Prisca Kergoat, Les formations par apprentissage : un outil au service d’une démocratisation de l’ (...)
30Celle-ci a pour fondement l’ambiguïté de la notion de « filière apprentie » qui va « du CAP au diplôme d’ingénieur ». Ces formules concernent-elles l’offre de formation (à l’échelle nationale, régionale, d’une branche professionnelle ou, plus rarement, d’un CFA donné) ou bien également les trajectoires individuelles d’ascension dans la hiérarchie des diplômes ? Les travaux sociographiques consacrés à cette seconde acception de la notion de filière convergent en montrant que « les apprentis du “haut” ne sont pas ceux du “bas” »59. L’ambiguïté entre les deux acceptions est perceptible dès les premières années consécutives au décloisonnement, par exemple dans l’extrait suivant d’un article du Monde en date du 24 octobre 1990, portant sur le « scepti[cisme] face aux possibilités de rénovation de l’apprentissage » des membres du gouvernement socialiste dirigé par Michel Rocard :
- 60 « La méfiance demeure à l'Éducation nationale », Le Monde, 24 octobre 1990.
« Au secrétariat d’État à l’Enseignement technique, on doute fort de l’apparition d’une “filière” qui irait du CAP au diplôme d’ingénieur : “Les jeunes qui l’emprunteront ne seront pas ceux qui ont passé leur CAP par la voie de l’apprentissage, estime Jean Tardiveau. Ces formations s’apparenteront plus à des écoles d’entreprise qu’à l’apprentissage.” Jean-Pierre Soisson, ministre du Travail, de l’Emploi et de la Formation professionnelle, se réjouissait pourtant, il y a quelques semaines, à l’ACFCI (Assemblée des chambres françaises de commerce et d’industrie), lors de la publication du premier sondage sur l’image de l’apprentissage, que cette voie, cantonnée à la préparation du CAP et du BEP par des élèves moyens ou mauvais, soit devenue une filière qui conduise aujourd’hui aux plus hautes formations. “Il faut faire connaître le visage nouveau de l’apprentissage”, concluait-il. L’apprentissage aurait-il deux visages ? »60
31La première déclaration relatée dans cet extrait lève l’ambiguïté en entendant le terme de filière uniquement dans son acception à l’échelle des trajectoires individuelles, tandis que la seconde prise de position la reconduit tout en traçant la ligne de démarcation des publics par le diplôme préparé (les « élèves moyens ou mauvais » de CAP ou de BEP). La métaphore des « visages » de l’apprentissage donne implicitement la raison pour laquelle il y a lieu d’opérer cette démarcation : le partage des mêmes dénominations (apprentissage, apprentis) de bas en haut de la « filière ». Faire avec les mêmes termes sans pour autant reconduire le spectre de l’arrimage de l’apprentissage en bas de la hiérarchie des diplômes passe alors par la segmentation symbolique des publics.
32L’appropriation de l’apprentissage dans les écoles relevant de l’enseignement supérieur et rattachées à la CCI de Versailles, pionnière en la matière dans les années 1990, illustre en tous points cet enjeu. Du côté de l’ESSEC, le partage des mêmes dénominations fait explicitement question au moment de l’appropriation, même si a posteriori les parties prenantes se renvoient la balle de l’initiative d’une substitution terminologique. Pour le directeur du CFA de l’école, en poste de sa création en 1993 jusqu’à la fin des années 2000, la volonté de « changer les mots pour changer les choses » serait venue du directeur de l’école, Jean-Pierre Boisivon :
- 61 Entretien réalisé par l’auteur de l’article, 10 novembre 2014.
