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Notes critiques

SEGUY (Jean-Yves), Des idées à la réforme : Jean Zay et l’expérience des classes d’orientation, 1937-1939

Mont-Saint-Aignan, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2019, 308 p.
Yves Verneuil
p. 274-278
Référence(s) :

SEGUY (Jean-Yves), Des idées à la réforme : Jean Zay et l’expérience des classes d’orientation, 1937-1939, Mont-Saint-Aignan, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2019, 308 p.

Texte intégral

1Jean-Yves Seguy propose une étude des classes d’orientation – expérience tentée entre 1937 et 1939 –, extraite de sa thèse de doctorat consacrée aux politiques de démocratisation de l’enseignement entre les deux guerre (sous la direction d’André Robert). On sait en effet que, conscient des difficultés qu’il aurait à faire voter son projet de loi (qui, de fait, ne franchira pas les méandres parlementaires), Jean Zay innove en impulsant par décret une expérimentation, dont il confie la mise en œuvre à Gustave Monod, un agrégé de philosophie qui a exercé un temps à l’École des Roches. Peut-être, au reste, ne s’agit-il pas seulement de contourner les oppositions parlementaires prévisibles : dans son ouvrage, Du changement dans l’école. Les réformes de l’éducation de 1936 à nos jours, Antoine Prost a insisté sur le caractère bénéfique de cette méthode. En tout cas, à la rentrée 1937, ouvrent 172 classes d’orientation, rattachées à 45 centres. L’orientation, fondée sur la détection des aptitudes, remplace la sélection par examen. Les élèves des classes d’orientation ont d’ailleurs été dispensés de l’examen d’entrée en classe de sixième, ce qui a suscité des critiques. Bénéficiant d’effectifs réduits, ces classes sont confiées à une petite équipe de quatre ou cinq enseignants provenant, pour la plupart, du premier et du second degré. Un livret d’orientation permet de reporter les évolutions de chaque élève. Travail d’équipe et polyvalence des enseignants, heures de travail manuel et méthodes actives rapprochent ces classes des idées développées par l’éducation nouvelle. Jean-Yves Seguy situe d’ailleurs ces classes à la convergence de trois mouvements. D’une part, l’école unique, dont il commence par rappeler l’origine, les principaux acteurs et les premières applications (avec une insistance sur les « classes amalgamées »). D’autre part, l’Éducation nouvelle, avec un accent mis sur le Congrès du Havre organisé du 31 mai au 4 juin 1936. Enfin, les réflexions d’un certain nombre de spécialistes de l’orientation professionnelle, qui proposent de s’inspirer de leurs pratiques pour mettre en place une orientation scolaire.

2Assurément, les classes d’orientation n’étaient pas inconnues. Mais l’apport de l’ouvrage de Jean-Yves Seguy est triple. Le plus important réside dans le constat d’un processus évolutif. Que ce soit dans la phase d’élaboration ou au cours de la phase d’expérimentation, Jean Zay et ses collaborateurs n’ont cessé de prendre en compte réserves et critiques. Non seulement ils ont proposé des textes de compromis (par exemple l’étonnante institution d’une commission d’orientation scolaire destinée aux élèves de septième et des écoles primaires, qui répond au vœu du Syndicat national des professeurs de lycée que la classe d’orientation puisse être placée en amont de la classe de sixième), mais encore ils ont accepté une évolution de l’expérience. C’est d’ailleurs le principe normal d’une expérimentation : tenir compte des bilans effectués pour rectifier tel ou tel point. Jean-Yves Seguy montre que cela aboutit à une progressive « secondarisation » de la classe d’orientation, avec l’institutionnalisation d’un type « latin-langues », la réduction du rôle de l’enseignement technique et la limitation à 13 ans de l’âge des enfants admis. Pour observer les débats ayant contribué à l’évolution du processus, Jean-Yves Seguy se fonde sur les archives du Conseil supérieur de l’instruction publique (CSIP) et sur les auditions réalisées par la commission enseignement de la Chambre des députés. Il ne se borne pas à présenter les opinions des uns et des autres : il analyse leurs stratégies argumentatives et leur évolution, notamment en fonction des rapports d’étape présentés au CSIP. Ces rapports font l’objet d’une double lecture : ils apportent certes de précieux renseignements chiffrés sur les modalités concrètes de l’expérience ; mais ils sont eux-mêmes analysés dans leur stratégie argumentative. Partisan de l’expérience, Yves Le Lay sait ainsi choisir les exemples qui vont dans le sens de ses idées.

3Jean-Yves Seguy met par ailleurs en évidence la diversité des classes d’orientation. Comme il l’écrit, « les quelques recherches qui ont évoqué l’expérience mentionnent généralement une classe d’orientation, quasi indifférenciée […]. On peut en fait considérer qu’il existe plusieurs classes d’orientation. Cette différenciation existe dès l’origine, et se renforce tout au long des deux années de l’expérimentation » (p. 274). Dès les premiers textes ministériels sont en effet définis trois types pédagogiques : avec langue vivante et sans latin, avec latin et sans langue vivante, sans latin ni langue vivante. La deuxième année d’expérimentation voit apparaître un quatrième type, que certains centres avaient d’ailleurs adopté spontanément la première année : avec latin et langue vivante. Si l’on se souvient par ailleurs qu’au terme du premier trimestre les élèves sont répartis dans une des trois voies qui leur sont offertes (classique, moderne ou technique), on voit les limites du tronc commun.

