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Notes critiques

PALLUAU (Nicolas), La fabrique des pédagogues. Encadrer les colonies de vacances, 1919-1939

Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, 301 p.
Laurent Gutierrez
p. 229-233
Référence(s) :

PALLUAU (Nicolas), La fabrique des pédagogues. Encadrer les colonies de vacances, 1919-1939, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, 301 p.

Texte intégral

1Avec cette publication, la collection « Histoire » des Presses universitaires de Rennes inscrit un ouvrage important à son catalogue. L’étude proposée par Nicolas Palluau, connu de longue date pour ses travaux sur le scoutisme, est tirée de sa thèse de doctorat en histoire contemporaine, soutenue en novembre 2010 à l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, sous la direction de Pascal Ory. Ce dernier, à qui on doit la préface de ce livre, rappelle l’importance des facteurs culturels dans la mise en œuvre d’une politique volontariste en direction de l’encadrement de la jeunesse dans les années 1920-1930. À juste titre, il souligne la richesse de cette exploration au cœur de la pédagogie du plein air, qui constitue bel et bien le thème central de cet ouvrage. Par ailleurs, la recherche menée ici confère à l’auteur un statut de spécialiste tant les connaissances mobilisées dans le cadre de cette étude sont nombreuses et variées. La consultation d’une vingtaine de fonds d’archives publics et privés, complétée par des témoignages et des correspondances, auxquels il convient d’ajouter le recours à plus de cinq cents imprimés de première et de seconde main, l’attestent. Il s’agit donc d’une œuvre d’érudition à laquelle nous convie l’auteur.

2Les trois parties de cet ouvrage se présentent comme les trois temps forts de l’histoire de la formation des cadres de jeunesse dans l’entre-deux-guerres. Dans une première partie consacrée à la « Pédagogie du plein air en sortie de guerre, 1919-1923 » (p. 25-98), Nicolas Palluau rappelle les enjeux liés à l’organisation des camps de vacances ainsi que le rôle des Éclaireurs de France (EDF) dans leur développement : restaurés dès 1919, ils visent autant la restauration des corps anémiés que le maintien du sentiment patriotique grâce au dévouement des cadres formés dans les camps-écoles franco-américains. Le dosage entre ordre et liberté y est savamment pensé, sur fond de mythologie du far west. Cette formation physique et morale relègue les exercices de gymnastique militaire au rang de vestige, bousculant ainsi les codes en vigueur. De cette concurrence naîtra une remise en cause du modèle éducatif français (p. 27-56). Rien de surprenant que cette formation des chefs intéresse les classes dirigeantes, qui y voient la possibilité de former les jeunes gens appelés, à terme, à occuper des postes à responsabilités au sein de la société civile. Une « école type » est, dès lors, appelée à apporter les garanties d’une telle éducation : ce sera l’école des Roches, établissement privé, dirigé par Georges Bertier, élu président des EDF en 1921. À travers notamment l’étude de la Maison pour Tous de la rue Mouffetard (p. 72-75), Nicolas Palluau montre comment le scoutisme envisage la diffusion de ce modèle à d’autres corps sociaux. Les pages dédiées à André Lefèvre et à son rôle dans la manière « d’aller au peuple » (p. 75-78) sont passionnantes à cet égard, tout comme celles consacrées à l’entreprise d’Ernest Mercier à la tête du Redressement français (p. 81-83). Mais la partie la plus instructive sur ce plan est celle qui aborde la manière dont l’école primaire et ses maîtres vont devenir l’objectif des EDF (p. 84-97). Cette rencontre entre le scoutisme et l’école républicaine sur fond de spiritualité et de laïcité au milieu des années 1920 est éclairante et nous permet de comprendre comment le plein air devient en enjeu politique pour les dirigeants français. La reconnaissance d’utilité publique obtenue en 1925 par les EDF confirme ces liens et entérine les bases juridiques d’un espace scolaire issue de l’initiative privée.