« Alors Boisivon voulait modifier le terme apprenti. Dès le début, il m’a dit “on ne va pas parler d’apprentissage, on va parler d’internat”. Comme l’interne en médecine. Il a dit “un modèle qui me semble bien, c’est l’interne en médecine, qui suit ses cours à la fac et qui voit le chirurgien opérer, etc. C’est ça pour moi ce que ça doit être.” Alors je lui ai dit “tu as raison, mais moi je ne suis pas d’accord, il faut garder le terme apprenti”, parce que j’ai senti que politiquement, si l’on commençait à jouer avec les trucs, après l’on nous dira “vous ne faites pas de l’apprentissage, vous faites de l’internat” »61.
33A contrario, Jean-Pierre Boisivon pointe les réticences des enseignants de l’école vis-à-vis du partage des termes :
- 62 Entretien réalisé par l’INRP, 23 octobre et 19 novembre 2002.
« Le dernier truc, ça a été de dire [les professeurs :] “Bon d’accord, mais on ne va pas les appeler les apprentis !”. Je leur ai dit : “Mais bien sûr que si, on va les appeler les apprentis ! Vous ne voulez quand même pas prendre le beurre et jeter la tartine !” »62
34Au-delà de la divergence quant à l’initiative d’une substitution lexicale, les deux citations se rejoignent sur le caractère in fine contraint de la conservation du terme d’apprenti, que ce soit pour des raisons d’affichage politique ou en raison du passé avec lequel l’appropriation de l’apprentissage doit composer qu’exprime la métaphore de l’indissociabilité du beurre et de la tartine. Par ses connotations (le dessus/le dessous ; le beurre comme produit d’agrément/le pain comme produit de consommation courante), cette image charrie alors les enjeux symboliques de segmentation et de hiérarchisation. Cette démarcation des figures sociales des apprentis a aussi des objectifs pratiques d’assouplissement des règles du jeu de l’apprentissage, par exemple à propos des possibilités de mobilité internationale des apprentis. Le cinquième numéro de la revue Ouvertures, vitrine des établissements franciliens pour la promotion de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur lancée par le CFA de l’ESSEC en 1998, est consacré à ce sujet. Parmi les différents contributeurs vantant les mérites de la mobilité internationale et plaidant unanimement pour un assouplissement des règles en la matière, l’un d’eux, chef de mission au ministère de l’Emploi, s’exprime ainsi :
- 63 Patrick Roger, « Penser et rédiger la réglementation », Ouvertures, no 5, 2000, p. 55.
« Elle [la proposition de réforme] nous ramène à la spécificité de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur, avec des étudiants disposant d’une ouverture, d’une capacité d’adaptation et de connaissances linguistiques différentes de celles des jeunes de niveau IV ou V, parfois perdus loin des repères de leur quartier »63.
35L’expression servant à qualifier les « jeunes » « du bas » est symptomatique de la logique de production des figures sociales des apprentis : d’une part leur caractérisation à partir des diplômes préparés (« des jeunes de niveau IV ou V »), d’autre part la déduction de caractéristiques sociales à partir du niveau scolaire (« perdus loin des repères de leur quartier »). En effet, la segmentation et la hiérarchisation des figures sociales des apprentis ne se jouent pas uniquement sur le terrain scolaire, entre « mauvais » et « bons » élèves, mais engage également, par l’intermédiaire de la hiérarchie des diplômes, la division sociale du travail censée lui correspondre, entre métiers d’exécution et d’encadrement. L’enjeu de la préservation de cette frontière sociale en dépit du partage du terme d’apprenti est notamment à l’œuvre dans un livre intitulé L’apprentissage dans l’enseignement supérieur et émanant de la CCI de Versailles. L’ouvrage passe en revue les différentes formations en apprentissage des divers établissements d’enseignement supérieur chapeautés par la CCI et affirme, dès son introduction, que :
- 64 Christine Rocheblave, L’apprentissage dans l’enseignement supérieur. Engagement des chambres de co (...)
