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La formation d’un regard : la colonisation dans les manuels de géographie du secondaire (1873-1951)

Shaping a viewpoint: colonization in secondary school geography textbooks (1873-1951)
Pascal Clerc
p. 197-217

Résumés

Les manuels scolaires de géographie peuvent être considérés comme des discours iconographiques et textuels qui véhiculent des représentations du monde. Celles-ci sont à la base d’une culture scolaire en géographie, partie de la culture collective. L’étude des espaces colonisés par la France en Afrique dans dix-sept manuels de géographie du secondaire publiés entre 1873 et 1951 met en évidence une adhésion presque sans réserve à la colonisation qui reprend tous les clichés savants et populaires de l’époque. Ainsi l’action de la France dans les colonies paraît une évidence et une nécessité fondée sur un regard franco-centré et des représentations naturalisées des indigènes et des Occidentaux.

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Texte intégral

  • 1 Paul Gauguin cité par Jean-François Staszak, Géographies de Gauguin, Paris, Bréal, 2003, p. 107.

1Paul Gauguin est déçu, lorsqu’en 1891 il arrive à Tahiti. La vie est plus dure qu’il ne l’avait imaginée : « La nourriture se trouve bien sur les arbres, dans la montagne, dans la mer mais il faut savoir grimper à un arbre élevé, aller dans la montagne et revenir chargé de fardeaux pesants, savoir prendre le poisson, plonger, arracher dans le fond de la mer le coquillage solidement attaché au rocher »1. Ses représentations l’ont trompé. Sans doute s’attendait-il à vivre – à l’instar des indigènes qui peuplent l’île – couché sur une natte, nu ou presque puisque le climat le permet, n’ayant qu’à tendre le bras pour pourvoir à sa subsistance, profitant ainsi d’une nature prodigue.

  • 2 Marcel Dubois, Géographie économique de l’Afrique, l’Asie, l’Océanie et l’Amérique, Paris, Masson, (...)
  • 3 Henri Boucau, Jean Petit, Armand Leyritz, Nouvelle collection Jean Brunhes. Géographie. Classes de (...)
  • 4 Ibid.
  • 5 Pour un regard global sur la question, voir Carole Reynaud-Paligot, La République raciale 1860-193 (...)

2Ces poncifs qui forment le regard de Gauguin et de ses contemporains sur la Polynésie circulent dans la presse populaire. Ils sont aussi inlassablement reproduits dans les manuels scolaires de géographie comme ces deux exemples, tirés d’ouvrages publiés à plus d’un demi-siècle de distance, l’illustrent : « le travail est inutile. Les fruits ramassés suffisent à l’alimentation, et le climat n’impose d’autre part aucun besoin de vêtement ou d’habitation »2 ; « Toutes les plantes poussent dans ces îles […] l’indigène peut se contenter de la simple cueillette et de la pêche »3. Les discours caricaturaux relativement aux populations lointaines et à leurs espaces de vie ne sont pas nouveaux. Mais, en particulier à partir de la fin du XIXe siècle, ces discours, ceux des manuels scolaires notamment, participent à la légitimation de l’entreprise coloniale. Poursuivons la lecture du texte tiré du premier manuel cité : « Ils [les indigènes] sont en général, paresseux, indolents, et particulièrement rebelles au travail dans les grandes plantations. C’est le premier obstacle qui s’oppose à l’exploitation de ces pays par les blancs »4. L’essentialisation des autochtones polynésiens est associée à un projet, plus précisément ici à sa difficulté, de mise en valeur coloniale. Les qualités et les défauts présumés de chaque « race », le milieu géographique où elle vit et sa place dans la hiérarchie humaine orientent les discours relatifs à cette mise en valeur, à la contribution des indigènes à celle-ci et plus largement à la réflexion sur leur éducabilité5. La caractérisation de l’autre et de son territoire peut alors s’inscrire dans le projet colonial et la construction d’une altérité radicale.

  • 6 Pascal Clerc, La culture scolaire en géographie. Le monde dans la classe, Rennes, Presses universi (...)
  • 7 L’expression « géographie coloniale » apparaît peut-être au milieu des années 1880. J’ai identifié (...)

3Les discours relatifs aux territoires colonisés et à leurs habitants dans les manuels scolaires de géographie participent de la culture scolaire en géographie6 mais, dans le cadre de cet article, ce sujet est à la fois limité par le choix du support particulier qu’est le manuel scolaire et contextualisé par trois champs qui se recoupent partiellement : les savoirs scolaires en situation coloniale, les savoirs coloniaux et la « géographie coloniale »7.

  • 8 Raoul Girardet, L’idée coloniale en France de 1871 à 1962, Paris, Hachette, 1972.
  • 9 Voir notamment Laurence de Cock, Emmanuelle Picard, La fabrique scolaire de l’histoire, Marseille, (...)
  • 10 David Bédouret, L’Afrique rurale des manuels scolaires de géographie : sortir de l’exotisme, Toulo (...)
  • 11 Pascal Clerc, « Savoirs géographiques et géographie scolaire au regard de la question coloniale (1 (...)

4De l’énorme effort de propagande pour justifier la colonisation, engagé en France de multiples manières à partir des années 18908, découle un unanimisme qui atteint son acmé autour de 1930. On sait le rôle de l’école en général dans cet effort, celui de l’enseignement de l’histoire en particulier9. Par contre, en dépit de certains travaux récents qui montrent qu’aujourd’hui comme hier « l’imaginaire colonial » structure une partie du discours10, le rôle de la géographie scolaire est moins connu en raison sans doute de sa moindre visibilité. En analysant un « lieu » spécifique de cette géographie scolaire, les manuels, cet article participe d’une approche plus globale11. Les manuels scolaires de géographie ne sont pas la géographie scolaire. Ils s’insèrent dans un ensemble qui va des curricula aux savoirs acquis en passant par les savoirs enseignés. Toutefois, par leur place importante dans les pratiques des enseignants et des élèves (en particulier pendant la période étudiée ici), ils jouent un rôle majeur dans la production d’une culture scolaire en géographie.

  • 12 Pierre Singaravélou, Professer l’Empire. Les « sciences coloniales » en France sous la IIIe Républ (...)
  • 13 Cette thèse est défendue par Olivier Soubeyran dans différents textes des années 1990, notamment « (...)
  • 14 C’est ce que je montre notamment à travers l’étude de la principale revue de géographie française, (...)

5La géographie scolaire des manuels, de la fin du XIXe siècle à la décolonisation, contribue-t-elle à la diffusion d’une idéologie coloniale ? Afin d’apporter quelques éléments de réponse à cette question, il convient de définir la « géographie coloniale » comme enseignement au sein des savoirs coloniaux. Dans sa thèse sur l’enseignement supérieur des sciences coloniales12, l’historien Pierre Singaravélou a montré l’important développement de ces sciences dans diverses institutions avec des finalités pratiques plus encore qu’idéologiques. La géographie occupe un rôle important en leur sein et, comme l’histoire, le droit ou la psychologie, elle voit son paradigme travaillé par la dimension coloniale. En effet, les savoirs coloniaux en géographie participent de la modernité des savoirs universitaires dans ce domaine13 et le structurent sur la longue durée14. Ces traits concernent-ils la géographie scolaire ? La question est complexe mais deux logiques divergentes peuvent être avancées ici, en particulier pour les manuels scolaires. D’un côté la géographie scolaire se construit de manière autonome, par rapport à ses propres logiques et au contexte spécifique de sa dépendance envers l’histoire scolaire. On peut l’analyser comme un savoir modeste, descriptif et nomenclatural ; en ce sens, les savoirs scolaires relatifs aux colonies auraient ces traits et ne différeraient pas des savoirs portant sur la France métropolitaine ou d’autres lieux du monde. Mais d’un autre point de vue, la science géographique influence la géographie scolaire par le fait notamment que pendant la période coloniale, la plupart des auteurs de manuels scolaires de géographie sont des universitaires enseignant dans des facultés et que nombre d’entre eux soutiennent le mouvement colonial.

  • 15 Le choix de ce niveau d’enseignement est lié à des proximités supposées fortes avec le savoir sava (...)

