DESTEMBERG (Antoine), L’honneur des universitaires au Moyen Âge. Étude d’imaginaire social
DESTEMBERG (Antoine), L’honneur des universitaires au Moyen Âge. Étude d’imaginaire social, Paris, Presses universitaires de France, 2015, 389 p., ill. h.-t.
Texte intégral
1Cet ouvrage, tiré d’une thèse couronnée en 2011 par le prix Le Monde de la recherche universitaire, a reçu en outre le prix Lantier de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres en 2015. C’est dire toute l’originalité de l’étude d’A. Destemberg, qui allie une réflexion anthropologique de haute volée avec les exigences d’une érudition historique sans faille. Ce livre s’inscrit dans une actualité scientifique liée à la notion d’honneur. Les discours de subjectivité, qui incluent la renommée (fama) et l’honneur, ont en effet été replacés au centre des stratégies des groupes et des individus par la sociologie pragmatique (Luc Boltanski), la sociologie de la reconnaissance (Nancy Fraser) et l’anthropologie historique (Claude Gauvard). Il était donc temps d’appliquer cette notion à ces acteurs sociaux très particuliers que sont les universitaires médiévaux, car ces derniers disposaient d’outils intellectuels et conceptuels capables de formaliser et de promouvoir leur propre imaginaire social. Mais l’ouvrage répond aussi à une actualité plus politique, qui tient à la place des universités dans la société française. Rares en effet sont les thèses d’histoire médiévale qui sont autant en prise avec le présent, depuis la LRU jusqu’à la LPR en passant par la loi Fioraso. À la lecture de cette étude, on ne peut s’empêcher de comparer la situation des universitaires du XXIe siècle à celle de leurs homologues parisiens de la fin du Moyen Âge, qui virent leur relation avec le pouvoir royal se dégrader inexorablement. Ce livre d’histoire nous donne ainsi des clés pour comprendre notre temps.
2L’auteur rappelle qu’au Moyen Âge, l’honneur n’était pas réservé aux seuls milieux dominants, mais était revendiqué par toutes les classes de la société. Il s’est donc attaché à utiliser cette valeur globalisante pour comprendre la mécanique sociale du monde universitaire, ce qui lui permet de mettre en lumière deux phénomènes : d’une part, la formation d’une nouvelle catégorie sociale (ou sociogenèse des universitaires) ; d’autre part, les stratégies de ce groupe pour s’affirmer en tant que catégorie autonome (ou processus d’objectivation sociale). L’auteur a donc envisagé une histoire totale de son objet, ce qui l’a amené à dépouiller un grand nombre de sources extrêmement diverses : actes normatifs, administratifs et judiciaires, littérature scolastique, morale, historique et politique, iconographie et même archéologie. L’ouvrage dispose d’ailleurs d’un important cahier iconographique, contenant près de cinquante reproductions, pour la plupart en couleur. L’étude couvre un large espace européen, du Midi de la France à l’Allemagne et de l’Angleterre à l’Italie, même si le propos est délibérément centré sur le cas parisien. L’université de Paris constitue en effet un véritable paradigme par l’ancienneté de son histoire, sa notoriété internationale, l’ampleur de ses effectifs et les relations qu’elle a entretenues avec la plus grande ville d’Occident, au point de constituer un cas unique dans l’Europe médiévale.
3La thèse se décline en trois temps : la première partie s’interroge sur la place de l’honneur des universitaires dans le système de communication médiéval, car c’est la fama publica universitaire qui contribua à façonner la réalité de cette nouvelle catégorie sociale ; la deuxième partie étudie la fabrique de l’honorabilité universitaire en suivant les étapes fortement ritualisées de l’intégration de l’individu à la communauté ; la dernière partie évalue la prégnance de cet honneur face aux résistances et aux conflits, tant vis-à-vis des acteurs extérieurs au monde universitaire que des universitaires eux-mêmes. L’analyse est menée avec une grande rigueur et aborde des thèmes originaux, comme celui de la masculinité. La deuxième partie constitue, à plus d’un titre, le point d’orgue de l’ouvrage : on y découvre la fabrique de l’honneur, ce processus de socialisation qui transforme le jeune étudiant sans fama en un maître dépositaire de l’honneur de l’Université. L’auteur démontre ainsi que chaque étape du processus révèle le schéma de construction de l’ensemble du système et aboutit à la définition d’un véritable habitus universitaire. Mais il constate aussi que les universitaires ne sont pas toujours parvenus à construire une memoria capable de rivaliser avec celle des autres communautés auxquelles ils appartenaient. L’honneur des universitaires reste donc, à la fin du Moyen Âge, dans l’entre-deux d’un processus d’objectivation sociale inachevé.
4Tout au long de son livre, A. Destemberg circule avec bonheur au milieu des universitaires médiévaux, comme un ethnologue qui chercherait à comprendre les rites d’une tribu. S’il n’est pas le premier à avoir adopté une démarche anthropologique pour étudier le monde universitaire médiéval, il est en revanche le seul à l’avoir appliquée à l’ensemble de la réalité sociale, et pas seulement à la littérature savante. On peut donc dire qu’après l’histoire sociale des universitaires, qui a renouvelé la discipline depuis les années 1970, et l’histoire intellectuelle des universités, qui connaît un nouvel essor, les travaux d’A. Destemberg contribuent à ouvrir une troisième voie de recherche, celle d’une anthropologie historique des universitaires.
Pour citer cet article
Référence papier
Thierry Kouamé, « DESTEMBERG (Antoine), L’honneur des universitaires au Moyen Âge. Étude d’imaginaire social », Histoire de l’éducation, 154 | 2020, 259-261.
Référence électronique
Thierry Kouamé, « DESTEMBERG (Antoine), L’honneur des universitaires au Moyen Âge. Étude d’imaginaire social », Histoire de l’éducation [En ligne], 154 | 2020, mis en ligne le 01 septembre 2021, consulté le 02 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/histoire-education/5913 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/histoire-education.5913
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