« Ce terme [d’apprenti] était donc toujours associé à des professions manuelles et artisanales, un peu dévalorisées, à des emplois subalternes associés à l’échec, des voies de garage plutôt réservées aux classes sociales défavorisées, alors que certaines professions dites “intellectuelles”, considérées comme plus prestigieuses, rejetaient ce terme. […] Même si ce terme d’apprenti possède encore une connotation quelque peu dévalorisante (nous héritons du poids de l’histoire), il a tout de même évolué depuis un siècle et poursuit cette évolution aujourd’hui. En effet, même si les professions manuelles sont beaucoup moins répandues qu’auparavant […], elles sont encore souvent choisies en apprentissage par des jeunes, titulaires d’un CAP ou d’un BEP et elles sont donc associées à des professions de bas niveau ou peu prestigieuses. En revanche, depuis quelques décennies, nous voyons apparaître des formations en apprentissage qui ne relèvent pas strictement du travail manuel […]. Ce sont maintenant des métiers valorisants, prestigieux, associés à la réussite sociale qui sont enseignés par le biais de l’apprentissage […] et qui propulsent souvent les apprentis à des postes de responsabilités, parfois même à des postes stratégiques. Même si le jeune inscrit dans une telle formation se trouve véritablement en situation d’apprentissage, le terme d’apprenti qui lui est appliqué semble mal correspondre à ses prétentions et au niveau de responsabilités auquel il se destine, à cause de toutes les images, de tous les préjugés ou des stéréotypes que nous pouvons associer à ce terme, et qui pèsent lourdement sur son statut »64.
- 65 Claude Grignon, L’ordre des choses. Les fonctions sociales de l’enseignement technique, Paris, Édi (...)
- 66 Lucie Tanguy (dir.), L’introuvable relation formation-emploi : un état des recherches en France, P (...)
- 67 Florence Maillochon, « La tentation des prospectives. Histoire d’un projet de réforme éducative fr (...)
36L’étrange syntaxe qui gouverne le cœur de cet extrait (les professions manuelles « choisies en apprentissage » en CAP ou BEP « donc associées à des professions de bas niveau ») atteste que la frontière est ténue, pour ne pas dire inexistante, entre des « préjugés ou des stéréotypes » supposément rapportés et l’inconscient social de celui ou celle qui les rapporte. Cet inconscient social de préservation de la division sociale du travail avait déjà été bien décrit par Claude Grignon, montrant que « l’opposition hiérarchique entre enseignement général et enseignement professionnel constitue une des conditions nécessaires à la reproduction d’un des principes de hiérarchisation les plus fondamentaux du système social, à savoir l’opposition entre tâches manuelles et tâches intellectuelles » et que celle-ci « constitue un principe de catégorisation arbitraire qui renvoie directement à l’arbitraire de la hiérarchie sociale, [de sorte qu’] elle [i.e. l’opposition] ne peut être définie que par sa fonction de légitimation des hiérarchies existantes ; c’est elle qui en détermine le contenu »65. C’est dire, à propos de l’apprentissage décloisonné, que comme la segmentation des figures apprenties est le décalque de la hiérarchie des diplômes, elle est aussi, en dernière analyse, celui des métiers auxquels sont censés aboutir les diplômes. Ce triptyque apprentis-diplômes-métiers est construit par les promoteurs de la rénovation de l’apprentissage, entre autres au sein du Haut comité Éducation-Économie (HCEE) dont les membres ont aussi été de fervents défenseurs d’une vision « adéquationniste » de la relation formation-emploi66. Cette vision se traduit concrètement dans la division du travail statistique à l’œuvre dans les publications du HCEE qui partent des projections d’emplois pour en déduire les flux de sortie et de passage nécessaires à chaque niveau de diplôme67. L’affirmation de tels liens bijectifs entre hiérarchies des apprentis, des diplômes et des métiers est d’autant plus à défendre dans les discours qu’ils sont mis à mal dans les pratiques. En effet, la forte croissance de l’offre de formation en apprentissage dans l’enseignement supérieur dans les années 2000, notamment sous l’impulsion des licences professionnelles, a engendré des positions d’entre-deux dans la division du travail parmi les métiers de techniciens et d’ingénieurs (un apprenti de DUT ou de licence professionnelle peut-il assumer des tâches de chargé d’étude, son homologue ingénieur celles de conception ou d’encadrement d’équipe ?).