6À travers une lecture aussi fine que possible des textes et de l’iconographie des manuels scolaires de géographie, je souhaite caractériser les discours tenus sur les territoires coloniaux et sur les habitants de ces territoires. Pour cela, les chapitres afférents aux colonies africaines françaises de dix-sept manuels de géographie de l’enseignement secondaire ont été analysés15. Ces manuels ont été publiés entre 1873 et 1951. Ils relèvent de huit collections différentes et de sept éditeurs. La plupart de ces ouvrages concernent les classes de première et de troisième, celles où la France (et ses colonies) est en général étudiée. La logique qui préside au choix des ouvrages croise deux préoccupations : d’une part retenir des manuels d’une même collection (le plus souvent deux ou trois), d’autre part choisir des ouvrages dirigés ou rédigés par des géographes s’étant intéressés aux questions coloniales, et avec des points de vue parfois fort éloignés. L’idée étant de mesurer les divergences et convergences entre écrits savants et écrits scolaires. Enfin, j’ai porté mon attention sur les contextes – scientifiques, historiques, parfois éducatifs – dans lesquels sont pris les ouvrages. Ces contextes justifient la définition des bornes temporelles du corpus. Les mêmes propos n’ont en effet pas le même sens à la fin du XIXe siècle, période de débats sur la pertinence de la colonisation, dans les années 1930 au moment où l’adhésion à l’idéologie coloniale est la plus massive, ou vingt ans plus tard lorsque les positions anticolonialistes se développent.

I. Des ouvrages militants

  • 16 Manuela Semidei, « De l’empire à la décolonisation à travers les manuels scolaires », Revue frança (...)
  • 17 Sandrine Lemaire, « Colonisation et immigration : des "points aveugles" de l’histoire à l’école ?  (...)
  • 18 Ibid.
  • 19 Pascal Clerc, La culture scolaire en géographie, op. cit.

7Dès 1966, Manuela Semidei a montré que les manuels scolaires des années 1920 aux années 1960 étaient « les meilleurs défenseurs de l’idéologie coloniale »16. Les analyses plus récentes de Sandrine Lemaire sont concordantes : « Durant la période coloniale, les auteurs de manuels furent de véritables promoteurs […] de la colonisation »17. Faut-il s’en étonner ? Les manuels sont des « instruments de propagation d’une idée pour des générations »18 ; ils sont dans l’air de leur temps et répercutent les idées dominantes et consensuelles d’une époque19. Mais qu’en est-il spécifiquement des manuels de géographie ?

  • 20 Ce qui peut être, comme en Polynésie, une manière extrêmement édulcorée et incomplète de rendre co (...)

8Sur les dix-sept ouvrages du corpus, trois (appartenant à la même collection) ont un regard critique. Tous les autres promeuvent sans ambiguïté la colonisation : ils mettent en avant son intérêt, montrent que les indigènes doivent être « civilisés », inventorient les richesses des colonies et plébiscitent les formes de mise en valeur des espaces coloniaux. La plupart des manuels de géographie, comme ceux d’histoire, participent donc de la promotion de l’idéologie coloniale. Dans ces manuels, les rares réserves sont secondaires ou relatives aux marges spatiales des territoires coloniaux. Quelques-uns soulignent aussi l’affaiblissement des activités artisanales traditionnelles en raison de la concurrence de l’industrie métropolitaine ; tandis que d’autres constatent l’« avilissement » des mœurs indigènes à cause du contact avec les Européens20.

  • 21 Marcel Dubois, Géographie de la France, Paris, Masson, 1887, p. 277.
  • 22 Marcel Dubois, Géographie économique de l’Afrique, l’Asie, l’Océanie et l’Amérique, Paris, Masson, (...)

9Le plaidoyer pour la colonisation commence dès les années 1870 dans les manuels de géographie. Des auteurs comme Émile Levasseur (dans des manuels de 1873 et 1880) ou Pierre Foncin (dans un manuel de 1880) évaluent les richesses économiques des contrées soumises à l’autorité française. Pour cet autre auteur qu’est Marcel Dubois (dans des manuels de 1887 et 1889), l’avenir est radieux : l’Algérie est une colonie qui se développe « merveilleusement »21 et les indigènes sont « définitivement soumis »22. Il n’y a, chez ces savants géographes, pas l’ombre d’un doute. Pourtant, même si leurs manuels n’en font pas grand cas, la période n’est pas encore celle du consensus relativement au projet colonial. Les Français connaissent mal les colonies, et les regards sont plutôt tournés vers l’Allemagne et les provinces perdues dans une perspective de revanche. Dans la sphère intellectuelle, la question est abordée, mais de manière conflictuelle. Reprenant les arguments de l’économiste Jean-Baptiste Say, certains dénoncent l’aspect aventureux de l’entreprise, son coût et l’absence de perspective d’enrichissement de la nation. Mais la plupart des géographes plaident explicitement pour la poursuite de la colonisation en arguant de bénéfices futurs ou, au minimum, envisagent celle-ci comme une nécessité géopolitique, civilisationnelle et économique.

  • 23 Voir notamment Pascal Clerc, « Émile Levasseur, un libéral en géographie », L’Espace géographique, (...)
  • 24 Voir notamment Pascal Clerc, « Des connaissances pour l’action. La géographie coloniale de Marcel (...)
  • 25 Les programmes antérieurs pour les classes de quatrième ou de troisième traitent de « la France » (...)

10Levasseur, Foncin et Dubois anticipent donc sur la large diffusion de l’idéologie coloniale et se font, à travers leurs ouvrages, des propagandistes efficaces de celle-ci. Leur personnalité et leurs engagements l’expliquent : ils sont tous trois des partisans déterminés de la cause coloniale. Émile Levasseur (1828-1911) est historien, économiste politique et géographe23. À la croisée de ces champs scientifiques, il plaide pour la mise en valeur de la totalité terrestre et voit dans la colonisation un intérêt économique et commercial pour la France. Parmi ses multiples activités, on recense des conférences dans le cadre de la très influente Union coloniale française. Pierre Foncin (1841-1916), géographe, est le fondateur de l’Alliance française en 1883. Il participe aussi à la création de la Société de géographie de Bordeaux et enseigne, notamment la géographie coloniale, à la faculté. Proche des milieux commerciaux, il défend une géographie utile. Marcel Dubois (1856-1916) est quant à lui un militant assidu de la cause coloniale ; il est titulaire de la première chaire de « géographie coloniale » créée en 1893 à la Sorbonne, et associé à Vidal de la Blache au début de l’aventure des Annales de géographie24. Ils anticipent tous trois sur la transformation de programmes qui ne feront une large place aux espaces coloniaux qu’à partir de 190225. Dans ce contexte, les manuels de géographie du secondaire jouent un rôle militant indéniable ; essentiel même, et à coup sûr plus important qu’ultérieurement lorsque la plupart des moyens d’information vont aller dans le même sens.

  • 26 Voir aussi Pascal Clerc, « Savoirs géographiques et géographie scolaire au regard de la question c (...)
  • 27 Source : base de données Emmanuelle (Bibliothèque Diderot, Lyon), [en ligne] <http://emmanuelle.bi (...)

11Les ouvrages rédigés par Marcel Dubois sont les meilleurs témoins de cet engagement26. Ce géographe publie, seul ou en collaboration, soixante et onze manuels de géographie entre les années 1880 et les années 192027. Quatre ouvrages ont été retenus pour cet article. L’« avis » par lequel Dubois ouvre son manuel de 1891 dit l’essentiel de sa posture :

  • 28 Marcel Dubois, C. Martin, Henri Schirmer, Afrique. Asie. Océanie. (Classe de 3e). Paris, Masson, 1 (...)

« Les auteurs de ce volume avaient tout d’abord adopté une rédaction plus brève et plus purement scolaire, consacrant à l’Asie les principaux développements. Puis, sur les conseils d’un grand nombre de maîtres, ils ont revu et complété les chapitres relatifs à l’Afrique. Il leur a paru que la gravité des intérêts français engagés dans cette partie du monde leur imposait l’obligation de fournir aux jeunes gens une étude plus étendue de l’histoire des explorations et de la colonisation africaine. […] On nous pardonnera sans doute d’avoir sacrifié au désir de mettre de bonne heure la jeunesse au courant des questions les plus brûlantes d’intérêt national »28.

  • 29 Marcel Dubois est aussi l’auteur de « La géographie et l’éducation moderne », Revue internationale (...)

12Les convictions de Dubois et le rôle important qu’il assigne à la géographie dans l’éducation29 le poussent à dépasser cette rédaction « purement scolaire » dont il fait état. Il faut entendre par cette formule, sa volonté de rompre avec la forme discursive descriptive, en apparence distanciée et objective, qui était alors celle des ouvrages scolaires. Dubois prend clairement position et interpelle directement les élèves et leurs enseignants :

  • 30 Marcel Dubois, Géographie de la France, Paris, Masson, 1887, p. 314.

« Est-ce le moment de renoncer à l’avenir ? Si nous sommes patients et fermes […] si nous continuons à montrer aux sujets et protégés de toutes races qu’ils deviendront un jour des Français, nos égaux, nos associés dans les œuvres pacifiques comme sur les champs de bataille, nous aurons avant vingt ans une patrie forte et riche de 70 millions d’hommes »30.

