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Notes critiques

DORISON (Catherine), CHEVALIER (Jean-Pierre), BELHADJIN (Anissa), ELALOUF (Marie-Laure), LOPEZ (Maryse), Des écoles normales à l’ESPÉ. Témoignages de formateurs

Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2018, 237 p.
Jérôme Krop
p. 238-240
Référence(s) :

DORISON (Catherine), CHEVALIER (Jean-Pierre), BELHADJIN (Anissa), ELALOUF (Marie-Laure), LOPEZ (Maryse), Des écoles normales à l’ESPÉ. Témoignages de formateurs, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2018, 237 p.

Texte intégral

1Cet ouvrage collectif nous convie à aborder l’histoire récente de la formation des enseignants sous l’angle du vécu subjectif des acteurs qui ont consacré l’essentiel de leur vie professionnelle à cette mission. Les auteurs ont recueilli les témoignages de 44 personnes ayant en commun pour la plupart d’entre elles d’avoir travaillé à l’IFUM de l’académie de Versailles, en assumant leur position particulière, puisque les chercheurs menant cette enquête d’histoire orale sont aussi les collègues des personnes interrogées. Ils montrent que cette difficulté peut être surmontée par le caractère méthodique et méticuleux du protocole de constitution du corpus, de recueil de la parole des témoins et d’analyse conduisant à la mise en récit de cette histoire de la formation des enseignants depuis les années 1970.

2Le choix d’aborder cette histoire à travers ces parcours individuels permet de souligner, à l’échelle des quelques décennies d’une vie professionnelle, les transformations profondes et répétées de la formation des enseignants du premier degré, du second degré et de l’enseignement professionnel au cours de cette période. Ainsi les témoins, dont certains ont débuté dans les écoles normales créées en 1977 dans cette académie de la banlieue parisienne (qui a été fondée en 1972 en regroupant les Yvelines, les Hauts de Seine, le Val d’Oise et l’Essonne), ont connu l’essor de l’IUFM, son intégration à l’université de Cergy-Pontoise à partir de 2006, puis la création de l’ESPÉ de l’académie de Versailles en 2013. Les auteurs montrent la complexité de cette institution regroupant initialement des établissements de formation très divers (ENI – écoles normales d’instituteurs ou d’institutrices, CPR – centres pédagogiques régionaux, ENNA – écoles normales nationales d’apprentissage). Sur le plan historique à proprement parler, cette première partie de l’ouvrage s’avère passionnante dans la mesure où, au-delà de l’histoire des décisions politiques et de leur mise en œuvre à l’échelle nationale, les acteurs de terrain expriment rétrospectivement leurs difficultés comme leurs enthousiasmes, particulièrement lorsqu’ils évoquent les projets les plus novateurs qu’ils ont menés, ainsi parfois que leurs désillusions. Ainsi, le lecteur peut percevoir leurs sentiments teintés d’amertume face à l’entrée en crise des IUFM après l’intégration à l’université et la mise en place de la première mastérisation en 2010, en particulier le sentiment de dépossession des formateurs suite à la remise en cause de l’année de la formation en IUFM des enseignants stagiaires du secondaire, qui réduisit drastiquement le public accueilli.

3L’évocation des souffrances de ces professionnels ayant le sentiment que l’expérience accumulée pendant la période précédente a été niée conduit peut-être paradoxalement à ne pas assez insister sur les défis que la formation des enseignants a relevés dans un contexte de massification et de rénovation pédagogique de l’Éducation nationale. L’accompagnement professionnel des nombreux jeunes enseignants qui ont conduit la massification du second degré de la création du collège unique jusqu’au milieu des années 1990 dans l’académie la plus peuplée scolarisant 9 % des élèves de France, est peu évoqué en tant que tel. Les changements induits par l’élévation du niveau de qualification des futurs instituteurs devenus professeurs des écoles, recrutés à partir de 1979 au niveau bac +2, après la licence à partir de 1989, puis provoqués par la mastérisation, ne sont pas toujours bien caractérisés.

4Si le poids du contexte de crise qui a suscité la collecte des témoignages se fait sentir, cela ne conduit par les auteurs et leurs témoins à minimiser les débats et les rapports de force entre les différentes catégories d’intervenants, du premier ou du second degré, enseignants issus du terrain, souvent expérimenté en matière de formation continue, et enseignants-chercheurs. La seconde partie de l’ouvrage aborde frontalement la diversité des modalités d’entrée dans la fonction de formateur et les témoignages apparaissent comme une source irremplaçable pour comprendre comment les personnes interrogées ont pu construire leur identité de formateur grâce à une expérience acquise pas à pas et nourrie des interactions sociales avec les collègues dans toute leur diversité. De même, l’évocation des pratiques de formation ouvre une fenêtre sur l’effervescence des réflexions et des expérimentations pédagogiques qui caractérisent la période couverte par les témoignages. Elle souligne la grande diversité des conceptions pédagogiques et des modalités de mise en œuvre parmi les praticiens, qui, même si celles-ci pourraient être davantage interrogées sur un plan critique, apparaît comme une richesse pour la formation des enseignants. Les développements sur les « laboratoires d’essais pédagogiques » des années 1980 et des « ateliers d’analyse de pratiques » des années 2000 pourraient être prolongés par une collecte plus large de témoignages complétant les éventuelles sources écrites.

5Si ce livre trouve son origine dans un désir de témoigner motivé par un sentiment forcément subjectif de déperdition et de négation d’une expérience jugée féconde, il représente un apport incontestable à la connaissance de l’histoire de la formation des enseignants, fondé sur une démarche originale qui complète utilement les études existantes. Le travail de recherche dont ce livre rend compte, au-delà du champ spécifique de la formation des enseignants, montre l’importance des archives orales pour saisir l’historicité du vécu et des affects des hommes et des femmes qui font vivre l’école, que l’absence fréquente de source écrite rend souvent inatteignable.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jérôme Krop, « DORISON (Catherine), CHEVALIER (Jean-Pierre), BELHADJIN (Anissa), ELALOUF (Marie-Laure), LOPEZ (Maryse), Des écoles normales à l’ESPÉ. Témoignages de formateurs »Histoire de l’éducation, 155 | 2021, 238-240.

Référence électronique

Jérôme Krop, « DORISON (Catherine), CHEVALIER (Jean-Pierre), BELHADJIN (Anissa), ELALOUF (Marie-Laure), LOPEZ (Maryse), Des écoles normales à l’ESPÉ. Témoignages de formateurs »Histoire de l’éducation [En ligne], 155 | 2021, mis en ligne le 01 novembre 2021, consulté le 08 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/6442 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.6442

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Auteur

Jérôme Krop

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