*
37La loi du 23 juillet 1987 instituant l’apprentissage à tous les étages scolaires est ainsi, tant dans son élaboration que dans ses conséquences, d’abord une affaire de diplômes, contrairement à ce que laisse à penser son appellation comme « loi Séguin ». Plus encore, les effets les plus fondamentaux de la loi sur la scène sociale du travail découlent de l’enchâssement de l’apprentissage dans la logique des diplômes, par le truchement de l’homologie symbolique entre hiérarchies des diplômes, des figures sociales des apprentis qui les préparent et des métiers auxquels ils se destinent.
- 68 Michel Le Nir, « L’alternance sous contrat(s) salarié(s), quelle réalité pour les IUT ? », Cahiers (...)
- 69 Mathias Millet, Gilles Moreau (dir.), La société des diplômes, Paris, La Dispute, 2011, p. 15.
- 70 Jean-Pierre Briand, Jean-Michel Chapoulie, « L’institution scolaire et la scolarisation… », art. c (...)
- 71 Ce type d’effet de structure est similaire à celui observé dans les tables de mobilité sociale int (...)
- 72 Pierre Merle, « Le concept de démocratisation de l’institution scolaire : une typologie et sa mise (...)
38La forme de scolarisation propre à l’apprentissage décloisonné apparaît en définitive ambivalente. Certes, l’offre de formation se présente, à l’échelle des diplômes et des branches professionnelles, comme une filière complète, « du CAP au diplôme d’ingénieur » (ou de master, ou d’école de commerce). De surcroît, des liens forts ont bien été construits entre diplômes, mais davantage pris deux à deux que dans leur ensemble compte tenu de la segmentation des candidats acceptables. Par exemple, un baccalauréat professionnel préparé en apprentissage aujourd’hui débouche vers un BTS sous statut apprenti relativement davantage que vers toute autre poursuite d’études. De même, les anciens apprentis de DUT sont de plus en plus nombreux, depuis le milieu des années 2000, à s’orienter vers des écoles d’ingénieurs en apprentissage, dans une logique où « l’alternance appelle l’alternance »68. Ces liens entre diplômes invitent à préciser le sens donné à la notion de filière apprentie à l’échelle des parcours. Les filières sont d’abord multiples, de longueurs différentes selon le nombre de diplômes qu’elles ordonnent et se rejouent au fil du temps, car les diplômes sont des « objet[s] soci[aux] “vivant[s]” »69. Ensuite, comme cela avait déjà été souligné par Jean-Pierre Briand et Jean-Michel Chapoulie, elles ont à la fois une composante formelle qui s’appuie sur la définition des candidats acceptables, mais aussi « un caractère “informel” », car la force de prescription de la segmentation des figures sociales apprenties n’est que relative, susceptible de transgressions, de sorte que « certaines filières ne conduisent pas une partie des élèves vers les débouchés scolaire où elles sont censées les conduire […] parce qu’ils se dirigent vers une autre filière à laquelle ils ne devraient pas avoir accès »70. Enfin, et surtout, la notion de filière doit être considérée pour ce qu’elle désigne, à savoir les destinées des apprentis à un niveau donné et non leur recrutement à un niveau ultérieur. Compte tenu des tailles différentes des viviers entre voies de formations, la notion de filière apprentie n’est alors plus incompatible avec le fait que les apprentis du haut ne sont pas ceux du bas, puisque ce dernier constat porte sur les recrutements et non les destinées71. Que celles-ci aient fait l’objet d’un rigoureux balisage dès les expérimentations précédant la loi de 1987 montre in fine que la filière apprentie constitue avant tout un dispositif au service de la seconde « démocratisation ségrégative »72 de l’enseignement supérieur dont le décloisonnement de l’apprentissage est le contemporain. Il s’agit certes de permettre aux apprentis des poursuites d’études, mais cantonnées au sein de cette voie de formation, conjuguant ainsi démocratisation et ségrégation.