13En écho aux débats qui agitent les milieux politiques et savants, il incite à la patience :

  • 31 Ibid.

« Ne jugeons pas notre domaine colonial par les sacrifices qu’il nous impose aujourd’hui. Jamais commerçant sage n’espère gagner beaucoup pendant les années où il agrandit ses magasins, et augmente le nombre de ses employés […] il sait qu’un jour il sera payé au centuple »31.

14Ces ouvrages explicitement militants ne forment pas le lot commun. C’est en général de manière plus discrète que l’idéologie coloniale est diffusée même si son impact est difficile à évaluer.

II. Un regard franco-centré

  • 32 Louis Gallouédec, Fernand Maurette, Nouveau cours de géographie. Géographie de l’Asie, de l’Insuli (...)
  • 33 Louis Gallouédec, Fernand Maurette, Géographie de la France et de ses colonies. Classe de 3e, Pari (...)
  • 34 Louis François, Cours Demangeon. Géographie. La France. Classe de 3e, Paris, Hachette, 1938, p. 20 (...)

15« Dans aucune partie du monde, les fleuves n’ont rendu moins de services pour la pénétration du pays »32. Envisager l’Afrique subsaharienne de cette manière revient à situer le propos au-delà d’un éventuel débat sur la pertinence de la colonisation. La fonction des cours d’eau est déterminée par les besoins de la puissance coloniale. La « pénétration du pays » est une donnée de départ, une donnée intangible et quasi immanente. C’est par rapport à cela qu’est pensée l’organisation des espaces : un fleuve sert à la pénétration d’un pays. Dans le même registre, lorsque Louis Gallouédec et Fernand Maurette, auteurs de très nombreux manuels, notent qu’après quelques incidents, la France « fit reconnaître définitivement ses droits sur le Maroc »33, ils évacuent toute discussion sur la légitimité et la pérennité de l’entreprise. Citons encore Louis François, auteur pour la collection Demangeon, qui parle d’une « mission » de la France vis-à-vis des peuples indigènes34.

  • 35 Roland Barthes, Mythologies, Paris, Éd. du Seuil, 1970.

16La méthode est efficace : ne pas poser une idée comme construite, c’est interdire au lecteur de la prendre comme telle et de la discuter. Ces manières d’exposer le savoir géographique évacuent la question de la colonisation comme possibilité et comme projet. C’est une évidence à partir de laquelle penser les territoires. Et une idéologie gagne en efficacité lorsqu’elle devient une évidence. Telle la parole mythique étudiée par Roland Barthes35, l’idéologie coloniale dans les manuels ne permet pas le doute, elle ne semble pas requérir d’explications ou de justifications. Elle s’impose « naturellement » dans les esprits.

17La géographie des manuels participe de la construction de deux Afrique coloniales que tout oppose : une Afrique du Nord envisagée comme un prolongement de l’Europe et une Afrique subsaharienne attirante par ses richesses potentielles, mais difficilement pénétrable et peu favorable à l’installation durable d’Européens. Cette double construction territoriale est le résultat de points de vue franco-centrés, comme si le continent africain ne pouvait être envisagé que par l’intermédiaire d’un regard porté d’ici sur là-bas.

  • 36 C’est la perspective envisagée par le géographe Augustin Bernard qui s’oppose à celle « algérianis (...)
  • 37 Marcel Dubois, Géographie économique de l’Afrique, l’Asie, l’Océanie et l’Amérique, Paris, Masson, (...)
  • 38 Louis Gallouédec, Franz Schrader, Géographie élémentaire de la France. Classe de troisième, Paris, (...)
  • 39 Pour autant, ce ne sont pas les seules constructions intellectuelles élaborées par des géographes (...)
  • 40 Pierre Foncin, La deuxième année de géographie. La France (primaire supérieur, enseignement spécia (...)
  • 41 Marcel Dubois, Géographie économique de l’Afrique, l’Asie, l’Océanie et l’Amérique, Paris, Masson, (...)
  • 42 André Cholley (dir.), Géographie. Nouveau cours de géographie. Classe de première et préparation a (...)
  • 43 Henri Boucau, Jean Petit, Armand Leyritz, Nouvelle collection Jean Brunhes. Géographie. Classes de (...)
  • 44 Marcel Dubois, C. Martin, Henri Schirmer, Afrique. Asie. Océanie, op. cit.

18Ainsi, le Maghreb est vu à partir d’une perspective « métropolitaine »36. Il est conçu comme « prolongement des pays européens »37 ou « prolongement de la métropole »38. Ce n’est pas une vision propre aux manuels scolaires ; c’est au contraire un topos inlassablement repris par tous les promoteurs de l’entreprise coloniale39. Il conduit, dans le cadre scolaire comme à l’extérieur, à la notion de « France africaine »40 ou d’« Afrique méditerranéenne »41. Cette idée est étayée par la proximité et par la ressemblance du climat, du relief, des paysages et des populations : « La plupart sont des blancs qui ressemblent aux autres blancs de la Méditerranée »42. Certains auteurs envisagent même une continuité par l’histoire puisque « la France a repris la mission pacificatrice de Rome »43. Si la partie nord de l’Afrique prolonge sans discontinuité l’Europe, il est alors jugé naturel que les populations européennes s’y déploient et y transposent leurs modes de mise en valeur de l’espace. Cette apparente logique fait sens dans un contexte où d’une part la terre est considérée comme vacante ou médiocrement mise en valeur, et où d’autre part les populations autochtones sont à civiliser. En établissant cette continuité, on signifie aussi que là-bas, c’est comme « chez nous » – une expression récurrente dans les ouvrages scolaires – donc potentiellement « chez nous ». Ces espaces peuvent être peuplés d’où la notion de colonie de peuplement, c’est-à-dire de pays « où se déversera le trop-plein de la population européenne »44.

  • 45 Louis François, Cours Demangeon. Géographie. La France, op. cit., p. 72.
  • 46 Ibid.
  • 47 André Cholley (dir.), Nouveau cours de géographie. Le monde (moins l’Europe, l’Asie Russe, la Fran (...)

19À l’inverse, le discours sur l’Afrique subsaharienne, plus encore équatoriale pour ce qui concerne les colonies françaises, insiste sur l’idée de rupture. Le « continent noir » est perçu de l’extérieur et toujours du point de vue exclusif du colonisateur ; il est appréhendé par l’intermédiaire de sa difficile accessibilité puis par les problèmes liés à son exploration. Il y a d’abord en arrivant par la mer « la barre infranchissable »45 puis une fois à terre « des montagnes qui barrent l’accès de l’intérieur »46. Il faut ensuite affronter la forêt et des climats « peu hospitaliers »47. Ici aussi, l’évidence l’emporte puisqu’il semble inutile à la plupart des auteurs de préciser pour qui ces climats sont jugés peu hospitaliers.

  • 48 Louis Bougier, Géographie de l’Afrique, de l’Asie et de l’Océanie. (Classe de 3e), Paris, Alcan, 1 (...)
  • 49 Louis François, Cours Demangeon. Géographie. La France, op. cit., p. 79. C’est moi qui souligne.

20On note cependant dans un autre manuel, celui de Louis Bougier que « le sol africain recèle d’innombrables germes de maladies mortelles pour l’Européen »48 et dans celui de Louis François que « le séjour sur les hauts plateaux est agréable pour les blancs que la chaleur continuelle des autres régions prédispose aux maladies »49. Parler des Européens ou des « blancs » dans leurs relations avec les milieux tropicaux et équatoriaux africains, c’est envisager, sans la nommer pour autant, une possible altérité. Cette précision affaiblit quelque peu l’évidence du propos en laissant entendre que l’autre peut exister avec un autre vécu de ce qui l’environne. Mais elle reste rare et dans tous les cas cet autre est infériorisé.

21Le discours sur la forêt dense véhicule des clichés qui témoignent du même franco-centrisme. Dans ce cas, les savoirs géographiques objectivés – que l’on pourrait attendre d’un ouvrage scolaire – sont évacués au profit des perceptions d’Européens confrontés à ce milieu. La forêt des manuels est sombre, impénétrable, inquiétante, étouffante, malsaine ou encore bizarre. Dans l’ouvrage rédigé par Louis François, le regard franco-centré est mis en scène avec un « Voyage à travers l’Afrique occidentale » proposé aux élèves :

  • 50 Ibid., p. 235-241.

« On marche en file indienne sur un sentier envahi par les racines, les lianes, les herbes coupantes qui, au moindre contact, laissent sur la peau une estafilade où le sang perle et la sueur cuit ; parfois un arbre abattu a entraîné avec lui un énorme lacis de lianes tendues comme des cordages ; on le franchit en grimpant avec les mains et les genoux, ou on passe par-dessous, en se traînant sur un sol spongieux de plantes pourrissantes »50.

