DALANÇON (Alain), DRAGONI (Josiane), DREVON (Jean-Michel) (coord.), BRESSAN (Eugenio), FÉRAY (Anne), LAFONTAN (Jean), LEIDET (Gérard), SPRINGSFIELDS (Marin), SZAJNFELD (Raphaël), Histoire de la FSU, t. 2 : dans la cour des grands (1997-2010)
DALANÇON (Alain), DRAGONI (Josiane), DREVON (Jean-Michel) (coord.), BRESSAN (Eugenio), FÉRAY (Anne), LAFONTAN (Jean), LEIDET (Gérard), SPRINGSFIELDS (Marin), SZAJNFELD (Raphaël), Histoire de la FSU, t. 2 : dans la cour des grands (1997-2010), Paris, Syllepse, 2019, 281 p.
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- 1 Raphaël Szajnfeld, Histoire de la Fédération syndicale unitaire, t. 1 : une percée flamboyante (19 (...)
1Depuis 1993, la Fédération syndicale unitaire (FSU) est l’organisation qui obtient globalement le plus de voix lors des élections professionnelles dans le secteur de l’Éducation nationale. Depuis 1996, elle dépasse même, pour le premier degré, le Syndicat des enseignants-UNSA, pourtant en grande partie issu du Syndicat national des instituteurs (SNI), ultra-majoritaire dans son secteur avant la recomposition de 1992-1993. Celle-ci a été analysée dans le premier tome de cette histoire1. Rappelons que le SNES et le SNEP, après avoir été exclus de la FEN (Fédération de l’Éducation nationale), ont fondé la FSU, avec notamment des militants du SNI refusant cette exclusion (ils créent un nouveau syndicat, le SNUipp), ainsi qu’avec le SNETAA (enseignement professionnel), inquiet d’une dilution dans un grand Syndicat des enseignants (SE-FEN, devenu SE-UNSA). Pour sa part, ce second tome prolonge l’analyse jusqu’en 2010, soit jusqu’à la fin du troisième mandat de Gérard Aschieri à la tête de la FSU (même si la justification de ce terminus ad quem n’est pas donnée). Aux yeux des auteurs, ce découpage, qui va du « moment Allègre » à la lutte contre la réforme des retraites de 2010, vise sans doute aussi à témoigner de l’ambition de la FSU de ne pas limiter son action aux questions relatives à l’Éducation nationale : la FSU entend jouer un rôle important dans le mouvement social, si possible en contribuant à la constitution d’un front syndical « unitaire ». De là l’extension de son champ de syndicalisation à d’autres catégories de la fonction publique ; de là aussi son désir de figurer dans « la cour des grands », à parité avec les grandes confédérations.
2La première partie est consacrée à « la FSU dans l’action ». Autrement dit, sont décrites les luttes qu’elle a menées. Un premier et dense chapitre analyse le contexte, vu comme « le triomphe de la mondialisation », contre lequel il conviendrait de se défendre. Toutefois, les auteurs insistent sur le fait que, contrairement à une image répandue, la FSU ne se cantonne pas dans une opposition stérile : elle se veut aussi force de proposition, comme en témoigne le titre de sa revue, Pour. Alors que l’UNSA et le SGEN-CFDT opposent organisations « réformistes » et organisations « contestataires », la FSU distingue plutôt « syndicalisme de lutte et de transformation sociale » et syndicalisme d’« accompagnement », sous-entendu d’accompagnement de réformes gouvernementales à ses yeux placées, quoi qu’en disent leurs instigateurs, sous le signe du néolibéralisme. Ainsi, derrière le masque de la lutte contre le « corporatisme » des enseignants, les réformes de Claude Allègre s’inscriraient-elles dans le cadre du projet de réforme managérial de l’État. Ce « moment Allègre » fait l’objet du deuxième chapitre. Pour la FSU, il correspond à un moment de turbulences internes. Le second degré étant particulièrement « dans le viseur », le SNES est en première ligne dans l’opposition à la politique du ministre de l’Éducation nationale. En revanche, au moins dans un premier temps, le SNUipp est d’autant plus circonspect que le ministre, appliquant peut-être la tactique du « diviser pour