Notes
1 Guy Brucy, Fabienne Maillard, Gilles Moreau (dir.), Le CAP. Un diplôme du peuple, 1911-2011, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013.
2 Gérard Bodé, Stéphane Lembré, Marianne Thivend (dir.), La loi Astier, un projet pour le XXe siècle. Une formation au travail pour tous ?, Paris, Classiques Garnier (à paraître).
3 Fabienne Maillard, Gilles Moreau (dir.), Le bac pro. Un baccalauréat comme les autres ?, Toulouse, Octares, 2019.
4 Marie-Christine Combes, « La loi de 1987 sur l’apprentissage », Formation emploi, no 22, 1988, p. 83-100.
5 Colette Grandgérard, Émergence d’un contre-modèle de formation et nouvelle professionnalité de l’ingénieur. La voie de l’apprentissage, thèse, sciences de l’éducation, université Paris 8, 1996.
6 Prisca Kergoat, Les formations par apprentissage dans les grandes entreprises, thèse, sociologie, université Paris 10, 2002.
7 Dominique Maillard, Claudine Romani (dir.), « Le développement des politiques régionales d’apprentissage. Regards croisés des acteurs dans trois régions », Net.Doc du Céreq, no 118, 2014.
8 Prisca Kergoat, Emmanuel Quenson, Usage de la formation et production des inégalités sociales dans les grandes entreprises, rapport de recherche de l’ACI Éducation et formation, 2011.
9 Gilles Moreau, « Apprentissage(s). Homogénéité et hétérogénéité d’un dispositif », Revue française de pédagogie, no 183, 2013, p. 39-48.
10 Sabina Issehnane, « Le développement de l’apprentissage dans le supérieur : une évaluation empirique à partir de l’enquête Génération 2001 », Travail et emploi, n° 125, 2011, p. 27-39.
11 Prisca Kergoat, « Les formations par apprentissage : un outil au service d’une démocratisation de l’enseignement supérieur ? », Net.Doc du Céreq, n° 75, 2010.
12 La nomenclature des niveaux de diplômes utilisée dans cet article est celle en vigueur jusqu’à sa modification par le décret no 2019-14 du 8 janvier 2019 qui la refond pour adopter le cadre européen des certifications. L’ancienne nomenclature distingue six niveaux, usuellement notés en chiffres romains : le niveau VI correspond aux sorties en cours du 1er cycle de l’enseignement secondaire ou abandon en cours de CAP ou brevet d’études professionnelles ; le niveau V correspond à l’obtention de ces diplômes ou sorties en cours du second cycle de l’enseignement secondaire ; le niveau IV aux sorties à la fin de celui-ci (avec ou sans baccalauréat) ; le niveau III aux sorties avec un diplôme de niveau bac + 2 (essentiellement brevet de technicien supérieur et diplôme universitaire de technologie ; le niveau II aux diplômes de niveau bac + 3 ou + 4 (licences professionnelles ou anciennes maîtrises des instituts universitaires professionnalisés) ; le niveau I aux masters, grades masters des établissements hors université, diplômes d’ingénieurs et doctorat.
13 Gilles Moreau, « La scolarisation de l’apprentissage salarié », Les Temps modernes, no 637-638-639, 2006, p. 393-419.
14 Le système français de formation initiale se ramifie en deux voies distinctes, formation initiale sous statut scolaire et formation initiale sous statut apprenti. Dans la suite de l’article, les termes de statut scolaire et statut apprenti désignent l’une et l’autre des deux voies de formation initiale.