  • 51 L’articulation entre explorations et colonisations, longtemps naturalisée, est discutée notamment (...)
  • 52 En particulier : Henry Morton Stanley, À travers le continent mystérieux, Paris, Hachette, 1879.
  • 53 Fernand Maurette, Afrique équatoriale, orientale et australe, in Paul Vidal de la Blache, Lucien G (...)
  • 54 C’est ce que montre David Bédouret qui sur des objets proches pour certains donne une suite à mon (...)

22Pour les auteurs des manuels de géographie, en Afrique subsaharienne, l’exploration apparaît comme le fondement de l’exploitation51. Le « voyage » s’apparente aux expéditions qui ont révélé aux Occidentaux les aspects les plus spectaculaires de la forêt dense. Ce sont les relations de voyage de Stanley, au cours des années 1870 dans le bassin du Congo52, qui constituent la référence quasi exclusive des savoirs scolaires comme des savoirs scientifiques sur la question. Ainsi, Fernand Maurette n’en fait pas mystère dans le volume de la Géographie universelle consacré notamment à l’Afrique équatoriale : « on reprendra ici cette description [celle de Stanley] »53. Et du Congo, région explorée par Stanley, les topoi relatifs aux forêts sont étendus à toute l’Afrique équatoriale. Ils le sont sur la durée : nombre de clichés relatifs au milieu (plus qu’aux hommes) perdurent jusqu’aux années 198054.

23C’est donc un autre modèle de mise en valeur coloniale pour un autre type d’espace qui est proposé pour l’Afrique subsaharienne : celui de la colonie d’exploitation. Les difficultés d’installation pérenne des Européens imposent des séjours brefs et le recours à la main-d’œuvre locale. De l’Afrique du Nord à l’Afrique équatoriale, ce sont deux manières d’occuper l’espace que la géographie des manuels scolaires élabore souvent en convergence avec les savoirs scientifiques. Chacune est déterminée par sa distance à la France métropolitaine et par les caractéristiques du milieu. Leur mise en discours repose d’une part sur un point de vue situé, à partir de la métropole, auquel les élèves peuvent s’identifier, d’autre part sur des formes de naturalisation qui confèrent à ces deux régions une « vocation » au sein de l’ensemble des colonies françaises.

III. L’essentialisation des indigènes

  • 55 Cette essentialisation n’est pas réservée aux indigènes ; c’est un discours récurrent et simplific (...)
  • 56 Voir par exemple pour ce qui concerne la production littéraire : Edward Said, L’Orientalisme. L’Or (...)
  • 57 Pascal Clerc, « La géographie française et les indigènes. Le cas de l’Afrique du Nord à travers le (...)

24Les manières d’envisager les indigènes des colonies sont essentialistes55. Les populations sont soigneusement distinguées en races et en types, et réduites à quelques traits de caractère jugés communs à l’ensemble d’une catégorie. Ces manières de faire sont bien connues et le discours scolaire est loin d’en avoir l’apanage56. Elles permettent de construire l’indigène comme quelqu’un de différent, comme le double négatif de l’Européen, tantôt irréductible à notre forme de civilisation, tantôt éducable (mais dans certaines limites : aller trop loin, c’est préparer l’indépendance). Ainsi, dans les manuels scolaires, comme dans la littérature populaire et savante57, les Noirs sont de grands enfants, les Arabes fanatiques et cruels ou les Asiatiques laborieux.

  • 58 Charles-Robert Ageron, « Du mythe kabyle aux politiques berbères », in Le mal de voir. Cahier Juss (...)
  • 59 La plupart des géographes ne se départissent pas d’une méfiance vis-à-vis des nomades qui doit plu (...)

25Prenons l’exemple de l’opposition entre Arabes et Berbères, très présente dans les manuels scolaires. Avant de la décrire, on peut en envisager les finalités. Charles-Robert Ageron a appelé « mythe berbère » (ou de manière plus resserrée « mythe kabyle »)58 cette manière d’essentialiser positivement une partie de la population de l’Afrique du Nord, et corrélativement, de manière plus ou moins explicite, d’essentialiser négativement les Arabes. Cette opposition a une fonction politique : s’appuyer sur les Berbères (diviser pour mieux régner) pour asseoir la présence française. C’est pour cette raison qu’ils sont distingués des Arabes, jugés inassimilables et porteurs de toutes les tares. Pour renforcer le propos, le nomadisme présumé de ces derniers, suspect, aux yeux notamment des géographes59 est opposé à la rassurante sédentarité des Berbères. Ici, comme dans toute construction mythique, la question de la pertinence du propos est éludée au profit d’un discours naturalisant en forme d’évidence. Le mythe est efficacement diffusé en France à partir des années 1860 puis, selon Ageron, inlassablement reproduit entre 1871 et 1891. Il régresse ensuite, est parfois dénoncé, mais sans disparaître totalement.

  • 60 Marcel Dubois, C. Martin, Henri Schirmer, Afrique. Asie. Océanie, op. cit., p. 37.
  • 61 Louis Gallouédec, Franz Schrader, Géographie élémentaire de la France, op. cit., p. 223.
  • 62 Louis Bougier, Géographie de l’Afrique, de l’Asie et de l’Océanie. (Classe de 3e), Paris, Alcan, 1 (...)
  • 63 Louis Gallouédec, Fernand Maurette, Géographie de la France et de ses colonies, op. cit., p. 273.
  • 64 André Cholley (dir.), Géographie. Nouveau cours de géographie, op. cit., p. 437.
  • 65 Marcel Dubois, C. Martin, Henri Schirmer, Afrique. Asie. Océanie, op. cit., p. 13.

26Dans les manuels, la temporalité est différente. Le « mythe berbère » est massivement repris depuis l’ouvrage de Levasseur de 1873 et persiste jusqu’aux années 1950. Seul Jean Dresch – nous y reviendrons – reste silencieux sur ce point et s’abstient d’essentialiser Arabes et Berbères. Ailleurs un discours unique et sans nuances est reproduit sans relâche. Il y a deux types de populations indigènes en Afrique du Nord, c’est un fait. Ce sont deux « races absolument différentes »60, « il faut se garder de confondre entre eux les Kabyles et les Arabes »61. Les uns, les Berbères (et plus particulièrement les Kabyles) ont toutes les qualités ; les autres, les Arabes, ont tous les défauts. Les Berbères sont « laborieux et économes »62, « actifs, industrieux »63, « sobres et âpres au gain »64. D’ailleurs, ils « ressemblent physiquement aux Espagnols, aux Français du Midi, aux Italiens… »65. En contrepoint, les Arabes sont décrits tantôt comme fanatiques et cruels, tantôt comme indolents, paresseux, rêveurs, lents, mous, tristes ou encore fatalistes.

  • 66 Augustin Bernard (1865-1947) spécialiste de l’Afrique du Nord et de la colonisation écrit de nombr (...)
  • 67 Pascal Clerc, La culture scolaire en géographie, op. cit.

27Si, relativement au « mythe berbère », on peut rapprocher le discours des manuels scolaires de celui de la presse populaire, les relations avec le discours savant sont plus ambivalentes, entre décalages temporels et reprises partielles. Le propos nuancé d’Augustin Bernard qui analyse finement la correspondance entre les diptyques Arabes/Berbères et nomades/sédentaires tout en refusant l’essentialisation sans nuances des uns et des autres66, ne passe pas dans les ouvrages scolaires où la nécessaire simplification peut conduire à la caricature. La référence scientifique de la culture scolaire en géographie est celle du courant dominant – l’opposition simpliste entre Arabes et Berbères – qui d’ailleurs persiste même au sein des Annales de géographie parallèlement aux travaux de Bernard. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner de la constance d’un discours réducteur dans les manuels. Même lorsque, dans les années 1930, le regard sur les indigènes évolue dans le contexte d’émergence de revendications nationales, Berbères et Arabes conservent leur statut dans la culture scolaire en géographie. La réduction de la complexité à des essences et les constructions discursives binaires – qui à toutes les époques et sur tous les sujets sont un schème discursif structurant des manuels de géographie67 – résistent aux savoirs plus élaborés. Sur la durée, les manuels semblent pouvoir fixer des lieux communs sélectionnés au sein des savoirs savants qui résistent un temps aux réévaluations scientifiques, avant de s’effondrer brutalement.

IV. Des pratiques agricoles « archaïques »

28Le travail de la terre par les indigènes permet de repérer d’autres topoi et d’autres modes de relation avec les savoirs scientifiques. La plupart des auteurs de manuels scolaires mentionnent la paresse viscérale des indigènes à laquelle fait parfois écho la prodigalité de la nature tropicale ou équatoriale. En Afrique subsaharienne, les cultivateurs défrichent grossièrement quelques arpents de forêt, dispersent au vent diverses graines, récoltent ce que la terre veut bien leur donner, avant d’aller plus loin répéter l’opération. Au Maghreb, ils « grattent », « égratignent » (des verbes que l’on trouve dans un très grand nombre d’ouvrages) la terre de manière superficielle avec leur outillage rudimentaire.