régner », a accepté un plan d’intégration des instituteurs dans le corps des professeurs des écoles. Alors que le SNES est conduit à s’allier avec le SNALC, le SNUipp mène des actions avec le SGEN et le SE-FEN, syndicats par ailleurs favorables aux réformes ministérielles. Quant au SNETAA, déjà en désaccord avec l’orientation générale de la Fédération et son mode de fonctionnement (il voudrait la réduire à un cartel de syndicats), il joue sa propre partition et parvient à faire abaisser le service des professeurs d’atelier au niveau de celui des professeurs d’enseignement général. La solidité de la FSU est d’autant plus mise à l’épreuve que, lors du vote du 4 mars 1999 sur les grilles horaires des lycées, son propre secrétaire général, Michel Deschamps, ne s’aligne pas sur le vote fédéral ! Il démissionne quelques jours après. Il est vrai qu’on apprend bientôt qu’il figure sur la liste PCF pour les élections européennes. Il est remplacé à la tête de la FSU par un tandem constitué des secrétaires généraux du SNES (Monique Vuaillat) et du SNUipp (Daniel Le Bret), le secrétaire général du SNESup, Pierre Duharcourt, succédant ensuite à celui-ci. En 2001, le SNETAA, qui a suspendu depuis 1997 sa participation aux instances statutaires, est considéré comme « ayant décidé de quitter la fédération ». Il assigne celle-ci en justice, mais est débouté. La FSU crée alors le Syndicat national unitaire de l’enseignement professionnel (SNUEP). Ces péripéties, ainsi que l’existence d’un duo à la tête de la fédération, témoignent des difficultés à concilier les points de vue syndicaux. Cependant, en 2001, Gérard Aschieri est élu secrétaire général de la FSU et parvient à impulser une nouvelle dynamique d’ensemble.
3Si, en 2003, la lutte contre la nouvelle phase de la décentralisation concerne surtout le second degré, en revanche le combat contre la réforme des retraites semble ressouder la Fédération et ses militants sont très présents dans le champ intersyndical. Le gouvernement cependant passe outre, et les retraits sur salaire laissent un goût amer. En 2005, la FSU s’oppose à la loi Fillon sur l’éducation. Le projet de loi est voté par le Parlement, mais comme en 2003 sur la décentralisation, la FSU (et en son sein le SNES en particulier) peut faire valoir le retrait d’un certain nombre d’aspects contestés. En 2006, elle participe au front syndical contre le Contrat première embauche (CPE). La lutte est cette fois victorieuse, mais ne sont-ce pas avant tout les manifestations des jeunes qui sont responsables de ce succès ? La FSU se félicite en tout cas des liens constitués avec les confédérations syndicales. Quant au bilan de la lutte contre la LRU (2009), il est ambigu, même si a été obtenu le retrait des articles modifiant le service des enseignants-chercheurs. Il est vrai que, si le combat a largement mobilisé les enseignants du supérieur, il a souvent laissé les autres indifférents. De plus, les syndicats de la FSU se divisent à ce moment-là sur la question de la mastérisation de la formation des enseignants.
4Après cette première partie qui permet de dessiner une trame chronologique, la deuxième revient sur différentes luttes, mais suivant un plan thématique : défense des services publics, projet éducatif et de formation des maîtres, élargissement de l’action au combat contre le chômage, la précarité, les discriminations et la mondialisation libérale. De nombreux militants de la FSU jouent un rôle central dans le mouvement altermondialiste et agissent en lien avec des associations telles que AC ! et Droit au logement (DAL). La FSU soutient les sans-papiers et Michel Deschamps est présent lors de l’évacuation, le 23 août 1996, de l’église Saint-Bernard à Paris. La synthèse syndicale est toutefois difficile sur la question du foulard islamique, et, plus généralement sur la laïcité.