15 Ibid., p. 413.
16 Guy Brucy, Histoire des diplômes de l’enseignement technique et professionnel (1880-1965). L’État, l’école, les entreprises et la certification des compétences, Paris, Belin, 1998 ; Stéphane Lembré, L’école des producteurs. Aux origines de l’enseignement technique (1800-1940), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013.
17 Jean-Pierre Briand, Jean-Michel Chapoulie, « L’institution scolaire et la scolarisation : une perspective d’ensemble », Revue française de sociologie, vol. 34, 1993, p. 3-42.
18 Ibid., p. 20-21.
19 Ibid., p. 15.
20 Ibid.
21 Archives nationales [désormais AN], 20020354/5-20020354/7. Ce fonds émanant du Bureau de la règlementation et des affaires générales de la formation des adultes et de l’apprentissage de la Direction des lycées et des collèges (ministère de l’Éducation nationale) présente l’intérêt de couvrir à la fois l’amont et l’aval de la loi de 1987, notamment par le biais du suivi des premières ouvertures de formations en apprentissage pour les baccalauréats professionnels et les diplômes d’ingénieurs.
22 Comme le montre Bénédicte Girault, cette vaste campagne d’entretiens met l’accent sur les visées réformatrices des acteurs ministériels, en particulier pour les années 1980 où « l’horizon réformateur » se rejoue au gré des alternances politiques. Voir Bénédicte Girault, Mémoires d’un ministère. Une analyse secondaire de l’enquête orale du Service d’histoire de l’éducation (1950-2000), thèse, histoire contemporaine, université de Cergy-Pontoise, 2018.
23 Gilles Moreau, Le monde apprenti, Paris, La Dispute, 2003, p. 34.
24 Fabienne Maillard, « La disgrâce d’un diplôme professionnel français : le brevet d’études professionnelles », Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, hors-série no 4, 2013, p. 71-90.
25 AN, 20020354/5 : « Compte rendu de la réunion de la commission permanente tenue le 28 septembre 1983 sous la présidence de M. Guy Matteudi », p. 2.
26 Ibid.
27 Depuis 1972, la rémunération des apprentis tient compte de l’ancienneté dans l’apprentissage sur une base semestrielle, et non plus seulement de l’âge des apprentis.
28 AN, 20020354/5 : « Compte rendu de la réunion de la commission permanente tenue le 28 septembre 1983 sous la présidence de M. Guy Matteudi », p. 5.
29 AN, 20020354/5 : Note du 22 août 1985 du service de la formation continue et de l’apprentissage de la direction des lycées et collèges.
30 Gilles Moreau, Le monde apprenti, op. cit., p. 57.
31 AN, 20020354/5 : Courrier du 11 février 1985 du secrétaire général du Syndicat des industriels métallurgistes ardennais à l’attention du directeur général des services de la région Champagne-Ardenne, p. 1-2.
32 Ibid. : Courrier du 23 mai 1985 du service de la formation continue et de l’apprentissage du ministère au recteur de l’académie de Reims, p. 1.
33 Journal officiel de la République française [JORF] no 164, 17 juillet 1971, p. 7041.
34 AN, 20020354/5 : Note du directeur des lycées au conseiller technique du secrétaire d’État chargé de l’Enseignement technique Roland Carraz, 9 septembre 1985, p. 2.
35 Entretien réalisé par l’INRP, 15 octobre et 5 novembre 2003.
36 Georges Solaux, « Le baccalauréat professionnel et son curriculum », Formation emploi, no 49, 1995, p. 31-45.
37 Antoine Prost, « La création du baccalauréat professionnel », in Gilles Moreau (dir.), Les patrons, l’État et la formation des jeunes, Paris, La Dispute, 2002, p. 108.