  • 68 André Cholley (dir.), Géographie. Nouveau cours de géographie, op. cit., p. 426.

29Pratiquement tous les manuels de la période reprennent les mêmes idées, avec parfois des expressions et des mots identiques : « Les procédés de culture sont primitifs. Les agriculteurs utilisent le vieil araire, petite charrue qui gratte seulement le sol. Ils contournent les touffes de doum et de jujubier et n’apportent aucun soin à la terre entre le labour et la récolte. La jachère nue est de règle une année sur deux »68.

  • 69 Louis Gallouédec, Fernand Maurette, Géographie de la France et de ses colonies, op. cit., p. 286.
  • 70 Alain Ruscio, Le credo de l’homme blanc. Regards coloniaux français XIXe-XXe siècles, Paris, Compl (...)
  • 71 Albert Demangeon, André Perpillou, Cours Demangeon. Le monde moins l’Europe (classe de 5e), Paris, (...)

30Dans une nouvelle construction binaire, ces procédés sont opposés à la supériorité, et donc à la nécessité, des méthodes culturales européennes : « En haut [il s’agit du commentaire de deux photos], le labourage avec l’ancienne charrue indigène, simple soc de bois que traîne un petit âne, et qui égratigne le sol plutôt qu’il ne le fend. En bas, le labourage actuel qui se fait avec la charrue européenne et donne des labours profonds »69. Sur le même registre, Alain Ruscio cite un manuel scolaire de 1901 où sont comparés « notre sillon droit, régulier et profond [et] le sillon tortueux, à fleur de terre, de l’Arabe »70. Notons au passage, l’absence de distance, la possibilité d’identification et toujours le point de vue situé avec l’adjectif possessif « notre ». Au-delà de la description de pratiques agricoles, le choix des termes participe d’un propos dépréciatif. Dans l’exemple qui suit, sont mises en exergue la dimension rudimentaire des pratiques et la paresse des indigènes : « Ils labourent avec une petite charrue munie d’une simple lame de fer pour gratter le sol ; ils attellent souvent ensemble un bœuf et un âne ; au lieu d’arracher les touffes de buisson qui poussent dans leur champ, ils se bornent à les contourner en traçant leurs sillons ; après les semailles, ils laissent les mauvaises herbes envahir le champ »71. La construction binaire suscite la comparaison et la hiérarchisation des pratiques et des hommes ; les pratiques indigènes sont mauvaises et doivent être remplacées par des pratiques européennes justifiant ainsi de nouveau, et sans l’exprimer vraiment, la légitimité de la colonisation.

  • 72 Pascal Clerc, « Les formes de la domination : paysages ruraux de l’Afrique du Nord colonisée », Ma (...)
  • 73 Émile Levasseur, Les découvertes récentes de l’Afrique. Soirées littéraires et scientifiques de la (...)

31La droite et la courbe (comme la superficialité et la profondeur) contribuent à cette comparaison qui hiérarchise dans la mesure où elles sont associées à des valeurs. Ces valeurs dépassent le cadre de l’agriculture et des questions coloniales – la droite, c’est aussi la droiture – mais, mobilisées dans ce contexte, elles sont très signifiantes. Dans l’iconographie et les textes scolaires et savants sur l’agriculture dans les colonies, au Maghreb en particulier, les lignes et les formes droites ou courbes sont des signifiants extrêmement puissants. Ils opposent la maîtrise du milieu, le contrôle du territoire, l’ordre colonial géométrique et l’efficacité de la mise en valeur d’une part, à un milieu subi, non maîtrisé, à des pratiques culturales aléatoires peu performantes d’autre part72. Derrière ces mots et cette démonstration éclatante de l’écart entre le « monde civilisé » et celui des « primitifs », il y a une valeur cardinale, celle du travail, que glorifiait déjà Émile Levasseur en 1865 : « La majeure partie du pays [ici l’Afrique en général] reste inculte, parce que l’homme ne sait pas et surtout ne veut pas le cultiver »73.

  • 74 Pierre Gourou, Les pays tropicaux : principes d’une géographie humaine et économique, Paris, Press (...)

32Pourtant ce regard condescendant et méprisant sur des pratiques jugées archaïques est empreint d’ignorance. Les sols d’Afrique ne sont pas les mêmes que ceux d’Europe. Dans Les pays tropicaux (1948), Pierre Gourou fait état d’un débat qui éclaire sous un angle nouveau le topos présenté plus haut : « L’usage de la charrue inspire à de nombreux spécialistes de sérieuses inquiétudes. Non seulement les sols tropicaux n’ont pas besoin de labours profonds mais ils les redoutent car seule la couche très superficielle a une valeur agricole. La charrue, si elle est maladroitement maniée, risque par ses sillons de déchaîner l’érosion »74. Deux remarques peuvent être faites ici. La première concerne la prégnance dans les manuels de propos démentis dans les travaux scientifiques : les réserves de Gourou puis d’autres géographes et d’agronomes n’empêchent pas les auteurs de manuels d’entretenir l’idée de pratiques agricoles archaïques alors qu’elles sont adaptées au milieu. On retrouve le fonctionnement déjà évoqué pour le « mythe berbère » : installation du cliché dans la culture scolaire en cohérence avec les travaux scientifiques, évolution scientifique mais résistance du propos dans les manuels avant une disparition généralement brutale lorsque ce cliché est disqualifié de manière trop évidente.

33La seconde remarque renvoie à l’ethnocentrisme quasi ontologique des manuels scolaires de géographie, qui révèle une incapacité à penser l’autre dans sa différence, dans ses spécificités. Ici, cet ethnocentrisme interdit d’accorder le moindre crédit aux pratiques culturales indigènes.

  • 75 Cet exemple est pris à dessein. David Bédouret, L’Afrique rurale des manuels, op. cit. mentionne c (...)
  • 76 François Julien, L’écart et l’entre. Leçon inaugurale de la Chaire sur l’altérité, Paris, Galilée, (...)
  • 77 Ibid., p. 33.

34La plupart des constructions discursives par couples de contraires peuvent être lues ainsi. Bien sûr, même sur un mode binaire comme les auteurs de manuels semblent l’affectionner, comparer est une manière de mesurer la diversité du monde. Mais, mettre en vis-à-vis des discours textuels ou iconiques dans cette perspective ne peut se faire sans précaution. Ainsi, comparer un paysage d’agriculture très mécanisée à celui d’une petite agriculture vivrière75 place au même niveau (avant de les hiérarchiser), dans le même « monde », deux altérités qui ne prennent sens que dans leur contexte propre. Ainsi, le labour à l’araire serait le témoin d’un archaïsme, évalué à l’aune de notre modèle de civilisation, qu’il s’agit de dénoncer ou de réduire ; pas forcément de comprendre. Procédant ainsi, la comparaison qui met en exergue des différences devient hiérarchisation. Pour le philosophe François Jullien « la différence est un concept de rangement »76. Il lui préfère l’écart qui permet « un dévisagement réciproque de l’un par l’autre »77, une forme de mise à distance, et de mise en relation, de deux manières d’être dans le monde qui ne peuvent être étudiées et comprises que si elles sont pensées dans leurs spécificités.

V. Un discours critique dans certains ouvrages

  • 78 Pour Florence Deprest, Élisée Reclus et l’Algérie colonisée, Paris, Belin, 2012, comme pour Federi (...)
  • 79 André Cholley (1886-1968) a rayonné sur la géographie française de la fin des années 1920 aux anné (...)
  • 80 André Cholley (dir.), Géographie. Nouveau cours de géographie, op. cit., p. 418.

35Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, l’idéologie coloniale est peu contestée, particulièrement dans le monde des géographes, en dépit des positions nuancées de la figure qu’est Élisée Reclus78. Elle atteint son acmé dans les années 1930 et se manifeste notamment avec l’Exposition coloniale internationale de 1931 à Paris et ses 34 millions de visiteurs. Les voix discordantes sont rares et peu audibles dans ce contexte. Ce sont celles des nationalistes indigènes et, en métropole, essentiellement celles d’intellectuels parfois membres du Parti communiste français (PCF). C’est dans cette période que l’équipe de géographes dirigée par André Cholley79 publie ses premiers ouvrages. Trois d’entre eux ont été analysés ici. Comme l’avait déjà remarqué Manuela Semidei, ces manuels détonnent au sein d’un corpus univoque en critiquant, parfois violemment, certains aspects de la colonisation. Dans le manuel publié en 1936, on lit que « notre contact risque de briser des genres de vie anciens, de ruiner des habitudes sociales qui étaient le soutien des sociétés primitives »80 puis, quelques pages plus loin, que

  • 81 Cette parenthèse disparaît dans l’édition de 1951.
  • 82 André Cholley (dir.), Géographie. Nouveau cours de géographie, op. cit., p. 428.