3Dans une deuxième partie intitulée « Dynamique socioscolaire de la formation, 1923-1932 » (p. 99-161), Nicolas Palluau s’emploie à nous montrer l’originalité et l’importance de la formation des cadres Éclaireurs. À cet effet, il revient sur le rôle du camp-école de chefs de Cappy (Oise), où de nombreuses personnalités de l’histoire du scoutisme se sont illustrées, parmi lesquelles François Goblot, Pierre Kergomard, Henri Marty, Jacques Guérin-Desjardins et Jacques-Olivier Grandjouan. Il rappelle également la manière dont les savoirs et les savoir-faire pratiques sont enseignés. Loin d’être un détail, le contenu de cet enseignement mutuel fait l’objet d’une réelle vigilance de la part des responsables de ce camp, qui ont à cœur de proposer une éducation intégrale aux jeunes gens dont ils ont la charge. Les connaissances s’acquièrent avant tout par les sens ainsi que par l’expérience vécue d’une vie en communion avec la nature (p. 103-114). L’utilité sociale de cette « science des bois », qui place l’acquisition des techniques du vivant et de la matière au cœur des apprentissages, est fondamentalement au service de l’action. Rejoignant en cela le discours hygiéniste et la conception d’une éducation physique naturelle (p. 117-122), la formation des cadres trouve un écho dans les thèses de Georges Hébert, dont la méthode est adoptée, bien que complétée par des jeux scouts. Quant à la rationalité des faits dont la science se veut être le meilleur exemple, elle est admise au titre expérimental par ce qu’elle donne à voir de la nature (Henri Lhote) et par ses récits ethnographiques (Paul Émile Victor) (p. 125-130). Quoi qu’il en soit, la diffusion de cette formation scoute est liée aux nouvelles recrues dont l’école est le meilleur pourvoyeur. Les deux ordres de l’enseignement n’ont toutefois pas les mêmes attentes vis-à-vis du mouvement scout français (p. 133-156). L’enseignement secondaire, qui privilégie la logique individuelle du diplôme à la solidarité entre élèves, fournit peu d’élèves. La croissance des effectifs ne peut donc reposer que sur les élèves de l’enseignement primaire, qui récompense les efforts et les résultats scolaires des meilleurs d’entre eux. La convergence entre ces deux modèles de promotion de l’effort n’échappera ni à Paul Lapie, directeur de l’enseignement primaire (1918-1923), ni à Édouard Herriot, ministre de l’Instruction publique du gouvernement Poincaré d’Union nationale (1926-1928) qui, tous deux, recommanderont le scoutisme à l’école. Là se situe, sans doute, une des causes du spectaculaire essor du nombre d’Éclaireurs à la fin des années 1920. Plus encore, il s’agit de l’un des meilleurs moyens pour recruter des futurs cadres susceptibles d’œuvrer en faveur du scoutisme au sein de l’École publique et de convaincre les dirigeants de la Ligue de l’enseignement, qui ont fait du secteur postscolaire leur pré-carré (p. 159-161).

4Dans une troisième partie, Nicolas Palluau traite des liens entre « Colonies de vacances et République, 1923-1939 » (p. 163-243). Le premier des trois chapitres qui la composent (p. 163-187) fait mention de plusieurs faits significatifs. Nous en retiendrons trois. Le premier correspond au rapprochement qui s’opère entre les colonies de vacances (CV) et les EDF sur fond de préconisations hygiéniques et d’activités de plein air au service de la formation morale des enfants. L’auteur nous montre ici combien la question des frontières entre l’action privée des colonies et le périmètre d’intervention sociale de l’État est centrale dans les débats qui animent les promoteurs des CV. La prise en compte des valeurs laïques ou religieuses prônées par les familles est également déterminante dans l’essor de ces organisations (l’œuvre laïque du Comité national des colonies de vacances et Œuvres de plein air et l’Union nationale des colonies de vacances d’obédience catholique) qui accueillent plus de 200 000 enfants à la fin des années 1920 (p. 167-172). Le deuxième fait que nous rapporte l’auteur est le rôle que vont jouer les Auberges de Jeunesse, initiées par le démocrate-chrétien Marc Sangnier, dans ce débat à partir de 1929, date de leur création. Leur champ d’intervention va influencer les CV qui vont ainsi progressivement passer de l’hygiénisme à l’éducatif et poser, à nouveaux frais, la question de la professionnalisation des personnels encadrants (p. 172-183). Le troisième fait lié à cette histoire de la formation des cadres de jeunesse est en rapport avec l’action menée par le Comité d’Entente Famille-Natalité-Éducation fondé en 1930 au Musée social. On aurait aimé davantage d’informations sur la liste des intervenants et les thèmes qui y furent traités. Il y a là une étude complémentaire à mener à partir de la revue L’Éducation (1930-1934), puis Éducation (1935-1942), dont le changement de titre accompagne la nouvelle orientation éditoriale. Les deux derniers chapitres de cette troisième partie sont consacrés à la naissance et aux premières années (1936-1939) des Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active (CEMEA) (p. 189-243). La mise en contexte à partir de laquelle Nicolas Palluau nous donne à voir la manière dont ce premier centre de formation d’animateurs de colonie de vacances prend forme est passionnante (p. 190-216). Sa connaissance des acteurs, à laquelle il convient d’ajouter sa maîtrise des enjeux socio-politiques autour des questions de l’encadrement de la jeunesse durant cette période, donnent à ces pages un relief particulier. La précision dont il fait preuve dans la reconstitution du maillage particulièrement dense de ces réseaux nous invite à le suivre dans sa démonstration. La thèse qu’il défend selon laquelle les acteurs et les actrices des associations d’éducation nouvelle ont œuvré à l’intégration des méthodes actives dans l’enseignement primaire public est vérifiée, preuves à l’appui. Sans omettre d’interroger les frontières et les limites sur le plan conceptuel de ces idées et de ces pratiques pédagogiques, Nicolas Palluau revient sur cette épopée extraordinaire des CEMEA qui a vu passer dans ces stages de formation des centaines de milliers de personnes. La permanence de ce stage, dont la formule apparaît, encore aujourd’hui, comme la « marque de fabrique » d’une institution qui prône des valeurs éducatives issues du croisement des mouvements d’éducation populaire et d’éducation nouvelle de la fin du XIXe siècle (p. 217-243), lui confère un statut historique dont les évolutions pédagogiques nécessiteraient toutefois d’être analysées.