38 Entretien réalisé par l’INRP, 10 mars et 30 avril 2003.
39 Déclaration du SNES sur le projet de loi gouvernemental relatif à l’apprentissage, Paris, 25 mars 1987, citée dans Antonio Monaco, L'alternance école-production. Entreprises et formations des jeunes depuis 1959, Paris, Presses universitaires de France, 1993, p. 162.
40 AN, 20020354/7 : Lettre de mission de Nicole Catala à Jean Garagnon, 26 mai 1986.
41 AN, 20020354/7 : Lettre de Nicole Catala à René Monory, 17 octobre 1986.
42 Gilles Moreau, « Le bac pro “saisi” par l’apprentissage », in Fabienne Maillard, Gilles Moreau (dir.), Le bac pro. Un baccalauréat comme les autres ?, op. cit., p. 79.
43 Jean-Jacques Arrighi, Damien Brochier, « 1995-2003, l’apprentissage aspiré vers le haut », Bref du Céreq, no 217, 2005.
44 AN, 20020354/7 : Bilan de la première année d’expérimentation de la préparation de baccalauréats professionnels par la voie de l’apprentissage, 15 septembre 1987.
45 Henri Eckert, « L’émergence d’un ouvrier bachelier. Les “bac pro” entre déclassement et recomposition de la catégorie des ouvriers qualifiés », Revue française de sociologie, vol. 40, no 2, 1999, p. 227-253.
46 Marie-Christine Combes, « La loi de 1987 sur l’apprentissage », art. cit., p. 85.
47 AN, 20150751/37 : Discours de Philippe Seguin devant le Sénat (10 juin 1987) et l’Assemblée nationale (1er juillet 1987).
48 Pierre Bourdieu, Sur l’État. Cours au Collège de France, 1989-1992, Paris, Raisons d’agir, 2012, p. 97.
49 Ces premières ouvertures d’ITII figurent dans le fonds AN, 19960451/37 constitué des rapports d’habilitation des formations par la Commission des titres d’ingénieur.
50 La DEP consacre systématiquement une Note d’information par an à l’évolution des effectifs apprentis. Leur titre est standardisé sous la forme « Les centres de formation des apprentis » suivie de l’année scolaire étudiée jusque pour l’année 1992-1993 et prend d’autres appellations ensuite. L’ensemble des numéros cités est consultable à partir de la bibliothèque numérique de la statistique française [en ligne] <www.epsilon.insee.fr/jspui/> et du portail de la statistique sur l’éducation et la formation de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance [en ligne] <https://archives-statistiques-depp.education.gouv.fr/>.
51 C’est du moins le cas dans le premier tableau de la note ; le dernier, présentant la répartition des apprentis par sexe, réintroduit la catégorie de BTS comme seul représentant du supérieur, conduisant alors à y inclure implicitement les apprentis de DUT.
52 Note d’information « Les centres de formation d’apprentis », no 92.47, 1992, p. 2.
53 AN, 19960451/5 : Flux de nouvelles formations habilitées au 10/12/1991, établi par le groupe de travail de la CTI sur les Nouvelles Formations d’Ingénieurs.
54 Note d’information « L’apprentissage dans l’enseignement supérieur », no 93.46, 1993, p. 1. Les ITII restent ainsi hors du champ statistique, alors même que la première enquête comparative, réalisée par l’Association pour l’emploi des cadres, des promotions du CESI et de l’ITII Bourgogne paraît l’année précédente.
55 Romuald Bodin, Sophie Orange, « Les mécomptes du supérieur - “autres” écoles, “autres” établissements et “autres” formations », Bulletin de méthodologie sociologique, no 130, 2016, p. 40-55.
56 Lucie Tanguy, « La mise en équivalence de la formation avec l’emploi dans les IVe et Ve Plans (1962-1970) », Revue française de sociologie, vol. 43, 2002, p. 685-709.
57 Marianne Blanchard, Socio-histoire d’une entreprise éducative : le développement des Écoles supérieures de commerce en France (fin du XIXe siècle-2010), thèse, sociologie, ENS-EHESS, 2012, p. 335.