« L’intervention européenne a réduit l’étendue des terres cultivables et des parcours tout en augmentant les besoins. Le marché intérieur est désormais subordonné au marché international. L’agriculteur vend mal les produits de son agriculture et de son élevage, dont la qualité laisse à désirer. Les uns empruntent souvent à des taux usuraires, et de sourdes colères s’élèvent parfois contre les manieurs d’argent (Juifs surtout)81. Les autres émigrent vers la ville où ils s’entassent souvent dans des faubourgs misérables (bidonvilles) et jusque dans la métropole »82.

  • 83 Ibid., p. 418.
  • 84 André Cholley, (dir.), Géographie. Classe de troisième. La France et l’Union française, Paris, Bai (...)

36Dans ces conditions, les « aspirations nationales »83 ou les « aspirations politiques indigènes »84 semblent compréhensibles, voire légitimes.

  • 85 Pour un regard sur les travaux de géographie sociale et économique de Dresch, voir Jean Dresch, Un (...)

37Ces propos étonnants s’éclairent à la lumière des engagements du principal rédacteur des chapitres consacrés à l’Afrique coloniale : Jean Dresch (1905-1994). Si ce géographe a consacré la plus grande partie de ses travaux à la géomorphologie, son œuvre dans le domaine de la géographie humaine n’est pas négligeable, en particulier au Maroc et en Afrique subsaharienne, tout comme ses travaux de géographie économique qui dénoncent l’exploitation des pays les plus pauvres85. Dresch découvre le Maroc en 1928 dans le cadre de ses études de géographie ; il y revient en 1931 lorsqu’il est nommé professeur au collège musulman de Rabat. C’est dans ces conditions que se forgent ses convictions relatives à la colonisation et qu’il rejoint le PCF. Dans L’Espoir, le journal des communistes du Maroc, il s’indigne de la situation faite aux indigènes. Les titres de ses articles de 1938 sont éloquents : « Misère marocaine », « Il faut lutter contre la misère », « Une tribu victime de la colonisation » ou encore « La colonisation n’enrichit pas les travailleurs marocains ». Ces thématiques ne diffèrent guère des paragraphes qu’il livre dans les manuels.

  • 86 Yves Lacoste, La géographie, ça sert d’abord à faire la guerre, Paris, Maspero, 1976.

38Après les propos très militants de Marcel Dubois dans un manuel de 1891, les chapitres écrits par Jean Dresch dans des manuels de 1936 et 1951 – et dans une perspective radicalement opposée – sont donc un nouveau motif d’étonnement. Dans les deux cas, des auteurs de manuels scolaires prennent position, s’engagent, qui plus est plutôt à rebours des idées dominantes de l’époque. Dubois plaide pour la colonisation de manière très directe en interpellant les lecteurs alors même que les intérêts de l’entreprise coloniale sont discutés ; Jean Dresch critique la colonisation et ses conséquences et ne fait pas mystère de la pertinence des aspirations indépendantistes dans un contexte où probablement plus que jamais l’essentiel de la population française soutient la cause coloniale. La géographie scolaire n’aurait-elle pas toujours été cette discipline « bonasse », molle et sans relief, que présentait Yves Lacoste en 197686 ? Sans se placer sur le terrain de la remise en cause de cette interprétation, qui dépasse le cadre des manuels et de leur analyse, il semble néanmoins possible de s’appuyer sur ces deux exemples pour montrer que les manuels du premier XXsiècle étaient sans doute moins sous contrôle que les ouvrages contemporains.

39Entre le poids d’enjeux financiers considérables et la surveillance permanente de lobbies, les éditeurs de manuels s’autorisent sans doute aujourd’hui moins qu’hier à développer des postures idéologiques engagées dans les ouvrages qu’ils publient

*

40Par des textes, des photographies, des cartes, des graphiques, des caricatures…, les manuels scolaires participent à la production de représentations du monde et à l’élaboration d’une culture scolaire qui, selon les périodes, peut peser plus ou moins lourdement sur le système de représentations des individus. Ces ouvrages sont politiques, de tout temps, au sens où ces représentations sont aussi un positionnement par rapport aux idéologies. Analyser comme je viens de le faire des manuels qui traitent du contemporain d’une autre époque et véhiculent des idées largement contestées aujourd’hui, convainc aisément de cette dimension politique et de cet engagement au service d’une idéologie. C’est parce qu’environ un siècle est passé et que certains propos sur les populations des territoires colonisés par la France nous choquent, que l’on peut constater que les livres scolaires portent un discours et ne sont pas le reflet neutre et objectif – si cela était possible – du monde.

  • 87 Hors quelques hommes politiques sans doute nostalgiques d’une époque révolue qui en 2005, rappelon (...)
  • 88 Mais pas moins opérante comme le montre Caroline Leininger-Frézal à propos du catastrophisme dans (...)

41Mais interrogeons-nous sur les manuels de géographie contemporains. Il n’est plus aujourd’hui question de défendre la colonisation87 dans un manuel scolaire mais d’autres systèmes d’idées, dans les domaines économique, social, géopolitique ou environnemental peuvent y être identifiés. Pour autant, la dimension idéologique de ces systèmes est moins visible88. D’une part en raison des formes discursives en œuvre dans les manuels, formes discursives qui ont tendance à lisser le discours pour le rendre acceptable par tous à travers des procédures de déproblématisation, dépolitisation et dépersonnalisation ; d’autre part car ces systèmes d’idées sont aussi ceux qui dominent, et qui sont largement acceptés comme allant de soi. Par conséquent, le regard critique sur les manuels ne relève pas de l’évidence. Si on y ajoute leur rôle central dans la production de la culture scolaire – pour les enseignants comme pour les élèves –, on comprend pourquoi un travail de déconstruction et d’analyse des discours produits dans ces manuels est un enjeu majeur de la formation des enseignants.

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Notes

1 Paul Gauguin cité par Jean-François Staszak, Géographies de Gauguin, Paris, Bréal, 2003, p. 107.

2 Marcel Dubois, Géographie économique de l’Afrique, l’Asie, l’Océanie et l’Amérique, Paris, Masson, 1889, p. 453.

3 Henri Boucau, Jean Petit, Armand Leyritz, Nouvelle collection Jean Brunhes. Géographie. Classes de troisièmes classique et moderne. La France métropolitaine et l’Union française, Paris, Hatier, 1948, p. 512.

4 Ibid.

5 Pour un regard global sur la question, voir Carole Reynaud-Paligot, La République raciale 1860-1930, Paris, Presses universitaires de France, 2006.

6 Pascal Clerc, La culture scolaire en géographie. Le monde dans la classe, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002.

7 L’expression « géographie coloniale » apparaît peut-être au milieu des années 1880. J’ai identifié une occurrence en 1885 dans un texte relatif à la Nouvelle-Calédonie mais c’est surtout à partir de la création en 1886 de la chaire de « géographie coloniale » de l’École libre des sciences politiques que l’expression se diffuse. Elle est ensuite fréquemment reprise en particulier pour désigner des enseignements : Pascal Clerc, Les espaces du géographique. Acteurs locaux et savoirs coloniaux à Lyon des années 1850 à l’entre-deux-guerres, mémoire d’habilitation à diriger des recherches (non publié), université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

8 Raoul Girardet, L’idée coloniale en France de 1871 à 1962, Paris, Hachette, 1972.

9 Voir notamment Laurence de Cock, Emmanuelle Picard, La fabrique scolaire de l’histoire, Marseille, Agone, 2009.

10 David Bédouret, L’Afrique rurale des manuels scolaires de géographie : sortir de l’exotisme, Toulouse, Presses universitaires du Midi, 2019, p. 11.

11 Pascal Clerc, « Savoirs géographiques et géographie scolaire au regard de la question coloniale (1863-1914) », in Gilles Boyer, Pascal Clerc, Michelle Zancarini-Fournel (dir.), L’école aux colonies, les colonies à l’École, Lyon, ENS Éditions, 2013, p. 13-37.

12 Pierre Singaravélou, Professer l’Empire. Les « sciences coloniales » en France sous la IIIe République, Paris, Publications de la Sorbonne, 2011.

13 Cette thèse est défendue par Olivier Soubeyran dans différents textes des années 1990, notamment « La géographie coloniale au risque de la modernité », in Michel Bruneau, Daniel Dory (dir.), Géographie des colonisations. XVe-XX  siècles, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 19-213.