4Enfin, Jean-Yves Seguy insiste sur la diversité des expériences au niveau local. Certains centres comprennent plusieurs types d’établissement, d’autres non. Onze centres fonctionnent sans établissement secondaire (même si des professeurs de collège ou de lycée ont pu intervenir ponctuellement dans leurs classes). Le type d’établissement dans lequel les enfants entrent en sixième d’orientation influe sur leur choix d’orientation. Mais Jean-Yves Seguy souligne surtout le fait que ce choix est fortement conditionné par l’offre locale d’enseignement : ainsi l’enseignement technique n’est-il pas choisi, s’il n’existe pas d’établissement technique à proximité. L’étude de Jean-Yves Seguy s’inscrit donc dans le courant initié par Jean-Michel Chapoulie montrant l’importance de l’offre dans les choix de scolarisation. Jean-Yves Seguy examine par ailleurs les contextes locaux de détermination des centres. Certaines classes d’orientation ont été implantées dans des établissements comprenant des équipes motivées. L’exemple du lycée de jeunes filles de Sèvres est le plus évident. Mais certains établissements se sont portés volontaires uniquement parce qu’ils ont vu dans les classes d’orientation un moyen de répondre à la crise de leurs effectifs. Le remplacement d’un chef d’établissement par un autre moins intéressé par l’expérience constitue évidemment un facteur défavorable. La consultation de fonds d’archives municipaux et départementaux permet par ailleurs de voir l’importance, au niveau local, des considérations matérielles et humaines : nécessité de demander une subvention exceptionnelle pour organiser un atelier dans un lycée, difficulté de mise au point des emplois du temps…

  • 1 Jean-Marie Donegani, Marc Sadoun, « La réforme de l’enseignement secondaire en France depuis 1945. (...)

5Au niveau du CSIP, les débats portent sur la pertinence ou non des classes d’orientation. Jean Zay insiste beaucoup sur le fait qu’il s’agit de remplacer des choix d’orientation conditionnés par des a priori pédagogiques et sociaux par des choix issus d’un dispositif rationnel. Même s’il est répété que la décision finale reviendra aux familles, la question de la détection des aptitudes est matière à polémique. Faut-il tenir compte du questionnaire proposé par Fontègne ? Comment associer telle ou telle aptitude à telle ou telle section ? Mossé, qui représente les agrégés de langues vivantes au CSIP, fait ainsi observer que la rigueur ne destine pas forcément à la section classique ! Puisque seuls les professeurs, avec les chefs d’établissement, peuvent dispenser des conseils aux parents, faut-il faire émerger un corps d’enseignants spécialisés dans l’orientation ? Un des mérites de l’étude de Jean-Yves Seguy est d’écarter toute vision manichéenne et de montrer que la réponse à ces questions ne reçoit pas de réponse univoque dans le camp des partisans des classes d’orientation. De même, il montre que, contrairement à un lieu commun, le Syndicat national des professeurs de lycée et la Société des agrégés ne se sont pas opposés d’emblée à ces classes. C’est seulement en 1939 que ces deux influentes organisations prennent position dans un sens défavorable. Pour Jean-Yves Seguy, c’est le résultat de la volonté ministérielle de passer du stade de l’expérience au stade de l’institutionnalisation : pour les adversaires de l’expérience, l’heure ne serait plus aux stratégies discursives alambiquées, mais à l’opposition frontale. Peut-être faudrait-il cependant davantage tenir compte du contexte politique. Jean-Yves Seguy montre certes que les clivages pédagogiques ne recoupent pas les oppositions politiques. Mais les opposants à la réforme Zay ne peuvent pas ne pas tenir compte de l’évolution des événements. En 1939, la majorité parlementaire a basculé, le Front populaire est mort. Il aurait par ailleurs été utile de mieux tenir compte des enjeux syndicaux. Le retournement du Syndicat national des lycées, collèges et cours secondaires (SNALCC) doit être analysé à la lumière des débats internes à ce syndicat. Son président, André-Marie Gossart, qui veut à tout prix éviter l’émergence d’une opposition de nature politique entre le SNALCC et le SPES, fait tout pour que ne soit pas condamnée une réforme issue du Front populaire. Mais l’aile droite du syndicat profite de l’échec de la grève du 30 novembre 1938, qui a selon elle mis fin à l’attractivité du SPES, pour faire valoir que cette stratégie de conciliation est dépassée. Cette nuance n’enlève évidemment rien au grand intérêt d’un ouvrage qui, dans la lignée des travaux d’Antoine Prost, prolonge la réflexion sur le processus de réforme, en proposant en conclusion une modélisation différente de celle conçue naguère par J.-M. Donegani et M. Sadoun1.

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Notes

1 Jean-Marie Donegani, Marc Sadoun, « La réforme de l’enseignement secondaire en France depuis 1945. Analyse d’une non-décision », Revue française de science politique, no 6, p. 1125-1146.

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Pour citer cet article

Référence papier

Yves Verneuil, « SEGUY (Jean-Yves), Des idées à la réforme : Jean Zay et l’expérience des classes d’orientation, 1937-1939 »Histoire de l’éducation, 154 | 2020, 274-278.

Référence électronique

Yves Verneuil, « SEGUY (Jean-Yves), Des idées à la réforme : Jean Zay et l’expérience des classes d’orientation, 1937-1939 »Histoire de l’éducation [En ligne], 154 | 2020, mis en ligne le 01 septembre 2021, consulté le 08 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/5983 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.5983

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Auteur

Yves Verneuil

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