58 Respectivement École des hautes études commerciales de Paris et École supérieure des sciences économiques et commerciales.
59 Prisca Kergoat, Les formations par apprentissage : un outil au service d’une démocratisation de l’enseignement supérieur ?, op. cit., p. 11. Voir aussi Gilles Moreau, « Apprentissage(s). Homogénéité et hétérogénéité d’un dispositif », art. cit., pour la distinction, à partir d’une analyse géométrique des données, de trois usages sociaux de l’apprentissage selon les niveaux de diplôme.
60 « La méfiance demeure à l'Éducation nationale », Le Monde, 24 octobre 1990.
61 Entretien réalisé par l’auteur de l’article, 10 novembre 2014.
62 Entretien réalisé par l’INRP, 23 octobre et 19 novembre 2002.
63 Patrick Roger, « Penser et rédiger la réglementation », Ouvertures, no 5, 2000, p. 55.
64 Christine Rocheblave, L’apprentissage dans l’enseignement supérieur. Engagement des chambres de commerce et d’industrie, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 2-3.
65 Claude Grignon, L’ordre des choses. Les fonctions sociales de l’enseignement technique, Paris, Éditions de Minuit, 1971, p. 45-47.
66 Lucie Tanguy (dir.), L’introuvable relation formation-emploi : un état des recherches en France, Paris, La Documentation française, 1986 ; Arnaud Pierrel, « Le Haut Comité Éducation – Économie : un promoteur central de la professionnalisation des formations », in Gérard Boudesseul, Benoît Cart, Thomas Couppié et al. (éd.), Alternance et professionnalisation : des atouts pour les parcours des jeunes et les carrières ? XXIIe journées d’étude sur les données longitudinales dans l’analyse du marché du travail, Lille, 10-11 décembre 2015, Céreq, Relief 50, décembre 2015, p. 51-60.
67 Florence Maillochon, « La tentation des prospectives. Histoire d’un projet de réforme éducative française : “conduire 80 % d’une génération au niveau du baccalauréat” », Histoire & mesure, vol. 9, 1994-1/2, p. 13-50.
68 Michel Le Nir, « L’alternance sous contrat(s) salarié(s), quelle réalité pour les IUT ? », Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, hors-série no 6, 2018, p. 199-220.
69 Mathias Millet, Gilles Moreau (dir.), La société des diplômes, Paris, La Dispute, 2011, p. 15.
70 Jean-Pierre Briand, Jean-Michel Chapoulie, « L’institution scolaire et la scolarisation… », art. cit., p. 16.
71 Ce type d’effet de structure est similaire à celui observé dans les tables de mobilité sociale intergénérationnelles où un fort autorecrutement peut aller de pair avec une faible reproduction sociale pour les groupes sociaux en déclin numérique comme celui des agriculteurs.
72 Pierre Merle, « Le concept de démocratisation de l’institution scolaire : une typologie et sa mise en œuvre », Population, vol. 55, 2000-1, p. 15-50.
Haut de pageTable des illustrations
Titre | Ill. 1 : extrait du rapport Michel de la commission Garagnon |
---|---|
Crédits | Source : AN, 20 020 354/7 : Rapport de Monsieur Y. Michel, inspecteur de l’enseignement technique. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/docannexe/image/6816/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 102k |
Pour citer cet article
Référence papier
Arnaud Pierrel, « L’apprentissage saisi par les diplômes. Sociohistoire du décloisonnement de la formation initiale sous statut apprenti », Histoire de l’éducation, 156 | 2021, 151-178.
Référence électronique
Arnaud Pierrel, « L’apprentissage saisi par les diplômes. Sociohistoire du décloisonnement de la formation initiale sous statut apprenti », Histoire de l’éducation [En ligne], 156 | 2021, mis en ligne le 01 janvier 2024, consulté le 06 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/6816 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.6816
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page