14 C’est ce que je montre notamment à travers l’étude de la principale revue de géographie française, les Annales de géographie, entre 1895 et 1919. Nombre de textes font référence aux territoires colonisés et il n’y a guère de doutes exprimés sur la légitimité et les bienfaits de la colonisation. La géographie vidalienne, dont les Annales de géographie sont une des vitrines, associe savoirs engagés relativement à la colonisation et démarche scientifique. Voir Pascal Clerc, « Les Annales de géographie (1895-1919). Une chronique de la colonisation en marche », in Jacobo Garcia Alvarez, João Carlos Garcia, Historia da Geografia e colonialismo, Lisbonne, Centre des études géographiques de l'université de Lisbonne/Commission de l'UGI sur l'histoire de la géographie, 2014, p. 63-76. On peut aussi prendre comme référence les chaires de « géographie coloniale », nombreuses en France jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.

15 Le choix de ce niveau d’enseignement est lié à des proximités supposées fortes avec le savoir savant (auteurs universitaires, textes assez développés) et à même de faciliter les comparaisons et d’analyser les circulations des savoirs plus aisément. Une étude resterait à mener à propos des manuels des enseignements primaire et primaire supérieur.

16 Manuela Semidei, « De l’empire à la décolonisation à travers les manuels scolaires », Revue française de science politique, vol. 16, no 1, 1966, p. 86.

17 Sandrine Lemaire, « Colonisation et immigration : des "points aveugles" de l’histoire à l’école ? », in Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Sandrine Lemaire (dir.), La fracture coloniale : La société française au prisme de l’héritage colonial, Paris, La Découverte, 2005, p. 95.

18 Ibid.

19 Pascal Clerc, La culture scolaire en géographie, op. cit.

20 Ce qui peut être, comme en Polynésie, une manière extrêmement édulcorée et incomplète de rendre compte d’une tragédie : en raison du contact culturel et du choc bactériologique, la population de Tahiti est passée de 70 000 habitants au début du XVIIIe siècle, avant les premiers contacts avec les Européens, à environ 6 300 en 1857.

21 Marcel Dubois, Géographie de la France, Paris, Masson, 1887, p. 277.

22 Marcel Dubois, Géographie économique de l’Afrique, l’Asie, l’Océanie et l’Amérique, Paris, Masson, 1889, p. 233.

23 Voir notamment Pascal Clerc, « Émile Levasseur, un libéral en géographie », L’Espace géographique, no 1, 2007, p. 79-92.

24 Voir notamment Pascal Clerc, « Des connaissances pour l’action. La géographie coloniale de Marcel Dubois et Maurice Zimmermann », in Ségolène Débarre (dir.), « Géographies entre France et Allemagne. Acteurs, notions et pratiques (fin XIXsiècle-milieu XXsiècle) », Revue germanique internationale, no 20, 2014, p. 135-146, ainsi que Nicolas Ginsburger, « La Belle Époque d’un géographe colonial : Marcel Dubois, universitaire et figure publique, entre Affaire Dreyfus et Entente cordiale (1894-1905) », Cybergeo, 2018, [en ligne] <http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cybergeo/29138> (consulté le 15 février 2021).

25 Les programmes antérieurs pour les classes de quatrième ou de troisième traitent de « la France » sans autre précision ; en 1902, il est demandé d’étudier « la France et ses colonies » ; pour les auteurs de manuels comme pour ceux des instructions officielles, c’est environ un tiers du temps scolaire qui peut être consacré aux colonies. Sur le contexte de la réforme de 1902 pour ce qui concerne la géographie, voir notamment le chapitre rédigé par Marie-Claire Robic, « L’enseignement de l’histoire-géographie dans les stratégies des géographes universitaires et le dénouement de l’année 1905 », in Hélène Gispert, Nicole Hulin, Marie-Claire Robic (dir.), Science et enseignement. L’exemple de la grande réforme des programmes du lycée au début du XXe siècle, Paris-Lyon, Vuibert/INRP, 2007, p. 251-268.

26 Voir aussi Pascal Clerc, « Savoirs géographiques et géographie scolaire au regard de la question coloniale (1863-1914) »,art. cit.

27 Source : base de données Emmanuelle (Bibliothèque Diderot, Lyon), [en ligne] <http://emmanuelle.bibliotheque-diderot.fr/web/> (consulté le 22 janvier 2021).

28 Marcel Dubois, C. Martin, Henri Schirmer, Afrique. Asie. Océanie. (Classe de 3e). Paris, Masson, 1891. C’est moi qui souligne.

29 Marcel Dubois est aussi l’auteur de « La géographie et l’éducation moderne », Revue internationale de l’enseignement, t. 35, 1889, p. 233-243.

30 Marcel Dubois, Géographie de la France, Paris, Masson, 1887, p. 314.

31 Ibid.

32 Louis Gallouédec, Fernand Maurette, Nouveau cours de géographie. Géographie de l’Asie, de l’Insulinde et de l’Afrique. Classe de 5e, Paris, Hachette, 1924, p. 189.

33 Louis Gallouédec, Fernand Maurette, Géographie de la France et de ses colonies. Classe de 3e, Paris, Hachette, 1922, p. 282.

34 Louis François, Cours Demangeon. Géographie. La France. Classe de 3e, Paris, Hachette, 1938, p. 207. Sur Louis François (1904-2002), professeur d’histoire-géographie, inspecteur général et pédagogue, voir Jean-Pierre Chevalier, « Écrire et enseigner la géographie scolaire », in Jean-Paul Martin, Nicolas Palluau, Louis François et les frontières scolaires. Itinéraire pédagogique d’un inspecteur général (1904-2002), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 47-57. Auteur de nombreux manuels scolaires de géographie du primaire et du secondaire, François avait notamment la responsabilité des ouvrages pour les classes de quatrième et troisième de la collection Demangeon puis, après le décès de ce dernier en 1940, de ceux des classes de première.

35 Roland Barthes, Mythologies, Paris, Éd. du Seuil, 1970.

36 C’est la perspective envisagée par le géographe Augustin Bernard qui s’oppose à celle « algérianiste » d’un autre géographe, Émile-Félix Gautier. Voir Florence Deprest, « Découper le Maghreb : deux géographies coloniales antagonistes (1902-1937) », Mappemonde, no 91, 2008.

37 Marcel Dubois, Géographie économique de l’Afrique, l’Asie, l’Océanie et l’Amérique, Paris, Masson, 1889, p. 234.

38 Louis Gallouédec, Franz Schrader, Géographie élémentaire de la France. Classe de troisième, Paris, Hachette, 1907, p. 222.

39 Pour autant, ce ne sont pas les seules constructions intellectuelles élaborées par des géographes autour du monde méditerranéen. La mer Méditerranée comme séparation ou espace de relations (pour Conrad Malte-Brun, Élisée Reclus et Jules Sion) est au cœur de l’article de Florence Deprest, « L’invention géographique de la Méditerranée : éléments de réflexion », L’Espace géographique, no 1, 2002, p. 73-92.

40 Pierre Foncin, La deuxième année de géographie. La France (primaire supérieur, enseignement spécial et enseignement secondaire des jeunes filles), Paris, Colin, 1880, p. 30.

41 Marcel Dubois, Géographie économique de l’Afrique, l’Asie, l’Océanie et l’Amérique, Paris, Masson, 1889, p. 20.

42 André Cholley (dir.), Géographie. Nouveau cours de géographie. Classe de première et préparation aux grandes écoles. La France. Métropole et colonies, Paris, Baillière, 1936, p. 425.

43 Henri Boucau, Jean Petit, Armand Leyritz, Nouvelle collection Jean Brunhes. Géographie. Classes de troisièmes classique et moderne. La France métropolitaine et l’Union française, Paris, Hatier, 1948, p. 234.

44 Marcel Dubois, C. Martin, Henri Schirmer, Afrique. Asie. Océanie, op. cit.

45 Louis François, Cours Demangeon. Géographie. La France, op. cit., p. 72.

46 Ibid.

47 André Cholley (dir.), Nouveau cours de géographie. Le monde (moins l’Europe, l’Asie Russe, la France et les colonies françaises) Amérique, Afrique, Asie, Insulinde et Océanie. Classe de 5e, Paris, Baillière, 1938, p. 138.

48 Louis Bougier, Géographie de l’Afrique, de l’Asie et de l’Océanie. (Classe de 3e), Paris, Alcan, 1891, p. 53. C’est moi qui souligne.