5Après des pages conclusives sur l’importance du stage comme phénomène éducatif du XXe siècle (p. 245-251), cet ouvrage propose cinq annexes des plus instructives (p. 253-271). On y retrouve notamment les noms des premiers dirigeants des camps-écoles entre 1919 et 1922 (p. 255-257), ceux du camp-école permanent Cappy (parfois les mêmes à l’image de Jacques Guérin-Desjardins et d’André Lefèvre) (p. 258-264), ainsi que ceux des premiers instructeurs des Centres d’entraînement entre 1937 et 1940 (p. 268-271). L’index des principaux noms cités (p. 291-295) est très utile. Par le nombre d’occurrence de chacun d’eux, on mesure leur influence au sein de chacune de ces organisations de plein air. On y retrouve ainsi les noms de certaines femmes dont le rôle, à bien des égards, a été décisif et qui mériteraient qu’on leur consacre une étude plus approfondie. Je pense notamment à Marguerite Angles, Émilie Brandt, Jeanne Géraud, Henriette Goldenbaum, Gisèle de Failly, Germaine Mascart, Juliette Pary et Marie-Juliette Vallotton. Enfin, l’insert d’un livret de reproduction d’archives en milieu d’ouvrage est très appréciable. On peut s’arrêter avec bonheur sur les photographies et les premières de couverture d’ouvrages et de périodiques devenus d’un accès difficile aujourd’hui. On peut, par ailleurs, y lire avec émotion la circulaire de Jean Zay du 20 mars 1939 dans laquelle il recommande le départ des jeunes maîtres d’école et des normaliens pour les stages de formation aux fonctions d’animateurs et de directeurs de colonies de vacances (p. XXXVIII).

6Pour la pertinence des démonstrations proposées aux lecteurs sur la base d’informations d’une indéniable richesse archivistique, nous recommandons cet ouvrage à toutes celles et tous ceux qui, un jour ou l’autre, s’intéressent à l’histoire périphérique de notre école. Ils y trouveront de nombreuses explications à leurs interrogations et, espérons-le, élaboreront de nouvelles pistes d’investigation pour en poursuivre l’aventure.

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Pour citer cet article

Référence papier

Laurent Gutierrez, « PALLUAU (Nicolas), La fabrique des pédagogues. Encadrer les colonies de vacances, 1919-1939 »Histoire de l’éducation, 155 | 2021, 229-233.

Référence électronique

Laurent Gutierrez, « PALLUAU (Nicolas), La fabrique des pédagogues. Encadrer les colonies de vacances, 1919-1939 »Histoire de l’éducation [En ligne], 155 | 2021, mis en ligne le 01 novembre 2021, consulté le 03 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/6418 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.6418

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Auteur

Laurent Gutierrez

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