5La dernière partie porte sur les structures fédérales et la « capacité représentative ». La FSU repose sur trois piliers : les syndicats nationaux, les « tendances » et les sections départementales. Les « grands syndicats », SNES et SNUipp notamment, jouent un rôle prédominant, mais la règle des 70 % pour qu’une décision soit prise empêche l’hégémonie d’un seul, comme ce fut le cas du SNI dans la FEN. Les sections départementales peinent à renouveler leurs militants, qui privilégient souvent l’investissement dans leur syndicat. Quant à la structuration en tendances, elle s’amoindrit, notamment dans le SNUipp, où beaucoup de jeunes ne se retrouvent plus dans ces distinctions. Nombre de « petits » syndicats de « non-enseignants » ayant rejoint la FSU après sa création refusent cette structuration. La tendance Unité et action reste majoritaire, mais son identité se modifie : « la matrice idéologique marxiste, portée notamment par les communistes, s’estompe » (p. 161). Contrairement à la situation qui prévalait dans la FEN, toutes les tendances participent à l’exécutif, ce qui conduit à la nécessité d’établir des compromis. De là d’ailleurs, au sein du SNES, une scission de la tendance École émancipée. Ces subtilités d’opposition de tendance contribuent-elles aux difficultés qu’a la FSU à maintenir ses effectifs ? Elle reste néanmoins majoritaire lors des élections professionnelles des enseignants (mais pas chez les cadres de l’Éducation nationale, chefs d’établissement et IEN), ce qui témoigne de sa représentativité, même si, pour des raisons à la fois internes et historiques, elle ne parvient pas à se faire reconnaître au niveau international. L’élargissement de son périmètre de syndicalisation à d’autres secteurs de la fonction publique ne s’est pas fait sans débat et rencontre un succès mitigé. En fait, la FSU demeure essentiellement, si l’on ose dire, une fédération de l’Éducation nationale. Le sous-titre de l’ouvrage constitue d’ailleurs un clin d’œil. Cependant, aux yeux de la FSU, le monde de l’Éducation nationale devrait être représenté seulement par l’enseignement public. En 2005, l’intégration de syndicats de l’enseignement privé a suscité un débat : peut-on défendre les personnels de l’enseignement catholique sans cautionner le dualisme scolaire engendré par la loi Debré ? La majorité ne l’a finalement pas pensé.
6Les auteurs ont fait le choix d’un plan thématique. S’il rend inévitables quelques répétitions, ce plan présente l’avantage de mettre en relief des aspects souvent négligés – parfois même au cours des congrès de la FSU : par exemple le combat pour la « démocratie de genre ». Le chapitre sur les structures syndicales comme celui sur les démarches et actions pour « sortir de l’autonomie » permettent par ailleurs d’évoquer les syndicats « non-enseignants ».
7Cette histoire a été écrite par des militants. Est-ce une histoire militante ? Le premier tome l’était assurément, qui faisait du succès de la FSU la preuve de la validité de son point de vue lors de la scission de 1992. Celui-ci témoigne de davantage de distance critique. Certes, le cadre d’analyse est celui de la FSU, et des syndicalistes d’autres organisations contesteraient par exemple que les réformes de Claude Allègre doivent être analysées sous l’angle du néolibéralisme. Certes, le regard est interne : les archives consultées et les témoignages proviennent de la FSU. Cependant ce regard n’est pas dépourvu de recul critique. Les dissensions ne sont pas omises. La conclusion fait par ailleurs preuve d’un tel scepticisme que l’on se demande si le sous-titre de l’ouvrage n’aurait pas dû comporter un point d’interrogation. Au total, ce retour réflexif n’est-il utile qu’aux militants, anciens et nouveaux ? Cet essai d’« histoire immédiate » propose une grille de lecture pour saisir les enjeux des débats sociaux et éducatifs récents. À ce titre, l’ouvrage intéresse assurément le spécialiste d’histoire de l’éducation et, plus largement, quiconque s’intéresse aux politiques d’éducation.
Notes
1 Raphaël Szajnfeld, Histoire de la Fédération syndicale unitaire, t. 1 : une percée flamboyante (1993-1997), Paris/Les Lilas, Syllepse/Institut de recherches de la FSU, 2009.
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Bibliographical reference
Yves Verneuil, “DALANÇON (Alain), DRAGONI (Josiane), DREVON (Jean-Michel) (coord.), BRESSAN (Eugenio), FÉRAY (Anne), LAFONTAN (Jean), LEIDET (Gérard), SPRINGSFIELDS (Marin), SZAJNFELD (Raphaël), Histoire de la FSU, t. 2 : dans la cour des grands (1997-2010)”, Histoire de l’éducation, 155 | 2021, 233-237.
Electronic reference
Yves Verneuil, “DALANÇON (Alain), DRAGONI (Josiane), DREVON (Jean-Michel) (coord.), BRESSAN (Eugenio), FÉRAY (Anne), LAFONTAN (Jean), LEIDET (Gérard), SPRINGSFIELDS (Marin), SZAJNFELD (Raphaël), Histoire de la FSU, t. 2 : dans la cour des grands (1997-2010)”, Histoire de l’éducation [Online], 155 | 2021, Online since 01 November 2021, connection on 09 November 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/6426; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.6426
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