49 Louis François, Cours Demangeon. Géographie. La France, op. cit., p. 79. C’est moi qui souligne.

50 Ibid., p. 235-241.

51 L’articulation entre explorations et colonisations, longtemps naturalisée, est discutée notamment par Isabelle Surun qui y voit une construction récente ayant comme conséquence de finaliser l’exploration par le projet impérial, et de la réduire ainsi à cette unique dimension. Deux pratiques successives sur le même espace ne signifient pourtant pas forcément l’existence d’une continuité de projet entre elles. Ayant étudié de nombreux voyages d’exploration, Surun montre d’une part que tous ne sont pas saisissables à travers le filtre colonial, d’autre part que certaines conquêtes n’ont pas été précédées par une phase d’exploration. Voir Isabelle Surun, « Le terrain de l’exploration reconsidéré : les explorateurs européens en Afrique au XIXe siècle », in Pierre Singaravélou (dir.), L’empire des géographes. Géographie, exploration et colonisation XIXe-XXe siècles, Paris, Belin, 2008, p. 60-68.

52 En particulier : Henry Morton Stanley, À travers le continent mystérieux, Paris, Hachette, 1879.

53 Fernand Maurette, Afrique équatoriale, orientale et australe, in Paul Vidal de la Blache, Lucien Gallois, Géographie universelle, tome 12, Paris, Armand Colin, 1938, p. 32.

54 C’est ce que montre David Bédouret qui sur des objets proches pour certains donne une suite à mon travail et analyse des manuels publiés entre les années 1950 et 2000 : David Bédouret, L’Afrique rurale des manuels scolaires de géographie, op. cit.

55 Cette essentialisation n’est pas réservée aux indigènes ; c’est un discours récurrent et simplificateur de la géographie scolaire que l’on retrouve aussi en métropole et ailleurs avec « le Breton » ou « l’Allemand ».

56 Voir par exemple pour ce qui concerne la production littéraire : Edward Said, L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, Paris, Seuil, 2005 (1re éd. 1980) et, pour ce qui concerne diverses sciences sociales, la thèse de Marie-Albane de Suremain, L’Afrique en revues : le discours africaniste français, des sciences coloniales aux sciences sociales (anthropologie, ethnologie, géographie humaine, sociologie), 1919-1964, thèse, histoire, université Paris 7, 2001.

57 Pascal Clerc, « La géographie française et les indigènes. Le cas de l’Afrique du Nord à travers les articles des Annales de géographie (1892-1942) », à paraître.

58 Charles-Robert Ageron, « Du mythe kabyle aux politiques berbères », in Le mal de voir. Cahier Jussieu, Paris, 10/18, 1976, p. 331-349 ; Charles-Robert Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine. T. 2. 1871-1954, Paris, Presses universitaires de France, 1979.

59 La plupart des géographes ne se départissent pas d’une méfiance vis-à-vis des nomades qui doit plus aux conceptions coloniales de la métropole et à la valorisation de l’enracinement qu’aux exigences d’un travail scientifique malgré les nuances apportées par Augustin Bernard et Napoléon Lacroix, « L’évolution du nomadisme en Algérie », Annales de géographie, no 80, t. 15, 1906, p. 152-165.

60 Marcel Dubois, C. Martin, Henri Schirmer, Afrique. Asie. Océanie, op. cit., p. 37.

61 Louis Gallouédec, Franz Schrader, Géographie élémentaire de la France, op. cit., p. 223.

62 Louis Bougier, Géographie de l’Afrique, de l’Asie et de l’Océanie. (Classe de 3e), Paris, Alcan, 1891, p. 59.

63 Louis Gallouédec, Fernand Maurette, Géographie de la France et de ses colonies, op. cit., p. 273.

64 André Cholley (dir.), Géographie. Nouveau cours de géographie, op. cit., p. 437.

65 Marcel Dubois, C. Martin, Henri Schirmer, Afrique. Asie. Océanie, op. cit., p. 13.

66 Augustin Bernard (1865-1947) spécialiste de l’Afrique du Nord et de la colonisation écrit de nombreux articles sur ces thématiques dans les Annales de géographie. Il enseigne à la faculté des lettres d’Alger puis à la Sorbonne les questions relatives à l’Afrique et à la colonisation. Sur Bernard, voir notamment Florence Deprest, Géographes en Algérie (1880-1950). Savoirs universitaires en situation coloniale, Paris, Belin, 2009.

67 Pascal Clerc, La culture scolaire en géographie, op. cit.

68 André Cholley (dir.), Géographie. Nouveau cours de géographie, op. cit., p. 426.

69 Louis Gallouédec, Fernand Maurette, Géographie de la France et de ses colonies, op. cit., p. 286.

70 Alain Ruscio, Le credo de l’homme blanc. Regards coloniaux français XIXe-XXe siècles, Paris, Complexe, 2002, p. 66.

71 Albert Demangeon, André Perpillou, Cours Demangeon. Le monde moins l’Europe (classe de 5e), Paris, Hachette, 1938, p. 213. C’est moi qui souligne.

72 Pascal Clerc, « Les formes de la domination : paysages ruraux de l’Afrique du Nord colonisée », Mappemonde, no 91, 2008.

73 Émile Levasseur, Les découvertes récentes de l’Afrique. Soirées littéraires et scientifiques de la Sorbonne, Paris, Guillaumin, 1865.

74 Pierre Gourou, Les pays tropicaux : principes d’une géographie humaine et économique, Paris, Presses universitaires de France, 1948, p. 115.

75 Cet exemple est pris à dessein. David Bédouret, L’Afrique rurale des manuels, op. cit. mentionne ce discours binaire (p. 52). On le retrouve encore dans des ouvrages récents, par exemple avec un cliché de labour à l’araire en Éthiopie et un paysage de grande culture mécanisée aux États-Unis : Annette Ciattoni, Gérard Rigou, Géographie seconde. Les hommes occupent et aménagement la terre, Paris, Hatier, 2006, p. 46-47.

76 François Julien, L’écart et l’entre. Leçon inaugurale de la Chaire sur l’altérité, Paris, Galilée, 2012, p. 28.

77 Ibid., p. 33.

78 Pour Florence Deprest, Élisée Reclus et l’Algérie colonisée, Paris, Belin, 2012, comme pour Federico Ferretti et Philippe Pelletier, « Sciences impériales et discours hétérodoxes : Élisée Reclus et le colonialisme français », L’Espace géographique, no 1, 2013, p. 1-14, Reclus est certes un homme de son temps qui peut trouver des justifications humanistes à la colonisation mais surtout un critique de celle-ci qui condamne sans réserves le comportement de certains colons et déplore les impacts sur la société indigène de la présence coloniale.

79 André Cholley (1886-1968) a rayonné sur la géographie française de la fin des années 1920 aux années 1950 (professeur à la Sorbonne, directeur de l’Institut de géographie, président du jury de l’agrégation…). Il a beaucoup apporté à la discipline sur le plan méthodologique en développant notamment les premières approches systémiques.

80 André Cholley (dir.), Géographie. Nouveau cours de géographie, op. cit., p. 418.

81 Cette parenthèse disparaît dans l’édition de 1951.

82 André Cholley (dir.), Géographie. Nouveau cours de géographie, op. cit., p. 428.

83 Ibid., p. 418.

84 André Cholley, (dir.), Géographie. Classe de troisième. La France et l’Union française, Paris, Baillière, 1951, p. 439.

85 Pour un regard sur les travaux de géographie sociale et économique de Dresch, voir Jean Dresch, Un géographe au déclin des empires, Paris, Maspero, 1979.

86 Yves Lacoste, La géographie, ça sert d’abord à faire la guerre, Paris, Maspero, 1976.

87 Hors quelques hommes politiques sans doute nostalgiques d’une époque révolue qui en 2005, rappelons-le, voulaient introduire dans les programmes des éléments soulignant « le rôle positif de la présence française outre-mer ». La loi du 23 février 2005 fut votée, avec ces mots, avant qu’ils ne soient retirés l’année suivante.

88 Mais pas moins opérante comme le montre Caroline Leininger-Frézal à propos du catastrophisme dans le domaine environnemental : « Une rhétorique des images du risque dans la géographie scolaire », Mappemonde, no 113, 2014.

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Pour citer cet article

Référence papier

Pascal Clerc, « La formation d’un regard : la colonisation dans les manuels de géographie du secondaire (1873-1951) »Histoire de l’éducation, 155 | 2021, 197-217.

Référence électronique

Pascal Clerc, « La formation d’un regard : la colonisation dans les manuels de géographie du secondaire (1873-1951) »Histoire de l’éducation [En ligne], 155 | 2021, mis en ligne le 02 janvier 2023, consulté le 08 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/6362 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.6362

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Auteur

Pascal Clerc

CY Cergy Paris Université, laboratoire EMA (École, Mutations, Apprentissages), équipe EHGO (Épistémologie et histoire de la géographie) UMR 8504, Géographie-Cités

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